M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Votre constat est très juste, monsieur le sénateur Franck Menonville : La Poste doit repenser son modèle, à la fois du fait des conséquences de la crise mais aussi sous l’effet d’évolutions, plus structurelles, de l’usage du courrier.
Bien entendu, il faut distinguer les sujets qui ne pèsent pas du tout le même poids dans le débat. Le service universel postal accuse un déficit massif depuis trois ans, porté à 1,5 milliard d’euros en 2020. Quant à la mission d’aménagement du territoire, qui se traduit par le maintien de 17 000 points de contact, elle n’est pas intégralement compensée. Mais le reste à charge pour l’entreprise n’est pas du même ordre ; il a diminué depuis dix ans, passant ainsi de 152 à 57 millions d’euros. Le Gouvernement a d’ailleurs proposé une dotation de 66 millions d’euros au titre de la loi de finances pour 2021, rejoignant en cela une demande émanant du Sénat.
La Poste s’est engagée dans sa transformation ; de nombreuses adaptations ont déjà été mises en œuvre – il convient de le saluer. Le Gouvernement, de son côté, a récemment missionné Jean Launay, ancien député du Lot et spécialiste reconnu de la question, afin qu’il élabore des propositions. Philippe Wahl, patron du groupe La Poste, a présenté les premières pistes envisagées devant l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF).
Je ne peux, en l’état, vous donner le produit fini qui résultera de ces échanges, mais je peux cependant poser deux jalons dans la réflexion.
D’une part, bien que nous le souhaitions, il n’est pas possible de conserver le service postal tel quel, sur le plan financier ; ce n’est d’ailleurs pas opportun, les habitudes et les attentes des Français ayant changé.
D’autre part, je suis comme vous très attaché au principe d’une implantation territoriale large de La Poste ; il ne faut pas que le réseau territorial subisse les contrecoups de la crise. Il est toutefois sain et nécessaire de s’assurer que le contrat de présence postale est toujours réaliste, en lien avec l’AMF, qui, avec l’État, en est signataire.
En tout état de cause, vous pouvez compter sur moi pour faire en sorte que la mission d’aménagement du territoire de La Poste soit bien remplie dans les années à venir. Pour ma part, je sais compter sur le Sénat pour y veiller !
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le secrétaire d’État, une étude publiée le mois dernier par l’Association des maires ruraux de France montre que les écarts en matière d’accès aux médecins généralistes ou spécialistes s’aggravent au détriment du monde rural.
Des régions entières enregistrent des baisses spectaculaires de leur densité globale en médecins généralistes. S’ensuit une concentration des médecins restants sur les principaux centres urbains. Cette situation a des conséquences graves, qui peuvent se résumer en un seul chiffre : une personne vivant en milieu rural a 2,2 ans d’espérance de vie en moins qu’un habitant des villes !
Bien sûr, les facteurs d’explication se croisent, mais il apparaît aujourd’hui évident que le temps d’attente pour décrocher un rendez-vous et l’éloignement géographique des médecins participent de cette évolution, qui s’aggrave chaque année. Il n’y a donc plus d’« égalité », pour reprendre votre terme, monsieur le secrétaire d’État, face aux soins dans notre pays. C’est un phénomène gravissime car, derrière, c’est aussi des entreprises qui ne s’installent pas et des familles qui préfèrent quitter un territoire où l’offre de soins est défaillante.
Les déserts médicaux participent grandement du « désaménagement » du territoire ; ils exacerbent toutes les fractures territoriales et nourrissent la rancœur qui s’installe chez nos concitoyens face à ce qu’ils considèrent être une démission du politique.
La situation continue de se dégrader : des zones pourtant proches de grandes villes, ainsi que des régions attractives, se trouvent en difficulté. Même à Ancenis, à 40 kilomètres de Nantes, les élus assistent au départ de leurs médecins généralistes.
Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a plus de place pour les discours lénifiants et les demi-mesures !
