Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le texte présente un problème de rédaction : en choisissant le terme « commis », nous ne couvrons pas tous les cas de figure – victime majeure ou mineure, auteur majeur ou mineur. Nous proposons donc de lui substituer le terme « exercé » afin qu’il soit clair que les deux situations sont possibles et qu’il s’agit bien de protéger le mineur.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 222-23-2. – Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux qualifié d’inceste tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par une personne mentionnée à l’article 222-22-3.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement a avant tout pour objet de clarifier la rédaction du texte. En effet, l’alinéa 19 de l’article 1er prévoit pour qualifier le viol incestueux que le majeur soit un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 « ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » : cette rédaction exclut de la liste des auteurs les frères et sœurs qui n’ont pas une autorité de droit ou de fait sur la victime, et qui peuvent être mineurs au moment des faits.
Cet amendement vise à corriger cette erreur rédactionnelle en instituant que les viols incestueux sont commis par les personnes mentionnées à l’article 222-22-3 du code pénal, sans condition d’autorité de droit ou de fait.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Meunier, Jasmin et Conconne, MM. Redon-Sarrazy et Raynal, Mmes Monier et Lepage, MM. Bourgi, Antiste, P. Joly, Sueur, Marie, Leconte, Kerrouche et Kanner, Mme Harribey, M. Durain et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 13 et 19
Supprimer les mots :
ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. En ajoutant la mention « ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait », la proposition de loi amoindrit son ambition et diminue la protection des mineurs victimes d’inceste. En effet, une autorité de droit ou de fait devra être démontrée, alors même que les auteurs des faits criminels sont des membres de la famille de la victime.
Cette faille favorisera l’impunité des agresseurs. Or il est essentiel d’éviter toute confusion et de rappeler que l’inceste est un interdit anthropologique.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer les mots :
un majeur sur la personne d’un mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou
et les mots :
ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Comme le précédent, cet amendement a pour but de corriger une erreur rédactionnelle figurant à l’alinéa 19 de l’article 1er s’agissant de la qualification de l’agression sexuelle incestueuse. La rédaction actuelle – « lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » – exclut une nouvelle fois de la liste des auteurs les frères et sœurs. Ceux-ci n’ont en effet pas d’autorité de droit ou de fait sur la victime et peuvent être mineurs au moment des faits. Les agressions incestueuses sont celles qui sont commises par les personnes mentionnées à l’article 222-22-3 sans qu’il soit nécessaire d’y inclure des conditions supplémentaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. L’amendement n° 12 tend à remplacer le verbe « commettre » par « exercer ». Cette modification sémantique a pour objet de préciser que, dans l’hypothèse où un mineur subit une fellation imposée par l’agresseur, le mineur ne « commet » pas la pénétration, mais l’« exerce ».
Je me suis interrogée sur l’emploi de ce terme à la suite d’une audition, mais, après avoir examiné la manière dont est rédigé le code pénal, j’en suis arrivée à la conclusion que « commettre » est employé dans ce cadre de façon parfaitement neutre : il renvoie simplement au fait d’accomplir un acte, sans connotation de culpabilité.
En l’occurrence, le texte ne prévoit pas que le mineur commet un viol. Il tend seulement à indiquer ce qui est factuellement exact, c’est-à-dire que le mineur pénètre le corps de l’agresseur si celui-ci lui impose une fellation : cela ne fait évidemment pas du mineur un violeur, car il faut un élément moral pour caractériser l’infraction, élément qui est absent.
L’ajout d’un nouveau terme dans le code, alors que le verbe « commettre » est employé partout, risque d’entraîner plus d’interrogations que de clarifications. Nous avons réfléchi à plusieurs autres termes, comme « perpétrer » ou « accomplir », mais les lecteurs du code pénal n’auront pas forcément connaissance de nos débats et se demanderont quelle nuance le législateur a voulu introduire en distinguant l’acte de pénétration « commis » par le majeur de celui qui est « exercé » par le mineur.
