M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à ce travail ; pour ma part, je l’ai fait, et c’est très complexe. Nous essayons d’accompagner les départements dans cette mission.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le secrétaire d’État, la question des mineurs non accompagnés, anciennement appelés mineurs isolés étrangers – ils le demeurent, d’ailleurs –, relève d’abord d’un sujet migratoire, donc de l’État. Le Président de la République l’avait d’ailleurs reconnu avant le congrès de Rennes de l’ADF en 2018.
Pour ma part, à l’issue de ce débat, je veux attirer votre attention sur le continuum de la protection de l’enfance, qui doit concerner les MNA, comme tous les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. En effet, ces jeunes bénéficient d’un accompagnement de l’ASE au titre du contrat jeune majeur. Or, nombre d’entre eux doivent mettre un terme à leur parcours d’insertion en raison de leur situation administrative.
Alors qu’ils sont engagés dans un parcours scolaire et/ou d’apprentissage, leur majorité, faute de titre de séjour, les condamne. Les mêmes pour lesquels l’État a demandé aux conseils départementaux d’assurer la protection et la prise en charge inconditionnelle sont ensuite parfois chassés par ce même État, de manière aveugle, alors qu’ils sont bien souvent en phase d’insertion et de construction d’un nouveau projet de vie.
Les services de l’ASE instruisent régulièrement une demande d’asile auprès de l’Ofpra ou d’accession à la nationalité française, lorsque cela est possible, mais se heurtent à des blocages liés bien évidemment au fait que ces jeunes MNA ne disposent souvent pas de documents d’état civil authentifiés par les services de la police aux frontières, la PAF.
Bref, nous sommes dans un cadre kafkaïen, qui provoque de véritables drames humains.
Ces parcours interrompus stoppent l’engagement de ces jeunes, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Ils mettent aussi en difficulté des entreprises qui avaient investi dans leur parcours d’apprentissage et qui se retrouvent accusées d’avoir recours au travail clandestin. Ce n’est acceptable ni pour les jeunes, ni pour les entreprises, ni pour les professionnels de l’ASE qui voient leurs missions niées, ni pour nos finances publiques, qui ont investi sur ces jeunes pour les abandonner ensuite.
Dans mon département par exemple, le Cantal, plusieurs jeunes sont dans cette situation, et les réponses administratives apportées, qui confinent à l’impuissance, sont désespérantes pour tous, y compris pour notre reconquête démographique.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand mettrez-vous de la cohérence et des moyens pour une gestion responsable et solidaire de la situation de ces jeunes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, au risque de me répéter un peu, c’est, je crois, tout le sens de ce que nous essayons de faire pour les mineurs non accompagnés, comme pour les jeunes de l’aide sociale à l’enfance.
En effet, la question de la majorité, c’est-à-dire de la fin de la prise en charge dans un certain nombre de cas par les services de l’aide sociale à l’enfance à 18 ans, soulève, s’agissant de l’aide sociale à l’enfance, un certain nombre de questions, de difficultés, parfois de situations dramatiques, avec ce que l’on appelle les sorties sèches. Un certain nombre de jeunes, du jour au lendemain, ne sont plus pris en charge.
C’est la raison pour laquelle, dans un cas comme dans l’autre, je pense que la coopération entre l’État et les départements et ce continuum que vous évoquiez doit être mobilisée au maximum.
C’est tout le sens, s’agissant de l’insertion professionnelle, de cette convention avec l’Union nationale des missions locales que j’évoquais et à laquelle nous avons adjoint une contribution financière de la part de l’État de 500 euros pour tout jeune qui ne serait pas dans un parcours d’études ou d’insertion, afin d’éviter justement ces fameuses sorties sèches. Je précise ici que cette mesure n’a pas vocation à se substituer à un éventuel contrat jeune majeur, ou en tout cas à l’accompagnement éducatif qui pourrait continuer à être nécessaire de la part du département.
