Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Respect des principes de la République. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 587 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 41 de Mme Nathalie Goulet. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 59 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 54 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 485 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 56 rectifié de M. Jean Louis Masson
Amendement n° 266 rectifié de M. Pierre-Antoine Levi
Amendement n° 231 rectifié de Mme Maryse Carrère
Amendement n° 60 rectifié de M. Jean Louis Masson
Amendement n° 286 rectifié bis de M. Max Brisson. – Demande de priorité de la commission.
Amendement n° 487 rectifié de M. Stéphane Ravier
Amendement n° 89 rectifié bis de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 150 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Rectification.
Amendement n° 88 rectifié bis de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendements identiques nos 286 rectifié bis de M. Max Brisson (suite) et 150 rectifié ter de Mme Nathalie Delattre. – Adoption par scrutin public n° 98.
Amendement n° 56 rectifié de M. Jean Louis Masson (suite). – Devenu sans objet.
Amendement n° 266 rectifié de M. Pierre-Antoine Levi (suite). – Devenu sans objet.
Amendement n° 231 rectifié de Mme Maryse Carrère (suite). – Devenu sans objet.
Amendement n° 60 rectifié de M. Jean Louis Masson (suite). – Devenu sans objet.
Amendement n° 487 rectifié de M. Stéphane Ravier (suite). – Devenu sans objet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
Amendement n° 397 rectifié de M. Cédric Vial. – Retrait.
Amendement n° 368 de M. Sébastien Meurant. – Retrait.
Amendement n° 126 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Amendement n° 82 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 511 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 13 rectifié bis de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 276 rectifié de M. Jean-Yves Roux. – Retrait.
Amendement n° 127 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Amendement n° 128 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Amendement n° 633 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 14 rectifié bis de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 57 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 378 rectifié ter de M. Henri Leroy. – Retrait.
Amendement n° 284 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 58 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 303 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 496 rectifié de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 160 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Devenu sans objet.
Amendement n° 129 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Devenu sans objet.
Amendement n° 537 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 260 rectifié bis de M. Christian Bilhac. – Retrait.
Amendement n° 267 rectifié de M. Pierre-Antoine Levi. – Retrait.
Amendement n° 16 rectifié bis de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 15 rectifié bis de M. Didier Marie. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 1er bis A
Amendement n° 261 rectifié de M. Christian Bilhac. – Rejet.
Amendement n° 154 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 25 mars 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Respect des principes de la République
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République (projet n° 369, texte de la commission n° 455 rectifié, rapport n° 454, avis nos 448 et 450).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le ministre de l’éducation nationale, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée, la République est attaquée depuis de nombreuses années par des tenants, ceux du séparatisme, ceux de la radicalisation qui mène au terrorisme.
Trois gouvernements successifs, singulièrement des gouvernements qui ont agi à la suite d’attentats meurtriers sur le territoire national, ont pris des dispositions très importantes, législatives et réglementaires, en termes de moyens, pour lutter contre la radicalisation et contre le terrorisme.
Malgré tout, jusqu’à présent, nous avons collectivement refusé de voir – en tout cas, la loi ne l’a pas prévu – qu’entre l’islam politique, le communautarisme, la séparation avec les valeurs et les buts de la République, la radicalisation et le terrorisme, il n’y avait pas de différence de nature. Nous constatons, et l’odieux assassinat de Samuel Paty est là pour en témoigner, qu’il n’y avait en fait qu’une différence de degré.
Dans son discours des Mureaux, le Président de la République a eu l’occasion d’évoquer l’ensemble de l’arsenal législatif et réglementaire regroupant les moyens que le gouvernement de la République doit mettre en place, sous son autorité, pour lutter contre ces séparatismes. Si je devais les caricaturer, je dirais que ceux-ci sont de deux ordres, parfois complémentaires, souvent différents.
Il y a, d’une part, un séparatisme – le premier d’entre eux étant le séparatisme islamiste – qui vise à imposer des règles n’ayant rien à voir avec la religion, mais tout à voir avec l’idéologie. Il s’étend dans le champ des services publics, les champs administratif et associatif, sur internet, au sein de l’éducation, qu’elle soit dispensée par les parents ou par l’école, et dans la vie de nos concitoyens – et qui les touche, même si cela devient de moins en moins vrai, dans leurs lieux cultuels.
Il y a, d’autre part, un séparatisme qui n’a pas grand-chose à voir avec le séparatisme islamiste mais qui est constitué par les ingérences étrangères.
Il nous faut distinguer ces séparatismes, les combattre, et rappeler que, depuis Philippe le Bel, sous la monarchie, sous l’Empire, puis sous la République, l’État français a toujours considéré que la liberté religieuse et les affaires religieuses relevaient de l’État et des pouvoirs publics, et non d’États étrangers.
Cette sécularisation, nous l’avons imposée au travers d’un travail de six siècles, ou quasiment, d’abord aux catholiques, aux protestants, puis aux juifs, et de nouveau aux catholiques. Depuis de nombreuses années, plusieurs gouvernements essaient – il est bien normal que cela prenne du temps – de l’imposer au culte musulman ; nous espérons y réussir définitivement.
Il s’agit, avec ce projet de loi, d’une lutte contre le séparatisme islamiste, insidieux, dans tous les champs de la société, d’une lutte pour la sécularisation, et – si j’ose dire – d’une forme de « holà ! » adressée à ceux qui veulent utiliser la religion en tant que moyen de contrôle de leur diaspora et comme soft power sur le territoire national.
Tel est le but de ce texte important déposé, monsieur le président du Sénat, 115 ans, jour pour jour, après que l’Assemblée nationale et Aristide Briand ont réussi à instaurer ce compromis, parfois discuté et conflictuel, avec les grandes forces politiques et philosophiques de notre pays.
Permettez-moi de saluer à cette tribune Gustave Dron, sénateur-maire de Tourcoing, qui fut le rapporteur, pour partie, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, laquelle a porté de façon définitive le compromis qui nous permet, encore aujourd’hui, de vivre sous l’empire de cette loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la laïcité, il faut d’abord la définir pour pouvoir l’imposer. Elle est la combinaison de trois éléments.
La première composante, que réaffirmera le Gouvernement, à la demande du Président de la République, est la pluralité religieuse.
Cela signifie que l’État, en République, ne reconnaît aucun culte et qu’il doit garantir la liberté de culte, c’est-à-dire à la fois les lieux, bien sûr, mais aussi l’expression religieuse. L’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose ainsi : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] », le mot « même » soulignant sans doute, d’ores et déjà, l’inquiétude qu’inspirait l’opinion religieuse, compte tenu des difficultés et parfois – avouons-le – des crispations que peuvent susciter les religions dans le champ public, notamment entre ceux qui croient et ce qui ne croient pas.
Cette pluralité religieuse fait partie intégrante de la laïcité française.
La deuxième composante de la laïcité est la possibilité qu’a l’État – donc les pouvoirs publics – d’imposer la neutralité, politique et religieuse, de son action et de ses agents.
Cette neutralité, nous la renforçons considérablement dans les premiers articles de ce projet de loi, et notamment à l’article 1er, qui vise à imposer les principes et les règles de la neutralité à tous les services publics : ceux de l’État, qui doivent évidemment en tirer les conséquences, tout comme ceux des collectivités locales. En effet, nous avons tous collectivement à connaître d’un champ de délégation de service public, dans lequel des agents de droit privé concourent au service public sans se voir imposer les principes de neutralité qui s’appliquent aux agents du service public.
Cette neutralité de l’État et des pouvoirs publics doit s’imposer à tous leurs appendices que sont les offices HLM, Pôle emploi, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), les caisses d’allocations familiales (CAF), et à tous ceux qui concourent au service public. Car, il faut bien l’avouer, on a parfois vu fleurir, au gré des difficultés de la jurisprudence et de la mauvaise interprétation de certains textes, des formes de naïveté, voire de compromission, vis-à-vis de ceux qui voulaient bousculer les valeurs de la République. Nous pensons notamment aux transports en commun, mais c’est vrai aussi de tout ce qui touche au quotidien de nos concitoyens.
La troisième composante que je voudrais évoquer est la question de l’ordre public.
J’ai bien conscience, monsieur le président du Sénat, que, devant la chambre qui représente des collectivités locales et dont les membres sont très attentifs aux libertés publiques, nous ne devons toucher les grandes lois et les grands principes de notre État de droit – la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté de culte – qu’avec une main tremblante, mais tout de même assurée, afin de garder l’ordre public. Tel est l’équilibre que nous devons trouver ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, après le travail riche effectué à l’Assemblée nationale.
C’est dans cet esprit de compromis républicain et de fermeté républicaine que le Gouvernement se présente à vous.
J’aurai l’occasion de porter devant le Sénat le début et la fin de ce texte, qui concernent les services publics, l’action des élus locaux – je pense au référé liberté, en lien direct avec ce qui a été proposé par le Conseil d’État – et les dispositions cultuelles.
Ces dernières dispositions, très importantes et riches, font naître des débats, s’agissant notamment des immeubles de rapport ou de l’obligation faite aux lieux de culte, dans leur intégralité, de passer sous l’emprise de la loi de 1905, et donc à ne plus relever de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Nos compatriotes musulmans doivent faire, comme les protestants et les juifs avant eux, une migration vers la loi de 1905, laquelle a ses compromis, ses avantages mais aussi ses inconvénients.
M. le garde des sceaux défendra plusieurs dispositions également très importantes. Je pense ainsi à celles qui visent à instaurer, pour protéger le service public, un délit pénal – j’imagine qu’il vous en détaillera le contenu –, et à celles qui sont relatives à la haine en ligne, prévues conjointement avec le secrétaire d’État chargé de la transition numérique.
M. le ministre de l’éducation nationale évoquera les questions éducatives, dont je veux souligner, avec lui, qu’elles sont extrêmement importantes. Des dispositions sont ainsi prévues sur l’instruction en famille et les écoles hors contrat. À l’instar de ce que nous faisons depuis plusieurs mois, avec une grande efficacité, nous voulons engager la responsabilité de ceux qui utilisent les enfants pour propager une idéologie. Nous aurons sans doute l’occasion d’évoquer des exemples très concrets, et malheureux, au cours du débat.
Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, présentera, concernant les questions essentielles de la vie associative mais aussi de l’égalité entre les femmes et les hommes, des dispositions, là encore, très importantes. Je citerai, entre autres, le contrat d’engagement républicain, qui vise à assurer la défense de la République.
Nous avons bien conscience, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il s’agit d’un texte difficile. En effet, la passion ne manque pas de se déclencher lorsque le législateur touche à l’intime, aux convictions, à la religion, au fait de croire ou de ne pas croire.
Le Gouvernement a souhaité présenter un texte de fermeté. Celui-ci ne prévoit pas d’ajouter des pouvoirs de police judiciaire dans les domaines du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Nous pensons en effet que cet arsenal est d’ores et déjà suffisant, même si des améliorations peuvent être utiles ; nous aurons l’occasion d’en reparler au Sénat, sans doute en juillet, à propos de la prolongation, en matière de renseignement notamment, de mesures issues de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT). Nous n’avons donc pas prévu, en l’espèce, de dispositions relatives à la radicalisation menant directement au terrorisme.
Le Gouvernement n’a pas souhaité non plus, et je remercie la commission et Mmes les rapporteures de l’avoir suivi sur ce point, inscrire dans le projet de loi des dispositions relatives au droit du travail dans le secteur privé. En effet, de telles règles existent d’ores et déjà. Au travers notamment de la discussion syndicale, elles permettent aux chefs d’entreprise de prévoir des décisions en la matière dans le règlement intérieur. Ces dispositions nous ont semblé, après consultations, suffisantes.
Enfin, le Gouvernement n’a pas souhaité légiférer sur les vêtements religieux. Il s’agit d’un débat important, loin d’être médiocre, et je peux comprendre les convictions des uns et des autres à ce sujet. Mais il nous a semblé plus efficace pour la République, après des années de polémique sur ces questions, d’en rester à une position de conformité par rapport à la définition de la laïcité. Même si les expressions religieuses peuvent parfois nous gêner ou nous choquer, nous retenons l’idée selon laquelle l’espace public n’est pas un lieu de réglementation desdites expressions. Je pense que le Sénat en débattra, comme l’Assemblée nationale l’a fait longuement.
Pour conclure, je tiens à m’adresser aux associations cultuelles et aux représentants des cultes, que nous respectons profondément et qui se posent sans doute de légitimes questions, comme c’est le cas chaque fois que l’on évoque les dispositions qui les concernent. Je veux leur dire que nous serons sensibles aux arguments qu’ils ont invoqués, mais que nous ne lâcherons pas sur ce qui nous paraît essentiel.
Bien sûr, aujourd’hui, tout le monde nous rappelle la loi de 1905, à commencer par les associations cultuelles. Nous saluons évidemment cet attachement quasi unanime de la République à ce texte. Il ne nous a cependant pas semblé qu’en 1905 tous les cultes étaient très favorables à la loi portée par Aristide Briand… Depuis lors, un équilibre a été trouvé.
En 1906, le Parlement s’était réuni quelques semaines seulement après l’adoption de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État, afin de légiférer, ce qui aboutit à la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, l’Église catholique refusant d’appliquer la loi de 1905, qu’un compromis fut trouvé.
Je tiens à dire ici que les accords internationaux et les courriers échangés entre le gouvernement de la République et le nonce apostolique ne remettent pas en cause la loi de 1905 : en aucun cas l’équilibre établi avec l’Église catholique n’est remis en cause.
Ce que nous voulons dire, mesdames, messieurs les parlementaires, c’est que l’on ne peut pas établir de reçus fiscaux sans qu’il y ait de contrôle des comptes ! Il ne saurait y avoir de financements étrangers sur le sol de la République sans que celle-ci les connaisse.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Gérald Darmanin, ministre. Et l’on ne saurait permettre que la République autorise ces financements.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. On ne peut pas laisser des collectivités locales, comme on l’a vu récemment, même dans le respect du droit concordataire, financer des ennemis de la République sur le sol de celle-ci. (Marques d’approbation sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. On ne peut pas plus continuer à accepter la présence de lieux séparatistes sur le territoire de la République, sans que le ministre de l’intérieur puisse intervenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’interpellez souvent pour me signaler tel ou tel endroit que tout le monde considère comme radicalisé et qui fait la « une » des journaux et des questions d’actualité. Vous avez bien raison de le faire.
Or, aujourd’hui, la loi de la République empêche le ministre de l’intérieur de fermer ces endroits, sauf pour un motif lié au droit de l’urbanisme. Mais un jour viendra où les islamistes sauront lire le code de l’urbanisme ! (Murmures sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les parlementaires, il faut savoir écouter ce qui manque dans la République. Lorsque des personnes qui sont à la tête de structures cultuelles affirment que les juifs sont des mécréants, qu’il faut tuer les chrétiens, que les femmes ne sont pas les égales des hommes et que l’on se transforme en porc quand on écoute de la musique, la loi doit permettre à la fonction administrative d’intervenir, tout en respectant la liberté de culte, pour restreindre la liberté des ennemis de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames les rapporteures, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, messieurs les ministres, nous avons présenté le présent projet de loi, avec le ministre de l’intérieur, le 9 décembre 2020, soit 115 ans après la promulgation de la loi de 1905. Ce texte est le fruit de larges consultations avec la société civile, les partis politiques, les représentants des cultes, les intellectuels, les associations philosophiques. Il a été examiné par l’Assemblée nationale, qui y a apporté de nombreuses améliorations, après plus de 80 heures de débat dans l’hémicycle et quelque 2 700 amendements.
Nous avons eu, depuis lors, des échanges francs avec Mmes les rapporteures, dont je voudrais ici saluer le travail et l’engagement. Nous nous présentons aujourd’hui devant vous avec la même disposition d’esprit et un objectif clair : défendre nos valeurs et la promesse républicaine de laïcité, promesse de liberté, d’émancipation et de progrès, et donner à la République les moyens de lutter plus efficacement contre ce que le Président de la République appelle « le terreau du terrorisme ». Nous rappelons ainsi la souveraineté absolue des principes de la République sur tout autre système.
Cela passe, bien sûr, par la neutralité des services publics et par un meilleur accompagnement des activités associatives, pour empêcher qu’y prospèrent des discours et des pratiques contraires aux valeurs de la République. Notre mot d’ordre est clair : pas un euro d’argent public pour les ennemis de la République.
En ce sens, comme l’a voulu le Président de la République, nous proposons la création d’un contrat d’engagement républicain, évoqué par le ministre de l’intérieur à l’instant. Le principe en en est simple : les associations qui souhaitent recevoir une subvention publique s’engageront, par ce texte, à respecter les valeurs de la République ; en cas de non-respect de l’engagement, la subvention pourra être reprise.
Ce contrat d’engagement républicain, élaboré avec les élus et les associations, est un contrat de confiance avec le monde associatif. L’immense majorité des associations participent de l’offre républicaine, mais une minorité d’entre elles véhiculent des valeurs contraires aux principes sur lesquels repose la République. Grâce à ce contrat d’engagement républicain, l’État et les collectivités auront à leur main un outil juridique clair.
Le respect des principes de la République implique, bien sûr, celui des droits des personnes, et notamment l’égalité entre les femmes et les hommes.
Les idéologies séparatistes s’attaquent d’abord aux femmes, en voulant décider à leur place ce qu’elles ont le droit de faire ou de ne pas faire. Ces idéologies ne supportent pas leur liberté, qui préfigure celle de la société dans son ensemble.
Nous pensons que toutes les femmes qui vivent en France doivent être respectées dans leur intégrité. Elles doivent toutes être protégées dans leur dignité, dans leur liberté. Le féminisme, c’est de ne pas accepter pour les autres femmes ce que l’on ne tolérerait jamais pour nous-mêmes, pour nos sœurs, pour nos filles.
Nous affirmons donc que les pratiques coutumières – mariage forcé, polygamie, discrimination des filles face à l’héritage, certificat de virginité – n’ont pas leur place dans notre pays. Ce texte permettra de renforcer encore l’arsenal existant et de combler certains vides juridiques.
Il y a des années de cela, la France a eu le courage de dire non à l’excision en prenant une loi forte, en montrant la voie à de nombreux pays du monde et en portant ce travail de conviction, via la diplomatie féministe. Nous devons aujourd’hui poursuivre ce combat et oser affirmer que la République ne tolère aucune atteinte à la dignité humaine et qu’aucune atteinte à la dignité des femmes n’est excusable au motif de la coutume ou de la pratique.
C’est ce que nous vous proposons avec le chapitre III, que l’Assemblée nationale a souhaité intituler « Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Dans ce chapitre, nous veillons à l’égalité de traitement entre héritiers, afin que les filles ne puissent pas être déshéritées. Je tiens à remercier le garde des sceaux pour son engagement personnel sur cette mesure.
Nous instaurons également une réserve générale de polygamie pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour. Nous affirmons que les hommes de nationalité étrangère qui sont coupables de faits de polygamie n’ont rien à faire sur le sol français.
Nous voulons également interdire aux professionnels de santé d’établir des certificats de virginité.
Les professionnels qui en délivreront seront passibles de poursuites. Je veux être très claire, ce n’est pas en produisant des certificats de virginité, même s’il s’agit de certificats dits « de complaisance », que nous améliorerons la condition des jeunes femmes victimes de pressions séparatistes. Ce n’est pas en agissant ainsi que nous les protégerons.
La commission des lois a d’ailleurs souhaité apporter plusieurs modifications au texte, dans le prolongement des débats de l’Assemblée nationale, pour poursuivre également les personnes qui incitent ou contraignent à cette pratique. Je crois que ces modifications vont dans le bon sens.
Nous renforçons aussi la lutte contre les mariages forcés, après avoir consulté notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), en rendant obligatoire la saisine du procureur de la République par l’officier d’état civil, dès lors qu’il y a un doute sérieux sur le consentement de l’un des deux époux.
Toutes ces dispositions s’accompagneront de politiques publiques fortes pour les concrétiser. Nous y travaillons déjà.
Enfin, le ministre de l’intérieur et moi-même avons déposé à l’Assemblée nationale des amendements pour mieux renforcer la laïcité dans le service public. La commission des lois du Sénat a souhaité les maintenir dans le texte qu’elle a élaboré, et je l’en remercie. Je crois en effet que la laïcité est le ciment de la citoyenneté et de la République, et qu’elle doit être au cœur du service public.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la loi que nous portons est, je le pense, une loi de liberté raisonnable et équitable, qui respecte la liberté de culte et qui protège la liberté de conscience. C’est une loi qui, je l’espère, fera honneur à votre assemblée républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de la culture, mesdames les rapporteures, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être devant le Sénat cette après-midi, aux côtés de M. le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, de Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, et de M. le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, pour la discussion générale de ce projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Ce projet de loi, qui est un texte de liberté, porte une ambition : défendre et protéger notre République contre le fléau du séparatisme, notamment islamiste.
Cette ambition pour conforter le respect des principes républicains s’inscrit dans une approche globale portée par chacun de nos ministères : garantir, d’abord, la transmission de ces principes par l’enseignement à l’école ; prévenir, ensuite, les infractions qui seraient faites à ces principes ; donner, enfin, les moyens juridiques d’une réponse pénale rapide, systématique et adaptée à ces actes qui sapent les principes que nous défendons tous et qui fondent la République française.
Ce résultat ne pourra être atteint sans une mobilisation totale de la justice de notre pays. C’est pourquoi je porte au nom de la Chancellerie plusieurs dispositions, qui ont d’ailleurs été maintenues ou enrichies par votre commission des lois.
Ainsi, l’article 3 du projet de loi élargit le dispositif du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), en y intégrant désormais les infractions d’apologie et de provocation au terrorisme.
Il est essentiel, pour renforcer la lutte contre le terrorisme, que toute personne postulant à un emploi ou effectuant une demande d’habilitation fasse l’objet d’un contrôle afin de vérifier qu’elle n’a pas été condamnée ou mise en examen pour des infractions en lien direct ou indirect avec des activités terroristes.
Par l’article 4, nous souhaitons renforcer la protection que notre pays doit aux personnes qui exercent des missions de service public face à ceux qui, par des comportements violents ou menaçants, remettent gravement en cause notre capacité à vivre sereinement ensemble. Il est urgent que nos agents publics, en première ligne face à ces dérives séparatistes, sachent que l’État sera toujours à leurs côtés et que la loi les protégera désormais plus complètement.
Parce que le séparatisme use de tous les moyens pour s’étendre, ce projet de loi répond également à une menace nouvelle et pourtant déjà bien installée, qui consiste à détourner l’usage des réseaux sociaux pour les transformer en vecteur de diffusion de la haine la plus féroce et la plus décomplexée. C’est ce que nous faisons avec l’article 18 de ce projet de loi, qui crée un délit de mise en danger de la vie d’une personne par diffusion d’informations personnelles permettant son identification.
L’effroyable assassinat terroriste qui a coûté la vie au professeur Samuel Paty nous l’a montré, il nous faut enrichir significativement notre arsenal législatif pour lutter efficacement contre cette haine. Pour sanctionner efficacement la volonté de nuire à autrui, le présent texte réprimera cette mise en danger, même si elle n’est pas suivie d’effet. En revanche, cette diffusion d’informations personnelles sur internet ne sera punie que si l’on démontre l’intention manifeste de l’auteur de porter gravement atteinte à la personne visée.
Par ailleurs, au vu de l’expression dématérialisée et du temps de l’immédiateté, il était absolument nécessaire d’aligner le temps de la réponse judiciaire au rythme des infractions commises. C’est le sens de l’article 20, qui permettra d’ouvrir le champ de la comparution immédiate aux auteurs des propos appelant à la haine.
Ce mode de poursuite permettra d’apporter la réponse rapide, nécessaire, qui fait aujourd’hui défaut à l’arsenal pénal. Il s’agit de répondre immédiatement aux discours de haine qui prospèrent aujourd’hui sur internet, notamment parmi nos jeunes, et dont les auteurs tardent trop souvent à être jugés.
Cette disposition, fruit d’une large consultation organisée avec les professionnels du secteur de la presse, se fera en modifiant uniquement le code de procédure pénale. Je me félicite de ce que la rédaction proposée, et améliorée par votre commission des lois, préserve sans ambiguïté les garanties dont bénéficient les journalistes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas, bien sûr, de la qualité de nos débats, qui permettront sans nul doute d’enrichir ce texte. J’estime que celui-ci est absolument essentiel pour garantir l’avenir de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Dominique Vérien, rapporteure, Brigitte Lherbier et Nathalie Goulet ainsi que M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de présenter à mon tour devant vous ce projet de loi dont l’importance a été soulignée par mes collègues ministres qui sont intervenus précédemment.
Vous le savez tous, l’école est centrale pour l’enjeu qui nous réunit. Comme l’a rappelé à l’instant le garde des sceaux, et on ne le dira jamais assez, l’école est la colonne vertébrale de la République.
Comme de nombreuses institutions de la République, elle a des racines profondes, jusque dans la monarchie et l’Empire. Je pense au travail de Jules Ferry et, avant lui, à celui de François Guizot et Victor Duruy, qui ont conduit à la généralisation progressive de l’enseignement.
C’est l’œuvre de Jules Ferry qui a marqué les esprits car, dès les années 1880, et donc avant même la loi de 1905, elle a porté en germe, de manière tant explicite qu’implicite, le principe de laïcité. L’implicite était encore plus important que l’explicite, puisque la généralisation du savoir a permis de consolider la République.
L’école de la République se présente comme fille de la philosophie des Lumières puisque la République est fille des Lumières et l’école fille de la République. Ainsi, chaque fois que l’école s’éloigne de la République, elle s’éloigne en quelque sorte d’elle-même. Cela a pu arriver mais ne doit pas se reproduire : l’école, quel que soit son statut, doit sans cesse être ramenée aux valeurs de la République.
Ces idées nous unissent, me semble-t-il, et constituent la base de nos débats sur la question scolaire. La période actuelle nous le rappelle particulièrement, la France se distingue par son attachement à l’école, qui est un socle tant pour nos enfants que pour notre société.
Ce projet de loi tend à compléter l’œuvre législative précédemment accomplie, non parce qu’il faudrait tout réinventer mais, au contraire, parce qu’une nouvelle pierre doit être apportée à l’édifice. Beaucoup a déjà été fait durant l’histoire de la République – je ne vais évidemment pas tout rappeler à cet instant – et beaucoup a été fait récemment.
Certains évoquent ce projet de loi en me disant : « Vous ne parlez pas vraiment de l’école publique, mais seulement de l’instruction en famille et des écoles hors contrat. » Je voudrais d’emblée réfuter cette assertion : nous avons déjà, heureusement, travaillé sur la question de la laïcité.
En effet, depuis trois ans, nous avons beaucoup fait pour consolider la laïcité dans l’école de la République, comme je le rappellerai en quelques mots.
La création du conseil des sages de la laïcité nous a permis d’établir un corps de normes de référence à la disposition de l’ensemble de l’éducation nationale, et ce de manière vivante puisque cette institution, présidée par Mme Schnapper, dialogue sans cesse avec les acteurs de terrain pour apporter des réponses concrètes aux problèmes qui se posent.
Par ailleurs, la mise en place d’une équipe « Valeurs de la République » dans chaque rectorat de France nous a donné l’occasion d’aller sur le terrain chaque fois que cela nous est demandé.
L’éducation nationale est parfois décrite comme une institution habitée par l’esprit du « pas de vague », pour le résumer rapidement. Cela ne doit plus être le cas, et ce n’est plus le cas : dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai voulu contrecarrer ce risque avec des actes concrets, même s’il reste bien entendu des choses à améliorer.
Le travail a été fait en ce qui concerne l’école de la République ; il reste à le faire pour l’école hors contrat et l’instruction en famille. En France, la scolarisation peut se faire de quatre façons : à l’école publique, dans une école privée sous contrat, dans une école privée hors contrat et par l’instruction en famille. Les deux dernières modalités de scolarisation sont traitées dans ce projet de loi tout simplement parce que ce sont les deux brèches dans lesquelles s’est engouffré ce que nous appelons désormais le séparatisme.
En effet, elles constituent bel et bien des brèches, et il existe des vides juridiques. Là aussi, nous n’avons pas chômé. Vous le savez mieux que personne, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque c’est au Sénat, sur la base de la proposition de loi de Françoise Gatel, qu’un travail important a été fait sur les écoles hors contrat.
M. Loïc Hervé. Oui !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette loi a énormément d’importance aujourd’hui : elle nous permet d’agir de façon efficace pour empêcher l’ouverture d’écoles hors contrat dont le projet ne serait pas conforme aux principes de la République.
La loi Gatel est donc un jalon très important. (M. Loïc Hervé approuve.) Mais nous avons constaté, depuis que nous l’avons mise en œuvre, qu’un pas supplémentaire auquel le ministre de l’intérieur a fait référence devait être franchi : il faut pouvoir mieux fermer les écoles hors contrat une fois qu’elles sont ouvertes.
En effet, des abus ont été constatés et des institutions aux visées clairement séparatistes ont utilisé les facilités permises par l’école hors contrat pour s’y installer. À l’avenir, grâce aux dispositions contenues dans le projet de loi qui vous est présenté, nous pourrons fermer plus efficacement ces écoles.
Quant à l’instruction en famille, elle fait l’objet du fameux article 21. Je n’ignore pas que cet article a fait couler beaucoup d’encre, à juste titre d’ailleurs – il est normal que le sujet soit largement discuté –, même s’il ne doit pas occulter l’importance des autres dispositions. L’instruction en famille est interdite dans plusieurs pays d’Europe, comme en Allemagne, en Suède et en Espagne : jamais la Cour européenne des droits de l’homme n’y a vu un quelconque problème.
Notre visée n’est pas d’interdire l’instruction en famille, et les nombreuses familles concernées ne doivent pas se sentir menacées par cet article 21. Nous avons en effet prévu un régime d’exception suffisamment large pour permettre à l’instruction en famille « normale » de continuer à être exercée.
Néanmoins, nous voulons être efficaces contre les abus. Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur, chaque fois que nous démantelons des structures clandestines de scolarité, la moitié, et même un peu plus, des enfants font soi-disant l’objet d’une instruction en famille. Nous voyons bien qu’il s’agit là d’un véhicule pour le séparatisme, notamment celui de l’islamisme fondamentaliste mais aussi d’autres formes de séparatisme – je pense aux sectes. Nous en débattrons évidemment largement, mais cette question est essentielle.
Enfin, je voudrais évoquer le sport, ce qui me donne l’occasion de souligner l’importance de la réunion du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse avec celui des sports, dans l’esprit très républicain d’une vision complète de l’enfant. L’article 25 doit nous permettre d’être plus efficaces grâce au contrat d’engagement républicain, dont il a déjà été question à cette tribune et dont nous reparlerons plus en détail.
Pour conclure, je crois pouvoir dire que l’ensemble des dispositions relatives à l’éducation, à la jeunesse et aux sports qui vous sont présentées dans ce texte visent à défendre non seulement la République – c’est bien entendu le point central –, mais aussi, et cela va ensemble, les droits de l’enfant.
En effet, les droits de l’enfant rejoignent les principes de la République, comme le montre tout particulièrement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame, messieurs les rapporteurs – je n’oublie pas ces messieurs car ils l’ont été jusqu’à présent ! –, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an que le Président de la République a placé le terme de « séparatisme » au cœur de notre débat public, une prise de conscience tardive mais nécessaire.
Nous n’avions pas attendu cette parole présidentielle, toute bienvenue qu’elle soit, pour prendre la mesure du défi auquel fait face notre République. Le Sénat s’est penché, au travers de nombreux travaux, sur la question du terrorisme, sur la radicalisation, sur la place des cultes dans notre pays.
Le dernier en date de ces travaux a été mené par la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.
Nous avions fait collectivement le constat de la nécessité de lutter contre la volonté d’une minorité active de soumettre à des normes prétendument religieuses la vie de nos concitoyens. Cette pression s’exerce sur les jeunes, sur les femmes, sur tous ceux que l’on veut assigner à résidence géographique ou identitaire.
Pour lutter contre ce phénomène, nous avions formulé plusieurs propositions que nous sommes heureux de retrouver en nombre dans ce texte. Composé dans son immense majorité d’anciens élus locaux, le Sénat mesure la réalité de l’islam radical et de ses conséquences sur la remise en cause de l’unité nationale.
Le texte que nous vous présentons est le fruit du travail de la commission des lois et de la commission de la culture du Sénat, de diagnostics de terrain et de larges concertations avec les élus, les représentants des cultes, des universitaires, des intellectuels et le monde associatif.
Je souhaite rapidement vous présenter les modifications adoptées par la commission des lois sur les articles que j’ai plus particulièrement suivis.
En ce qui concerne les services publics, le texte vise essentiellement à codifier de la jurisprudence et apporte peu d’innovations. Il entend inscrire dans la loi le respect des principes de neutralité et de laïcité des personnes chargées d’un service public, quelles que soient les modalités d’organisation de celui-ci.
Nous débattrons du champ d’application de ce principe et des personnes auxquelles il doit s’appliquer, une question qui me semble importante. Deux catégories de personnes sont en effet concernées.
La première est celle des personnes qui participent de manière occasionnelle au service public. La commission des lois considère qu’elles ne sont pas toutes dans la même situation, et qu’il est en pratique impossible de leur imposer à toutes la même exigence de neutralité. Cependant, nous le verrons, nous sommes favorables à aller au bout de la logique pour certaines d’entre elles, qui interviennent dans le cadre très particulier de l’école.
La seconde catégorie de personnes est celle des usagers des services publics. Ici encore, nous devons être réalistes. Imposer une neutralité des usagers du service public n’a pas de sens. À l’inverse, et nous aurons ce débat, interdire, dans certains cadres délimités, le port de signes religieux ostentatoires semble être une piste judicieuse.
S’agissant, ensuite, des mesures relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, il nous a semblé nécessaire d’être efficaces sur ces questions essentielles et sensibles, en posant des principes clairs et en ne nous contentant pas de mots. Nous avons supprimé certains articles, comme l’article 13, et en avons précisé d’autres sur les certificats de virginité ou les mariages forcés.
J’en viens à la police des cultes.
L’actualisation des mesures relatives à ce sujet est bienvenue, et nous la soutenons. Nous nous sommes cependant attachés à préserver la responsabilité du ministre des cultes et avons rétabli l’article 35 de la loi de 1905, en prévoyant un quantum de peine actualisé et renforcé.
Par ailleurs, nous approuvons le principe d’une nouvelle mesure de fermeture administrative des lieux de culte en cas de provocation à la haine ou à la violence et avons porté sa durée à trois mois, tout en précisant les raisons pouvant conduire à cette extension. Parallèlement, nous souhaitons caractériser davantage les locaux annexes au lieu de culte qu’il sera possible de fermer s’il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de la mesure de fermeture du lieu de culte.
Ces mesures pragmatiques, utiles, sont de véritables avancées dans la lutte quotidienne contre le séparatisme. J’espère que nous pourrons trouver ensemble les formulations les plus adéquates.
Ce texte nous permet de donner aux services de l’État des clés et des outils nécessaires pour lutter contre le séparatisme au service de la République et de ce ciment qu’est la laïcité. Néanmoins, il ne suffira pas à construire l’immense rempart que nous avons à bâtir tous ensemble : il n’en sera que la première pierre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’intérieur, l’objectif premier de ce texte était de lutter contre le séparatisme. Mais comment y parvenir ?
Replaçons-nous, si vous le voulez bien, dans une perspective historique. Notre révolution a 230 ans. Au vu de notre histoire, la République est une jeune fille et, il faut l’avouer, ses principes n’ont pas été appréciés de tous à sa naissance. Qui a combattu le plus énergiquement sa mise en œuvre ? L’Église catholique. De 1789 à 1907, nous n’avons cessé de légiférer pour arriver là où nous en sommes aujourd’hui : un État laïque qui ne reconnaît aucune religion, au sens où il les reconnaît toutes. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’apaisement avec l’Église catholique n’intervint qu’en 1923. Soit près de 140 ans de disputes avec un État étranger qui ne souhaitait pas nous voir sortir de sa coupe : le Vatican.
En 1860, le pape Pie IX spécifiait dans son Syllabus les 80 propositions qualifiées d’« erreurs principales de notre temps » que Rome tiendrait désormais pour hérétiques, c’est-à-dire que celui qui les accepterait devrait abjurer sa foi. (M. Loïc Hervé s’exclame.)
Quelles étaient ces « erreurs » ? La prépotence du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage universel, la police des cultes, la science, la liberté de la presse et de la parole, et, naturellement, l’indépendance de la morale et de la philosophie vis-à-vis du catholicisme. Lorsque je l’ai lue, cette partie du rapport d’Aristide Briand a vraiment résonné en moi.
Nous ne faisons aujourd’hui que continuer le combat. Il ne s’agit plus de catholicisme, mais le Syllabus n’a que 160 ans, ce qui n’est pas une éternité…
Comment la République s’est-elle défendue ? Par des lois : celles de 1901, puis de 1905 et, enfin, de 1907.
En 1900, Waldeck-Rousseau, qui fit voter la loi de 1901, disait : « Il s’agit ensuite, par la même loi, de faire face au péril qui naît du développement continu, dans une société démocratique, d’un organisme qui “tend à introduire dans l’État, sous le voile spécieux d’un institut religieux, un corps politique dont le but est de parvenir d’abord à une indépendance absolue et, successivement, à l’usurpation de toute autorité”. »
La loi de 1905 se profilait déjà pour établir clairement la séparation des Églises et de l’État, c’est-à-dire du spirituel et du temporel. Je ne résiste pas à l’envie de vous préciser que c’est à Auxerre qu’Émile Combes annonça, le 4 septembre 1904, ce projet de loi.
Cet historique rapide avait pour but de montrer que ce que nous combattons aujourd’hui n’est pas nouveau. Il est temps de rappeler à ceux qui n’ont pas vécu cette longue histoire de séparation du spirituel et du temporel…
Mme Nathalie Goulet. C’est-à-dire la majorité d’entre nous !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. … ce qu’est notre culture et ce que signifie notre laïcité, ce concept tellement français.
La création de la République et la loi de 1905, cela remonte à loin dans notre monde actuel qui tend à oublier son histoire. La laïcité est notre modèle, et il faut nous en souvenir.
En France, nous ne prenons pas à Dieu ce qui lui appartient, mais nous ne sommes pas prêts à lâcher ce qui appartient à César !
C’est pourquoi un projet de loi qui tend à inciter les associations cultuelles à respecter le régime de 1905 est utile.
C’est pourquoi un projet de loi qui permet de contrôler les fonds étrangers, et donc les influences étrangères, pour nous qui nous sommes toujours battus contre l’influence du Vatican, est utile.
Notre commission, monsieur le ministre, n’a donc pas bousculé votre texte ; elle l’a enrichi pour le rendre plus efficace. J’ai rappelé notre combat ancien avec les cultes, mais n’oublions pas que la loi de 1905 nous oblige. La liberté de culte est importante, et son contrôle ne peut s’exercer de façon trop tatillonne sans que nous trahissions nos propres principes. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Aussi avons-nous fait le choix de desserrer un étau, en permettant aux préfets de s’intéresser plus directement aux associations dont le fonctionnement les interpelle lors du renouvellement de la déclaration cultuelle : cette mesure sera d’ailleurs sûrement davantage en adéquation avec les moyens dont ils disposent.
En conclusion, je dirai que ce texte n’est probablement pas suffisant, mais qu’il est nécessaire. J’espère donc que nos débats viendront encore l’enrichir et que les principes de notre République en sortiront réellement renforcés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
Mme Annick Billon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, courage et lucidité : tels étaient les derniers mots du rapport de Jean-Pierre Obin en 2004 sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires.
Dix inspecteurs généraux de l’éducation nationale pointaient déjà la « montée du phénomène religieux dans les quartiers, notamment chez les jeunes », ce qui leur valut d’être rapidement taxés d’islamophobes.
Sans céder à une généralisation, les constats révélés dans des établissements scolaires constituaient les signes avant-coureurs d’une véritable lame de fond dans notre pays, dont l’école recevait déjà l’écume : évolutions religieuses menant à une islamisation de certains quartiers, régression de la condition féminine, contestations pédagogiques, déscolarisations suspectes, ambiguïté voire complaisance de certaines collectivités.
Dix-sept ans plus tard, je m’interroge sur les contours de la mission législative qui nous est confiée.
Je peux reconnaître une forme de courage, au moins dans les mots, au Président de la République, qui annonçait le 2 octobre dernier aux Mureaux vouloir combattre le séparatisme islamiste. Cette idéologie qui veut imposer les lois d’une religion à celles de notre République s’illustrera de manière dramatique, quatorze jours plus tard, avec l’assassinat de Samuel Paty.
Mais un combat nécessite des armes, et je doute de la lucidité des auteurs de ce projet de loi tant les moyens envisagés semblent limités au regard de l’ampleur et la profondeur du phénomène.
La tumeur islamiste qui se propage au cœur de notre République a été ciblée aux Mureaux. Nous mesurons tous, je le crois, la difficulté du protocole nécessaire à son éradication, la finesse du traitement à mettre en place. Au lieu de cela, ce projet de loi prévoit d’irradier l’ensemble du corps en espérant que l’un des rayons, par un phénomène stochastique, atteindra la cible.
Ainsi, la principale disposition dans le domaine de l’éducation consisterait à modifier en profondeur les modalités de l’instruction en famille (IEF), cette voie d’instruction qui existe depuis trois Républiques ! Cela constitue une grossière confusion, pour ne pas dire un amalgame malhonnête, en faisant de l’instruction en famille une sorte de complice de ce séparatisme,…
M. Max Brisson. Très bien !
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. … alors qu’aucun élément factuel de corrélation ne m’a été présenté au cours des auditions.
Outre le risque constitutionnel, le régime d’autorisation voulu par le Gouvernement instaure une suspicion généralisée à l’endroit des familles qui pratiquent l’IEF de manière régulière. Ce n’est pas acceptable, et c’est la raison pour laquelle nous avons supprimé l’article 21 en commission.
MM. Max Brisson et Bruno Belin. Très bien !
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Pour répondre à la problématique des enfants « hors radar » et des déscolarisations suspectes, la commission de la culture a adopté des mesures de détection différenciée afin de fermer les brèches dans lesquelles quelques-uns s’engouffrent malignement en détournant l’IEF de sa fonction première.
Permettre à chaque enfant de disposer du légitime droit à l’instruction est notre priorité : c’est pourquoi nous avons créé des cellules ad hoc, permis de renforcer les contrôles des inspecteurs de l’éducation nationale, ou encore interdit l’IEF aux familles dont les enfants ont fréquenté une école clandestine.
Nous espérons que le Gouvernement considérera in fine que cette démarche est à la fois plus protectrice et plus efficace.
Avec l’école, le sport est l’autre entrée privilégiée du séparatisme islamiste, comme l’a montré le rapport de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste, dont Jacqueline Eustache-Brinio était la rapporteure en 2019.
Du licencié à la fédération, tous les acteurs du sport doivent se sentir concernés. C’est pourquoi la commission a souhaité renforcer la promotion des principes de la République dans le milieu sportif. L’octroi de subventions et la mise à disposition d’équipements sportifs publics seront conditionnés à l’engagement de respecter les principes de la République.
Quant à l’explication de l’absence de l’enseignement supérieur dans le spectre de ce texte, j’hésite entre le manque de courage et l’absence de lucidité. L’exposé des motifs mentionne pourtant explicitement le « travail de sape » d’un « entrisme communautariste, insidieux », qui « concerne de multiples sphères [dont] les services publics ». Cet entrisme communautariste « s’invite dans le débat public en détournant le sens des mots, des choses, des valeurs et de la mesure ».
Alors que de très récentes déclarations ministérielles reconnaissent l’existence d’une problématique d’entrisme islamiste à l’université, ce texte oublie un service public : celui de l’enseignement supérieur.
Il faudrait nous expliquer pourquoi et comment l’université serait en dehors de notre société pour ne pas subir, comme ailleurs, les assauts du fléau islamiste. Au lieu d’être un terreau d’une extraordinaire fertilité, les campus devraient instaurer les conditions de l’éradication de ce fléau.
Nous avons donc introduit l’interdiction des prières dans les lieux inadaptés, conditionné l’octroi de locaux au respect des principes de la République, et précisé l’exercice de la liberté d’expression pour que la mission même de l’université – l’enseignement, la recherche, le débat, la confrontation d’idées – ne soit pas entravée par les agissements, souvent violents, de quelques groupuscules.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun connaît cette formule de François Ponsard : « Quand la borne est franchie, il n’est plus de limite. » N’oublions pas la suite : « Et la première faute aux fautes nous invite. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis de quatre articles – 10, 11, 12 et 46 –, qui ont trait à son champ de compétences. Il faut noter que ces articles n’entretiennent qu’un lien assez ténu avec la lutte contre les séparatismes et le respect des principes de la République.
Je l’ai dit en commission, même si ces articles sont justifiés sur le fond – nous allons d’ailleurs dans l’ensemble les approuver –, leur inscription dans ce projet de loi consacré à la lutte contre les séparatismes semble quelque peu opportuniste.
Ainsi, les articles 10 à 12 du projet de loi concernent l’encadrement aussi bien des avantages fiscaux attribués aux associations que de leur régime fiscal. Vous le savez, en France, les associations comme les fondations ou les fonds de dotation bénéficient d’un régime fiscal privilégié, celui du mécénat, qui permet de délivrer des reçus fiscaux aux contribuables afin de les faire bénéficier d’une réduction d’impôt au titre de leurs dons.
Ce régime est aujourd’hui très peu contrôlé, alors même – il faut le reconnaître et la commission des finances est bien là dans son rôle – que le montant de la dépense fiscale est important : la réduction de l’impôt sur le revenu coûte chaque année 1,5 milliard d’euros et concerne un grand nombre – 5,5 millions – de foyers fiscaux ; quant à la réduction de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire le mécénat pour les sociétés, elle représente chaque année près de 800 millions d’euros et concerne 77 000 entreprises.
L’article 10 du projet de loi vise à instaurer une nouvelle procédure de contrôle : le contrôle de l’éligibilité de l’organisme au régime du mécénat, que Gérald Darmanin vient d’évoquer. Je dois rappeler – mais faut-il vraiment le faire ? – que les associations suppléent l’État dans de nombreux domaines. On peut penser au secours aux plus démunis ou aux associations d’aide humanitaire, qui interviennent particulièrement dans le contexte de la crise actuelle. Il ne faudrait donc pas que ce projet de loi, en particulier ses articles fiscaux, conduise à faire peser des contraintes trop lourdes sur ces organismes sans but lucratif, notamment sur les plus petites associations qui reposent sur le bénévolat.
Les rapporteures de la commission des lois et moi-même avons été, je le crois, constamment guidés par la recherche de ce point d’équilibre. C’est la raison pour laquelle nous avons été conduits à proposer le report de l’entrée en vigueur de l’article 10 au 1er janvier 2022. Il existe en effet un risque que les associations ou les organismes sans but lucratif, afin de se prémunir contre les contrôles qui seront instaurés à la suite de cette loi, demandent plus fréquemment le recours à la procédure dite du « rescrit mécénat », qui permet d’interroger l’administration fiscale pour savoir si l’on est éligible au bénéfice des reçus fiscaux.
Le recours au rescrit mécénat pourrait être d’autant plus massif que, comme la Cour des comptes l’a souligné dans un récent référé, la doctrine fiscale relative aux conditions d’éligibilité au mécénat n’est pas vraiment stabilisée. La doctrine est vaste, et les critères reposent sur des cas d’espèce. J’espère, messieurs les ministres, que le Gouvernement utilisera le délai supplémentaire que nous instaurons pour laisser le temps aux associations de s’adapter et que la doctrine pourra se stabiliser.
Nous soutenons évidemment l’instauration de ce contrôle – nous n’avons pas d’opposition de principe –, destiné à protéger autant la générosité des contribuables que l’État. Mais il ne s’agit pas de rendre les choses plus difficiles pour les plus petites associations.
L’article 11 tend à créer, quant à lui, une obligation pour les organismes sans but lucratif de déclarer chaque année à l’administration fiscale le montant global des dons et des versements dont ils ont bénéficié. Il faut le reconnaître, nous sommes là assez loin du séparatisme… Cette mesure concernera toutes les associations, monsieur le ministre de l’intérieur, et pas seulement les associations cultuelles. Mais elle permettra peut-être aussi de mieux piloter la dépense publique.
Néanmoins, cette obligation pourrait entraîner un risque d’alourdissement administratif. Certes, l’obligation sera rendue plus légère par la plateforme numérique qui sera mise à la disposition des associations pour faire leur déclaration annuelle. Il faudra veiller à ce que cette plateforme soit mise en œuvre dans les délais, car la réponse de la DGFiP (direction générale des finances publiques), qui nous annonce une mise en service progressive, m’inquiète quelque peu… C’est la raison du report au 1er janvier 2022 que nous avons proposé pour permettre au Gouvernement de s’adapter, afin que le portail soit pleinement opérationnel d’ici à cette date.
L’article 12 tend à élargir la liste des infractions susceptibles d’entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons. Là aussi, vous le savez, les infractions concernées sont aujourd’hui peu limitées puisque ce sont celles qui font peser une menace grave sur la société : terrorisme, blanchiment d’argent. Le nombre de condamnations est actuellement extrêmement réduit, avec moins d’une centaine par an.
J’en terminerai avec l’article 46 qui concerne le droit d’opposition de Tracfin, c’est-à-dire la capacité de bloquer une association. En commission, nous sommes revenus sur une disposition adoptée par l’Assemblée nationale qui renvoyait à un décret les conditions dans lesquelles les assujettis pouvaient ne pas répondre à certaines opérations.
En définitive, messieurs les ministres, si nous n’avons pas d’opposition de principe à ce texte, nous souhaitons veiller à préserver la vie associative, qui est très largement concernée par ce texte et bien au-delà. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 38.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, confortant le respect des principes de la République (n° 455, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, messieurs les ministres – je salue au passage Mme Marlène Schiappa, qui nous a quittés –,…
M. Patrick Kanner. Ce n’était pas du tout ironique !
… mes chers collègues, nous avons cherché en vain, dans ce projet de loi, l’équilibre du discours des Mureaux prononcé par le Président de la République le 2 octobre 2020.
Plus personne ne s’en étonne, le Président qui se prétend « de droite et de gauche » marche sur la seule jambe qu’il ait jamais eue : sa jambe droite. Celle qui confond autorité avec autoritarisme, fermeté avec fermeture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Marques d’indignation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Non, nous ne cédons pas à la facilité consistant à se contenter d’une société dans laquelle chaque communauté cohabiterait, même pacifiquement, côte à côte, sur un modèle anglo-saxon perpétuant des différences de droit. Nous préférons créer les conditions du rassemblement, au travers duquel peuvent s’exprimer toutes les croyances.