En écho aux propositions des réseaux de collectivités, envisagez-vous de vraies mesures non seulement incitatives, mais réellement contraignantes sur les installations, pour répondre enfin à ce qu’il convient d’appeler un scandale français ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Hervé Maurey. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur, nous avons adopté les 181 mesures de l’agenda rural ; 8 d’entre elles relèvent de la politique de santé publique – c’est une précision importante !
Pour ma part, je me suis attelé à rencontrer de façon bilatérale tous les ministres, en priorité le ministre des solidarités et de la santé pour voir où nous en étions tant par rapport à ces mesures que par rapport à la nécessité de mettre en œuvre une politique d’aménagement du territoire en matière de médecine, telle que l’agenda l’avait prévue.
Bon nombre des mesures de l’agenda rural concernent la santé. Ne disposant pas du temps nécessaire, en deux minutes, pour toutes les décliner, j’y reviendrai plus tard lors de mes réponses à d’autres questions.
Grâce à l’une de ces mesures, plusieurs médecins salariés et 1 545 assistants médicaux ont été recrutés en zone rurale. Je concède que l’agence régionale de santé (ARS) a des difficultés à redéployer ces médecins du fait de la pandémie, qui complique les choses.
Certains départements ont soutenu cette politique en faisant en sorte que des dispensaires médicaux soient mis en place avec des médecins, qui, pour le moment, sont salariés, mais redeviendront libéraux dès lors que nous aurons la patientèle nécessaire sur ces territoires. Nous vous proposerons de légiférer sur ce sujet, à l’occasion de l’examen du projet de loi 4D, de sorte que les choses soient assises juridiquement.
Une autre mesure me semble utile : le déploiement de davantage d’internes, en priorité dans les zones rurales. Il est déjà en cours et certaines indemnités ont été revalorisées – ce n’est pas négligeable. En particulier, l’indemnité de maître de stage a été revalorisée à 900 euros et les conditions d’attribution de l’indemnité forfaitaire d’hébergement des internes, dès lors qu’ils sont éloignés de leur centre hospitalier et universitaire (CHU), ont été révisées.
Je compte beaucoup sur cette mesure, constatant, sur les territoires, qu’il est nécessaire de régler les problèmes des doyens de faculté qui n’acceptent pas que des médecins se rendent dans un territoire voisin s’il ne correspond pas au même territoire de santé. Cette mesure a déjà fait ses preuves dans un certain nombre de territoires ruraux et de montagne que je connais personnellement.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.
M. Ronan Dantec. Je vous avais demandé, monsieur le secrétaire d’État, d’en finir avec les demi-mesures ; or vous présentez là un catalogue de demi-mesures !
M. Ronan Dantec. À Ancenis, même les centres de santé perdent leurs médecins salariés. Aujourd’hui, au vu de l’état de la démographie qui rend compte du vieillissement des médecins, toutes les projections montrent que le pire est encore devant nous !
Il n’y a qu’une seule solution – vous n’êtes pas allé sur ce terrain-là, je l’ai bien entendu –, c’est la régulation des installations.
M. Hervé Maurey. Eh oui !
M. Ronan Dantec. Nous le savons tous, nous l’appliquons déjà à beaucoup d’autres métiers. Nous savons aussi que c’est un tabou français, qu’il y a des lobbies mobilisés contre une régulation des installations.
Si nous n’allons pas dans cette direction, nous ne serons pas à la hauteur de l’enjeu ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. La France métropolitaine possède des frontières terrestres avec huit pays voisins, qui totalisent plus de 2 900 kilomètres.
Le développement des territoires transfrontaliers, situés à la limite de l’action des États nationaux, a conduit, au fil des quatre dernières décennies, à la création d’outils et d’instances de gouvernance de ces espaces, qui fédèrent, de part et d’autre de la frontière, nombre de niveaux de collectivités et d’institutions. Cela vise à faciliter, notamment sur ces territoires, la coordination des politiques d’aménagement. Les groupements européens de coopération territoriale en constituent la forme la plus aboutie, parmi lesquels on trouve l’Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai.
S’il ne fallait s’arrêter que sur un seul projet structurant d’aménagement du territoire, ce serait celui du Parc Bleu et ses 5 440 kilomètres de cours d’eau, dont 300 kilomètres de voies navigables, et des espaces verts et bleus de proximité.
Cependant, en pratique, de nombreux obstacles de nature juridique, administrative, linguistique, ainsi que des freins à la mobilité liés à des disparités économiques et aux différences socioculturelles continuent d’entraver la coopération transfrontalière. À cet égard, la mise à l’agenda politique du projet de loi 4D constitue une bonne nouvelle pour les territoires frontaliers ; l’idée de renforcer la décentralisation et la déconcentration leur offre des perspectives intéressantes, dans la mesure où ils côtoient des pays qui se caractérisent par un degré plus élevé de décentralisation et de déconcentration.
Les acteurs de la coopération transfrontalière s’accordent pour dire que le projet de loi 4D s’inscrit dans la droite ligne de différentes initiatives qui doivent permettre de donner plus de marges de manœuvre aux territoires, en particulier frontaliers.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le texte 4D garantira la reconnaissance de nos territoires transfrontaliers comme des territoires exemplaires d’expérimentation, notamment en matière d’aménagement du territoire ?
Quelles seront les mesures qui faciliteront la coordination des compétences de chaque niveau institutionnel au sein de nos espaces transfrontaliers, autour d’un même projet de développement territorial ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Marchand, le projet de loi 4D repose notamment sur le principe de différenciation : les territoires transfrontaliers, comme les autres, bénéficieront de l’ensemble de ses dispositions.
Toutefois, vous avez raison de souligner les spécificités de ces territoires, au sujet desquels travaille actuellement le préfet Christian Rock, qui s’est vu confier par le Gouvernement une mission dans le cadre de l’ANCT. Il agit ainsi en « assembleur » de ces politiques.
Concernant votre question sur le projet de loi 4D, le Gouvernement travaille à des mesures complémentaires de celles qui avaient été annoncées, qu’il compte transmettre au Conseil d’État sur saisine rectificative.
Nous envisageons de proposer trois mesures au Parlement.
Premièrement, nous réfléchissons à une adaptation du schéma régional de santé aux enjeux transfrontaliers de la gestion des soins. La crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a bien démontré l’intérêt d’une bonne coordination entre les autorités sanitaires françaises et celles des pays frontaliers. Il s’agit d’un enjeu majeur pour faciliter la vie des habitants et mieux organiser la coordination des soins sur un même bassin de vie, notamment en cas de pandémie. Je fus le député d’une circonscription dont l’hôpital portait le nom de l’ancien territoire franco-italien : je connais donc ce genre de difficultés !
Deuxièmement, pour renforcer la coopération en matière d’aménagement du territoire, nous proposerons probablement que les collectivités territoriales étrangères frontalières et limitrophes puissent être associées à l’élaboration d’un certain nombre d’éléments, dont les documents d’urbanisme. Actuellement, le code général des collectivités territoriales prévoit seulement des consultations au niveau régional ; il est possible d’en compléter les dispositions pour assurer la consultation de l’ensemble des autorités concernées par toutes les dimensions transfrontalières d’un bassin de vie.
Troisièmement, nous envisageons d’autoriser les collectivités étrangères à participer au capital de certaines sociétés publiques locales, dès lors que leur objet social est exclusivement dédié à la gestion d’un service public d’intérêt commun dans un espace transfrontalier. Il s’agit d’étendre un dispositif qui est déjà ouvert aux sociétés d’économie mixte (SEM), et attendu dans certaines régions frontalières.
La participation des collectivités étrangères sera un élément important, mais elle ne pourra excéder – vous le comprendrez – ni 50 % du capital social des sociétés concernées ni plus de la moitié des droits de vote. C’est une réponse essentielle qu’apportera le projet de loi 4D.
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Monsieur le secrétaire d’État, dans un article publié le 11 juin 1982 – son titre était : « Lozère : les enfermés du Gévaudan » –, Le Monde évoquait la « pauvre nationale 88 ». On ne peut que regretter que sa modernisation ait si peu avancé depuis lors.
En 2018, Élisabeth Borne, alors ministre des transports, annonçait un effort inédit en matière d’infrastructures afin de contribuer à la cohésion des territoires. Lors de la présentation en conseil des ministres du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), un plan de désenclavement avait été évoqué : il portait sur une vingtaine d’itinéraires routiers jugés prioritaires, car structurants pour l’aménagement du territoire.
Or, lors de l’examen de la LOM, l’inscription de ces itinéraires dans le texte avait été rejetée. Il est désormais prévu dans le rapport annexé que ce plan sera doté au total d’un milliard d’euros sur dix ans au sein des contrats de plan État- région (CPER), ce qui est très insuffisant eu égard aux besoins constatés sur le terrain. Un espoir est toutefois permis, car il est précisé dans le rapport qu’« un effort particulier est effectué en faveur de l’aménagement et la sécurisation des routes nationales non concédées traversant tout département métropolitain dépourvu de desserte ferroviaire, autoroutière ou de route nationale non concédée à 2x2 voies ». La Lozère devrait donc bénéficier de cet effort.
Le protocole de préfiguration du CPER 2021-2027 pour l’Occitanie, signé en présence de M. le Premier ministre à Tarbes, devrait en toute logique concrétiser cet engagement de l’État. Or il accorde peu de place à des investissements nouveaux sur les routes nationales. Cela vaut aussi bien pour la mise en 2x2 voies de la RN88 en Lozère que pour le contournement de Langogne, qui n’est toujours pas annoncé. Ma collègue Maryse Carrère pourrait vous dire exactement la même chose concernant la RN 21 entre Tarbes et Lourdes.
Monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement envisage-t-il le financement des travaux d’aménagement de l’ensemble des routes nationales prioritaires, dont la RN88 ? Les protocoles de préfiguration vont-ils évoluer pour permettre le financement de ces travaux dans le cadre des CPER ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Pantel, vous m’interrogez sur la prise en compte des réseaux routiers dans le cadre des contrats de plan État-région en cours de négociation, singulièrement sur la situation de votre département et sur la nationale 88, laquelle a été découpée en tronçons. Si j’ai bonne mémoire, dans votre département, l’ancienne nationale est devenue une route départementale et une route départementale est, elle, devenue une route nationale, ce qui est un peu complexe.
Le Gouvernement a effectivement augmenté les investissements dans les infrastructures de transport. Pour la région Occitanie, 595 millions d’euros de crédits d’État ont été contractualisés dans le CPER 2015-2020 pour la mobilité, dont 88 millions d’euros spécifiquement pour le réseau routier.
Les volets relatifs à la mobilité multimodale des CPER 2015-2020 ont été prolongés jusqu’en 2022, afin de les actualiser au regard des nouvelles priorités du territoire régional, en lien, bien sûr, avec le conseil régional et les autres collectivités, et de permettre la poursuite des projets inachevés.
Le protocole de préfiguration du CPER que vous évoquez a effectivement été signé le 16 janvier par le Premier ministre. Il constitue seulement une première étape, marquant l’engagement coordonné de l’État et de la région. Il n’est pas un point final. En 2021, une large concertation avec les territoires permettra de préciser le contenu du CPER, notamment la liste des projets qui seront financés. La signature du CPER interviendra à l’automne 2021.
Ainsi, une nouvelle programmation financière en matière d’infrastructures de transport sera définie à partir de 2023, conjointement entre l’État et la région, en concertation avec les autres collectivités territoriales. Cette nouvelle programmation permettra d’arrêter le financement de l’État pour la période 2023-2027 pour l’ensemble des projets de mobilité, y compris pour les routes nationales prioritaires auxquelles vous faites allusion, notamment la nationale 88.
Ces priorités devront bien sûr être cohérentes avec les priorités nationales de l’État, fixées dans la loi LOM, et tenir compte des démarches spécifiques en cours entre l’État et certains conseils régionaux, tels les protocoles sur des lignes ferroviaires de desserte fine du territoire.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le secrétaire d’État, le monde rural, délaissé au profit des métropoles, a le sentiment d’être abandonné. Alors que le grand débat national devait être l’occasion de mettre en place une concertation accrue avec les élus de proximité, l’État poursuit sa démarche consistant à fermer les services publics : trésoreries, postes, gares, classes, voire écoles. Ces mesures successives ont mis en danger notre France rurale dans laquelle se battent nos agriculteurs, confrontés à la baisse insupportable de leurs revenus, tandis que les PME de proximité tentent de résister.
Les collectivités territoriales, dont les finances et l’autonomie fiscale ont été malmenées, ont pour leur part du mal à répondre comme elles le souhaiteraient aux besoins de la population.
La santé reste au cœur de nos préoccupations.
Le département de la Dordogne compte 8,3 médecins pour 10 000 habitants, soit une densité inférieure à la moyenne régionale et nationale. Ces médecins, il faut le savoir, sont pour la plupart en milieu ou en fin de carrière, 35 % d’entre eux étant âgés de 60 ans ou plus.
Cette désertification médicale a fortement réduit l’attractivité des territoires ruraux. Face à ce constat, la levée du numerus clausus n’aura pas d’effet à court terme, nous le savons. Les maisons de santé doivent être aidées, les formations universitaires décentralisées. En outre, ne faudrait-il pas envisager pour les nouveaux praticiens, moyennant une rémunération en cours d’études, l’obligation d’exercer pendant une période définie dans les territoires déficitaires ?
Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous répondre à cette exigence d’égalité territoriale et redonner confiance à nos élus locaux, acteurs de proximité en première ligne en cette période de crise ? Que comptez-vous faire pour développer le réseau des centres de santé, qui permettent de mettre en œuvre le droit à la santé de l’ensemble de nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous répondre me permettra de compléter la réponse que j’ai faite au sénateur Dantec, car il est assez difficile de parler de ce sujet en deux minutes.
J’ai évoqué les mesures de l’agenda rural et le déploiement des internes en priorité dans les zones rurales. La question d’un encadrement adapté, par des médecins référents, est particulièrement pertinente. À cet égard, une mission a été lancée sur l’évolution de la maîtrise de stage à la fin de l’année 2019 ; un décret est en préparation au Conseil d’État ; des arrêtés sont en cours de rédaction. Le recrutement de nouveaux maîtres de stage est déjà prévu pour la rentrée de septembre 2021. Enfin, je l’ai dit, l’indemnité est revalorisée de 50 %.
Un certain nombre d’autres sujets sont également importants dans les zones rurales. En attendant les effets de la fin du numerus clausus, on constate un effet ciseaux extrêmement ennuyeux, vous le dites très bien.
Le renforcement du champ d’intervention pour des soins par des professionnels non-médecins est maintenant effectif. À ce jour, vingt-neuf protocoles ont été signés. Des protocoles locaux sont possibles, comme le prévoit la loi ASAP. Ces protocoles permettent en particulier à des pharmaciens, à des kinésithérapeutes ou à des infirmiers d’intervenir dans certains cas à la place du médecin, ce qui facilite le recours aux soins.
En termes de coordination, le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est en cours. Elles visent à limiter le recours aux gardes en soirée par une meilleure organisation de la prise en charge en journée des soins non programmés au sein d’une communauté de santé. Concrètement, le besoin est pris en charge par le professionnel qui est disponible. Les CPTS sont désormais une réalité, 584 communautés ayant été identifiées en septembre 2020.
La télémédecine est également un sujet important. Les téléconsultations sont désormais remboursées à 100 %, sous réserve que le parcours de santé ait été respecté. Il ne s’agit pas de passer son temps en téléconsultation avec des médecins que l’on ne connaît pas ! La poursuite du remboursement de la télémédecine dans le cadre de la crise du covid fait également partie des solutions figurant dans l’agenda rural.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le secrétaire d’État, nos territoires ruraux ont de formidables atouts. Du fait de la crise sanitaire, de nombreux citadins envisagent de s’y installer. La loi dite 4D, c’est un fait, devra impérativement participer à la réduction des inégalités territoriales et sociales et nous y veillerons, monsieur le secrétaire d’État, car c’est une exigence, garante de la cohésion territoriale.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le secrétaire d’État, je me félicite de ce qu’un débat sur l’aménagement du territoire se tienne au Sénat, chambre des territoires. Je profite de cette occasion pour vous indiquer que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, organise un cycle d’auditions sur les perspectives de la politique de l’aménagement du territoire et qu’elle entend faire des propositions concrètes à moyen terme sur cette thématique.
On pourrait aisément penser que ce débat est ancien, tout comme les nombreuses propositions déjà formulées par notre institution, mais il n’en est rien. D’une part, nous devons tous collectivement continuer à porter des propositions concrètes, reflétant notre expérience des territoires et de l’évolution de la politique d’aménagement du territoire ; d’autre part, il nous faut tirer les leçons des crises sociales récentes et de la crise sanitaire actuelle pour faire de nouvelles propositions.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai deux questions.
La première porte sur les priorités du Gouvernement en matière d’aménagement du territoire.
Vous avez lancé plusieurs initiatives qui me semblent positives, qu’il s’agisse, notamment, des programmes « Action cœur de ville », « Petites villes de demain », « Territoires d’industrie » ou du réseau « France Services ». Cela étant, je m’inquiète du manque d’effets visibles de ces politiques pour nos concitoyens. Comment comptez-vous assurer l’équilibre de notre territoire face à la puissance du phénomène de métropolisation, afin de permettre à chaque territoire de valoriser ses atouts ? Sur quel nouveau programme de cohésion travaillez-vous actuellement ?
Ma seconde question porte sur l’accès aux soins, sujet cher à de nombreux élus de la ruralité, qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises avant moi et qui le sera sans doute encore après.
La commission de l’aménagement du territoire défend la nécessité d’une répartition plus équilibrée des professionnels de santé, en particulier des médecins, afin de rapprocher l’offre de soins des besoins des populations. Quelles leçons tirez-vous des effets de la crise sanitaire actuelle sur l’organisation territoriale de notre système de soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président Longeot, vous posez en fait plusieurs questions.
La première porte sur les phénomènes de métropolisation versus la réalité de l’équité dans les territoires.
Je rappellerai tout d’abord que nous n’opposons jamais, dans notre politique, les villes et les campagnes. Ce serait totalement vain. Le monde urbain et les territoires ruraux sont des espaces complémentaires. Des métropoles fortes et prospères sont non pas un handicap, mais plutôt un atout, à condition que soient mises en œuvre des politiques de rééquilibrage adaptées. C’est tout le sens des programmes d’appui nationaux de l’ANCT et plus encore de l’agenda rural que je suis chargé de mettre en œuvre.
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) et les contrats de réciprocité illustrent très bien les capacités de coopération entre villes et campagnes. Les premiers permettent d’éviter un phénomène qui devenait très gênant en France, à savoir l’agribashing. Les effets de ces politiques sont toujours visibles sur le terrain. Chaque fois que j’inaugure un pylône, un espace France Services, que je participe à la signature d’une convention « Petites villes de demain », je constate le même engouement. Nos programmes d’appui fonctionnent.
Nous travaillons d’ailleurs à l’élaboration d’un nouveau programme, dont l’objet sera d’étendre les prestations d’ingénierie de l’ANCT aux communes de montagne. Il s’agira du premier programme de montagne depuis le plan Neige des années 1960-1970.
J’aurais beaucoup à dire pour répondre à votre seconde question, mais je suis contraint par le délai qui m’est imparti. J’ai évoqué la télémédecine en réponse à Mme Varaillas. Sans constituer à elles seules une solution à la problématique des déserts médicaux, les technologies numériques, lorsqu’elles sont utilisées dans le secteur de la santé, permettent de développer l’offre de soins dans des zones sous-denses et de rapprocher les patients des médecins.
Vous le savez, la crise a provoqué une rapide accélération de la télémédecine : on est ainsi passé de 50 000 téléconsultations mensuelles à près de 2 millions. Je continue de penser que ce type de consultations est extrêmement intéressant, y compris pour poser un diagnostic dans certaines spécialités. Je pense en particulier à la dermatologie, qui est en situation de carence absolue dans les zones rurales.