Par ailleurs, dans le cadre de la régularisation administrative, il est nécessaire de mieux anticiper les situations, pour faire sortir tout le monde de l’incertitude actuelle : le jeune au premier chef, évidemment, mais aussi le département, parce que celui-ci ne sait pas s’il va devoir continuer à s’occuper de ce jeune, et les chefs d’entreprise. Pour ma part, j’en ai rencontré beaucoup, je le disais, qui sont confrontés à ces situations.
Essayons d’anticiper, de mieux nous coordonner, de mieux coopérer, de mieux accompagner ces jeunes et de faire en sorte que l’investissement qui a été réalisé à leur profit – je le dis avec une connotation très positive – ne soit pas perdu pour l’avenir, parce que cela pourrait s’apparenter, dans un très grand nombre de cas, à du gâchis.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe auteur de la demande.
M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conclure un tel débat est une gageure, c’est évident. En tout cas mon propos, qui va relever certaines des questions qui ont été abordées, n’a pas vocation à mettre un point final, bien évidemment, mais à faire saillir quelques éléments.
Le point principal par lequel je voudrais commencer, c’est la nécessité et le caractère indispensable du débat que nous avons et dont les seize orateurs ont évoqué toutes les dimensions. En effet, une politique publique qui voit son volume multiplié par douze ou par treize, voire davantage, en cinq à sept ans doit nous interroger en tant que responsables publics. Quelles en sont les causes ? Examinons les conséquences et essayons de comprendre ce qui se passe.
Ensuite, cela a été dit également, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit là d’une compétence départementale majeure, particulièrement sensible et même emblématique de l’action sociale des départements.
Pour avoir siégé pendant près de sept ans au bureau de l’Assemblée des départements de France, je puis vous assurer que l’ensemble des présidentes et présidents de départements ont à cœur de remplir cette noble mission de donner une deuxième chance à ces enfants qui ne trouvent pas toutes les chances dans leur famille. Je puis attester qu’ils y sont tous très attachés. C’est justement cela qui les amène à s’inquiéter de cette situation de dégradation.
Ensuite, ce débat était absolument nécessaire parce que les départements, qui sont la cheville ouvrière de ces politiques, sont déjà en grande difficulté, bien évidemment pour d’autres raisons.
Les dépenses sociales n’ont cessé de croître : elles représentent de 57 % à 60 % de leurs dépenses de fonctionnement. On peut déjà constater, avec la crise sanitaire et ses conséquences économiques, que le RSA a encore augmenté ; dans nombre de départements, il a même connu une croissance à plus de deux chiffes, ce qui est tout à fait considérable.
Par ailleurs, pèsent des risques importants sur les recettes des départements, notamment les droits de mutation à titre onéreux, dans ce contexte de crise. L’impact a déjà été souligné à plusieurs reprises ; il est très lourd, je n’y reviens pas.
Enfin, depuis dix ans, les départements sont confrontés à une surdité chronique de l’État, qui s’inscrit dans un contexte déjà ancien de maltraitance de ces collectivités par l’État.
Je vous renvoie au rapport de Cécile Cukierman et à celui de la mission d’information, que j’ai eu l’honneur de présider, sur la place des départements dans les grandes régions. Mes chers collègues, vous connaissez tous les différentes étapes de la disparition programmée des départements, avec les lois NOTRe, Maptam, ainsi que l’étranglement financier de cette collectivité, notamment avec la baisse de 40 % de la dotation de fonctionnement pendant le quinquennat précédent, ce qui est tout de même considérable.
Ce débat était donc absolument nécessaire, dans une situation particulièrement difficile.
Nous sommes également face à un angle mort des politiques migratoires ; ce point est apparu très clairement pendant l’ensemble du débat. Nous avons affaire maintenant à un phénomène économique, l’eldorado européen. On continue à attirer les jeunes, fragilisés ou non d’ailleurs dans leur pays, ainsi que leurs familles, qui, souvent, les mandatent pour en faire des sources de revenus pour divers besoins dont ils estiment qu’ils seront les leurs par la suite.