Dans notre cité républicaine, la seule loi qui vaille est celle que les femmes et les hommes se donnent à eux-mêmes. La laïcité consiste non pas à nier la quête spirituelle chez l’être humain mais à refuser, au nom de l’unité et de la liberté, le statut politique dominateur que conférerait l’ascendant d’une religion sur la puissance publique.
Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est l’écart entre l’idéal républicain proclamé par le Président de la République et ce projet de loi. Non, l’exécutif ne peut pas dire, comme le fit Aristide Briand en son temps, que ce texte est un projet de loi de liberté. Du point de vue économique, les preuves d’ultralibéralisme de ce gouvernement ne sont plus à démontrer, certes, mais, du point de vue des libertés, nous ne constatons qu’un affaiblissement de nos conquêtes les plus chères.
Ce projet de loi est un texte de contraintes, une addition de mesures d’ordre public : nouveaux délits pénaux, contrôle des associations, fermeture des lieux de culte. Un tiers des articles du texte instaurent des procédures de contrôle et plus d’un quart des articles définissent des peines d’emprisonnement ; même le Défenseur des droits vous en fait le reproche !
Sont pourtant concernées la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, les lois du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques et du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire ainsi que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, déjà abîmée par le fameux article 24 de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, dite « proposition de loi Sécurité globale »…
Sans doute, des avancées importantes en faveur du droit des femmes sont permises par le texte, je vous en donne acte, mais, pour le reste, c’est un projet de loi de contrôle, de police, de répression. Ce n’est pourtant pas en réglementant les cultes à l’excès que l’on parviendra au but…
La laïcité n’est pas l’ennemi de la religion ; c’est un cadre, une liberté – la liberté de croire ou de ne pas croire – ; la laïcité, c’est affirmer avec Hugo que l’État doit être chez lui et l’Église chez elle.
Dès que nous sentons l’expression d’une prétendue laïcité de combat contre la religion et non contre le fanatisme, nous la combattons. Dès que la religion est manipulée par des intégristes qui ne souhaitent pas que les convictions de leurs coreligionnaires soient compatibles avec la République, nous combattons également cette manipulation.
Toutefois, pour combattre cette dernière, il ne suffit pas d’employer la contrainte. L’exposé des motifs énonce que « la République demande une adhésion de tous les citoyens qui en composent le corps ». Je ne suis pas fin psychologue, mais croyez-vous que l’adhésion s’obtienne à coups de boutoir ? Je ne le crois pas. Il nous faut convaincre et non multiplier d’absurdes prohibitions ; l’universel doit être désiré…
Nous regrettons que ce projet de loi ne traite que les conséquences et non les causes du phénomène de radicalisation. Le phénomène dont nous parlons dépasse la question économique et sociale, mais il ne se situe pas hors du social. Il y a un séparatisme prêché par des religieux radicaux ; il y a aussi un séparatisme créé par le sentiment d’abandon de certains territoires.
Or le premier se nourrit du second ; c’est pourquoi un double mouvement est nécessaire : lutter contre le rejet de la République, mais aussi lutter contre le rejet dans la République. Derrière Jaurès, nous, socialistes, affirmons que le combat laïque et le combat social sont indissociables. (Mme Martine Filleul et M. Jean-Michel Houllegatte applaudissent.)
Le Président de la République l’a affirmé : « partout où la République ne donne plus d’avenir, n’attendez pas que [ses] enfants l’aiment, malheureusement », mais quel avenir propose-t-il ? Rêver de devenir millionnaire ? Traverser la rue pour trouver un travail et s’acheter un costume ? Malheureusement, pour nombre d’entre nous, le fameux ruissellement est resté une chimère…
La contestation de la République se nourrit des signes d’hostilité et de relégation qu’adresse l’État. Il faut nous interroger sur le fait qu’une partie de nos concitoyens – une infime partie, rappelons-le – se détourne de notre modèle de société aussi facilement. Les discours hostiles à la République prospèrent le plus souvent dans des quartiers ghettoïsés, là où nous avons construit notre propre séparatisme, là où se concentrent la misère et la déréliction, dans des quartiers où la promesse républicaine n’est pas tenue, où le service public recule et où ce recul laisse place à des organisations privées, parfois religieuses.
La question n’est plus de savoir s’il faut moins d’État ou mieux d’État, un peu plus par-ci, un peu moins par-là ! Non, il faut, partout, plus, beaucoup plus d’État dans son rôle providentiel.
Il n’y a rien sur le volet social, dans ce projet de loi ; il n’y a rien pour lutter contre les discriminations, pour renforcer le tissu associatif, notamment l’éducation populaire, déjà fragilisée par la suppression, au début du quinquennat, des emplois aidés. Rien sur l’emploi, sur le logement ni sur la politique de la ville. Rien sur les services publics en tant que tels ni sur le déficit de cohésion territoriale. Rien sur nos structures d’accueil ni sur l’évolution de notre modèle d’intégration. Rien de ce qui, en somme, correspond à notre conception de la concorde civile.
Le Gouvernement ne s’est pourtant pas fait faute de le promettre maintes fois…
Nous partageons pourtant le diagnostic ; il existe un problème, que nous ne nions pas. Oui, il y a des réseaux religieux qui s’infiltrent de façon organisée dans la société, en France et dans une partie du monde, un projet politico-religieux qui conteste nos valeurs démocratiques, un projet qui vise à persuader certains de nos concitoyens de se soustraire aux lois de la République. Cela peut se manifester par la déscolarisation d’enfants, par une communautarisation de pratiques sportives ou associatives de façon générale, par des démonstrations de foi à l’intérieur d’entreprises, même chargées d’une mission de service public. Malheureusement, nous le constatons aussi, comme vous, messieurs les ministres.
Nous connaissons le visage du fanatisme – ma famille politique n’a jamais fait preuve de complaisance ou de compromission lors des attentats qui ont émaillé le quinquennat précédent –, mais nous prétendons que le défi est encore à relever, sans angélisme, sans amalgame, sans ambiguïté face à ces forces centrifuges.
Oui, certaines dispositions auraient pu emporter notre adhésion ; des sanctions plus sévères ou des mécanismes plus efficaces de contrôle des financements peuvent produire des effets bénéfiques, mais ils ne peuvent pas le faire seuls. Ce n’est pas ainsi que l’on confortera les principes de notre République.
Il est facile, à l’approche d’échéances électorales importantes, de ressusciter les passions tristes. En pénétrant sur le terrain du séparatisme, le Président de la République veut apporter la preuve qu’il lutte concrètement contre ce phénomène, qu’il n’est pas naïf ; il est vrai qu’il est régulièrement accusé par la droite et par l’extrême droite d’en faire trop peu sur ce sujet. Je ne sais pas si l’extrême droite s’amollit ou si le Gouvernement s’affermit ; toujours est-il que, sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, on ne distingue plus guère la copie de l’original…
Ainsi, après ses vaines polémiques sur « l’ensauvagement » supposé de la société française, sur les rayons halal dans les supermarchés, sur le floutage des interventions de police et à la suite d’un essai personnel parsemé d’approximations historiques, voici le ministre de l’intérieur qui revient, avec tambour et trompette, pour expliquer aux électeurs de droite que le bulletin Macron sera plus utile que celui d’un candidat Les Républicains face à la candidate du Rassemblement national. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Patrick Kanner. M. le ministre de l’intérieur serait-il d’obédience « sondagière » ? Avec vous, monsieur le ministre, les choses sont simples, finalement : soit on est contre le terrorisme, soit on est pour l’islamo-gauchisme. Comme il doit être reposant de considérer les choses avec cette vision binaire et simplificatrice !
Nous ne souhaitons pas participer à cette hystérisation du débat. Nous ne céderons pas à la facilité qui consiste à utiliser des abstractions pour frapper les esprits, dans une période où la politique est dominée par des objectifs de communication.
Tel est le sens de cette motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
En conclusion, je vous laisser méditer, mes chers collègues, cette phrase de Clemenceau (Ah ! sur de nombreuses travées.), prononcée à cette tribune même, le 9 avril 1916 : « Inutile de demander une loi pour avoir l’air de vouloir faire ce qu’on aurait pu faire jusqu’à présent sans aucun texte nouveau ». Puisque j’en ai le temps, je serais tenté de la répéter, en la modifiant quelque peu : il est inutile de demander une loi pour avoir l’air de vouloir faire ce que l’on aurait dû faire jusqu’à présent sans aucun texte nouveau… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Et vous, qu’avez-vous fait ?
M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, je vous invite donc à voter cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
(Mme Laurence Rossignol remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vous proposons de ne pas adopter la motion déposée par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et de poursuivre, ainsi, la délibération sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
L’objet de cette motion peut surprendre. Il s’appuie sur une référence, quasi mythique, au discours prononcé aux Mureaux, le 2 octobre 2020, par le Président de la République, afin de considérer que le projet de loi qui nous est proposé n’y est pas fidèle et n’est donc pas fidèle à l’« écosystème » de notre modèle. Il est paradoxal d’accorder une telle foi aux promesses d’un discours, si solennel fût-il…
Il y a beaucoup de complaisance ou de naïveté dans cet argument. Nous avons tous observé, depuis 2017, l’angle mort que constituaient, pour le Gouvernement, les questions régaliennes et de l’autorité de l’État. Vous considérez, monsieur Kanner, que c’est dans la question sociale que réside cet angle mort et que cette question est absente du texte qui nous est proposé ; puis, vous en déduisez l’inutilité de l’examen de ce dernier. Toutefois, vous nous permettez de retrouver ici le clivage gauche-droite.
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas dupes du calendrier politique et des manipulations que celui-ci peut engendrer. Nous ne sommes pas restés béats devant ce discours, dont l’équilibre fourre-tout n’a satisfait que les admirateurs d’un « en même temps » illusoire et inaccessible.
Mes chers collègues, votre refus semble se réfugier dans l’euphémisme et il s’apparente à un véritable déni. Il est tellement difficile à expliquer qu’il masque mal vos contradictions et votre gêne. Vous voyez dans ce texte des insuffisances et des manques ; nous y voyons le moyen d’échanger, de proposer et de compléter, conformément au rôle du Sénat, sans excès, caricature ni surenchère, en veillant au respect de toutes les sensibilités de la Haute Assemblée, en constatant et en réparant les oublis volontaires de l’exécutif ainsi que les insuffisances que celui-ci a programmées.
Oui, votre motion s’apparente à un déni, car ce n’est pas nous qui faisons preuve, à Strasbourg, d’une irresponsabilité coupable devant l’ingérence d’un État étranger et qui fermons les yeux sur le refus de signer une charte d’adhésion aux valeurs de la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Cazabonne applaudit également.) Ce n’est pas nous qui flirtons avec les thèses de l’islamisme radical.
M. André Reichardt. Bravo !
M. Jacques Grosperrin. Ce n’est pas nous qui voulons financer ceux qui refusent la République. Ce n’est pas nous, enfin, qui soutenons les dévoiements militants fétichisant la race… (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, applaudit.)
Quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty et au moment de l’anniversaire de celui du colonel Arnaud Beltrame, commis le 24 mars 2018 à Carcassonne, alors que le souvenir de tous les attentats islamistes et de ses victimes nous hante – il nous poursuivra longtemps –, vos arguments convoqués à l’appui de votre motion ne sont pas à la hauteur de la situation que nous vivons et que la crise de la covid-19 ne masque pas.
Vous prétendez vous appuyer sur un modèle idéal pour refuser de défendre celui-ci ou – cela revient au même – vous acceptez l’idée que ce modèle n’est plus capable de se défendre lui-même. Le texte aborde une multitude de sujets, il est incomplet et le Gouvernement a peut-être la main qui tremble ; mais n’êtes-vous pas concernés par les thèmes qu’il aborde : les services publics, les discriminations, l’égalité pour lutter contre différentes formes d’une inégalité homme-femme moyenâgeuse, la vie associative, les discours de haine, le libre exercice du culte, la préservation de l’ordre et de l’autorité des pouvoirs publics ?
Ne voyez-vous pas que le sport, que l’on a longtemps cru protégé de tout prosélytisme religieux, est désormais le théâtre de pratiques inadmissibles et qu’il perd son rôle d’intégrateur républicain ? Ne voyez-vous pas que l’éducation subit des pratiques communautaristes qui portent gravement atteinte à ses missions et à la sécurité des enseignants ?
Mes chers collègues, nous ne reconnaissons pas, dans votre refus de débattre, l’identité laïque et républicaine de certains d’entre vous, dont les partis ont dirigé la France…
Un mot résume votre gêne : l’émancipation. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, approuve.) Ce mot fut longtemps, pour vous, intégré à l’idéal républicain, une émancipation souvent partagée et porteuse de progrès et de justice.
Votre motion démontre que vous vous éloignez de votre propre histoire. Vous êtes à la recherche de nouvelles synthèses mobilisatrices pour votre électorat alors que vous devriez constater avec nous qu’il faut s’émanciper soi-même, à l’intérieur de la République et non être sous l’emprise de l’extérieur et d’une religion totalitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Ridicule !
M. Jacques Grosperrin. La République ce sont des droits, ce sont des devoirs, c’est une identité, c’est la sécurité pour tous. La France doit se battre contre tous les séparatismes, notamment contre le séparatisme islamiste.
L’État ne cultive aucun racisme vis-à-vis des musulmans, nous ne laisserons personne affirmer cela. Le racisme, sous toutes ses formes, doit être combattu avec fermeté. L’universalisme des Lumières nous unit pour faire progresser des valeurs communes, jamais séparées.
Il faut nommer les choses. C’est l’une des grandes difficultés de l’exécutif, pris dans ses propres contradictions. Constatons ensemble que nous sommes bien en présence d’une volonté hégémonique religieuse et politique, d’un communautarisme exacerbé, dont l’endoctrinement est la matrice et le grignotage idéologique l’outil quotidien. Une religion ne peut prétendre que ses lois sont supérieures à celles de la République. Lutter contre les séparatismes n’est pas lutter contre les religions, qui doivent rester dans l’intimité de la conscience de chacun.
Nous ne nous laisserons pas enfermer ou intimider et nous refuserons les débats qui veulent « cornériser » les défenseurs intransigeants de la République, les acculer dans le camp des archaïques, des anciens ou des conservateurs.
Aucun tabou culpabilisateur ne s’immiscera dans nos réflexions ; l’intégration républicaine de nouveaux venus sur notre territoire, dans un contexte migratoire massif et non maîtrisé, pose des difficultés insurmontables, chacun le sait. (Murmures sur les travées du groupe SER.) Là encore, nous vous proposons la sagesse de la lucidité devant les faits.
Mes chers collègues, ne vous faites pas les représentants d’une prétendue modernité, complaisante et servile ; la racialisation des problèmes sociaux et l’assignation identitaire ne représentent pas l’avenir de notre nation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Très bien !
M. Jacques Grosperrin. La France est le fruit d’une longue histoire, sa pensée est d’une formidable richesse. Cette richesse est aujourd’hui mise à la disposition de réinterprétations, poussées à outrance, destinées à modifier nos idéaux. Les modèles venus d’ailleurs ne sont pas les nôtres ; la laïcité n’est pas négociable.
Michelet l’a bien dit : « la France est une personne ». Cette personne doit être respectée ; nous sommes un seul peuple, à qui il arrive même de se croire une exception dans l’histoire universelle. Ce peuple est aujourd’hui constitué en un État dont l’unité s’est faite par l’égalité et par le mérite républicain. Notre tâche consiste à empêcher que se défassent les valeurs qui nous fondent.
Mes chers collègues, la République est une volonté et une transmission. Elle est indivisible. Elle est le rempart contre l’affirmation bruyante de toutes les minorités. Elle est fondée sur ce qui rapproche les hommes et non sur ce qui les divise.
Défendons la République. C’est la poursuite de la promesse démocratique qui est en jeu. À défaut, la France se condamnera à l’impuissance, au déclin, et nos concitoyens ne l’accepteront pas.
Nous vous proposons donc de rejeter la motion opposant la question préalable, présentée par M. Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. En premier lieu – c’est une question de fond –, certes, le texte ne règle pas tous les problèmes, n’aborde pas tous les sujets, mais il a le mérite d’affirmer clairement, dans nos débats, les valeurs de la République et la nécessité de lutter contre le séparatisme.
En deuxième lieu, la commission a travaillé ; les rapporteures ont analysé chacun des articles, elles ont fait des propositions et ont veillé tant à protéger les libertés qu’à concourir au projet visé par ce texte.
En troisième lieu, enfin, s’il advenait que le Sénat vote cette motion, il n’y aurait plus de débat, le texte repartirait vers l’Assemblée nationale, privant ainsi la Haute Assemblée de discussions et de l’adoption d’avancées importantes.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président Kanner, j’ai eu envie, en vous écoutant, de rappeler en substance cette phrase du maréchal de Lattre de Tassigny : un naïf, c’est un homme qui plante deux glands, qui s’achète un hamac et qui attend… (Rires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
D’abord, vos leçons de « social » me paraissent quelque peu étonnantes, car, quand vous étiez ministre, j’ai pu constater, comme maire, la diminution sanglante des aides de la politique de la ville destinées aux quartiers difficiles – ceux-là mêmes que vous dénoncez –,…
M. Patrick Kanner. C’est faux !
M. Gérald Darmanin, ministre. … au travers notamment du carroyage, que vous aviez inventé avec M. Lamy – lequel a rejoint ensuite notre chère collectivité de Lille –, diminuant de ce fait ce qui faisait la mixité sociale, en concentrant les dotations là où l’on concentrait la misère. Et, ensuite, on s’étonne qu’il y ait des ghettos…
Ensuite, monsieur le président Kanner, je ne sais pas ce que je trouve le plus étonnant dans vos propos.
Peut-être est-ce le fait que vous trouviez ce texte horrible pour la République, alors que, voilà à peine quelques semaines, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale s’est abstenu sur ce projet de loi de façon constructive, selon les mots de Boris Vallaud ; mais sans doute ce dernier s’est-il trompé et sans doute fait-il, lui aussi, la courte échelle à Mme Le Pen, pour reprendre votre expression…
Ou bien peut-être est-ce le fait que vous nous donniez, toute la journée, des leçons d’opposition à l’extrémisme alors que vous-même êtes capable d’entretenir, avec les pires extrémistes sur votre gauche, des liens étroits, ce qui me semble être un drame absolu pour la démocratie. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Je pensais à la France insoumise, madame la présidente Assassi, je n’ai jamais douté, ne serait-ce qu’un instant, que les communistes fussent républicains, vous le savez bien. L’accusation d’alliance extrémiste, proférée par M. Kanner en lien avec la France insoumise, me paraît donc étonnante. Sans doute, on peut donner des leçons de République au Sénat, mais peut-être y a-t-il aussi du militantisme politique ailleurs…
Surtout, monsieur Kanner, où est passée la gauche qui défendait l’école publique ? Qui défendait la laïcité ?
Plusieurs sénateurs du groupe SER. Nous sommes là !
M. Gérald Darmanin, ministre. Qui condamnerait, avec l’ensemble des forces politiques, les élus municipaux réservant aux femmes, pour des raisons religieuses, des créneaux horaires dans l’accès à certains services publics, organisant des soirées burkini et considérant, avec des candidats ou des élus, que, quand on a une certaine couleur de peau, on doit se taire ? Où donc est passée la gauche ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – Huées sur les travées du groupe SER.)
M. Jacques Grosperrin. Bravo !
M. Gérald Darmanin, ministre. Plutôt que de citer Jaurès et Clemenceau, soyez fidèle à Manuel Valls, à Bernard Cazeneuve, à Clemenceau lui-même, à Chevènement !
M. Patrick Kanner. Et vous, à Sarkozy ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Mais oui, je préfère avoir comme modèle M. Sarkozy que M. Mélenchon, ne vous en déplaise ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Monsieur Kanner, pour terminer, je reprendrai un bon dicton populaire. Vous avez laissé partir les électeurs de gauche au Front national (Huées sur les travées du groupe SER.) – vous le savez bien – et vous avez préféré écouter la voix incroyable des beaux salons parisiens et de Terra Nova plutôt que celle du peuple et des ouvriers (Mêmes mouvements.) ; eh bien, quand on voit ce qu’on voit dans nos territoires, quand on sait ce qu’on sait et quand on a entendu ce qu’on a entendu, on a bien raison de penser ce qu’on pense en vous regardant… (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre de l’intérieur, il est invraisemblable de prétendre conforter les principes de la République en les bafouant ainsi.
Au travers d’un seul texte, mal écrit, alternant dispositions inutiles et dispositions liberticides, quand ce n’est pas l’un et l’autre, vous foulez aux pieds les grandes lois fondatrices de la République française.
Je pense d’abord à la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Vous muselez cette dernière, en réintroduisant le funeste article 24, masqué derrière l’article 18 du présent texte.
Je pense également à la loi du 28 mai 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, qui a instauré l’instruction obligatoire, que vous dévoyez en supprimant la liberté d’instruction en famille.
Je pense ensuite à la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, que vous écrasez sous, au mieux, une innommable lourdeur bureaucratique ou, au pire, un serment d’allégeance à la norme politique dominante.
Je pense enfin à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, car vous entravez la liberté de croire ou de ne pas croire en déployant des moyens inédits de contrôle du culte.
Ces lois ont été bâties grâce au compromis républicain de la fin du XIXe siècle, qui avait enfin permis d’installer durablement la République dans notre pays. Elles ont été si parfaitement écrites que leur colonne vertébrale est restée inchangée depuis plus d’un siècle. Quelle arrogance, quel mépris que de vouloir en modifier ainsi la substance, sans aucun mandat du peuple !
Relisez les Lettres persanes de Montesquieu, monsieur le ministre : « il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante ». Votre texte fait exactement l’inverse ; semblable à un marteau qui chasse une mouche, il manquera immanquablement sa cible et causera d’inutiles destructions. Il ne renforce aucun des principes républicains que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Il ne répond à aucune des problématiques qui déchirent le pacte social et nourrissent le communautarisme. Exit la mixité sociale dans le logement ; exit la mixité scolaire ; exit tout ce qui permettrait de lutter contre la principale forme de séparatisme qui gangrène notre pays : le séparatisme social.
Puisque vous l’appréciez, je citerai Jean Jaurès, qui déclarait : « Je n’ai jamais séparé la République des idées de justice sociale, sans laquelle elle n’est qu’un mot. » Voilà le seul et unique chemin pour conforter la République, a fortiori quand la France compte 10 millions de pauvres et qu’elle semble se préparer à un reconfinement dramatique.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera donc cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » C’est par ces quatre qualificatifs que se définit notre République et c’est avec la volonté politique de les réaliser que nous construisons la République, afin de répondre au « besoin de République » des femmes et des hommes qui vivent et travaillent en France.
À l’heure où nous parlons d’éviter tout séparatisme et de rassembler la communauté citoyenne, permettez-moi de vous suggérer, monsieur le ministre de l’intérieur, de renoncer à toute stigmatisation des uns et des autres et des formations politiques qui, que l’on soit ou non d’accord avec elles, contribuent incontestablement à faire vivre le débat démocratique et donc à faire République.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Depuis vingt ans, dans notre pays, la laïcité est de plus en plus instrumentalisée, non pas pour permettre à chacun de vivre librement et avec autrui, dans la liberté individuelle de conscience et de croyance, mais plutôt pour stigmatiser une communauté – ne nous le cachons pas – au détriment des autres. D’ailleurs, votre projet de loi résume – c’est en cela que nous serons en désaccord – toute la problématique de la laïcité dans des questions d’ordre public.
Je ne ferai pas de citations, je ne convoquerai pas l’histoire, parce que je crois en une République vivante et moderne, qui s’incarne et qui n’oublie jamais les quatre qualificatifs inscrits dans notre Constitution. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne les oubliera pas non plus, au travers de ses amendements, de ses prises de parole sur article et de ses explications de vote.
En effet, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui combattent le fondamentalisme et, de l’autre, ceux qui en sont les complices. Personne, ici, n’a de leçon à recevoir. À travers l’histoire, notre groupe a combattu ce phénomène, comme tant d’autres, et il continuera de le faire.
Nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Didier Marie. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je m’inscrirai dans le droit-fil de la déclaration de Mme Cukierman.
Monsieur le ministre de l’intérieur, s’il y a un sujet qui doit rassembler, pour lequel on doit s’écouter et à propos duquel les polémiques de bas étage sont vaines, c’est bien celui-là.
M. Jean-Pierre Sueur. Patrick Kanner et nous nous honorons d’être de ceux qui ont des convictions politiques attachées à un parti et qui n’en changent pas.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a des spécialistes du changement et il y a, ici, tant à droite qu’à gauche, des hommes et des femmes qui ont la fierté de défendre leurs convictions et qui savent que, lorsque l’on veut tout mélanger, on ouvre la porte aux extrémismes, car chacun a besoin de se situer, dans la République. La République a besoin non pas de confusion mais d’un débat très clair, où chacune et chacun est ce qu’il est.
Nous voterons bien évidemment cette motion. Pourquoi ? Parce que vous n’avez pas encore apporté de réponse à cette question, monsieur le ministre de l’intérieur : à quoi sert ce texte ?
En effet, voilà quelque chose d’étrange : nous parlons de ce texte depuis des semaines et, si son but est de lutter contre le salafisme, contre le djihadisme radical et violent, consultez les articles du projet de loi, les uns après les autres, et citez-moi ceux qui seront efficaces à cet égard.
Vous verrez que l’on accroît les contraintes en toutes choses, y compris pour les associations, sans pour autant aller dans le sens de l’objectif affirmé. Il n’y a pas de rapport entre l’objectif affirmé et les différents articles du texte. C’est pourquoi nous considérons que ce texte n’est pas bon et qu’il faut prendre les choses autrement.
En conséquence, nous soutiendrons avec force la motion présentée, au nom de notre groupe, par le président Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano, pour explication de vote.
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, fidèle à sa tradition, le groupe RDSE votera contre cette motion. Cela ne surprendra personne dans cet hémicycle et encore moins s’agissant de ce projet de loi, qui, cela a été dit, touche les fondements mêmes de la République. Nier le débat à propos de ces sujets sur lesquels les Français nous regardent et nous attendent me semble extrêmement grave.
Par ailleurs, les commissions ont beaucoup travaillé sur ce texte et un certain nombre d’amendements ont été déposés, y compris par notre groupe. Si, comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, ce texte est à parfaire, il serait inconcevable que nous n’en débattions pas dans cet hémicycle en vue, le cas échéant, de l’améliorer par une série d’amendements.
Enfin, ce projet de loi mérite absolument que nous évitions toute posture caricaturale et dogmatique. Nous avons plusieurs jours devant nous, ce qui nous laisse le temps de débattre. Il est impératif de prendre de la hauteur de vue sur ces sujets. Soyez assurés que le groupe RDSE ne manquera pas de le faire, tout comme il prônera un climat apaisé pour pouvoir discuter sereinement dans le respect des différents avis et opinions politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Pierre Médevielle et Alain Cazabonne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je crois que, dans notre pays, il est temps de nommer et de dire les choses. Il est temps d’affirmer qu’au sein de la Haute Assemblée aucun d’entre nous n’a choisi le séparatisme ou l’entrisme et que chacun doit, aujourd’hui, nommer les choses et répondre aux attentes des Français.
Ce texte est sans doute incomplet dans son volet d’accompagnement social. Cher monsieur Kanner, vous dites que ce projet de loi vient toucher les libertés. Nous avons eu, il y a quelques années, un débat sur la volonté du Gouvernement, auquel vous apparteniez, de revenir sur le système de déclaration d’ouverture des écoles privées au bénéfice d’un principe d’autorisation. Nous avions alors refusé ce dernier au nom des libertés.
Je pense comme vous qu’ici nous devons nous respecter. C’est justement parce que chacun d’entre nous a le droit de s’exprimer et d’être libre qu’il est de notre devoir de lutter contre l’entrisme et le séparatisme. Nous le devons au nom de toutes les victimes des attentats et de tous ceux qui souffrent d’une interdiction de parole. Notre société, aujourd’hui, est colonisée par une pensée qui ne vise qu’à renverser la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Absolument !
Mme Françoise Gatel. C’est pourquoi, monsieur Kanner, je ne voterai pas votre motion et pense sincèrement que vous ne pensez pas tout ce que vous dites. (M. Patrick Kanner s’exclame.)
Mme Éliane Assassi. Les mots ont un sens et « colonisée » en a un également !
Mme la présidente. Plus personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 38, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 1937, Jean Zay, ministre de l’instruction publique du Front populaire, rédigeait une circulaire, dans laquelle il écrivait en substance : « Je vous prie de veiller à ce que soient respectées les instructions interdisant tout port d’insignes politiques ou de propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. » Une simple circulaire pour faire respecter la laïcité.
Aujourd’hui, il faut une loi pour s’opposer à la contestation des principes républicains. Monsieur le président Kanner, que s’est-il passé depuis Jean Zay et Clemenceau pour que nous en arrivions là ?
Au début des années 1980 sont nés deux mouvements de jeunes antiracistes. Le premier, France Plus, avait pour mot d’ordre l’intégration républicaine et pour slogan « Nous voulons le droit à la ressemblance ». Le second, SOS Racisme, proposait le multiculturalisme. Abreuvé de subventions, surmédiatisé par tous les relais du « jacklanguisme » triomphant (Sourires ironiques sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.), il fit une entrée fracassante dans le paysage politico-journalistique. France Plus, privé de tous moyens, disparut.
Quarante ans plus tard et de nombreux territoires perdus depuis par la République, la rengaine multiculturelle est partout. Le « victimisme » est devenu la base d’un discours qui aboutit, sous prétexte de tolérance, à laisser chacun à la discrétion de sa communauté, surtout des plus intégristes en son sein. Chaque jour monte un peu plus le communautarisme et, dans une certaine sous-intelligentsia universitaire, les discours délirants de l’indigénisme, de la racisation ou du décolonialisme.
Les appels à la haine de soi viennent de loin.
En 1961, alors que l’Afrique noire venait d’accéder à l’indépendance et que les accords d’Évian allaient être signés, Sartre écrivait : « Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. » Cinq ans plus tard c’est à Normale Sup qu’est apparu le spectacle effarant, au moment où le Grand Bond en avant chinois faisait 50 millions de victimes, de centaines d’étudiants brandissant frénétiquement le ridicule Petit Livre rouge, pendant qu’à Pékin des millions de Chinois étaient forcés, eux, de le faire sous peine de mort.
« Un sot savant est plus sot qu’un sot ignorant » disait Molière. Aujourd’hui, c’est des facultés de sciences humaines que de pâles copieurs de campus américains devenus fous nous proposent la version XXIe siècle de l’extrémisme déjanté. Après l’apologie du stalinisme, du trotskisme, du maoïsme, du tiers-mondisme, de l’altermondialisme, du collaptionisme, voici venir l’éternel retour du même sous la forme de l’indigénisme et de l’islamo-gauchisme.
Frédérique Vidal a eu le mérite de nommer l’éléphant que personne ne voulait voir dans les locaux universitaires. Mais quelle idée d’en proposer l’étude au président du CNRS, mathématicien, mais dont la compétence s’étend manifestement bien au-delà de sa spécialité puisqu’il écrivait, dans la préface d’un livre intitulé Sexualité, identité et corps colonisés : « La race devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’inscrit la grille du genre. Dans une société non métissée, le social et le genre dominent, mais dans l’espace interracial, le social s’efface derrière le racial. »
Il s’agit bien du président du CNRS… C’est un peu comme si l’on confiait au cow-boy Marlboro une enquête sur les méfaits du tabac. (Sourires. – M. Sébastien Meurant applaudit.) Il a répondu à la ministre que l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique. C’est un peu bizarre pour un concept forgé en 2004 par Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS.
M. Pierre Ouzoulias. Et maoïste !
M. Claude Malhuret. En revanche, pour le président du CNRS d’aujourd’hui, le « racisme d’État », le « privilège blanc », la « culture du viol » et la « fluidité identitaire » semblent être le nec plus ultra des concepts scientifiques. On attend impatiemment les résultats de l’enquête…
Est-ce « islamo » ou est-ce « gauchisme » que l’éminent scientifique a du mal à comprendre ? C’est pourtant simple : islamo est la contraction d’islamisme ; gauchisme, c’est gauchisme. (Sourires sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) Islamo-gauchisme, c’est quand le gauchisme fricote avec l’islamisme.
The place to be, le 10 novembre 2019, était la marche organisée par le Collectif contre l’islamophobie en France, dissous depuis par vous, monsieur le ministre de l’intérieur, pour cause d’islamisme, marche à laquelle participaient, entre autres, la France insoumise, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Benoît Hamon et, bien sûr, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), le syndicat qui n’aime pas les blancs. (Exclamations indignées sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Jacques Grosperrin. Mais c’est vrai !
M. Claude Malhuret. Au sujet de l’UNEF, le professeur Mélenchon, souvent dans l’erreur mais jamais dans le doute, a écrit mardi dernier sur son blog : « Défendre l’UNEF, c’est lutter contre l’obscurantisme. » Sans commentaire.
Cette manifestation maigrelette fut pourtant un événement considérable, parce qu’elle a consacré la fracture de deux gauches. D’un côté, la gauche restée fidèle à ses idéaux laïques et républicains, inflexible sur la mise à distance des assignations identitaires ; de l’autre, la gauche des idiots utiles de l’islamisme qui espèrent enrôler les musulmans dans leur combat intersectionnel, dont, pourtant, la quasi-totalité des musulmans ne veut pas.
On pourrait penser que je me réjouis de cette fracture, qui risque d’assurer à la gauche de longues vacances. Mais je ne m’en réjouis pas, car, avec la pression croissante de l’islamisme et du communautarisme, l’unité nationale autour de nos principes est cruciale. Et dans cette guerre des deux roses, j’ai peur que la dynamique et le battage médiatique ne soient pas, hélas, du côté de ceux qui défendent la laïcité – ils semblent, avec cette question préalable, avoir un petit coup de mou cette après-midi.
Il est plus que temps de s’attaquer à la montée des séparatismes, des fondamentalismes et des projets antirépublicains. C’est ce que vous nous proposez aujourd’hui, messieurs les ministres et il n’y a pas de raison de ne pas vous suivre. Mais, vous le savez, il y faudra beaucoup plus qu’une loi. Il y faudra une volonté. C’est sur elle que vous-mêmes, votre gouvernement et nous-mêmes parlementaires serons jugés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, penchons-nous sur l’exposé des motifs de ce texte. Qu’y lisons-nous ? « Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. » Il y a peu, Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur déclarait, elle, que l’islamo-gauchisme « gangrénait » la société.
M. Bernard Bonne. Elle a raison !
Mme Esther Benbassa. La récurrence de ce terme médical n’est pas anodine. Elle en dit long sur la perception que certains ont, en France, de l’islam. Celui-ci infecterait, pourrirait, rongerait notre pays. Au lieu de proposer des solutions pour contrer l’islamisme radical en agissant efficacement dans les territoires touchés et en mettant à la disposition de cette action tous les moyens publics nécessaires, ce texte ne suggère que de couper des membres gangrénés. Et il n’aide pas, bien sûr, à faire cesser, dans l’esprit de trop de nos concitoyens, la confusion entre islamisme radical et islam.
Élaboré après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, ce texte, dont plus d’un tiers des articles vise à renforcer les dispositifs de contrôle et près d’un quart définit des peines d’emprisonnement, facilitera-t-il la lutte contre le mal qu’il dénonce ? Je crains que non et je suis la première à le regretter. Il tend surtout à renforcer le contrôle social, à restreindre les libertés et à réprimer tout ce qui ne se soumet pas à l’ordre social que le pouvoir appelle de ses vœux en cette veille d’élection présidentielle, espérant ainsi récolter des voix à la droite et à l’extrême droite. (MM. les ministres se désolent.)
Ses répercussions seront, de surcroît, importantes sur la vie des autres cultes. L’archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, m’écrivait dès janvier : « Pour le dire synthétiquement, la loi de 1905 est une loi de liberté. Elle risque, avec ce projet de loi, d’être transformée en une loi de contrôle, de police et de répression. » Il ajoutait : « Pour acquérir des moyens nouveaux d’empêcher les islamistes radicaux de mener à bien leur projet, l’État multiplie les contrôles et organise une nouvelle mise sous tutelle des cultes. » Je le rappelle, c’est un archevêque qui parle, pas la Défenseure des droits.
Le Conseil d’État juge lui-même que « le projet de loi alourdit les contraintes pesant sur les associations cultuelles et modifie l’équilibre opéré en 1905 par le législateur ». Ce texte consacre en fait, pour reprendre les mots de François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, « la dérive progressive et inquiétante de la compréhension de la laïcité comme la grande idée libérale de 1905 vers une neutralisation religieuse de notre société ».
Les libertés associatives sont globalement menacées par ce texte. Les associations, même non religieuses, s’en inquiètent. Elles voient en effet l’octroi de subventions conditionné à la signature d’un contrat d’engagement républicain aux contours flous et à l’engagement de s’abstenir de toute action préjudiciable à l’ordre public. Les associations écologistes pourraient bien, à terme, en pâtir à leur tour. Car il s’agit bien d’un texte de suspicion généralisée. Ses cibles sont aujourd’hui musulmanes. Elles pourraient bien se diversifier à l’avenir.
La laïcité, socle de notre cohésion nationale, n’est plus ici qu’un prétexte pour bâtir une République autoritaire et intrusive. Dans un pays sous état d’urgence sanitaire depuis plus d’un an, M. Darmanin transforme notre pacte républicain en une chape répressive. L’article 18 relatif au délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion ou la transmission d’informations sur internet, remake de l’ancien article 24 de la proposition de loi, dont le nouveau titre est « Pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés », l’atteste bien.
Ce projet de loi s’intitule lui-même « Respect des principes de la République ». « Respect », « respectueux », voilà des mots qui disent le contraire de ce que ces textes sont vraiment : liberticides. Il est à regretter que les principes étriqués de la République macronienne prennent le pas sur l’esprit de nos lois, loi de 1905 comprise.
Le combat contre le fanatisme de certains groupes islamistes et contre le terrorisme est également notre combat, mais pas en obtempérant à ce texte. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra que voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous ne pouvons ouvrir ce débat sans nous accorder sur un diagnostic partagé.
Le constat qui, je crois, peut nous rassembler, au-delà de la terminologie qu’on entend lui rattacher, est celui d’une force de fragmentation exercée par des lois particulières sur la norme commune.
Il ne s’agit pas ici de défendre l’idée que les lois particulières, spirituelles notamment, porteraient en leur nature la faction, la séparation ou la sécession. Il faut le redire, ce projet de loi n’est pas animé par une défiance envers le fait religieux ni, bien sûr, à l’égard de la démarche associative.
Non, il relève d’une stricte ambition de répondre aux pressions de morcellement de la société, aux volontés d’une fraction extrémiste de la population de quitter la République et aux différentes assignations et menaces mortifères auxquelles ces désagrégations conduisent.
Ce constat d’une dynamique de fragmentation, une fois posé, doit nécessairement être dépassé pour trouver les modalités de réponse que le législateur peut lui apporter. La tâche n’est pas aisée : non seulement la réponse ne saurait être simple et univoque, mais elle n’est pas non plus réductible à un véhicule législatif.
Il apparaît, en tout cas, que la voie empruntée par le texte, dans la continuité des discours de Mulhouse et des Mureaux du Président de la République, ne remet pas en cause les libertés dont il est question. Je pense à la liberté d’association et au principe de laïcité, clé de voûte, en creux, de la loi du 9 décembre 1905 et dont découlent la liberté de conscience et le libre exercice des cultes ainsi que la neutralité de l’État.
Je pense également à des principes matriciels, tels que l’universalisme et la conception élective de la Nation, ce « plébiscite de tous les jours », pour reprendre les mots éclairants d’Ernest Renan.
L’inscription dans la continuité des législateurs du début du XXe siècle est soulignée par le Conseil d’État. Nous retrouvons cette continuité dans plusieurs des dispositions du projet de loi, telles que la possibilité pour les associations cultuelles de posséder et d’administrer des immeubles de rapport acquis à titre gratuit ou encore le maintien de la liberté, pour les cultes, de choisir les modalités de recrutement de leurs officiants et de s’organiser sous trois régimes différents. Cela, conformément à la loi de 1907, et en procédant plutôt par un mécanisme d’incitation à rejoindre le régime de l’association cultuelle.
D’autres dispositions utiles du projet de loi ont été conservées en commission.
Je citerai : les mesures de transparence des financements étrangers ; les articles relatifs au service public, avec notamment le nouveau délit de séparatisme ; le contrat d’engagement républicain ; le renforcement de la lutte contre la haine en ligne, en cohérence avec la dynamique européenne ; ou encore la garantie de la dignité de la personne humaine au travers de l’égalité femmes-hommes.
Je n’oublie pas, bien sûr, la partie relative à l’application des dispositions en outre-mer : elle ne remet pas en question – c’est heureux – les équilibres de ces territoires, notamment en Guyane et à Mayotte.
Le texte va évoluer sous l’effet de nos débats et de nos initiatives. Certains des amendements en commission sont d’ailleurs venus utilement consolider le texte ou prévoir des assouplissements, et j’en remercie nos corapporteures. Je pense à l’explicitation du champ d’application des nouvelles obligations des associations mixtes.
Plusieurs débats vont animer notre hémicycle – ils ont d’ailleurs déjà commencé –, notamment la question du champ d’application de l’obligation de neutralité et le sujet du port des signes religieux.
Sans préjuger de leur issue, j’aimerais toutefois rappeler que, lors de l’examen en commission, plusieurs propositions allant dans ce sens ont été rejetées sur le fondement d’une question méthodologique simple, mais indispensable : les dispositions sur lesquelles nous nous prononçons permettent-elles d’atteindre le but, que nous partageons, de renforcer le respect, par tous, des principes de notre République ?
À la lumière de cette question, que nous nous sommes posée collectivement en commission, l’absence de certaines dispositions dans le texte procède, je crois, non d’une « omission mais bien au contraire d’une délibération mûrement réfléchie », pour reprendre ce qu’énonçait Aristide Briand au sujet, justement, des signes religieux.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, j’espère que cette même exigence méthodologique continuera de fonder nos débats en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. « Beaucoup s’excusent d’être les représentants de la démocratie en France, beaucoup s’excusent d’avoir raison, beaucoup s’excusent de respecter la loi et oublient que, sans la laïcité, on ne serait peut-être pas là à discuter tranquillement. » C’est par ces mots, madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, que Charb entamait son discours de remise du prix 2012 de la laïcité, décerné à notre ancienne collègue Françoise Laborde.
Il poursuivait ainsi : « Et j’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent. » Il y eut un tonnerre d’applaudissements, à l’époque, avant que le silence ne reprenne sa place et que la dénégation ou le manque de courage ne fassent leurs ravages.
Car, malgré le choc des attentats de 2015 et la disparition de tant d’innocents, dont le dessinateur, petits arrangements et contournements ont repris de plus belle. Nous avons laissé s’exprimer, certes parfois en nous agitant mais jamais assez fort, ceux qui disent qu’« après tout ils l’ont bien cherché avec leurs caricatures ». Nous avons laissé dire ceux qui affirment que l’engagement de nos troupes militaires à l’étranger est une provocation permanente. Nous avons laissé dénoncer ceux qui prétendent que nos lois sont finalement liberticides et islamophobes.
Nous avons permis à ces bruits de fond de parasiter depuis des années notre société et à ces attaques insidieuses et pernicieuses de saper notre modèle laïque.
La sentence tombe tel un couperet : comme moi, vous avez découvert, atterrés, les conclusions de l’enquête IFOP pour la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Les résultats sont implacables : nos jeunes sont majoritairement favorables à l’expression de la religiosité dans l’espace public et hostiles à la liberté de la critique des religions. Combien d’entre eux sont persuadés que le blasphème est un crime en France ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
En consacrant la séparation des Églises et de l’État, la loi du 9 décembre 1905 a fondé notre ordre démocratique, forgé notre pacte républicain et étayé notre devise à l’équilibre si fragile. Pourtant, la défendre aujourd’hui c’est mettre sa vie en danger. Nous l’avons subi avec de trop nombreux crimes jusqu’à l’assassinat récent de Samuel Paty, professeur des collèges.
Depuis ce drame, le Président de la République a enfin amorcé la sortie de ce long déni collectif politique et intellectuel. Mais combien d’années se sont écoulées avant de nommer l’ennemi et l’identifier correctement ? On nous a parlé de terrorisme, de communautarisme, de radicalisme et maintenant de séparatisme. Or le définir, c’est le connaître, le suivre et lutter contre le cœur de son action.
C’est la mission sénatoriale que nous avons entreprise, dès novembre 2019, au sein de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, révélée comme courageuse par nombre de journalistes. Aux côtés de la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue, j’ai eu l’honneur de présider ces travaux visant à susciter une prise de conscience rapide et clairvoyante.
Notre objectif partagé était de démontrer l’ampleur du phénomène de radicalisation au-delà de ses seules manifestations violentes. Nous avons mené plus de soixante heures d’auditions pour identifier consciencieusement les dérives observées sur notre territoire, sans préjugé ni tabou.
Face à l’urgence, nous avons éclairé les secteurs devant faire l’objet d’une vigilance particulière, comme l’enseignement, le monde associatif ou encore sportif, dans lesquels la pression séparatiste est forte. Nous retrouvons ces secteurs dans ce texte, même si force est de constater que notre école publique et nos établissements d’enseignement supérieur ont été ici quelque peu mis de côté. Je salue donc les amendements portés par la commission de la culture et de l’éducation pour corriger cet écueil.
Il est toutefois regrettable, monsieur le ministre de l’éducation, que vous ayez déporté le débat sur l’instruction en famille (IEF). En stigmatisant l’IEF, vous avez choqué des milliers de parents qui ont fait ce choix alors qu’ils ne remettent pas en cause notre pacte républicain. Les priver de cette liberté, c’est faire le jeu des islamistes et les laisser remporter une victoire de plus.
Permettez-moi de vous rappeler que, dès février 2019, j’ai déposé – vous le savez – une proposition de loi, qui fut portée par amendements lors de la loi pour une école de la confiance aux fins de combattre les dérives que vous dénoncez depuis peu. Ces amendements visaient à améliorer l’identification via l’identifiant national élève (INE) généralisé, le contrôle et le suivi de ces enfants, sans entraver la liberté de choix d’instruction des parents. Vous les aviez balayés et, aujourd’hui, vous vous en inspirez. Nous avons perdu deux ans.
Il est également difficile de ne pas souligner l’absence de mesures adressées au monde économique, qui fait pourtant face aux mêmes problématiques. Pour preuve, le nombre de saisines de la Défenseure des droits témoigne de la dégradation de l’ambiance dans nos entreprises.
Je regrette aussi que nos élus locaux n’aient pas bénéficié d’un arsenal de mesures dédiées pour les accompagner dans la gestion des relations avec les représentants religieux et mettre fin à toute forme d’accommodement local.
Des 44 propositions contenues dans notre rapport sénatorial publié le 7 juillet dernier, de très nombreux dispositifs ont été transposés dans votre projet de loi. Pourtant, à aucun moment, messieurs les ministres, vous n’avez évoqué notre commission d’enquête à l’Assemblée nationale – j’ai lu l’ensemble des comptes rendus. Je le déplore et, pourtant, je ne peux ici que me réjouir que nos travaux aient pu s’incarner dans ce texte, faute d’avoir été salués. Je pense à des mesures comme le renforcement de la police des cultes, l’alignement des statuts légaux et fiscaux des lois de 1901 et de 1905, le prérequis d’une charte pour le versement de subventions, le régime de déclaration des apports de ressources étrangères, etc.
Je remercie également la commission des lois d’avoir adopté des dispositifs complémentaires défendus par la commission d’enquête : la dissolution administrative d’associations placée sous le contrôle du juge administratif ; l’intégration du sexe ou de l’orientation sexuelle dans le champ des motifs de dissolution, ce qui devrait permettre de viser des structures soutenant la lapidation des femmes ou la mise à mort de personnes homosexuelles ; le renforcement des sanctions en cas d’atteinte à la liberté d’exercer un culte ; ou le dispositif visant à mieux protéger les conjoints et les mineurs.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, il convient d’aller plus loin encore.
Fervent défenseur des acquis de la loi de 1905, le RDSE présentera, tout au long des débats, de nombreux amendements visant à préserver cet héritage et faire de la laïcité notre meilleure arme contre le radicalisme religieux : pour que notre pacte commun en sorte réaffirmé, que notre socle de valeurs s’en trouve consolidé et qu’enfin seules les lois de la République prévalent ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous entamons l’examen aujourd’hui répond-il aux attentes de nos compatriotes ? Ce texte, qui a pour objectif affiché de lutter contre l’influence de l’islamisme politique dans notre société, est-il d’une telle urgence qu’il faille en discuter en procédure accélérée plutôt que de traiter les besoins qu’exprime notre peuple face à la crise sanitaire ?
Oui, bien sûr, l’évolution du monde et la dégradation profonde de notre tissu social nourrissent le développement d’un fondamentalisme. Celui-ci s’appuie, en la détournant, sur la religion musulmane pour imposer, dans des pays, des régions du globe, mais aussi dans des quartiers, une conception politique, que je qualifierais de « fascisante », de la société. (M. Philippe Tabarot s’exclame.)
Je vous le dis d’emblée, monsieur le ministre, ce n’est pas par l’empilement de règles plus répressives les unes que les autres que vous répondrez à la déshérence d’une population qui ne croit plus forcément à la République, car celle-ci l’a délaissée.
L’urgence est ailleurs aujourd’hui.
L’urgence est d’aider l’hôpital. L’urgence est de restaurer notre capacité à produire des vaccins. L’urgence est d’agir pour le climat. L’urgence est de venir en aide aux 10 millions de pauvres dans notre pays !
Ce qui doit être éradiqué dans l’immédiat, c’est le malaise étudiant, la détresse sociale, la faim, et certainement pas le fantasme d’un islamo-gauchisme, concept que le Gouvernement, Mme Vidal en tête, et d’autres ici encore aujourd’hui livrent en pâture à l’extrême droite. L’urgence, ce sont les plans sociaux, toujours plus nombreux.
Or, pour le Gouvernement, l’urgence des urgences est de légiférer sur le séparatisme islamiste.
L’évolution d’Emmanuel Macron est patente : pensons au discours de 2015 sur le terreau favorisant le terrorisme ou au discours des Mureaux, qui liait action répressive et action sociale. Au lieu du texte qui, peu de jours avant, devait conforter les principes républicains, nous avons découvert, le 9 décembre dernier, un texte coercitif visant à assurer le respect des principes de la République, dont on ne sait qui les définit ni quel est leur champ.
La notion de séparatisme ne figure plus dans l’intitulé du projet de loi, et pour cause : le grand texte relatif au séparatisme en matière de religion est celui de 1905, qui assura la séparation de l’Église et de l’État et qui acta l’entrée de notre pays dans une République laïque, après une longue histoire.
Le mot « séparatisme » se perd finalement dans les contradictions fondamentales de votre action.
