3
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit à la dignité en détention ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Sécurité globale
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale.
Article 25
(Non modifié)
Le chapitre V du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 315-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 315-3. – Le fait pour un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale de porter son arme hors service dans des conditions définies par décret en Conseil d’État ne peut lui être opposé lors de l’accès à un établissement recevant du public. »
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.
M. Thomas Dossus. Après vingt-cinq articles, on commence à percevoir l’avenir… Les différents dispositifs présents dans ce texte, qu’il s’agisse de l’extension des polices privées ou des technologies de surveillance, esquissent un monde d’après pour le moins inquiétant.
La vie sociale, culturelle et festive de notre pays est à l’arrêt. Voilà bientôt cinq mois que les bars, les salles de concert, les théâtres, les restaurants, les cinémas et les clubs sont fermés, sans exception. Les femmes et les hommes qui font vivre ces lieux ont besoin de soutien et de perspectives. Ils doivent nous offrir la lumière au bout du tunnel, celle d’une sortie heureuse et joyeuse de la crise actuelle.
Cet article permet à des agents hors service de conserver leur arme dans les établissements recevant du public (ERP). Vous comprendrez aisément que la dernière chose dont nous ayons besoin aujourd’hui c’est de la présence d’hommes armés, sans qu’on le sache, dans les festivals, les bars, les clubs et tous les établissements recevant du public. Ce qui doit être rétabli, c’est un droit à la fête et à la culture.
Entendons-nous bien : les acteurs culturels sont tout à fait disposés à ce que des policiers ou des gendarmes soient présents dans leur établissement, mais durant leur service, avec une mission précise, pour assurer la sécurité. En revanche, avoir des gens armés dans leur enceinte, sur leur temps de repos – il n’est pas exclu que ces derniers consomment parfois de l’alcool à cette occasion – ne les rassure pas.
Monsieur le ministre, au sein même du gouvernement auquel vous appartenez, cette mesure fait polémique. Lors d’une table ronde avec le monde de la scène, le cabinet de la ministre de la culture a confirmé que Mme Bachelot avait personnellement pris position contre cet article, et nous ne pouvons que la comprendre.
La mesure prévue par cet article ne va pas dans le bon sens. C’est pourquoi nous souhaitons son abrogation.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, sur l’article.
Mme Sylvie Robert. J’interviens sur cet article, car je considère qu’il n’est absolument pas une solution. Il soulève beaucoup de questions et pourrait même représenter un danger. Son bien-fondé ne repose sur aucun élément tangible ou objectif, mais sur des suppositions, voire sur l’établissement de scénarios alternatifs.
S’il est possible d’imaginer qu’un gendarme ou un policier armé hors service puisse aider à la résolution d’une infraction constatée en direct dans un ERP, on peut tout aussi bien envisager qu’un accident se produise, l’arme pouvant tomber dans la foule, être subtilisée, un mouvement de panique pouvant être déclenché, une falsification de carte de police être opérée. En somme, rien ne prouve qu’un policier armé dans un ERP puisse apporter plus de sécurité.
Plus d’armes dans l’espace public, ce n’est pas synonyme de plus de sécurité. Il faut sortir de cette logique simpliste.
Aujourd’hui, un policier ou un gendarme a déjà la possibilité d’entrer armé, hors de son service, dans un ERP. L’état actuel du droit ne le lui interdit pas, mais le responsable de l’établissement peut lui opposer un refus. Il me semble essentiel que ce dialogue ne soit pas rompu, d’autant que très peu d’accidents sont à déplorer jusqu’à présent. Faisons confiance aux responsables d’établissements, notamment de lieux culturels, qui connaissent leurs salles et leurs publics.
Comme le soulignait mon collègue à l’instant, tout le secteur culturel est à l’arrêt depuis un an. L’une des clés du succès de la relance de ce secteur résidera certainement dans la confiance retrouvée du public. Je ne suis pas certaine que ces dispositions y contribuent vraiment.