Ce phénomène économique est adossé, cela a été dit également, à un phénomène mafieux évident. Nous connaissons bon nombre de filières ; monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons même vous donner les tarifs par pays et par région dans ces pays, puisque ces éléments sont apparus dans les différents départements.
Enfin, je vous le concède, monsieur le secrétaire d’État, l’évaluation de la minorité est un sujet extrêmement délicat, pour lequel il n’y a pas de réponse évidente.
C’est pourquoi d’ailleurs, je pense, le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, quand il est venu au congrès de l’ADF en octobre 2017, a pratiquement dit que cette mission d’accueil et d’évaluation devait relever de l’État. Ensuite, il a considéré que peut-être les départements pouvaient l’assurer pour le compte de l’État. Le problème, c’est que les moyens n’ont pas été au rendez-vous, loin de là, avec, on l’a rappelé, 120 millions d’euros de crédits pour 2021 ; ces sommes baissent d’ailleurs par rapport à l’année précédente, ce qui est difficile à comprendre.
À l’évidence, nous sommes confrontés à un état d’urgence qui est temporairement masqué par la crise sanitaire – on comprend bien qu’il est difficile de se déplacer en ce moment, vu la situation –, mais qui est appelé à prospérer, et nous ferions une erreur considérable en restant sur la même appréhension du problème après cette brève accalmie.
Je pense qu’il faut nous mobiliser dès maintenant pour apporter des réponses qui soient plus solides que celles qui ont été les nôtres jusque-là.
Enfin, dans cet état d’urgence, nous mettons en danger l’aide sociale à l’enfance elle-même dans les départements, notre capacité à l’assurer de façon satisfaisante, les départements eux-mêmes dans leurs finances, mais aussi les Français. Il a été fait état d’un certain nombre de faits délinquants, qui sont de plus en plus préoccupants, notamment dans les territoires d’outre-mer.
À droit constant, y a-t-il une réponse possible ? C’est à vous de nous le dire, monsieur le secrétaire d’État. S’il n’y en a pas, il faudra envisager une réflexion plus large et remettre en cause bien des choses dans ce pays. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les mineurs non accompagnés.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Avenir de la métropole du Grand Paris
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir de la Métropole du Grand Paris.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons évoquer un sujet dont nous avons à discuter chaque année, tel un marronnier, lors de l’examen de chaque projet de loi de finances et de chaque texte portant sur les collectivités locales. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité organiser un débat sur ce thème ce soir.
La problématique du Grand Paris n’est pas nouvelle. Dès le XIXe siècle, deux visions se sont opposées : celle de Napoléon III,…
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. … qui imaginait une capitale s’étendant de Saint-Germain-en-Laye à Marne-la-Vallée, s’est heurtée au réalisme du baron Haussmann, qui a fait justement remarquer qu’il avait fallu un combat de dix-sept ans pour unifier l’ensemble des communes d’Auteuil, de Passy ou des Batignolles et créer la ville de Paris.
Un peu plus tard, en 1932, André Morizet, ancien sénateur et maire de Boulogne-Billancourt – je ne pouvais pas ne pas le citer ! (Sourires.) – jette les bases d’une réforme administrative du Grand Paris. Il indique que tout reste à faire pour répondre aux nombreux problèmes de l’agglomération parisienne : inégalités territoriales, logements, transports, services publics…
En 1949, le célèbre géographe Jean-François Gravier, auteur de Paris et le désert français, propose la création de seize régions avec des superpréfets à leur tête, ainsi que d’un « Grand Paris ».
Toutefois, la réforme de l’Île-de-France organisée par la loi du 10 juillet 1964 a eu raison de cette vision. Les trois départements créés en 1790 – Paris, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne – sont subdivisés en sept nouveaux départements : la petite couronne et la grande couronne.
La réorganisation de l’Île-de-France redevient un sujet de conversation au début des années 2000, face au constat partagé d’un développement économique déséquilibré : pas de desserte ferroviaire directe entre le centre de Paris et ses aéroports ; difficultés à rejoindre le pôle technologique de Saclay ; réseau de transport construit en radiale, ne permettant pas des échanges faciles entre les zones d’emploi et les zones de logement.