De surcroît, vous ne pouvez pas défendre ce concept alors que le séparatisme fondamental de notre société est aujourd’hui celui des riches avec les pauvres. Notre pays subit de plein fouet un séparatisme multiple : séparatisme scolaire, séparatisme universitaire – 30 % des enfants de classes défavorisées intégraient l’ENA, l’ENS ou HEC en 1950, contre 9 % aujourd’hui –, séparatisme territorial, renforcé par la mise à mal de l’unicité du service public dans notre pays.
Avec votre texte, le discours prononcé par Emmanuel Macron aux Mureaux en octobre dernier paraît bien loin. Le Président de la République, comme à son habitude, avait prôné le « en même temps » : il faut réprimer le séparatisme islamique, mais il faut aussi restaurer la République sur tout le territoire. Je le cite : « Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme. C’est celui de nos quartiers, c’est la ghettoïsation de notre République […] Nous avons construit une concentration de la misère […] Nous avons créé ainsi des quartiers où la promesse de la République n’a plus été tenue. »
M. Macron a jeté aux orties l’habillage social de son propos pour ne conserver que l’objectif répressif et coercitif.
Nous nous trouvons donc face à un texte présenté comme l’héritage des auteurs de la loi de 1905, alors que celle-ci était fondamentalement une loi de liberté. Dans son article 1er, elle garantit la liberté de conscience et la liberté des cultes, et, dans son article 2, elle affirme : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » C’est la séparation de l’Église et de l’État, à l’opposé d’une démarche concordataire qui subsiste encore en Alsace-Moselle, avec les récentes conséquences que nous connaissons, et dans quelques autres départements et territoires.
Votre texte, monsieur le ministre, prend à contre-pied la loi de 1905, car il renforce le lien entre les religions et l’État. Il contredit l’esprit de 1905. Il tend à un nouveau concordat.
En revanche, ce projet de loi s’inscrit pleinement dans un continuum sécuritaire, de la proposition de loi relative à la sécurité globale – comment ne pas signaler que l’article 18 du présent texte est l’article miroir de l’article 24 de cette dernière ? – à la réforme de l’ordonnance des mineurs, en passant par la perpétuation des états d’exception depuis 2015.
En effet, votre texte déborde la question religieuse. Il instaure un contrat d’engagement républicain. Là aussi, qui le définit ? Qui le valide ? Vous placez l’ensemble des associations sous tutelle. Vous rétablissez le lien entre l’État et les religions, alors que, vous le savez bien, l’ensemble des associations cultuelles critiquent cette évolution.
Vous remettez en cause la liberté d’association, en plaçant au cœur d’un contrat d’engagement républicain la question du respect de l’ordre public.
Regardons le contrôle du financement des associations culturelles. M. Patrick Weil affirmait fort justement : « La loi prévoit déjà depuis 1905, pour les associations culturelles, le contrôle de l’administration fiscale et de l’inspection générale des finances. Les contrôles ont-ils été faits quand ils auraient dû l’être ? C’est la maladie française. On fait des lois pour camoufler l’absence d’action dans le cadre des lois précédentes. »
Regardons la question des exemptions des pratiques sportives. Ce n’est pas votre texte qui règle la faiblesse de la médecine scolaire, laquelle, par le retour dont elle bénéficie dans chaque établissement, pourrait, par le dialogue et un suivi réel, régler ces situations et bien d’autres.
Je ne supporte pas la stigmatisation dont sont victimes les millions de musulmans ou celles et ceux que l’on considère comme tels, qui habitent dans notre pays et dont la très grande majorité sont nos compatriotes.
Je ne supporte pas que, pour une minorité agissante, qu’il faut combattre – les communistes n’ont jamais failli à ce combat et l’ont trop souvent payé de leur vie dans des pays où les guerres civiles firent rage –, une part significative de notre peuple soit montrée du doigt.
Ma colère, monsieur le ministre de l’intérieur, est d’autant plus vive que ces femmes, premières victimes de tous les obscurantismes, et ces hommes sont souvent confrontés à de grandes difficultés sociales.
Je ne peux accepter ce que vous avez écrit dans votre livre à propos de ceux qui s’inquiéteraient d’une « xénophobie d’État », stigmatisant ceux « qui mêlent leurs voix et leurs protestations aux cris et aux actes de ceux qui attaquent la France » et qui seraient – je vous cite encore – « les complices des islamistes ».
Le jeu est dangereux, et c’est Emmanuel Macron qui le mène depuis des mois,… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Tabarot. Le temps est dépassé !
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. … en nourrissant un débat qui favorise le Front national. Mme Le Pen n’a pas besoin de parler, puisque le travail est fait pour elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 2 octobre dernier, le Président de la République a tenu un discours important sur la lutte contre les séparatismes. Le 16 octobre, soit quatorze jours plus tard, Samuel Paty était assassiné par un terroriste islamiste dans les rues près de son collège.
Ces circonstances nous obligent, et ce n’est pas, monsieur Grosperrin, nous référer béatement à un discours du Président de la République que de considérer que, le jour où le chef de l’État s’exprime sur un sujet aussi grave, il est important de l’entendre, de le lire et de nous demander quelles conséquences nous pouvons en tirer.
Dès lors, je vous le dis, je trouve inacceptable que vous ayez suggéré, lorsque vous avez répondu au président Patrick Kanner, que nous puissions être complaisants avec l’islamisme radical.
M. Jacques Grosperrin. C’est un fait.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comment peut-on affirmer une chose pareille alors que notre pays, ma ville, les Français ont connu, lors du quinquennat précédent, les attentats contre Charlie puis contre le Bataclan et que certains d’entre nous ont perdu des proches et des membres de leur famille ?
M. Jacques Grosperrin. Je parlais du PS !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Sans doute avez-vous été emporté par votre volonté d’exprimer une position très radicale, mais, comme plusieurs de nos collègues l’ont déclaré, ce débat est difficile, parce que nous ne partageons pas forcément la même conception. Cependant, nous devons garder une certaine hauteur, une certaine maîtrise (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.). Je souhaite, comme d’autres, vous y appeler, car les circonstances de l’assassinat de Samuel Paty nous obligent. (Mme Martine Filleul applaudit.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Pas de leçons !
Mme la présidente. Veuillez laisser l’oratrice poursuivre, mes chers collègues.
Le débat sera long : économisons-nous…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je vous rassure, monsieur Piednoir : j’essaie tout comme vous d’être à la hauteur !
M. Jacques Grosperrin. Pas de leçons, s’il vous plaît ! Pas vous !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour la gauche, la République doit être la République « jusqu’au bout », pour reprendre la formule de Jaurès, avec l’ordre républicain d’un côté et la promesse républicaine de l’autre. Notre groupe est fondamentalement attaché au respect des principes de la République et à leur protection. Nous saluons les femmes et les hommes qui la servent : fonctionnaires, militaires, enseignants, personnels soignants… Nous saluons tous ceux qui ont choisi de servir l’intérêt général.
Nous sommes attachés à la laïcité. Oui, nous sommes fidèles à l’héritage de Jaurès, de Briand ou de Ferdinand Buisson, à cette liberté de croire ou de ne pas croire. Et nous sommes attachés à la dignité humaine, contre toutes les pratiques indignes, en particulier contre les femmes.
Certains l’ont rappelé : séparer le combat laïque du combat social revient à se fourvoyer, avec le risque de perdre les deux, car, selon la fameuse formule de Jaurès, la République restera laïque parce qu’elle aura su être sociale.
D’ailleurs, lors de son discours des Mureaux, Emmanuel Macron a rappelé que la République était à la fois un ordre et une promesse, mais il a évoqué un « devoir d’espoir » et le besoin de « faire aimer la République » pour que chacun « puisse trouver sa place. » Or cette seconde partie du discours du Président de la République a disparu : dans ce projet de loi, on ne trouve pas un mot sur la mixité sociale, sur la discrimination en matière d’emploi ou de logement, sur l’accès aux services publics ou encore sur l’égalité des chances.
Or la République est une promesse : la promesse d’être intégré, de participer. C’est la promesse républicaine d’égalité et d’émancipation. Les élus locaux que nous sommes le savent bien. Nous savons que, si nous n’abordons pas ces sujets, le texte est totalement déséquilibré.
Or, dans ce texte, notre République est réduite à des règles, à des interdictions, à des motifs d’ordre public. Nous n’y retrouvons pas le pendant que constituent les droits, l’égalité, la solidarité et les principes de la République.
De toute évidence, on y trouve l’ordre, que le Président de la République a appelé de ses vœux. Pour les associations, les cultes, l’éducation, les fédérations sportives, le service public, ce texte prévoit obligations, contrôles, sanctions, comme cela a déjà été rappelé plusieurs fois. Étrange pour un projet de loi présenté comme un texte de libertés !
Celui-ci peut aussi s’avérer dangereux pour nos libertés, notamment au regard de son article 18, faux jumeau de l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui, monsieur le ministre de l’intérieur, créera une concurrence juridique qui rendra très complexe la poursuite des infractions. Je pense que le Gouvernement devrait y veiller.
Ce texte est aussi un texte de défiance, envers les croyants, les membres d’associations, l’école et, au final, tous les citoyens. Comme si chacun devenait suspect et allait se radicaliser…
Sur quelques points, nous partageons les dispositions de ce projet de loi.
Par exemple, nous souscrivons aux mesures permettant une meilleure protection des agents du service public ou à celles qui visent à améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes. L’interdiction des certificats de virginité, la lutte contre les mariages forcés ou la polygamie sont des combats que nous partageons évidemment et sur lesquels mes collègues Jacques-Bernard Magner et Jean-Pierre Sueur reviendront tout à l’heure.
Mais, comme vous l’aurez compris, nous ne nous satisfaisons pas de l’ensemble de ce projet.
En quoi pourra-t-il enrayer la fuite hors de la société de certains, le repli sur soi, l’entre-soi ? Pourrons-nous mieux vivre ensemble quand il sera voté ? Les Français seront-ils mieux protégés ? Allons-nous restaurer cette République, qui permet et promet tant ? Ces sujets auraient dû être abordés d’une main tremblante, comme le disait Montesquieu, car on ne peut sans conséquence modifier des textes fondateurs comme la loi de 1905 ni légiférer sur des questions aussi fondamentales.
Il est incontestable que, lors de la rédaction de ce texte, la main du Gouvernement n’a pas tremblé suffisamment. Aujourd’hui, au Sénat, nous devons appréhender ce texte comme il aurait dû être rédigé : comme un texte d’ordre, sans doute, mais aussi comme un texte de promesses, ce qu’il n’est pas.
Vous l’avez compris, nous n’approuvons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier. (Murmures sur plusieurs travées.)
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, « dans vingt ans, c’est sûr, la France sera une République islamique ».
M. Loïc Hervé. Ça commence bien…
M. Stéphane Ravier. Tel était le vœu exprimé en 1986 dans le Matin de Paris par un certain Hussein Moussaoui, l’un des chefs du Hezbollah libanais.
Si, trente-cinq ans plus tard, ce projet n’est pas achevé, force est de constater qu’il est en cours de réalisation, car ce ne sont pas moins de 150 quartiers en France qui sont aujourd’hui tenus par les islamistes.
Et ces quartiers ne se situent pas seulement dans le secteur nord de Marseille, dans la banlieue lyonnaise ou parisienne. On en trouve aussi à Annemasse (M. Loïc Hervé s’exclame.), à Lunel, à Oyonnax, à Nogent-le-Rotrou ou encore à Maubeuge, où le clair de lune a été remplacé par le croissant de lune islamique. Et ce n’est plus du tout la même chanson…
Pendant ce temps, votre gouvernement, messieurs les ministres, n’a toujours pas le courage de nommer le mal. Cette frilosité vous conduit à des contorsions sémantiques et législatives, qui ne sont pas sans conséquences sur les libertés publiques en général et sur les libertés des autres religions en particulier.
Faute de nommer l’ennemi, votre texte est liberticide pour ceux qui respectent la loi et largement insuffisant pour ceux qui la piétinent.
L’islam politique et ses soutiens, voilà l’ennemi ! Voilà la cible ! Or on ne retrouve pas une seule fois dans votre texte les termes « charia », « djihad », « islamisme » « mosquée », « voile », ni même, tabou parmi les tabous, « immigration ».
Et, puisque les choses doivent être dites, ce ne sont pas tant les valeurs de la République que les islamistes veulent abattre que la France : la France des terroirs et des clochers, la France enracinée, la France française !
Aujourd’hui, en France, 57 % des jeunes musulmans préfèrent l’application de la charia – la loi islamique – aux lois de la République. Plus d’un jeune musulman de France sur deux ne se reconnaît donc pas dans le modèle qui l’a vu naître. Ils n’ont que faire de votre vivre-ensemble ! Ils ne sont même plus dans la séparation : ils sont dans une volonté de conquête, exigeant que nous vivions comme eux.
Les métastases islamistes se sont répandues dans tout le corps national. Elles ont contaminé nos écoles, nos universités, nos médias, la culture, le sport et, même, nos hémicycles.
Et la majorité écrasante des terroristes sont des étrangers ou des produits issus de l’immigration. De fait, je n’aurai de cesse de le répéter, l’islamisme n’est pas une cause : c’est une conséquence de l’immigration massive.
Après avoir nommé le mal et identifié ses origines, sachons nous attaquer à ses soutiens de l’intérieur. Le poisson, y compris politique, pourrit toujours par la tête. Les islamistes savent pouvoir compter tant sur l’islamo-gauchisme que sur l’islamo-droitisme, le premier par idéologie antifrançaise et le second par électoralisme, lequel conduit nombre d’élus locaux à collaborer avec l’ennemi.
M. Pierre Laurent. Toujours dans la modération…
M. Stéphane Ravier. Pour obtenir 51 % des voix, comme d’autres voulaient trente deniers, on fait subir à la France, aux Français et à notre civilisation européenne un véritable calvaire. Le texte du Gouvernement est une occasion ratée de vacciner notre pays contre la pandémie islamiste.
Je vous engage dès lors, mes chers collègues, à soutenir les initiatives visant à lui donner toute la force et la détermination dont il a besoin.
L’avenir n’est jamais irrévocable : il sera ce que nous aurons décidé. Dans tous les cas, soyez assurés qu’il vous jugera !
M. Loïc Hervé. Nous attendons vos amendements !
Mme Éliane Assassi. Il ne sera pas là pour les défendre…
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi touche au principe constitutionnel de laïcité et à celui de la liberté. Il pose, en filigrane, une question centrale : face à la transformation de nos sociétés, où nous perdons de vue ce qui nous est commun au profit des droits individuels, comment concilier la liberté du citoyen et celle de l’individu ?
Un cadre juridique existe. Il est parfois paradoxal. L’article 1er de notre Constitution énonce que la République laïque respecte toutes les croyances.
La laïcité est le fruit d’un long débat. Elle résulte d’un compromis. La loi de 1905, vécue douloureusement, s’inscrit dans un contexte de lois antérieures antireligieuses. Elle a été voulue comme une loi d’équilibre, tenant compte de la réalité de la société française à cette époque. Un écart, parfois considérable, existe entre le principe recherché et la réalité.
La laïcité, telle qu’elle s’est construite, est une réalité historique, définie en fonction des situations et des problèmes rencontrés. Il en est ainsi aujourd’hui avec une religion qui, en France métropolitaine, n’existait pas au début du siècle dernier. Les acteurs du débat d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes, leurs références non plus. De même, la notion de laïcité peut ne pas recouvrir la même signification selon les générations. La méthode qui a présidé au début du siècle est celle de l’apaisement, pour « la liberté dans la diversité », comme le plaidait Clemenceau, et la République « cité des consciences autonomes », selon le philosophe Charles Renouvier.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, s’efforce à l’équilibre. Il le revendique.
L’islamisme politique et le salafisme se nourrissent de l’inorganisation de l’islam en France. C’est une part importante du sujet. Mais la loi ne peut contraindre une religion à s’organiser.
D’un côté, il nous faut lutter contre la propagation du séparatisme, contre la haine en ligne, pour la protection des services publics, pour l’incitation des cultes à intégrer le statut de la loi de 1905, et connaître leurs financements afin de s’assurer de l’absence de toute ingérence étrangère.
De l’autre, il ne faut pas attenter à la liberté de culte, à la liberté d’expression, à la liberté de religion, à la liberté d’association, avec pour seuls outils la loi égale pour tous, l’ordre public, les règles minimales de vie en société, l’intérêt public local, l’intérêt vital de la Nation.
La commission des lois a, je le crois, permis d’aller plus loin dans l’équilibre, jusqu’à ce matin. J’espère que ce mouvement sera constant. Je rejoins de nouveau Clemenceau, qui déclarait : « S’il devait y avoir un conflit entre la République et la liberté, c’est la République qui aurait tort. »
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Arnaud de Belenet. Concernant la neutralité des services publics, notre commission s’est montrée cohérente en étendant aux salariés participant à une mission de service public les mêmes obligations que les agents publics et a refusé leur extension aux élus au-delà de leurs fonctions d’agent de l’État.
Elle a amélioré le contrat d’engagement républicain, en transférant au préfet l’obligation d’informer les organismes qui concourent au financement d’une association s’étant vu retirer une subvention, alors que les députés avaient confié cette obligation aux élus locaux.
Elle a introduit le juge judiciaire dans la procédure de suspension des fonds de dotation par l’autorité administrative.
J’aurais souhaité, notamment avec Loïc Hervé, qu’il en soit de même dans le cadre de la procédure d’astreinte prévue à l’article 30.
M. Loïc Hervé. Nous y croyons encore !
M. Arnaud de Belenet. Concernant le respect des droits des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes, nous soutenons les articles qui interdisent la polygamie et qui prohibent et pénalisent la réalisation par des professionnels de la santé de certificats de virginité. De même, nous sommes favorables au dispositif de lutte contre l’excision.
La commission a fait œuvre utile concernant les mariages forcés ou viciés, en prévoyant que l’officier d’état civil puisse consulter une base de données nationale recensant l’ensemble des décisions d’opposition et de sursis à mariage. La commission de la culture a rétabli la liberté de l’instruction en famille et organisé son meilleur contrôle. Elle a donc fait le choix de la liberté et du contrôle plutôt que de l’interdiction et de l’exception autorisée.
La commission des lois a amélioré l’équilibre entre liberté de culte et nécessaire contrôle, notamment des financements, sans pénaliser les associations qui sont respectueuses des lois de la République.
Nous pouvons encore apaiser et améliorer l’équilibre et rendre plus attractif le cadre de la loi de 1905. Par exemple, pour rendre davantage autonomes les associations cultuelles dépourvues de financements étrangers, la commission a supprimé le plafond de 33 % que devaient représenter les ressources tirées d’un immeuble acquis à titre gratuit. Nous sommes nombreux à vouloir que les associations puissent également vivre de ressources issues d’immeubles acquis à titre onéreux.
Comme l’a souligné Philippe Bas, il est incompréhensible aujourd’hui que, en l’absence de toute capacité immobilière, les associations cultuelles puissent placer leurs trésoreries dans un portefeuille d’actions, mais qu’elles n’aient pas la possibilité d’acheter un immeuble.
De même, toujours dans un souci d’autonomie financière des associations cultuelles, nous avons, avec mes collègues, déposé un amendement visant à augmenter le plafond des dons en liquide pour l’aligner sur celui qu’a prévu le décret de 2015 concernant le paiement en espèces entre particuliers et professionnels.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Arnaud de Belenet. Enfin, s’agissant des dispositions relatives à la police des cultes, si la commission a approuvé le nouveau dispositif de fermeture administrative des lieux de culte en cas de provocation à la haine ou à la violence, elle a limité à trois mois la durée de cette fermeture. Ce dispositif est apparu disproportionné à certains, car il n’est pas assorti de garanties telles que le contrôle par le Parlement sur la base de rapports réguliers présentés au Sénat et à l’Assemblée nationale. Dès lors, il paraît attentatoire aux libertés publiques. Nous souhaitons le limiter dans le temps. C’est l’objet de l’amendement n° 584 rectifié ter.
Pour conclure, je citerai Locke, qui, dans sa Lettre sur la tolérance, en 1686, écrivait : « Il est d’une nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l’exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l’un et ceux de l’autre. Sans cela, il n’y aura jamais de fin aux disputes qui s’élèveront entre ceux qui s’intéressent, ou qui prétendent s’intéresser, d’un côté au salut des âmes, et de l’autre au bien de l’État. » Apaisons, équilibrons encore !
Mesdames les rapporteures, je salue votre travail et celui qu’il vous faudra encore réaliser dans les débats à venir. Apaisons, équilibrons encore, sans empêcher évidemment que la cible soit bien atteinte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte aurait pu porter le nom de Samuel Paty. Il aurait aussi pu porter le nom d’Arnaud Beltrame, auquel, par le hasard du calendrier, nous avons rendu hommage aux Invalides voilà trois ans presque jour pour jour.
Nombre d’entre nous ont formé le vœu, dans cette cour minérale des Invalides, que son courage soit aussi le courage de la France. En réalité, la seule question que nous ayons à nous poser pour jauger ce projet de loi et ses mesures est la suivante : le courage est-il au cœur du texte ?
Nous le savons, la situation est gravissime. Tous les sondages, toutes les études nous le démontrent. Aurons-nous le courage qu’impose la difficulté de la situation ?
J’aurais, monsieur le ministre, aimé répondre « oui ». Je dois à la vérité de dire que, si nous voterons certaines mesures, qui sont utiles, le vrai courage n’est pas au cœur de ce texte. Je vais vous le démontrer rapidement.
Le courage, pour moi, est d’aller au bout et au fond des choses.
Or vous n’allez pas au bout des choses quand vous vous arrêtez à mi-chemin sur la neutralité et sur la laïcité. Vous n’osez pas parler du voile. Dans notre histoire récente, des gouvernements ont fait un autre choix, et le temps leur a donné raison.
Mes chers collègues, qui s’oppose aujourd’hui à la loi de 2004 ou à celle de 2010 ? Très peu de personnes, si ce n’est, précisément, les islamistes ! Or on n’en parle pas.
Vous n’allez pas non plus au fond des choses. En réalité, le séparatisme islamiste ne vient pas de nulle part : il a été encouragé par le communautarisme, qui l’a lui-même été par une immigration massive dont on a perdu le contrôle, par la panne de l’intégration, mais aussi par notre renoncement à l’assimilation.
Assimiler, c’est l’inverse de séparer. Bien sûr, l’assimilation est une contrainte pour les nouveaux venus, mais c’est surtout une promesse pour la citoyenneté, pour la République française : la promesse donnée à chacun, quelles que soient sa couleur de peau ou sa confession, de devenir pleinement français.
Monsieur le ministre, citant l’immigration, vous avez déclaré voilà quelques jours dans un quotidien que vous auriez aimé que ce texte portât plus d’ambition. Chiche ! Nous serons à vos côtés pour vous aider à effacer ce regret s’il est sincère.
D’où vient ce manque d’ambition ? Du « en même temps », qui consiste à faire un peu, mais pas trop, et, souvent, à sembler faire tout en faisant semblant.
N’est-ce pas le Président de la République qui, en avril 2018, déclarait que le voile était contraire à la civilité de notre société ? Nous approuvons les mots, mais nous attendons les actes.
Ces hésitations s’expliquent peut-être également par la peur d’être traité d’islamophobe. Je sais que certains usent souvent de cette rhétorique, qu’il faut bien entendu dénoncer.
Mais du coup, pour éviter cette peur, ce texte bascule vers une contrainte à l’encontre de ceux qui ne font pas peur : les familles qui, honnêtement, élèvent, éduquent, instruisent leurs enfants à leur domicile.
Je ne pense pas que ce texte instaure un régime de liberté à l’égard des autres cultes. Il provoque même des dommages collatéraux : d’abord, à la laïcité – heureusement, notre commission des lois rééquilibrera un certain nombre de points pour faire en sorte que les cultes qui ne posent aucun problème à la République ne soient pas victimes collatérales.
Quelle drôle d’idée a eue le Président de la République de confier au CFCM (Conseil français du culte musulman) la création d’un institut pour les imams français ! C’est contraire à la définition que je me fais de la laïcité. On sait, depuis longtemps en réalité, que le CFCM est tiraillé entre un islam consulaire, sujet aux influences étrangères, et un islam « fréro-salafiste », radical et politisé. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, marque son approbation.) Et l’on voudrait leur confier la formation des imams ? Je pense que ce n’est pas raisonnable.
Autre dommage collatéral : celui qui est fait à la liberté de l’instruction, vieille liberté républicaine consacrée par Jules Ferry et par Clemenceau.
Puisque tout le monde cite aujourd’hui Clemenceau, le Vendéen, je voudrais apporter ma contribution. Le 17 novembre 1903, dans cet hémicycle, Clemenceau déclarait : « Parce que je suis l’ennemi du roi, de l’empereur et du pape, je suis l’ennemi de l’État omnipotent, souverain maître de l’humanité. » C’est qu’il choisissait bien évidemment la liberté, cher Arnaud de Belenet : depuis 1882, aucune République, aucun gouvernement n’a jamais touché à cette liberté de l’instruction, l’une des trois voies de la liberté de l’enseignement. Et aujourd’hui, monsieur le ministre, sans aucune preuve, sans aucune raison, vous allez la mettre à mal !
La situation dans laquelle nous sommes est grave, mais elle exige un meilleur ciblage. Le texte n’identifie pas notre adversaire, notre ennemi. Il a pourtant un nom : l’islam politique. Il a aussi sa propre loi : la charia – nous souhaitons d’ailleurs qu’il ne soit plus possible de prolonger les cartes de séjour des étrangers qui auraient professé des principes à l’inverse des principes républicains.
Cet ennemi a donc un nom, une loi, mais il a aussi un étendard : le voile – nous y reviendrons lors de l’examen de l’amendement de Max Brisson sur les sorties scolaires. Il a aussi des complices et même des « idiots utiles ». Je veux bien évidemment parler de cette grande internationale de l’islamo-gauchisme, du décolonialisme et d’autres sottises extrêmement dangereuses (Mme Éliane Assassi s’exclame.) dont l’UNEF est l’une des succursales en France. En voulant « raciser » les réunions, l’UNEF érige la race en critère de sélection. Or c’est justement l’inverse de la République française.
Puisque vous voulez lutter contre tous les séparatismes, monsieur le ministre, faites en sorte que le Gouvernement sursoie aux 400 000 ou 500 000 euros qu’il donne chaque année à l’UNEF. Le Gouvernement a nommé, la semaine dernière, un représentant de ce syndicat au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ce qui est totalement contradictoire : nous sommes encore dans le « en même temps » ! Lorsqu’il s’agit d’une situation aussi grave, d’un ennemi aussi radical, on ne peut pas faire dans la demi-mesure.
Enfin, cet ennemi a une histoire, une mémoire, un récit. Il voudrait ramener nos compatriotes français musulmans à l’islam des origines, au salaf. Quel récit, nous Républicains, nous Français, pouvons-nous opposer au récit des islamistes ? Car il va nous falloir reconquérir non seulement les territoires perdus dans la République, mais aussi les esprits et les cœurs perdus par la République. Nous n’y parviendrons pas en creusant le vide de la France, en désignant la France comme une éternelle coupable, comme un anti-modèle, comme un contre-exemple. Comment voulez-vous agréger ces jeunes générations à la France si vous la présentez comme peu estimable, comme toujours coupable du pire des crimes, celui contre l’humanité ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est grâce à l’épaisseur de notre culture, à la profondeur de notre civilisation et à la hauteur de notre message à la fois singulier et universel que nous parviendrons à agréger ces plus jeunes générations issues de l’immigration à notre destin national. Réaffirmer les principes de la République, oui ; faire aimer la France, c’est plus difficile, mais c’est fondamental ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, ce texte concrétise le programme de lutte contre les séparatismes dessiné par le Président de la République lors de son discours aux Mureaux.
Il porte des avancées importantes, nécessaires et attendues. En introduction aux débats, nous voudrions faire part de notre étonnement sur la motion qui a été déposée et selon laquelle il n’y aurait pas lieu de délibérer. Quelle surprise… Certaines prises de position de ces derniers jours nous rappellent pourtant qu’il y a urgemment besoin de débat en la matière, de débat auquel toutes les citoyennes et tous les citoyens peuvent participer dans une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Je consacrerai mon court propos au champ éducatif. Nous voterons l’article 1er bis, qui inclut dans la formation des enseignants et des personnels de l’éducation une formation au principe de laïcité.
Nous voterons le renforcement des contrôles sur les établissements d’enseignement privés hors contrat, le renforcement des sanctions à l’encontre des chefs d’établissement d’enseignement privés hors contrat méconnaissant des mises en demeure et la signature d’une charte des valeurs et principes républicains.
Nous proposerons, en outre, de rétablir l’article 21 – j’y reviendrai lors de nos échanges.
Nous voterons enfin pour plus de mixité sociale dans les écoles et, à défaut, pour la compensation, dans la continuité des prises de position de mon groupe lors des débats sur la loi pour une école de la confiance.
Oui, l’autorité déconcentrée doit travailler avec les établissements publics et privés sous contrat d’un même bassin de vie et avec les collectivités territoriales concernées pour améliorer la mixité sociale au sein de ces établissements.
Oui, la commission de concertation chargée d’examiner les contrats d’association doit veiller au développement de la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements privés sous contrat.
Oui, enfin, au transfert aux conseils départementaux des données sociales anonymisées des élèves relevant des établissements publics et privés de la circonscription.
Faisons toutefois attention, mes chers collègues, de ne pas participer à ce que j’appellerai un effet mikado, c’est-à-dire beaucoup parler pour finalement décevoir. Trop d’attentes ont été déçues ces trente dernières années. Alors que nous tirons continument la sonnette d’alarme sur les effets délétères des inégalités sociales en France et sur le manque de mixité dans les grandes zones urbaines et rurales, en particulier dans nos écoles, faisons preuve non seulement d’un grand volontarisme, mais aussi d’humilité au regard de l’état des lieux dressé au début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis la onzième à prendre la parole dans cette discussion générale sur un tel débat.
Nous avons quelque ancienneté sur ces questions. En 2014, j’ai demandé une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes avec mon collègue André Reichardt. Puis il y a eu la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte, qui a produit le rapport le plus sérieux et le plus complet à ce jour sur la situation de l’islam en France.
Ce texte comporte des dispositions tout à fait excellentes, notamment sur le contrôle financier des associations et sur l’alignement des statuts de 1901 et 1905. Le Sénat a d’ailleurs voté cette dernière disposition à plusieurs reprises : en 2016, tout comme l’Assemblée nationale, mais le Conseil constitutionnel, qui l’a considérée comme un cavalier, l’a censurée de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, puis en 2017, 2018, 2019… Nous avons fait preuve de constance. Je me félicite de ce qu’elle soit reprise dans votre texte, monsieur le ministre.
Le renforcement de Tracfin me semble également une excellente opération. À la suite d’un amendement brillant, la commission a adopté le contrôle des cagnottes en ligne, également demandé par Tracfin et retoqué plusieurs fois dans cet hémicycle.
Monsieur le ministre, j’ai envie de vous dire : combien de divisions ? Quels moyens allez-vous mettre en place pour effectuer les contrôles ? Les anciens ministres de l’économie et des finances n’ont cessé de réduire les effectifs consacrés aux missions de contrôle. On m’a soufflé dans l’oreillette que l’application des dispositions de l’article 14 A du livre des procédures fiscales serait plus que discrète.
Je comprends qu’on ne puisse pas contrôler toutes les associations, mais on pourrait essayer de trouver un dispositif intelligent pour labelliser les associations cultuelles qui profitent de ces dispositions extrêmement larges pour proposer des déductions fiscales alléchantes.
Beaucoup d’associations passent entre les mailles du filet. J’ai été menacée de mort pour avoir critiqué une association collectant des fonds pour l’armée israélienne. Que l’on collecte des fonds ne me pose aucun problème ; ce qui m’ennuie, c’est la déduction fiscale : pourquoi, en tant que citoyenne, devrais-je payer pour l’armée israélienne ? Je pense également aux dîners caritatifs animés par des salafistes bien connus qui profitent de déductions fiscales… Il faut que tout cela s’arrête. Les dispositions que vous proposez vont dans le bon sens. Il faut maintenant aller plus avant.
Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) nous a indiqué, lors des auditions, qu’il n’y avait pas de lien entre financement étranger des lieux de culte et financement du terrorisme. Je souhaite donc proposer non pas une mesure législative, mais un guide de bonne conduite des ambassades étrangères. Si l’on cherche à savoir ce que les ambassades financent, on peut le trouver.
Avec mon collègue André Reichardt, j’ai réinterrogé les ambassades étrangères que nous avions déjà sollicitées pour notre rapport de 2016. L’ambassade d’Arabie saoudite, par exemple, nous a communiqué une liste exhaustive des financements accordés en indiquant que les fonds avaient été transférés directement du compte de l’ambassade vers les entreprises qui ont effectué les travaux de construction sur rapport de l’architecte du projet.
Si l’on veut suivre les financements étrangers, c’est assez facile : il suffit de réunir les ambassades étrangères et de leur demander d’appliquer un guide de bonne conduite, comme celui de l’ambassade d’Arabie saoudite ou celui du Koweït. Cela permettrait d’en finir avec le fantasme d’une France abreuvée de pétrodollars.
M. Loïc Hervé. Très bonne idée !
Mme Nathalie Goulet. J’admets que l’affaire de Strasbourg arrive à point nommé. Nous savons tous que la version ottomane de la gestion du culte est un peu différente des autres… Toujours est-il que ces financements étrangers peuvent être contrôlés. J’approuve les mesures qui vont dans ce sens.
En ce qui concerne les moyens de financement du culte, il faudra renforcer les mesures autonomes. Je voudrais dire, monsieur le ministre, ma totale opposition à un financement par un prélèvement sur le hajj, car cela reviendrait à un financement assuré en partie par l’Arabie saoudite, soit l’opposé du but recherché. En revanche, revenir sur la redevance sur les produits halal me semble davantage d’actualité.
Je reprendrai les excellents propos du président Larcher retranscrits dans un non moins excellent guide, qui explique que l’État peut parfaitement aider le culte musulman sur plusieurs aspects : « il convient donc d’accompagner la communauté musulmane avec exigence, mais c’est d’abord à elle qu’il revient de s’organiser ». Les services de Bercy pourraient, par exemple, aider à monter la tuyauterie d’une redevance halal qui permettrait d’assurer l’indépendance financière du culte musulman en France. C’est cette même question et celle de l’ensemble des moyens qui a fait exploser en vol le CFCM voilà quelques jours.
Je conçois que ces dispositifs soient extrêmement difficiles à mettre en place, mais je crois, monsieur le ministre, que votre texte va vraiment dans le bon sens. Cela fait trop longtemps qu’une partie de cet hémicycle refuse certaines propositions. Je soutiendrai toutes ces mesures.
J’espère que le texte ne déviera pas trop au cours des débats. Nous ne pourrons pas voter certaines dispositions, mais, sous réserve de la façon dont le texte évoluera en séance, nous voterons ce projet de loi. (M. Michel Canevet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jacques-Bernard Magner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République est une belle idée, un bel idéal, celui d’une communauté nationale une et indivisible dans laquelle chacun a sa place, quelle que soit son origine, ses moyens, ses talents.
C’est la raison pour laquelle, comme le disait Montesquieu, et comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, il ne faut toucher aux lois, en particulier celles qui concernent la République, que d’une main tremblante.
Nous ne sommes pas sûrs que votre projet de loi respecte ces précautions élémentaires. Nous craignons que le texte qui sortira du Sénat n’aggrave encore ce sentiment.
Pourtant, plusieurs dispositions vont dans la bonne direction. Je pense à celles qui sont relatives au respect de la laïcité, si essentielle pour nous mais malheureusement trop souvent attaquée, et à celles qui confortent la neutralité du service public.
Nous approuvons aussi l’idée de mieux contrôler les financements étrangers des associations cultuelles, ainsi que le fonctionnement des établissements hors contrat.
Toutefois, des ambiguïtés subsistent dans votre projet de loi. Nous aurions aimé y trouver des mesures pour renforcer la mixité sociale à l’école, car c’est là que tout commence pour inculquer les principes de la République. Mais, depuis quatre ans, rien n’a été fait dans cette direction, alors que notre école, sur de nombreux plans, est porteuse de ségrégation et de séparatisme. Votre texte reste, hélas ! muet sur ce sujet.
Pour nous, l’instruction c’est d’abord à l’école de la République. L’école, c’est le creuset de la République où commence l’apprentissage de la citoyenneté, enrichie par la mixité sociale et le vivre-ensemble. C’est non seulement à l’école que commence à se construire la communauté nationale, mais aussi grâce aux activités associatives, pendant les temps périscolaires, et dans les colonies de vacances, trop peu soutenues aujourd’hui pour que les enfants de ce pays apprennent à se connaître, à se respecter et à vivre ensemble.
Ce n’est pas la création d’un service national universel, coûteux et inutile, qui résoudra la question de la formation citoyenne des jeunes. Certes, par l’article 21, vous souhaitez resserrer les contraintes sur l’instruction en famille pour que les enfants qui en auraient été éloignés retrouvent l’école de la République. Mais, parallèlement, vous encouragez leur inscription dans des établissements privés hors contrat, auxquels votre texte n’impose pas le même régime d’autorisation qu’à l’instruction en famille. N’est-ce pas incohérent ?
La droite sénatoriale ayant supprimé cet article 21 en commission, le groupe socialiste va soutenir le Gouvernement. Nous proposerons de rétablir cet article, que nous améliorerons.
En contrepartie, nous attendons votre soutien pour enfin légiférer sérieusement sur la création des établissements d’enseignement scolaire privés hors contrat, en exigeant l’autorisation préalable de l’État et du maire avant toute ouverture, par simple cohérence et parallélisme des formes avec votre article 21 originel.
Monsieur le ministre, l’engagement associatif sous toutes ses formes est sans aucun doute l’un des piliers les plus authentiques de la démocratie et l’un des exercices les plus aboutis de la citoyenneté.
Par l’article 6 de votre projet de loi, vous souhaitez mettre en place un contrat d’engagement républicain, qui reste flou et dont l’utilité est tout à fait discutable. Il nous semble plus opportun de reconnaître dans la loi la « charte des engagements réciproques », qui remplit déjà ce rôle contractuel depuis 2001. Pourquoi voulez-vous encore corseter un monde associatif fragilisé et en souffrance par des contraintes inadaptées et contraires à l’esprit de la loi de 1901 ?
Quant à l’article 8, il fait peser de nouvelles responsabilités écrasantes et injustes sur les épaules des dirigeants associatifs, et notamment les jeunes, au motif qu’un comportement inadapté d’un membre pénaliserait l’association tout entière, ainsi que ses dirigeants. Les associations s’en inquiètent. Il me semble que la réglementation actuelle permet déjà d’intervenir.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serons attentifs au sort réservé aux amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est une mosaïque. On y traite de l’héritage, de la polygamie, des mariages forcés, des imams détachés, du droit d’association, des certificats de virginité, des réseaux sociaux, de l’école à la maison, de la liberté du culte et de beaucoup d’autres questions. Je félicite nos rapporteures d’en être venues à bout et d’avoir même réussi à l’enrichir.
Beaucoup de mesures parmi celles que le Gouvernement propose méritent d’être retenues. Leur convergence peut donner sens à ce projet de loi, sans qu’il soit nécessaire de lui prêter une portée qu’il ne saurait avoir.
L’approche retenue n’est pas gage de lisibilité. De nombreux régimes juridiques vont ainsi être revus à l’aune de la lutte contre l’islamisme radical, en impactant des pratiques profondément ancrées dans notre vie sociale, qui ne sont nullement blâmables et qui, pour certaines d’entre elles, comme celles qui se rattachent à la liberté d’association, ont une valeur civique qui les rend dignes d’être encouragées et non entravées.
Ce texte va créer des formalités, des obligations, des contrôles, des restrictions. Il nous est demandé de faire accepter aux Français le sacrifice d’une part de liberté au nom du combat, salutaire, contre l’islamisme radical. Cela ne peut se faire de gaieté de cœur, même si la cause est juste.
Pour en arriver là, le Gouvernement invoque un argument qui ressemble à une excuse : à cause du principe d’égalité, on ne peut faire une loi sur l’islam et ses associations. Il faudrait donc, selon lui, faire une loi sur tous les cultes et sur toutes les associations.
Cette approche me paraît contestable. Nous n’avons pas plus besoin d’une loi sur l’islam que d’une loi sur la religion en général pour faire reculer l’islamisme : ce combat est en effet un combat politique…
M. Loïc Hervé. Tout à fait !
M. Philippe Bas. … et non religieux. Ce que nous appelons police des cultes n’est pas une police des croyances – elles sont libres ! –, c’est la police de la séparation du politique et du religieux voulue par la loi de 1905, dont les principes et les règles demeurent d’actualité.
Toute assimilation entre chrétiens d’hier et islamistes d’aujourd’hui serait historiquement fausse, chère Dominique Vérien. Ce que la République doit viser, ce sont les dérives dogmatiques d’un segment dévoyé de l’islam qui conteste nos lois et notre Constitution. Il s’agit de menées idéologiques.
Nous avons voulu, au Sénat, les tenir en échec par la reconnaissance d’un nouveau principe constitutionnel applicable à l’ensemble des situations dans lesquelles les salafistes avancent leurs pions : à l’école, à l’hôpital, dans les centres sportifs et culturels et les associations, sur les lieux de travail, dans la vie en société… Vous ne l’avez pas voulu. Vous avez eu tort ; nous n’y avons pas renoncé.
S’agissant des cultes, nous avons déjà des moyens d’action importants, qu’il n’est pas interdit de consolider : fermeture de mosquées, expulsion d’imams étrangers, condamnation des incitations à la haine, pénalisation de toute mise en cause de la loi par un ministre du culte… Tout ce qui va dans ce sens peut aisément être approuvé.
Toutefois, au cours des dernières années, le Gouvernement ne semble pas avoir essayé de mettre en œuvre les sanctions de la loi de 1905, qui permettent de punir l’intrusion d’imams dans le champ politique : point de volonté gouvernementale, point de consignes aux préfets ni aux procureurs. La justice n’est jamais saisie. La loi paraît oubliée de ceux-là mêmes qui sont en charge de l’appliquer : sans volonté politique, à quoi servirait-il de la changer ?
Le Sénat a, de longue date, sonné l’alarme devant les progrès du salafisme, qui portent atteinte à l’unité de la Nation. Toute complaisance à son égard relève d’une forme de complicité. Ce projet de loi risque pourtant de n’être qu’un tigre de papier, car on n’arrête pas les idéologies par des barrières bureaucratiques ou budgétaires.
Les valeureux agents de nos préfectures et de nos directions des finances publiques dépouilleront avec un soin méticuleux les déclarations des cultes. Mais quoi de plus facile que de respecter les formes et les déclarations d’intention qu’exigent les articles les plus naïfs de ce texte ? Il y aura plus de contraintes pour ceux qui inscriront leur action dans le cadre légal et plus d’hypocrisie ou de clandestinité pour les autres.
Régir les lieux de culte et leurs abords est une chose, mais le champ d’action des islamistes radicaux ne s’arrête pas là : il s’étend à la rue, aux associations, aux réseaux sociaux et aux lieux d’habitation.
Pour tout dire, monsieur le ministre, je ne crois pas à l’efficacité globale de votre texte. J’admets qu’il marque une certaine prise de conscience de la gravité des forces centrifuges qui menacent notre nation. Il constitue, à ce titre, un tournant dans la politique du Gouvernement. Le Président de la République paraît être enfin passé de l’éloge du multiculturalisme à une vision plus exacte des menaces qui pèsent sur le vivre-ensemble.
C’est un premier pas. Malgré les défauts de conception de ce projet de loi, nous pourrions vous laisser votre chance si vous acceptiez nos principaux amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut revenir à l’essentiel. Et l’essentiel, ce sont trois principes – mon propos reprendra certains points développés par l’orateur précédent.
Premier principe : la liberté de culte. Elle est totale en France. La laïcité garantit la liberté d’exercice des cultes.
Deuxième principe : l’État n’organise pas les cultes. Il n’a pas vocation à le faire. Or, dans bien des articles de ce projet de loi, l’État, d’une certaine manière, organise les cultes.
Troisième principe : l’État fait respecter la loi de la République. Chaque fois que la loi de la République est bafouée dans l’exercice d’un culte, il doit intervenir et faire respecter la loi. Si des propos racistes sont tenus dans un lieu de culte – le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit –, l’État doit intervenir et appeler à des sanctions.
Si l’on respecte ces trois principes, on y voit clair.
Qu’apporte ce texte au regard de ces mêmes principes ? En quoi permet-il d’avancer vers l’objectif annoncé ? Nous sommes tous d’accord pour lutter contre le salafisme radical, l’islamisme radical, l’islamisme tout court, le djihadisme violent… Mais en quoi toutes ces mesures, qui vont engendrer des difficultés pour les associations et les cultes – nous avons entendu les représentants de tous les cultes, notamment ceux du culte protestant –, vont-elles avoir un quelconque effet sur ces jeunes et ces moins jeunes qui se radicalisent, qui se détournent de la République, de la morale, du respect de l’être humain ? Là est la question.
Voilà pourquoi nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Nous sommes en effet persuadés que vous n’avez pas choisi les bonnes voies.
Par ailleurs, êtes-vous sûr, monsieur le ministre, que, en accroissant les contraintes sur la loi de 1905, vous ferez que ceux qui sont régis par la loi de 1901 désirent s’inscrire dans ce cadre ? Pour ma part, je n’en suis pas du tout sûr.
La vraie question, c’est la vie dans les quartiers, vous l’avez dit. Voilà très longtemps, j’ai rédigé un rapport intitulé Demain, la ville appelant à tout refaire entièrement. Il existe en effet des endroits où tout est à refaire, où la République est à reconquérir. Nous pouvons parler du passé – d’hier, d’avant-hier ou encore d’avant –, j’y suis prêt. Il n’en demeure pas moins que le vrai problème est là.
J’habite dans un quartier périphérique d’une grande ville de France ; je vois les gamins, dans la rue, dès seize heures trente. L’emprise de l’école s’est réduite au profit d’influences de toutes sortes, qui ne sont certes pas républicaines. Il faut reconquérir ! Nous appelons à cette reconquête.
Nous allons donc nous nous battre, monsieur le ministre, sur ces principes clairs, afin de faire avancer véritablement les choses. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi examinons-nous ce texte aujourd’hui, qu’on soit d’ailleurs d’accord ou pas sur ses finalités ou sur celles des amendements ? Parce que, tout le monde en est conscient, à force de coups de canif, à force de coups de poignard, les Français se demandent s’il y a encore une République dans ce pays, si elle est encore respectée, si elle a conservé le sens que lui donnaient ses fondateurs.
La République n’est ni de gauche ni de droite. Que ce soit dans le discours à la jeunesse de Jaurès, dans À l’Échelle humaine de Blum, dans Mémoires d’espoir du général de Gaulle, dans Au soir de la pensée de Clemenceau, la République est toujours définie de la même manière : elle est au-dessus de tous les éléments communautaires, de toutes les croyances, de toutes les divisions. La République française n’est pas un agrégat de communautés comme les pays anglo-saxons. Elle est fondée sur l’unité de la Nation et sur la notion de creuset, vieille de cent cinquante ans. Il faut vouloir entrer dans la Nation et y participer pour être Français. Certes, on peut contester ou critiquer les gouvernements, mais critiquer le principe républicain, c’est critiquer le principe national.
Où allons-nous depuis quelques années ? Nous le savons bien, monsieur le ministre. On voit bien les coups de canif, l’acceptation d’éléments particuliers. Ici, on dit qu’on ne peut pas enseigner la Shoah : coup de canif contre la République ! Là, on dit que la foi est au-dessus de la loi : coup de canif contre la République. ! Ailleurs, on dit qu’on doit pouvoir porter le burkini dans telle ou telle piscine : coup de canif contre la République ! Ailleurs encore, on dit qu’il faut des horaires séparés pour les hommes et les femmes : coup de canif contre la République !
Le problème, ce n’est pas qu’il y ait un coup de canif – on peut penser à un problème passager qui sera réglé –, c’est l’accumulation et la force de ces coups de canif contre la République qui remettent en cause l’adhésion à la République et la force de la République. Or si la République ne doit être ni de gauche ni de droite, elle doit être respectée par tous.
Monsieur le ministre, ce texte, revu par la commission des lois, va dans le bon sens. Nous défendrons bien sûr des amendements. Je me prêterai moi-même à l’exercice, même si j’ai bien compris que la plupart ne seraient pas adoptés…
M. Loïc Hervé. Certains sont très bien !
M. Roger Karoutchi. Je vous remercie, monsieur Hervé, de faire remarquer que vous êtes là…
Pouvons-nous avoir une République incontestée dans notre pays ? Incontestée, cela ne veut pas dire que tout le monde doit avoir la même opinion, la même religion ou la même organisation. Notre pays a toujours connu – heureusement ! – des débats démocratiques entre les communistes, les gaullistes, les socialistes, les libéraux et les centristes. L’essentiel portait sur les problèmes sociaux, économiques, sociétaux. Les problèmes d’adhésion à la République, valeur universelle, n’étaient pas centraux. La notion de Nation était partagée par tous. Le cœur des débats portait sur des notions écologistes, socialistes ou communistes et sur la question des inégalités. Il n’y avait pas de combat concernant les notions mêmes de Nation et de République.
Aujourd’hui, au-delà du séparatisme musulman ou plutôt islamiste, l’opinion publique doute. Participez à toutes les réunions organisées avec nos concitoyens ! Vous verrez qu’ils ne croient plus vraiment ni à l’autorité de l’État, ni aux engagements publics, ni à la parole publique, ni à l’action du Parlement, des élus ou de l’État.
La remise en cause constante et régulière de la République et de l’État pose problème, sans compter qu’il existe un doute grandissant sur l’avenir de la Nation et de la France. La notion même d’une identité française du XXIe siècle est remise en cause. Il y a là un cocktail explosif de critiques et de mises en doute de la République. C’est pourquoi notre régime peut devenir fragile.
Je pèse mes mots. Je considère que l’accumulation des coups de canif remet gravement en cause la stabilité de la République et sa durée. Que personne ne s’illusionne, aucun régime politique n’est éternel ! Si nous ne la défendons pas, la République ne tiendra pas face aux coups de boutoir de ses ennemis.
Quelles que soient leurs appartenances politiques, le Gouvernement et le Parlement ont une mission première, qui est la défense de la République. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur les articles concernant l’école.
Oui, c’est un fait, les tentations séparatistes pénètrent la République en son cœur le plus sacré, l’école, laquelle constitue de moins en moins l’asile inviolable espéré par Jean Zay !
Oui, c’est un fait, les tentations séparatistes menacent l’éducation de la jeunesse de France !