Ces considérations nous ont donc conduits à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 12.
L’amendement de notre collègue Esther Benbassa relatif au crime de viol incestueux constitué en cas d’acte de pénétration sexuelle commis par un membre de la famille avait été repoussé mardi dernier par la commission. Il tend à élargir considérablement la définition du viol incestueux en prévoyant que tout acte sexuel commis par l’une des personnes mentionnées dans la liste figurant à l’article 222-22-3 du code pénal – je ne les cite pas de nouveau – pourrait être caractérisé comme un crime sans qu’il soit nécessaire d’établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, sans qu’un rapport d’autorité soit exigé et quel que soit l’âge des deux partenaires.
Cet élargissement poserait un problème constitutionnel puisqu’il aboutirait à criminaliser automatiquement un rapport consenti entre, par exemple, un neveu et sa tante, même s’ils sont tous les deux majeurs.
Par ailleurs, il pose problème au regard du principe de liberté sexuelle qui découle du principe de liberté individuelle.
Enfin, dans l’hypothèse où deux adultes ayant à peu près le même âge auraient des relations sexuelles sans contrainte ni rapport d’autorité, qui serait le coupable et qui serait la victime ? Prenez l’exemple d’un frère et d’une sœur qui auraient des rapports sexuels : si l’on ne s’interroge pas sur le consentement des deux partenaires, si l’on ne recherche pas l’existence d’un rapport d’autorité dont l’un des deux aurait abusé, qui devrait figurer dans le box des accusés ? Les deux partenaires devraient-ils être poursuivis devant les assises ?
Au-delà des problèmes de principe qu’il soulève, le dispositif proposé paraît donc tout simplement non opérationnel.
L’amendement n° 7 tend à la suppression de la condition d’autorité de droit ou de fait pour constituer le viol incestueux ou l’agression sexuelle incestueuse. Comme je l’ai expliqué par anticipation dans mon discours lors de la discussion générale, je comprends la volonté de certains de nos collègues d’être dans le mieux-disant pour la protection des mineurs, mais notre responsabilité est d’adopter des dispositions législatives qui soient applicables en toutes circonstances et qui permettent de désigner sans ambiguïté le coupable et la victime. Si cet amendement était adopté, en cas de relations sexuelles incestueuses le partenaire majeur serait automatiquement considéré comme l’auteur d’un crime ou d’un délit. Comme nous évoquons en l’espèce un crime de viol puni de 20 ans de réclusion criminelle, il me semble que nous devrions bien réfléchir à la question.
J’insiste sur ce point, car j’en ai eu l’exemple dans ma commune : dans une fratrie, un fils de 17 ans, surtout s’il est l’aîné de tous les frères, peut avoir l’ascendant sur sa sœur de 18 ans et demi. S’il impose à cette dernière un rapport sexuel, c’est lui qui devra être condamné et non sa sœur sous prétexte qu’elle a plus de 18 ans. Avec une telle disposition, elle pourrait entrer dans un commissariat en victime et ressortir en coupable. On le constate, la solution que vous nous proposez, ma chère collègue, n’est pas opérationnelle, et elle pourrait même aboutir à des erreurs dramatiques.
Dans ces affaires, il est indispensable d’examiner au cas par cas qui a imposé le rapport sexuel à l’autre en abusant de l’autorité de droit ou de fait qu’il exerce, par exemple, sur les membres de la famille. Une telle situation est imaginable. De nombreux psychologues vous diront qu’il est fréquent, dans les relations incestueuses entre collatéraux, qu’une personne ait l’ascendant sur l’autre et que les premières apparences peuvent parfois être trompeuses. Je le redis, seul l’examen très précis des faits peut permettre à la justice de prendre une bonne décision. La commission n’est donc pas du tout favorable à cet amendement.