C’est la loi de juin 2010, relative au Grand Paris, qui définit ce territoire comme « un projet urbain, social et économique d’intérêt national ».
En 2010, le législateur, dans sa grande sagesse peut-être, n’a pas retenu les propositions institutionnelles visant à regrouper les collectivités franciliennes dans de nouvelles structures. Cette réforme s’est faite plus tard, mais contre les élus.
La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou Maptam, qui donne un nouveau statut aux agglomérations de plus de 400 000 habitants, prévoit un statut particulier pour les métropoles de Paris, de Lyon et de Marseille.
En première lecture, le Sénat rejette l’ensemble des articles relatifs à la zone parisienne. C’est l’Assemblée nationale qui dessine ce qui sera plus tard la métropole du Grand Paris, la MGP.
En septembre 2013, au cours de la navette, 75 % des élus de Paris Métropole adoptent un vœu contestant l’organisation institutionnelle proposée. Finalement, le projet de loi Maptam est adopté d’une courte majorité au Sénat en octobre 2013, par 156 voix pour et 147 contre.
L’opposition des élus s’est renforcée après les élections municipales de 2014, lesquelles ont modifié l’équilibre au sein du territoire métropolitain. En mai 2014, à l’unanimité, les élus de Paris Métropole réclament une révision de l’article 12 de la loi Maptam, qui supprime les intercommunalités.
Cette position est réaffirmée quelques mois plus tard : en octobre 2014, quelque 94 % des membres de la mission de préfiguration de la Métropole du Grand Paris réclament une personnalité juridique pour les territoires et un partage des recettes de la fiscalité économique.
Après d’importants débats parlementaires, le régime juridique de la métropole du Grand Paris prévu par la loi Maptam est profondément modifié par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou NOTRe, du 7 août 2015.
Les territoires de la loi Maptam, aires géographiques sans personnalité morale, dont le régime juridique aurait été proche de celui des arrondissements parisiens, sont remplacés par des établissements publics territoriaux, ou EPT, qui sont des établissements publics de coopération intercommunale, des EPCI, sans fiscalité propre, dotés d’importantes compétences et d’un régime juridique spécifique.
La MGP est créée au 1er janvier 2016, avec Paris, les 123 communes de la petite couronne et 7 communes limitrophes de la grande couronne ayant choisi d’y adhérer. Sur les 11 territoires créés au sein de ce périmètre, seuls 3 préexistaient ; les 8 autres ont été imposés par les préfets et font parfois l’objet de mariages forcés.
Mme Sophie Primas. En effet !
Mme Christine Lavarde. Non soutenue par les maires, cette nouvelle organisation est restée un échelon supplémentaire dans une organisation territoriale déjà très compliquée, comprenant communes, territoires, départements, métropole, grands syndicats et région.
Chacun cherche à conserver les compétences que la loi lui a retirées. À titre d’exemple, une seule opération d’aménagement, la zone d’aménagement concerté, ou ZAC, des docks de Saint-Ouen, a été transférée à la métropole du Grand Paris lors de sa création. Seuls deux actes ont depuis été déclarés d’intérêt métropolitain.
Par ailleurs, la MGP reste un nain budgétaire. Si elle enregistre 3,4 milliards d’euros de ressources, elle en reverse 98 % aux communes via les attributions de compensation pour permettre aux communes et aux territoires de continuer à assurer les missions du quotidien. Les capacités financières réelles de la MGP sont donc dérisoires.
Aujourd’hui, le changement se fait attendre. En juillet 2017, au Sénat, le Président de la République récemment élu, Emmanuel Macron, annonçait pourtant de futurs changements majeurs dans l’organisation du Grand Paris.
Depuis lors, tout le monde attend, comme le montre une rapide revue de presse.