Je pense bien entendu à l’existence d’enfants « hors radars » de l’obligation d’instruction, qui ne sont ni ceux de l’école publique ou privée ni ceux de l’instruction en famille, lesquels sont parfaitement connus, identifiés, déclarés et recensés. Je pense bien aux écoles de fait, ces établissements clandestins qui se développent, sans même avoir besoin d’utiliser le faux nez de l’instruction en famille. Je pense aussi aux pressions auxquelles sont confrontés enseignants et chefs d’établissement au cœur même de l’école publique, où l’islamisme déstabilise les professeurs et les enseignements, la vie scolaire et la vie périscolaire et même le vivre-ensemble entre les garçons et les filles.
Ce projet de loi apporte-t-il des réponses ? Malheureusement, en matière d’éducation, le faisceau républicain rate la cible du séparatisme, tout en se retournant paradoxalement contre l’un de ses piliers : la liberté d’enseignement. Or, dès le 15 janvier 1850, Victor Hugo, déclarait : « À côté de cette magnifique instruction gratuite, […], je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses ; la liberté d’enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’État pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’État pour contrepoids. »
Monsieur le ministre, l’article 21 de votre projet de loi symbolise bien ce pouvoir inquiet de l’État. Ainsi, vous n’hésitez pas à jeter par-dessus bord la liberté d’enseignement, en créant un régime d’autorisation.
Alors même que vous avez été incapable, au-delà des cas d’espèce, d’étayer le moindre corollaire entre instruction en famille et menaces séparatistes, alors que ni l’ampleur du phénomène ni les dérives ou les infractions au dispositif ne justifient le recul d’une liberté fondamentale, la liberté de choix des parents devient, avec ce texte, un motif de suspicion de séparatisme. Avant tout acte, les parents sont présumés coupables de ne pas poursuivre l’intérêt supérieur de leurs propres enfants, et la puissance publique est jugée seule apte à le définir. Nous passons bien d’un contrôle a posteriori, que je ne discute pas, à un contrôle sociétal a priori de l’intention et de la motivation même des parents.
Aussi notre commission a-t-elle eu la sagesse de supprimer l’article 21, tout en introduisant un certain nombre d’éléments permettant de renforcer les contrôles en cas de doute sérieux. Notre commission a ainsi rappelé avec force que la liberté de choix des parents ne peut être aliénée a priori. Elle a aussi rappelé avec force que les parents sont les premiers et les ultimes éducateurs de leurs enfants. Elle a surtout rappelé que la coexistence de propositions éducatives variées est le signe d’une société démocratique plurielle, respectueuse de la diversité, laquelle n’exclut pas la concorde nationale.
Mes chers collègues, à rebours du « pouvoir inquiet de l’État », je souhaite que l’examen de ce texte soit l’occasion de changer de paradigme pour mieux contrôler ce qui doit l’être, sans faire peser sur les familles qui ne font pas le choix de l’école publique une insupportable présomption de culpabilité.
Si nous devons mieux armer l’école publique et ses « hussards noirs », en améliorant leur formation ou en rompant avec la culture du « pas de vagues », si nous devons nous mobiliser pour que l’instruction publique demeure un contrepoids et redevienne porteuse de promesses et d’avenir pour les enfants de ce pays, ce n’est pas en se reniant et en se comportant en État inquiet que la République luttera contre le séparatisme. Car s’il devait y avoir, comme le proclamait Clemenceau, un conflit entre la République et la liberté, c’est bien la République qui aurait tort.
M. Loïc Hervé. Très bien ! Très belle citation !
M. Max Brisson. C’est au contraire en réaffirmant son attachement viscéral à nos libertés fondamentales et, parmi elles, à la liberté d’enseignement « pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés », que la République puisera sa plus haute force. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je veux remercier les nombreux orateurs qui sont intervenus. J’ai entendu des positions parfois contradictoires. J’ai même perçu des différences au sein des groupes, ce qui est bien naturel face à un texte qui ne trace pas des lignes d’opposition traditionnelles. Ce sera le sel de notre débat. Cela montre aussi une envie collective d’aboutir au meilleur texte possible pour l’État, la République et, donc, l’intérêt général.
Je me permettrai de souligner quelques points qui seront sans doute récurrents lors de l’examen des amendements. Je le rappelle, sur les quelque 600 amendements déposés sur ce texte, moins d’une trentaine est d’origine gouvernementale, ce qui témoigne de mon respect pour le travail du Parlement. Je veux évoquer ces points, afin que tout soit clair entre nous s’agissant de ce que le Gouvernement souhaite faire. Nous pourrons ainsi assumer nos éventuelles divergences sur le fond.
D’abord, j’évoquerai l’importante question – tous les groupes politiques en ont parlé – de la maladie qui touche une grande religion, laquelle, selon moi, est parfaitement compatible avec la République, comme le pense certainement d’ailleurs la quasi-intégralité de l’hémicycle.
Ses pratiquants n’ont pas à montrer leur attachement profond à la République ni leur sentiment patriotique. Je pense bien évidemment aux soldats de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, aux harkis et à tous ceux qui se sont engagés comme patriotes dans la police, la gendarmerie, l’armée ou le service public. En tant que Français, ils n’ont pas à rougir de leur religion. On peut prier Allah et être un parfait républicain. Je le rappelle, les territoires d’Algérie ont été français avant certains territoires représentés ici. À l’Assemblée nationale, le Bachagha Boualem, en tenue traditionnelle musulmane, faisait ses prières à l’hôtel de Lassay. Michel Debré était alors Premier ministre. Jadis, cela ne choquait personne.
Cela étant, il est évident que cette question n’est pas uniquement nationale. Elle touche l’intégralité du monde contemporain par sa profondeur. Chacun sait les difficultés des écoles sunnites à se mettre d’accord sur un islam que nous appellerons un islam des familles, celui qui se pratique le plus parmi nos concitoyens. Cet islam est parfois accaparé par une minorité agissante, les islamistes, qui opèrent une véritable OPA, notamment sur internet. La France est considérée comme une lumière, qui pourrait permettre à cet islam de la raison de faire gagner Avicenne et Averroès.
Il s’agit d’un phénomène mondial, que nous subissons comme tous les pays occidentaux et comme tous les pays musulmans. Les premières victimes de l’islamisme sont les musulmans et les pays musulmans. Partout où les islamistes ont été aux responsabilités, cela s’est terminé par la pauvreté, la misère, la guerre et les atrocités.
Je le répète, la situation n’est pas uniquement française. Ainsi, le projet de loi déposé par le Gouvernement n’a pas vocation à résoudre l’intégralité des difficultés rencontrées par une grande religion confrontée à une crise très importante. Nous devons simplement l’aider, à notre échelle.
J’évoquerai maintenant un deuxième point, qui fait l’objet de quelques erreurs ou incompréhension, notamment de la part de MM. Bas et Retailleau.
Monsieur Bas, pour ce qui concerne les mesures proposées, vous avez regretté une sorte d’inventaire à la Prévert, même si vous n’avez pas utilisé cette expression. Si, comme le dit le beau proverbe africain, il faut tout un village pour éduquer un enfant, il faut de nombreuses politiques publiques pour enrayer un islamiste, un séparatisme diffus ayant revêtu un visage très respectable en de nombreux lieux. J’assume donc le patchwork que vous évoquez, si vous me permettez d’utiliser ce mot.
Lorsque vous dites que le texte traite des imams détachés, vous avez tort. Il n’est défini nulle part ce qu’est un ministre du culte. La loi n’a d’ailleurs pas à le définir. Le culte n’est pas non plus défini en droit français, car il ne relève pas de l’autorité de l’État de le faire. Il existe des milliers de cultes. La République n’a pas à les reconnaître en tant que cultes. Elle doit simplement vérifier qu’ils sont en conformité avec les dispositions prévues par le législateur. En effet, pour l’État français, la religion est une opinion.
S’agissant des imams détachés, le Président de la République a pris, bien avant le dépôt de ce projet de loi, une mesure extrêmement forte, en décidant de mettre fin, en 2023, à l’enseignement de la religion dans nos lieux de culte par des fonctionnaires payés par des États étrangers, en l’occurrence des pays du Maghreb ou la Turquie. Cette mesure importante signifie la fin de l’islam des consulats et des ambassades, conformément à l’idée première que nous avons imposée aux protestants, aux catholiques et aux juifs, selon laquelle les affaires religieuses ne concernent que les Français.
Pour nous, il n’y a pas de musulmans d’origine algérienne, tunisienne ou marocaine qui devraient rendre des comptes à je ne sais quel gouvernement gérant je ne sais quelle diaspora, qu’elle soit financière ou électorale. Cette question fait d’ailleurs l’objet de mon courroux vis-à-vis de la mairie de Strasbourg : nous ne devons pas dépendre d’un État étranger pour gérer les affaires religieuses françaises. Si nous affirmions le contraire, nous accepterions que les musulmans ne soient pas pleinement français, puisqu’ils dépendraient d’une autre autorité. Songez à la sécularisation de l’Église de France : si elle reconnaît Rome, elle est détachée de la papauté depuis Philippe le Bel. En France, la religion est une affaire française.
La situation des imams détachés crée une difficulté qui rend ce texte absolument nécessaire. En effet, si nous ne voulons pas instaurer un financement public, si nous ne voulons pas revenir sur le grand principe de non-subventionnement de la loi de 1905, qui n’a pourtant pas été consacré par le Conseil constitutionnel, et si nous ne voulons pas de financements étrangers, il nous faut trouver une source de financement nationale qui ne soit pas publique. C’est ce qui explique les mesures sur les immeubles de rapport et les dispositions extrêmement fortes permettant aux associations de passer du régime de la loi de 1901 à celui de la loi de 1905.
À mon avis, vous vous trompez, monsieur Sueur, en pensant que ces structures n’auront pas intérêt à passer sous le régime de la loi de 1905. En effet, elles bénéficieront ainsi du denier du culte musulman, que ne peuvent percevoir 92 % des associations culturelles musulmanes, et ce en inégalité totale avec ce qui se passe pour nos compatriotes juifs, protestants ou catholiques. Elles pourront également ne pas payer la taxe foncière et bénéficier d’une responsabilité juridique spécifique, grâce à la séparation du cultuel et du culturel.
Monsieur Retailleau, j’ai eu du mal à comprendre votre intervention sur le Conseil national des imams. Selon vous, c’est une drôle d’idée que de demander aux musulmans de s’organiser eux-mêmes.
M. Bruno Retailleau. De le demander au CFCM !
M. Bruno Retailleau. On en reparlera !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous aurez l’occasion de le voir, l’État prend des initiatives extrêmement fortes pour permettre l’organisation des musulmans en France.
Soyons très clairs : si le CFCM ne le fait pas, si l’État ne le fait pas, conformément au principe de séparation des Églises et de l’État, il faudra bien que quelqu’un le fasse !
Le CFCM, imaginé et créé par le Président Sarkozy, possède quelques inconvénients, notamment celui de la représentation de l’islam consulaire. Mais il présente également certains avantages : il incarne, pour la première fois, un semblant d’organisation, après les tentatives avortées de Jean-Pierre Chevènement. Certes, cette instance représentative des musulmans est imparfaite. Chacun le sait, il n’y a pas de clergé dans l’islam sunnite. Là se trouve la grande difficulté à laquelle le ministre de l’intérieur est confronté depuis toujours.
Ce conseil national des imams sélectionnera des responsables religieux, ce qui est essentiel. Pour le moment, cela doit bien évidemment passer par le CFCM.
Ma grande difficulté, c’est que, lorsque je discute avec les responsables des musulmans de France, je parle avec des présidents d’association qui ne représentent pas le dogme religieux. À l’inverse, lorsque je discute avec le président du Consistoire, je discute avec un grand rabbin qui peut engager le dogme de sa religion, et ce depuis Napoléon et ses douze questions. Quand je discute avec le président de la Conférence des évêques de France, je discute avec un religieux qui peut parler au nom de sa religion. Lorsque je discute avec le président de la Fédération protestante, je discute avec un pasteur. Il s’agit donc de créer un échange permettant d’engager la voix des musulmans de France. C’est évidemment la grande règle qui permettra – je sais que vous en êtes d’accord – la sécularisation. Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler.
Monsieur Brisson, sur les questions d’éducation, je regrette profondément la position de la commission et d’une partie du Sénat. Je n’agis ni par idéologie ni par envie de refuser une liberté à mes compatriotes. M’appuyant sur mon expérience personnelle, je m’étonne du débat sur le bien-fondé de l’article 21 de ce projet de loi. J’ai trop vu, dans ma commune, la déscolarisation d’un grand nombre de petites filles.
Le maire ne dispose pas d’un fichier recensant les habitants de sa commune.
M. André Reichardt. C’est dommage !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certains peuvent le regretter sur le côté droit de l’hémicycle, mais le fait est que nous n’avons pas le fichier des habitants de la commune que nous administrons. Nous avons le fichier des électeurs, à savoir des Français ou des citoyens communautaires ayant plus de 18 ans.
Chacun est dans l’obligation légale d’inscrire ses enfants à l’école. Or il n’est pas possible de consulter les fichiers sociaux, pour connaître ceux qui vivent dans le parc HLM, ceux qui touchent des prestations sociales ou ceux qui perçoivent un certain nombre d’indemnités. Lorsque le maire inscrit les enfants à l’école, avec l’aide des services municipaux, il ne peut savoir qui n’est pas inscrit. J’ai découvert, quand j’étais maire – je suis sûr que c’est arrivé à chacune et chacun d’entre vous dans les territoires les plus compliqués –, des petits fantômes de la République.
En 2019, sur les 50 000 enfants qui étaient instruits en famille, 25 000 l’étaient pour des raisons médicales. J’en conviens avec vous, l’immense majorité des familles éduquant leurs enfants le font en corrélation avec les valeurs de la République. Personnellement, je pense qu’il n’est jamais mauvais qu’un enfant aille à l’école. M. Karoutchi évoquait les piliers de la République. À coup sûr, l’école en fait partie.
Je peux en témoigner, aujourd’hui encore, de nombreux parents déscolarisent leur enfant pour des motifs de radicalisation. Ce serait être aveugle que de ne pas le voir. À Marseille, en une année, on est passé de 650 enfants déscolarisés à 1 250. Je n’évoquerai pas la sociologie des quartiers les plus concernés : ce ne sont pas ceux qui ont des écoles privées sous contrat ou des écoles publiques de qualité.
M. Ravier, dans le cadre de propos tout à fait excessifs, évoquait ces quartiers sous emprise. Presque toutes les semaines, je fais fermer, avec le ministre de l’éducation nationale, des écoles hors contrat. À l’intérieur de ces écoles hors contrat non déclarées, la quasi-intégralité des enfants est inscrite à l’instruction en famille. Des petites filles y portent le hidjab à 3 ans, on y cache la photo des animaux, on y apprend l’arabe dès 3 ans sur des versets du Coran, dans des pièces sans fenêtre. Nous fermons ces écoles en vertu soit de mesures sanitaires, soit de règles relatives aux ERP.
Le Gouvernement n’a jamais voulu renoncer à la liberté d’enseignement en famille. Toutefois, le régime de déclaration, je vous le dis comme je le pense, ne permettra pas de régler les cas que je viens d’évoquer. En effet, la déclaration concerne les gens honnêtes. Si certaines personnes réussissent à ne pas payer d’impôt au cours de leur vie, c’est parce qu’elles bénéficient d’un régime déclaratif. Le meilleur moyen de ne pas être contrôlé, c’est de ne pas déclarer. Le régime d’autorisation obligatoire permet le contrôle, tout comme l’impôt à la source permet d’éviter que certains échappent à l’impôt. Une partie de notre droit français se fonde sur la déclaration, qui peut être considérée comme un système un peu naïf. Nous devons, tout en respectant la liberté d’enseignement de la famille, permettre une autorisation ou au moins une inscription obligatoire d’instruction en famille. Si nous voulons lutter contre la radicalisation, c’est extrêmement important.
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. Bien évidemment, nous pourrons travailler avec le Sénat sur ce sujet. Telle est d’ailleurs la position du ministre de l’éducation nationale. Mais nous devons rétablir un article 21, sous une forme ou une autre. Je le crois profondément, une partie de plus en plus importante de nos quartiers utilise, malheureusement, l’instruction en famille pour obéir à des motifs bien moins nobles que ceux que vous avez évoqués dans la discussion générale.
Monsieur Sueur, sur la question de l’organisation des cultes, vous m’avez demandé ce que cela pourrait bien changer. Votre interrogation est légitime.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire du fait que 92 % des lieux de culte musulmans restent placés sous le régime de la loi de 1901. La volonté gouvernementale était de rendre obligatoire, sous cinq ans, le passage du régime de la loi de 1901 à celui de la loi de 1905. Le Conseil d’État, dans un avis extrêmement détaillé, qui appuie d’ailleurs fortement le projet de loi, chose rare pour un texte de cette nature, a indiqué que ce ne serait pas constitutionnel. Or mon travail, en tant que ministre de l’intérieur, ne consiste pas à faire des rodomontades pour, en définitive, voir le texte être censuré par le Conseil constitutionnel. Je dois m’adapter à l’état de notre droit. C’est pourquoi nous avons prévu de fortes incitations. À ce sujet, j’avais distribué un tableau lors de mon audition en commission.
Nous ne connaissons pas non plus les financements étrangers sur notre sol. Certaines associations constituées sur le fondement de la loi de 1901 – BarakaCity, Ummah Charity et d’autres officines que l’on pourrait qualifier d’islamistes – sont financées par des États, des fédérations ou des intérêts étrangers, sans pour autant être des lieux de culte. Millî Görüs, à Strasbourg, n’est pas une association cultuelle, c’est une association tout court !
Ne soyons pas naïfs et considérerons plutôt que nous devons connaître ces financements étrangers : nous devons savoir qui finance quoi sur notre sol et nous donner les moyens de nous y opposer.
Cette disposition, qui n’existe pas en l’état actuel, sera d’un grand bien pour la République. Le présent texte est particulièrement nécessaire – je remercie Mme la sénatrice Goulet de l’avoir souligné. La disposition a déjà été refusée par les chambres parlementaires : j’espère, cette fois-ci, qu’elle trouvera une issue plus positive.
En outre, nous ne pouvons pas accepter que des lieux de culte, quelle que soit la religion qui y est pratiquée, soient vendus à l’étranger sans que le Gouvernement ait son mot à dire. Que dire aux habitants d’Angers lorsque l’on apprend dans la presse que la mosquée de la ville et vendue au Maroc ? Nous nous entendons bien avec ce pays, et chacun sait que les Marocains sont les amis de la France, mais tout de même !
Si, demain, un lieu de culte était vendu à la Malaisie, au Qatar ou à l’Arabie saoudite, vous vous tourneriez immédiatement vers le ministre de l’intérieur pour lui demander d’intervenir. Or le ministre ne peut intervenir en l’état actuel du droit ; les dispositions intégrées au texte par l’Assemblée nationale lui donnent enfin ce pouvoir.
Aujourd’hui, des individus condamnés pour des faits de terrorisme ou inscrits au Fijait peuvent diriger une association cultuelle. Trouvez-vous normal qu’une personne puisse diriger une mosquée ou une église alors qu’elle a été condamnée pour apologie du terrorisme ?
Le projet de loi prévoit d’interdire aux personnes s’étant rendues coupables de concussion avec une entreprise terroriste, quelle que soit la nature des faits en cause, de diriger un lieu de culte. C’est la moindre des choses ! Aujourd’hui, je n’ai pas les moyens d’intervenir alors que vous m’interpellez presque toutes les semaines sur la situation de personnes qui, en dépit de leur condamnation ou de certains propos, dirigent un lieu de culte ! Je le répète, le projet de loi donne enfin au ministre de l’intérieur les moyens d’intervenir.
Je ne reviendrai pas sur les immeubles de rapport et leur importance…
Monsieur Retailleau – je le dis également à M. Bas –, nous n’avons pas choisi de faire une loi ad hominem ; nous n’avons pas souhaité retirer la limite de la non-reconnaissance des cultes. Pour un fait de droit évident, parce que c’est un principe républicain, comme l’a rappelé Mme de La Gontrie, et pour une raison d’opportunité, nous pensons sincèrement que, face aux moments graves que nous connaissons, nous devons veiller à ne pas faire basculer du côté des islamistes la très grande majorité des musulmans. Ces derniers se posent naturellement des questions ; ils se demandent s’ils sont les bienvenus dans la République, si l’on respecte la vie de leurs parents et de leurs grands-parents et si leurs enfants pourront vivre de manière libre, parce qu’ils voient leur foi être caricaturée.
Nous devons les rassurer, comme tous les enfants de la République, mais nous devons aussi prendre en considération que le combat idéologique des islamistes vise à récupérer l’oumma, c’est-à-dire la communauté. Notre réponse – vous avez raison, monsieur Retailleau –, c’est la communauté nationale. Il y a un « combat » à mener pour cette communauté. Mais attention à la mesure de trop ! Attention à cette mesure qui ferait basculer du mauvais côté tous ceux qui, parmi nos compatriotes, de façon tout à fait franche et honnête, se posent des questions eu égard à ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, à la façon dont ils vivent la République !
Je suis d’accord avec une partie des interlocuteurs de gauche, et je sais que la droite doit penser la même chose. L’urbanisme, la politique de peuplement, l’immigration, le social, l’éducation ont bien évidemment leur place dans la lutte contre le séparatisme. Mais ce n’est pas un discours de politique générale que l’on m’a demandé de porter…
Je remercie ceux qui apportent leur soutien à ce texte. Je pense au groupe RDPI, aux radicaux, aux centristes, de manière générale, ainsi qu’au groupe issu du Modem et de La République En Marche. Je comprends que des interrogations subsistent, que des alertes soient lancées. Je conçois aussi que certaines dispositions ne seront pas votées. Mais je remercie par avance ceux qui manifestent leur soutien : il fait chaud au cœur.
Je comprends aussi que la gauche – le parti communiste, les écologistes et les socialistes –, même si elle trouve quelques constats intéressants et approuvera sans doute certains combats, ne votera pas en faveur de ce texte. Je le déplore et espère pouvoir la convaincre du contraire. Quoi qu’il en soit, je respecte ses opinions.
En revanche, je n’ai pas bien saisi quelles étaient les intentions de vote du groupe Les Républicains. Sans doute, monsieur Karoutchi, attendez-vous les amendements déposés par votre groupe…
Je regrette que, à l’Assemblée nationale, les députés du groupe Les Républicains aient adopté 83 % des articles présentés par le Gouvernement, pour finalement voter contre le texte. Je respecte cependant cette position. Les députés m’ont dit attendre la façon dont le Sénat améliorera le texte. De nombreux amendements ont été acceptés par le Gouvernement, venant de tous les groupes de l’Assemblée nationale d’ailleurs.
Je veux dire au groupe Les Républicains du Sénat que c’est dans un esprit de compromis que le Gouvernement vient discuter ce texte, parce qu’il est très important pour la République. Devant les difficultés, « Fou qui fait le délicat », peut-on lire dans La Rose et le Réséda, pour citer le poème d’un auteur que n’ont pas cité nos camarades communistes.
Je vous en conjure, mesdames, messieurs les sénateurs, le temps presse ! Il est peut-être déjà trop tard… Mais mieux vaut tard que jamais ! Refuser une partie, parce que l’on veut le tout, n’a jamais fait la politique d’un parti de gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi confortant le respect des principes de la république
TITRE Ier
GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE ET DES EXIGENCES MINIMALES DE LA VIE EN SOCIÉTÉ
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 418 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, M. Sueur, Mmes Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi l’intitulé de cette division :
Conforter le respect des principes républicains
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le titre Ier, qui a connu plusieurs dénominations, s’intitulait avant son examen par l’Assemblée nationale : « Garantir le respect des principes républicains ». Les députés ont ajouté la mention « exigences minimales de la vie en société ». Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Nous ne sommes pas en train d’élaborer un manuel de savoir-vivre ; nous parlons là de la République !
Si nous voulons que les principes dont nous allons débattre soient reflétés par la formulation du titre Ier, nous devrions purement et simplement nous en tenir à l’intitulé initial. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 632, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Amendement n° 418 rectifié
Compléter cet amendement par les mots :
, et notamment la primauté de ces principes sur les communautarismes religieux ou autres
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Si nous examinons ce projet de loi, c’est parce que notre nation est confrontée aux menaces que fait peser le communautarisme, en particulier le communautarisme religieux – mais pas seulement –, sur les principes de la République. Tout ce qui est contenu dans ce texte cible ouvertement ou implicitement les séquelles du communautarisme.
Il faut appeler un chat un chat ! Or on a peur de dire que, si nous sommes tous réunis ici, c’est parce qu’il y a des problèmes de communautarisme ! Dans ce texte, il faut avoir le courage de dire la vérité et de réaffirmer les valeurs de la République face au communautarisme, qu’il soit religieux ou autre, car là est le vrai problème qui se pose actuellement.
Mme la présidente. L’amendement n° 587 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
et des exigences minimales de la vie en société
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. À nos yeux, les exigences minimales de la vie en société sont le droit au logement, le droit à la santé, le droit à l’emploi. Or la formulation du titre Ier ne les reprend pas.
Une fois n’est pas coutume, je voudrais citer les propos d’Emmanuel Macron lors de son discours des Mureaux : « Faire aimer la République, c’est tenir la promesse d’émancipation qui lui est intrinsèque. » Il affirmait même : « Nous avons concentré les populations souvent en fonction de leurs origines, de leurs milieux sociaux. Nous avons concentré les difficultés économiques et éducatives dans certains quartiers de la République. Nous avons ainsi créé des quartiers où la promesse de République n’a pas été tenue. »
La formulation du titre Ier reflète le fait que la société n’a pas apporté le minimum nécessaire à tout un pan de la population. La casse du service public, le chômage massif, la précarité et la pauvreté se poursuivent et montrent justement que les devoirs minimaux d’un pays riche comme la France, envers son peuple, ont été négligés.
Pour toutes ces raisons, nous demandons que cet amendement soit adopté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La notion d’exigences minimales de la vie en société a été admise par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme à l’occasion de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Elle vise à appréhender ce qui relève non pas des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, mais des mœurs communes. Nous pensons donc que cet intitulé est tout à fait utile.
La formulation proposée par M. Masson ne précise pas ce que nous souhaitons porter ensemble à travers l’intitulé que nous avons retenu.
La commission est donc défavorable aux deux amendements et au sous-amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 632.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 587 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre Ier
Dispositions relatives au service public
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 41, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, après le mot : « exercice », sont insérés les mots : « et la libre pratique ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Pour éviter toute confusion, il convient de préciser que la libre pratique est bien protégée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. L’article 1er de la loi de 1905, qui a une portée symbolique toute particulière dans notre histoire, énonce des principes désormais quasi constitutionnels. Le Conseil constitutionnel, qui a clarifié cette disposition, garantit déjà la libre pratique du culte. La commission estime qu’y apporter des modifications cosmétiques ne présente aucune valeur ajoutée.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je comprends tout à fait l’esprit de l’amendement de notre collègue Goulet.
Il est utile, à ce moment du débat, de revenir à l’intention du législateur. Aristide Briand, le 12 avril 1905, disait : « Par la deuxième partie de l’article 1er, la République, envisageant les manifestations extérieures des croyances et des religions, qui constituent l’exercice des cultes, s’engage à en garantir la pleine et entière liberté. »
La liberté de culte s’entendait alors comme la faculté pour chaque individu de pratiquer sa croyance ou, en d’autres termes, d’exercer par des actes extérieurs le culte qu’il a choisi. C’est l’un des deux piliers de la loi de 1905 ; l’autre concerne la séparation des Églises et de l’État.
Je vous rappelle, mes chers collègues, à la suite d’Éliane Assassi, que le terme « séparatiste » désignait ceux qui, en 1905, défendaient la loi concernant la séparation des Églises et de l’État : Jean Jaurès, Aristide Briand, Ferdinand Buisson. En l’honneur des travaux qu’ils ont menés, il conviendrait de leur réserver l’appellation de « séparatistes », et non pas mêler celle-ci à une position politique radicalement différente.
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Albert Camus. Restituez aux rédacteurs de la loi de 1905 le terme de « séparatistes » ! Mon groupe et moi-même serons ici séparatistes radicaux jusqu’au bout ! Sur ce séparatisme-là, qui n’est pas achevé aujourd’hui, vous aurez du mal à nous suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Dans cet hémicycle, certains collègues n’aiment sans doute pas les rabbins, les curés ou les imams ; d’autres pensent que la religion devrait être cantonnée à la seule sphère privée, confondant liberté de pensée et liberté de culte.
Mon parcours personnel ainsi que la famille et la tradition politiques auxquelles j’appartiens me font croire que la spiritualité est indissociable de ce qui a fait la France, par sa culture et l’histoire de ses idées. Par conséquent, je remercie Nathalie Goulet d’avoir déposé cet amendement, qui éclaire aujourd’hui le débat et sera très utile à nos discussions dans les jours à venir.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. La loi de 1905 est une loi de liberté, il est important de le rappeler. Elle a pour principe l’organisation de la société en garantissant la liberté de conscience, qui protège celle de croire ou de ne pas croire, sans la menace de se voir imposer d’autres convictions.
La République assure la liberté de conscience, et l’État, par sa neutralité, en se tenant en dehors du champ des options spirituelles et confessionnelles, garantit à l’individu d’être affranchi de toute tutelle.
La laïcité libère l’individu et intègre le citoyen. La précision proposée par Mme Goulet va dans ce sens ; nous voterons donc son amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 1er.
L’amendement n° 59, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa des articles L. 2121-8, L. 4132-10, L. 7122-11, L. 7222-11 et l’article L. 2131-11 sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Le public assistant aux séances s’abstient de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. » ;
2° Après la première phrase de l’article L. 4422-5, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le public assistant aux séances s’abstient de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. »
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement vise à préserver la sérénité des débats au sein des assemblées délibérantes des collectivités territoriales.
Le fait qu’une personne du public présent au sein de ces assemblées porte un signe ostentatoire ou se comporte d’une manière qui manifeste une appartenance partisane, notamment pour se réclamer d’un communautarisme religieux, peut contribuer amplement à perturber la sérénité des débats. Des difficultés de cet ordre se posent régulièrement lors de conseils municipaux. C’est pourquoi je présente cet amendement.
L’affichage d’une appartenance communautaire, quelle qu’elle soit, au sens général du terme, ne saurait perturber la sérénité des débats des collectivités locales. Les personnes qui viennent y assister doivent être « transparentes » ; elles n’ont pas à extérioriser, d’une manière ou d’une autre, une sympathie ou une antipathie quelconque, comme on le voit trop souvent !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission a estimé que la loi de 2010 a trouvé, pour l’instant, un point d’équilibre pour les lieux qui constituent l’espace public – il évoluera peut-être un jour. Ce que vous proposez remettrait en cause cet équilibre. La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement de M. Masson annonce des débats qui vont naître dans les jours qui viennent sur la question de la neutralité des élus, qui a déjà passionné l’Assemblée nationale. Il est bien naturel qu’elle passionne aussi le Sénat, eu égard à sa fonction constitutionnelle.
Je suis défavorable à cet amendement, pour de multiples raisons.
On ne peut pas exiger des élus la neutralité :…
Mme Esther Benbassa. Heureusement !
M. Gérald Darmanin, ministre. … ni la neutralité politique – ce serait absurde – ni la neutralité religieuse. Le devoir de discrétion n’existe pas dans notre droit, dans notre laïcité. Cette dernière prévoit seulement la pluralité religieuse et l’expression des opinions mêmes religieuses, ainsi que la neutralité des agents publics. Le droit est fait de telle sorte que l’équilibre est gardé entre ce que nous devons accepter pour la nécessaire neutralité de l’action publique et la liberté de chacun, à commencer par celle des élus d’une assemblée délibérative.
Le maire, lorsqu’il agit comme officier d’état civil ou officier de police judiciaire, ainsi que les adjoints ou les conseillers municipaux qui exercent ces fonctions de façon déléguée, pour célébrer un mariage par exemple, sont tenus à la stricte neutralité politique et religieuse. Mais lorsque le maire préside le conseil municipal, il n’est pas agent de l’État : il exerce une fonction délibérative que lui confie le suffrage universel direct. C’est la seule autorité qui est à la fois agent de l’État et élu d’une assemblée délibérative. Tous les autres élus – parlementaires, conseillers régionaux, conseillers départementaux, conseillers d’agglomération, etc. – ne sont tenus à aucune neutralité, pour la seule raison qu’ils n’ont pas de pouvoir de police : ils ne sont pas des représentants de l’État.
En résumé, le maire de même que les conseillers municipaux ne sont tenus à la neutralité que lorsqu’ils agissent en qualité d’agents de l’État.
Les règlements des assemblées législatives ont valeur constitutionnelle ; ils s’imposent dans le bloc de constitutionnalité. Il appartient donc à votre assemblée de régir le port de tel ou tel signe, ou de certains vêtements.
À l’échelon des collectivités locales, un règlement intérieur peut déterminer les règles de bienséance applicables au sein d’un conseil municipal, mais ne peut jamais limiter l’expression d’opinions même religieuses. Le Conseil d’État a plusieurs fois statué en ce sens, car cela porte atteinte à la liberté d’expression d’une femme qui souhaite porter un foulard ou d’un ecclésiastique élu au sein d’une assemblée délibérative – il y en a encore beaucoup dans les conseils municipaux des petites collectivités.
Votre amendement, dont l’adoption imposerait la neutralité aux élus, non pas en leur qualité d’agents de l’État, mais en tant que citoyens élus par des pairs, serait à coup sûr inconstitutionnel, car contraire au principe même de notre laïcité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, vos explications sont très riches et intéressantes. Vous avez souligné qu’un agent de l’État ne doit pas extérioriser son appartenance religieuse, en s’abstenant notamment de porter certains vêtements. Dans le même temps, vous avez indiqué que le maire était à la fois agent de l’État et élu de la collectivité.
Lorsqu’un maire célèbre un mariage, il officie en tant qu’agent de l’État. Il est donc hors de question qu’il puisse être habillé d’une manière qui reflète une appartenance religieuse. C’est très important de l’avoir dit, parce que cela permet d’éclairer un certain nombre de choses. Quand le maire est agent de l’État, il ne doit pas se vêtir d’un voile ou d’un autre signe qui pourrait faire penser à une appartenance religieuse. Je vous remercie d’avoir apporté cette précision.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est déjà prévu par l’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales. En outre, le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité qui avait été soulevée pour s’attaquer aux dispositions de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Le maire, l’adjoint ou le conseiller municipal qui prononce un mariage, au nom de l’État, ou exerce une mission d’officier de police judiciaire doit la neutralité aux usagers du service public. Cette neutralité n’est pas que religieuse, elle est aussi syndicale et politique. En revanche, il serait absurde que, en tant qu’autorité politique, le maire ne puisse pas exprimer ses convictions, qu’elles soient politiques, religieuses ou syndicales. C’est son droit le plus strict.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Vous avez anticipé, monsieur le ministre, la discussion que nous devrions avoir sur un amendement déposé à l’article 2. Vous avez parlé avant tout du maire, alors que l’amendement de M. Masson concerne le public des assemblées délibérantes. Ce n’est pas exactement la même chose…
Mme la présidente. L’amendement n° 54 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les départements d’Alsace et de Moselle, la présente loi ne s’applique pas aux cultes dits « reconnus ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Le droit local applicable en Alsace-Moselle reconnaît plusieurs cultes, qui bénéficient d’un régime particulier. Dans la logique de respect du droit local, auquel la grande majorité des Alsaciens et des Mosellans est attachée, il serait opportun de ne pas appliquer cette loi aux cultes dits « reconnus ».
Quelle en est la raison ? Rien n’est prévu pour les autres cultes, qui profitent d’une sorte de vide juridique. À l’heure actuelle, plusieurs maires, par électoralisme, spéculent sur le soutien de certains communautarismes, d’ailleurs visés par le présent texte sans le dire.
Ni les dispositions spécifiques au droit local ni d’ailleurs les dispositions de la loi de 1905 ne s’appliquent aux cultes autres que les cultes reconnus, ce qui conduit à d’énormes abus. On a ainsi vu le maire d’une commune se féliciter d’avoir utilisé des crédits destinés aux HLM pour la construction d’une mosquée et d’être le seul maire en France à avoir financé la construction d’une mosquée à 100 % par de l’argent public. C’est tout à fait aberrant !
Pour cette raison, je pense que l’application du présent projet de loi aux cultes non reconnus est tout à fait justifiée. En revanche, il n’y a pas de raison de porter atteinte à ce qui fait l’essence du droit local, c’est-à-dire les dispositions existantes applicables aux cultes reconnus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Avis défavorable.
Nous reviendrons sur le droit local lors de l’examen de l’article 31. Sachez d’ores et déjà que ce texte veille malgré tout à le protéger.
Par ailleurs, on ne peut pas dans la loi toucher à un seul culte. Si l’on veut, y compris sur le territoire d’Alsace-Moselle, pouvoir procéder à des vérifications, faire intervenir Tracfin, comme cela a été dit, ou permettre aux cultes d’obtenir un certain nombre d’avantages, comme le droit d’administrer des immeubles acquis à titre gratuit – disposition que nous serons appelés à examiner –, l’ensemble des cultes doivent être concernés.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Sur ce point, l’explication du Gouvernement vaudra pour l’ensemble du texte.
Le Président de la République l’a dit – je m’en suis expliqué avec les élus d’Alsace et de Moselle, mais aussi avec les élus des territoires ultramarins, ces territoires appliquant parfois des dispositions soit concordataires, soit de droit local – : nous ne souhaitons pas remettre en cause l’équilibre trouvé par la République, singulièrement avec les territoires du Grand Est que vous évoquez, monsieur le sénateur. Nous ne remettrons en cause dans aucun texte, à aucun moment, ni le Concordat ni le droit local. Aucune modification n’est prévue à cet égard. En revanche, le droit national s’applique partout sur le territoire national et est transposé en droit local, comme nous l’avons d’ailleurs proposé à l’Assemblée nationale, vous l’aurez constaté.
Le droit local prévoit des cultes reconnus – ils sont au nombre de quatre : le culte catholique, les deux cultes protestants, calviniste et luthérien, et le culte israélite – et des cultes non reconnus, dont le culte musulman, mais pas uniquement. Nous ne souhaitons pas faire de distinction – d’ailleurs, le droit local n’en fait pas dans les faits – entre les cultes reconnus et les cultes non reconnus, sauf pour la rémunération des ministres du culte, mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Un certain nombre de collectivités s’appuient d’ailleurs sur le droit local pour justifier le fait que, lorsqu’on donne à l’un, il faut donner exactement la même chose à l’autre. De nombreuses jurisprudences de tribunaux administratifs et du Conseil d’État le disent également.
Je le répète, il est évident que les dispositions du présent texte doivent s’appliquer partout sur le territoire national et être transposées dans le droit local d’Alsace-Moselle ou des territoires ultramarins – je pense aux territoires du Pacifique, à Mayotte ou à la Guyane. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je pense qu’il y a une confusion entre le droit local et la loi du 18 germinal an X, appelée « Concordat ».
Le sujet étant très complexe, je n’évoquerai que l’obligation faite en Alsace-Moselle d’enseigner les religions. Cette obligation résulte d’une loi de l’empire allemand, de 1872 me semble-t-il. Or cette loi, si elle rend obligatoire l’enseignement des religions, ne précise pas de quelles religions il s’agit. Les termes « des religions » ne peuvent donc être compris comme désignant les cultes reconnus par le Concordat. Les deux choses sont absolument indépendantes.
Aujourd’hui, en droit, des familles pourraient parfaitement demander que d’autres cultes que les quatre cultes reconnus soient enseignés en Alsace-Moselle. C’est important de le dire, car l’imbrication entre droit local et Concordat est beaucoup plus complexe que ce qui nous est indiqué ici.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Vous permettrez au sénateur alsacien que je suis de remercier le sénateur mosellan (Exclamations amusées sur certaines travées.) – eh oui, ça peut arriver (Sourires.) – d’avoir déposé cet amendement, que je qualifierai de « général », au début de l’examen de ce texte. Je le voterai, par solidarité avec mon collègue. Pour autant, je suis naturellement tout à fait conscient des difficultés que pose cet amendement, que Mme la rapporteure Vérien et M. le ministre ont indiquées.
En Alsace-Moselle, les cultes reconnus fonctionnent bien et n’ont rien demandé. Vous l’avez d’ailleurs rappelé aujourd’hui, monsieur le ministre. Vous aviez de même indiqué, lors de votre déplacement en Alsace, que les cultes reconnus, tels que vous les avez définis, devaient pouvoir continuer à fonctionner de façon tout à fait sereine, comme cela a été le cas jusqu’à présent.
Je voterai cet amendement sans difficulté, même si je sais le sort qui lui sera réservé après avoir reçu deux avis défavorables. Je me réserve donc le droit de revenir à la charge lors de l’examen de l’article 31 afin que les spécificités de nos cultes puissent être véritablement maintenues.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Il est toujours très difficile de parler du droit local. Les gens en parlent souvent sans savoir exactement ce qu’il prévoit.
À cet égard, notre collègue Pierre Ouzoulias nous a dit que toutes les religions peuvent être enseignées. C’est totalement faux ! Le droit local n’est pas dépendant du Concordat. Il comprend tout ce qui existait au moment du retour de l’Alsace-Moselle à la France : le Concordat, mais aussi toutes les lois du Second Empire. Les lois qui s’appliquent en Alsace et en Moselle sur l’enseignement des religions datent donc du Second Empire, non de l’empire allemand. Quand on veut dénigrer quelque chose, on dit que ce sont les Allemands qui l’ont fait !
Il est donc faux de dire que la religion musulmane pourrait être enseignée dans les écoles. Les musulmans le souhaitent, mais cela ne passe pas. Pour ma part, je me bats pour qu’on en reste au statu quo.
Enfin, la rapporteure a avancé un argument un peu bizarre. Elle considère que mon amendement ne peut pas être adopté au motif que tous les cultes doivent être traités de la même façon. Or ce n’est pas vrai ! Même M. le ministre nous explique qu’il y a des cultes reconnus et des cultes non reconnus. Si j’étais rapporteur, je me renseignerais tout de même un peu avant d’émettre des avis tels que celui-là. On dit n’importe quoi, n’importe comment !
Dans cette affaire, il y a un véritable problème, et je remercie mon collègue Reichardt d’avoir reconnu que je l’avais soulevé. Je recommande à tout le monde de s’informer sur le droit local avant d’en parler !
Mme la présidente. L’amendement n° 485, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
I. - Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Sont interdites sur tout le territoire de la République ou à destination de ce dernier, sous toute forme et par quelque moyen que ce soit, la pratique, la manifestation ainsi que la diffusion publiques des idéologies islamistes, de nature à troubler l’ordre et la paix publics en ayant pour objet ou pour effet de provoquer des tensions et divisions au sein de la communauté nationale, ou d’inciter des personnes ou des groupes à s’en séparer, ou à s’affranchir des règles communes édictées par la loi.
Ces idéologies sont caractérisées par l’un au moins des traits suivants :
1° L’incompatibilité radicale qui peut exister entre ces idéologies et les droits, libertés et principes reconnus ou consacrés par la Constitution et notamment la dignité de la personne humaine ou la liberté de conscience et d’expression ;
2° Le refus de respecter la laïcité de l’État, les procédures démocratiques, les institutions et de respecter la primauté de la loi commune ;
3° Les facteurs de scission majeurs qu’elles induisent ou les menaces graves qu’elles portent pour l’unité de la Nation, le maintien de sa souveraineté et de son indépendance, comme pour l’intégrité de son territoire ;
4° Les liens qu’elles révèlent avec des autorités, organisations ou puissances étrangères, dès lors que ces liens sont de nature à faire naître les doutes les plus sérieux sur la loyauté envers la France et la soumission à ses lois de ceux qui les professent ;
5° Le soutien, la minoration ou la banalisation qu’elles expriment à l’égard des crimes contre l’humanité, de l’asservissement, des assassinats, des actes de tortures ou de barbarie, des crimes de masse commis au nom d’une de ces idéologies, des viols ou des agressions sexuelles ou encore, les crimes ou délits commis contre les intérêts de la France ou ses ressortissants, ou de leurs auteurs et complices, ou qu’elles expriment à l’égard de ceux qui appellent à la haine, à la violence et la discrimination envers la France et ses ressortissants, comme pour ceux qui font l’apologie de ces actes ou les diffusent dans un but de propagande ;
6° Toute manifestation tendant à contraindre physiquement ou psychologiquement une personne à adhérer ou à renoncer à une religion.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Des idéologies incompatibles avec la République
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. La politique, c’est l’art de désigner l’ennemi, nous enseigne le grand philosophe Julien Freund.
L’exécutif nous a donné une grande leçon de politique. L’intitulé du projet de loi n’a cessé d’être modifié, jusqu’à ce que tout soit abandonné : il a commencé par mentionner le séparatisme islamique, puis le séparatisme tout court, avant d’évoquer le renforcement de la laïcité. Désormais, le texte ne vise qu’à conforter « le respect des principes de la République ». Quand on a peur de faire figurer le mot « laïcité » dans l’intitulé d’un projet de loi, il y a lieu de s’inquiéter sur le contenu du texte et sur le courage de ceux qui le portent.
Pour vous justifier, vous avez dit que vous ne vouliez pas « stigmatiser », monsieur le ministre. Or, quand on parle d’islamisme, on ne stigmatise que les islamistes. Si vous ne faites pas la différence entre les musulmans et les islamistes, c’est que vous avez un gros problème. Moi, je n’ai pas ce problème ! Je suis fier de stigmatiser les islamistes, de viser ceux qui arment les esprits des terroristes.
Alors, disons-le : oui, nous devons nous attaquer aux islamistes ! Pour ne pas stigmatiser les cultes, il faut désigner l’ennemi. En refusant de le nommer, vous vous attaquez aussi aux cultes catholique, protestant ou juif, qui sont très inquiets de votre texte.
Avec cet amendement, je vous propose de désigner l’islamisme de manière très précise, sur le fondement de critères objectifs, clairs et totalement légaux. L’islamisme se caractérise par son mépris de nos lois et de la dignité humaine. Il refuse toute liberté de conscience ou d’expression, combat notre démocratie, soutient clairement, ou à demi-mot, les actes terroristes, les appels à la haine contre les non-croyants.
L’islamisme existe, et le Président de la République est allé plus loin en évoquant précisément les courants salafistes, wahhabites ou issus des Frères musulmans, qui sont les plus virulents dans notre pays. On pourrait évidemment y ajouter l’association Millî Görüs, proche du dictateur Erdogan, qui fait construire une mosquée géante à Strasbourg, mosquée que la mairie islamo-écolo veut subventionner et dont le chantier avait été inauguré par la députée européenne Les Républicains Fabienne Keller.
Vous le voyez, il ne faut pas avoir peur des mots ; il faut dire les choses, nommer les responsables et les coupables, les complices, sans oublier, bien sûr, les idiots utiles.
Si le Président de la République peut le dire, pourquoi avons-nous, nous, peur de le faire ? Que craignez-vous ? Les Français, eux, attendent que nous soyons clairs. Il n’est pas suffisant de conforter les principes de la République. Même les islamistes peuvent se dire républicains, comme en République islamique d’Iran.
Je n’ose croire, mes chers collègues de droite, vous qui parlez sans cesse de législation, de guerre et de courage, et vous avez raison de le faire,…
Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. Stéphane Ravier. … que vous allez rejeter cet amendement, qui n’a qu’un but : qu’on ne se trompe pas de cible et que l’on combatte uniquement l’islamisme !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement tend à interdire les idéologies islamistes. Or je rappelle, cher collègue, que le droit existant permet déjà de lutter contre les idéologies en cas d’atteinte à l’ordre public. Six critères permettent d’identifier ces idéologies.
Tout le monde est d’accord pour combattre l’idéologie islamiste, mais j’irai plus loin : toutes les idéologies religieuses doivent être combattues lorsqu’elles mettent à mal l’ordre public. Votre amendement ne concernant qu’une seule idéologie, la commission y est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. M. Ravier a indiqué que la politique était l’art de nommer ses ennemis. Son ennemi, c’est l’islamisme. Je déduis de sa dernière phrase que le maire « islamo-écolo » dont il parle, c’est-à-dire le maire d’une grande ville française, qui a été élu tout à fait démocratiquement, sur des valeurs qui ne sont pas forcément celles du parti dans lequel M. Ravier a milité pendant longtemps, est son ennemi. Nous sommes vos ennemis, monsieur Ravier, vous nous avez nommés. Je suis ravi de l’apprendre ce soir ici, en séance publique.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je souhaite poser une question à notre collègue, M. Ravier.
Son amendement évoque ceux qui soutiennent, minorent ou banalisent les crimes contre l’humanité, les actes de torture ou de barbarie, les crimes de masse. S’applique-t-il à ceux qui, par exemple, soutiennent le régime syrien, lequel, après dix années de guerre contre son peuple, affiche un bilan effroyable, à savoir plus de 400 000 morts et des millions de réfugiés ? Je crois, monsieur Ravier, que vous faites partie de ces personnes.
Cet amendement évoque par ailleurs « l’incompatibilité radicale qui peut exister entre ces idéologies et les droits, libertés et principes reconnus ou consacrés par la Constitution, et notamment la dignité humaine ». Vous devez être ravi, monsieur le ministre : c’est là le meilleur argument pour justifier la dissolution de Génération identitaire !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 485.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité.
Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations.
Les services de transport de personnes librement organisés ou non conventionnés ainsi que les bailleurs sociaux, qu’ils soient privés ou publics, en tant qu’ils participent à une mission de service public au 1er janvier 2021, sont soumis à ces obligations.
Les dispositions réglementaires applicables à ces organismes précisent les modalités de contrôle et de sanction des obligations mentionnées au présent I.
II. – Lorsqu’un contrat de la commande publique, au sens de l’article L. 2 du code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public, son titulaire est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité.
Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie pour partie l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations. Il est tenu de communiquer à l’acheteur chacun des contrats de sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-traitant ou le sous-concessionnaire à l’exécution de la mission de service public.
Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés.
III. – Les dispositions du dernier alinéa du II s’appliquent aux contrats de la commande publique pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de la date de publication de la présente loi.
Les contrats pour lesquels une consultation ou un avis de publicité est en cours à la date de publication de la présente loi et les contrats en cours à cette même date sont modifiés, en tant que de besoin, pour se conformer aux obligations mentionnées au dernier alinéa du II du présent article dans un délai de douze mois à compter de cette date ; toutefois, cette obligation de mise en conformité ne s’applique pas à ceux de ces contrats dont le terme intervient dans les dix-huit mois suivant la date de publication de la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article.
Mme Valérie Boyer. Comme l’ont fait beaucoup d’orateurs au cours de la discussion générale, j’aurais pu vous dire quelle a été ma déception en découvrant ce projet de loi.
