Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous entamons l’examen aujourd’hui répond-il aux attentes de nos compatriotes ? Ce texte, qui a pour objectif affiché de lutter contre l’influence de l’islamisme politique dans notre société, est-il d’une telle urgence qu’il faille en discuter en procédure accélérée plutôt que de traiter les besoins qu’exprime notre peuple face à la crise sanitaire ?
Oui, bien sûr, l’évolution du monde et la dégradation profonde de notre tissu social nourrissent le développement d’un fondamentalisme. Celui-ci s’appuie, en la détournant, sur la religion musulmane pour imposer, dans des pays, des régions du globe, mais aussi dans des quartiers, une conception politique, que je qualifierais de « fascisante », de la société. (M. Philippe Tabarot s’exclame.)
Je vous le dis d’emblée, monsieur le ministre, ce n’est pas par l’empilement de règles plus répressives les unes que les autres que vous répondrez à la déshérence d’une population qui ne croit plus forcément à la République, car celle-ci l’a délaissée.
L’urgence est ailleurs aujourd’hui.
L’urgence est d’aider l’hôpital. L’urgence est de restaurer notre capacité à produire des vaccins. L’urgence est d’agir pour le climat. L’urgence est de venir en aide aux 10 millions de pauvres dans notre pays !
Ce qui doit être éradiqué dans l’immédiat, c’est le malaise étudiant, la détresse sociale, la faim, et certainement pas le fantasme d’un islamo-gauchisme, concept que le Gouvernement, Mme Vidal en tête, et d’autres ici encore aujourd’hui livrent en pâture à l’extrême droite. L’urgence, ce sont les plans sociaux, toujours plus nombreux.
Or, pour le Gouvernement, l’urgence des urgences est de légiférer sur le séparatisme islamiste.
L’évolution d’Emmanuel Macron est patente : pensons au discours de 2015 sur le terreau favorisant le terrorisme ou au discours des Mureaux, qui liait action répressive et action sociale. Au lieu du texte qui, peu de jours avant, devait conforter les principes républicains, nous avons découvert, le 9 décembre dernier, un texte coercitif visant à assurer le respect des principes de la République, dont on ne sait qui les définit ni quel est leur champ.
La notion de séparatisme ne figure plus dans l’intitulé du projet de loi, et pour cause : le grand texte relatif au séparatisme en matière de religion est celui de 1905, qui assura la séparation de l’Église et de l’État et qui acta l’entrée de notre pays dans une République laïque, après une longue histoire.
Le mot « séparatisme » se perd finalement dans les contradictions fondamentales de votre action.
De surcroît, vous ne pouvez pas défendre ce concept alors que le séparatisme fondamental de notre société est aujourd’hui celui des riches avec les pauvres. Notre pays subit de plein fouet un séparatisme multiple : séparatisme scolaire, séparatisme universitaire – 30 % des enfants de classes défavorisées intégraient l’ENA, l’ENS ou HEC en 1950, contre 9 % aujourd’hui –, séparatisme territorial, renforcé par la mise à mal de l’unicité du service public dans notre pays.
Avec votre texte, le discours prononcé par Emmanuel Macron aux Mureaux en octobre dernier paraît bien loin. Le Président de la République, comme à son habitude, avait prôné le « en même temps » : il faut réprimer le séparatisme islamique, mais il faut aussi restaurer la République sur tout le territoire. Je le cite : « Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme. C’est celui de nos quartiers, c’est la ghettoïsation de notre République […] Nous avons construit une concentration de la misère […] Nous avons créé ainsi des quartiers où la promesse de la République n’a plus été tenue. »
M. Macron a jeté aux orties l’habillage social de son propos pour ne conserver que l’objectif répressif et coercitif.
Nous nous trouvons donc face à un texte présenté comme l’héritage des auteurs de la loi de 1905, alors que celle-ci était fondamentalement une loi de liberté. Dans son article 1er, elle garantit la liberté de conscience et la liberté des cultes, et, dans son article 2, elle affirme : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » C’est la séparation de l’Église et de l’État, à l’opposé d’une démarche concordataire qui subsiste encore en Alsace-Moselle, avec les récentes conséquences que nous connaissons, et dans quelques autres départements et territoires.
Votre texte, monsieur le ministre, prend à contre-pied la loi de 1905, car il renforce le lien entre les religions et l’État. Il contredit l’esprit de 1905. Il tend à un nouveau concordat.
En revanche, ce projet de loi s’inscrit pleinement dans un continuum sécuritaire, de la proposition de loi relative à la sécurité globale – comment ne pas signaler que l’article 18 du présent texte est l’article miroir de l’article 24 de cette dernière ? – à la réforme de l’ordonnance des mineurs, en passant par la perpétuation des états d’exception depuis 2015.
En effet, votre texte déborde la question religieuse. Il instaure un contrat d’engagement républicain. Là aussi, qui le définit ? Qui le valide ? Vous placez l’ensemble des associations sous tutelle. Vous rétablissez le lien entre l’État et les religions, alors que, vous le savez bien, l’ensemble des associations cultuelles critiquent cette évolution.
Vous remettez en cause la liberté d’association, en plaçant au cœur d’un contrat d’engagement républicain la question du respect de l’ordre public.
Regardons le contrôle du financement des associations culturelles. M. Patrick Weil affirmait fort justement : « La loi prévoit déjà depuis 1905, pour les associations culturelles, le contrôle de l’administration fiscale et de l’inspection générale des finances. Les contrôles ont-ils été faits quand ils auraient dû l’être ? C’est la maladie française. On fait des lois pour camoufler l’absence d’action dans le cadre des lois précédentes. »
Regardons la question des exemptions des pratiques sportives. Ce n’est pas votre texte qui règle la faiblesse de la médecine scolaire, laquelle, par le retour dont elle bénéficie dans chaque établissement, pourrait, par le dialogue et un suivi réel, régler ces situations et bien d’autres.
Je ne supporte pas la stigmatisation dont sont victimes les millions de musulmans ou celles et ceux que l’on considère comme tels, qui habitent dans notre pays et dont la très grande majorité sont nos compatriotes.
Je ne supporte pas que, pour une minorité agissante, qu’il faut combattre – les communistes n’ont jamais failli à ce combat et l’ont trop souvent payé de leur vie dans des pays où les guerres civiles firent rage –, une part significative de notre peuple soit montrée du doigt.
Ma colère, monsieur le ministre de l’intérieur, est d’autant plus vive que ces femmes, premières victimes de tous les obscurantismes, et ces hommes sont souvent confrontés à de grandes difficultés sociales.
Je ne peux accepter ce que vous avez écrit dans votre livre à propos de ceux qui s’inquiéteraient d’une « xénophobie d’État », stigmatisant ceux « qui mêlent leurs voix et leurs protestations aux cris et aux actes de ceux qui attaquent la France » et qui seraient – je vous cite encore – « les complices des islamistes ».
Le jeu est dangereux, et c’est Emmanuel Macron qui le mène depuis des mois,… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Tabarot. Le temps est dépassé !
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. … en nourrissant un débat qui favorise le Front national. Mme Le Pen n’a pas besoin de parler, puisque le travail est fait pour elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 2 octobre dernier, le Président de la République a tenu un discours important sur la lutte contre les séparatismes. Le 16 octobre, soit quatorze jours plus tard, Samuel Paty était assassiné par un terroriste islamiste dans les rues près de son collège.
Ces circonstances nous obligent, et ce n’est pas, monsieur Grosperrin, nous référer béatement à un discours du Président de la République que de considérer que, le jour où le chef de l’État s’exprime sur un sujet aussi grave, il est important de l’entendre, de le lire et de nous demander quelles conséquences nous pouvons en tirer.
Dès lors, je vous le dis, je trouve inacceptable que vous ayez suggéré, lorsque vous avez répondu au président Patrick Kanner, que nous puissions être complaisants avec l’islamisme radical.
M. Jacques Grosperrin. C’est un fait.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comment peut-on affirmer une chose pareille alors que notre pays, ma ville, les Français ont connu, lors du quinquennat précédent, les attentats contre Charlie puis contre le Bataclan et que certains d’entre nous ont perdu des proches et des membres de leur famille ?
M. Jacques Grosperrin. Je parlais du PS !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Sans doute avez-vous été emporté par votre volonté d’exprimer une position très radicale, mais, comme plusieurs de nos collègues l’ont déclaré, ce débat est difficile, parce que nous ne partageons pas forcément la même conception. Cependant, nous devons garder une certaine hauteur, une certaine maîtrise (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.). Je souhaite, comme d’autres, vous y appeler, car les circonstances de l’assassinat de Samuel Paty nous obligent. (Mme Martine Filleul applaudit.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Pas de leçons !
Mme la présidente. Veuillez laisser l’oratrice poursuivre, mes chers collègues.
Le débat sera long : économisons-nous…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je vous rassure, monsieur Piednoir : j’essaie tout comme vous d’être à la hauteur !
M. Jacques Grosperrin. Pas de leçons, s’il vous plaît ! Pas vous !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour la gauche, la République doit être la République « jusqu’au bout », pour reprendre la formule de Jaurès, avec l’ordre républicain d’un côté et la promesse républicaine de l’autre. Notre groupe est fondamentalement attaché au respect des principes de la République et à leur protection. Nous saluons les femmes et les hommes qui la servent : fonctionnaires, militaires, enseignants, personnels soignants… Nous saluons tous ceux qui ont choisi de servir l’intérêt général.
Nous sommes attachés à la laïcité. Oui, nous sommes fidèles à l’héritage de Jaurès, de Briand ou de Ferdinand Buisson, à cette liberté de croire ou de ne pas croire. Et nous sommes attachés à la dignité humaine, contre toutes les pratiques indignes, en particulier contre les femmes.
Certains l’ont rappelé : séparer le combat laïque du combat social revient à se fourvoyer, avec le risque de perdre les deux, car, selon la fameuse formule de Jaurès, la République restera laïque parce qu’elle aura su être sociale.
D’ailleurs, lors de son discours des Mureaux, Emmanuel Macron a rappelé que la République était à la fois un ordre et une promesse, mais il a évoqué un « devoir d’espoir » et le besoin de « faire aimer la République » pour que chacun « puisse trouver sa place. » Or cette seconde partie du discours du Président de la République a disparu : dans ce projet de loi, on ne trouve pas un mot sur la mixité sociale, sur la discrimination en matière d’emploi ou de logement, sur l’accès aux services publics ou encore sur l’égalité des chances.
Or la République est une promesse : la promesse d’être intégré, de participer. C’est la promesse républicaine d’égalité et d’émancipation. Les élus locaux que nous sommes le savent bien. Nous savons que, si nous n’abordons pas ces sujets, le texte est totalement déséquilibré.
Or, dans ce texte, notre République est réduite à des règles, à des interdictions, à des motifs d’ordre public. Nous n’y retrouvons pas le pendant que constituent les droits, l’égalité, la solidarité et les principes de la République.
De toute évidence, on y trouve l’ordre, que le Président de la République a appelé de ses vœux. Pour les associations, les cultes, l’éducation, les fédérations sportives, le service public, ce texte prévoit obligations, contrôles, sanctions, comme cela a déjà été rappelé plusieurs fois. Étrange pour un projet de loi présenté comme un texte de libertés !
Celui-ci peut aussi s’avérer dangereux pour nos libertés, notamment au regard de son article 18, faux jumeau de l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui, monsieur le ministre de l’intérieur, créera une concurrence juridique qui rendra très complexe la poursuite des infractions. Je pense que le Gouvernement devrait y veiller.
Ce texte est aussi un texte de défiance, envers les croyants, les membres d’associations, l’école et, au final, tous les citoyens. Comme si chacun devenait suspect et allait se radicaliser…
Sur quelques points, nous partageons les dispositions de ce projet de loi.
Par exemple, nous souscrivons aux mesures permettant une meilleure protection des agents du service public ou à celles qui visent à améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes. L’interdiction des certificats de virginité, la lutte contre les mariages forcés ou la polygamie sont des combats que nous partageons évidemment et sur lesquels mes collègues Jacques-Bernard Magner et Jean-Pierre Sueur reviendront tout à l’heure.
Mais, comme vous l’aurez compris, nous ne nous satisfaisons pas de l’ensemble de ce projet.
En quoi pourra-t-il enrayer la fuite hors de la société de certains, le repli sur soi, l’entre-soi ? Pourrons-nous mieux vivre ensemble quand il sera voté ? Les Français seront-ils mieux protégés ? Allons-nous restaurer cette République, qui permet et promet tant ? Ces sujets auraient dû être abordés d’une main tremblante, comme le disait Montesquieu, car on ne peut sans conséquence modifier des textes fondateurs comme la loi de 1905 ni légiférer sur des questions aussi fondamentales.
Il est incontestable que, lors de la rédaction de ce texte, la main du Gouvernement n’a pas tremblé suffisamment. Aujourd’hui, au Sénat, nous devons appréhender ce texte comme il aurait dû être rédigé : comme un texte d’ordre, sans doute, mais aussi comme un texte de promesses, ce qu’il n’est pas.
Vous l’avez compris, nous n’approuvons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier. (Murmures sur plusieurs travées.)
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, « dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une République islamique ».
M. Loïc Hervé. Ça commence bien…
M. Stéphane Ravier. Tel était le vœu exprimé en 1986 dans le Matin de Paris par un certain Hussein Moussaoui, l’un des chefs du Hezbollah libanais.
Si, trente-cinq ans plus tard, ce projet n’est pas achevé, force est de constater qu’il est en cours de réalisation, car ce ne sont pas moins de 150 quartiers en France qui sont aujourd’hui tenus par les islamistes.
Et ces quartiers ne se situent pas seulement dans le secteur nord de Marseille, dans la banlieue lyonnaise ou parisienne. On en trouve aussi à Annemasse (M. Loïc Hervé s’exclame.), à Lunel, à Oyonnax, à Nogent-le-Rotrou ou encore à Maubeuge, où le clair de lune a été remplacé par le croissant de lune islamique. Et ce n’est plus du tout la même chanson…
Pendant ce temps, votre gouvernement, messieurs les ministres, n’a toujours pas le courage de nommer le mal. Cette frilosité vous conduit à des contorsions sémantiques et législatives, qui ne sont pas sans conséquences sur les libertés publiques en général et sur les libertés des autres religions en particulier.
Faute de nommer l’ennemi, votre texte est liberticide pour ceux qui respectent la loi et largement insuffisant pour ceux qui la piétinent.
L’islam politique et ses soutiens, voilà l’ennemi ! Voilà la cible ! Or on ne retrouve pas une seule fois dans votre texte les termes « charia », « djihad », « islamisme » « mosquée », « voile », ni même, tabou parmi les tabous, « immigration ».
Et, puisque les choses doivent être dites, ce ne sont pas tant les valeurs de la République que les islamistes veulent abattre que la France : la France des terroirs et des clochers, la France enracinée, la France française !
Aujourd’hui, en France, 57 % des jeunes musulmans préfèrent l’application de la charia – la loi islamique – aux lois de la République. Plus d’un jeune musulman de France sur deux ne se reconnaît donc pas dans le modèle qui l’a vu naître. Ils n’ont que faire de votre vivre-ensemble ! Ils ne sont même plus dans la séparation : ils sont dans une volonté de conquête, exigeant que nous vivions comme eux.
Les métastases islamistes se sont répandues dans tout le corps national. Elles ont contaminé nos écoles, nos universités, nos médias, la culture, le sport et, même, nos hémicycles.
Et la majorité écrasante des terroristes sont des étrangers ou des produits issus de l’immigration. De fait, je n’aurai de cesse de le répéter, l’islamisme n’est pas une cause : c’est une conséquence de l’immigration massive.
Après avoir nommé le mal et identifié ses origines, sachons nous attaquer à ses soutiens de l’intérieur. Le poisson, y compris politique, pourrit toujours par la tête. Les islamistes savent pouvoir compter tant sur l’islamo-gauchisme que sur l’islamo-droitisme, le premier par idéologie antifrançaise et le second par électoralisme, lequel conduit nombre d’élus locaux à collaborer avec l’ennemi.
M. Pierre Laurent. Toujours dans la modération…
M. Stéphane Ravier. Pour obtenir 51 % des voix, comme d’autres voulaient trente deniers, on fait subir à la France, aux Français et à notre civilisation européenne un véritable calvaire. Le texte du Gouvernement est une occasion ratée de vacciner notre pays contre la pandémie islamiste.
Je vous engage dès lors, mes chers collègues, à soutenir les initiatives visant à lui donner toute la force et la détermination dont il a besoin.
L’avenir n’est jamais irrévocable : il sera ce que nous aurons décidé. Dans tous les cas, soyez assurés qu’il vous jugera !
M. Loïc Hervé. Nous attendons vos amendements !
Mme Éliane Assassi. Il ne sera pas là pour les défendre…
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi touche au principe constitutionnel de laïcité et à celui de la liberté. Il pose, en filigrane, une question centrale : face à la transformation de nos sociétés, où nous perdons de vue ce qui nous est commun au profit des droits individuels, comment concilier la liberté du citoyen et celle de l’individu ?
Un cadre juridique existe. Il est parfois paradoxal. L’article 1er de notre Constitution énonce que la République laïque respecte toutes les croyances.
La laïcité est le fruit d’un long débat. Elle résulte d’un compromis. La loi de 1905, vécue douloureusement, s’inscrit dans un contexte de lois antérieures antireligieuses. Elle a été voulue comme une loi d’équilibre, tenant compte de la réalité de la société française à cette époque. Un écart, parfois considérable, existe entre le principe recherché et la réalité.
La laïcité, telle qu’elle s’est construite, est une réalité historique, définie en fonction des situations et des problèmes rencontrés. Il en est ainsi aujourd’hui avec une religion qui, en France métropolitaine, n’existait pas au début du siècle dernier. Les acteurs du débat d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes, leurs références non plus. De même, la notion de laïcité peut ne pas recouvrir la même signification selon les générations. La méthode qui a présidé au début du siècle est celle de l’apaisement, pour « la liberté dans la diversité », comme le plaidait Clemenceau, et la République « cité des consciences autonomes », selon le philosophe Charles Renouvier.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, s’efforce à l’équilibre. Il le revendique.
L’islamisme politique et le salafisme se nourrissent de l’inorganisation de l’islam en France. C’est une part importante du sujet. Mais la loi ne peut contraindre une religion à s’organiser.
D’un côté, il nous faut lutter contre la propagation du séparatisme, contre la haine en ligne, pour la protection des services publics, pour l’incitation des cultes à intégrer le statut de la loi de 1905, et connaître leurs financements afin de s’assurer de l’absence de toute ingérence étrangère.
De l’autre, il ne faut pas attenter à la liberté de culte, à la liberté d’expression, à la liberté de religion, à la liberté d’association, avec pour seuls outils la loi égale pour tous, l’ordre public, les règles minimales de vie en société, l’intérêt public local, l’intérêt vital de la Nation.
La commission des lois a, je le crois, permis d’aller plus loin dans l’équilibre, jusqu’à ce matin. J’espère que ce mouvement sera constant. Je rejoins de nouveau Clemenceau, qui déclarait : « S’il devait y avoir un conflit entre la République et la liberté, c’est la République qui aurait tort. »
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Arnaud de Belenet. Concernant la neutralité des services publics, notre commission s’est montrée cohérente en étendant aux salariés participant à une mission de service public les mêmes obligations que les agents publics et a refusé leur extension aux élus au-delà de leurs fonctions d’agent de l’État.
Elle a amélioré le contrat d’engagement républicain, en transférant au préfet l’obligation d’informer les organismes qui concourent au financement d’une association s’étant vu retirer une subvention, alors que les députés avaient confié cette obligation aux élus locaux.
Elle a introduit le juge judiciaire dans la procédure de suspension des fonds de dotation par l’autorité administrative.
J’aurais souhaité, notamment avec Loïc Hervé, qu’il en soit de même dans le cadre de la procédure d’astreinte prévue à l’article 30.
M. Loïc Hervé. Nous y croyons encore !
M. Arnaud de Belenet. Concernant le respect des droits des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes, nous soutenons les articles qui interdisent la polygamie et qui prohibent et pénalisent la réalisation par des professionnels de la santé de certificats de virginité. De même, nous sommes favorables au dispositif de lutte contre l’excision.
La commission a fait œuvre utile concernant les mariages forcés ou viciés, en prévoyant que l’officier d’état civil puisse consulter une base de données nationale recensant l’ensemble des décisions d’opposition et de sursis à mariage. La commission de la culture a rétabli la liberté de l’instruction en famille et organisé son meilleur contrôle. Elle a donc fait le choix de la liberté et du contrôle plutôt que de l’interdiction et de l’exception autorisée.
La commission des lois a amélioré l’équilibre entre liberté de culte et nécessaire contrôle, notamment des financements, sans pénaliser les associations qui sont respectueuses des lois de la République.
Nous pouvons encore apaiser et améliorer l’équilibre et rendre plus attractif le cadre de la loi de 1905. Par exemple, pour rendre davantage autonomes les associations cultuelles dépourvues de financements étrangers, la commission a supprimé le plafond de 33 % que devaient représenter les ressources tirées d’un immeuble acquis à titre gratuit. Nous sommes nombreux à vouloir que les associations puissent également vivre de ressources issues d’immeubles acquis à titre onéreux.
Comme l’a souligné Philippe Bas, il est incompréhensible aujourd’hui que, en l’absence de toute capacité immobilière, les associations cultuelles puissent placer leurs trésoreries dans un portefeuille d’actions, mais qu’elles n’aient pas la possibilité d’acheter un immeuble.
De même, toujours dans un souci d’autonomie financière des associations cultuelles, nous avons, avec mes collègues, déposé un amendement visant à augmenter le plafond des dons en liquide pour l’aligner sur celui qu’a prévu le décret de 2015 concernant le paiement en espèces entre particuliers et professionnels.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Arnaud de Belenet. Enfin, s’agissant des dispositions relatives à la police des cultes, si la commission a approuvé le nouveau dispositif de fermeture administrative des lieux de culte en cas de provocation à la haine ou à la violence, elle a limité à trois mois la durée de cette fermeture. Ce dispositif est apparu disproportionné à certains, car il n’est pas assorti de garanties telles que le contrôle par le Parlement sur la base de rapports réguliers présentés au Sénat et à l’Assemblée nationale. Dès lors, il paraît attentatoire aux libertés publiques. Nous souhaitons le limiter dans le temps. C’est l’objet de l’amendement n° 584 rectifié ter.
Pour conclure, je citerai Locke, qui, dans sa Lettre sur la tolérance, en 1686, écrivait : « Il est d’une nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l’exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l’un et ceux de l’autre. Sans cela, il n’y aura jamais de fin aux disputes qui s’élèveront entre ceux qui s’intéressent, ou qui prétendent s’intéresser, d’un côté au salut des âmes, et de l’autre au bien de l’État. » Apaisons, équilibrons encore !
Mesdames les rapporteures, je salue votre travail et celui qu’il vous faudra encore réaliser dans les débats à venir. Apaisons, équilibrons encore, sans empêcher évidemment que la cible soit bien atteinte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte aurait pu porter le nom de Samuel Paty. Il aurait aussi pu porter le nom d’Arnaud Beltrame, auquel, par le hasard du calendrier, nous avons rendu hommage aux Invalides voilà trois ans presque jour pour jour.
Nombre d’entre nous ont formé le vœu, dans cette cour minérale des Invalides, que son courage soit aussi le courage de la France. En réalité, la seule question que nous ayons à nous poser pour jauger ce projet de loi et ses mesures est la suivante : le courage est-il au cœur du texte ?
Nous le savons, la situation est gravissime. Tous les sondages, toutes les études nous le démontrent. Aurons-nous le courage qu’impose la difficulté de la situation ?
J’aurais, monsieur le ministre, aimé répondre « oui ». Je dois à la vérité de dire que, si nous voterons certaines mesures, qui sont utiles, le vrai courage n’est pas au cœur de ce texte. Je vais vous le démontrer rapidement.
Le courage, pour moi, est d’aller au bout et au fond des choses.
Or vous n’allez pas au bout des choses quand vous vous arrêtez à mi-chemin sur la neutralité et sur la laïcité. Vous n’osez pas parler du voile. Dans notre histoire récente, des gouvernements ont fait un autre choix, et le temps leur a donné raison.
Mes chers collègues, qui s’oppose aujourd’hui à la loi de 2004 ou à celle de 2010 ? Très peu de personnes, si ce n’est, précisément, les islamistes ! Or on n’en parle pas.
Vous n’allez pas non plus au fond des choses. En réalité, le séparatisme islamiste ne vient pas de nulle part : il a été encouragé par le communautarisme, qui l’a lui-même été par une immigration massive dont on a perdu le contrôle, par la panne de l’intégration, mais aussi par notre renoncement à l’assimilation.
Assimiler, c’est l’inverse de séparer. Bien sûr, l’assimilation est une contrainte pour les nouveaux venus, mais c’est surtout une promesse pour la citoyenneté, pour la République française : la promesse donnée à chacun, quelles que soient sa couleur de peau ou sa confession, de devenir pleinement français.
Monsieur le ministre, citant l’immigration, vous avez déclaré voilà quelques jours dans un quotidien que vous auriez aimé que ce texte portât plus d’ambition. Chiche ! Nous serons à vos côtés pour vous aider à effacer ce regret s’il est sincère.
D’où vient ce manque d’ambition ? Du « en même temps », qui consiste à faire un peu, mais pas trop, et, souvent, à sembler faire tout en faisant semblant.
N’est-ce pas le Président de la République qui, en avril 2018, déclarait que le voile était contraire à la civilité de notre société ? Nous approuvons les mots, mais nous attendons les actes.
Ces hésitations s’expliquent peut-être également par la peur d’être traité d’islamophobe. Je sais que certains usent souvent de cette rhétorique, qu’il faut bien entendu dénoncer.
Mais du coup, pour éviter cette peur, ce texte bascule vers une contrainte à l’encontre de ceux qui ne font pas peur : les familles qui, honnêtement, élèvent, éduquent, instruisent leurs enfants à leur domicile.
Je ne pense pas que ce texte instaure un régime de liberté à l’égard des autres cultes. Il provoque même des dommages collatéraux : d’abord, à la laïcité – heureusement, notre commission des lois rééquilibrera un certain nombre de points pour faire en sorte que les cultes qui ne posent aucun problème à la République ne soient pas victimes collatérales.
Quelle drôle d’idée a eue le Président de la République de confier au CFCM (Conseil français du culte musulman) la création d’un institut pour les imams français ! C’est contraire à la définition que je me fais de la laïcité. On sait, depuis longtemps en réalité, que le CFCM est tiraillé entre un islam consulaire, sujet aux influences étrangères, et un islam « fréro-salafiste », radical et politisé. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, marque son approbation.) Et l’on voudrait leur confier la formation des imams ? Je pense que ce n’est pas raisonnable.
Autre dommage collatéral : celui qui est fait à la liberté de l’instruction, vieille liberté républicaine consacrée par Jules Ferry et par Clemenceau.
Puisque tout le monde cite aujourd’hui Clemenceau, le Vendéen, je voudrais apporter ma contribution. Le 17 novembre 1903, dans cet hémicycle, Clemenceau déclarait : « Parce que je suis l’ennemi du roi, de l’empereur et du pape, je suis l’ennemi de l’État omnipotent, souverain maître de l’humanité. » C’est qu’il choisissait bien évidemment la liberté, cher Arnaud de Belenet : depuis 1882, aucune République, aucun gouvernement n’a jamais touché à cette liberté de l’instruction, l’une des trois voies de la liberté de l’enseignement. Et aujourd’hui, monsieur le ministre, sans aucune preuve, sans aucune raison, vous allez la mettre à mal !
La situation dans laquelle nous sommes est grave, mais elle exige un meilleur ciblage. Le texte n’identifie pas notre adversaire, notre ennemi. Il a pourtant un nom : l’islam politique. Il a aussi sa propre loi : la charia – nous souhaitons d’ailleurs qu’il ne soit plus possible de prolonger les cartes de séjour des étrangers qui auraient professé des principes à l’inverse des principes républicains.
Cet ennemi a donc un nom, une loi, mais il a aussi un étendard : le voile – nous y reviendrons lors de l’examen de l’amendement de Max Brisson sur les sorties scolaires. Il a aussi des complices et même des « idiots utiles ». Je veux bien évidemment parler de cette grande internationale de l’islamo-gauchisme, du décolonialisme et d’autres sottises extrêmement dangereuses (Mme Éliane Assassi s’exclame.) dont l’UNEF est l’une des succursales en France. En voulant « raciser » les réunions, l’UNEF érige la race en critère de sélection. Or c’est justement l’inverse de la République française.
Puisque vous voulez lutter contre tous les séparatismes, monsieur le ministre, faites en sorte que le Gouvernement sursoie aux 400 000 ou 500 000 euros qu’il donne chaque année à l’UNEF. Le Gouvernement a nommé, la semaine dernière, un représentant de ce syndicat au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ce qui est totalement contradictoire : nous sommes encore dans le « en même temps » ! Lorsqu’il s’agit d’une situation aussi grave, d’un ennemi aussi radical, on ne peut pas faire dans la demi-mesure.
Enfin, cet ennemi a une histoire, une mémoire, un récit. Il voudrait ramener nos compatriotes français musulmans à l’islam des origines, au salaf. Quel récit, nous Républicains, nous Français, pouvons-nous opposer au récit des islamistes ? Car il va nous falloir reconquérir non seulement les territoires perdus dans la République, mais aussi les esprits et les cœurs perdus par la République. Nous n’y parviendrons pas en creusant le vide de la France, en désignant la France comme une éternelle coupable, comme un anti-modèle, comme un contre-exemple. Comment voulez-vous agréger ces jeunes générations à la France si vous la présentez comme peu estimable, comme toujours coupable du pire des crimes, celui contre l’humanité ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est grâce à l’épaisseur de notre culture, à la profondeur de notre civilisation et à la hauteur de notre message à la fois singulier et universel que nous parviendrons à agréger ces plus jeunes générations issues de l’immigration à notre destin national. Réaffirmer les principes de la République, oui ; faire aimer la France, c’est plus difficile, mais c’est fondamental ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Yves Détraigne applaudit également.)