Juillet 2017 : « Paris : Macron au secours de la MGP ? » Octobre 2017 : « Comment Macron veut réorganiser le Grand Paris ». Octobre 2017 toujours : « La fronde des départements contre la métropole “Macron” ». Novembre 2017 : « Métropole du Grand Paris : que va décider Emmanuel Macron ? » Janvier 2018 : « Quel sort Macron réserve-t-il à la métropole du Grand Paris ? » Octobre 2018 : « Métropolisation : le Paris en grand de Macron au point mort » et « Grand Paris, la réforme sans cesse repoussée ». Décembre 2019 : « Grand Paris : le Gouvernement annonce une réforme institutionnelle après les municipales ». Enfin – et j’en passe –, en décembre 2020 : « Des députés LREM veulent pulvériser la métropole du Grand Paris ».
Au cours de ces mois, plusieurs scénarios ont été envisagés : une métropole avec le périmètre actuel, au sein de laquelle seraient fusionnés les départements de la petite couronne avec Paris ; une fusion de la région Île-de-France et de l’actuelle métropole, pour associer Paris intra-muros et des secteurs périurbains ou ruraux. Cela étant, rien n’a été décidé.
Quel échelon supprimer ? Quel statut pour les territoires ? Quel périmètre pour définir la région capitale ? Qui doit exercer les compétences du quotidien ?
Ces questions ne manqueront pas d’être évoquées ce soir. Si je devais résumer la situation, je citerais l’analyse de Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS : « Nous avons une métropole qui est tout à fait sous-calibrée, une gouvernance éclatée et une MGP croupion qui a quelques dizaines de millions d’euros de budget réel. Donc, il faut réformer et c’est un tel imbroglio qu’il faut réformer fort. Tout le monde le sait, mais personne n’est prêt à assumer les coûts politiques pour le faire. »
L’histoire étant un éternel recommencement, on pourrait dire, comme l’aurait déclaré le général de Gaulle, alors qu’il survolait en hélicoptère la région parisienne : « Delouvrier, mettez-moi de l’ordre dans ce bordel ! » C’est ce que nous allons essayer de faire ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Le débat a été très bien posé. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains de nous permettre d’évoquer le devenir du Grand Paris.
M. Vincent Éblé. Des convergences, déjà ?…
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Évoquer ce devenir, chacun le mesure, c’est se confronter à une grande complexité, comme vous l’avez fait remarquer, madame Lavarde, car tout est exacerbé : les enjeux, les attentes, les ambitions et parfois, aussi, bien sûr, les déceptions.
Pourtant, le contexte actuel est sans doute propice, comme le dit l’adage, à remettre le métier sur l’ouvrage. Je le disais récemment lors d’un colloque à l’Assemblée nationale consacré aux « métropoles résilientes » : la décennie 2010 aura été marquée par une relation passionnée, excessive même, avec le fait métropolitain et, a fortiori, avec le Grand Paris.
Elle s’est en effet ouverte, chacun s’en souvient, par une série de lois destinées à affirmer leur place sur la scène française et internationale : loi relative au Grand Paris en 2010, la loi Maptam en 2014, la loi NOTRe en 2015. Elle s’est achevée dans un climat de méfiance ou de défiance, voire de rejet de ces mêmes métropoles, tour à tour accusées d’être responsables des fractures territoriales et invivables pour leurs habitants.
Alors qu’une nouvelle décennie s’ouvre, tâchons, ensemble, d’y voir plus clair, au cœur de cette « assemblée des territoires ».
Sur ce sujet, aucun consensus n’émerge, à l’exception d’un seul : la situation actuelle ne satisfait personne. La raison en est simple : elle ne permet pas au Grand Paris, en tant que réalité métropolitaine – non en tant qu’institution – d’être à la hauteur des immenses défis auxquels ce territoire doit répondre, aujourd’hui comme demain.
Pour autant, je me permets de le rappeler, cette situation est le produit d’une histoire à laquelle nombre d’entre nous ont participé, une histoire faite de compromis, mais aussi d’occasions manquées et, il est vrai, d’un certain nombre de renoncements. Cette réalité, loin de la juger en procureurs implacables, nous devons la comprendre, pour éviter, collectivement, de refaire les mêmes erreurs.