Le discours prononcé aux Mureaux en octobre dernier par le Président de la République était fort, les mots sonnaient juste. À dix-huit mois de la fin de son mandat, le Président de la République semblait avoir pris la mesure du danger mortel qui menace notre nation. Mais, alors que le projet de loi confortant les principes de la République est examiné par le Parlement, que reste-t-il du discours des Mureaux ? Peu de choses…
La dénonciation de l’islamisme a pudiquement laissé place à celle du séparatisme, puis à la défense des principes républicains. Alors que notre ennemi, c’est le totalitarisme islamique, nous devons débattre d’un texte portant en partie sur la laïcité. Nous sommes appelés, dès l’article 1er, à discuter du respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité par les salariés participant à une mission de service public.
Le « réveil républicain » tant promis s’est métamorphosé en un patchwork de dispositions, comme l’a dit Philippe Bas.
L’État aura un droit de regard sur les agissements des associations et sur leur financement. Oui, la polygamie et les certificats de virginité feront l’objet d’une vigilance particulière. Oui, les agents administratifs et les enseignants seront davantage protégés. Mais, quand on veut lutter contre le totalitarisme islamique, il faut légiférer sur l’immigration, exiger plus d’assimilation et réaffirmer haut et fort notre conception humaniste et universaliste du monde. Le mot « universalisme » me semble essentiel.
Aujourd’hui, l’universalisme républicain est mis à mal. Chaque jour, notre pays est attaqué. D’ailleurs, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, vous auriez aimé que ce texte aille plus loin, qu’on parle de plus de choses.
L’actualité nous oblige à parler de ce qui se passe aujourd’hui à Strasbourg. Alors que nous assistons, dans une capitale européenne, à la construction de la plus grande mosquée d’Europe, commanditée, ou en tout cas très soutenue par un membre éminent de l’OTAN, le Président Recep Tayyip Erdogan, nous devons réfléchir et affermir notre législation.
Quand allons-nous enfin interdire les listes communautaristes ? Quand allons-nous faire en sorte que des personnes qui se prévalent d’un parti politique étranger ne puissent se présenter ?
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Valérie Boyer. Ceux qui tuent et entachent le drapeau de la République dans notre pays, ce ne sont pas les bouddhistes, ce ne sont pas les catholiques, ce ne sont pas les juifs, ce ne sont pas les musulmans : ce sont les islamistes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme la plupart des Français et comme vous tous, ou en tout cas comme une large majorité d’entre vous, j’ai l’amour de la République et l’exigence de sa défense chevillés au corps.
Comme Jaurès, je sais que la République ne sera forte et convaincante que si elle est sociale, laïque et émancipatrice. Elle doit embrasser tous ses principes : le principe de liberté, mais aussi le principe d’égalité et le principe de fraternité. Lorsque l’un des piliers de notre devise républicaine s’effrite, c’est l’ensemble de la République qui s’affaiblit. C’est, hélas ! l’une des choses que nous observons aujourd’hui : l’égalité recule, la République avec elle.
Cela fait des années que les inégalités sociales s’accroissent dans notre pays et que la promesse républicaine s’érode, en particulier dans la jeunesse. Cet accroissement crée des brèches béantes dans lesquelles s’engouffrent les adversaires de la République pour faire prévaloir leurs thèses dangereuses et des pratiques inacceptables.
Alors, au moment d’examiner les dispositions relatives aux services publics, il aurait été utile, pour conforter le respect des principes républicains, de réaffirmer avec force l’égalité d’accès de tous et partout aux services publics. De trop nombreux territoires se sentent aujourd’hui oubliés de la République et deviennent vulnérables.
Ce projet de loi contient des dispositions attendues pour soutenir la laïcité, pour éviter dans certains territoires l’infiltration, et parfois la domination, d’idéologies radicales, voire obscurantistes, en particulier l’islamisme radical. Je vous le dis, nous ne gagnerons la reconquête républicaine qu’en étant capables, de façon équilibrée, de faire reculer les inégalités et de faire avancer la fraternité.
Je regrette que ces deux volets – égalité et fraternité – soient singulièrement absents des politiques qui nous sont proposées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.
Mme Nathalie Delattre. Je l’ai déjà déploré dans mon intervention au cours de la discussion générale, ce texte ne contient aucun chapitre dédié aux élus locaux, aucun arsenal législatif pour les accompagner dans la gestion des relations avec les représentants religieux et mettre fin à toute forme d’accommodement local. Or nos élus locaux sont les premiers dépositaires des principes fondateurs de notre République et sont en première ligne pour leur mise en œuvre. La laïcité transparaît derrière chacune de leur action.
Toutefois, comme j’ai pu le constater dans mon département lors de mes déplacements en mairie, en matière de laïcité, il y a la théorie et la pratique, l’application stricte des textes et la voie tracée par la jurisprudence. Les deux doivent être appréhendés concomitamment. La sensibilisation et la formation de nos élus sont donc indispensables. Pour ma part, j’ai rédigé un petit guide pratique de la laïcité à destination des 535 maires de la Gironde, de leurs équipes municipales et de leurs agents afin de leur donner les outils nécessaires pour appliquer ce principe, que ce soit pour les prêts de salles, la gestion des lieux de sépulture ou du patrimoine cultuel, la célébration des mariages ou des parrainages républicains, etc.
Je n’ai pas déposé d’amendement visant à renforcer la formation à la laïcité de nos élus, car il aurait malheureusement été déclaré irrecevable en application de l’article 40. Néanmoins, je tenais à prendre la parole sur cet article pour que soit rappelée la nécessité de prévoir des formations, car nous ne pourrons mener ce combat sans l’aide des 300 000 élus locaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Je regrette très vivement la décision qui a été prise, en application de l’article 45 de la Constitution, de déclarer irrecevable un amendement que j’ai déposé, lequel visait à interdire l’abattage par égorgement à vif des animaux de boucherie. C’est d’autant plus curieux qu’un amendement visant à prévoir que la loi doit s’appliquer à tous et doit être respectée par tous a été déposé.
La loi interdit l’abattage par égorgement à vif dans les abattoirs où l’on tue les animaux pour les chrétiens, au motif que c’est très cruel de tuer des animaux sans les étourdir au préalable. Lorsqu’ils sont égorgés à vif, les animaux de boucherie agonisent de longues minutes dans des conditions que tout le monde juge difficiles, à tel point que cette pratique est désormais interdite dans de très nombreux pays, y compris en Europe occidentale. Or, en France, on continue de la tolérer pour des raisons religieuses. C’est tout de même curieux !
On a voté une loi interdisant l’excision.
M. Loïc Hervé. Quel rapport ?
M. Jean Louis Masson. Tolérerait-on que quelqu’un procède à une excision en invoquant des motifs religieux ? Les contraintes religieuses ne doivent pas prévaloir sur la loi. Si l’égorgement à vif des animaux de boucherie est considéré comme étant totalement cruel, ce qui est le cas, c’est reconnu, l’interdiction de cette pratique doit s’appliquer à tout le monde ! Il n’y a pas de raison de faire des différences.
En refusant de débattre de l’amendement que j’ai proposé, on cautionne le communautarisme. On a peur de faire de la peine à Dupont ou à Durand, pour des raisons qui sont d’ailleurs parfois financières, car le halal et le casher, cela rapporte de l’argent à certains.
Mme la présidente. Monsieur Masson, votre temps de parole est écoulé !
M. Jean Louis Masson. Je regrette le rejet de mon amendement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Remettez votre masque, monsieur Masson !
Mme la présidente. Je suis saisie de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 56 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le principe de laïcité et de neutralité du service public s’applique aux personnes qui participent aux activités scolaires de l’enseignement public, y compris lors des sorties scolaires.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Le principe de laïcité et de neutralité doit s’appliquer non seulement aux agents titulaires de la fonction publique et des services publics, mais aussi à tous ceux qui participent au service public. Il est réellement intolérable que des femmes voilées puissent accompagner les sorties scolaires. Cet amendement vise donc à interdire à ces femmes de les accompagner.
Quelle est la différence entre une institutrice voilée et une non-institutrice, théoriquement bénévole, qui accompagne une sortie scolaire ?
Mme la présidente. Veuillez mettre votre masque correctement sur votre nez, par égard pour vos collègues !
M. Jean Louis Masson. Je vais porter le voile islamique, comme ça, je n’aurai plus besoin de porter de masque ! (Exclamations sur diverses travées.)
Je considère qu’il est intolérable de heurter les convictions des enfants ou de leurs parents, surtout de jeunes enfants, âgés de 5 ou 6 ans, ces enfants étant sensibles à ces situations.
Je me réjouis donc que cet amendement, qui vise à débattre d’un véritable sujet, n’ait pas été lui aussi déclaré irrecevable. Chaque fois que je le peux, je soulève cette question, parce que je pense qu’on fait trop de ronds de jambe à certaines religions, au détriment d’autres, au détriment surtout de l’intérêt général.
Mme la présidente. L’amendement n° 266 rectifié, présenté par M. Levi, Mme Loisier, MM. J.M. Arnaud, Laugier, Menonville, Mizzon, Louault, Bonne, Canevet et Grand, Mme de La Provôté, MM. Regnard et Ravier, Mmes Joseph et Billon, M. Moga, Mmes Paoli-Gagin, Jacquemet et Drexler, M. Bonneau, Mme Saint-Pé, M. Charon, Mme Herzog, MM. H. Leroy et Segouin, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme, Duffourg, Le Nay et Folliot, Mmes Morin-Desailly et Bonfanti-Dossat et M. Wattebled, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Après le mot :
direction
insérer les mots :
ainsi que les collaborateurs occasionnels
La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. L’article 1er du projet de loi prévoit l’obligation pour les agents et les personnes effectuant une mission de service public de respecter les principes de laïcité et de neutralité. Or la notion de collaborateur occasionnel du service public n’est pas clairement évoquée dans cet article, ce qui peut être à mon sens une faiblesse.
Qu’entend-on par « collaborateur occasionnel du service public » ? Cela peut être un parent d’élève accompagnant une sortie scolaire – c’est l’exemple le plus parlant –, un juré d’assises, un secouriste ou un expert auprès d’un tribunal, par exemple.
Je propose d’amender cet article afin d’indiquer clairement que les collaborateurs occasionnels du service public sont également soumis à l’obligation de respecter les principes de laïcité et de neutralité. Cette précision me semble importante.
Mme la présidente. L’amendement n° 231 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Bilhac, Artano et Cabanel, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les collaborateurs occasionnels du service public sont également tenus, dans l’exercice de leur mission de service public, de s’abstenir de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, de traiter de façon égale toutes les personnes et de respecter leur liberté de conscience et leur dignité.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement a été déposé par Mme Maryse Carrère.
L’article 1er encadre certaines modalités d’exécution du service public. Toutefois, il n’intègre pas les collaborateurs occasionnels quand bien même ceux-ci participent pleinement à l’exécution des missions de service public. Or cette dernière catégorie de personnes suscite souvent des débats publics et médiatiques, car elle comprend notamment les parents accompagnant les enfants lors de sorties scolaires. Il importe donc d’engager une discussion de fond sur cette question.
Néanmoins, si la question du port de signes religieux lors des sorties scolaires fait souvent débat, il n’est pas nécessaire de fixer exclusivement notre attention sur ce point très spécifique. En effet, cette problématique touche l’ensemble de la catégorie juridique des collaborateurs occasionnels du service public, catégorie dont le statut a été largement déterminé par la jurisprudence du Conseil d’État. Aussi, puisque la neutralité du service public est un principe essentiel devant être défendu, il est nécessaire qu’elle s’applique à toute forme de mission, indépendamment du statut juridique de celui qui l’exerce.
L’objet de cet amendement est d’étendre au-delà des seuls fonctionnaires, agents contractuels ou extracontractuels, l’obligation de s’abstenir de manifester ses opinions politiques ou religieuses, de traiter de façon égale toutes les personnes et de respecter leur liberté de conscience et leur dignité.
Mme la présidente. L’amendement n° 60 rectifié, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toute personne concourant au service public de l’éducation, y compris lors des sorties scolaires, est tenue de respecter ces valeurs et de s’abstenir de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « publics », sont insérés les mots : « et lors des sorties scolaires organisées par ces établissements » ;
b) Après le mot : « élèves », sont insérés les mots : « ou les personnes concourant au service public de l’éducation ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement diffère du précédent que j’ai défendu, car il vise à intégrer la disposition que je propose dans le code de l’éducation.
Les accompagnateurs scolaires ne sont pas de simples collaborateurs qui donnent un coup de main. Ces personnes accompagnent des enfants mineurs pour l’essentiel, lesquels sont fragiles.
La question de l’accompagnement des sorties scolaires, notamment à l’école primaire, est infiniment plus importante et préoccupante que le problème plus général des collaborateurs occasionnels des services publics.
Mme la présidente. L’amendement n° 286 rectifié bis, présenté par MM. Brisson, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme, Bonne et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier et Bourrat, M. J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec, Calvet, Cambon et Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier, Courtial, Cuypers, Dallier et Daubresse, Mme de Cidrac, MM. de Legge, de Nicolaÿ et del Picchia, Mmes Demas, Deroche, Deromedi, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumas et Dumont, M. Duplomb, Mme Estrosi Sassone, MM. Favreau, B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert et Joseph, MM. Karoutchi, Klinger et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Le Gleut, Le Rudulier, Lefèvre et H. Leroy, Mme Lopez, M. Meurant, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Panunzi, Paul, Pellevat, Pemezec et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Primas, Procaccia et Puissat, MM. Rapin, Regnard et Retailleau, Mme Richer, MM. Rojouan, Saury, Sautarel, Savary et Savin, Mme Schalck, MM. Segouin, Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mme Thomas et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
.… – Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. » ;
2° Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. »
.… – Le paragraphe précédent est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Par cet amendement, nous souhaitons reprendre le contenu de la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.
Lors de son examen, nous étions partis d’un constat : depuis l’époque de Jules Ferry, c’est-à-dire avant même le vote de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, l’école publique a pris une dimension laïque particulière. Tout au long de son histoire, elle s’est distinguée des autres services publics par une laïcité plus intransigeante. La loi adoptée en 2004 s’inscrivait dans cette perspective ; elle a été, et elle demeure, un rempart pour la laïcité.
Mon amendement, qui a été cosigné par de très nombreux collègues, est dans la continuité de cette longue histoire républicaine. L’école a été protégée dans ses murs, et ce depuis cent quarante ans. C’est le seul service public où la neutralité s’impose non seulement aux agents, mais également aux usagers. Il faut poursuivre dans cette longue et belle histoire de l’école laïque.
Une sortie scolaire est un acte pédagogique ; c’est l’école hors des murs. Ceux qui participent à cet acte pédagogique en aidant les professeurs et en accompagnant les élèves doivent donc afficher une stricte neutralité politique, philosophique et religieuse. Une école ouverte est une école qui sort de ses murs. La neutralité doit s’imposer à tous ceux qui y participent quelle que soit l’activité, fût-ce une sortie scolaire. Comme le déclarait voilà trois ans Robert Badinter, c’est un bien petit sacrifice face à un grand principe.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement, qui vise à renforcer la neutralité politique et religieuse de notre école, dans et hors ses murs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 487 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - L’article L. 141-5-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « et les lycées publics » sont remplacés par les mots : « , les lycées publics et les établissements publics d’enseignement supérieur » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lors des sorties et voyages scolaires, le port de tenues ou signes religieux ostensibles par les parents d’élèves accompagnants est interdit. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. « Je ne vois pas la cohérence d’un système où on interdirait le voile à l’école, au collège, au lycée et où on l’autoriserait à l’université. » Cette phrase n’est pas de moi ; elle est d’un certain Nicolas Sarkozy ! Il n’est pas le seul à penser ainsi : au mois d’octobre 2000, François Fillon affirmait qu’il faudrait interdire le voile à l’université et lors des sorties scolaires. C’est exactement ce que je défends dans le présent amendement. Je n’imagine donc pas que notre collègue Bruno Retailleau et tout son groupe avec lui puissent s’y opposer. D’ailleurs, lui-même s’est également exprimé en faveur d’une telle interdiction, et notre collègue Valérie Boyer avait déposé une proposition de loi ayant cet objet à l’Assemblée nationale.
Pour une fois, j’irai dans votre sens. Oui, Nicolas Sarkozy a raison : personne ne comprend que le voile islamique soit autorisé à l’université ! Alors, agissons sans avoir peur et interdisons-le !
Dans le temple du savoir et de la connaissance qu’est l’université, on ne saurait tolérer un tel symbole d’asservissement de la femme. Les femmes se sont battues pendant des siècles pour leur liberté. Ayons le courage de la protéger à l’heure où les islamistes la remettent en cause !
Accepter le voile à l’université, c’est laisser le champ libre aux revendications islamiques de tous ordres ; c’est la première reculade avant la capitulation !
Je ne suis d’ailleurs pas le premier à réclamer une telle interdiction ; le Haut Conseil à l’intégration l’avait déjà fait en 2013.
La laïcité ne se divise pas. Elle se vit entièrement, pleinement, d’un bloc. Il n’y a pas une laïcité pour l’école et une laïcité pour l’université. Il n’y en a qu’une seule : celle de la République !
Chers collègues de gauche, soyez fermes face à l’islamisme ! Je sais que la mode chez vous est à la compromission et au relativisme. Mais l’enjeu est trop grand. Ne faites pas une fois de plus reculer la République ! Tout accepter, c’est concéder la victoire à nos ennemis, c’est-à-dire les islamistes ! Si vous tolérez aujourd’hui le voile à l’université, pourquoi ne pas accepter demain les cours séparés pour les femmes voilées ?
Chers collègues de droite, soyez cohérents ! J’ai l’habitude de défendre des textes que vous réclamez, mais que vous n’osez pas assumer. Il n’y a pas de souci ; je suis habitué à ce que tout me retombe dessus. Mais, enfin, soutenez cette mesure, que vous avez toujours demandée, au moins dans les discours ! Les Français ne vont presque plus voter ; ils ne croient plus en ce qu’on leur dit. Ne leur donnez pas raison. Vous souhaitez une telle interdiction. Je vous propose de la mettre en place via cet amendement. Alors, votez-le sincèrement !
Mes chers collègues, pour quelques minutes, arrêtez le théâtre politicien et ne pensez qu’à l’intérêt de la France !
Mme la présidente. L’amendement n° 89 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi et Pemezec, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, MM. Burgoa, Bascher, D. Laurent, Regnard et Bonne, Mme Chauvin, MM. Guerriau et Mandelli, Mmes Drexler et Dumont, MM. Sido, Cambon, Lefèvre, Meurant, Vogel et Decool, Mmes Belrhiti et V. Boyer, M. Menonville, Mmes Bellurot et Imbert, M. Laugier, Mmes Puissat, Goy-Chavent, Billon et Férat, MM. Cuypers et Moga, Mme F. Gerbaud, MM. Saury, P. Martin, Gremillet, Boré, Le Rudulier et Bouchet, Mmes Lassarade et Micouleau, M. Longeot, Mme Deroche, MM. Duplomb, Belin et Grand, Mmes Bourrat et Paoli-Gagin, MM. Le Gleut et Laménie, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme, H. Leroy, Husson et Rapin, Mme Guidez et M. Segouin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Après le mot : « publics », sont insérés les mots : « et lors des sorties scolaires organisées par ces établissements » ;
2° Après le mot : « élèves », sont insérés les mots : « ou les personnes concourant au service public de l’éducation ».
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement concerne la neutralité des personnes concourant au service public de l’éducation, tandis que l’amendement n° 88 rectifié bis qui va suivre porte sur les « collaborateurs occasionnels ».
Chacun le comprend, ces deux amendements ont en réalité la même finalité. Comme l’a excellemment dit Max Brisson, il n’y a pas une école à l’intérieur des murs et une école à l’extérieur des murs.
L’éducation est en classe. Une classe qui prend un car pour aller voir une exposition ou visiter un musée reste une classe. Même s’il y a des éducateurs et des accompagnateurs qui viennent, cela fait toujours partie de la mission éducative de l’école. Je ne comprends donc pas la distinction qui est faite.
J’aimerais vous faire part d’un souvenir d’enseignant : au début de ma carrière, on m’expliquait que permettre aux élèves d’aller au théâtre ou dans un musée avec des accompagnateurs était une « mission prioritaire » de l’éducation. Cela implique donc que les accompagnateurs, quels qu’ils soient, participent à cette mission éducative.
Dans ces conditions, je propose par ces deux amendements que l’obligation de neutralité, déjà applicable aux enseignants, soit étendue aux accompagnateurs scolaires, aux collaborateurs occasionnels du service public de l’éducation ou à toute autre personne participant à une mission au sein d’un établissement d’enseignement.
Mme la présidente. L’amendement n° 150 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Roux et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À l’occasion de la participation à l’encadrement des activités et sorties scolaires, le port de signes ou de tenues par lesquels les parents d’élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Objet de fréquents débats en commission du Sénat, la question du port de tenues et de signes religieux dans l’espace public se pose de nouveau.
À l’heure où une récente enquête de l’IFOP pour la Licra révèle une jeunesse majoritairement favorable à l’expression de la religiosité en public, considérant ainsi la laïcité comme une forme de discrimination envers les musulmans, le Parlement doit se prononcer sur le cas des parents participant aux sorties scolaires de leurs enfants. Le renforcement de la neutralité du service public étant l’un des objectifs du présent projet de loi, l’occasion nous est ainsi offerte de pouvoir décliner cette neutralité dans le cadre des sorties et activités scolaires.
Actuellement, le code de l’éducation dispose que, dans les établissements scolaires, la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse par les élèves est interdite, qu’il s’agisse de signes ou de tenues. Néanmoins, la situation des parents accompagnateurs dans les sorties scolaires est ignorée.
Or, dans la mesure où le parent d’élève reçoit au cours d’une sortie scolaire une délégation d’autorité de l’enseignant sur les enfants, le principe de neutralité religieuse qui s’impose à l’enseignant doit être étendu à l’ensemble des activités réalisées pendant le temps scolaire lorsqu’elles sont assurées par le parent d’élève. En tant que collaborateur occasionnel du service public, le parent d’élève devrait se voir transposer les obligations du service public : toute manifestation d’appartenance religieuse devrait donc lui être interdite.
À ce sujet, je regrette que l’avis des rapporteures n’ait pas été entendu en commission.
C’est pourquoi je soutiens tous les amendements allant en ce sens, notamment l’amendement n° 231 rectifié de ma collègue Maryse Carrère. La logique voudrait en effet que les droits et devoirs des acteurs du service public s’appliquent à tous les collaborateurs occasionnels du service public que sont également les parents accompagnateurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 88 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi et Pemezec, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, MM. Burgoa, Bascher, D. Laurent, Regnard et Bonne, Mme Chauvin, MM. Guerriau et Mandelli, Mmes Drexler et Dumont, M. Sido, Mme Procaccia, MM. Cambon, Lefèvre, Meurant, Vogel et Decool, Mmes Belrhiti et V. Boyer, M. Menonville, Mmes Bellurot et Imbert, M. Laugier, Mmes Puissat, Goy-Chavent, Billon et Férat, MM. Cuypers et Moga, Mme F. Gerbaud, MM. Saury, P. Martin, Gremillet, Boré, Le Rudulier, Bouchet et Sol, Mme Lassarade, M. Sautarel, Mme Micouleau, M. Longeot, Mme Deroche, MM. Duplomb, Belin, Grand et Pointereau, Mmes Bourrat et Paoli-Gagin, MM. Le Gleut et Laménie, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme et H. Leroy, Mme Morin-Desailly, M. Rapin, Mme Guidez et M. Segouin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Après l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 141-5-… ainsi rédigé :
« Art. L. 141-5-…. – Toute personne qui participe, à titre bénévole ou non, à l’exécution d’une mission du service public de l’éducation nationale est considérée comme collaborateur occasionnel du service public de l’éducation nationale.
« Un collaborateur occasionnel du service public de l’éducation nationale, bénévole ou non, se doit, le temps de l’exercice de cette mission, de veiller au même respect des principes de laïcité et de neutralité politique, religieuse et philosophique, que les agents du service public de l’éducation nationale. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. L’amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Chacun l’aura remarqué, ces différents amendements ont tous le même objet principal : étendre le principe de neutralité à certaines personnes qui collaborent à l’exécution d’un service public, celui de l’éducation.
Nous avons évidemment étudié tous les dispositifs proposés. Ils ont tous des forces et des faiblesses.
Les amendements nos 266 rectifié et 231 rectifié présentent une petite fragilité, car l’interprétation de la notion de « collaborateurs occasionnels » ne va pas toujours de soi. Cette remarque vaut également pour l’amendement de notre collègue Roger Karoutchi tendant à donner cette qualification juridique aux accompagnateurs de sorties scolaires.
Les amendements nos 150 rectifié bis et 487 rectifié mentionnent explicitement les parents d’élèves. Or les accompagnateurs scolaires ne sont pas nécessairement toujours des parents d’élèves. Il me semble donc préférable de retenir une rédaction au périmètre plus large.
Monsieur Masson, dans votre amendement, vous visez le principe de laïcité, mais le dispositif que vous proposez ne correspond pas exactement à ce que nous souhaitons faire dans ce cadre.
Aussi, parmi toute cette série d’amendements, la commission s’est prononcée en faveur de celui de M. Brisson. En effet, le contenu de l’amendement n° 286 rectifié bis précise bien – nous en avons beaucoup discuté – que le temps de l’école dans les murs comme celui de l’école hors les murs sont du temps scolaire et éducatif. La commission est donc favorable à l’amendement n° 286 rectifié bis, sur lequel elle demande un vote par priorité, et elle sollicite le retrait ou, à défaut, le rejet des autres amendements.
Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 286 rectifié bis.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
Mme la présidente. La priorité est ordonnée
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements en discussion commune ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement de M. Brisson, qui a la préférence de la commission, et les autres amendements nous font revenir sur un sujet important et sensible, qui a fait l’objet de nombreuses heures de discussion à l’Assemblée nationale également.
J’ai bien noté que la commission s’était dans un premier temps prononcée en défaveur de l’interdiction du port des signes religieux lors des sorties scolaires.
M. Loïc Hervé. C’est bien ce qui s’est passé !
M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 1er du projet de loi est très important. Je ne voudrais pas qu’on le réduise à la question des sorties scolaires.
Il est proposé d’étendre la neutralité exigée des agents du service public à l’ensemble des personnes qui concourent au service public. Le texte déposé par le Gouvernement et enrichi par l’Assemblée nationale vise les délégations de service public, les marchés qui concourent directement au service public, les offices d’HLM, les CAF, Pôle emploi et tous ceux qui concourent à ce service public.
Contrairement à ce que Mme la rapporteure a indiqué, l’article 1er n’est pas qu’une codification de ce qui existe déjà. Il s’agit d’aller beaucoup plus loin que la simple jurisprudence. En tant qu’élus locaux, nous sommes nombreux à dénoncer depuis longtemps l’existence de règles contraires au principe de neutralité dans les transports en commun.
Revenons aux amendements examinés. Par conviction, je suis profondément opposé à la disposition proposée.
D’abord, la catégorie des « collaborateurs occasionnels » du service public n’existe pas en droit. Certes, elle est évoquée par la jurisprudence du Conseil d’État, notamment dans le cas particulier des personnes venant au secours d’autres, afin de permettre aux assurances attachées à un tel acte héroïque de citoyenneté de s’appliquer.
Ensuite, la comparaison qui est faite avec les jurés d’assises n’est pas pertinente. Une maman accompagnatrice lors d’une sortie scolaire ne perçoit aucune indemnité, contrairement à un juré d’assise. S’il est normal d’exiger un devoir de neutralité en échange d’une indemnité, même infime, on ne peut évidemment pas en demander autant à une personne qui viendrait au secours d’une autre ou à une maman qui accompagnerait une sortie scolaire.
Dès lors, le dispositif proposé encourt à coup sûr, me semble-t-il, une censure du Conseil constitutionnel.
Au demeurant, le législateur de 2004 n’a délibérément pas prévu d’étendre l’interdiction du port de signes religieux aux accompagnateurs scolaires, sauf s’ils font partie du monde de l’éducation nationale. C’est tellement vrai que, sous un autre gouvernement, celui de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, au lieu d’inscrire une telle disposition dans la loi de 2010 sur le port du voile intégral – la volonté du Sénat, de l’Assemblée nationale ou du gouvernement de l’époque aurait pu s’exprimer sur ce texte –, M. Chatel a pris une circulaire prévoyant l’interdiction pour les accompagnants scolaires d’exprimer leurs convictions religieuses par leur tenue. Si M. Chatel a opté pour une circulaire, texte de rang normatif inférieur à celui d’une loi, c’est bien parce qu’une loi aurait à coup sûr été invalidée par le Conseil constitutionnel.
Au-delà du sujet constitutionnel – il ne s’agit pas de faire que du droit, même si le droit est important –, je voudrais formuler trois remarques.
Premièrement, l’argument de « l’école hors les murs » est rhétorique. Les enseignants, qu’ils soient dans les murs de l’éducation nationale ou hors de ces murs mais payés en tant que fonctionnaires de la République, sont évidemment tenus au devoir de neutralité. Mais là, nous parlons de parents d’élèves.
Deuxièmement, je trouve assez contradictoire de vouloir à tout prix supprimer toute expression religieuse des parents au nom du principe de neutralité de l’école publique tout en laissant les écoles sous contrat ou hors contrat autoriser le port de vêtements religieux. (Marques d’approbation sur des travées du groupe SER.) Je rappelle d’ailleurs que le port du foulard islamique est possible dans certaines écoles catholiques sous contrat de notre République. Je m’étonne, comme je m’en suis étonné à l’Assemblée nationale, que les demandes ne concernent que l’école publique.
Il me semble tout aussi contradictoire, monsieur Brisson, que vous défendiez avec tant d’ardeur l’instruction en famille, où, par définition, tout vêtement religieux peut être porté intégralement sans le moindre contrôle de l’État, tout en vous montrant aussi sévère à l’égard des mamans qui accompagneraient une sortie scolaire avec un foulard. Il ne m’est pas apparu jusqu’à présent que le port d’un signe religieux par une femme était un acte antirépublicain.
M. Max Brisson. Ça n’a rien à voir !
M. Gérald Darmanin, ministre. Cela a beaucoup à voir ! Si vous ne voulez pas exposer les enfants à des signes religieux, mettez-les à l’école publique ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Didier Marie. Eh oui !
Mme Michelle Meunier. Voilà !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est bête comme chou ! Pour ma part, je suis très fier de l’école publique.
Mais, étant aussi parfaitement respectueux de la liberté de l’enseignement, je ne demande pas l’interdiction des signes religieux dans les écoles sous contrat et hors contrat, même si, en tant qu’élu et que ministre, je rappelle que le meilleur moyen d’avoir la neutralité religieuse est de renforcer l’école publique.
Troisièmement, le dispositif proposé ne touche pas seulement les mamans qui accompagneraient les sorties scolaires. Il vient subrepticement introduire des pratiques contraires à la laïcité française, qui n’est pas la neutralité dans l’espace public.
M. Loïc Hervé. Exactement !
M. Gérald Darmanin, ministre. La laïcité française est au contraire l’acceptation de la pluralité religieuse et des expressions, même religieuses, y compris si elles nous embêtent.
M. Loïc Hervé. Absolument !
M. Gérald Darmanin, ministre. Un régime libéral est un régime qui accepte la pluralité des expressions, même dans l’espace public. La seule exception concerne les personnes qui sont payées par la puissance publique et qui doivent respecter un principe de neutralité, l’État ne reconnaissant aucun culte.
M. Stéphane Piednoir. On parle du temps scolaire !
M. Gérald Darmanin, ministre. Mais ce que je viens d’indiquer vaut qu’il s’agisse de temps scolaire ou non. Cela s’applique tout autant à la personne qui vient chercher un document en mairie, qui prend rendez-vous avec le maire de la commune ou qui s’assoit sous un abribus.
J’ai entendu à l’Assemblée nationale – heureusement, c’est moins le cas au Sénat – des interventions incroyables sur la distinction entre espace du service public et service public. Il n’y a pas un espace du service public et un service public. Il y a un espace public dans lequel la liberté fondamentale d’exprimer son opinion religieuse est reconnue par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs, le législateur n’est revenu sur ce point ni en 2004 ni en 2010.
La loi de 2004 a interdit le port de signes religieux dans les écoles de la République, les collèges et les lycées, car les enfants sont mineurs. D’ailleurs, un problème de frontière peut se poser, certains étant déjà de jeunes majeurs au moment, notamment, d’entrer à l’université.
En 2010, c’est pour des raisons d’ordre public, et certainement pas pour interdire l’expression d’opinions religieuses, que le port du voile intégral a été interdit ; la question s’était d’ailleurs déjà posée en 1955, lorsqu’il s’est agi d’interdire les vêtements religieux sur les photos d’identité. La loi improprement appelée « loi contre la burqa » interdit la dissimulation du visage dans l’espace public pour permettre la vérification des identités, pas pour restreindre une liberté d’expression religieuse.
Parce qu’une telle disposition est inconstitutionnelle et serait censurée par le Conseil constitutionnel, parce que les principes de laïcité et de neutralité dans l’espace public s’appliquent aux agents du service public mais pas aux citoyens ou aux usagers, parce que les collaborateurs occasionnels du service public ne sont pas et ne seront pas des agents du service public, sauf à vouloir les rémunérer – dans ce cas, j’imagine que les collectivités locales réclameraient vite des compensations financières à l’État –, et parce que je trouve une telle revendication très incohérente avec la défense absolue de l’instruction à domicile, je suis très opposé à l’amendement visant à interdire le port de signes religieux aux accompagnants scolaires.
Même si le port du foulard ne me paraît pas souhaitable et, si j’aimerais qu’il soit de moins en moins présent sur le territoire de la République, je tiens à rappeler que les femmes qui le portent – nous en connaissons tous, en tant qu’élus locaux – sont aussi des républicaines patriotes. Je songe à Mme Latifa Ibn Ziaten, qui porte le foulard et qui a donné son fils à la République. Ses enfants, militaires, ont été attaqués par Mohammed Merah. Elle est décorée de la Légion d’honneur. À mon sens, elle a un discours bien plus républicain que nombre de femmes qui ne portent pas le voile ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Monsieur le ministre, je souhaite apporter deux précisions.
Premièrement, un fonctionnaire, qu’il soit dans les murs ou hors les murs, a une obligation de neutralité.
Deuxièmement, les recteurs que nous avons auditionnés nous ont indiqué que les parents venant le matin à l’école, par exemple pour faire de la pâte à modeler, étaient soumis à une obligation de neutralité et ne devaient donc pas porter de signes religieux ostentatoires.
J’ai donc un peu de mal à comprendre la nuance et à m’expliquer pourquoi un parent dans les murs de l’école est soumis à une obligation de neutralité tandis qu’un parent hors les murs ne l’est pas. C’est une question de bon sens. Comme l’a souligné Max Brisson, l’école est dans les murs et hors les murs. Je ne vois pas comment l’éducation nationale peut imposer une obligation de neutralité à des parents lorsqu’ils sont dans les murs et ne pas la leur imposer pendant le temps scolaire lorsqu’ils sont hors les murs. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je partage votre argumentaire, et j’aimerais citer un autre exemple.
Depuis 1805, soit plus de deux siècles, les religieuses de la congrégation des Sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde aident les femmes dans les lieux de privation de liberté, comme les prisons. Il en reste notamment quelques-unes à Caen et à Fleury-Mérogis. Elles portent évidemment un costume religieux et sont voilées, comme nombre de religieuses. À la suite d’un contentieux lancé par le syndicat Force ouvrière, le Conseil d’État a considéré au mois de juillet 2001 qu’elles n’étaient évidemment pas membres du service public, qu’elles n’avaient pas la qualité de fonctionnaire ou d’agent public, mais que leur intervention était exclusive de tout prosélytisme, concluant ainsi que les religieuses n’avaient pas « transgressé le principe de laïcité ou celui de neutralité du service public ».
M. Loïc Hervé. Voilà !
M. Pierre Ouzoulias. Par conséquent, l’amendement que M. Brisson souhaite faire voter ne pourrait pas, me semble-t-il, résoudre le problème. En l’espèce, le Conseil d’État pourrait prendre exactement la même décision et considérer que des personnes accompagnant le service public à l’extérieur de l’école, même si elles ont un signe religieux, ne portent pas atteinte au principe de neutralité du service public. Comme cette jurisprudence demeurera, le dispositif proposé ne résoudra pas, je le crois, le problème.
Sur le fond, il est question du service public. Monsieur le ministre, vous m’en excuserez, mais je vais faire du primitivisme communiste.
Le service public est assuré par des fonctionnaires. C’est tout de même le plus simple. Cela évite tous les problèmes.
Vous considérez, et à raison – je suis d’accord avec cela –, que la classe hors de l’école, c’est le service public. Le service public doit être encadré par des fonctionnaires, à la rigueur par des agents contractuels du service public. Point ! Comme cela, il n’y aura plus de débat. J’aurais aimé déposer un amendement en ce sens, mais ce n’était pas possible pour cause d’article 40 de la Constitution.
À un moment donné, il faut s’interroger sur l’externalisation des services publics. D’ailleurs, cela ne concerne pas que l’école. Il est de plus en plus fait appel à des bénévoles avec des statuts abracadabrantesques, comme disait un Président de la République. Il faut une reprise en main du service public : avoir des fonctionnaires, cela sert aussi à respecter le principe de neutralité.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Monsieur le ministre de l’intérieur, une fois n’est pas coutume, nous partageons totalement votre argumentation.
Je voudrais revenir un instant sur un point de droit que vous avez mentionné : celui des prétendus « collaborateurs occasionnels ». Dans un avis du mois de décembre 2013, le Conseil d’État, saisi de la circulaire de M. Chatel par le Défenseur des droits, a indiqué qu’il n’existait pas entre l’agent et l’usager de troisième catégorie soumise à l’obligation de neutralité. Par conséquent, les personnes qui accompagnent les enfants dans les sorties scolaires ou, éventuellement, qui entrent dans l’école sans exercer de mission d’enseignement ne sont pas soumises au principe de neutralité. À ce titre, elles peuvent, comme dans l’espace public en effet, arborer des signes d’appartenance à telle ou telle religion dès lors qu’elles s’abstiennent de faire du prosélytisme.
Sur le fond, les amendements de nos collègues sont dangereux, car ils laissent entendre l’existence d’un lien de causalité, un continuum culturel entre le port du voile, l’islam politique, le radicalisme, le séparatisme et – pourquoi pas ? – le terrorisme.
Comme le souligne Kahina Bahloul, imam, femme et non voilée, dans un livre que je vous invite à lire, le voile ne relève pas d’une obligation religieuse. C’est une tradition issue de l’interprétation des textes qui, certes – nous en convenons et nous le condamnons –, est une marque de soumission de la femme. Mais, pour l’immense majorité d’entre elles, ce n’est en aucun cas un acte politique.
Mes chers collègues, je préfère une maman qui marche avec la République en accompagnant son enfant à l’école laïque aux familles qui, se sentant stigmatisées, mettraient leur enfant dans une école confessionnelle ou préféraient l’instruction en famille, celle-là même que vous allez rétablir tout à l’heure. Attention à ne pas pointer du doigt l’immense majorité silencieuse de nos compatriotes musulmans, qui vivent leur religion de façon paisible et sans faire de bruit !
Au-delà, faudra-t-il appliquer le principe de laïcité aux aumôniers qui interviennent dans les prisons ou aux sœurs qui exercent des missions de service public dans les hôpitaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, je souscris totalement à votre argumentation, tant sur le plan juridique que sur le fond. J’ai trouvé les arguments que vous avez avancés extrêmement pointus et pédagogiques. Avec les membres de mon groupe, nous les partageons.
J’aimerais simplement apporter quelques éléments complémentaires. Les auteurs des amendements qui nous sont présentés font, je le crois, une confusion entre ce qui relève de l’espace public et ce qui relève des services publics.
Mes chers collègues, soyez logiques avec vous-mêmes. Si vous considérez que les accompagnateurs scolaires ont une mission éducative et que la sortie scolaire est une composante du programme pédagogique de l’école, allez au bout de votre raisonnement et demandez que ces personnes bénéficient d’un statut, d’un encadrement et d’une rémunération ! Mais vous ne pouvez pas demander à des parents d’élèves bénévoles et sans statut de respecter les règles statutaires, notamment de neutralité, auxquelles sont à juste titre soumis les fonctionnaires et les agents publics.
En outre, il est extrêmement important que des parents d’élèves de toutes origines culturelles puissent entrer dans les écoles, accompagner les enfants et avoir ce type d’échanges.
Si vous vous engagez dans cette voie, qu’allez-vous faire pour les kermesses et les fêtes organisées dans les écoles ? (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ce n’est pas du temps pédagogique !
Mme Laurence Cohen. Comptez-vous interdire à certains parents d’élèves de tenir les stands ? C’est une question sérieuse à laquelle il est important de réfléchir.
Arrêtons de stigmatiser une partie de la population et aussi de légiférer sur les tenues vestimentaires des femmes !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour répondre à l’aimable invitation de la commission, je retire mes amendements nos 89 rectifié bis et 88 rectifié bis. En effet, l’amendement n° 286 rectifié bis de Max Brisson étant appelé en priorité, je ne vois pas bien l’intérêt de les maintenir. Soit cet amendement est voté et les autres tomberont, soit il est battu et les suivants le seront également.
Monsieur le ministre, pour une fois, je ne suis pas entièrement d’accord avec vous. Vous avez fait un parallèle entre l’éducation à la maison, que M. Brisson souhaite préserver, et ces amendements sur les accompagnateurs de sorties scolaires.
Je suis un pur produit de l’enseignement public, et j’ai été inspecteur général de l’enseignement public, mais n’oublions pas qu’il existe aussi un enseignement privé dans ce pays.
M. Roger Karoutchi. Les familles, quelle que soit leur religion, sont libres d’inscrire leurs enfants dans un établissement privé.
M. Roger Karoutchi. Quant à l’enseignement familial, je ne vois pas très bien comment on pourrait imposer des règles de neutralité à domicile, car il s’agit d’un espace strictement privé.
Je ne suis pas loin de partager l’opinion de M. Ouzoulias, comme quoi, tout est possible en ce bas monde… (Sourires.)
Au début, nous n’avons pas eu de problèmes avec les sorties scolaires ou pédagogiques, car les enseignants étaient les seuls à accompagner. L’obligation de neutralité s’imposait à eux, quoi qu’il advienne. Mais, à la demande de plusieurs ministres, on a multiplié ce type de sorties, ce qui a nécessité d’élargir le champ des accompagnateurs.
Franchement, quand vous accompagnez une classe dans un car, je ne vois pas comment vous pouvez dire que cela relève de l’espace public. Nous sommes certes en dehors de l’établissement, mais sur le temps scolaire et avec des enfants jeunes, donc plus sensibles, plus malléables. Selon moi, quelle que soit la religion – je ne suis pas là pour parler du voile en particulier –, aucun signe religieux ne devrait être expressément visible dans un car scolaire.
Mme la présidente. Les amendements nos 89 rectifié bis et 88 rectifié bis sont retirés.
La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le ministre, je salue votre détermination pour porter ce texte – il en faut –, mais je vous trouve parfois excessif. Roger Karoutchi l’a bien dit : dénoncer les vêtements portés lors de l’instruction à domicile, alors que l’enfant est seul avec ses parents, c’est vraiment hors sujet. Il faut cesser cette stigmatisation à tout propos.
Je remarque aussi que vous n’avez parlé que du voile. Or, pour la grande majorité des amendements qui ont été déposés, personne dans son argumentaire n’a parlé du voile. (M. le ministre s’esclaffe.)
M. Fabien Gay. Personne n’est dupe !
Mme Nathalie Delattre. C’est vous qui stigmatisez le voile ! Nous, nous employons des termes très généraux.
Pour ma part, je soutiens l’amendement de Max Brisson. C’est pourquoi je rectifie mon amendement n° 150 rectifié bis pour le rendre identique à l’amendement n° 286 rectifié bis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Il s’agit donc de l’amendement n° 150 rectifié ter, dont le libellé est désormais strictement identique à celui de l’amendement n° 286 rectifié bis.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les amendements que nous examinons portent sur le champ de l’obligation de neutralité et l’interdiction du port de signes religieux, déclinés sur plusieurs modes : les accompagnatrices scolaires, les piscines ou encore les assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Le positionnement qu’ils impliquent ne saurait être dogmatique, mais pourrait s’articuler autour de deux questions dont nous pourrons, me semble-t-il, assez largement partager la nécessité.
Premièrement, y a-t-il un vide juridique à combler ? Il semble que le Conseil d’État ait apporté des éléments éclairants dans son avis de 2013, lorsqu’il a déclaré que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
La manifestation des convictions religieuses a pour limite le trouble à l’ordre public, comme le précisait M. le ministre, ou le bon fonctionnement du service public. Faut-il substituer à ce critère, qui implique un discernement casuistique, une interdiction générale et absolue ? Je ne le pense pas.
Deuxièmement, une interdiction générale et absolue du port de signes religieux par les accompagnants de sorties scolaires concourrait-elle à la lutte contre les morcellements et assignations de notre société ? Aurait-elle pour effet de conforter nos principes républicains ?
M. Loïc Hervé. Bonne question !
M. Thani Mohamed Soilihi. Permettrait-elle de faire obstacle à la pression interne à la société française visant à fermer une partie de la société aux valeurs de la République ? Je ne le pense pas non plus.
La laïcité, dont est déduite la liberté de conscience, n’est pas le silence des opinions religieuses des personnes appréhendées comme usagers du service public. Il ne s’agit pas ici de mollesse ou de renoncement, mais de porter une interrogation simple au regard de l’objet du texte. Il s’agit aussi d’affirmer que le principe de laïcité ne doit pas nécessairement sentir la poudre, pour reprendre les mots de Jean Rivero, mais peut constituer un principe fédérateur rassemblant l’ensemble des citoyens, croyants ou incroyants, comme l’exprimait Jean-Marc Sauvé.
Ne manquons pas notre cible, mes chers collègues ! Pour ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe RDPI ne votera pas ces amendements. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, tout d’abord, je suis sensible aux longues réponses que vous m’apportez depuis le début de la soirée.
Je ne vous répondrai pas immédiatement sur l’instruction à domicile. Je ne ferai pas ce genre de mélange, et j’aurai l’occasion d’en reparler lorsque nous aborderons les amendements visant à rétablir l’article 21.
En revanche, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai pas parlé de collaborateurs occasionnels ni de signes ostentatoires ou ostensibles. Je n’ai pointé du doigt ni stigmatisé personne. J’ai parlé de neutralité par rapport à ma conception de l’école. J’ai expliqué que, depuis Jules Ferry, bien avant la loi de 1905, en passant par Jean Zay, et en allant jusqu’à la loi de 2004, il y a une exigence de neutralité et de laïcité particulière à l’école. C’est dans cette ligne d’une neutralité particulière que je m’inscris, qui fait de l’école le seul service public où l’on demande également la neutralité aux usagers.
La vraie question est celle de la classe. Une classe qui sort des murs de l’école reste une classe.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Max Brisson. Je pense connaître un petit peu le code de l’éducation : si une sortie scolaire n’est pas un acte pédagogique, elle n’a pas de raison d’être. En conséquence, tous ceux qui participent à cet acte pédagogique en accompagnant participent aussi à la classe et doivent s’inscrire dans cette logique d’une école conçue comme un lieu de neutralité particulier.
Les enfants ont besoin de repères. Lorsqu’ils sont à l’école, ils apprennent la laïcité. Lorsqu’ils visitent un musée ou se rendent dans un espace de découverte, ils apprennent aussi la laïcité.
Comme l’a dit M. Badinter, pour les mamans ou les papas qui participent à cet acte pédagogique, ce n’est pas un grand sacrifice que d’imposer ce grand principe de laïcité et de neutralité de notre école. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Je veux développer quelques arguments qui me semblent être de bon sens, en espérant qu’ils l’emportent sur une forme de dogmatisme.
Les parents, loin d’être des collaborateurs occasionnels, sont plutôt des collaborateurs permanents de l’éducation des enfants et de l’école. Et heureusement ! Ils n’entrent pas dans l’école – ou hors l’école – seulement à l’occasion des sorties scolaires.
Les mères que vous visez en vérité à travers ces amendements sont extrêmement présentes dans l’éducation de leurs enfants et dans l’école publique. Si nous les stigmatisions, comme vous le proposez, nous ferions reculer l’école publique partout où ces mères et ces parents participent à l’éducation de leurs enfants.
Vous rigolez sur les kermesses : demandez donc aux équipes éducatives s’il ne s’agit pas de moments éducatifs ! Parlez-leur des ateliers où des parents, notamment les mères que vous visez, viennent lire dans les classes et de toutes les activités auxquelles elles participent.
La distinction entre l’intérieur et l’extérieur de l’école n’existe pas pour les parents, car ils font partie de la vie éducative de leurs enfants. Il n’est pas sérieux de prétendre que les enfants ne font pas la différence entre les parents et les agents de l’éducation nationale au sein d’un car scolaire. Ils savent très bien les distinguer !
Faisons preuve de bon sens, mes chers collègues. Si l’on fait ce que vous proposez, que feront les professeurs des écoles lorsqu’ils organiseront une sortie ? Devront-ils établir une liste des parents autorisés à l’accompagner ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Ce sujet a partagé la commission des lois, qui, dans un premier temps, a rejeté ces amendements, avant de les admettre dans le cadre d’un réexamen. Il divise aussi les groupes politiques.
Nous partageons, dans cet hémicycle, l’idée qu’il faut lutter contre l’islamisme radical, mais l’examen du texte démarre assez mal, avec des débats vifs sur la définition de l’espace public et sur le fait de savoir si un bus d’accompagnement des élèves relève ou non de l’espace scolaire. Il me semble que nous confondons l’essentiel et l’accessoire.
Le port d’une kippa, d’un voile ou d’une croix par un parent dans un bus d’accompagnement scolaire est-il un élément décisif ? Je ne le crois pas. Il y a selon moi des combats plus importants à mener à l’encontre de l’islamisme radical.
Je voudrais également opérer une distinction.
Nous sommes réunis pour lutter contre l’islamisme radical, mais nous restons attachés à la liberté des cultes et à la place de la vie spirituelle dans notre société. Nous ne voulons pas que l’un aille à l’encontre de l’autre. Ce n’est pas un hasard si, au cours des trois derniers quinquennats – le second mandat de Jacques Chirac avec la loi de 2004, le quinquennat de Nicolas Sarkozy avec la loi de 2010, celui de François Hollande avec l’avis du Conseil d’État de 2013 –, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas aller sur ce terrain. Cette continuité de trois quinquennats est quand même un signal de sagesse. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne pourrai pas suivre ces amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je veux faire deux remarques.
En effet, madame Delattre, nous voyons bien toute l’ambiguïté de ce projet de loi. Jean-Pierre Sueur l’a très bien dit également : la vocation de ce texte était de combattre l’islamisme radical, mais pour l’instant nous n’en parlons pas.