Enfin, l’amendement n° 3, qui prévoit l’élargissement de la définition de l’agression sexuelle incestueuse, a le même objet que l’amendement n° 2 des mêmes auteurs que nous venons d’examiner et qui portait sur le viol. Il est indispensable que la justice étudie au cas par cas la situation de chacun des protagonistes. L’avis est également défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame de La Gontrie, pour répondre à l’amendement que vous avez présenté, je veux rappeler que commettre un fait n’est pas commettre un crime. D’ailleurs, pour compléter – si je puis me le permettre – les propos de Mme la rapporteure, l’article 222-23 du code pénal utilise le verbe commettre sans aucune confusion possible. On distingue bien le mineur, qui est la victime, de l’auteur. L’auteur commet un crime et, en l’occurrence, la victime peut commettre un fait. Je suis donc défavorable à votre amendement.
S’agissant des autres amendements, j’y suis également défavorable pour les mêmes raisons. Les explications qui ont été apportées par Mme la rapporteure sont à proprement parler lumineuses – je ne trouve pas d’autre mot ! Je pense à l’exemple du frère et de la sœur, qui vaut davantage que n’importe quelle explication éthérée et inaccessible. Nous sommes au cœur d’une réalité que vous avez connue dans votre pratique professionnelle, madame la rapporteure, et que vous nous expliquez parfaitement.
Par ailleurs, il existe un impératif constitutionnel. Il n’échappe à personne qu’il n’est pas possible de créer de crime automatique. Il est tout à fait important évidemment que cette notion d’autorité de droit ou de fait soit intégrée dans la loi à venir.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote sur l’amendement n° 7.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mon explication de vote portera également sur l’amendement n° 3, car ils concernent tous deux un concept sur lequel je voudrais revenir. L’aspect lumineux de la démonstration de Mme la rapporteure n’est pas arrivé jusqu’à moi, sans doute parce que je suis plus éloignée dans l’hémicycle…
Je voudrais simplement faire prendre conscience à nos collègues de l’importance de ce que nous allons voter : nous allons accepter que le concept d’autorité de droit ou de fait soit pris en compte dans la qualification de l’infraction d’inceste. Je ne sais plus si je l’ai dit lors de la discussion générale ou en commission, l’inceste n’est pas un crime de pouvoir : c’est un interdit. Considérer qu’il faut rechercher l’exercice d’un pouvoir pour le qualifier est un contresens total.
Je veux préciser un autre point : il ne faut pas considérer le code pénal comme un distributeur automatique. Bien évidemment, sur la base des faits et d’une enquête, on constate qui est l’auteur, qui est la victime, quelles sont les circonstances de l’espèce, etc. C’est seulement ensuite que l’on peut identifier si les éléments constitutifs de l’infraction pour laquelle la personne est poursuivie sont réunis. J’apporte cette précision pour rassurer Mme la rapporteure : on ne peut pas prétendre qu’un frère ou une sœur serait indûment poursuivi, car ce n’est pas ainsi que les choses se passent. C’est lors de l’enquête que l’on établit les faits, que l’on voit si la victime en était bien une et si l’auteur est un possible coupable.
J’y insiste, car, sans vouloir faire de prémonition, si le Sénat, puis le Parlement, décidaient de retenir cette notion d’autorité de droit ou de fait, tout comme celle de l’écart d’âge que nous évoquerons tout à l’heure d’ailleurs, je suis prête à prendre le pari que nous serons saisis dans quelques mois d’un texte pour revenir sur ces notions funestes qui auront considérablement amoindri l’objectif fixé.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, sans vouloir être cruelle à l’excès, le critère de la constitutionnalité, c’est celui que vous nous avez opposé pour refuser le seuil d’âge de 15 ans…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je voudrais revenir sur l’amendement évoqué par Mme de La Gontrie tendant à supprimer l’exigence que l’auteur des actes sexuels incestueux sur la victime soit une personne exerçant une autorité de droit ou de fait. De qui est-il question dans le 3° de l’article 222-22-3 ? Il s’agit du conjoint ou du concubin d’une personne – pour faire simple, évoquons le cas du conjoint ou du concubin de la mère. Lorsque ce dernier aura eu une relation sexuelle avec une mineure ou un mineur, il faudra en plus prouver qu’il exerçait bien une relation d’autorité de droit ou de fait sur l’enfant.