En effet, les destins de notre pays et du Grand Paris sont, nolens volens, organiquement liés. Une large part de la capacité de notre pays à relever les immenses défis qui sont devant lui réside dans la réussite du Grand Paris. En cela, ce sujet relève, au sens le plus noble du terme, de l’intérêt général, transcendant nos personnes autant que nos mandats.
Aussi, aujourd’hui, faisons en sorte d’examiner ce sujet avec des yeux à la fois informés par cette histoire et en même temps délestés, autant que faire se peut, des antagonismes et postures trop bien connus. Laissons, en somme, toute sa place à ce que Nietzsche, dans une jolie formule, appelait « l’innocence du devenir ».
Comment, au fond, en sommes-nous arrivés à cette situation ? L’impasse actuelle pourrait se résumer, en le paraphrasant, par un célèbre mot de Raymond Aron : « réforme improbable, statu quo impossible ». Pour en sortir, faisons d’abord un rapide détour par l’histoire.
Il n’est pas besoin de rappeler la place exorbitante qu’occupent Paris et sa région dans l’histoire et la géographie françaises. Elle est, à dire vrai, unique dans le monde.
La complexité du paysage politique et institutionnel contemporain est l’héritière de cette histoire. La région Île-de-France, c’est en effet 1 300 communes, 11 établissements publics territoriaux, une métropole du Grand Paris, 8 départements, 800 syndicats, un conseil régional.
La région Île-de-France, c’est également un État aménageur puissant, comme en témoigne la création de nombreuses opérations d’intérêt national, de villes nouvelles, ou de grandes infrastructures.
Cette fragmentation institutionnelle se traduit logiquement, et malheureusement, par des politiques publiques elles aussi très fragmentées, évoquant une « orchestration sans chef d’orchestre », pour reprendre la belle formule du philosophe Wittgenstein.
Cette situation, vous la connaissez et, comme moi, vous la déplorez. Pourtant, depuis les années 2000 et les actions de coopération engagées par Bertrand Delanoë entre Paris et certaines communes avoisinantes, et depuis 2007, date du discours fondateur du président Sarkozy prononcé à Roissy, les réflexions n’ont pas manqué.
Aussi, d’où viennent ces blocages et quels sont-ils ? Comme pour l’œuf et la poule, il est difficile de faire la part des choses : sont-ce les fractures trop importantes qui empêchent l’émergence d’un destin commun ? Ou est-ce que l’absence d’un projet fédérateur conduit en retour à renforcer ces fractures ?
Quoi qu’il en soit, le constat est là : le territoire grand-parisien concentre, de manière particulièrement exacerbée, l’ensemble des tensions et contradictions propres aux réalités métropolitaines.
C’est une métropole-monde, dont le rayonnement ne se dément pas, mais c’est également un territoire marqué par de très grandes fractures, qui ne se résorbent pas. Selon l’expression d’Ernest Renan, la nation est le « plébiscite du quotidien ». Nous sommes loin du compte, tant il est vrai que ces immenses disparités ont des conséquences très concrètes sur la qualité de vie des habitants, et logiquement, sur l’attractivité de la métropole.
Aussi, que faire ? Tous ces constats nous ramènent au devenir de la région capitale, plus particulièrement à son devenir institutionnel. En tant que législateur, c’est ce qui vous intéresse au premier chef, et c’est bien normal, d’autant que la situation est marquée par une très forte fragmentation institutionnelle.
Quels sont les scénarios possibles ? Ce sujet a été très documenté. Les parlementaires, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont formulé des propositions, mais, durant tout le quinquennat, élus locaux et société civile ont également apporté leur contribution.
Si je devais résumer ces propositions pour introduire notre débat, je dirais qu’il existe trois grandes familles de scénarios, que je vais tâcher s’esquisser.
Le premier privilégie l’échelle de la région, prenant acte de la présence de nombreux sites essentiels à la vie de la métropole en grande couronne. Ainsi, cette première option consisterait à fusionner la région et les départements actuels et à renforcer la logique intercommunale au sein de cet espace. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne fais qu’énoncer des possibilités !