Vous vous étonnez que nous pensions tous au voile à propos de ces amendements sur les sorties scolaires. Mais à quoi voulez-vous que nous pensions ? Pourquoi ne mentionnez-vous pas directement le voile dans vos amendements ? Quel message voulez-vous faire passer, à part tenter de nous vendre une proposition très électoraliste ?
Sur un plan technique, il y a quelque chose que je ne comprends pas très bien dans l’amendement de M. Brisson. Il propose que l’interdiction du port de signes ou de tenues ostensiblement religieuses « s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement ». Il ne s’agit donc pas des parents d’élèves ou des intervenants qui viennent collaborer de temps en temps, mais des personnes qui « participent aux activités liées à l’enseignement ».
Une école qui sort de ses murs reste une école, certes, mais une école qui participe du monde. Or le monde n’est pas neutre. J’évoquerai un cas qui me concerne directement, celui du camp de déportés d’Aix-Les Milles. Lorsqu’elles le visitent, les classes peuvent être accompagnées d’un témoin de la déportation, qui parfois porte la kippa – je l’ai constaté personnellement. Va-t-on demander à cette personne d’enlever sa kippa au prétexte qu’il s’agit d’un port ostensible ?
Autre exemple, plus léger : lors d’une sortie culturelle dans un théâtre, si l’on propose à des jeunes de jouer une scène dans une tenue ecclésiastique, faudra-t-il défroquer le prêtre ? (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains.)
Troisième exemple…
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, monsieur Benarroche !
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, si nous voulons pouvoir nous déterminer sur ces amendements, nous devons essayer de comprendre. C’est important !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. J’ai l’impression de revivre les débats que nous avons eus sur la proposition de loi de notre collègue Eustache-Brinio ou sur le texte pour une école de la confiance.
Comme le ministre l’a très bien dit, le Conseil d’État a tranché le débat depuis longtemps. Les parents accompagnateurs sont des usagers – j’insiste sur ce terme – du service public et ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui incombe aux agents. C’est presque de l’acharnement législatif, mes chers collègues.
Monsieur Brisson, comment pouvez-vous dire que les accompagnatrices ou les accompagnateurs de sorties scolaires exercent directement une mission de service public ? Ils ne sont pas employés par l’éducation nationale, comme le soulignait notre collègue Laurence Cohen. Il faudrait pour cela créer un statut et les rémunérer.
Quant à la notion exclusivement fonctionnelle de collaborateur occasionnel, je crois qu’elle n’existe pas en droit et que nous ne devons pas nous placer sur ce terrain.
Dans la logique de votre amendement et de vos explications, demanderez-vous la même chose aux parents qui participent à un conseil d’établissement ?
Il me semble que cette interdiction procède d’une double confusion : une confusion juridique, tout d’abord, entre le régime applicable aux agents du service public et celui qui prévaut pour les usagers ; une confusion politique, ensuite, beaucoup plus grave, sur le principe même de la laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec M. le ministre (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. On n’est pourtant pas le 1er avril !
Mme Esther Benbassa. D’abord, dans le texte de 1905, aucun élément ne fait référence à une interdiction du port de signes religieux. D’ailleurs, Aristide Briand, initiateur de cette loi, assurait que l’État n’avait pas à se soucier de la signification religieuse d’un vêtement.
Ensuite, de façon pratique, de nombreuses sorties n’auraient pas lieu s’il n’y avait pas ces mères accompagnatrices – en général, ce ne sont pas les pères qui le font –, véritables auxiliaires qui aident les enseignants à s’occuper des élèves.
Enfin, voir leur mère les accompagner à une sortie scolaire, c’est un véritable modèle d’intégration pour les enfants. Connaissant un peu l’islam, je peux vous dire que, si la mère voilée était islamiste, elle n’accompagnerait pas les élèves.
Essayons de laisser un peu de place à la spiritualité dans notre société, car c’est elle qui est le plus souvent pratiquée par les jeunes, à l’heure où la religion a largement disparu !
Ce n’est pas seulement être islamiste que de porter le voile. Je suis juive, ma grand-mère portait un voile, et je n’étais pas pratiquante. Il faut quand même accepter la pudeur et l’islam culturel pratiqué par la classe moyenne musulmane. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Comme l’aurait dit Aristide Briand lors de la discussion de la loi de 1905, c’est typiquement le genre d’amendements qui va stimuler l’ingéniosité des tailleurs. En effet, l’expression de la religiosité se fera différemment si nous allons dans le sens de cette proposition.
Plus fondamentalement, la circulaire du 18 mai 2004 me semblait suffisamment précise. La loi s’applique aux seuls élèves, et non aux parents, puisque ces derniers ne participent pas à l’activité d’enseignement. Ils ne jouent pas ce rôle lors des sorties scolaires.
La manifestation de la religiosité, quelle qu’elle soit, peut me déranger, mais elle est la condition d’existence de notre laïcité. La laïcité, c’est aussi la tolérance vis-à-vis de l’ensemble des cultes, quand bien même ils me gêneraient en tant qu’athée, agnostique ou membre d’une autre croyance.
Enfin, arrêtons avec ces débats sur l’université ! La loi de 2004 s’applique aux élèves, parce qu’ils ne sont pas encore formés et que les pressions psychologiques peuvent nuire à leur développement. On peut regretter la manifestation religieuse à l’université, mais les étudiants sont des adultes. N’appliquons pas les mêmes règles à des endroits complètement différents !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Ce débat se caractérise quand même par beaucoup de suspicion et de stigmatisation.
Je voudrais commencer par remercier les parents. Ils ne sont finalement pas si nombreux à avoir ou à prendre le temps d’accompagner les enfants dans les sorties scolaires. Leur présence est parfois une condition absolument indispensable à la tenue de ces sorties. Ce n’est pas un acte prosélyte, ni un acte d’éducation ; c’est un acte citoyen. Or, dans ce cadre, on peut rester soi-même, c’est-à-dire le père ou la mère de tel ou tel enfant. On intervient en tant que parent, et non en tant que collaborateur du service de l’éducation.
Un parent a le droit de rester lui-même, comme lorsqu’il attend son enfant à la sortie de l’école. Il serait tout de même étrange de devoir travestir son habit quotidien pour cela.
Rien ne justifie aujourd’hui que l’on revienne pour la troisième fois en trois ans sur ce sujet qui ne pose pas de difficultés au quotidien.
Ce serait terrible de placer les enseignants dans la situation de devoir dire qui a le droit et qui n’a pas le droit d’accompagner les sorties scolaires. Il arrive souvent aux enfants d’interpeller leurs parents pour savoir quand ils vont eux aussi pouvoir accompagner une sortie. Et ils devraient leur répondre qu’ils n’en ont pas le droit, alors même que leurs enfants les sollicitent en tant que parents !
Ce débat me semble vraiment superfétatoire. C’est pourquoi je n’utiliserai pas mes dix dernières secondes…
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Où est l’humain dans cet amendement ? Je me le demande. Une maman voilée n’est-elle plus une maman ?
Avez-vous déjà vu dans les yeux d’un enfant le bonheur de voir son papa ou sa maman accompagner une sortie scolaire ? (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est essentiel pour lui, et je pense que ce parent s’inscrit dans l’école laïque en accompagnant son enfant.
Si vous privez ce parent de cet accompagnement, vous privez non seulement l’enfant, mais vous risquez également de priver toute la classe, car les parents accompagnateurs ne sont pas pléthoriques.
Vous commettez vraiment, me semble-t-il, une faute grave. Vous voyez le voile, mais les enfants ne le voient pas. Pour la plupart d’entre eux, c’est un habit usuel qui ne pose pas de problème. C’est au contraire s’il est retiré qu’ils constateront son absence.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Dans la droite ligne des propos de Philippe Bonnecarrère, je ne voterai pas ces amendements, pas plus que je n’ai voté il y a quelques mois la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.
Nous devons, me semble-t-il, nous appuyer sur un débat de principe quant au rôle de la laïcité dans notre pays, qui n’a pas vocation à irradier toute la société française. La République est laïque ; la société et les individus ne le sont pas.
Les parents sont très souvent sollicités par l’école de leurs enfants pour accompagner, c’est-à-dire prêter main-forte à l’enseignant à l’extérieur de l’école, en particulier pour assurer la sécurité des élèves. Je suis père de famille de trois enfants fréquentant le collège et l’école primaire, je sais très bien ce qu’est une sortie scolaire pour en pratiquer régulièrement.
Je ne comprends pas ce débat à front renversé ce soir. Notre collègue Pierre Ouzoulias défend les bonnes sœurs dans les prisons pour expliquer leur rôle historique, reconnu par la jurisprudence. De grâce, ne laïcisons pas la société française ! Laissez les gens libres ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. Je fais partie des quelques personnes – je crois que nous ne sommes pas très nombreux – qui ont voté la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, mais qui ne vont pas voter l’amendement de Max Brisson.
Pourquoi ?
D’abord, je ne voudrais pas qu’on se trompe de cible. Nous parlons de parents d’élèves, en particulier de mamans, auxquels on demande un service : participer à l’encadrement des sorties scolaires. Or, sans leur présence, ces sorties scolaires n’auraient sans doute pas lieu et, si elles acceptent de les accompagner, je ne crois pas que ce soit avec des arrière-pensées prosélytes, mais tout simplement pour rendre service.
Je voudrais lever deux ambiguïtés qui ont pu naître de nos échanges.
Premièrement, ces accompagnatrices ne participent ni à l’enseignement ni à la pédagogie – fort heureusement, d’ailleurs, puisqu’elles ne sont pas formées pour cela. Ces aspects reviennent aux seuls enseignants.
Deuxièmement, le concept de neutralité n’a jamais été absolu pour l’école. Des exemples ont été cités : certains intervenants peuvent porter un signe ostentatoire ; on peut aussi évoquer les fêtes de fin d’année – nos collègues communistes ont parlé de kermesse : je leur signale qu’à l’école publique, on parle de fête de fin d’année, non pas de kermesse… (Sourires.) – ou les réunions avec les parents d’élèves, auxquelles un parent peut venir avec un signe ostentatoire. Vous le voyez, la notion de neutralité n’est pas absolue et totale, y compris au sein de l’école.
Surtout, et c’est la raison pour laquelle mon vote sera différent aujourd’hui, nous ne devons pas nous tromper d’objectif. Nous examinerons plus tard dans nos débats l’article 21 de ce projet de loi, qui concerne l’instruction à domicile : nous devons faire attention à ce qu’un certain nombre de familles ne décident pas à quitter l’école publique au bénéfice d’autres lieux d’enseignement qui éloigneraient leurs enfants des principes de la République.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument !
M. Laurent Lafon. Nous parlons ici de familles qui ont fait le choix de l’école publique et je ne voudrais pas que, par de telles propositions, nous leur adressions un signal négatif. Or l’adoption des amendements nos 286 rectifié bis et 150 rectifié ter enverrait un tel signal à ces familles. (M. Thani Mohamed Soilihi et Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Avec beaucoup de fougue, notre collègue Loïc Hervé nous a rappelé que, si la République était laïque, la société et les individus ne l’étaient pas. Pour autant, nous parlons ici de l’école et l’école est laïque – ne l’oublions jamais !
M. Gérard Longuet. L’école publique !
M. Olivier Paccaud. Oui, l’école publique.
Nous avons beaucoup parlé des parents accompagnants ; nous n’avons pas du tout parlé des enseignants et des directeurs qui organisent les sorties scolaires. Or il serait utile de savoir quelle est leur position et nous sommes assez nombreux à avoir évoqué cette problématique avec eux. Il faut savoir que certains directeurs d’école ne veulent pas organiser de sorties scolaires du fait de cette problématique de neutralité.
Il ne s’agit pas de stigmatiser ; il s’agit d’inviter à la neutralité. La loi peut être un outil formidable pour cela.
Madame la présidente, nous sommes tous les deux élus d’un département qui a une histoire particulière sur ces questions, puisque c’est à Creil qu’a eu lieu l’affaire du voile qui a abouti à la loi de 2004. Et la loi a fait son œuvre : il n’y a plus de problèmes liés au port du voile dans les collèges Gabriel-Havez et Jean-Jacques-Rousseau de Creil.
J’ai cosigné des deux mains l’amendement de Max Brisson, parce que je pense sincèrement qu’une telle disposition législative est un formidable outil offert aux organisateurs de sorties scolaires afin que ces sorties, à vocation pédagogique, se déroulent dans le climat le plus sain possible.
Pour terminer, je voudrais vous donner l’exemple du directeur d’une école de Creil qui, chaque début d’année, organise une réunion avec les parents d’élèves qui souhaitent accompagner une sortie scolaire. Il leur explique qu’il n’organisera de sorties que si les parents acceptent momentanément, le temps de la sortie, de mettre leurs vêtements religieux de côté, parce qu’il s’agit d’une action pédagogique où la neutralité s’impose. Cela se passe très bien.
M. Claude Raynal. Il n’y a donc pas besoin de loi !
M. Olivier Paccaud. Ce directeur d’école demande une mesure législative comme celle que nous proposons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, il n’est pas très juste de m’interpeller à cet instant, puisque, en tant que présidente de séance, je ne peux pas vous répondre.
M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas méchant !
M. Olivier Paccaud. En effet !
M. Bruno Retailleau. Il est évident que cette mesure peut nous diviser. J’ai écouté les arguments des uns et des autres et j’ai relu les débats qui ont précédé l’adoption de la loi de 2004 : finalement, rien n’a changé ; il y a le même clivage entre la droite et la gauche – le ministre en plus, si j’ose dire, mais il n’était pas député à l’époque…
M. Bruno Retailleau. Avec les mêmes arguments – tolérance, non-laïcisation de la société – que ceux que j’entends ce soir, la loi de 2004 qui concernait aussi l’école publique n’aurait jamais été votée, mes chers collègues – c’est évident. Or qui s’en plaint de nos jours ? Demandez aux directeurs d’école ou aux enseignants : cette loi est une réussite.
Aujourd’hui, nous sommes à un moment où un islam politique essaie de construire en France une contre-société à visée séparatiste et sexiste. Il veut soumettre la femme à certaines règles, au travers notamment de signes ostentatoires.
J’entends l’argument selon lequel les sorties scolaires ne seraient que de simples balades. Non, c’est l’école hors les murs ! D’ailleurs, plusieurs circulaires ont été publiées à ce sujet : François Bayrou en a signé une en 1994 pour interdire le port de signes ostentatoires à l’école ; une autre, publiée en 1999, concernait l’école élémentaire et maternelle ; une autre, en 2011, le second degré.
Les choses sont donc claires : les sorties scolaires se préparent avant, elles s’exploitent après et elles sont obligatoires ! Bref, c’est l’école hors les murs, comme nous l’a très bien dit notre collègue Max Brisson.
Ensuite, autre dimension, l’accompagnateur scolaire n’est pas seulement un parent ; il est aussi celui qui encadre d’autres enfants qui ne sont pas les siens.
Enfin, l’école est un lieu privilégié où se joue, dans notre République laïque, le sens que nous souhaitons donner au commun. C’est pour cette raison qu’existe depuis longtemps – plus d’un siècle et demi – une exigence de neutralité qui s’impose aux professeurs. Cette exigence renforcée s’impose aux usagers, c’est-à-dire les élèves, depuis 2004 et la Cour administrative d’appel de Lyon a donné raison, il y a quelques années, à un instituteur qui se plaignait que des parents soient venus en classe avec des signes ostentatoires.
Il y a donc bien une gradation et nous demandons une quatrième étape.
Franchement, si l’école est, comme le disait Hannah Arendt, un lieu de la continuation du monde, la République laïque doit donner beaucoup de sens à cette neutralité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Bruno Retailleau. Aujourd’hui, nous devons avoir le courage de ne pas laisser seuls les enseignants et les directeurs ; nous devons prendre nos responsabilités et voter une mesure que nous avons déjà votée il y a un an et demi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. Manifestement, il arrive que deux minutes trente ne suffisent pas…
La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Manifestement, ce sujet vous passionne et vous obsède, puisque c’est la troisième fois en deux ans que nous avons ce débat sur les parents qui accompagnent les sorties scolaires. Rassurez-vous, madame Delattre, tout le monde a compris – et personne n’est dupe – que vous ciblez en réalité une partie de nos compatriotes musulmans, plus particulièrement les femmes – Mme Benbassa a raison : 90 % de ces accompagnateurs sont des femmes.
Mme Nathalie Delattre. Ne parlez pas pour moi !
M. Fabien Gay. La question que nous devons nous poser est la suivante : avons-nous vraiment un problème ? Une étude a été menée : elle a recensé mille cas d’attaques contre la laïcité à l’école, dont deux cent quarante de la part de parents. Évidemment, c’est extrêmement grave, mais deux cent quarante sur des centaines de milliers de sorties scolaires, c’est quand même epsilon – pardonnez-moi de vous le dire ! Malgré cela, c’est la troisième fois que nous avons ce débat en deux ans.
Comme plusieurs collègues l’ont dit, les parents sont parties prenantes de la vie de l’école au quotidien : les kermesses, les sorties scolaires, les conseils d’école, etc. Surtout, les parents amènent leurs enfants à l’école tous les matins et reviennent les chercher tous les soirs ; les enfants connaissent les parents de leurs camarades et ils font très bien la distinction entre les parents et l’équipe enseignante.
Ensuite, Pierre Laurent a eu raison de le dire, imaginons un seul instant les cicatrices que laissera sur les enfants l’application de la mesure prévue par cet amendement. Les enseignants devront alors dire à des enfants que leurs parents ne pourront pas venir les accompagner lors d’une sortie scolaire. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.) Et tout cela dans l’école de la République !
Enfin, puisque cela fait trois fois que nous avons ce débat en deux ans, si vous voulez tant cette neutralité, mes chers collègues, donnez les moyens à l’éducation nationale de recruter les dizaines de milliers de personnes qui sont nécessaires pour accompagner les sorties scolaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Si nous le faisons, nous n’aurons plus ce débat ! Mais il y a une petite contradiction, mes chers collègues, puisque vous voulez moins de fonctionnaires et que, chaque année, vous votez des baisses de crédits… Nous vous laissons volontiers dans votre contradiction, mais – de grâce ! – laissons les parents accompagner les enfants lors des sorties scolaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul ainsi que MM. Thomas Dossus et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, dans votre long exposé en appui de l’avis que vous avez donné sur ces amendements, vous avez recouru à une surabondance d’arguments, ce qui, de mon point de vue, affaiblit votre raisonnement. Quand on a un raisonnement fort, on n’a pas besoin de rajouter des arguments aux arguments.
Premièrement, ces amendements concernent l’école publique. Vous leur reprochez de ne pas concerner l’école privée, mais il s’agit d’une donnée fondamentale de la liberté de l’enseignement : le caractère propre des établissements privés fait que nous ne devons pas leur appliquer les mêmes règles qu’aux établissements publics, ou alors il faut remettre en cause la liberté de l’enseignement. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Deuxièmement, la distinction entre l’activité pédagogique hors les murs et celle dans les murs ne tient pas debout. Le professeur est neutre dans les murs, il l’est aussi hors les murs !
Plusieurs sénateurs du groupe CRCE. Parce qu’il est professeur !
M. Philippe Bas. Et il n’y a pas d’obstacle à ce que, si nous le décidons, l’accompagnateur de sortie scolaire se voie imposer des obligations de neutralité quand il participe avec le professeur à des activités pédagogiques hors les murs.
Troisièmement, ces parents, contrairement à ce que j’ai entendu, ne sont pas des usagers du service public. Ils ont une mission : ils ne se bornent pas à s’occuper de leurs propres enfants, ils s’occupent aussi des enfants des autres ; ils exercent, sous la conduite de l’enseignant, une parcelle d’autorité et participent le cas échéant à la mission pédagogique, en répondant aux questions des enfants, ils peuvent exercer une influence sur ces enfants comme les enseignants eux-mêmes.
Je ne vois pas d’obstacle majeur, y compris d’ordre constitutionnel, à ce que l’on tienne compte de cette situation avec le même objectif que pour les enseignants, à savoir respecter la liberté de l’enfant, en évitant de l’exposer à une forme d’influence psychologique exercée par une certaine revendication d’appartenance religieuse qui s’imposerait à l’enfant par le port du voile ou d’autres signes religieux pendant les sorties scolaires. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Enfin, monsieur le ministre, ce n’est pas la tolérance à l’égard des cultes qui est en cause dans ces amendements. Si tel était le cas, il faudrait se poser la même question quand on impose aux professeurs la neutralité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Bas. Or personne ne dit que demander à un professeur de ne pas porter le voile est une atteinte à la tolérance à l’égard des cultes.
Par conséquent, je crois que les arguments qui nous sont opposés n’ont que peu de consistance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, je suis souvent d’accord avec vous et je vous soutiens en ce qui concerne ce texte. En même temps, je me réjouis de la liberté d’expression qui s’exerce dans notre démocratie : chacun peut y exprimer son point de vue.
Pour autant, les points de vue que j’entends ce soir me semblent irréconciliables, parce qu’ils partent de deux perspectives différentes.
La première, défendue par Max Brisson et d’autres collègues, est celle du regard porté sur l’école, creuset de la société, et de l’émancipation des esprits qui doivent être protégés de ce qui se passe à l’extérieur. Ce point de vue s’entend.
La seconde est aussi très juste ; selon elle, si on exclut des parents qui souhaitent s’intégrer, on les marque, en quelque sorte, au fer rouge.
Il nous est arrivé à tous d’accompagner nos enfants dans des endroits où nous n’allons jamais, par exemple pour des activités sportives. Et parce que nous aimons nos enfants, nous avons mis d’autres vêtements que ceux que nous portons habituellement. On ne peut donc pas dire qu’avec ces amendements on interdit aux parents de participer à des activités.
Je voudrais reprendre l’un des arguments avancés par Mme la rapporteure : il est extrêmement délicat de distinguer l’école dans les murs, où des parents qui viennent participer à des ateliers, par exemple de peinture, ne pourraient pas porter de signe ostentatoire, et l’école hors les murs où, parce qu’on franchit la porte de l’école pour une activité organisée par l’équipe enseignante et sous sa responsabilité, on pourrait en porter.
Revenons, mes chers collègues, à la vraie vie ! Comment un directeur d’école peut-il expliquer à une femme que, quand elle franchit la porte de l’établissement, elle doit s’habiller autrement, mais pas quand elle accompagne une sortie scolaire ? C’est un vrai problème !
Il ne s’agit pas de marquer au fer rouge les musulmans, pas plus que les chrétiens ou les juifs. De quoi parlons-nous en fait ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Écoutez ce que j’ai à dire, ma chère collègue ! Nous avons affaire à des entristes qui instrumentalisent une religion pour conquérir notre société. (Exclamations sur des travées des groupes CRCE et SER.) Or, mes chers collègues, vous avez dû voir des maires, dans certains territoires, porter un voile par prosélytisme.
Mme Nathalie Delattre. Par militantisme !
Mme Françoise Gatel. J’ai écouté les points de vue des uns et des autres : je voterai l’amendement de Max Brisson ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. Olivier Paccaud disait qu’on parlait beaucoup des accompagnants, mais peu des enseignants. Je voudrais témoigner à ce titre de ma modeste expérience.
J’ai été enseignant durant de nombreuses années et j’ai naturellement fait appel à des parents pour accompagner des sorties, que ce soit pour du ski de fond, de la natation, du rugby ou encore du football, et ces personnes étaient évidemment intéressées et motivées par la sortie en question – elles avaient même parfois un lien professionnel ou associatif avec l’activité.
En outre, il s’agit bien d’une activité pédagogique dans le cadre scolaire : elle est encadrée par un enseignant et accompagnée par des parents.
En tout cas, je peux aussi vous dire que je n’aurais jamais accepté, dans un stade ou une piscine ou sur une piste de ski de fond, un accompagnant en soutane, en burqa, en djellaba ou portant une kippa. Cela n’aurait pas eu de sens, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, et cela n’était pas acceptable. De même pour une accompagnatrice en piscine qui aurait porté un burkini.
La neutralité et les règles de la laïcité sont très importantes. Max Brisson l’a dit et je soutiens son amendement ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je voudrais rappeler l’objectif prioritaire de l’article 1er de ce projet de loi : conforter et étendre le principe de neutralité à toute personne assumant un service public, les fonctionnaires bien sûr, mais aussi d’autres personnes, y compris des salariés du secteur privé, qui travaillent dans une entreprise bénéficiant d’une délégation de service public.
À entendre l’avis qu’il a rendu sur ces amendements, je m’interroge finalement sur la position du Gouvernement : jusqu’où va, pour lui, la neutralité du service public ? L’éducation nationale n’est-elle pas un service public qu’il faut défendre, y compris en ce qui concerne la laïcité ?
Ne fixons pas des principes à géométrie variable !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat est très intéressant ; de nombreux arguments, souvent parfaitement acceptables, ont été avancés et, même si on dit qu’il ne faut philosopher qu’après avoir mangé (Sourires.), il me semble important de leur apporter, avant que vous ne votiez, quelques éléments de réponse.
Bienheureux celui qui a un point de vue définitif sur un sujet aussi important.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat traverse incontestablement la société française, il est donc naturel qu’il ait aussi lieu ici. Je ne me permettrai pas de vous écraser de certitudes, mais nos doutes ne doivent pas nous empêcher de cheminer vers une conviction.
Je voudrais d’abord faire remarquer une nouvelle fois que ces amendements ne concernent que l’école publique. Il y a d’ailleurs, dans l’argumentaire de M. Brisson, une petite contradiction. Sans doute faudra-t-il préciser les choses, si ces amendements devaient prospérer, car le service public de l’éducation comprend aussi l’école privée sous contrat – en effet, les enseignants y sont payés par l’État.
Ensuite, monsieur le sénateur Brisson, vous avez parlé des établissements publics locaux. Il y a donc une difficulté et ma question, si elle est rhétorique, est à la fois efficace et provocante : pourquoi n’imposez-vous cette neutralité pour les accompagnants de sorties scolaires, qui n’ont rien à voir avec les fonctionnaires de l’éducation nationale, qu’à l’école publique ?
Je veux redire à quel point on peut quand même s’étonner du fait que des vêtements religieux continuent d’être portés dans des écoles sous contrat, sans parler de celles hors contrat. Le règlement intérieur de certains établissements catholiques interdit le port de signes religieux, ce qui n’a rien à voir avec la pratique ou l’enseignement de la religion. Par ailleurs, des établissements catholiques acceptent le port de vêtements religieux, y compris par les mineures musulmanes. Et je ne parle pas des écoles, collèges ou lycées musulmans sous contrat qui existent à Lyon ou à Lille et dont l’État a favorisé l’ouverture sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, ce qui était une très bonne chose. Je constate que cet argument n’a guère été contrecarré durant le débat.
Monsieur Bas, vous dites que les accompagnants sont des collaborateurs occasionnels, pas des usagers. Je ne voudrais pas vous offenser, en lisant une étude du Conseil d’État de 2013, institution que vous connaissez bien et qui dit peu de bêtises – concédons-le ! Dans la continuité de son importante jurisprudence, le Conseil d’État écrivait très clairement que les parents d’élèves avaient la qualité d’usagers du service public et qu’en tant que tels ils n’étaient pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse : « L’emploi, par diverses sources et pour des finalités diverses, de la notion de “collaborateur”, de “collaborateur occasionnel” ou de “participant” ne dessine pas une catégorie juridique, dont les membres seraient, entre autres, soumis au principe de neutralité religieuse. » C’est ce que dit le Conseil d’État, monsieur le sénateur !
M. Philippe Bas. C’est bien pour cela qu’il faut une disposition législative ! Le Conseil d’État n’est pas au-dessus de la loi.
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, monsieur Bas, mais le Conseil d’État définit bien la qualité d’usager du service public et je ne peux pas imaginer que vous critiquiez cette grande maison…
M. Philippe Bas. Si, justement !
M. Gérald Darmanin, ministre. … simplement pour affaiblir les arguments du Gouvernement !
M. le sénateur Retailleau évoquait un débat droite-gauche au moment de l’examen du texte qui est devenu la loi de 2004 et il estimait qu’on retrouvait aujourd’hui le même débat.
Il n’est pas exact de dire qu’à l’époque le débat était entre la droite et la gauche, puisqu’une quarantaine de députés de droite, tout à fait respectables bien sûr, n’a pas voté ce texte – je l’ai d’ailleurs rappelé à l’Assemblée nationale à M. Le Fur qui faisait partie de ces députés.
M. Hervé parlait d’une forme de débat inversé, puisqu’un sénateur communiste défendait la présence de bonnes sœurs à l’intérieur des centres pénitentiaires.
M. Gérard Longuet. De religieuses !
M. Gérald Darmanin, ministre. Absolument ! Je m’en excuse auprès d’elles si elles nous écoutent ! (Sourires.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Vous êtes pardonné !
M. Gérard Longuet. Vous aurez l’absolution ! (Mêmes mouvements.)
M. Gérald Darmanin, ministre. À tout pécheur, miséricorde ! (Nouveaux sourires.)
En tout cas, s’il existe une incongruité dans le discours collectif, c’est bien le glissement qui s’est produit dans la droite française : si je me réfère à ma petite expérience politique, elle était auparavant très attentive à l’expression des croyances religieuses et à la place du citoyen croyant dans l’espace public, et ses courants traditionnels, sans parler de son courant libéral – cela se comprend au regard de l’histoire des idées –, n’ont pas toujours défendu la laïcité. Cela explique peut-être nos difficultés dans ce débat.
Or depuis au moins la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le libéralisme politique français estime que l’expression des opinions, même les opinions religieuses ou celles qui nous gênent, doit être possible dans l’espace public.
Ce glissement dans l’histoire des idées est fort intéressant, mais vous ne m’enlèverez pas de l’esprit qu’il provient d’une distinction qui est faite entre l’islam et les autres religions.
Madame Delattre, personne ne doute un seul instant que vous parlez ici du foulard. Ce serait bien hypocrite pour nos concitoyens de ne pas le dire. (Mme Nathalie Delattre proteste.) Certains le disent d’ailleurs eux-mêmes et il faut entendre cette colère, cette crainte, cette peur, tout en essayant de les raisonner quand cela est possible. Il faut pouvoir leur dire que pas une seule femme voilée, à ma connaissance en tout cas, n’a commis un attentat mortel sur le sol de la République. (Mme Nathalie Delattre proteste de nouveau.) C’est un constat, madame la sénatrice, et il serait hypocrite de dire que la question du voile n’est pas à l’origine de ces amendements.
La question est de savoir si on accepte l’expression religieuse et si le voile pose un problème à la République. C’est une question intéressante et importante, que je ne sous-estime pas, mais ne dites pas qu’on ne parle pas ici du voile ! Il est évident que la question du voile sous-tend ces amendements.
Plusieurs sénateurs du groupe SER. C’est clair !
M. Gérald Darmanin, ministre. On a le droit d’en discuter, mais il faut être clair en effet. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, plusieurs sénateurs de la majorité sénatoriale ont avancé l’argument selon lequel les représentants des cultes seraient réservés sur ce projet de loi.
J’attire alors votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que les représentants de l’ensemble des cultes, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, sont fondamentalement opposés à la disposition prévue dans ces amendements (M. Max Brisson proteste.), y compris si elle est limitée à l’école publique. Relisez, monsieur Brisson, la position du Grand Rabbin de France, celle du président de la Conférence des évêques de France ou celle du président de la Fédération protestante de France ! Ils sont tous opposés à cette proposition, ce qui ne veut évidemment pas dire que le Sénat n’a pas le droit de l’adopter.
Je voudrais aussi dire à M. Retailleau qu’en 2004 le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, était très défavorable à cette mesure. Il s’y est toujours opposé, il l’a d’ailleurs écrit dans son livre La République, les religions, l’espérance. De très nombreux responsables politiques de la droite française ont pris la même position. Il ne me semble donc pas que ce débat soit simplement un débat droite-gauche.
Pour terminer, et puisque M. Retailleau a dit que le débat venait de 2004 et que rien n’avait changé, je voudrais citer Aristide Briand. Lorsque la question de l’interdiction des vêtements religieux dans l’espace public s’est posée, Aristide Briand a déclaré, le 26 juin 1905, devant la Chambre des députés…
M. Bruno Retailleau. Y avait-il eu des attentats ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il n’est peut-être pas nécessaire de caricaturer, monsieur Retailleau !
Écoutons les paroles d’Aristide Briand, alors rapporteur du projet et des propositions de loi concernant la séparation des Églises et de l’État :
« Messieurs, au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique, qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission, mais bien au contraire d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule (Applaudissements et rires au centre et à droite), que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, d’imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements.
« Je ferai du reste observer à l’honorable M. Chabert que le problème n’est pas aussi simple ni aussi facile à résoudre qu’il semble le supposer. Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens. »
On pourrait évidemment reprendre cet argument pour celles qui se distinguent par le voile islamique, mais je reprends la citation :…
M. Max Brisson. Quel est le rapport avec le sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre. … « Mais la soutane une fois supprimée, M. Chabert peut être sûr que, si l’église devait y trouver son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus la soutane, mais qui se différencierait encore assez du veston et de la redingote pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen.
« Alors, c’est sciemment que j’ai refusé ces dispositions, considérant que la loi d’interdiction de l’intolérance, mais d’autorisation de la liberté, permettait au Parlement d’assouvir ce que la République voulait. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 286 rectifié bis et 150 rectifié ter.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 177 |
Contre | 141 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, les amendements nos 56 rectifié, 266 rectifié, 231 rectifié, 60 rectifié et 487 rectifié n’ont plus d’objet.
La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. J’informe mes collègues de la commission des lois que la réunion, initialement prévue à vingt heures quarante-cinq, aura finalement lieu à vingt et une heure quinze.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 397 rectifié, présenté par MM. C. Vial, Brisson et Rapin, Mme Joseph, MM. Le Rudulier et Savary, Mmes Belrhiti et Gruny, MM. Bascher et H. Leroy, Mme Lassarade, M. Chatillon, Mme Ventalon, MM. Darnaud, Boré et Bonhomme, Mmes Dumont, Bonfanti-Dossat, Deroche et Drexler, MM. Laménie, Charon, Tabarot et Somon et Mme Borchio Fontimp, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 1 et 5, seconde phrase
Après les mots :
il veille
insérer les mots :
, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire,
II. – Alinéa 2
Après le mot :
également
insérer les mots :
, sous sa responsabilité,
La parole est à M. Cédric Vial.
M. Cédric Vial. L’article 1er tend à inscrire dans la loi le principe selon lequel les organismes de droit privé ou de droit public chargés de l’exécution d’un service public sont soumis au principe de neutralité et de laïcité pour les activités qui relèvent de ce champ.
Il impose à ces organismes de veiller au respect de ces principes par les personnes qui participent à l’exécution du service public. J’y insiste : « veiller ». D’après le Larousse, c’est un verbe qui définit un état dans lequel nous ne sommes pas endormis. C’est une bonne chose. Ce dictionnaire nous dit aussi, en seconde définition, que « veiller à ce que », signifie « faire en sorte », mais « faire en sorte », sinon quoi ?
Cet amendement vise à préciser que l’organisme doit veiller au respect desdits principes dans le cadre de son pouvoir disciplinaire à l’égard des agents qui sont sous sa responsabilité, afin, tout simplement, de passer d’un état passif à une attention bienveillante. Nous souhaitons rappeler dans le texte qu’il ne s’agit pas simplement d’une tâche que l’on confie à cet organisme ou à ses agents, mais bien d’une responsabilité, dont le non-respect peut faire l’objet, le cas échéant, de mesures disciplinaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 368, présenté par M. Meurant, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1, seconde phrase
Après le mot :
veille
insérer les mots :
, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire,
II. - Alinéa 2
Après le mot :
également
insérer les mots :
, sous sa responsabilité,
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous comprenons la réflexion de nos collègues, mais tout cela est déjà prévu, puisque l’article 1er précise que l’organisme prend les mesures nécessaires pour faire respecter les obligations qui incombent à ses salariés. Cela comprend évidemment les mesures disciplinaires. Cette mention permet en outre à l’employeur de procéder par d’autres voies, en adaptant les stipulations du contrat de travail, par exemple. Une partie de ces amendements est ainsi satisfaite.
Ce même article dispose que l’organisme veille au respect des obligations du sous-traitant, ce qui implique nécessairement qu’il est responsable de leur observation.
Pour ces deux raisons, je sollicite le retrait de ces amendements, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Vial, l’amendement n° 397 rectifié est-il maintenu ?
M. Cédric Vial. J’ai bien compris les arguments de Mme la rapporteure. Juridiquement, on est bien d’accord, mais je pensais, pour l’affichage, que cela pouvait avoir un sens d’ajouter ces mots. Cependant, je me rallie à la position de la commission et je retire mon amendement, tout en laissant mon collègue libre de son choix concernant le sien…
Mme la présidente. Merci de lui laisser cette liberté ! (Sourires.)
L’amendement n° 397 rectifié est retiré.
Monsieur Meurant, l’amendement n° 368 est-il maintenu ?
M. Sébastien Meurant. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 368 est retiré.
L’amendement n° 126 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold et Guérini, Mme Pantel, MM. Requier, Cabanel, Guiol, Roux et Corbisez et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 5, seconde phrase
Supprimer le mot :
notamment
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Il s’agit d’un amendement porté par notre éminente collègue Nathalie Delattre ! (Sourires.)
Sur un sujet aussi sensible et fondamental, notre législation doit être claire et ne pas laisser la place à des ambiguïtés ou à des sous-entendus. La marge interprétative doit être très limitée. Or, de ce point de vue, la rédaction actuelle de l’article 1er du projet demeure insatisfaisante en raison de l’ajout de l’adverbe « notamment ». Il ne s’agit pas d’un point de détail simplement rédactionnel : l’introduction de ce mot risque de donner lieu à une lecture qui étendra la portée de ces dispositions au-delà des opinions politiques et religieuses.
Pourquoi ne pas viser strictement la manifestation d’opinions religieuses ou politiques, le respect de la liberté de conscience et le traitement égal et digne des usagers ? L’ouverture que suggère ce « notamment » représente un risque, ou, à tout le moins, une incertitude que nous souhaitons à tout prix éviter.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Effectivement, ce terme est souvent évité dans la rédaction de la loi. À juste titre, parce qu’il est la plupart du temps inutile. Dans le cas présent, en revanche, il semble absolument nécessaire de le laisser, parce qu’il est utilisé pour les fonctionnaires. Il nous semble important de garder un parallélisme entre ces deux dispositions pour bien faire comprendre qu’elles renvoient aux mêmes obligations à la fois pour les fonctionnaires et pour les salariés des entreprises auxquelles a été confiée une délégation de service public. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 82 rectifié, présenté par MM. Karoutchi et Pemezec, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, MM. Burgoa, D. Laurent, Regnard et Bonne, Mme Chauvin, MM. Guerriau et Mandelli, Mme Dumont, MM. Sido, Cambon, Lefèvre, Vogel et Decool, Mmes Belrhiti et V. Boyer, M. Menonville, Mmes Bellurot et Imbert, M. Laugier, Mmes Puissat, Goy-Chavent et Férat, MM. Cuypers et Moga, Mme F. Gerbaud, MM. Saury, P. Martin, Gremillet, Boré, Le Rudulier et Bouchet, Mmes Delmont-Koropoulis et Lassarade, M. Sautarel, Mme Micouleau, M. Longeot, Mmes Canayer et Deroche, M. Duplomb, Mme Malet, MM. Belin, Pointereau, Le Gleut et Laménie, Mme Schalck, MM. Bonhomme, H. Leroy et Husson, Mme Guidez et M. Segouin, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Remplacer les mots :
politiques ou religieuses
par les mots :
religieuses, politiques ou philosophiques
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. En fait, je ne me suis pas fatigué : j’ai repris certains des éléments de la magnifique lettre de Jules Ferry en 1883 aux instituteurs, dans laquelle il leur demandait de tout faire pour que, religieusement, politiquement, philosophiquement, la sensibilité des élèves ne soit jamais heurtée par une affirmation d’un instituteur dans sa classe.
Je pense que, cent quarante ans plus tard, les choses n’ont pas beaucoup changé, d’où l’ajout de « philosophiques » que je propose. Après tout, la manifestation du service public de l’enseignement, c’est aussi de respecter les opinions de chacun en la matière, et donc la neutralité.
M. Laurent Lafon. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 511 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 5, seconde phrase
Supprimer les mots :
politiques ou
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Je ne partage pas tout à fait l’avis de mon éminent collègue Karoutchi. Notre amendement vise d’ailleurs à supprimer l’adjectif « politiques ». Dans cet hémicycle, on rend souvent un hommage vibrant aux hussards noirs de la République, mais ces derniers étaient très politiques, j’y insiste, dans le bon sens du terme.
M. Roger Karoutchi. Pas en classe !
M. Pierre Ouzoulias. Je le répète ici, après l’avoir dit en commission, ils étaient à la Fédération de l’éducation nationale (FEN), à la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), à la CAMIF, et ils achetaient Pif le chien le dimanche.
Mme Sophie Primas. Moi aussi !
M. Pierre Ouzoulias. Ils avaient chevillée au corps la défense de la laïcité, et je pense qu’il serait très utile aujourd’hui de retrouver cette même volonté de défendre la République et la laïcité.
Vous citez Jules Ferry, mon cher collègue ; permettez-moi de citer Ferdinand Buisson, en 1911, dans son Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire : « Dans l’évolution de la démocratie, les instituteurs de demain continueront à peu près le même office qu’avaient rempli ceux d’hier à l’égard de la République naissante. Ceux-là avaient frayé la voie aux réformes politiques ; ceux-ci l’ouvriront aux réformes sociales. »
Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Supprimer les mots :
politiques ou
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement vise lui aussi à supprimer la référence aux opinions politiques. Cette mention ne figurait pas, d’ailleurs, dans le projet de loi initial. Si elle était maintenue, nous aurions dans notre droit des rédactions divergentes entre, d’une part, l’article 25 de la loi de 1983 relative à la fonction publique, qui impose aux fonctionnaires de s’abstenir, dans l’exercice de leurs fonctions, de manifester leurs opinions religieuses, et l’article 1er de ce projet de loi, d’autre part, qui impose aux salariés participant à une mission de service public de s’abstenir de manifester leurs opinions politiques et religieuses. Rien ne justifie cette différence de rédaction, alors même que l’objet de ces deux articles est le même.
Lors de l’examen en commission des lois, Mme la rapporteure s’était montrée sensible à cette nécessité de faire converger les deux rédactions, et la commission avait d’ailleurs adopté un de nos amendements, identique à un amendement déposé par Alain Richard, pour mentionner à l’article 1er l’exigence de traiter de façon égale toutes les personnes et de respecter leur liberté de conscience et leur dignité, obligation qui s’impose déjà aux fonctionnaires en vertu de la loi de 1983.
Avec cet amendement, nous proposons d’aller au bout de cette logique en uniformisant les rédactions de ce projet de loi et de la loi de 1983. Un objectif qui nous paraît d’autant plus facile à atteindre que la mention des opinions politiques n’est pas utile, puisqu’elle est déjà couverte par l’obligation de neutralité. De plus, elle peut prêter à confusion.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. C’est un débat de pure forme, car nous sommes évidemment tous d’accord pour que chacun respecte une obligation de neutralité, qu’elle soit religieuse, politique ou philosophique.
Sur l’amendement de Roger Karoutchi, c’est vrai, nous sommes contre cet ajout, non pas parce que nous sommes contre l’idée, mais parce que cette mention n’existe pas aujourd’hui dans les statuts de la fonction publique. Cela serait de nature à semer de la confusion dans la compréhension des règles, qui seraient un peu différentes pour les uns et pour les autres.
Nous sommes également contre la suppression de la référence aux opinions politiques. Si celles-ci n’apparaissent effectivement pas clairement dans certains textes, il n’existe aujourd’hui aucune marge d’interprétation sur la neutralité politique. Nous souhaitons bien conserver cette notion.
Nous demandons donc le retrait de ces trois amendements, faute de quoi nous émettrons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis très inquiète à l’idée qu’un tel type de mesure puisse s’appliquer, comme ce serait probable, aux universitaires. En tant que fonctionnaires à l’université, nous devrions ainsi garder une neutralité politique, philosophique, voire religieuse, selon certains. Je trouve que cela ressemble énormément à l’amendement de Mme Darcos sur la liberté d’expression à l’université.
Ce texte ne dit pas exactement s’il s’applique à tous les fonctionnaires et, en tant que professeure d’université, j’aimerais bien quelques explications sur ces trois amendements. Je suis d’accord avec M. Marie, mais pas entièrement : on ne peut pas seulement supprimer « politiques », et laisser dire que l’on doit aussi être neutre philosophiquement.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je vais retirer mon amendement pour faire plaisir à la commission. Je ne veux lui créer aucun embarras sur l’interprétation de l’adjectif « philosophiques », qui, à mon sens, ne prête pourtant guère à interprétation d’après le dictionnaire. Mais je veux bien imaginer que certains codes ne retiennent pas le même sens que le dictionnaire…
Madame Benbassa, soyez rassurée, car le problème n’est pas le même selon que vous avez affaire à des enfants en primaire ou en secondaire, qui, en tant que mineurs, ne jouissent pas la totalité de leurs droits civiques, ou à des étudiants à l’université, qui sont pratiquement tous majeurs et électeurs. Par définition, la neutralité ne s’entend pas de la même manière dans les deux cas. En attendant, je le répète, je retire mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 82 rectifié est retiré.
La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. J’ai du mal à suivre le raisonnement de Mme la rapporteure. Elle objecte à M. Karoutchi que la terminologie qu’il emploie s’éloignerait trop des textes précédents, et notamment de la loi de 1983, tandis que nous-mêmes souhaitons que le texte soit identique pour éviter toute confusion. Cette remarque justifie que nous maintenions notre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, il faudra regarder si cet article s’applique aussi à l’Alsace-Moselle, parce que j’ai du mal à imaginer que l’on puisse obliger à un enseignement religieux et ne pas permettre, dans le même temps, de manifester des opinions religieuses, philosophiques et politiques. Cela va être un petit peu compliqué.
À mon sens, dans tout le texte, dans tous les amendements qui vont suivre, il faudra, chaque fois, se poser la question de l’application à l’Alsace-Moselle, où il y a un régime particulier. Si l’on ne dit pas que ce que nous votons ne s’applique pas à l’Alsace-Moselle, cela va s’y appliquer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage évidemment l’avis de rejet de ces amendements émis par la commission. Sur la question de l’Alsace-Moselle et, plus généralement, du droit local, car il convient de considérer également nos compatriotes des territoires ultramarins du Pacifique, de Guyane et de Mayotte, dont il faut respecter les spécificités reconnues au nom de la République, le texte est assez clair quant à son application dans le droit local.
On peut avoir des désaccords, comme j’ai pu en avoir à l’Assemblée nationale avec M. Coquerel, qui a fait un travail parlementaire très important, que je respecte, mais qui est frontalement opposé aux dispositions concordataires ou du droit local, que M. Ouzoulias a évoquées. Cependant, j’y insiste, aucune disposition de ce texte n’est censée ne pas être applicable en Alsace-Moselle et dans les territoires ultramarins, mais certaines seront traduites en droit local, afin de respecter l’équilibre que la République a trouvé, en faisant une promesse aux parlementaires d’Alsace-Moselle au lendemain de la Première Guerre mondiale, promesse qu’il faut savoir tenir au fil des textes. Cet équilibre s’inscrit, chacun le sait, dans la loi de 1905, comme dans la loi de 1901, qui ne s’applique pas en Alsace-Moselle comme sur le reste du territoire.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous n’êtes pas sans savoir que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont eu largement l’occasion d’expliquer que ce statut était compatible avec l’unité de la Nation et conforme au principe de laïcité, qui s’applique aussi, même si c’est de manière un peu différente, en Alsace-Moselle.
Je veux enfin souligner devant cette assemblée qu’une erreur est souvent faite dans les discussions autour de la laïcité : le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré – peut-être le fera-t-il à l’occasion de ce texte – le principe de non-subventionnement comme un principe constitutionnel. La loi de 1905 est constitutionnalisée dans son article 1er sur la non-reconnaissance, mais c’est la loi simple qui interdit aujourd’hui le non-subventionnement. On peut même considérer que ce subventionnement existe, à travers les déductions fiscales, les baux emphytéotiques, voire, à l’avenir, des garanties d’emprunt par les collectivités locales, dont nous aurons peut-être l’occasion de parler.
En d’autres termes, le principe de subventionnement direct des ministres du culte en Alsace-Moselle ou dans certains territoires ultramarins pour les cultes reconnus n’est pas contraire à la loi de 1905 en tant qu’elle n’a pas été constitutionnalisée dans son article concernant le subventionnement.
Enfin, monsieur Ouzoulias, on peut avoir des divergences sur la nécessité de mettre fin au concordat en Alsace-Moselle, mais je veux redire que toutes ces dispositions s’appliqueront, y compris en ce qui concerne le culte. Pour l’instant, nous sommes sur l’article 1er, lequel ne relève pas des dispositions cultuelles, et qui s’appliquera aux délégations du service public, aux salariés du service public délégué, que ce soit en Alsace-Moselle ou sur le reste du territoire.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 276 rectifié, présenté par MM. Roux, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 1, seconde phrase
Après le mot :
religieuses,
insérer les mots :
s’abstiennent également de porter tout signe vestimentaire ostensiblement réservé aux femmes,
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Il s’agit d’un amendement porté par Jean-Yves Roux.
Afin de détourner les interdictions liées au port des signes religieux, certains signes et vêtements sont parfois instrumentalisés, en dehors de toute connotation religieuse, en vue de marquer des discriminations sexuelles, et notamment dans le but d’inférioriser les femmes. Pour pallier ces risques, il importe de ne pas se limiter aux manifestations religieuses et d’élargir la loi à tout ce qui symboliserait objectivement toute forme de discrimination à l’égard des femmes.
Avec un tel principe ajouté à la loi, les juges et les administrations seraient alors à même d’encadrer et de contrôler certaines dérives susceptibles d’être observées dans l’exécution du service public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Vous proposez d’ajouter à l’article les mots « s’abstiennent également de porter tout signe vestimentaire ostensiblement réservé aux femmes ». Je sais bien à quoi vous pensez, mais quid des jupes ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. M. le ministre me donne des idées. (Sourires.)
Je vous comprends, mais votre rédaction appelle un trop grand effort d’interprétation ; donc, nous vous appelons à retirer votre amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Je suppose que vous défendez le kilt ? (Sourires.)
Mme la présidente. Monsieur Requier, l’amendement n° 276 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je vais le retirer. Vous savez que j’aime le rugby. À ce titre, je vais en Écosse, où l’on peut voir des hommes en kilt. Madame la rapporteure, vous m’avez convaincu. (Sourires.)