Depuis deux ans, nous essayons de rendre le droit simple : simple pour les victimes, simple quant aux interdits qu’il pose dans la société et simple pour les praticiens du droit que sont les magistrats. Nous cherchons à éviter l’ajout de critères supplémentaires rendant plus difficile la qualification des faits.
En l’espèce, nous allons demander au juge de vérifier si le concubin ou le conjoint était bien dans une relation d’autorité sur l’enfant : s’occupait-il de lui, lui donnait-il des consignes, suivait-il son carnet de liaison ? Une fois que l’on aura établi qu’il ne faisait en réalité rien d’autre à la maison que d’être le compagnon de la mère et qu’il ne s’occupait pas de l’enfant, on en déduira qu’il n’y a pas crime de viol ou délit d’agression sexuelle.
Vous vous rendez compte, monsieur le garde des sceaux, qu’on ne facilite le travail de personne dans cette affaire. On ne pose pas clairement d’interdit, alors que nous savons qu’en matière de violences sexuelles les conjoints ou concubins des mères sont un sujet bien identifié. On crée une petite niche pour ceux qui ne font rien à la maison et qui, de ce fait, ne seront pas poursuivis ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je souhaiterais rectifier ce que vous avez dit, madame de La Gontrie : je n’ai jamais été opposé au seuil de 15 ans contrairement à ce que vous dites, dans l’hémicycle et ailleurs, puisque vous avez répandu cette fausse nouvelle partout. (Mme Laurence Rossignol proteste.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je me suis exprimée !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour éviter que vous ne recommenciez, je vous rappellerai ce que j’ai très précisément dit. J’ai en effet avec moi le compte rendu des débats tels qu’ils ont été consignés, et qui sont donc incontestables : « Le seuil de 15 ans comporte un risque constitutionnel », ce que je redis…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et voilà !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souffre déjà assez !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Moi aussi, madame ! Vous êtes toujours aussi désagréable, mais – sachez-le une fois pour toutes – le venin ne tient pas forcément lieu de talent.
Je voudrais donc terminer mon propos… (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol protestent.)
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, allez au bout de votre propos !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … et fustiger ici publiquement votre mensonge. « Le seuil de 15 ans comporte un risque constitutionnel », ce que je répète : c’est le cas s’il y a automaticité du crime et absence de proportionnalité. J’ai ajouté – madame la sénatrice, je tiens le document à votre disposition : « Ce n’est pas une question tranchée ; elle est délicate et mérite une vraie réflexion, un approfondissement de nos travaux. » J’ai travaillé, je suis revenu devant vous et je dis ce que j’ai à dire sur cette question. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Meunier, Jasmin et Conconne, MM. Redon-Sarrazy et Raynal, Mmes Monier et Lepage, MM. Bourgi, Antiste, P. Joly, Sueur, Marie, Leconte, Kerrouche et Kanner, Mme Harribey, M. Durain et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 11 et 17
Supprimer les mots :
lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Nous avons eu l’occasion de l’évoquer, le critère de l’écart d’âge, qui conduit à ce que la loi que nous sommes en train d’élaborer et de voter ne s’applique pas lorsque le mineur a 14 ans et le majeur 19 ans, ne nous paraît pas poser un interdit clair sur les relations sexuelles entre majeurs et mineurs.
Ces histoires d’« amours adolescentes » sont de la littérature, comme je l’ai déjà dit : elles ne sont qu’une façon de chercher à atténuer encore la portée de la loi.
Quant à l’argument d’inconstitutionnalité, on nous explique depuis trois ans que nos propositions sont inconstitutionnelles. Depuis lors, nous voyons le Parlement avancer à tout petits pas et se rallier en fin de compte aux propositions que nous faisons, parce qu’elles sont les plus protectrices.