Enfin, plus fondamentalement, l’article 25 représente un changement de paradigme presque civilisationnel, qui nous rapproche d’autres modèles à mon sens très éloignés de notre culture collective et publique.
Nous ne devons pas nous résoudre à banaliser ce sujet, comme nous n’avons pas à confondre le renforcement de la sécurité des Français au quotidien par des moyens effectifs et pertinents et le renforcement de l’illusion sécuritaire, auquel appartient définitivement ce dispositif. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L’amendement n° 61 rectifié est présenté par M. Lafon, Mmes Morin-Desailly et de La Provôté, MM. Lefèvre et Moga, Mmes Gruny, Dumont, Doineau et Billon, MM. Détraigne, Delahaye, Levi et Delcros, Mme Drexler, M. Favreau, Mme Guidez, MM. Cuypers, Longeot et Savin, Mme de Cidrac, M. Wattebled, Mme Saint-Pé, M. Laménie et Mme L. Darcos.
L’amendement n° 85 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 146 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, M. Dossus, Mme de Marco, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 178 rectifié est présenté par MM. Roux, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et M. Requier.
L’amendement n° 282 rectifié bis est présenté par M. Durain, Mme Harribey, MM. Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste et Assouline, Mmes Bonnefoy et Briquet, M. Cardon, Mme Conconne, MM. Fichet, Gillé et P. Joly, Mmes Lubin et S. Robert, MM. Temal, Tissot, Bourgi, Kerrouche, Leconte et Sueur, Mmes G. Jourda, Monier, Préville et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Laurent Lafon, pour présenter l’amendement n° 61 rectifié.
M. Laurent Lafon. Je voudrais faire deux remarques et une réflexion.
Première remarque : l’article dont nous parlons cet après-midi concerne tous les ERP. Or cette notion recouvre des réalités très différentes : les lieux culturels, comme les salles de cinéma, les salles de théâtre et les salles de spectacle en général, les enceintes sportives, comme les gymnases, les piscines ou les stades, les lieux cultuels – les églises, les synagogues, les mosquées –, les établissements scolaires et de la petite enfance, tels que les crèches, les écoles, les établissements d’enseignement supérieur, et d’autres encore.
Deuxième remarque : cet article est de portée générale. Il n’est ni limité dans le temps ni encadré par des circonstances particulières qui justifieraient que des policiers portent une arme en dehors de leurs heures de travail. Si une solution avait été proposée pour justifier, par exemple, le port de l’arme par un niveau de menace terroriste élevé, certains d’entre nous auraient peut-être été convaincus. Mais tel n’est pas le cas.
Enfin, une réflexion pour terminer : ce n’est jamais anodin de porter une arme, en premier lieu pour les policiers et les gendarmes eux-mêmes. Décider, pendant son temps de loisirs, en allant au cinéma, au théâtre, à la fête de l’école de ses enfants ou dans un lieu de culte, de porter une arme, c’est loin d’être neutre. Ce n’est pas anodin non plus pour tout un chacun. Quel sentiment éprouverez-vous si, dans une salle de spectacle, une personne armée, en civil, vient s’asseoir à côté de vous ? Vous sentirez-vous rassuré ou inquiet ?
M. Jérôme Durain. C’est vrai !
M. Laurent Lafon. Resterez-vous assis à attendre la fin de la séance ou irez-vous signaler la présence de cette personne au gestionnaire de l’établissement ?
Toutes ces questions sont posées par la rédaction actuelle de l’article 25. Si celui-ci n’est pas modifié, il faut le supprimer.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 85 rectifié.
Mme Cécile Cukierman. Depuis les terribles attentats de 2015 et, surtout, depuis l’assassinat de deux policiers à leur domicile dans les Yvelines, les agents des forces de l’ordre peuvent plus facilement conserver leur arme de service en dehors de leurs heures de travail. Dans un sens, cette règle est cohérente avec la présomption de service applicable aux forces de sécurité intérieure et aux militaires. Dans l’esprit des majorités d’hier et d’aujourd’hui qui ont élargi cette autorisation, il s’agissait de permettre aux agents agressés de pouvoir mieux se protéger et de répondre à ces attaques.
Reste que l’article qui nous est proposé aujourd’hui interroge, voire inquiète, y compris les professionnels du monde du spectacle et de la culture.
Premièrement, sur la forme, qui contrôlera l’authenticité de la carte professionnelle et, donc, la possibilité ou non d’entrer armé dans un lieu de spectacle ou un festival ? La personne qui se présente avec son arme durant son temps de loisirs est-elle effectivement habilitée à la porter ? Nous sommes nombreux à avoir été interpellés sur ce point par les organisateurs d’événements culturels et les responsables de salles.
Deuxièmement, sur le fond, quid d’un agent qui refuserait de porter cette arme et qui pourrait, à un moment donné, être mis en cause pour son absence d’efficacité en cas de problème ? On rejoint là le débat de société actuel sur la séparation entre le temps de travail et le temps de loisirs.
Il y a inévitablement une continuité de la mission de service public, mais, comme le disait notre collègue Laurent Lafon, dans certains lieux, il n’est pas forcément plus rassurant pour l’entourage immédiat de savoir que des personnes peuvent porter une arme sur un temps extraprofessionnel.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 146 rectifié.
M. Guy Benarroche. Outre une ambition sécuritaire sans fin, je crains que certains d’entre nous ne se soient laissé contaminer par une idéologie de course à l’armement, y compris au sein des établissements recevant du public.
La théorie, relayée par les lobbys pro-armes américains, voudrait que, pour lutter contre la violence armée, il faudrait une riposte armée. « The only way to stop a bad guy with a gun is a good guy with a gun », selon l’ancien président du lobby américain des armes. Seul un gentil armé d’un pistolet pourrait arrêter un méchant armé d’un pistolet…
Cette théorie, pensée comme un rétablissement de l’équilibre, notamment face aux risques d’attentats terroristes, est une fable aussi réconfortante que dénuée de tout fondement. Non, la présence d’une personne armée n’est pas un facteur protecteur dans ce genre de situation ! Jamais rien ne l’a démontré. Les études tendent au contraire à montrer que l’augmentation du port d’arme, y compris non ostensible, entraîne une augmentation des violences de près de 15 %. D’autres travaux montrent que l’on a déjoué plus d’attaques armées sans l’aide d’une riposte armée qu’avec.
La crainte justifiée et étayée de notre groupe est donc que cet article n’ait pas l’effet escompté, mais qu’il produise au contraire l’inverse, à savoir une baisse de la sécurité. Cette position est partagée par de nombreux professionnels des services d’ordre des lieux recevant du public, y compris les stades, ainsi que par tous les organisateurs des festivals de musique, opposés à une telle autorisation.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite la suppression de l’article 25.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour présenter l’amendement n° 178 rectifié.
M. Jean-Yves Roux. Actuellement, le port d’arme est réglementé. Or, aux termes des dispositions proposées pour l’article 25, les établissements recevant du public ne pourraient plus refuser l’accès d’un agent hors service portant son arme. Un tel dispositif est inquiétant dans la mesure où, en plus de prévoir une autorisation idéologiquement contestable, il n’est pas assorti des garanties nécessaires et suffisantes.
Lorsqu’ils ne sont plus en service, les agents de police et les militaires de la gendarmerie doivent pouvoir rejoindre la société civile et s’y mêler dans l’indifférence, d’autant que le bénéfice de leur armement est moins évident à identifier que l’inquiétude et les risques qu’il susciterait.
Comment imaginer qu’un agent hors service puisse être armé dans un débit de boissons ? Quelle réaction susciterait la découverte par inadvertance de l’arme de l’agent par le public de l’établissement ?
Nous pourrions imaginer bien d’autres hypothèses, pour lesquelles la proposition de loi n’offre aucune assurance. Cela nous impose donc de demander la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 282 rectifié bis.
M. Jérôme Durain. J’avancerai trois arguments en complément de ceux qui ont été développés par mes collègues.
Un argument de principe, tout d’abord : une société dans laquelle circulent des quantités d’armes importantes est-elle plus sûre ? Je n’en suis pas certain. J’attends, dans quelques années, si cette disposition produit tous ses effets, le Michael Moore français qui se demandera à quel moment la situation a dégénéré…
Fort heureusement, en matière de possession d’armes, nous ne sommes pas les États-Unis. Avoir des armes en circulation à tout bout de champ ne me paraît pas être une bonne solution. Vous sentez-vous plus en sécurité dans l’espace public quand vous voyez arriver des gens armés ? Je ne le crois pas. Il est peut-être heureux qu’ils soient présents, mais le sentiment de sécurité ne correspond pas forcément à la sécurité réelle.
Un argument opérationnel, ensuite : rien ne prouve que des policiers armés au milieu de la foule auraient permis d’éviter les carnages provoqués par les attentats que nous avons malheureusement connus. De même, je ne suis pas certain que le système des Air Marshals, ces policiers armés qui entrent dans les avions en premier – ils sont ainsi identifiables –, soit pleinement efficace.
Dernier argument : une arme, ça tue, y compris ceux qui la possèdent. Comme beaucoup de professions qui ont accès à des moyens létaux, je ne suis pas persuadé qu’il soit dans l’intérêt des policiers et des gendarmes de les autoriser à porter en permanence leur arme de service.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 25.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous ne sommes pas indifférents aux arguments de nos collègues.
Cela étant, ne soyons pas binaires : il n’y a pas, d’un côté, ceux qui défendent le monde de la culture et son « exception » et, de l’autre, les tenants d’un armement généralisé du pays. Il me semble surtout que l’on se trompe de débat : les 140 000 policiers et les 100 000 gendarmes français peuvent déjà entrer dans les ERP avec leur arme hors service. L’article 25 supprime simplement le fait de pouvoir le leur interdire. Dans un pays d’un peu moins de 70 millions d’habitants, 240 000 personnes, c’est quand même une portion congrue par comparaison avec d’autres pays dans le monde où la pratique du port d’arme est bien plus répandue.
J’ai aussi entendu parler de garanties. En tant que membre de la commission des lois, je me dois de revenir au texte.
La protection actuelle du port d’arme hors service passe par deux instructions générales des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales. Dans le texte initial de la proposition de loi, il était prévu que les règles soient fixées par un arrêté du ministre. Nos collègues députés ont souhaité qu’elles le soient par un décret en Conseil d’État. On ne peut pas tellement faire mieux dans la hiérarchie des normes en termes de protection.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a souhaité conserver l’article 25 dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale. En conséquence, elle a émis un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Tout a été dit ou presque sur cet article 25, pour le soutenir ou le contester.
Premièrement – cela a été dit pudiquement –, cette disposition a aussi vocation à protéger les lieux de culture et de fête, qui sont visés par les terroristes. Au Bataclan, je rappelle que c’est un commissaire en service, mais pas dans cette salle, qui est intervenu de sa propre initiative en attendant l’arrivée des troupes spécialisées. Honneur lui soit rendu, car il a contribué à empêcher la poursuite du massacre. La menace terroriste reste d’ailleurs extrêmement forte au moment où nous parlons.
Deuxièmement, nous n’inventons pas l’eau chaude. Les policiers nationaux peuvent déjà, après avoir demandé l’autorisation à leur hiérarchie, emporter leur arme après leur service. C’est bien évidemment en lien avec le drame de Magnanville et les difficultés que nous avons connues pour les forces de l’ordre, mais cela s’explique aussi par le fait que ces dernières peuvent à tout moment être rappelées.
Cette possibilité de port d’arme hors service ne s’appuie actuellement sur aucun cadre légal, seulement sur une disposition réglementaire, l’article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure, qui dispose : « Lorsque les circonstances le requièrent,… » – avouez que c’est assez large – « … le policier ou le gendarme, même lorsqu’il n’est pas en service, intervient de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger. » On peut certes conclure de cette disposition qu’elle autorise le port d’arme hors service, mais on pourrait également en avoir une autre lecture. Le Gouvernement de la République souhaite donc légaliser la pratique, ce qui devrait plaire au Parlement…
Je vais vous communiquer le nombre de fonctionnaires de police qui, selon les derniers chiffres dont je dispose, au 30 novembre 2020, ont demandé l’autorisation de conserver leur arme lorsqu’ils rentrent chez eux. Auparavant – je m’adresse en particulier au sénateur du groupe centriste –, je tiens à dire que ce sont parfois les élus locaux eux-mêmes, notamment les élus régionaux, qui concluent des conventions de gratuité dans les transports avec les forces de l’ordre en échange du port d’arme hors service pour intervenir en cas de difficultés – je pense notamment aux TER de la région Île-de-France. Prenons garde aux injonctions contradictoires adressées aux policiers : d’un côté, on leur octroie la gratuité dans les transports en échange du port de leur arme ; de l’autre, on leur dit que ce n’est pas bien de la conserver lorsqu’ils ne sont pas en service… Je peux comprendre les questions que vous posez : ce n’est pas un débat médiocre, et il faut bien évidemment encadrer cette possibilité.
La direction centrale de la sécurité publique (DCSP), qui compte le plus de policiers, a délivré 26 693 autorisations. La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) en a délivré 3 479 et la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS) 5 451. Il y a donc aujourd’hui plus de 30 000 policiers sur 150 000 qui conservent leur arme en dehors de leur service, sans qu’aucun des dangers que vous avez signalés ne se soit matérialisé à ma connaissance. Je ne sous-estime pas le risque d’un événement exceptionnel, mais je constate que la pratique est déjà largement répandue.
Les policiers et les gendarmes peuvent donc déjà, en dehors de leur service, venir armés dans des lieux culturels ou festifs. Il y a certes une coutume qui permet à la patronne ou au patron de l’établissement de refuser son entrée, mais celle-ci n’est pas fondée sur un cadre légal reconnu par les lois de la République.
Troisièmement – c’est un point important, qui a été évoqué notamment par M. le rapporteur –, le Gouvernement avait initialement prévu que les conditions d’application de la disposition législative seraient définies par arrêté. L’Assemblée nationale a souhaité qu’elles soient définies par décret en Conseil d’État. Nous n’entendons pas revenir sur cette évolution, qui permettra le contrôle de cette pratique par la plus haute juridiction administrative de notre pays.
Persistance de la menace terroriste, volonté des élus locaux de lutter contre la violence dans les transports, menaces personnelles contre les policiers et les gendarmes, obligations de disponibilité des forces de l’ordre, absence de cadre légal d’une pratique déjà autorisée au quotidien pour plus de 30 000 policiers sans le moindre problème, conditions d’application définies par décret en Conseil d’État : tous ces éléments me paraissent de nature à rassurer ceux qui avaient des doutes sur l’article 25.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. J’ai volontiers cosigné l’amendement de mon collègue, président de la commission de la culture, Laurent Lafon, parce que j’ai été beaucoup sollicitée par des organismes de culture. S’il ne l’avait fait, j’aurais moi-même déposé un amendement de suppression.
On parle beaucoup des lieux culturels, mais il y a aussi les établissements scolaires. À ce sujet, j’ai une anecdote à vous raconter.
Dans l’un des collèges de mon département, un major de police avait l’habitude de venir régulièrement parler prévention et cyberharcèlement. Un jour, il a été remplacé par l’un de ses collègues, qui portait très ostensiblement son arme à la ceinture. Cela a énormément choqué, tant les élèves que les professeurs. C’était une situation tout à fait anormale, ce que le major a reconnu. Quand on vient parler de prévention, ce n’est pas forcément un bon symbole ni très diplomatique, dirai-je, que d’arriver avec son arme. Dans ce cas, on envoie plutôt un signal de répression, me semble-t-il.
Monsieur le ministre, s’agissant du Bataclan, j’ai reçu également des organisations de policiers, qui m’en ont parlé. Je ne suis pas sûre qu’un policier armé aurait pu, à lui tout seul, éviter ce massacre.
Un médecin reste bien évidemment médecin toute sa vie, mais, quand il est en vacances, dans un avion ou un train, il n’a pas forcément sa trousse avec lui. Il va tout de même essayer de sauver la personne qui tomberait malade en sa présence. Dans le même ordre d’idées, un policier restera toujours un policier, mais j’ose imaginer que, lorsqu’il est dans une salle de spectacle ou de musique hors service, il est là pour se détendre et apprécier l’art. Il n’est donc pas obligé d’être avec son arme de service. Cela n’est pas antinomique avec ce qui va être proposé, je crois, par d’autres amendements sur l’aspect terrorisme, qui est complètement différent.
En l’espèce, on parle de l’impossibilité pour un ERP de refuser un policier portant une arme hors service, ce qui me choque. Je ne suis pas sûre d’être majoritaire dans mon groupe, mais je voterai pour la suppression de cet article.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 61 rectifié, 85 rectifié, 146 rectifié, 178 rectifié et 282 rectifié bis.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 124 |
Contre | 211 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 40 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer, Dumas, Dumont et Thomas, MM. Regnard et Courtial, Mme Garriaud-Maylam, M. Longuet, Mme Joseph, M. Bonne, Mmes Deromedi et Deroche, MM. H. Leroy, Tabarot, Le Rudulier, Bonnus, Boré et Charon, Mme Bellurot et M. Saury, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la seconde occurrence du mot :
nationale
insérer les mots :
ou un douanier
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Avant de présenter le dispositif de l’amendement, je tiens à dire que mon objectif n’est absolument pas que la France se transforme en Far West. Permettez-moi cependant une petite remarque : aujourd’hui, et la presse s’en fait régulièrement l’écho, ce sont bien souvent les délinquants qui ont des armes H24. Il vous est tous arrivé d’apprendre que l’on avait trouvé dans votre ville un véritable arsenal, avec des armes de guerre, des kalachnikovs, etc. Cela prouve bien qu’il y a des personnes lourdement armées en permanence.
Il faut être bien clair : ce n’est pas parce que les forces de l’ordre portent une arme que la violence augmente ou que celle-ci se trouve justifiée. Il ne faut pas inverser les rôles.
J’en viens plus précisément à l’amendement.
La proposition de loi ouvre la possibilité aux policiers nationaux et aux militaires de la gendarmerie nationale de conserver leur arme hors service lorsqu’ils accèdent à un établissement recevant du public. Cette disposition va dans le bon sens. C’est pourquoi je souhaiterais l’élargir aux douaniers. En effet, aux termes de l’article 56 du code des douanes, « les agents des douanes ont, pour l’exercice de leurs fonctions, le droit au port d’armes. Ils peuvent faire usage de leurs armes dans les conditions prévues à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. » Il y a donc déjà un cadre légal.
Comme nos différentes forces de sécurité et leurs familles, les douaniers constituent des cibles privilégiées pour ceux dont ils ont stoppé les actions délictueuses. Aussi, cet amendement, s’il était adopté, permettrait de renforcer leur protection. En outre, ce port d’arme permettrait de démultiplier nos capacités d’action. Cette évolution répondrait à une forte demande de ceux qui nous protègent.
À mon sens, vous l’avez compris, il serait normal de faire en sorte que les agents des douanes puissent bénéficier des mêmes possibilités que leurs collègues policiers nationaux ou militaires de la gendarmerie.