Mme la présidente. Parfait, on va pouvoir créer un club du kilt ce soir ! (Nouveaux sourires.)
L’amendement n° 276 rectifié est retiré.
L’amendement n° 127 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Cabanel et Roux, Mme Guillotin et MM. Fialaire et Corbisez, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 5, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sans discrimination
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. La loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations définit de manière claire et détaillée ce qu’est une discrimination. Elle érige ce principe en l’un des fondements les plus élémentaires de notre droit et de notre société. Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er du projet de loi précise bien que toutes les personnes doivent être traitées de façon égale dans le cadre du service public. Néanmoins, il paraît nécessaire d’aller au-delà, en précisant que tout traitement doit être fait sans discrimination. Nous avons ici l’occasion de réaffirmer un principe qui est au cœur de notre pacte républicain. L’objet de ce projet de loi étant précisément de conforter le respect des principes de la République, il est indispensable que celui de la non-discrimination y soit inscrit.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je comprends l’objet de cet amendement, mais cette mention fait doublon avec ce qui est déjà prévu dans le texte. L’article 1er précise que toutes les personnes doivent être traitées de manière égale, ce qui fait obstacle à toute forme de discrimination.
Nous vous invitons à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Cabanel, l’amendement n° 127 rectifié est-il maintenu ?
M. Henri Cabanel. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 127 rectifié est retiré.
L’amendement n° 128 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Cabanel, Roux, Gold et Corbisez, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les dispositions du présent alinéa ne font pas obstacle au respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche fixé par l’article L. 952-2 du code de l’éducation.
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche a été consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République. Si l’article 1er du projet de loi vient réglementer l’exercice du service public, notamment du point de vue des manifestations d’opinion, il est nécessaire que l’indépendance universitaire soit préservée. Aussi, nous souhaitons préciser que les dispositions de l’article 1er ne doivent pas faire obstacle au respect du principe d’indépendance des enseignants- chercheurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement semble satisfait, puisque l’article 1er n’introduit dans la loi que des obligations principalement applicables aux salariés de droit privé. Les agents publics, catégorie à laquelle appartiennent les enseignants-chercheurs, demeurent soumis aux obligations déjà prévues par les statuts de la fonction publique. L’articulation entre ces dernières dispositions et celles du code de l’éducation ne sont pas remises en cause. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Cabanel, l’amendement n° 128 rectifié est-il maintenu ?
M. Henri Cabanel. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 128 rectifié est retiré.
L’amendement n° 633, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les organismes mentionnés à l’article L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation et les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux agréées dans les conditions prévues à l’article L. 481-1 du même code, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, ainsi que les entreprises ferroviaires, lorsqu’elles assurent des services librement organisés de transport ferroviaire de voyageurs mentionnés à l’article L. 2121-12 du code des transports, à l’exception des services de transport international de voyageurs, sont soumis aux obligations mentionnées au premier alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Cet amendement important tend à montrer l’étendue du champ de ce texte et, notamment, de son article 1er.
Vous avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que celui-ci prévoit d’imposer la neutralité, notamment religieuse, mais aussi politique, évidemment, à tous ceux qui concourent au service public : les fonctionnaires – cela va de soi –, mais aussi tous ceux qui s’inscrivent dans le cadre de la fonction publique sans avoir le statut de fonctionnaire, à savoir les contractuels, qui sont de plus en plus nombreux et représentent aujourd’hui à peu près 20 % de la fonction publique, ainsi que les apprentis et les stagiaires.
Ces obligations s’imposeront également aux délégations de service public ; on pense aux sociétés de transport, de marchés, ou encore de gestion de lieux nautiques.
Enfin, il y a les sociétés qui concourent directement au service public et les appendices de celui-ci. Il convient de les définir, car tout n’est pas service public !
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, les TGV ne sont pas considérés comme des services publics au sens juridique du terme.
M. Fabien Gay. Malheureusement !
Mme Cécile Cukierman. On a cassé la SNCF !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je dis bien « au sens juridique du terme », et je le dis d’autant plus tranquillement que je n’ai de ma vie d’élu jamais délégué un service public, ce qu’avaient beaucoup fait mes prédécesseurs d’une certaine couleur politique. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Fabien Gay. Vous avez participé au Gouvernement qui a fait le nouveau pacte ferroviaire !
M. Jérôme Bascher. Ce n’est pas très sérieux !
M. Gérald Darmanin, ministre. Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas ici pour refaire le débat sur la SNCF. Simplement, je veux rappeler que le TGV n’est pas un service public.
Il est vrai que les dispositions que le Gouvernement a voulu introduire à l’Assemblée nationale prévoyaient explicitement, à ma demande, que les agents des services de logement HLM, qui concourent évidemment au service public, pour plein de raisons qui tendent à une manifestation de la puissance publique dans leur travail, soient soumis à ce devoir de neutralité ; je m’en étais expliqué avec Mme Lienemann, dont je sais qu’elle suit particulièrement ce dossier. Toutefois, tous les offices HLM ne constituent pas des services publics stricto sensu du fait de leur statut juridique, notamment quand ils relèvent de sociétés d’économie mixte.
Cet amendement vise donc à élargir le champ du service public. Vous n’ignorez pas que ce champ est souvent déterminé par des critères fixés par le juge administratif : le fait que la majorité du capital soit publique, que les décisions en conseil d’administration soient prises par une autorité publique, ou encore qu’ils exercent des prérogatives de puissance publique. Cependant, la loi peut également définir ce qu’est le service public : cela plaira sans doute à certains d’entre vous !
Nous avons donc voulu faire entrer les TGV dans le champ du service public. À défaut, les obligations prévues à cet article s’appliqueraient dans les TER et les trains Intercités, mais non dans les TGV. Avouez que ce sujet pourrait être complexe pour le personnel de la SNCF, qui ne serait soumis à la neutralité que dans certaines catégories de trains ! De même, nous avons voulu préciser que tous les offices HLM, quelle que soit leur structure juridique, relèvent du service public.
Ainsi, l’article 1er s’imposera à ces dizaines de milliers de salariés. Je voudrais à ce propos réitérer ici, avec beaucoup d’honnêteté et de force, que les agents de la SNCF, quel que soit leur contrat, mais aussi ceux des offices HLM, de manière générale et pour la quasi-totalité d’entre eux, respectent la neutralité comme s’ils étaient agents du service public. Néanmoins, un certain nombre de garde-fous peuvent être requis ici ou là. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement, à la fois important et original dans sa construction du service public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il est favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis favorable à cet amendement, mais je voudrais souligner, monsieur le ministre, que les organismes HLM relèvent tous du service public, qu’il s’agisse d’offices, d’entreprises sociales pour l’habitat (ESH), ou de coopératives. L’Union sociale pour l’habitat édite d’ailleurs, depuis quelques années, un guide très précis sur les obligations de neutralité et de laïcité au sein de ces organismes, qu’il s’agisse de leurs salariés ou des contrats qu’ils concluent.
En revanche, monsieur le ministre, vous avez raison : les sociétés d’économie mixte qui gèrent des logements sociaux ne sont pas aujourd’hui soumises à la même contrainte. En cela, votre amendement tend à apporter de la cohérence et du sérieux à la disposition proposée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 633.
M. Gérald Darmanin, ministre. Qui est pour la nationalisation de la SNCF ? (Sourires.)
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Kerrouche, Bourgi, Durain, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les organismes de droit public ou de droit privé soumis aux obligations prévues au premier alinéa à la date de publication de la présente loi restent soumis à ces mêmes obligations indépendamment de l’évolution de leur régime juridique, sauf disposition contraire.
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Par cet amendement, dans la logique de celui que vous venez de nous présenter, monsieur le ministre, nous proposons d’aller un petit peu plus loin et d’inscrire dans la loi qu’un organisme qui entre aujourd’hui dans le périmètre de l’article 1er resterait soumis au respect des principes de laïcité et de neutralité quand bien même il n’y entrerait éventuellement plus, parce que son régime juridique aurait évolué.
Pour le dire autrement, il s’agit de poser le principe selon lequel le passage d’un organisme du service public vers le domaine concurrentiel est sans conséquence sur l’application du principe de laïcité à cet organisme. Il s’agit en quelque sorte d’un mécanisme de cliquet, qui vise à garantir que le passage du service public au champ concurrentiel ne sera pas l’occasion d’une baisse d’ambition en matière de respect du principe de laïcité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement tend à garantir que les organismes qui exécutent un service public en application d’une loi ou d’un règlement continuent d’être soumis aux principes de neutralité, de laïcité et d’égal accès au service public même si leur régime juridique est amené à évoluer dans le futur.
Or ces organismes sont justement soumis à de telles obligations parce qu’ils exercent des activités liées à l’intérêt général. Dans l’hypothèse où leur régime juridique évoluerait sans remettre en cause l’exercice d’un service public, ils continueraient à être soumis aux mêmes obligations, en application du présent article. Dans l’autre hypothèse, s’ils ne devaient plus être chargés de l’exécution d’un service public, il ne serait pas normal de les traiter différemment des autres entreprises.
Dès lors, au vu de ces deux hypothèses, la disposition proposée ne me semble pas justifiée : elle est soit inutile, soit contraire au principe d’égalité devant la loi. La commission des lois a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 57 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 378 rectifié ter, présenté par MM. H. Leroy et Savary, Mmes Borchio Fontimp et Demas, M. A. Marc, Mme Gruny, MM. Menonville et Regnard, Mmes Micouleau, Goy-Chavent et Thomas, MM. Le Rudulier, Bonne, Bouchet et Klinger, Mmes Imbert et Herzog, MM. Longeot, Hingray, Wattebled et Saury, Mme Berthet, M. Meurant, Mmes Bonfanti-Dossat et Dumont, MM. Laménie, Tabarot, Burgoa et Chasseing, Mme Deseyne, MM. Levi et Grand, Mmes Belrhiti et Lassarade, M. Houpert, Mme de Cidrac et MM. B. Fournier, Segouin et Maurey, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La section 4 du chapitre III du titre Ier du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 2213-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2213-…. – Lorsqu’un procès-verbal a été dressé constatant une pratique constitutive d’un refus discriminatoire à l’accès d’un établissement public accueillant du public, y compris en subordonnant cet accès à des horaires particuliers, le maire en avise le responsable des sanctions qu’il encourt et peut, sans préjudice des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale et après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, écrites ou orales, le mettre en demeure d’y mettre fin sans délai.
« Si l’intéressé n’obtempère pas à cette injonction, le maire peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours, ordonner :
« 1° La fermeture de l’établissement au public pour une durée n’excédant pas trois mois ;
« 2° Le versement d’une astreinte journalière au plus égale à 1 000 euros courant à compter d’une date fixée par la décision jusqu’à ce qu’il ait été mis fin à la pratique discriminatoire. Le montant maximal de l’astreinte mise en recouvrement ne peut être supérieur au montant maximal de l’amende prévue au dernier alinéa de l’article 225-2 du code pénal.
« Le fait, pour le responsable de l’établissement public, de ne pas respecter une décision de fermeture prise en application du 1° du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
La parole est à M. Henri Leroy.
M. Henri Leroy. L’égalité entre les hommes et les femmes est trop souvent bafouée.
Cet amendement vise donc à interdire les horaires d’accès à un établissement ouvert au public séparés pour les hommes et les femmes.
Il s’agit en particulier de créer une police spéciale du maire pour la répression des discriminations à l’accès des établissements publics accueillant du public.
En vertu de cette police spéciale, le maire serait d’abord tenu d’informer le contrevenant des sanctions encourues. Cette obligation, inspirée de ce qui existe en cas de constat d’infraction en matière de déchets, donnerait en outre un argument aux maires sollicités par des associations qui réclament, sans aucune justification réelle, la mise à disposition de piscines publiques dans une intention discriminatoire.
Le maire pourrait aussi, dans le respect des droits de la défense, prononcer des sanctions administratives, bien entendu sans préjudice de ce que pourrait décider la justice, saisie parallèlement : fermeture de l’établissement public ou astreinte journalière.
Au passage, il est précisé dans cet amendement qu’il y a discrimination en cas d’accès autorisé selon des horaires particuliers. Serait ainsi levée toute ambiguïté éventuelle sur le fait qu’il s’agit là d’une discrimination. Ce dispositif vise tous les établissements publics ouverts au public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mon cher collègue, nous avons eu de nombreux échanges sur ce sujet. Je peux partager votre sentiment quant à la nécessité d’agir pour lutter contre ces formes de communautarisme.
En revanche, nous nous posons sincèrement des questions sur les éventuelles sanctions pénales auxquelles s’exposeraient les maires ou les responsables de ces atteintes à la laïcité : ces sanctions interviendraient dans un champ beaucoup trop long pour constituer une réponse effective. L’application de ces mesures serait compliquée.
Par ailleurs, vous faites référence à l’article 225-2 du code pénal, mais cette assise juridique ne semble pas tout à fait certaine.
Surtout, j’estime que des solutions efficaces peuvent être apportées par le présent projet de loi, qui a des forces et des faiblesses. Je pense en particulier, à la suite de réflexions que nous avons eues au sujet de votre amendement, à l’article 2, qui élargit les pouvoirs du préfet en matière de déféré accéléré lorsque le principe de laïcité est mis à mal, mais également à l’article 4, qui apporte des garanties contre les pressions communautaristes exercées sur les élus ou les personnes en charge d’un service public.
Votre amendement peut être considéré comme satisfait par ces deux articles. C’est à ce titre que je vous propose de le retirer ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage évidemment la préoccupation de M. Leroy, mais je veux lui dire combien j’estime que son amendement est superfétatoire, voire dangereux pour le but que chacun d’entre nous souhaite atteindre.
Si cet amendement vise à empêcher les élus de pratiquer, par naïveté sinon par concussion ou communautarisme, des réservations différenciées par sexe pour des motifs religieux, il me faut vous répondre que cela est déjà contraire aux lois de la République, monsieur le sénateur.
Une grande difficulté se pose aux préfets qui, au nom de l’État, contrôlent la légalité des actes, notamment du règlement intérieur d’un établissement fonctionnant en délégation de service public, tel que les piscines, ou encore un arrêté ou une instruction directe du maire visant à permettre l’accès de tel stade municipal ou de telle médiathèque de manière différenciée selon le sexe.
Si ces décisions sont prises pour des motifs religieux ou communautaires, il s’agit déjà d’actes contraires aux lois de la République. La difficulté est que le préfet ne peut pas, jusqu’à présent, saisir en urgence le maire pour le rappeler à ses devoirs, comme il peut le faire en matière de logement social : la méthode à adopter pour faire face à cette sorte de carence républicaine pourrait être calquée sur celle qui s’exerce face aux carences que nous connaissons face aux obligations posées par la loi SRU.
Une seconde difficulté porte sur l’urgence avec laquelle le tribunal administratif examine les requêtes en la matière. Vous comme moi sommes à coup sûr très attachés aux libertés locales et respectueux des collectivités locales qui doivent prendre des décisions. Il revient bien au juge administratif de décider si le préfet commet un excès de pouvoir ou non, auquel cas, sous quarante-huit heures, on doit être en mesure d’interrompre l’acte communautariste, qu’il s’agisse d’une délibération du conseil municipal ou d’un arrêté pris par un maire ou par le président d’une collectivité locale.
Tel est bien l’objet de l’article 2, que Mme la rapporteure a évoqué à juste titre : permettre ce nouveau « référé laïcité ». Désormais, en quarante-huit heures, les détenteurs de l’autorité de l’État dans les territoires pourront saisir le juge administratif pour demander à réformer la décision du maire, ou à se substituer à lui s’il devait persister dans sa politique communautariste et, si j’ose dire, antilaïque.
Pour pousser un petit plus loin la réflexion, je ne suis pas certain qu’il convienne d’instaurer un délit pénal en la matière. En revanche, il est tout à fait possible de proposer la suspension du maire, voire la fin de son mandat, comme le ministère de l’intérieur et celui des collectivités territoriales peuvent le faire en cas de menaces réitérées et de manquements divers à ses devoirs. Vous savez qu’une telle possibilité existe, même si elle n’a été utilisée que rarement. Évidemment, l’article relatif au « référé laïcité » prévoit qu’en cas de faits graves contraires aux valeurs de la République le Gouvernement pourra proposer en Conseil des ministres la révocation d’un élu particulièrement communautariste.
J’estime donc, monsieur le sénateur, que les attendus que vous évoquez sont parfaitement compris par ce projet de loi. J’espère que, sous le bénéfice de mes explications, vous voudrez bien retirer votre amendement.
Mme la présidente. Monsieur Leroy, l’amendement n° 378 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Henri Leroy. J’entends bien ces arguments et je les comprends. Il n’en reste pas moins que, sur le terrain, de nombreux maires sont confrontés à ce type de problèmes. Souvent, par crainte, peut-être par négligence, ou pour tout autre motif, ils se retrouvent dans une situation difficile et inextricable et finissent par attendre du législateur une solution plus claire que ce qui a été expliqué tant par Mme la rapporteure que par M. le ministre, que je comprends parfaitement. Je suis bien au courant du fait que ce dispositif pourrait s’appliquer aux maires.
Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 378 rectifié ter est retiré.
L’amendement n° 284 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux et J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa, Cadec, Calvet, Cambon et Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier, Courtial, Cuypers, Dallier et Darnaud, Mme de Cidrac, MM. de Legge, de Nicolaÿ et del Picchia, Mmes Demas, Deroche, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas et Dumont, M. Duplomb, Mme Estrosi Sassone, MM. Favreau, B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert et Hugonet, Mmes Imbert et Joseph, MM. Karoutchi, Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier, Lefèvre et H. Leroy, Mme Lherbier, M. Meurant, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Panunzi, Paul, Pellevat et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Procaccia et Puissat, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon, M. Vogel, Mme Bourrat, M. Daubresse, Mme Di Folco, M. Husson, Mme Primas et MM. Segouin, Bonhomme et Rapin, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Après les mots :
code de la commande publique,
insérer les mots :
y compris une délégation de service public mentionnée à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales,
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Il s’agit d’un amendement quelque peu technique et je sais d’avance que la commission va me demander de le retirer, comme satisfait. Je voudrais donc simplement expliquer pourquoi j’ai souhaité le présenter.
L’objet de l’article 1er de ce texte est bien entendu de garantir la neutralité des services publics, quel qu’en soit le mode de gestion. Cet article n’est pas tombé de nulle part : il consacre la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, exprimée dans son arrêt du 19 mars 2013. Je veux citer cette jurisprudence très large : « Les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. »
Or je redoutais, monsieur le ministre, que votre rédaction soit beaucoup plus fermée. Le premier alinéa de cet article commence ainsi : « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public… ». Si je comprends bien, il faut que la loi ou le règlement confie un service public à un organisme public ou privé pour que la neutralité s’y applique. Or vous savez bien qu’il existe des services publics qui sont confiés par contrat, ou encore d’autres qui acquièrent cette nature par le fait que leur activité est d’intérêt général. Ajoutons-y enfin les délégations de service public confiées à des organismes privés par des collectivités territoriales.
Bref, je veux m’assurer que la rédaction choisie par le Gouvernement pour cet article vise bien tout le champ de la jurisprudence de la Cour de cassation. Si tel n’était pas le cas, s’il subsistait des trous dans la raquette, ce serait grave ! J’attends sur ce point tant la réponse de Mme la rapporteure que celle de M. le ministre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. C’est au ministre de vous rassurer, monsieur Retailleau, plus qu’à moi. Nous avons examiné avec attention cet amendement, auquel vous tenez, et je peux vous assurer que toutes les concessions entrent bien dans le champ de l’article 1er. Vous avez eu raison de nous interroger pour en avoir la certitude. Cet amendement est donc satisfait, au vu de notre analyse, mais je laisse M. le ministre vous apporter plus de précisions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Retailleau, je voudrais dire ici à quel point je crois que votre amendement est satisfait, voire bien plus encore, par les dispositions de cet article et les amendements déjà adoptés, comme l’amendement n° 633 du Gouvernement sur les TGV et les offices HLM qui ne constituaient pas, en tant que tels, des structures de service public.
Dans la première partie de l’article 1er, on trouve ce qui relève de la loi et du règlement ; dans la seconde, on traite de la commande publique, ce qui englobe tout ce qui concourt aux contrats, qu’il s’agisse de délégations de service public, de concessions de service public, de contrats relevant du droit des marchés publics, ou encore d’accords de gré à gré avec des associations, sujet sur lequel nous reviendrons, parce qu’il pose parfois des questions, lors de l’examen des dispositions relatives au contrat d’engagement républicain.
Je veux cependant être tout à fait honnête avec vous : cet article prévoit deux exceptions, que nous assumons pleinement.
La première vise les établissements éducatifs sous contrat d’association. Certes, ils concourent au service public, mais il serait quelque peu absurde de les soumettre aux principes de neutralité et de laïcité alors qu’il s’agit, par exemple, d’écoles catholiques. Nous les avons donc sortis du champ de cet article.
La seconde porte sur les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), à savoir des hôpitaux et des Ehpad qui sont souvent gérés selon des principes religieux et où interviennent d’ailleurs encore des religieuses ; cela s’explique par une tradition longue et complexe en la matière dans notre pays, qui comprend notamment une culture chrétienne.
Voilà les deux exceptions que nous avons prévues : ces établissements concourent manifestement au service public, mais nous avons rédigé cet article de manière qu’ils ne soient pas embêtés, si j’ose dire, par ces dispositions.
Je veux par ailleurs préciser qu’il y a des marchés publics conclus par les collectivités qui n’ont rien à voir avec le service rendu au public. Cet article ne prévoit pas – ce serait sans doute contraire à la Constitution – d’imposer ces principes à une entreprise ou à une association d’insertion qui travaillerait pour le compte d’une collectivité pour, par exemple, nettoyer la mairie quand celle-ci est fermée : nous ne pouvons pas obliger les dames qui viennent nettoyer les marches de la mairie en dehors des horaires d’ouverture à retirer leur foulard si elles en portent un. Ce n’est pas ce que dit le texte !
En revanche, si un maire délègue à une entreprise ou à une association, par un marché public ou même par un contrat d’insertion conclu de gré à gré sans recours aux mécanismes de la commande publique, l’accueil du public à la mairie, ou encore le répondeur d’appel pour les problèmes de voirie ou toute autre difficulté que rencontre le public, alors la neutralité s’imposera.
Notre approche va donc bien au-delà de la jurisprudence de la Cour de cassation, monsieur Retailleau, puisque nous étendons très largement le champ du service public ; il n’y a pas de doute sur ce point.
Il convient même sans doute de travailler – je veux le dire à ceux qui nous écoutent dans les entreprises de transport ou les sociétés qui exploitent, par exemple, des piscines publiques – sur l’application de ces dispositions aux sous-traitants. Ainsi, une société de transport agissant en vertu d’une délégation de service public qui aurait recours en sous-traitance à une société de médiation pour répondre à un appel d’offres serait soumise au principe de neutralité : sur ce point, nous allons beaucoup plus loin que la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.
Il me semble donc que votre amendement est pleinement satisfait, nonobstant les deux exceptions citées : j’imagine que vous pourrez convenir qu’elles sont bienvenues.
Mme la présidente. Monsieur Retailleau, l’amendement n° 284 rectifié est-il maintenu ?
M. Bruno Retailleau. Les deux exceptions, portant sur les établissements d’enseignement privés sous contrat et sur les Espic, ne m’avaient pas échappé. Je voulais m’assurer que toutes les formes contractuelles de la commande publique étaient bien couvertes, comme elles l’étaient dans la jurisprudence initiale de la Cour de cassation, qui était assez large. Dans un premier temps, j’avais craint que la rédaction de cet article ne referme quelque peu ce champ. Ce qu’a dit M. le ministre est intéressant ; ce sera bien entendu noté au compte rendu, auquel un certain nombre d’entreprises et d’autres acteurs pourront se référer.
Sous le bénéfice de ces explications, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 284 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 58 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 236 rectifié quater, présenté par MM. Savin, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux et J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa, Cadec, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier, Courtial, Cuypers, Dallier et Darnaud, Mme de Cidrac, MM. de Legge, de Nicolaÿ et del Picchia, Mmes Demas, Deroche, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas et Dumont, M. Duplomb, Mme Estrosi Sassone, MM. Favreau, B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin, Goy-Chavent et Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert et Hugonet, Mmes Imbert et Joseph, MM. Karoutchi et Klinger, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Lefèvre et H. Leroy, Mmes Lherbier et Lopez, M. Meurant, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Panunzi, Paul et Pemezec, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Procaccia, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Regnard et Retailleau, Mme Richer, MM. Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon, M. Vogel, Mmes Bourrat et L. Darcos, MM. Daubresse et Husson, Mme Primas et MM. Segouin, Bonhomme et Rapin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le règlement d’utilisation d’une piscine ou baignade artificielle publique à usage collectif garantit le respect des principes de neutralité des services publics et de laïcité.
La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. À ce jour, les piscines et les espaces artificiels de baignade publique ne sont pas soumis au respect strict des principes de neutralité des services publics et de la laïcité. Ainsi, rien n’interdit le port de signes religieux. Je tiens à souligner que je parle ici de tout signe religieux !
Aux termes de cet amendement, les règlements de ces établissements devront garantir le respect de ces principes de neutralité et de laïcité.
Actuellement, les règlements intérieurs encadrent seulement les vêtements autorisés du point de vue de l’hygiène et à la sécurité.
En outre, ces règlements sont laissés à l’appréciation des maires. Or nous pouvons constater que certains d’entre eux sont soumis à de fortes pressions communautaires et que d’autres peuvent céder à des tentations clientélistes, voire promouvoir une vision de la société contraire à nos principes républicains.
Je veux en prendre un exemple. Ces dernières années, dans mon département, la ville de Grenoble, comme d’autres villes ailleurs en France, a été le théâtre d’actes de désobéissance civile de la part de militantes en burkini qui ont enfreint les règlements intérieurs des piscines au nom de la liberté des femmes à vivre leur foi comme elles l’entendaient.
Ces actes de provocation médiatisés ont créé une vive polémique nationale. Le maire écologiste de Grenoble n’est jamais sorti de son ambiguïté et il en a appelé à la responsabilité de l’État, déclarant : « Si c’est une question de laïcité, le Gouvernement doit prendre position. »
Avec ce projet de loi, nous voici à ce moment de responsabilité !
Marlène Schiappa l’a dit vendredi dernier : « Il y a un combat culturel à mener. Nous faisons face à une petite minorité qui promeut un islam radical et rétrograde, notamment pour les femmes. »
Par ailleurs, monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez déclaré que, sous couvert de combattre l’islamophobie, certaines associations font pression sur les pouvoirs publics pour promouvoir des règles compatibles avec la charia.
Nous le savons tous, cette pression est de plus en plus forte en France ; il est de la responsabilité de l’État de ne pas laisser les maires seuls en première ligne.
De petites compromissions en grands renoncements, le risque est de voir les digues progressivement céder au gré des spécificités sociologiques et politiques des territoires.
Or c’est bien l’ambition de ce projet de loi que de préserver l’unité du pays, qui se fissure peu à peu, autour de nos principes républicains.
La liberté de culte est un bien précieux dans notre pays ; elle ne doit pas être une porte ouverte à des organisations communautaristes qui veulent faire prospérer un projet politico-religieux à l’opposé de nos valeurs.
Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Michel Savin. C’est dans cet esprit que je vous propose cet amendement.
Mme la présidente. Madame Boyer, le sous-amendement que vous aviez déposé sur cet amendement a dû être retiré, car M. Savin avait rectifié le dispositif de son amendement, rendant votre sous-amendement sans objet.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 236 rectifié quater ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission a examiné ce matin cet amendement de M. Savin dans sa rédaction initiale, sur laquelle nous avons émis un avis défavorable. Ce soir, nous avons pu le réexaminer dans une version rectifiée que voici : « Le règlement d’utilisation d’une piscine ou baignade artificielle publique à usage collectif garantit le respect des principes de neutralité des services publics et de laïcité. » La commission a émis un avis favorable sur cet amendement rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Savin, c’est une question très importante que vous posez, mais le Gouvernement est défavorable à cet amendement, et ce pour trois raisons.
Premièrement, la loi permet aujourd’hui aux collectivités territoriales d’interdire des vêtements dits « religieux » pour deux motifs : non pas pour des motifs religieux, ce qui serait contraire à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais pour un motif d’ordre public ou un motif d’hygiène.
Ainsi, chacun aura pu constater que j’ai pris la défense de Mme la présidente de la région d’Île-de-France quand la Défenseure des droits a affirmé que le règlement intérieur prévu pour les bases de loisir de cette région était discriminatoire. Ce n’est évidemment pas la lecture que je fais de la loi de la République, bien au contraire : il est bien fondé que les élus de la République puissent interdire dans les règlements intérieurs des établissements publics ou gérés par délégation de service public, pour des motifs d’ordre public ou d’hygiène, des vêtements qui ne seraient pas conformes aux vêtements traditionnellement portés dans ces lieux ; je pense notamment au burkini, mais il ne s’agit pas que de lui.
Deuxièmement, je me permettrai de vous rappeler avec un peu de facétie, monsieur le sénateur, que le principe de libre administration des collectivités locales ne me permet pas d’interdire, de fait, des dispositions qui relèvent stricto sensu de la compétence des élus locaux, dans le cadre de la loi. Vous avez certes bien raison de souligner le communautarisme, le clientélisme, ou la naïveté – peut-être cette troisième hypothèse n’est-elle plus tout à fait à l’ordre du jour – de certaines collectivités locales et, notamment, de la ville de Grenoble, qui a sciemment organisé certaines manifestations, d’ailleurs souvent avec des associations subventionnées…
Un sénateur du groupe Les Républicains. – L’UNEF !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous aurez d’ailleurs constaté que, depuis notre arrivée au Gouvernement, soit nous procédons à la dissolution en Conseil des ministres des associations évoquées, soit nous proposons à la Commission européenne de mettre fin à leur subventionnement ; c’est le cas de l’association grenobloise Alliance citoyenne.
Pour autant, monsieur le sénateur, je me vois mal imposer aux collectivités locales, par la voie législative, des mesures qui relèvent de leur responsabilité. La libre administration des collectivités locales, c’est aussi la liberté d’assumer ses propres décisions politiques vis-à-vis de ses concitoyens, lorsqu’elles ne sont pas profondément contraires à l’ordre public et aux principes de la salubrité.
Troisièmement, je veux ici redire – nous avons déjà eu ce débat – que l’expression religieuse des usagers du service public est consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par la Constitution et par notre État de droit. Nous ne pouvons pas priver ces usagers par principe, comme vous le proposez dans cet amendement, de l’expression d’une opinion religieuse.
La neutralité ne s’impose pas aux usagers du service public ! Je peux tout à fait comprendre votre réaction à cette provocation autour du burkini, mais allons-nous demain interdire le port d’un signe religieux dans un autobus, qui est un espace de service public délégué par les collectivités locales ? Allons-nous le faire sous un abribus ? J’ai même entendu des députés proposer de légiférer sur les abords immédiats des lieux de service public, comme le parvis d’une mairie !
Ce n’est pas de bonne facture que de faire la loi de cette façon, me semble-t-il. Quel message enverrait la censure de ces dispositions ! Cela serait source d’une nouvelle insécurité pour les maires. Au contraire, nous voulons encourager les élus de la République à prendre des dispositions qui sont déjà prévues par la loi, mais qui demandent un peu de courage politique.
Je voudrais rappeler, monsieur le sénateur, qu’on n’est jamais obligé de céder au communautarisme et au clientélisme religieux. Vous savez que j’ai consulté M. le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) au sujet, notamment, d’une disposition qui me paraissait encore plus intrusive, peut-être, que celle que vous proposez, disposition relative aux permis de construire délivrés pour les lieux cultuels.
J’avais pu constater que, dans certains endroits de la République, quand la population d’une certaine religion est trop nombreuse, il est difficile pour l’élu de refuser de délivrer un permis de construire à une association cultuelle pour un lieu de culte. J’avais donc proposé que l’on transfère la délivrance de ces permis de construire au préfet, qui n’est présent que deux ou trois ans dans un territoire donné et peut endosser la responsabilité de décisions plus difficiles vis-à-vis des citoyens de telle ou telle commune.
François Baroin a tout à fait compris l’objet de cette disposition – je veux à ce propos saluer l’esprit avec lequel nous avons travaillé sur ce texte avec l’AMF et son président –, mais il m’en a découragé, en m’expliquant que, à son avis, la libre administration des collectivités locales et la responsabilité politique ne devaient pas être niées en la matière ; l’article 72 de la Constitution peut être envisagé des deux côtés.
Pour résumer, monsieur Savin, les élus peuvent prendre des dispositions soutenues par l’État et conformes au droit dans le règlement intérieur de ces établissements. Cela va avec la liberté et la responsabilité de chacun. Ces élus me trouveront en tout cas toujours à leurs côtés pour les soutenir face au clientélisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je suis quelque peu étonné par cet amendement. Je tiens tout de même à rappeler que les élections municipales sont passées, car je sens qu’il y a comme un petit relent derrière tout cela… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
J’en reviens à l’amendement. À part à faire le buzz, à quoi sert-il ? Il faut que l’on m’explique, une fois pour toutes, s’il peut s’appliquer !
M. le ministre a eu raison de rappeler que les principes de neutralité s’appliquaient aux agents, mais pas aux usagers. Pourquoi reviendrait-on sur ce principe s’agissant des piscines, et pas pour d’autres lieux ? Cet amendement ne tient absolument pas la route !
Les usagers du service public ont donc le droit d’exprimer leurs convictions, religieuses ou autres, dans les limites du respect du bon fonctionnement du service et des impératifs de sécurité, de santé et d’hygiène ; cela me paraît assez clair.
Par ailleurs, des règlements sont mis en place dans les piscines et il existe, en effet, une responsabilité des maires à cet égard. Vous avez parlé de Grenoble, mon cher collègue : la piscine que vous évoquez est dotée d’un règlement, en vertu duquel, me semble-t-il, les personnes ayant mené l’action que vous dénoncez n’ont pas pu entrer dans ledit établissement. La réponse donnée a donc été très claire et très simple.
J’irai plus loin : comment cet amendement peut-il s’appliquer ? Je voudrais bien que l’on m’explique ce qu’il y a de religieux dans un maillot de bain couvrant ! (Marques d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Qu’est-ce que vous êtes naïf !
M. Guillaume Gontard. Dans une piscine, on se couvre d’ores et déjà la tête. Par conséquent, comment allez-vous, juridiquement, expliquer que cet accoutrement, le maillot de bain couvrant, a une connotation religieuse ? C’est clairement impossible !
Par ailleurs, s’il existe, bien sûr, des associations qui demandent pour des raisons religieuses que cette tenue soit autorisée, il y en a d’autres – j’en ai rencontré beaucoup –, notamment des associations de personnes handicapées et de personnes âgées, qui souhaitent aussi qu’elle soit permise. Et il y a aussi, tout simplement, des femmes et des hommes qui veulent aller à la piscine, mais qui n’ont pas envie de montrer leur corps, parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jacques Grosperrin. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, vous le savez bien !
M. Guillaume Gontard. Oui, cela existe ; cela s’appelle l’inclusion, et nous devons y réfléchir !
La responsabilité des maires existe, et j’en prendrai un exemple.
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé !
M. Guillaume Gontard. La mairie de Rennes a autorisé le port du maillot de bain couvrant dans les piscines municipales, et l’a inscrit dans leur règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je commencerai par un point de méthode. Cela a été rappelé par Mme la rapporteure, cet amendement, qui avait été repoussé par la commission, a été subitement rétabli par celle-ci dans des conditions pouvant susciter un certain questionnement.
Sur le fond, cet amendement pose de nouveau la question de ce qu’est un signe religieux. Comment définir un burkini ? Doit-on le définir exclusivement selon la personne qui le porte ? Et sous-entend-on que cette personne, dès lors qu’elle le porte, a nécessairement et obligatoirement des arrière-pensées ?
Il est donc véritablement problématique de définir la manifestation ostensible de convictions religieuses au travers d’un vêtement.
Par ailleurs, que ferez-vous lorsqu’une personne exhibera un tatouage – je caricature à peine ! – manifestant ses convictions religieuses ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Vous êtes dans le déni !
M. Didier Marie. Allez-vous le lui enlever ? (Sourires sur les travées du groupe SER.) Soyons un peu sérieux ! Ce n’est pas la manifestation de convictions au travers d’un vêtement ou de tout autre signe qui permet de définir la radicalité.
Cet amendement est contraire aux principes que nous souhaitons défendre. On ne saurait prévoir, en vertu du principe de laïcité, une interdiction générale et absolue du port de tels signes dans l’espace public sans remettre en cause les libertés fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté de religion.
Dès lors, le port du burkini par des femmes fréquentant un espace public tel qu’une piscine municipale, s’il constitue effectivement une manifestation religieuse, ne peut faire l’objet d’une interdiction générale et absolue. Je crois que c’est important de s’y tenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr, nous allons soutenir l’amendement de Michel Savin, qui a reçu un avis favorable de notre commission.
Tout d’abord, on le sait bien – vous avez rappelé à cet égard, monsieur le ministre, un cas récent en Île-de-France –, l’Observatoire de la laïcité avait indiqué qu’il était possible d’interdire le burkini dans les piscines publiques, en l’inscrivant dans leur règlement intérieur, pour des raisons sanitaires, d’hygiène et de sécurité. J’estime, pour ma part, qu’il s’agit d’une ruse, d’une habileté, d’une hypocrisie !
Nous sommes là pour réaffirmer le respect des principes de la République, dans un contexte difficile – on en a déjà parlé.
Ensuite, vous nous dites, monsieur le ministre, que les usagers du service public ne sont pas soumis à une obligation de neutralité. Or la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, prévoit qu’une telle obligation doit s’appliquer à un enfant mineur ou à un élève majeur. Nous sommes bien d’accord sur ce point !
J’y insiste, l’assertion selon laquelle l’obligation de neutralité ne peut pas s’appliquer aux usagers de services publics entre en contradiction avec cette loi de 2004 !
Vous avez dit, ensuite, que le burkini était un signe religieux. Or nombre de nos compatriotes musulmans nous indiquent que ces accoutrements sont tout sauf des signes religieux et qu’ils ne correspondent à aucune prescription religieuse. (Il faudrait savoir ! sur les travées des groupes SER et GEST.)
Récemment a eu lieu le procès intenté par le président de la FCPE contre Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’éducation nationale, procès gagné par M. Obin. Je voudrais citer le témoignage, entendu à cette occasion, de Mohamed Sifaoui, qui est en France l’un des bons spécialistes des mouvements salafistes, notamment. Il déclarait que le voile et les autres vêtements de ce type étaient non pas des symboles religieux, mais des accoutrements pensés par les islamistes.
On voit donc bien qu’il y a derrière ces accoutrements non pas tellement un signal religieux, mais le signe d’une contre-société sexiste, qui dit aux femmes qu’elles sont inférieures aux hommes et qu’elles doivent se soumettre, et qui veut séparer une communauté des croyants de la communauté des citoyens, de la communauté nationale.
Il s’agit non pas, comme je l’ai entendu dire, d’interdire le burkini dans l’espace public, mais simplement de l’interdire dans les lieux particuliers et fermés…
Mme la présidente. Vous avez épuisé votre temps de parole !
M. Bruno Retailleau. … que sont les piscines et les lieux de baignade artificielle, comme l’a jugé le Conseil d’État.
Soutenons l’amendement de Michel Savin, mes chers collègues ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Ce matin, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement visant à interdire le burkini, lequel a été légèrement modifié, puis présenté de nouveau ce soir, à l’ouverture de la réunion de la commission.
Je ne suis pas certain que nos collègues qui étaient présents ce matin en commission, et qui étaient majoritaires, apprécient beaucoup la manœuvre…
C’est la seconde fois que, sur ce texte, une telle manœuvre a lieu en commission. De mon point de vue, celle-ci aurait dû dire ce soir, dans son avis, que cet amendement modifié était contraire à l’avis qu’elle avait émis ce matin.
Passons sur la forme de l’amendement, laquelle est très discutable.
Sur le fond, je serai très bref. La liberté d’expression et la liberté religieuse ne souffrent aucune exception, sauf le trouble à l’ordre public.
Si nous adoptions cet amendement, nous créerions un précédent. Il n’y en a aucun autre ! Même l’interdiction de la burqa dans l’espace public repose sur un autre fondement, l’exigence minimale de la vie en société, laquelle implique que l’on puisse voir les visages.
Ce précédent serait le suivant : pour un motif peut-être louable et compréhensible à titre individuel, nous interdirions de manière très arbitraire, en tant que législateurs, la liberté d’expression et la liberté religieuse.
Il se peut que l’exercice de ces libertés ne nous plaise pas. Néanmoins, la liberté de religion et la liberté d’expression, notamment religieuse, ne peuvent souffrir aucune autre modération que celle qui est liée au trouble à l’ordre public et à l’atteinte aux droits d’autrui.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je vais évidemment soutenir l’amendement de Michel Savin.
Je commencerai par dire à notre collègue que, avant d’adresser des remarques à la commission en lui reprochant une procédure qui est tout à fait légale, il faudrait que lui-même soit certain de siéger au bon endroit ! (Marques de perplexité sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Je comprends parfaitement que M. Gontard défende son coreligionnaire de Grenoble. C’est normal, c’est de la politique ! Je ne suis pas d’accord, en revanche, lorsqu’il s’agit de faire l’autruche.
Car c’est faire l’autruche que de dire qu’il n’y a aucun rapport entre le burkini et l’islamisme. Décidément, on se tromperait complètement ! Il serait plutôt question ici d’un accoutrement folklorique faisant office de déguisement pour le carnaval ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur Gontard, en voulant défendre toutes les minorités, y compris celles qui sont indéfendables, vous en arrivez à prendre de telles positions !
Nous l’avons dit dans nos propos liminaires, nous sommes tous attachés à la République.
J’ai ainsi parfaitement en tête l’excellent discours du président Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. C’est bien ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Nous sommes tous pour une République unie, mais nous savons tous que des coups de canif – je cite ses mots – ont été portés à la République. Ce que vous faites, quant à vous, c’est donner des coups de machette dans le drapeau de la République française ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Ce qui est scandaleux, c’est de continuer à faire l’autruche et de laisser les choses s’aggraver. Pour ma part, je veux que la République française demeure telle qu’elle est définie dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Ce matin en commission – je me permets de le rappeler –, nous avions dit que la rédaction de cet amendement serait modifiée. Il est donc normal qu’il ait été présenté sous cette forme.
M. Guillaume Gontard. Cela ne marche pas comme ça !
Mme Valérie Boyer. Je souhaite revenir sur la signification de cet amendement.
Bien évidemment, le burkini n’est pas une tenue de baignade manifestant une opinion religieuse qui s’ancrerait dans une légitimité ancienne. Ce vêtement est en effet né en Australie dans les années 2000.
Néanmoins, on sait de quoi le burkini est le nom : c’est un interdit de fraternité, un interdit d’égalité, un interdit de liberté. Il est là pour séparer les hommes des femmes,…
Mme Éliane Assassi. Non !
Mme Valérie Boyer. … pour signifier qu’une femme doit porter une tenue pudique tandis que les autres femmes, elles, seraient impudiques.
Je le dis au nom du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, comment peut-on soutenir dans notre pays l’existence de telles tenues, qui sont contraires à nos principes constitutionnels ?
Je pense que cette tenue a bel et bien une portée politique, qui renvoie – je le disais précédemment – à la notion d’impudeur, laquelle serait propre au corps féminin. À ce titre, le burkini est contraire au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, et à nos premiers principes constitutionnels. Cet amendement a donc toute sa place dans le texte relatif aux principes de la République que nous examinons aujourd’hui.
Mes chers collègues, on ne peut pas défendre sans arrêt les qualités des hommes et des femmes, ce qui est normal – c’est notre devoir à tous, j’allais dire notre ADN, quelle que soit la travée sur laquelle nous siégeons –, et supporter que l’on divise le monde entre les pudiques et les impudiques. Ce n’est pas possible ! La pression qui est exercée sur les femmes est insupportable, et c’est à nous de les défendre.
Puisque nous parlons du principe d’égalité, je citerai l’un de nos collègues qui nous a précédés sur les bancs du Parlement, Henri-Dominique Lacordaire : il disait qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime – c’est le cas aujourd’hui – et la loi qui protège.
Pour protéger l’égalité entre les hommes et les femmes, il faut voter l’amendement de Michel Savin ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je crois, madame Boyer, que, pour protéger ou faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, il y a beaucoup de choses extrêmement urgentes à faire. La mesure proposée ne me semble pas en faire partie.
Pourquoi ? Parce que le sexisme consiste, aussi, à dire aux femmes ce qu’elles doivent porter ou non. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Vous n’y croyez pas !
Mme Sophie Taillé-Polian. Si, madame, je le crois !
Ce débat a trait, quelque peu, à la police du vêtement. À un moment donné, on va dire aux gens de ne pas porter ceci ou cela… Que l’on soit fan ou pas de cette tenue, et quelles que soient nos convictions personnelles, il ne faut pas entrer dans cette discussion.
Par ailleurs, si ce type de tenue pose – à l’instar d’autres vêtements – un problème d’hygiène dans les piscines, il faut le dire très précisément, mais ne pas se cacher hypocritement derrière cet argument. À défaut, on donne le sentiment de vouloir discriminer une population spécifique, ce qui a pour conséquence de pousser un certain nombre de personnes dans les bras des radicaux. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est mon point de vue et vous pourriez le respecter ! Cela produit donc l’effet inverse de ce qui est recherché.
Enfin, et cela a été très bien dit par d’autres, le respect des principes de la République signifie que l’on peut porter ce que l’on veut dans l’espace public, y compris dans des espaces fermés accueillant des services publics, sauf en cas d’atteinte à l’ordre public. Ce n’est objectivement pas le cas en l’espèce.
Pour toutes ces raisons, le groupe GEST ne peut pas voter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je sens que mes collègues sont assez tendus sur les sujets liés à l’habillement et au voile… Je le regrette, car ce débat, vu de l’extérieur, pourrait paraître quelque peu surréaliste.
Personne ici ne défend le burkini en tant que tel. La question ne s’est même pas posée pour nous ! Nous disons simplement deux choses.
Premièrement, cet amendement est inapplicable. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Permettez-moi de citer un exemple personnel ; je le fais souvent, pardonnez-moi : n’ayant pas votre ancienneté au Sénat, mes chers collègues, je me réfère aux territoires que je connais et à ma famille.
Tout comme ma mère et mes tantes, il se trouve que ma grand-mère (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) – même si cela vous fait rire, cet exemple vaut bien des arguments que j’ai entendus ! –, qui était née en 1892 à Mascara, en Algérie, se baignait toujours, car elle adorait les baignades, avec des vêtements et des maillots de bain longs. Si on avait interdit aux femmes de ma famille de porter cette tenue à la piscine, en France, elles en auraient été désolées, mais elles n’en auraient pas changé pour autant. Quelle loi leur auriez-vous appliquée ?
Combattre l’usage du burkini comme vous le faites, mes chers amis, revient à larguer une bombe atomique pour éteindre un incendie ou pour abattre un djihadiste en Arabie Saoudite ! Il y a une disproportion énorme entre ce que vous proposez et la réalité de l’objectif que vous voulez atteindre.
Deuxièmement, il n’y a pas d’hypocrisie de notre part lorsque nous disons que cet amendement est inapplicable. Celle-ci existe, en revanche, lorsque vous attaquez un certain nombre d’acquis de la laïcité en cherchant uniquement à combattre – et cela, je peux le comprendre – un certain nombre de mouvements qui mettent effectivement en péril notre démocratie et notre République.
Admettez qu’une telle règle est inapplicable en l’état, car personne ne pourra la définir ! Les seuls motifs qui permettraient d’interdire ce type de vêtement sont liés à l’hygiène ou aux troubles à l’ordre public. Or ces motifs sont d’ores et déjà inscrits dans nos lois et nos règlements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Dominent dans cet hémicycle des considérations à caractère textile, ce qui pose quelques problèmes intellectuels. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ces considérations textiles sont liées, si j’ai bien compris, à la question des signes religieux et de la religion, ce qui ne laisse pas de m’étonner.
Il est important, mes chers collègues, de connaître les religions, car elles font partie de l’histoire de l’humanité, et on doit les enseigner dans les écoles et les établissements publics.
Peut-être vous arrive-t-il de lire, par exemple, le Coran ? Si l’on se réfère au travail des intellectuels spécialistes de ce texte, on constate que celui-ci ne fait aucunement mention de ces considérations textiles…
Lorsque l’on prononce le mot « religion », se réfère-t-on au texte fondateur d’une religion ?
Mme Sophie Primas. Il s’agit de l’islam politique !
M. Jean-Pierre Sueur. Dans ce cas-là, vous aurez bien du mal à justifier votre position. Si, en revanche, on se réfère à autre chose, par exemple aux mœurs, on ne parle plus de signes religieux.
Il faut choisir : ou bien vous parlez de religion, et votre discours doit avoir un sens par rapport au fait religieux, ou bien vous évoquez les mœurs, ce qui est tout autre chose. Je trouve que nous sommes dans la confusion.
On peut croire en une religion, ne pas croire, ou être agnostique. Mais réduire, dans tous nos discours, le fait religieux et les croyances religieuses à des considérations textiles, cela n’a aucun sens !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je vous rassure monsieur Benarroche, ma grand-mère, quant à elle née au Maroc, ne se baignait, comme la vôtre, que totalement habillée. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais lorsqu’elle faisait cela, il s’agissait d’un geste non pas symbolique, mais personnel : c’était sa vie. Elle n’en faisait pas un combat contre la République, un geste de provocation à l’encontre du consentement légal entre hommes et femmes tel qu’il existe en France.
Je viens d’entendre de ces choses !… Il est bien évident que si nous ne connaissions pas une montée de l’islamisme et des provocations permanentes, depuis des années, sur un certain nombre de sujets, les gens n’en auraient rien à faire qu’une personne se baigne tout habillée à la piscine ou dans la mer ; cela poserait, à la limite, un problème d’hygiène, mais il n’y aurait pas là d’élément de provocation.
Or, en réalité – ce n’est pas la peine d’être naïf ! –, tout le monde sait que le burkini est devenu pour des associations islamistes un élément de combat et de provocation permanente. (Bien sûr ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Refuser d’interdire cette tenue, c’est donner raison à ceux qui, en utilisant des armes contre la République, découvrent finalement la faiblesse de celle-ci.
Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, cette faiblesse de la République consiste à accepter, au nom de la liberté et de la démocratie, les provocations et les dérapages. À partir de là, on entre dans un système où la République doit se défendre ; sinon, à un moment donné, il sera trop tard, car beaucoup de gestes auront été faits et acceptés à tort.