En instaurant un écart d’âge, vous en revenez purement et simplement au seuil de 13 ans qui était celui que vous vouliez instaurer dès lors qu’un jeune majeur est mis en cause.
Notre amendement vise à clarifier, à la fois, la portée de la loi, l’interdit, et la matière légistique donnée aux juges pour agir.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous dire que le fait que vous ne soyez pas d’accord avec ma collègue Marie-Pierre de La Gontrie me paraît avéré dans ce débat, tout comme il nous arrive à nous parlementaires de ne pas être d’accord avec des ministres et à des ministres de ne pas l’être avec nous. Pour autant, cela ne vous autorise pas à être discourtois avec elle comme vous l’êtes…
Mme Laurence Rossignol. Mme de La Gontrie n’est pas l’avocat des parties civiles dans cette affaire : nous sommes non pas dans une cour d’assises, mais au Parlement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il s’agit de supprimer l’écart d’âge de cinq ans pour un crime de viol sur mineur de 15 ans et pour le délit d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans. Comme je l’indiquais dans mon exposé liminaire, la différence d’âge de cinq ans est l’un des éléments qui garantit la constitutionnalité du dispositif, afin de ne pas criminaliser des relations consenties qui peuvent exister entre un mineur d’un peu moins de 15 ans et un jeune majeur.
Supposons que l’on supprime cet écart d’âge de cinq ans : si un mineur âgé de 14 ans a une relation, qui est tout à fait légale, avec un mineur âgé de 17 ans et demi, cette relation deviendrait automatiquement criminelle au moment où le plus âgé des deux partenaires atteindrait l’âge de 18 ans. Une telle situation serait difficilement défendable au regard du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines. Ce cas pratique peut réellement exister. Nous n’allons tout de même pas envoyer aux assises un jeune qui a 18 ans et un jour !
Le principe d’opportunité des poursuites permet d’éviter que le jeune majeur soit traîné devant les assises. Cependant, il est difficile pour un parquet de classer sans suite des faits, s’ils sont constitués, que le législateur aurait décidé de qualifier de crimes. Nous devons donc être cohérents avec nous-mêmes : nous ne pouvons pas qualifier certains comportements de crime, qui est l’infraction la plus grave, puis expliquer dans la minute suivante que certains des comportements visés ne posent en réalité pas de problème et ne doivent pas être poursuivis.
Il nous appartient de définir des règles qui soient générales et impersonnelles et qui pourront s’appliquer à toutes les situations visées.
Sur un plan que je qualifierais de plus politique, je signale également que le seuil de 15 ans assorti de l’écart d’âge de cinq ans permet en réalité d’atteindre l’objectif que nous nous étions fixé au Sénat en adoptant un seuil de 13 ans, puisque nous avions augmenté la protection des 13-15 ans.
Nous devons être cohérents avec la position que nous avons adoptée, une position réaliste qui tient compte de l’existence de relations consenties entre des mineurs d’un peu moins de 15 ans et de tout jeunes majeurs. Parce que c’est la réalité de la vie !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous devrions tous nous réjouir des avancées permises par ce texte : la fixation d’un seuil – enfin ! – ; les progrès dans la lutte contre l’inceste ; la prescription plus protectrice des victimes ; la pénalisation de ceux qui payent de jeunes prostitués mineurs de 15 ans ; la lutte contre la « sextorsion ». Voilà cinq avancées majeures !
Pourtant, on me dit qu’il a fallu attendre longtemps, qu’on a tergiversé, que je ne suis d’accord avec rien… Mais, madame Rossignol, quand vous étiez ministre chargée de la famille, pourquoi n’avez-vous pas pris un texte réglant ces questions une fois pour toutes ? Vous n’avez pas pris l’ombre de l’once d’un texte en la matière ! Je me permets de vous le rappeler, parce que la critique est facile, mais l’art est beaucoup plus difficile…
Pour le reste, la vie s’impose à nous. Nous avons des enfants, et nous savons qu’ils ont une vie sexuelle quand ils sont adolescents. Si les chiffres nous disent que les jeunes femmes dans notre pays ont leur première relation sexuelle en moyenne à l’âge de 17 ans et quelques mois, d’autres ont des relations sexuelles consenties à des âges plus jeunes. Ne vous en déplaise et souffrez de l’entendre, il existe des amours adolescentes : ce n’est pas de la statistique, mais la vie toute simple. Je ne veux pas, ne vous en déplaise là encore, être le grand censeur des amours adolescentes. (Mme Laurence Rossignol s’exclame.) Je ne veux pas que, grâce ou à cause de cette loi, un tout jeune majeur qui a eu, préalablement à sa majorité, une relation sexuelle consentie avec une jeune fille soit renvoyé devant la cour d’assises.
Mme Laurence Rossignol. Et si les faits sont établis ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quand on veut être l’arbitre des élégances comme vous, on laisse au moins les interlocuteurs s’exprimer jusqu’au bout. Vous m’avez donné des leçons – vous adorez faire cela ! – depuis que nous nous connaissons d’ailleurs, mais il faut vous calmer, madame la sénatrice…
Mme Laurence Rossignol. Cela fait longtemps qu’on me demande de me taire !
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, n’attisez pas la polémique, allez au bout de votre propos !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est bien ce que je souhaite faire, monsieur le président ! J’aimerais simplement ne pas être interrompu…
Lors de récentes questions d’actualité au Gouvernement, le président Larcher a rappelé qu’il n’était pas question de s’en prendre personnellement aux uns et aux autres, un avertissement qui ne m’était pas destiné.
Je voudrais poursuivre calmement mon propos…
M. le président. Tel est également mon souhait.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vous remercie, monsieur le président.
Je le redis, je ne veux pas être le garde des sceaux qui renvoie aux assises un gamin de 18 ans et quelques jours parce qu’il a eu une relation avec une jeune fille.
Pourquoi un écart d’âge ? Nous avions évoqué la notion de « relation pérenne », à laquelle je me suis opposé. En effet, on sait que, pour certains adolescents, cinq jours, c’est une relation pérenne ! Et que dire d’une relation qui s’interrompt puis qui reprend ? De quels critères suffisants dispose le juge pour établir dans une décision de justice la pérennité d’une relation ?
D’ailleurs, bien en amont, comment le législateur pourrait-il définir dans la loi ce qu’est une relation pérenne, surtout pour des adolescents ? J’étais donc opposé à la notion de pérennité, et je l’ai dit.
En revanche, l’écart d’âge est absolument indispensable, d’abord pour des motifs de constitutionnalité. Sinon on institue, là encore, un crime tout à fait automatique.
Je le redis, et ensuite chacun en pensera ce qu’il voudra avec la conscience qui est la sienne, un jeune homme de 18 ans et quelques jours peut avoir entretenu une relation avec une jeune femme de 14 ans et demi – permettez-moi de prendre moi aussi des exemples – qui perdure ensuite dans le temps. Nous connaissons des couples qui se sont formés à cette époque de la vie et qui sont restés des couples stables. Dirait-on à leurs enfants que leur père a été un criminel ? On marche sur la tête !
Ce qui me déplaît, c’est le message que vous envoyez. Vous dites que ce texte est mauvais – je ne sais pas ce que vous ferez, mais, à votre place, je ne voterais pas pour un mauvais texte –, mais vous envoyez comme message aux associations qui nous regardent que tous les efforts que nous avons faits, au-delà des clivages politiques, que ce soit à la Chancellerie, en commission des lois, ici dans l’hémicycle et au Parlement, n’auront servi à rien ! Pour vous, cette loi est un mauvais texte : quel magnifique message envoyé aux personnes qui comptent sur nous et qui comptaient d’ailleurs sur vous, madame la sénatrice, quand vous étiez ministre.