En entendant votre démonstration précédente, monsieur le ministre, j’ai failli me dire : « Il a raison ! Pourquoi légiférer et ne pas s’en remettre au pouvoir des élus ? »
Vous l’avez dit aussi, vous avez soutenu la présidente de la région Île-de-France, ce dont je vous remercie, lorsqu’elle a pris un règlement sur ce point. Or, faisant cela, elle a été attaquée par la Défenseure des droits.
M. Roger Karoutchi. Je le sais bien !
Si la Défenseure des droits a pu attaquer la présidente de la région, c’est bien parce qu’il y a des points à éclaircir en la matière ; tel est l’objet de cet amendement. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Nous passons effectivement beaucoup de temps sur des considérations liées à l’habillement.
Je veux dire au président Retailleau qu’il ne faut pas interpréter la loi de 2004 à l’envers. Si celle-ci établit une distinction entre les enfants et les adultes, c’est justement pour mettre les enfants à l’abri du prosélytisme et des pressions. Si l’on fait attention à eux, c’est pour les protéger. Or notre collègue a dit l’inverse !
Pour ce qui concerne le burkini, l’amendement est complètement disproportionné.
L’autre aspect du problème est que l’on court derrière les phénomènes : pour transposer la formule d’Aristide Briand, une fois que le burkini sera interdit, il y aura une nouvelle manifestation et il faudra une nouvelle loi pour tenter d’endiguer les choses !
Encore une fois, il faut arrêter les caricatures !
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas nous qui caricaturons !
M. Éric Kerrouche. L’un de nous veut-il, dans cet hémicycle, favoriser l’islam radical en France ? La réponse est, bien entendu, non ! L’islam radical est-il un danger ? Bien évidemment ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela étant dit, faut-il pour cela remettre en cause tous les principes sur lesquels est fondée cette République dont vous vous prévalez, en l’occurrence la liberté de religion et la liberté d’expression ? Bien sûr que non !
Nous entrons là dans un engrenage qui devient délirant. Pour autant, ce que vous voulez combattre n’étant pas nommé – c’est toujours le problème avec ce texte ! –, nous n’arrivons pas, et vous n’arrivez pas, à en capturer la réalité. On prend des mesures générales qui auront des conséquences sur toutes et sur tous, alors qu’elles ne visent qu’une minorité : c’est le contraire de la loi !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Aucun de nous n’est naïf à l’égard du burkini, et je comprends totalement le sens des interventions de nombreux orateurs du groupe Les Républicains, lesquels se font les porte-parole d’un vif agacement de nos concitoyens. Cela étant dit, avons-nous un problème ?
Selon moi, il n’y a pas de problème. Il y en a eu un, mais cette question a été réglée, à ma connaissance, dans la quasi- totalité des collectivités de notre pays. Des règlements intérieurs ont été édictés, soit sur le terrain de l’ordre public, soit sur celui de la salubrité. Ce n’est plus un sujet en 2021, d’après ce que je peux voir dans les territoires.
Si une collectivité – et je vous en donne volontiers acte – veut, pour des raisons politiques, prendre le contre-pied de ces dispositions et introduire des mesures contraires à l’intérêt général, basées sur des logiques particulières, voire séparatistes, alors le projet de loi permettra d’y répondre et de faire jouer le contrôle de légalité.
J’adresserai cependant deux observations aux auteurs de l’amendement, car il faut tout de même être raisonnable.
Premièrement, vous avez argué collectivement, et avec une force incontestable – vous avez en effet obtenu plus de 170 voix –, que des règles particulières devaient être prévues pour les accompagnants de sorties scolaires parce qu’ils étaient des agents bénévoles du service public. Vous nous avez démontré qu’il fallait leur appliquer ces dispositions au motif qu’ils n’étaient pas des usagers.
Or, en l’occurrence, pour les piscines, vous ne demandez pas que la règle de neutralité s’applique uniquement aux maîtres-nageurs sauveteurs ou au directeur : vous voulez qu’elle s’applique aux usagers. Il y a un certain niveau de contradiction entre ce que vous nous avez indiqué avec conviction avant le dîner, et ce que vous avez dit après ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous en êtes à ce point conscients que vous avez complété vos propos – je vous ai très bien écouté, monsieur le président –, ajoutant que le burkini était non pas un signe religieux, mais un accoutrement, et que c’était un autre problème.
La difficulté, collective, à laquelle nous devons faire face est liée au fait qu’il n’y a pas d’islam à la française, contrairement à ce que nous voudrions constituer, avec une certaine distance.
De grâce, ne nous mettons pas à donner du Coran notre propre interprétation ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je commencerai par poser une question : combien de femmes se baignent-elles en burkini ? (Trop ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous n’avons aucun chiffre !
Cependant, nous continuons à discuter de ce sujet : nous l’avons fait durant à peu près une heure ce matin, et nous recommençons ce soir.
Que cherche-t-on exactement ? Je voudrais le savoir ! J’ai presque envie d’utiliser l’expression des jeunes, lorsqu’ils disent que tel ou tel « les cherche »…
Que voulez-vous des musulmans ? Quand ce n’est pas le burkini, c’est le voile ; quand ce n’est pas le voile, c’est le halal ; quand ce n’est pas le halal, c’est encore autre chose !
Vous instrumentalisez la cause des femmes pour parler du burkini !
Sur ce point, madame Boyer, je vous ai déjà répondu ce matin : regardez notre hémicycle. Nous n’y sommes pas les égales des hommes puisque nous sommes à peine 30 % de femmes, contre 70 % d’hommes. (Quel rapport ? sur des travées du groupe Les Républicains.) Ne vous faites pas l’égérie du féminisme pour combattre le burkini !
Plus on poussera à bout les musulmans, plus nombreux seront ceux qui s’engageront dans le salafisme et au sein d’autres mouvements fanatiques. Parce que vous ne les laissez pas vivre !
Pour vous, tout est objet de critique et de rejet. Jusqu’à quand allez-vous continuer à agir de la sorte ? Je vous le demande, car vous n’arriverez pas à…
M. Stéphane Ravier. Tant que cela sera nécessaire !
Mme Esther Benbassa. Ah ! Alors vous finirez par perdre, car vous refusez de comprendre qu’il n’est pas seulement question aujourd’hui de signes religieux. C’est aussi une revendication identitaire, qui peut ne pas être religieuse, même si des religieux peuvent en faire un combat politique. Alors, faisons la distinction !
Nous ne voulons pas vivre séparés des musulmans. Nous sommes dans un pays laïque, alors, quelle est la différence ? Dans mon bureau, une jeune femme vient travailler en portant de grandes croix à son cou, et cela ne me dérange pas ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Si je peux me permettre, mes chers collègues, il faudrait revenir à l’objet du texte. Comme je l’ai dit dans mon intervention en discussion générale, je pense que ce débat est important, mais qu’il n’était pas urgent. Ne nous mentons pas, évitons les faux débats dans lesquels chacun fait part de l’interprétation qu’il veut bien donner de telle ou telle tenue. Le débat ne se situe pas là.
Pour continuer à ne pas se mentir, il faut bien reconnaître que le débat qui nous occupe ce soir depuis la reprise de nos travaux ressemble à celui que nous avons eu sur l’article 1er : il est de la même essence et il relève de la même idéologie, que, pour notre part, nous récusons.
Nous aimerions avoir un débat sage, à l’image de notre Haute Assemblée, car nous le méritons, tout comme le méritent nos concitoyens. Je crains que ce que nous offrons ce soir au peuple de France ne soit pas à la hauteur de ce qu’est le Parlement, et particulièrement le Sénat. Je le dirai simplement, mes chers collègues : assumez, comme nous le faisons, vos choix, au lieu d’utiliser ce texte pour affirmer votre idéologie. Car, sincèrement, personne n’a d’illusion sur l’idéologie qui est véhiculée ce soir, après l’avoir été ces dernières années, ces derniers mois, ces derniers jours.
Pour conclure, je voudrais affirmer ici solennellement qu’en ce qui concerne notre groupe communiste républicain citoyen et écologiste, mais j’imagine aussi pour nos collègues de gauche, nous aimons la République autant que vous ! Que la chose soit dite ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne sais pas si nous l’aimons davantage…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. On ne défend pas la République en tapant dessus comme vous le faites ce soir. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Le burkini est un symbole non pas de l’islam – nous sommes tous d’accord sur ce point –, mais de l’islamisme, c’est-à-dire d’un projet totalitaire.
Un projet totalitaire a besoin de symboles. Il ne faut pas être naïf : nous avons bien là un symbole totalement contraire à la République, à ses valeurs et à ses principes, puisque cette tenue sépare, enferme, écarte.
Or je constate que, sur une partie des travées de cet hémicycle, on trouve toujours de bonnes raisons pour ne pas combattre cette idéologie, ce totalitarisme. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Chaque fois que l’on vous propose quelque chose, mes chers collègues, vous avez toujours une bonne raison pour vous y opposer ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous ne voulez donc pas combattre ce totalitarisme, et finalement vous en êtes complices !
Je vais peut-être encore vous choquer davantage, mais je me demande où se trouve aujourd’hui une certaine gauche, celle du combat républicain. Monsieur Kerrouche, la République fut un combat permanent qui nécessita chaque fois de trouver des réponses à de véritables défis. Je l’avais dit à la présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) en son temps : si les forces laïques de notre pays avaient eu par le passé les mêmes attitudes que celles que l’on voit ici ce soir, je ne suis pas sûr que notre République serait aujourd’hui laïque. La laïcité n’a jamais été de l’angélisme ; ce fut un combat, et puisque vous ne voulez plus le mener, c’est nous qui le mènerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Guy Benarroche. Ce n’est pas acceptable !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La grande question est de savoir comment la République va se défendre. En effet, elle est attaquée : on assiste à des provocations, à des attitudes dramatiques et à des emprises qui s’installent. Il est donc fondamental de trouver la bonne méthode pour combattre et faire reculer ces comportements.
Nous pouvons discuter de ce qu’est le burkini, mais il peut vraisemblablement être considéré comme une provocation. J’insiste, la question est bien de trouver comment répondre à cette provocation.
Si l’on est républicain, on ne peut pas apporter de réponse dont la force reposerait sur le seul interdit par conformisme vestimentaire. Ce n’est pas la bonne méthode ! Si à chaque provocation on fait reculer la liberté de l’usager de s’habiller comme il l’entend, sauf bien entendu pour des motifs d’hygiène ou d’ordre public, si on fait ainsi reculer nos principes, alors ce sont eux qui gagneront au final et pas nous !
Il serait dramatique qu’à chaque provocation, nous foncions, tels des taureaux face à un chiffon rouge, pour faire reculer nos principes ! Tout ce qui est ségrégationniste doit être radicalement combattu. Ces femmes vont à la piscine : pour les plus radicaux des salafistes, aller se baigner avec des hommes fait de ces femmes des impies. Il peut donc y avoir une part de provocation. En vertu de leurs principes, ces salafistes veulent enfermer les femmes, les placer en dehors de la sphère de la mixité.
Ce n’est ni le bon combat ni la bonne méthode, d’autant que, comme le disait M. Bonnecarrère, les collectivités prennent localement des mesures qui conduisent à ce que ces provocations finissent souvent par faire pschitt…
En revanche, ce qui ne peut pas être réduit, ce sont les libertés que nous défendons. Je découvre d’ailleurs votre soudaine passion pour la libération du corps de la femme (Rires sur les travées des groupes CRCE et SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que dans ma jeunesse nous avons combattu pour avoir le droit de nous mettre en monokini à la plage.
Mme la présidente. Vous avez épuisé votre temps de parole, madame Lienemann.
Mes chers collègues, nombreux sont ceux d’entre vous qui veulent intervenir sur cet amendement, ce que je comprends fort bien. Je vous laisse la parole comme il se doit, mais, pour que nous puissions avancer dans l’examen de ce texte, il faut que vous respectiez à la fois le temps qui vous est imparti, mais aussi les intervenants lorsqu’ils s’expriment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, je suis intimement persuadé comme vous – nous devons tous faire preuve de sincérité sur cette question – du caractère universel de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Mais vous verrez que, dans la suite du débat, vous trouverez des exceptions pour que ce principe universel ne s’applique pas, notamment quand il sera question d’enseignement. J’ai défendu ce matin en commission un amendement pour que la mixité soit générale dans tout l’enseignement. Mais, à un moment donné, vous allez m’expliquer qu’il existe des exceptions historiques et nécessaires. Vous avez vos exceptions, mes chers collègues, et votre pensée n’est pas aussi cohérente que vous nous le dites.
Par ailleurs, je considère que le principe de l’universalité de l’égalité entre les hommes et les femmes s’applique en France et à l’étranger. Or vous savez très bien que, dans certains pays, le salafisme ou le wahhabisme est religion d’État. Pourtant, nous entretenons les meilleures relations du monde avec ces États parce qu’ils sont les meilleurs clients de nos industries d’armement. L’universalisme s’arrête là ! Vous acceptez partout ailleurs sur la planète ce qui est absolument intolérable en France. J’insiste, on continue à travailler avec ces pays alors qu’ils ont pour religion d’État ce que vous dénoncez ici. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je veux évoquer un autre point essentiel : monsieur Retailleau, je m’interdis absolument de dire ce qui fait ou non partie du dogme d’une religion. Je l’ai dit, nous sommes des séparatistes radicaux : au nom du principe du séparatisme, c’est aux religions de s’organiser. Ce n’est pas à moi de dire si le voile doit être porté par les musulmanes ou pas. De la même façon, je m’interdis de dire si le célibat des prêtres est une bonne chose, ou s’il faudrait ordonner des rabbines. Le Grand Consistoire de France représente, paraît-il, toute la diversité du judaïsme : je ne le crois pas. J’ai lu un excellent entretien avec une rabbine, dans lequel elle donnait l’air d’être quelque peu oubliée.
Quant à faire l’autruche, nous en reparlerons au moment du débat sur l’enseignement en famille, à propos duquel vous en fournissez le meilleur exemple ! Vous ne voulez pas regarder la réalité dénoncée par M. le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission, qui souhaite certainement répondre à l’interpellation de M. de Belenet.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je voudrais faire un point sur le fonctionnement de la commission des lois pour ne pas laisser croire que, par des moyens que nous aurions pu adopter, nous aurions contourné le règlement.
Mes chers collègues, je vous indique que tout sénateur ou toute sénatrice ayant déposé un amendement sur le texte peut, sans aucune difficulté, le modifier jusqu’au moment du vote, comme le prévoit le règlement.
Nos collègues Max Brisson et Michel Savin ont déposé des amendements sur lesquels la commission avait, dans un premier temps, émis un avis défavorable. Ils ont rectifié leurs amendements, qui ont été réexaminés par la commission, laquelle a alors émis sur les deux un avis favorable.
Le règlement du Sénat a été parfaitement respecté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Alain Marc applaudissent également.)
Mme la présidente. Merci, monsieur le président de la commission, de ce rappel très utile.
La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Je souhaite expliquer les raisons pour lesquelles j’ai déposé cet amendement. (Oh ! sur les travées du groupe SER.)
Premièrement, le texte dont nous débattons ce soir, monsieur le ministre, concerne bien le respect des principes de la République. Mon amendement s’inscrit bien dans cet objectif.
M. Didier Marie. Non !
M. Michel Savin. Il faut être réaliste, et l’amendement vise, tout d’abord, à encadrer et à soutenir les maires dans leurs prises de décision.
Face aux opérations menées par des associations militantes qui placent la religion au-dessus de la République – ne me dites pas que cela n’arrive pas, car on les constate chaque année ! –, les maires sont démunis. Il ne faut pas les laisser exercer seuls leur pouvoir d’appréciation en la matière, car ils subissent des pressions intenables. La preuve en est qu’ils ne prennent pas de décisions sur ce type de manifestations.
Les élus locaux et l’État se renvoient la balle. Les élus locaux disent que c’est à l’État de prendre ses responsabilités ; quant à vous, vous nous dites ce soir que c’est aux maires de le faire !
Deuxièmement, monsieur le maire – pardon, monsieur le ministre ! –, je ne voulais pas me focaliser sur une religion. (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et CRCE.). Quand j’ai travaillé sur ce texte, j’ai discuté avec de jeunes femmes de confession musulmane (Ah ! sur les travées des groupes SER et CRCE.) pour me rendre compte de la façon dont elles vivaient cette situation.
Je peux vous dire, chers collègues de gauche, que, dans leurs quartiers, dans leur vie, certaines d’entre elles subissent des pressions pour porter ce type de vêtement.
Mme Pascale Gruny. Tout à fait !
M. Michel Savin. Que se passe-t-il alors ? Soit elles quittent les villes où les piscines sont phagocytées par des associations politiques, soit elles revêtent ces tenues sous la pression de leur quartier, de leur famille et de leur environnement. Voilà ce que vous voulez ! Car c’est bien la réalité actuelle.
Dernier point, monsieur le ministre, j’aurais aimé que vous preniez une position en phase avec le discours que vous tenez sur le terrain.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Michel Savin. Là-bas, vous tenez un discours de fermeté ; aujourd’hui, alors que vous avez l’occasion d’enfoncer le clou pour envoyer encore une fois un signe positif aux maires et aux élus locaux, vous ne la saisissez pas. C’est vraiment dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Karoutchi. C’est l’heure !
M. Gérald Darmanin, ministre. L’heure n’explique pas tout… Je constate que, depuis cet après-midi, nous n’avons finalement abordé – c’est évidemment le droit le plus souverain du Sénat – que deux séries d’amendements portant sur des dispositions qui ne figuraient pas dans le texte proposé par le Gouvernement.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire plusieurs fois, je suis très attaché à la cohérence de mon discours sur les principes républicains. Depuis presque quatre ans que je suis ministre de ce gouvernement, j’ai travaillé avec le Sénat sur de très nombreux textes concernant souvent les collectivités locales, notamment dans le cadre des finances publiques. Chacun sait, et j’espère que cela se voit, que j’aime la discussion parlementaire.
Matin, midi et soir, j’ai entendu les sénateurs, sans doute de votre groupe, m’expliquer qu’il fallait respecter les élus et leur faire confiance : « Écoutez les élus, laissez-les décider, écoutez l’AMF, laissez les libertés locales s’exprimer, lisez l’article 72 de la Constitution ! » Et je fais confiance aux élus.
Vous avez fait un lapsus révélateur : j’ai été effectivement maire d’une commune dite « difficile », dans laquelle une proportion importante de la population est de confession musulmane. J’ai pris mes responsabilités – cela ne m’a pas empêché d’être élu et réélu au premier tour – en refusant d’organiser des repas communautarisés ou végétariens dans les cantines ou d’autoriser hypocritement un temps de repos le vendredi après-midi – en l’occurrence, c’était ce qui m’était demandé – pour faire la prière.
En tant que vice-président chargé des transports de ma métropole et de ma région, j’ai mis fin au laisser-aller qui avait cours auparavant. J’ai refusé de mettre en place dans ma piscine municipale gérée en délégation de service public ce que vous proposez, alors que d’autres collectivités autour de la mienne le faisaient.
Être élu, c’est aussi avoir la responsabilité de prendre de telles décisions. Monsieur le sénateur, je respecte éminemment les maires ; je ne leur dis jamais, parce qu’ils manqueraient de courage ou de soutien, parce qu’ils feraient preuve de naïveté ou seraient dans la compromission, que nous devrions décider à leur place ! J’ai expliqué précédemment aux présidents Retailleau et Karoutchi que la loi permettait justement de prendre ses responsabilités ; si tel n’était pas le cas, j’aurais compris votre amendement.
Il ne faut en effet pas tenir d’une séance à l’autre de discours différent sur la responsabilité des élus. Le président de l’AMF lui-même ne veut pas de ces dispositions. Je vous recommande, monsieur le sénateur, de ne pas opposer vie sur le terrain et vie dans l’hémicycle. Quel gouvernement a dissous BarakaCity, créée au début des années 2000 ? Quel gouvernement a dissous le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), créé au début des années 2000 ? Quel gouvernement a dissous le collectif Cheikh Yassine, créé dans les années 1990 ? Parmi les gouvernements qui ont été en responsabilité, quel est celui qui expulse, quasiment tous les jours que la République fait, parce que le Président de la République le demande, des étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ? Qui propose la fermeture des lieux de culte et qui les ferme ?
J’ai bien entendu l’argumentation sur le burkini, dont j’ai compris qu’il avait animé des heures de discussion, mais la police du vêtement n’est jamais une bonne police ! En revanche, faire preuve de courage et de responsabilité, c’est, me semble-t-il, respecter les principes de la République. Je suis d’un courant que l’on pourrait qualifier de droite, mais d’une droite de la responsabilité et de la liberté. La liberté, s’agissant notamment des croyances religieuses, ne peut pas être chassée de la sorte, d’un coup de main, particulièrement quand elle concerne nos compatriotes musulmans.
Là où vous avez raison, monsieur le sénateur, c’est qu’on n’attaque pas une seule religion aujourd’hui – je pense à la dérive islamiste que j’ai par ailleurs dénoncée. Pour le président Retailleau, le burkini n’est pas un vêtement religieux, alors que votre amendement tend à le considérer comme tel. Alors que croire, si ce n’est que ce débat sert à attirer les médias ? Qu’un tel débat se concentre sur un vêtement me désole.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Alain Marc applaudissent également.)
Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 303, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La République, garantissant la liberté de conscience, reconnaît le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester par ses pratiques sa conviction religieuse en public. Elle garantit une stricte neutralité des personnes exerçant une mission de service public vis-à-vis de leurs usagers.
Il revient à tout organisme de droit public ou privé, chargé de l’exécution d’un service public, de garantir la mise en œuvre effective des principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de dignité, de laïcité et de mixité sociale, dans l’exercice de ses compétences.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Gardons à l’esprit que la loi de 1905 est une loi de liberté. Dès lors, il ne revient pas à l’État d’organiser les cultes. Le risque que présente ce texte est de transformer la loi en une loi de contrôle, de police et de répression du culte.
Nous souhaitons, avec notre amendement, réaffirmer cette vision d’une laïcité positive qui, comme je l’ai dit précédemment, assure la neutralité des pouvoirs publics à l’égard du culte et un traitement égal aux diverses expressions de celui-ci.
Cet amendement vise à rappeler que la République, qui garantit la liberté de conscience, reconnaît le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester sa conviction religieuse en public, tant que l’ordre public est préservé. Il tend en même temps à réaffirmer la garantie de la stricte neutralité des personnes exerçant une mission de service public à l’égard des usagers, quelles que soient leurs convictions religieuses.
Enfin, n’oublions pas que, parfois, le séparatisme ne naît pas d’une volonté d’opposition aux principes de la République. En revanche, les pouvoirs publics, par leur désengagement dans certains territoires, par le manque de financement des services publics et par le manque de considération accordée aux difficultés de nombreux Français, créent d’eux-mêmes ce séparatisme.
Il convient donc de réaffirmer qu’il revient à tout organisme de droit public ou privé chargé de l’exécution d’un service public de garantir la mise en œuvre effective des principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de dignité, de laïcité et de mixité sociale dans l’exercice de ses compétences.
Mme la présidente. L’amendement n° 496 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1er de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sont interdites, dans l’espace public, les tenues couvrant la tête, constituant en elles-mêmes une affirmation sans équivoque et ostentatoire des idéologies séparatistes, contraire au droit des femmes, à leur dignité, à l’égalité entre les hommes et les femmes ou résultant d’une intimidation. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. La femme est l’avenir de l’homme : pourtant, certains chez nous préfèrent voiler l’avenir. Pour des raisons sociales, politiques et religieuses, les femmes se couvrent de gré ou de force la tête et une partie du visage. Elles marquent ainsi un terrible aveu : celui de l’inégalité entre les hommes et les femmes. Cette conception contraire à tous nos principes et même à notre devise républicaine pourrait rester personnelle si elle n’était pas devenue un enjeu politique depuis une quarantaine d’années.
Voiles au lycée, à l’université, au travail, dans la rue, etc. Voile, hidjab, burqa, niqab, burkini : tant de mots et tant de débats qui n’auraient jamais dû se tenir en France. Peut-être que le jour où nous ne débattrons plus du voile nous pourrons réfléchir aux moyens de financer la recherche en vue de la création d’un vaccin contre un virus qui nous pourrit la vie.
C’est ce que je vous propose dans cet amendement : interdire le voile dans l’espace public et mettre fin à tous ces débats. Ainsi, la règle sera claire.
Le voile doit être interdit dans l’espace public parce que, outre son caractère discriminant, il sert aujourd’hui d’étendard aux revendications communautaires et islamistes. Par son essence même, arborer un voile est un acte séparatiste. Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) de 2019, un tiers des musulmanes le portent pour revendiquer leur croyance et la supériorité de celle-ci sur notre droit, ce qui constitue déjà une volonté de trouble à l’ordre public.
Il n’y a qu’une seule loi en France, celle de la République, et qu’une communauté, la communauté nationale. Pour les islamistes, le voile constitue aussi un moyen de pression exercé sur celles qui ne le porteraient pas : elles sont marginalisées, moquées, parfois insultées et frappées parce qu’elles refusent de se soumettre. Par défaut, le voile serait un rempart contre la violence : plus d’une musulmane sur quatre le porte pour se sentir en sécurité. Il s’agit non plus de séparatisme, mais d’une véritable domination exercée par les islamistes. Ceux-ci ne veulent pas vivre en dehors de la République, ils veulent que la charia supplante nos lois, en commençant par l’asservissement des femmes.
Les élus que nous sommes ne peuvent pas cautionner cette situation. Nous devons tendre la main à toutes celles qui ne rêvent que d’une chose : être libérées et s’affranchir du voile. C’est pour libérer toutes les incarcérées dans une geôle de textile – une étoffe peut tout aussi bien priver de liberté que des barreaux – et éradiquer toute marque de conquête islamiste que nous devons, mes chers collègues, agir en votant cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 146 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et Pantel et MM. Requier, Roux, Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1er de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Le port de signes ou tenues par lesquels des mineurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse y est interdit. Il y est également interdit le port par les mineurs de tout habit ou vêtement qui signifierait l’infériorisation de la femme sur l’homme. »
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. L’interdiction pour les mineurs de porter dans l’espace public tout signe religieux ostensible aurait pu constituer un signal fort envoyé à notre jeunesse. Celle-ci aurait pu y voir une garantie de la préservation de son insouciance et de sa liberté. Dans quelle mesure une République laïque peut-elle tolérer que des enfants manifestent des signes religieux au su et au vu de tous ? Ce n’est pas aux parents d’imposer des dogmes aux enfants. Aussi, il est essentiel qu’existent des espaces protecteurs, vecteurs d’émancipation, pour ces derniers.
Le présent amendement vise à interdire, dans l’espace public, le port par des mineurs de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Dans cette perspective, il est indispensable d’empêcher tout moyen d’inférioriser l’enfant, notamment la jeune fille, au travers d’un vêtement qu’on lui impose.
Mme la présidente. L’amendement n° 162 rectifié bis, présenté par Mme V. Boyer, M. Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et Savary, Mme Boulay-Espéronnier, M. H. Leroy, Mmes Bourrat et Schalck et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le port de signes allant à l’encontre de la dignité des femmes dans l’espace public, constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public, est interdit aux mineures.
Le fait pour les titulaires de l’autorité parentale d’imposer ou de ne pas interdire à une mineure le port de signes allant à l’encontre de la dignité des femmes dans l’espace public est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. L’obligation d’accomplir le stage mentionné au 1° de l’article 131-5-1 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.
Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
Si les violations sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende.
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Je voudrais évoquer les mineurs. Il y a quelques jours, sur ces travées, nous nous sommes honorés à voter tous ensemble un texte pour les protéger. C’était l’honneur du Sénat d’avoir adopté cette proposition de loi de Mme Billon.
Aujourd’hui, nous devons nous interroger sur la symbolique du voile islamique et faire respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à la convention de l’Organisation des Nations unies relative aux droits de l’enfant que la France a ratifiée il y a trente ans.
Le voile est fait pour dissimuler le corps des femmes au regard sexualisé des hommes. Quelle est alors la signification de voiler une fillette ? Si les défenseurs du voile évoquent le libre choix des femmes à le porter, qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’enfants en bas âge ou de jeunes n’ayant pas atteint l’âge du consentement ?
Le voilement des mineurs peut représenter des risques pour l’épanouissement physique, mental, moral et social des enfants. L’essayiste iranienne devenue française Chahdortt Djavann, qui a porté le voile pendant dix ans, a écrit un excellent livre à ce sujet. Elle avait 13 ans quand elle s’est battue en Iran pour ne pas porter le voile ; elle a été emprisonnée pour cela.
Alors quand elle croise aujourd’hui une femme qui le porte, elle dit que cela lui est insoutenable. Voici ce qu’elle écrit : « Le voile est un symbole qui ôte toute capacité à la femme d’être un être pensant. Quand un seul de ses cheveux peut susciter le désir sexuel le plus fruste de l’homme, elle est réduite à un appât sexuel. Ce symbole pornographique autorise toute forme de violence à l’encontre des femmes et les place dans le non-droit. Quand on voile une petite fille, on lui inculque la culpabilité de sa sexualité féminine, on lui dit que ses cheveux et les formes de son corps peuvent à tout moment faire perdre le contrôle de soi aux hommes. Je demande qu’au moins dans les pays démocratiques, le port du voile par des mineures soit sanctionné. Cela relève des droits de l’homme et de la protection des mineurs. »
J’ajoute que cet interdit de liberté, d’égalité et de fraternité, au-delà du fait qu’il symbolise la domination patriarcale, la domination des femmes par les hommes, porte atteinte à la dignité des enfants de la République.
Selon la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004, « les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles “la France est une République laïque” […] interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».
Aussi, j’ai rectifié mon amendement afin que celui-ci tende à interdire le port par des mineures, dans l’espace public, non plus de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, mais « de signes allant à l’encontre de la dignité des femmes ».
Mme la présidente. Il faut conclure, vous avez déjà dépassé votre temps de parole, ma chère collègue !
Mme Valérie Boyer. Là, il s’agit d’enfants ; c’est donc encore plus grave.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 677 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 160 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher et Meurant, Mme Joseph, MM. Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et Savary, Mme Boulay-Espéronnier, M. H. Leroy, Mme Bourrat et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le port de signes ou tenues par lesquels une personne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse est interdit dans l’ensemble des établissements accueillant un service public.
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Il est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 129 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Roux, H. Leroy, Cabanel, Corbisez, Fialaire et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les services publics, le port de signes ou tenues par lesquels les mineurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le présent amendement vise à interdire, dans les services publics, le port des signes ou de tenues par lesquels les mineurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.
Il est indispensable d’affirmer avec force que le port du voile par les mineures ne saurait être toléré dans les services publics, notamment parce que la question du libre arbitre et du consentement de celles-ci se pose avec une acuité particulière.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger la séance jusqu’à zéro heure trente, afin de poursuivre plus avant l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Reprenons rapidement l’objet de chacun de ces amendements, qui visent tous à interdire le port de signes religieux ostentatoires dans les locaux accueillant un service public ou, plus généralement, dans l’espace public.
L’amendement n° 303 de Mme Benbassa vise à affirmer que la République garantit le droit de manifester sa conviction religieuse. L’amendement n° 496 rectifié de M. Ravier tend à interdire tout signe religieux ostentatoire dans tout l’espace public. L’amendement n° 146 rectifié bis de Mme Delattre a pour objet de prévoir une telle interdiction dans l’espace public, mais seulement pour les mineurs. L’amendement n° 162 rectifié bis de Mme Boyer vise à interdire le port, par les mineures, de signes allant à l’encontre de la dignité des femmes dans l’espace public. Les amendements nos 160 rectifié et 129 rectifié bis visent à interdire les signes religieux ostentatoires dans les établissements accueillant un service public, respectivement pour toute personne ou pour les mineurs uniquement.
Ces questions alimentent un débat de société de fond ; je rejoins beaucoup des propos tenus en défense de ces amendements. Cela pose évidemment la question de l’équilibre complexe entre les libertés individuelles et la préservation de l’ordre public, au travers des exigences maximales de vie en société.
Néanmoins, ces amendements soulèvent souvent des problèmes de qualification juridique. Nous sommes parvenus, pour l’instant, à un point d’équilibre en ce qui concerne l’espace public, au travers de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Cela peut, certes, paraître insuffisant et, sans doute, il y a des dispositions à réécrire et des ajustements ponctuels à faire – on l’a fait précédemment avec, par exemple, l’amendement n° 286 rectifié bis de Max Brisson –, mais ces amendements posent une véritable difficulté au regard de la Constitution.
En outre, le voilement des petites filles et des mineures constitue un vrai sujet ; personne ne peut s’exonérer de cette discussion et, d’ailleurs, ma collègue rapporteure et moi-même en avons discuté lors de nos auditions. Or la plupart des universitaires et des associations qui étudient cette question pensent qu’il faudrait un texte spécifique sur le sujet (Mouvements divers sur les travées du groupe Les Républicains.) – laissez-moi finir –, portant sur la protection de l’enfance.
En tout cas, nous ne pouvons pas ignorer ce sujet, qui est réel et qui nous heurte tous. Je suis élue de banlieue et, comme un certain nombre d’élus du Sénat, je constate la dérive du voilement des petites filles. Toutefois, je le dis très sincèrement, ce n’est pas au travers de ce genre d’amendements que l’on réglera ce problème. Il est important d’en parler, de le signaler, mais il nous faut trouver les fondements juridiques appropriés, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui ; ce sujet reviendra.
Bref, les qualifications juridiques retenues dans ces amendements ne sont malheureusement pas pertinentes, même si l’on peut le regretter. Par conséquent, la commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je vous remercie de votre réponse, madame la rapporteure, mais, selon moi, le voilement des mineures représente une forme de maltraitance.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. C’est bien ce que je dis !
Mme Valérie Boyer. Il n’y a pas, d’un côté, les enfants pudiques et, de l’autre, les impudiques.
Les dérives sectaires constitutives d’abus de la liberté d’opinion et de religion, mais aussi de l’ignorance et de la faiblesse d’autrui ou de la mise en péril des mineurs, sont déjà parfaitement appréhendées par le droit pénal.
Allons plus loin aujourd’hui, en ayant le courage de dire non au voilement des mineures. Mon amendement n’est pas correctement rédigé ? Il ne vise pas le bon texte ? Eh bien, rectifions-le, sous-amendons-le, madame la rapporteure ! Nous sommes là pour faire la loi tout en étant, bien entendu, soucieux des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
Des textes majeurs ont été adoptés grâce au vote de ces travées : je pense à la reconnaissance du génocide arménien, au retrait, anticonstitutionnel un jour et constitutionnel le lendemain, de l’autorité parentale à un conjoint violent ou encore à la présomption de contrainte lors de relations sexuelles avec un mineur de 15 ans, que nous avons adoptée voilà quelques jours.
En ce qui concerne le véhicule législatif, cette occasion ne doit pas être un rendez-vous manqué. Du reste, même si un texte sur les violences faites aux mineurs nous est soumis, on nous opposera un avis défavorable en convoquant l’article 45 de la Constitution ou en affirmant que ce n’est pas le bon moment…
Max Brisson l’indiquait précédemment, le Sénat a l’occasion, ce soir – pas demain, pas dans un mois, ce soir –, de protéger les mineurs, ici et maintenant, si j’ose dire. Nous voulons lutter contre le totalitarisme islamique ; il faut combattre ce qui en est le symbole. Ce totalitarisme islamique a besoin, comme tous les totalitarismes, de symboles et il se sert des mineurs pour l’imposer.
Nous examinons ce soir un texte portant sur les principes de la République ; cela me semble être le bon texte pour adopter une disposition visant à protéger les mineurs, c’est le bon moment. Il est de notre responsabilité, mes chers collègues, d’affirmer ce soir, haut et fort, que le Sénat ne peut accepter qu’une mineure soit voilée en France. Nous devons le dire aux Français, à ces jeunes filles et même à toutes ces femmes qui, à travers le monde, risquent avec courage leur vie en refusant de porter un voile, afin de sentir le vent dans leurs cheveux.
C’est le moment de le faire, mes chers collègues ! Nous n’allons pas encore attendre je ne sais quel texte. Vous dites que vous êtes élue de banlieue, madame la rapporteure. Pour ma part, je suis élue de Marseille ; partout en France, on voit des petites filles voilées ! C’est de la maltraitance, c’est une indignité que l’on impose à ces enfants. Par conséquent, pourquoi reculer encore aujourd’hui et attendre un autre texte ?
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Valérie Boyer. On ne peut pas ne pas lutter contre la maltraitance des enfants dans un texte portant sur les principes de la République !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je souhaite qu’on légifère pour interdire le voilement des mineures, mais je partage l’avis de notre rapporteure : nous devons trouver le support législatif permettant à ces dispositions d’être conformes à la Constitution, afin que cette mesure ne soit pas retoquée, ce qui aurait l’effet d’annonce contraire à notre volonté.
On ne trouvera pas un moyen de le faire à temps, puisqu’il n’y aura pas de deuxième lecture sur ce texte,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. En effet !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … donc il ne faut surtout pas se tromper de méthode pour parvenir à nos fins.
Une disposition législative devient en effet urgente ; elle ne doit pas être bâclée, fragilisée, mais il faut y réfléchir rapidement.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je soutiens les amendements déposés par Mme Delattre, qui préside la séance de ce soir, et par Mme Valérie Boyer.
Je comprends ce que Marie-Noëlle Lienemann vient de dire, mais je crains que le texte que l’on nous promet sur la protection de l’enfance ne puisse s’insérer dans notre calendrier avant longtemps. Je crains également que, même si ce texte pouvait être inscrit dans notre agenda législatif, on ne nous oppose l’article 45 de la Constitution. Or, si ces amendements n’ont pas fait l’objet, aujourd’hui, d’une déclaration d’irrecevabilité au titre de l’article 45, c’est qu’ils ont un lien avec le texte.
Je voterai donc ces amendements.
Mme Valérie Boyer. Merci, mon cher collègue !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er, et les amendements nos 162 rectifié bis, 160 rectifié et 129 rectifié bis n’ont plus d’objet.
L’amendement n° 537 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout organisme de droit public ou de droit privé chargé de l’exécution d’un service public met en œuvre de manière effective, dans l’exercice de ses compétences, les principes de mixité sociale, d’égalité et de non-discrimination.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous débattons, depuis cet après-midi, d’un projet de loi dont l’objectif est de faire grandir la République et d’en conforter les principes.
Sans nier les problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés les services publics, il est important que l’on étudie de près l’accès à ces derniers. Cet amendement, certes largement symbolique, s’inscrit dans la volonté de faire sortir la République de nos débats.
Le droit actuel prévoit l’égalité d’accès au service public ; pour autant, pouvons-nous nous satisfaire de cette égalité seulement formelle, qui, visiblement, ne tient pas face à la vérité du terrain ? D’ailleurs, le précédent défenseur des droits avait alerté, avant son départ, de l’augmentation des réclamations relatives à l’inégalité d’accès aux services publics.
Si cette institution, pourtant garante de l’égalité républicaine, n’arrive pas à assurer un cadre minimal d’accès aux services publics pour nos concitoyens, nous ne voyons pas comment ces derniers pourraient s’intégrer dans un projet républicain ni comment on pourrait imposer au secteur privé le respect de l’égalité. En cinq ans, les demandes adressées au Défenseur des droits ont bondi de plus de 40 % ; on y retrouve, pêle-mêle, des constats de non-accès au service à cause d’une dématérialisation à marche forcée, des fractures fortes entre territoires, dont les services publics disparaissent petit à petit, mais aussi des difficultés de plus en plus grandes à assumer financièrement le recours à certains services publics. Il y a donc un vrai sujet.
Puisque l’on se compare souvent à l’Allemagne, rappelons-nous ce que disait Bismarck, qui avait un objectif social, mais aussi sécuritaire. Le responsable allemand qu’il était avait compris que le recul des politiques publiques engendre une crise de confiance vis-à-vis de l’État, puis la défiance et, pour finir, le rejet de celui-ci. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que les troubles sociaux se déclenchent généralement dans les territoires abandonnés par les services publics.
C’est pourquoi nous souhaitons rappeler, au travers de cet amendement, ces différents principes, afin que l’objectif de consolidation de la République soit effectif et ne se limite pas à l’annonce des grands principes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous entendons les arguments et les inquiétudes de notre collègue, mais tout ce qui est prévu dans cet amendement figure déjà à l’article 1er du texte. Cet amendement étant satisfait, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 537 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis A
I. – Au début du chapitre IV du titre III du livre IV du code de la sécurité intérieure, il est ajouté un article L. 434-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 434-1 A. – Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la police ou de la gendarmerie nationales déclare solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »
I bis (nouveau). – Au début du chapitre V du titre I du livre V du code de la sécurité intérieure, il est ajouté un article L. 515-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 515-1 A. – Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de police municipale déclare solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution. »
II. – Après le premier alinéa de l’article 11 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de l’administration pénitentiaire déclare solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »
Mme la présidente. L’amendement n° 260 rectifié bis, présenté par MM. Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 16 quater de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 16 … ainsi rédigé :
« Art. 16 …. – Préalablement à sa prise de fonction, tout fonctionnaire déclare solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Le présent projet de loi prévoit que les agents de police, nationale ou municipale, de la gendarmerie nationale ou encore de l’administration pénitentiaire prêteront serment solennellement pour certifier de leur adhésion à la République et à ses principes.
Une telle disposition est bienvenue, mais elle suggère automatiquement une interrogation : pourquoi se limiter à cette liste restreinte de fonctionnaires ? Pourquoi ne pas étendre cette disposition ? Tous les fonctionnaires doivent être sensibilisés aux principes les plus essentiels de notre République, tels que ceux qui sont affirmés dès l’article 1er de la Constitution, selon lequel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale[, qui] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion [et] respecte toutes les croyances ».
Cet amendement vise donc à modifier les dispositions générales de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. La nouvelle rédaction de la disposition concernera ainsi tous les agents de la fonction publique d’État, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale.
Ce serment républicain sera par conséquent étendu à tous les agents de la fonction publique qui auront, tout au long de leur carrière, à se soumettre aux obligations de neutralité du service public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission a adopté un amendement tendant à élargir cette prestation de serment aux agents de police municipale, ce qui n’était pas prévu dans la version initiale du texte.
Néanmoins, si la prestation de serment nous semble nécessaire pour les fonctions régaliennes et la sécurité, elle ne nous paraît pas souhaitable pour tous les fonctionnaires. D’un point de vue pratique, cela ne doit pas être si simple que cela et, en outre, les fonctionnaires ont déjà, en tant que tels, des obligations.
Par conséquent, l’extension de cette prestation de serment au-delà des personnes qui exercent des fonctions régaliennes de l’État ne nous semble pas nécessaire.
La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Bilhac, l’amendement n° 260 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Christian Bilhac. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 260 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 267 rectifié, présenté par M. Levi, Mme Loisier, MM. J.M. Arnaud, Laugier, Menonville, Mizzon, Louault, Bonne, Canevet, Regnard, Chasseing et Ravier, Mmes Joseph, Billon, Paoli-Gagin et Jacquemet, M. Longeot, Mme Drexler, M. Charon, Mmes Schillinger et Herzog, MM. H. Leroy, Segouin, Bonhomme, Duffourg, Le Nay et Folliot, Mmes Morin-Desailly et Bonfanti-Dossat et M. Wattebled, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 4
Remplacer les mots :
sa Constitution
par les mots :
l’ensemble des textes ayant valeur constitutionnelle
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Il est question, dans cet article, de la prestation de serment qui s’imposera aux agents de police et de gendarmerie.
Il a semblé intéressant à Pierre-Antoine Levi et aux signataires du présent amendement de faire référence, dans ce serment, non pas seulement aux valeurs de la République et à la Constitution, mais à l’ensemble du bloc de constitutionnalité, qui comporte notamment le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de sorte que l’ensemble des valeurs de la République soient prises en compte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Vous proposez, mon cher collègue, que la prestation de serment concerne le respect non pas de la seule Constitution, mais de l’ensemble des textes ayant valeur constitutionnelle.
Je ne suis pas sûre qu’il faille complexifier cette prestation de serment. Elle est aujourd’hui rédigée de manière très claire et fait évidemment référence à la Constitution. Sa rédaction nous paraît suffisante et nous ne souhaitons pas la complexifier.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Canevet, l’amendement n° 267 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Canevet. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 267 rectifié est retiré.
L’amendement n° 16 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Durain, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 6
Après le mot :
Constitution
insérer les mots :
, et s’engage à remplir ses fonctions dans le strict respect des personnes et de leurs droits,
II. – Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, et s’engage à remplir ses fonctions dans le strict respect des personnes et de leurs droits,
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Le présent projet de loi prévoit que les agents de la police nationale, les gendarmes et les agents du personnel pénitentiaire soient assujettis à une prestation de serment avant leur prise de fonction.
C’était déjà le cas pour le personnel pénitentiaire, mais la loi généralise cela, y compris pour les agents de police municipale, sur notre initiative, puisque, Mme la rapporteure vient de le rappeler, l’amendement que j’avais déposé a été adopté par la commission.
En ce qui concerne le serment lui-même, nous proposons d’en enrichir le contenu afin de prévoir que ces agents s’engagent « à remplir [leurs] fonctions dans le strict respect des personnes et de leurs droits ». Cette formule, qui figure actuellement dans la prestation de serment du personnel de l’administration pénitentiaire, nous paraît importante, car elle met l’accent sur le fait que les principes de la République, auxquels il sera prêté serment, ne sont pas désincarnés ; ils doivent se traduire dans la réalité du quotidien des Français.
Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission a, sur cet amendement, peu ou prou la même position que sur le précédent.
Vous proposez d’aller au-delà de la rédaction actuelle du serment, mais l’objectif que vous visez est déjà satisfait par l’article tel qu’il est rédigé.
La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Marie, l’amendement n° 16 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Didier Marie. Je le rappelle, cette formule est déjà incluse dans le serment prêté par les agents de la pénitentiaire. Il ne s’agit que de l’étendre aux autres fonctions concernées ; ou alors il faudrait la retirer du serment des agents pénitentiaire, mais cela poserait problème.
Nous maintenons donc notre amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 16 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Durain, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
par une prestation de serment
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Amendement rédactionnel !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Avis favorable !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis A, modifié.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er bis A
Mme la présidente. L’amendement n° 261 rectifié, présenté par MM. Bilhac, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Chacun des membres du conseil municipal déclare ensuite solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République, ses principes de liberté, d’égalité, de laïcité et de fraternité et sa Constitution. »
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Cet amendement procède du même esprit que l’amendement n° 260 rectifié bis, que je viens de défendre.
Il s’agit d’étendre l’obligation de la prestation de serment républicain aux conseillers municipaux, qui participent par leur action à l’échelle communale, dans le cadre de leur mandat électif, à faire vivre la République et ses principes fondamentaux.
S’il y a lieu de valoriser la démocratie locale, il est également nécessaire que les conseillers soient conscients, dès leur prise de fonction, de leur responsabilité dans la représentation locale de notre démocratie républicaine, qui est laïque et séparée des cultes depuis 1905.
Ainsi, cet amendement tend à instituer un serment républicain que prononceraient les conseillers municipaux nouvellement élus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je comprends l’idée de votre amendement, mon cher collègue, mais, je le rappelle, les élus sont déjà soumis à la charte de l’élu local, adoptée lors du premier conseil municipal de l’équipe nouvellement installée. Cette charte décline les principes déontologiques auxquels sont astreints les élus.
En outre, on ne peut pas assimiler les élus à des fonctionnaires ; il y a une différence entre eux.
Enfin, vous ciblez les membres du conseil municipal, mais pourquoi uniquement celui-ci ? On pourrait tout aussi bien se poser la question pour d’autres collectivités, d’autres instances politiques.
Je le répète, il existe déjà des éléments qui assurent le respect, par les élus, de certains principes.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Bilhac, l’amendement n° 261 rectifié est-il maintenu ?
M. Christian Bilhac. Il n’y a pas, d’un côté, les fonctionnaires et, de l’autre, les autres. Il y a les fonctionnaires, les élus, les citoyens et la République, une et indivisible.
Je maintiens donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 154 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Gold, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le septième alinéa de l’article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la première phrase, les mots : « lui propose » sont remplacés par les mots : « peut lui proposer » ;
2° La deuxième phrase est ainsi modifiée :
a) Les mots : « En cas d’impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, » sont supprimés ;
b) Le mot : « engage » est remplacé par les mots : « peut également engager ».
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le code de la sécurité intérieure permet aux entreprises de transport public de personnes ou de marchandises dangereuses de faire précéder l’embauche ou les décisions d’affectation de leurs salariés « d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées ». Cette procédure est essentielle, car elle permet concrètement de vérifier si un salarié affecté à une tâche sensible n’est pas en cours de radicalisation religieuse.
Toutefois, en cas d’avis négatif, l’employeur est dans l’obligation de proposer un reclassement à l’employé et ce n’est qu’en cas d’impossibilité de reclassement qu’il peut procéder au licenciement.
Or il semble nécessaire que le licenciement soit d’emblée une possibilité ouverte à l’employeur. Le reclassement ne devrait pas être imposé si l’enquête a révélé des résultats inquiétants au sujet du salarié. Ce reclassement devrait demeurer une simple possibilité, au même titre que le licenciement.
Tel est l’objet de cet amendement.
Cette disposition est largement inspirée de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, présidée par Mme Delattre, notamment de la demande exprimée par les représentants de la RATP, en particulier Jérôme Harnois, directeur chargé de la maîtrise des risques, de la sûreté et des relations institutionnelles. Cette idée est également abordée dans le rapport d’information de M. le député Éric Diard.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je le rappelle, cette disposition a été rejetée par la Haute Assemblée, lors de l’examen de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, dite « proposition de loi Sécurité globale », voilà deux semaines, parce qu’il pose plusieurs problèmes. Je serai donc rapide, puisque l’on a déjà dû vous les exposer.
Premièrement, cet amendement pose, du point de vue juridique, un problème constitutionnel et conventionnel.
Deuxièmement, les enquêtes administratives sont menées pour l’exercice d’emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens ; toutefois, rien n’exclut qu’une personne puisse exercer un type d’emploi ou occuper des fonctions administratives tout en ne présentant aucun danger pour la sécurité.
Troisièmement, enfin, même si l’on adoptait cette mesure, l’obligation de reclassement pourrait être décidée par le juge, à la suite d’un licenciement sur ce fondement, en application de normes supralégislatives, ce qui viderait de son sens cette mesure.
Ce débat a déjà eu lieu dans cet hémicycle, lors de l’examen de la proposition de loi précitée ; la commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Requier, l’amendement n° 154 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. Mes chers collègues, afin de ne pas interrompre l’examen des amendements portant sur l’article 1er ter, je vous propose de lever dès maintenant la séance, avec quelques minutes d’avance.
Nous avons examiné 46 amendements au cours de la journée ; il en reste 582.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 31 mars 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
À seize heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République (texte de la commission n° 455 rectifié, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 31 mars 2021, à zéro heure trente.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER