Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
Mmes Victoire Jasmin, Marie Mercier.
2. Candidatures à une commission et à un office parlementaire
violences intrafamiliales dans le cambrésis
Question n° 1498 de Mme Brigitte Lherbier. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Brigitte Lherbier.
gestion des maisons d’assistants maternels sur le territoire national
Question n° 1153 de Mme Isabelle Raimond-Pavero. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Isabelle Raimond-Pavero.
recrutement de médecins hors pays de l’union européenne
Question n° 1425 de M. Mathieu Darnaud. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Mathieu Darnaud.
revalorisation du statut du personnel des services de soins à domicile
Question n° 1405 de Mme Frédérique Puissat. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Frédérique Puissat.
lutte contre la multiplication des « ruchers usines »
Question n° 1272 de M. Pascal Martin. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Pascal Martin.
situation des établissements d’abattage non agréés
Question n° 1348 de M. Jean-Jacques Michau. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Jacques Michau.
avenir de l’arboretum national des barres
Question n° 1446 de M. Hugues Saury. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Hugues Saury.
prévention de nouvelles vagues d’influenza aviaire
Question n° 1465 de M. Max Brisson. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Max Brisson.
application des mesures du plan de filière de la presse d’information
Question n° 1455 de M. Olivier Henno. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; M. Olivier Henno.
nouvelle définition des animaux immobilisés
Question n° 1253 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable ; Mme Anne-Catherine Loisier.
renouvellement de l’agrément des associations de protection de l’environnement
Question n° 1166 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jean-Marie Mizzon.
nouveau plan de prévention du bruit dans l’environnement de l’aéroport d’orly
Question n° 1489 de M. Christian Cambon. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
réglementation environnementale et situation de l’entreprise sermeta à morlaix
Question n° 1448 de M. Jean-Luc Fichet. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jean-Luc Fichet.
Question n° 1473 de M. Guy Benarroche. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Guy Benarroche.
prolifération de « décharges sauvages » en pyrénées-atlantiques
Question n° 1362 de Mme Frédérique Espagnac. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Frédérique Espagnac.
plan de prévention du bruit dans l’environnement d’orly
Question n° 1496 de M. Laurent Lafon. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Laurent Lafon.
trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes
Question n° 1345 de M. Didier Mandelli. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Didier Mandelli.
investissements et multimodalité pour les ports français
Question n° 1495 de Mme Agnès Canayer. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Agnès Canayer.
financement de la déviation de la route nationale 135
Question n° 1466 de M. Franck Menonville. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
retrait de leurs compétences par l’état à quatre maires du val-de-marne
Question n° 1457 de Mme Catherine Procaccia. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Catherine Procaccia.
situation des intermittents de la restauration dans l’événementiel
Question n° 1492 de Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Didier Marie. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Gisèle Jourda.
logements sociaux et anciennes communes de la sidérurgie et des mines
Question n° 1464 de M. Jean-Marc Todeschini. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jean-Marc Todeschini.
projet d’implantation d’une maison france services dans la commune de vigy
Question n° 1413 de M. Jean Louis Masson. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Jean Louis Masson.
isolement des petites communes rurales face à leurs difficultés financières
Question n° 1470 de Mme Gisèle Jourda. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Gisèle Jourda.
pénurie d’accompagnants des élèves en situation de handicap
Question n° 1452 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Guillaume Chevrollier.
école inclusive et accompagnants des élèves en situation de handicap
Question n° 1462 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; Mme Élisabeth Doineau.
mesures de fermeture de classes dans l’ain
Question n° 1501 de M. Patrick Chaize. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Patrick Chaize.
soutien aux associations sportives
Question n° 1439 de M. Jacques Grosperrin. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports ; M. Jacques Grosperrin.
affaire mediapro et rendement de la taxe prévue à l’article 302 bis ze du code général des impôts
Question n° 1469 de M. Jean-Jacques Lozach. – Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports.
difficultés des étudiants toulousains redoublant leur première année d’études de santé
Question n° 1482 de Mme Brigitte Micouleau. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
délivrance des visas pour femmes et hommes d’affaires d’afrique subsaharienne
Question n° 1474 de M. Richard Yung. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
compagnie républicaine de sécurité à demeure à bordeaux
Question n° 1499 de Mme Nathalie Delattre. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
moyens du tribunal judiciaire de nanterre
Question n° 1459 de Mme Christine Lavarde. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Christine Lavarde.
chartes d’amitié entre des collectivités françaises et du haut-karabagh
Question n° 1265 de M. Pierre Ouzoulias. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; M. Pierre Ouzoulias.
modalités d’application du droit du travail sur le site de l’euroairport
Question n° 1290 de Mme Patricia Schillinger. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; Mme Patricia Schillinger.
freins au développement du spiritourisme
Question n° 1400 de M. Michel Savin. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; M. Michel Savin.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Opération barkhane : bilan et perspectives. – Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Mme Florence Parly, ministre des armées
Mme Nicole Duranton ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
M. André Guiol ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Michelle Gréaume ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Olivier Cadic ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Yannick Vaugrenard ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Gérard Longuet ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
M. Alain Marc ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
M. Guillaume Gontard ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Guillaume Gontard.
M. François Bonneau ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Mickaël Vallet ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
M. Hugues Saury ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Hélène Conway-Mouret ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
Mme Isabelle Raimond-Pavero ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
Mme Catherine Belrhiti ; Mme Florence Parly, ministre des armées.
M. Pascal Allizard ; Mme Florence Parly, ministre des armées ; M. Pascal Allizard.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
5. Mise au point au sujet d’un vote
6. Sécurisation de la procédure d’abrogation des cartes communales. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des affaires économiques
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
7. Mineurs non accompagnés. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains
Mme Éliane Assassi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Éliane Assassi.
Mme Élisabeth Doineau ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Hussein Bourgi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Alain Cadec ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Joël Guerriau ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Esther Benbassa ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Esther Benbassa.
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Nathalie Delattre ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Nathalie Delattre.
Mme Annick Jacquemet ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Mme Victoire Jasmin ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Gilbert Favreau ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Hussein Bourgi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Bernard Bonne ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Bernard Bonne.
M. Sébastien Meurant ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Sébastien Meurant.
Mme Laurence Muller-Bronn ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Stéphane Sautarel ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
8. Avenir de la métropole du Grand Paris – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains
M. Vincent Capo-Canellas ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Vincent Capo-Canellas.
M. Rémi Féraud ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Rémi Féraud.
M. Philippe Dallier ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Sophie Taillé-Polian.
M. Didier Rambaud ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean-Claude Requier ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Pascal Savoldelli ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Arnaud de Belenet ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Arnaud de Belenet.
M. Rachid Temal ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Rachid Temal.
M. Philippe Dominati ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Philippe Dominati ; Mme Jacqueline Gourault, ministre.
M. Vincent Éblé ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Philippe Pemezec ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Philippe Dominati ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Jean-Raymond Hugonet.
Mme Christine Lavarde ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Christine Lavarde.
M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains
Nomination d’un membre d’une commission
Nomination d’un membre d’un office parlementaire
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Victoire Jasmin,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 4 février 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidatures à une commission et à un office parlementaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires européennes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure.
3
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
violences intrafamiliales dans le cambrésis
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, auteur de la question n° 1498, transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Brigitte Lherbier. Mnsieur le ministre, depuis plusieurs semaines, les médias se font l’écho de la recrudescence des violences intrafamiliales. Le Cambrésis est l’un des arrondissements les plus touchés de la région des Hauts-de-France.
À la fin de leur première année d’activité, les acteurs de la commission d’arrondissement de lutte contre les violences intrafamiliales ont dressé un bilan inquiétant. Ils ont en effet observé une hausse du phénomène de 7 % à 8 % en un an. Ces violences, qui touchent les femmes, se répercutent presque systématiquement sur les enfants. Si le taux d’enfants protégés est de 2 % sur l’ensemble du territoire, il s’élève à 3 % dans le département du Nord, à 4 % dans le Cambrésis, et peut atteindre des proportions très inquiétantes dans certaines villes, comme Le Cateau-Cambrésis, où le taux bondit à 9 %, ou Caudry, qui est à 8 %.
Les acteurs de terrain constatent presque systématiquement que ces violences sur les enfants sont liées à l’alcoolisme de l’auteur. Ce problème s’est accru lors des confinements et les représentants des associations, les forces de l’ordre et les magistrats alertent régulièrement les pouvoirs publics sur la nécessité de prendre des mesures.
Des dispositifs existent pour prévenir la récidive. Le juge peut prononcer des injonctions de soins et soumettre l’individu à une cure de désintoxication pour lui permettre de rester libre. Sur le terrain, on constate que les structures existantes sont sous-dotées en agents du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si des recrutements supplémentaires sont envisagés pour suivre, surveiller ces individus violents, et les contraindre à s’éloigner de leurs familles tant qu’ils ne sont pas guéris et désintoxiqués ? Si l’on ne brise pas ce cycle de violence maintenant, l’avenir de ces enfants sera compromis.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser M. le garde des sceaux, qui a toute compétence sur cette question, et Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, qui sont retenus par ailleurs. Tous les deux me chargent de vous faire savoir que la lutte contre les violences intrafamiliales, dont les femmes et les enfants sont, en très grande majorité, les victimes, constitue une priorité absolue pour le Gouvernement.
Des actions fortes ont été entreprises à l’issue du Grenelle des violences conjugales, mais aussi face aux risques d’accroissement de ce phénomène, que vous avez soulignés, dans la période que nous vivons, avec les confinements qui se succèdent. Je veux parler notamment du dispositif d’alerte en pharmacie et du bracelet anti-rapprochement.
La prise en charge des auteurs de ces violences fait l’objet d’une attention particulière, aussi bien individuellement, dans le cas d’une mesure de soins imposée par le juge, que collectivement par les SPIP, dont je veux saluer l’action. En 2019, 34 % des SPIP ont mis en place au moins un stage de responsabilisation à destination des auteurs de violences conjugales. Ils développent aussi d’autres dispositifs, comme les stages de responsabilité parentale, ou le partenariat « Femmes, enfants, victimes de violences » au sein du SPIP de Cambrai, que vous avez mentionné.
À Cambrai est mise en œuvre une politique pénale dynamique en faveur de l’éviction des conjoints violents, avec des places d’hébergement réservées aux auteurs sans solution de relogement.
S’agissant des effectifs des SPIP, qui font l’objet de votre question, sachez que le département du Nord a bénéficié du renforcement de 6 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et de 9 agents non titulaires médico-sociaux l’an dernier. Sur le plan national, le concours pour 2021 prévoit 364 recrutements, dont 212 créations d’emploi, pour être très précis.
Par ailleurs, Adrien Taquet a annoncé à la fin de 2019, à l’occasion des trente ans de la convention internationale des droits de l’enfant, vingt-deux mesures d’un plan de lutte ambitieux contre les violences faites aux enfants, mobilisant chaque ministère.
Soyez vraiment assurée, madame la sénatrice, de notre très forte implication sur ce sujet. Je salue également la vôtre, que je connais bien.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.
Mme Brigitte Lherbier. J’ai choisi d’insister sur la question, monsieur le ministre, car l’an dernier, en zone gendarmerie, plus de 1 330 interventions liées aux violences intrafamiliales ont été recensées, ce qui représente une augmentation de 30 % par rapport à l’année 2019. Nous devons tous être solidaires pour enrayer cette montée en puissance.
gestion des maisons d’assistants maternels sur le territoire national
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero, auteur de la question n° 1153, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Monsieur le ministre, depuis leur institution par la loi n° 2010-625 du 9 juin 2010, les maisons d’assistants maternels (MAM) regroupent des assistants maternels agréés qui travaillent ensemble en dehors de leur domicile pour accueillir des enfants dans un local qui garantit leur sécurité et leur santé.
Ce projet collectif constitue une véritable solution de rechange pour plusieurs familles, offrant un accueil dans un territoire où il en manque.
L’article L. 424-1 du code de l’action sociale et des familles limite à quatre le nombre des assistants maternels pouvant accueillir des enfants au sein d’une MAM.
En fonction de leur agrément et de la capacité d’accueil du local, chacun peut prétendre à l’accueil de quatre enfants au maximum, soit seize mineurs, mais le texte ne précise pas si ce nombre doit être apprécié simultanément ou non.
Plus de quatre assistants maternels peuvent donc être agréés pour exercer au sein d’un même établissement, soit pour remplacer ponctuellement un collègue, soit de manière pérenne, pour permettre le travail à temps partiel.
Le texte rappelle que seuls les parents ont la capacité, en tant qu’employeurs, de procéder à un recrutement.
Cette délégation d’accueil, qui permet à l’un ou à plusieurs des membres de la MAM de prendre le relais de leur collègue absent, ne s’applique que dans la limite des places d’accueil mentionnée par leur agrément. Dans les faits, les capacités d’accueil sont généralement atteintes et l’intégration d’un nouvel assistant maternel en vue d’assurer les remplacements est très difficile.
Cette simultanéité ne permet donc pas, dans la plupart des cas, et pour la majorité des départements de France, d’attribuer un agrément à un cinquième assistant, même si sa présence ne devait être que ponctuelle, en l’absence d’un des quatre autres.
Ces différences d’application du texte suivant les départements soulèvent la question de la cohérence nationale et créent pour les publics concernés une insécurité juridique, ainsi que, pour les parents, une grande difficulté lorsqu’ils doivent pallier une absence parfois non programmée en raison, par exemple, d’un arrêt maladie.
Monsieur le ministre, en période de crise « covid », quelles pistes peuvent-elles être envisagées pour améliorer les possibilités de remplacement des assistants maternels dans le cadre des maisons d’assistants maternels ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser les absences d’Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, et de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie.
La question que vous posez est très importante. Les complexités que vous soulevez sont réelles. Nous en avons bien conscience. Elles découlent des difficultés d’application et d’interprétation de la législation relative aux assistants maternels, sources de trop nombreuses disparités locales, pour ainsi dire, mais vous connaissez bien le sujet.
C’est pourquoi le Gouvernement a engagé, depuis deux ans, une réforme du cadre normatif des modes d’accueil du jeune enfant et des services aux familles, dont les mesures vont répondre à ce type de difficultés par la simplification, la mise en cohérence, la recherche d’une plus grande sécurité juridique pour les professionnels comme pour les collectivités, qui sont très impliquées.
La première étape de cette réforme passera par une ordonnance prise en application de l’article 99 de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui sera publiée très prochainement et qui, notamment, modernisera, simplifiera et clarifiera le cadre législatif du métier d’assistant maternel.
Répondant à votre question, ce texte précisera ainsi le nombre d’assistants maternels agréés pour travailler dans une MAM. Ce nombre sera au maximum de six, dont quatre seulement pourront travailler simultanément, afin de maintenir un collectif professionnel de taille restreinte, tout en permettant des remplacements ou une meilleure amplitude d’ouverture.
Dans le sillage de la récente jurisprudence administrative, l’ordonnance tend à réviser les règles fixant le nombre maximal d’enfants qu’un assistant maternel peut accueillir en sa qualité professionnelle. Elle confirme que ce nombre est de quatre enfants, quel que soit le lieu d’exercice. Enfin, elle autorisera les assistants maternels à pouvoir accueillir un enfant en plus du nombre d’enfants fixé dans l’agrément, dans la limite de 50 heures par mois et dans le respect d’un plafond de quatre enfants de moins de 3 ans, pour parer aux situations exceptionnelles.
Il sera, par conséquent, proposé de porter à vingt enfants la capacité maximale d’une MAM pour remédier aux situations où les quatre assistants maternels qui y travaillent utiliseraient simultanément leur « place en plus », dans le cadre que je viens d’évoquer, afin de faciliter les remplacements, les départs en formation et les accueils en urgence.
Cette mesure contribuera ainsi à limiter les situations que vous décrivez, et qui nous préoccupent pleinement. Soyez assurée de notre mobilisation, et notamment de celle de notre secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero, pour la réplique.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous sommes au cœur d’une crise inédite, qui nécessite un assouplissement des législations en vigueur, surtout dans ce type de situations.
recrutement de médecins hors pays de l’union européenne
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 1425, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le ministre, l’accès aux soins ne cesse de se dégrader dans notre pays. Ainsi, en 2019, près de 5,5 millions de nos concitoyens n’avaient pas accès à un médecin traitant.
Cette pénurie, encore aggravée par les départs en retraite massifs, est particulièrement ressentie dans les territoires ruraux ou périurbains, notamment dans le département de l’Ardèche, où je suis élu.
Face au désarroi des habitants privés d’accès aux soins, les élus locaux se mobilisent pour imaginer des solutions innovantes.
L’une d’entre elles consiste en l’ouverture de centres de santé municipaux agréés par l’agence régionale de santé (ARS). Malheureusement, les médecins français faisant défaut, leur fonctionnement nécessite le recrutement de praticiens étrangers répondant, bien entendu, aux qualifications prévues par le code de la santé publique. C’est le cas, notamment, dans la commune de Saint-Julien-en-Saint-Alban.
C’est d’ailleurs ainsi que les hôpitaux règlent leurs propres problèmes de recrutement, en conférant le droit à un médecin titulaire français d’accepter qu’un confrère étranger pratique en son nom, sous son numéro au répertoire partagé des professionnels de santé. Ce système permet ainsi aux médecins concernés de passer l’examen d’équivalence, augmentant à terme le nombre de praticiens en France.
Hélas, ce qui est possible à l’hôpital ne l’est plus, monsieur le ministre, dans un centre de santé pourtant agréé par l’ARS, je le rappelle. En effet, un médecin étranger ne peut y exercer en tant que généraliste, et ce à cause des dispositions du décret du 7 août 2020.
Ma question est donc simple : allez-vous aligner les mesures d’exercice des médecins étrangers en centre de santé sur le régime en vigueur à l’hôpital, levant ainsi un obstacle incompréhensible ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence d’Olivier Véran, qui m’a chargé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
Vous interrogez le Gouvernement sur les mesures d’exercice, en centre de santé, des médecins internationaux ou titulaires d’un diplôme obtenu à l’étranger.
Le recrutement de praticiens titulaires d’un diplôme obtenu dans un pays n’appartenant ni à l’Union européenne ni à l’Espace économique européen – ceux que l’on appelle les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), comme vous le savez –, pour exercer en centre de santé, pourra toujours s’effectuer dès lors que, d’une part, le praticien aura satisfait à l’une des deux procédures d’autorisation d’exercice, à savoir le concours annuel de la liste A ou le dispositif dit « stock », et, d’autre part, qu’il aura obtenu le plein exercice par son inscription au tableau de l’ordre des médecins.
C’est pour sécuriser et faciliter ces recrutements que la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a réformé le mode de recrutement de ces professionnels, par le concours de la liste A ou par le dispositif dérogatoire et transitoire d’examen des compétences, tel qu’il est prévu par le décret dit « stock » d’août 2020, que vous avez cité.
Ces deux voies d’accès au plein exercice prévoient que les Padhue effectuent au préalable des fonctions probatoires, soit au sein de services agréés pour la formation des étudiants en troisième cycle des études de médecine, soit sur un poste répondant à des conditions strictes d’encadrement par un praticien senior titulaire de la spécialité dont ils relèvent.
Un centre de santé agréé par l’ARS pourrait répondre à ces critères et accueillir un professionnel, y compris en période probatoire. Ces lieux de stage dédiés sont destinés à apporter les garanties indispensables en matière de sécurité de notre offre de soins et de prise en charge des patients. Ils visent aussi à préserver le caractère formateur de ces fonctions probatoires devant conduire au plein exercice, dans la logique du compagnonnage qui demeure essentielle dans la transmission et la vérification des compétences de soins.
En tout état de cause, à l’issue de son parcours, ces professionnels, dotés du plein exercice et inscrits au tableau de l’ordre, pourront être recrutés par un centre de santé. J’espère ainsi avoir répondu à votre question, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse. J’y insiste, le décret d’août 2020 est encore, selon nous, trop rigide, et ne permet pas le parallélisme des formes. Nous voudrions que le Gouvernement travaille sur cette question pour y répondre véritablement et apporter des solutions très concrètes, pragmatiques, à ceux de nos territoires, notamment ruraux, qui font face à une problématique ayant, malheureusement, de lourdes conséquences sur la population, singulièrement dans la période de crise sanitaire que nous vivons.
revalorisation du statut du personnel des services de soins à domicile
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, auteur de la question n° 1405, transmise à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, ma question concerne les problèmes de recrutement que rencontrent les Ssiad, services de soins infirmiers à domicile, en Isère et au-delà.
Les professionnels de santé qu’ils réunissent assurent à domicile des prestations qui contribuent à prévenir la perte d’autonomie, à limiter les incapacités et à lutter contre l’isolement, ainsi qu’à retarder l’admission dans des établissements sociaux et médico-sociaux.
Comme vous le savez, leur action est essentielle à la vie quotidienne des personnes âgées et handicapées.
Malheureusement, du fait du manque d’attractivité de la profession, certains Ssiad, depuis quelques années, ne peuvent plus répondre au manque criant de personnel et voient, de fait, leur taux d’activité baisser.
Ma question vise donc à souligner la nécessité de valoriser le statut du personnel des Ssiad en procédant à une revalorisation salariale, qui est un des paramètres de cet enjeu.
La création de la cinquième branche est porteuse de promesses, notamment pour la vie et le parcours auxquels peuvent aspirer les personnes en perte d’autonomie et les personnes handicapées. Nous avions néanmoins souligné au Sénat la faiblesse des financements de cette branche.
Monsieur le ministre, le nombre de personnes dépendantes à domicile en France ne cessant de croître, merci de m’indiquer, sept mois après la création de la cinquième branche, comment les actions se sont déclinées sur le terrain. Comment envisagez-vous de rendre plus attractive cette profession et de soutenir effectivement et activement les Ssiad, qui sont de plus en plus fragilisés ?
Je vous remercie de bien vouloir aussi nous indiquer où en est le travail que M. Laforcade doit effectuer sur le sujet, comme l’avait annoncé Mme la ministre Brigitte Bourguignon le 2 décembre dernier.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, mais vous savez pourquoi elle est retenue.
Vous avez rappelé l’importance du travail des infirmiers et aides-soignants exerçant au sein des services de soins infirmiers à domicile, les Ssiad, et je vous en remercie au nom du Gouvernement. Ces professionnels constituent un maillon essentiel des soins dits ambulatoires et du soutien à l’autonomie de nos concitoyens.
Comme vous le savez, l’accord que le Gouvernement a signé avec les partenaires sociaux, le 13 juillet dernier, vise explicitement les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics. Il a également vocation à s’appliquer dans les mêmes types d’établissements relevant du secteur privé. C’est pour ces professionnels de santé qu’une action immédiate était requise, selon l’accord prévu avec les organisations. Cela s’est traduit par une revalorisation « socle » des rémunérations de 183 euros nets par mois.
Si les partenaires du Ségur de la santé ont souhaité une mise en œuvre prioritaire pour les Ehpad, la question des établissements sociaux et médico-sociaux a bien été abordée, et, avec elle, la situation des personnels des Ssiad. Le Gouvernement souhaite en effet éviter que des écarts de rémunération trop importants ne se creusent entre professionnels à la suite de cette revalorisation ambitieuse, tout en gardant à l’esprit la nécessité d’y consacrer un temps d’expertise complémentaire au regard du champ à couvrir.
L’accord du 13 juillet mentionne qu’« un travail spécifique devra être conduit sur la situation particulière des agents et des salariés des établissements et services médico-sociaux ». Dans cette optique, M. le Premier ministre a confié, le 16 novembre dernier, à M. Michel Laforcade, une mission sur l’attractivité des métiers de l’autonomie, afin de réaliser, d’ici à la fin mars, l’expertise nécessaire à une prise de décision éclairée, avec une mise en œuvre pluriannuelle à compter de 2021.
Au-delà de ces éléments, il est nécessaire de préciser que les salariés et agents des établissements et services concernés bénéficieront, quel que soit l’établissement employeur, des revalorisations consécutives à la refonte des grilles de rémunération des personnels paramédicaux, comme les infirmiers, les aides-soignants, et des filières rééducation et médicotechnique, qui a été engagée pour mieux prendre en compte les spécificités et les contraintes de ces métiers. Cette refonte interviendra dès cette année.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, c’est vrai, sous le quinquennat du président Macron, il y a déjà eu deux rapports, dont un de Mme El Khomri, sur la création de la cinquième branche. J’écoutais ce matin l’ancien ministre Nicolas Hulot, qui mettait en garde contre l’écart observé entre les intentions, les déclarations, et les réalités du terrain. Celles-ci sont ce qu’elles sont aujourd’hui : les agents des Ssiad sont extrêmement impliqués, et il serait dommage de ne pas les écouter. Soyons donc au rendez-vous qu’ils appellent de leurs vœux. Le « quoi qu’il en coûte » ne vaut pas forcément que pour la crise sanitaire.
lutte contre la multiplication des « ruchers usines »
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1272, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Pascal Martin. Monsieur le ministre, ma question porte sur une pratique tendant à se généraliser sur le territoire national, à savoir la construction de ruchers industriels, dits « ruchers usines ».
Cela consiste à implanter dans nos campagnes des ruchers pouvant atteindre 300 colonies d’abeilles, sélectionnées génétiquement et destinées à produire de la gelée royale. Or les effets de ces « ruchers usines » sur l’environnement pourraient s’avérer désastreux.
En effet, le nombre impressionnant d’individus, estimé à plus de 20 millions, la densité de ruches au kilomètre carré et la prépondérance de l’espèce hybride dans le milieu monopolisent l’intégralité des ressources en pollen et nectar dans un rayon de 3 kilomètres, soit 2 800 hectares.
Les espèces sauvages, les ruchers amateurs, ainsi que les professionnels du miel sont directement menacés par la disparition inéluctable des pollinisateurs.
Les abeilles exploitées industriellement ont été obtenues par croisement entre des souches exotiques chinoises et libyennes. Elles ont été ainsi optimisées afin de produire un maximum de gelée royale. Cependant, elles ne produisent pas suffisamment de miel à stocker, de sorte qu’elles dépendent entièrement de l’assistance humaine pour leur subsistance. Il faut savoir qu’une ruche est alimentée par 70 kilogrammes de sucre bio.
Ces colonies d’abeilles artificielles produisent de faux bourdons qui vont féconder et transmettre leurs caractéristiques génétiques aux colonies sauvages et domestiques dans un rayon de 15 kilomètres. Les espèces endémiques, et notamment l’abeille noire, pourraient ainsi disparaître et surtout s’avérer moins autonomes, car devenues, après croisement, incapables à leur tour de s’alimenter par elles-mêmes. Ce rayon de 15 kilomètres concerne seulement la première fécondation de reines et a vocation à s’étendre d’année en année, prenant appui sur la dissémination dans la nature des espèces hybrides.
Diminuer la capacité de survie des abeilles, directement ou indirectement, contribue à diminuer la pollinisation, qui est vitale pour les productions agricoles comme pour l’ensemble de la biodiversité. Monsieur le ministre, quelle est votre position et quelles sont les actions que vous souhaitez engager pour interdire l’exploitation de ces « ruchers usines » ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Pascal Martin, le sujet que vous mettez en avant est très important. Il faut en effet savoir concilier les modes d’élevage ou de culture sans qu’ils viennent se nuire les uns les autres ou impacter la biodiversité dans son ensemble.
Toutefois, je ne suis pas sûr que la solution soit d’interdire les « ruchers usines ». En fait, ils existent depuis la fin des années 1960 et ils sont majoritairement gérés par des apiculteurs de très bon niveau, performants dans la conduite apicole et connaissant très bien leur métier.
On compte aujourd’hui à peu près 125 apiculteurs exerçant cette activité, répartis sur le territoire national, 80 % de ces exploitations étant organisées au sein du groupement des producteurs de gelée royale (GPGR) pour promouvoir la filière, notamment face aux importations, puisqu’elle est très largement déficitaire. En effet, nous produisons à peu près 1 % de notre consommation nationale. À noter que 69 % de cette production est certifiée « Agriculture biologique » et que le nourrissement des colonies en production avec des sirops sucrés n’est pas autorisé, selon le cahier des charges du GPGR et la réglementation relative à l’agriculture biologique.
La taille du cheptel en production est aussi très variable, puisqu’elle peut aller de 1 à 120 colonies sédentaires, cet effectif variant en fonction du niveau d’investissement.
L’enjeu consiste effectivement à garantir le bon état de santé des colonies, la qualité et la quantité des productions, ainsi que le respect de l’écosystème tout autour.
Les professionnels du secteur, aujourd’hui, sont totalement animés par cette exigence de protection environnementale. Ils proposent des environnements adaptés, des ressources susceptibles de répondre à leurs objectifs et aux besoins de la taille de leurs ruchers. À l’instar des apiculteurs spécialisés en production de miel, qui sélectionnent génétiquement sur plusieurs centaines, voire des milliers de colonies des lignées capables d’atteindre leur but, il est assez normal que les producteurs de gelée royale utilisent eux aussi cette sélection d’espèces. C’est d’ailleurs propre à tout type d’élevage, quelle que soit sa structure.
Aujourd’hui, s’agissant du brassage génétique entre espèces et sous-espèces d’abeilles et de la notion de concurrence pour la ressource alimentaire,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Je termine, madame la présidente.
Je pense que ces questions ne sont pas spécifiquement liées à la présence de colonies produisant spécifiquement de la gelée royale, mais qu’elles concernent bien l’ensemble des espèces d’abeilles. Juste un chiffre pour terminer : on recense 62 445 apiculteurs pour 1,584 million de colonies, mais ils ne sont que 160 à être concernés par la gelée royale.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.
M. Pascal Martin. Je vous remercie, monsieur le ministre. Je voulais simplement insister sur l’inquiétude légitime d’une bonne partie de la filière apicole. À mes yeux, il conviendrait d’engager une étude environnementale sur les conséquences de la multiplication de ces « ruchers usines ». Enfin, il m’apparaît nécessaire de renforcer l’information des consommateurs.
situation des établissements d’abattage non agréés
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, auteur de la question n° 1348, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le ministre, ma question porte sur la révision, par la Commission européenne, du règlement (CE) n° 853/2004 du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.
Actuellement, les établissements d’abattage non agréés (EANA) sont autorisés, selon ce règlement, à abattre, découper et transformer les volailles, palmipèdes et lapins élevés sur l’exploitation dans des conditions strictes, notamment sur le plan sanitaire.
Or la Commission européenne souhaite réviser ce règlement et envisage de supprimer la dérogation au droit à découper et transformer les produits issus de ces établissements d’abattage.
En France, on recense environ 3 500 ateliers, dont 70 % font de la découpe et 40 % transforment les produits principalement pour les circuits courts. Ces emplois seraient menacés si jamais la Commission européenne décidait d’interdire ces établissements. Alors que ces structures sont déjà très lourdement encadrées par des règles économiques – interdiction de vente à certaines distances ou nombre maximal d’animaux abattables –, ainsi que des normes d’hygiène, cette évolution serait une catastrophe pour les exploitations qui n’ont pas les moyens d’investir dans un abattoir agréé.
Elle porterait atteinte à l’activité de nombreux petits éleveurs et freinerait le développement des circuits de proximité.
Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé à défendre les EANA afin de garantir la pérennité des ateliers concernés et de répondre à la demande croissante de nos concitoyens en produits locaux vendus en circuits courts. Pouvez-vous me dire si cette dérogation est maintenue, et, dans l’affirmative, jusqu’à quelle date ?
Mme la présidente. Monsieur le ministre, je sais que vous avez beaucoup de choses à partager quand il s’agit de questions relevant de votre domaine de compétences. Néanmoins, je vous invite à être synthétique. (Sourires.)
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, n’ayez crainte, la réponse sera très courte.
Monsieur le sénateur, je vous informe que l’activité de ces EANA va pouvoir se poursuivre. Pour moi, c’était absolument nécessaire. Ces abattoirs, vous l’avez dit, sont indispensables pour nos territoires. Personne n’aurait compris qu’ils ne puissent continuer leur activité.
Je ne vais pas entrer dans le détail, mais je vous indique que nous allons passer par un autre système que celui de la dérogation au règlement européen, telle qu’elle existe aujourd’hui, et dont vous avez parlé. Nous avons trouvé une autre solution technique pour permettre la poursuite de ces activités. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, ainsi qu’à plusieurs de vos collègues qui m’ont interrogé sur ce problème. D’ailleurs, on est déjà en février, et vous n’avez pas entendu parler d’arrêt de ces abattoirs.
J’en profite pour dire également que, dans le cadre du plan de relance, nous allons investir massivement, à hauteur de 130 millions d’euros, dans les abattoirs, y compris dans les abattoirs mobiles, ce qui peut intéresser beaucoup de territoires. Aussi, je lance un appel à toutes celles et tous ceux qui souhaitent promouvoir cette solution. Alors que des lignes de financement ont été ouvertes depuis le 1er janvier, nous n’avons reçu qu’un dossier d’abattoir mobile. Pourtant, dans tous mes déplacements, et j’en fais beaucoup, on m’en parle très souvent. Si vous entendez parler de projets de ce type, faites-les remonter, car on peut les financer. Je crois beaucoup aussi à ce type d’abattoirs, qui viennent en complément des EANA et des abattoirs traditionnels.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Michau. Merci, monsieur le ministre, de cette bonne nouvelle. J’espère que la durée de ces dérogations sera suffisamment importante pour amortir les investissements qu’ont réalisés ces producteurs.
avenir de l’arboretum national des barres
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, auteur de la question n° 1446, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Hugues Saury. Monsieur le ministre, à une centaine de kilomètres de Paris, dans mon département du Loiret, un trésor environnemental et patrimonial est menacé !
Répertorié au titre des jardins remarquables, l’arboretum national des Barres est un site exceptionnel. Sur près de 35 hectares et depuis plus de deux cents ans s’épanouit une collection sans équivalent d’arbres venus des cinq continents. Mais le domaine des Barres n’est pas seulement un joyau botanique : c’est également, depuis le XIXe siècle, un site d’intérêt scientifique, qui abrite aujourd’hui l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), un lieu d’enseignement supérieur spécialisé dans les formations forestières et environnementales, ainsi qu’un riche patrimoine architectural aujourd’hui délaissé.
Monsieur le ministre, le contrat d’objectif et de performance signé entre l’État et son gestionnaire, l’Office national des forêts (ONF), arrive aujourd’hui à son terme. Avec l’ensemble des élus de mon territoire, je suis particulièrement soucieux de l’avenir de l’arboretum des Barres.
Je me soucie, d’abord, des moyens financiers alloués à l’ONF, qui est chargé, dans le cadre d’une mission d’intérêt général, d’assurer la gestion des collections. L’entretien de ce trésor naturel a un coût, qui pèse sur la conservation du site.
Je me préoccupe, ensuite, du devenir du domaine des Barres. En 2018, l’ONF a mis un terme à sa mission d’accueil du public. Depuis lors, la communauté de communes Canaux et forêts en Gâtinais a pris le relais de l’ONF, avec le soutien financier des autres collectivités territoriales, afin de maintenir un service pédagogique et touristique minimal en ce lieu qui compte parmi les plus emblématiques du Loiret.
Enfin, mes inquiétudes portent sur l’aspect foncier du problème. Propriété du ministère de l’agriculture depuis 1964, le patrimoine bâti du domaine est pour sa plus grande partie laissé à l’abandon. L’absence d’entretien et les dégradations grandissantes sur l’ensemble immobilier en font un patrimoine en danger qu’il faut sauvegarder d’urgence.
Face au désengagement progressif sur ce site phare, unique en Europe, monsieur le ministre, je pose la question du positionnement de l’État sur l’avenir de l’arboretum national des Barres, plus particulièrement sous son aspect foncier.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Saury, je me suis rendu le 2 septembre dernier au lycée d’enseignement général et technique agricole Le Chesnoy, situé sur le domaine des Barres. Je voudrais à mon tour saluer la richesse et l’incroyable patrimoine naturel de ce site, dont j’ai alors eu l’occasion de mesurer toute l’importance.
J’ai donc demandé à mes services de réunir tous les acteurs présents sur ce site et de me proposer un plan d’action dont je veux ici vous présenter les grandes lignes. Je me tiens évidemment à votre disposition pour plus de précisions.
À l’issue de ce travail, nous avons décidé de reconduire l’ONF dans la mission d’intérêt général qu’il assure en faveur de l’arboretum, grâce à un financement issu du budget de mon ministère. Dans ce contexte, l’ONF continuera à entretenir l’arboretum en 2021 comme les années précédentes, étant entendu que la gestion de l’accueil du public de l’arboretum restera confiée à la communauté de communes Canaux et forêts en Gâtinais, conformément aux termes de la convention conclue en 2019.
Nous avons également décidé de remettre en gestion à l’ONF les parcelles boisées du site et de pérenniser les activités expérimentales de l’Inrae sur une partie d’entre elles.
Il nous a aussi paru nécessaire de clarifier et de valoriser l’occupation du domaine des Barres. Ainsi, j’ai demandé que la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) Centre-Val de Loire se rapproche sans délai du conseil régional pour entamer le transfert de propriété du lycée agricole et du terrain de football. Des questions de valorisation foncière se posent. À ce titre, une étude sera menée par les services de mon ministère sur la possibilité de vendre les diverses maisons laissées à l’abandon. Les produits de cession pourront être réinvestis sur le site.
Enfin, en liaison avec le responsable régional de la politique immobilière de l’État, une densification de l’occupation du château des Barres pourra être étudiée.
Je suis convaincu que ce plan d’ensemble vous démontrera clairement notre volonté affichée de prendre soin de ce beau domaine ; ce ne sont là que de premières pistes, que j’aurai plaisir, monsieur le sénateur, à partager avec vous plus en détail.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Merci pour ces informations et cette ébauche de plan d’ensemble, monsieur le ministre. L’État, en tant que propriétaire foncier du domaine, a aujourd’hui les clés du devenir de ce site. Je formule le vœu que des réunions se tiennent rapidement avec toutes les parties prenantes, afin d’éviter que ce domaine ne tombe à l’abandon et de sauver ses éléments patrimoniaux et architecturaux très importants.
prévention de nouvelles vagues d’influenza aviaire
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 1465, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, comme vous le savez, les éleveurs du Sud-Ouest affrontent une vague d’influenza aviaire hautement pathogène. Ils se trouvent une nouvelle fois confrontés à des mesures d’abattage massives et préventives.
Ils avaient pourtant entrepris depuis 2017 de lourds investissements de biosécurité, au prix d’un sévère endettement de leurs entreprises.
Au 1er février, 409 foyers d’influenza aviaire étaient recensés dans le Sud-Ouest ; 2 millions de canards ont été abattus de manière préventive. Nos éleveurs vivent un drame ! Monsieur le ministre, que leur proposez-vous ?
Certes, vous avez montré une réelle réactivité en matière d’indemnisations. Mais au-delà, pourquoi ne pas avoir travaillé à une modulation des abattages pour tenir compte de la diversité des formes d’élevages ?
Ces éleveurs craignent de devoir à nouveau consentir des investissements importants au titre de la biosécurité, ce qui rime avec plus d’endettement : que leur répondez-vous ? Ils craignent de ne plus pouvoir pratiquer demain l’élevage en plein air et de devoir appliquer la claustration : que leur garantissez-vous ?
Quand la crise sera derrière nous, il faudra aborder les sujets de la densité et de la circulation des élevages. Ne devrons-nous pas aussi, comme l’affirmait le professeur Jean-Luc Guérin au journal Sud Ouest, lever le tabou autour de la vaccination aviaire ?
Évidemment, nous ne faisons pas fi de la question de l’exportation. Monsieur le ministre, soyons clairs : je ne vous demande pas d’autoriser des campagnes de vaccination systématiques, mais de les permettre préventivement, dès que les signes de l’influenza aviaire seront détectés sur les couloirs de migrations.
Je renouvelle donc ma demande : envisagez-vous, pour l’avenir, dans le cadre de protocoles stricts, de recourir à des campagnes de vaccination préventive afin de protéger notre filière avicole de futures vagues d’influenza aviaire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Brisson, je voudrais d’abord, une nouvelle fois, rappeler que nous sommes – vous et nous – aux côtés de nos éleveurs qui subissent de nouveau une terrible épreuve. Vous l’avez dit : plus de 2 millions de palmipèdes ont dû être abattus pour limiter la propagation du virus de l’influenza aviaire. Rappelons que, si la forme d’influenza aujourd’hui présente sur notre territoire n’est pas transmissible à l’homme, elle est très fortement contagieuse entre les différentes espèces de palmipèdes et certaines volailles du genre Gallus.
Face à cela, trois réponses sont nécessaires. Premièrement, il faut continuer d’éteindre l’incendie ; c’est le but des abattages préventifs et de toutes les autres mesures sanitaires que nous prenons. Je voudrais à cet égard rendre hommage aux actions collectives des services de l’État, de la profession – le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog) mène un travail énorme avec nous –, des vétérinaires et de toutes celles et tous ceux qui accompagnent les éleveurs.
Deuxièmement, il faut accompagner financièrement les éleveurs, en indemnisant les mesures d’abattage ou, comme on dit, « de dépeuplement », mais aussi, dans un deuxième temps, les pertes d’exploitations très importantes qu’ils subissent en conséquence.
Troisièmement, il faut envisager la suite ; c’est le sens de votre question. On s’y prendra avec méthode, en réunissant toutes les parties prenantes. On sait bien qu’il y a des points importants à régler.
D’abord, ce n’est pas, selon moi, une question de modèle. Je crois beaucoup à l’élevage en plein air ; je pense, comme vous, que ce qui importe est plutôt la rapidité de la réponse quand le virus arrive. À ce titre, les dérogations offertes pour laisser les canards en plein air posent plus question que le modèle même.
Ensuite, j’estime qu’il ne doit pas y avoir de sujet tabou. Le vaccin, notamment, ne doit pas être tabou. En revanche, cette approche comporte des difficultés. Rappelons avant tout qu’il n’y a pas de vaccin homologué à ce jour ! L’homologation se fait d’ailleurs à l’échelle européenne. Par ailleurs, les services sanitaires et vétérinaires européens ne sont pas très favorables aux vaccins, car ils craignent les migrations de palmipèdes porteurs sains du virus ; on peut entendre cet argument, d’un point de vue vétérinaire. Enfin, certains pays n’acceptent pas l’importation de volailles vaccinées.
Il faut prendre tout cela en compte, mais cela ne doit pas nous empêcher d’ouvrir la réflexion. Je m’engage évidemment devant vous à traiter tous les sujets qui seront sur la table.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Merci de cette réponse circonstanciée, monsieur le ministre. Nous avons de nombreux points d’accord. Je crois en effet qu’il faut travailler sur la génétique et les souches résistantes, poser la question des densités et des circulations. Tous ces chantiers sont devant nous. En 2017, un protocole avait été signé ; il convient certainement de le repenser et de le retravailler au vu de cette troisième vague d’influenza aviaire, encore plus pathogène que les précédentes.
Quant à la vaccination, monsieur le ministre, vous dites qu’il n’y a pas de sujet tabou. Alors, ouvrez ce chantier ! Je crois d’ailleurs que M. le Premier ministre l’a annoncé à Mont-de-Marsan. Je ne vous demande pas une vaccination systématique, mais une vaccination d’alerte sur les couloirs de migration lorsque des foyers d’influenza aviaire sont révélés. Je crois que nous pouvons arriver à un accord ; la profession, sous toutes ses formes, y est prête aujourd’hui.
M. Julien Denormandie, ministre. Elle commence à bouger !
application des mesures du plan de filière de la presse d’information
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, auteur de la question n° 1455, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
M. Olivier Henno. Madame la secrétaire d’État, la situation économique de la presse est aujourd’hui préoccupante. Or, au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je ne peux que souligner combien la presse est essentielle à la démocratie ; je dirais même que sa bonne santé est un indice de la vitalité démocratique d’un pays. Les sites gratuits et autres blogs ne se substitueront jamais à l’indispensable pluralisme de la presse. Il est donc de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre des mesures pour éviter l’affaiblissement ou, plus grave, la disparition de certains titres emblématiques de la presse nationale ou régionale.
Voilà pourquoi je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la mise en place du crédit d’impôt pour les premiers abonnements à un journal d’information politique et générale, adopté dans le cadre de la loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020. Je me réjouis de l’adoption de cette mesure phare du plan de filière de la presse d’information, qui soutient la relance économique des entreprises de presse tout en répondant à la baisse du pouvoir d’achat des Français.
Sa mise en œuvre nécessite cependant d’en connaître les modalités précises. Quelle sera la définition retenue pour un premier abonnement ? Quelles modalités de justification devront être fournies aux abonnés par l’éditeur ? Les offres promotionnelles, dons, ou cadeaux seront-ils pris en compte ?
Les entreprises et éditeurs concernés attendent le décret censé préciser cette mesure, qui ne sera valable que jusqu’à la fin de 2022. Il semble donc particulièrement urgent de leur répondre et de définir au plus vite les modalités d’application de cette mesure.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le sénateur Henno, vous avez à juste titre appelé notre attention sur la mise en œuvre du crédit d’impôt au titre du premier abonnement à une publication d’information politique et générale adopté dans le cadre de la loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.
Ce crédit d’impôt répond à une préoccupation que nous partageons tous et que vous avez rappelée : soutenir la presse dans sa diversité et sa pluralité, qu’elle soit nationale ou régionale, cette dernière jouant un rôle absolument vital pour nos territoires. Nous savons tous combien notre presse joue un rôle essentiel d’information ; la crise sanitaire nous en fait prendre particulièrement conscience. La presse souffre depuis longtemps ; la crise n’a fait qu’aggraver ses difficultés financières.
La loi ainsi adoptée prévoit qu’ouvrent droit à un crédit d’impôt sur le revenu au taux de 30 % les sommes versées, jusqu’au 31 décembre 2022, par un contribuable domicilié en France, au titre du premier abonnement, pour une durée minimale de douze mois, à un journal, à une publication de périodicité au maximum trimestrielle, ou à un service de presse en ligne, lorsque ce journal, cette publication, ou ce service de presse en ligne présente le caractère de presse d’information politique et générale.
Ce crédit d’impôt s’applique aux versements effectués à compter d’une date fixée par décret. Ce décret sera pris après la réception par le Gouvernement de la réponse de la Commission européenne sur la légalité du dispositif en matière d’aides d’État. Le crédit d’impôt sera alors applicable pour les abonnements souscrits à compter de cette même date.
Une fois ce crédit d’impôt entré en vigueur, l’administration fiscale publiera dans les meilleurs délais une instruction qui apportera toutes les précisions nécessaires à la mise en place de ce dispositif.
Je tenais également à vous préciser que, afin de permettre aux professionnels du secteur d’anticiper la mise en œuvre de ce nouveau crédit d’impôt en cas de réponse favorable – comme nous l’espérons tous – de la Commission européenne, des précisions structurantes sur le dispositif envisagé leur ont d’ores et déjà été apportées par l’administration fiscale en réponse à leurs questions, sans attendre que la publication de l’instruction soit autorisée.
Comme vous, monsieur le sénateur, le Gouvernement souhaite se tenir aux côtés de la presse. C’était sa volonté lors de l’adoption de la loi de finances rectificative de juillet 2020 ; cette volonté reste inchangée.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.
M. Olivier Henno. C’est donc une préoccupation commune, madame la secrétaire d’État, qui nous anime en faveur de la presse. Je vous remercie donc de votre réponse. Nous sommes tous conscients de l’urgence de la situation économique de la presse. Je crois d’ailleurs que cette question se posera encore, malheureusement, après 2022. Il est donc essentiel de mettre en œuvre cette mesure et, me semble-t-il, de la pérenniser au-delà de cette année.
nouvelle définition des animaux immobilisés
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1253, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences pour la filière équine de dispositions comptables liées à l’activité agricole contenues dans le règlement de l’Autorité des normes comptables du 8 février 2019. Certains cabinets de gestion s’interrogent aujourd’hui sur cette nouvelle réforme comptable et, plus particulièrement, sur la nouvelle définition des biens vivants immobilisés.
Ces dispositions liées à l’activité agricole sont entrées en vigueur au 1er janvier 2021. Elles précisent : « Les biens vivants sont inscrits en immobilisations corporelles lorsqu’il devient certain ou quasi certain que ces biens seront destinés à rester durablement dans l’entité pour y être utilisés comme moyens de production. Lorsque la destination dans l’entité d’un bien vivant est incertaine, il est classé en stock. »
Dès lors, ne sont pas considérés comme des immobilisations les biens vivants dont la destination est exclusivement d’être vendus, ainsi que ceux dont la durée d’exploitation est inférieure à douze mois.
Si le fiscal devait suivre le comptable, cette nouvelle définition affecterait beaucoup de petits éleveurs vendeurs de chevaux et risquerait à terme de déstabiliser toute la filière équine et sa chaîne de production, de l’éleveur à l’utilisateur final.
Pourriez-vous donc nous préciser, madame la secrétaire d’État, ce qu’il en sera fiscalement pour les entreprises soumises au régime d’imposition des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux, ainsi que pour les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou à l’impôt sur les sociétés ayant une activité dans la filière équine ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Madame la sénatrice Loisier, vous interrogez le Gouvernement sur les conséquences fiscales de la nouvelle définition comptable des biens vivants immobilisés, en l’occurrence des chevaux.
Conformément aux dispositions du code général des impôts, pour la détermination des bénéfices agricoles, peuvent être considérés comme des immobilisations amortissables les équidés suivants : les animaux de trait ou affectés exclusivement à la reproduction, les chevaux de course mis à l’entraînement et les chevaux de concours soumis à un entraînement en vue de la compétition, âgés de 2 ans au moins au sens de la réglementation des courses. Tous les autres animaux, y compris ceux qui sont nés dans l’exploitation, sont obligatoirement compris dans les stocks.
Toutefois, pour répondre aux inquiétudes dont vous témoignez, et afin de prendre en compte la situation de la filière des chevaux de course et des chevaux de selle, la doctrine administrative a aménagé les conditions d’immobilisation de ces chevaux, ainsi que leur durée d’amortissement.
Ainsi, la doctrine fiscale précise que les exploitants agricoles soumis à un régime réel d’imposition, normal ou simplifié, sont autorisés à inscrire les chevaux en immobilisation dès la date de leur naissance, à la condition qu’ils soient destinés à la course ou à la selle et qu’ils soient non frappés d’inaptitude.
Cette règle d’inscription en immobilisation dès la date de naissance est étendue, lorsqu’ils relèvent d’un régime réel d’imposition, aux titulaires de bénéfices non commerciaux, aux titulaires de bénéfices industriels et commerciaux, ainsi qu’aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, lorsqu’ils sont propriétaires de chevaux destinés à la course ou à la selle, sous réserve toutefois, en matière de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et d’impôt sur les sociétés (IS), qu’un traitement identique soit appliqué sur le plan comptable.
Il résulte de ce qui précède que les exploitants titulaires de bénéfices agricoles ou de bénéfices non commerciaux peuvent inscrire en immobilisation les chevaux destinés à la course ou à la selle qui ne rempliraient pas les critères comptables fixés par le plan comptable général.
Il en va autrement pour les propriétaires relevant du régime des BIC ou passibles de l’IS, qui ne peuvent bénéficier de la règle d’inscription des chevaux dès leur date de naissance qu’à raison des chevaux qui sont inscrits à l’actif du bilan de l’entreprise, ce qui suppose qu’ils remplissent également les conditions résultant de la définition comptable des biens vivants immobilisés.
Ces clarifications sont certes techniques, mais je ne doute pas qu’elles contribuent à répondre à la question que vous avez soulevée ; j’espère sincèrement qu’elles seront de nature à rassurer l’ensemble de la filière équine, des vendeurs aux éleveurs, en passant par les investisseurs, dans cette période de crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, et j’en profite pour saluer l’attention que vous portez à cette filière, qui s’appuie sur une structuration de l’élevage sur tous nos territoires et réalise un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards d’euros, dont près de 800 millions d’euros viennent chaque année abonder les caisses de l’État. C’est dire combien cette activité est importante tant pour les territoires que pour l’État ! J’analyserai précisément les aspects de votre réponse qui concernent les BIC et l’IS, mais je vous remercie d’ores et déjà pour votre attention et votre ouverture.
renouvellement de l’agrément des associations de protection de l’environnement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 1166, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la secrétaire d’État, l’article L. 141-1 du code de l’environnement permet aux associations exerçant des missions statutaires de protection de la nature et de l’environnement de demander à l’autorité administrative compétente la délivrance d’un agrément portant reconnaissance de leur expertise en matière environnementale. Le renouvellement de cet agrément, valable cinq ans, intervient près de six mois avant son échéance.
C’est ainsi que, dans la région Grand Est, la fédération lorraine d’associations de protection de la nature et de l’environnement Lorraine Nature Environnement, avait reçu, avant la fusion des régions de 2016, un agrément sur l’ensemble du territoire régional lorrain. Au lendemain de la réforme de 2016, elle avait obtenu un agrément interdépartemental pour les quatre départements lorrains. L’agrément délivré en 2018 était ainsi encadré : « Arrêté portant agrément, dans le cadre régional limité aux départements de la Meurthe-et-Moselle, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges ».
Mais il s’agissait là d’une mesure transitoire, accordée à titre dérogatoire. C’est pourquoi cette fédération s’inquiète quant à sa pérennisation potentielle et à la possibilité de renouvellement de son agrément régional en 2023, agrément auquel elle pourrait pourtant prétendre, après quatre ans d’existence, sur le territoire de la région Grand Est.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous éclairer la représentation nationale sur les règles de délivrance de l’agrément de protection de l’environnement aux associations de protection de la nature et de l’environnement, notamment lorsque leur demande porte sur plusieurs départements au sein d’une même région ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mizzon, vous nous interrogez sur les règles de délivrance d’un agrément pour les associations de protection de l’environnement sur un territoire régional. En effet, le territoire interdépartemental n’existe plus, ce qui a suscité les inquiétudes de l’association Lorraine Nature Environnement.
Permettez-moi tout d’abord de vous dire toute la reconnaissance que nous avons pour ces associations qui font un travail de terrain. Leur réseau est extrêmement précieux en matière d’alerte, de vigilance et de suivi de toutes nos dispositions environnementales.
Le cadre juridique doit permettre de sécuriser les activités de ces associations à l’échelle territoriale et non constituer un frein à leur action.
La circulaire du 14 mai 2012 relative à l’agrément des associations au titre de la protection de l’environnement apporte un éclairage ; il est précisé à l’article R. 141-3 du code de l’environnement que le cadre territorial simplifié dans lequel l’agrément peut être accordé est « fonction du champ géographique où l’association exerce effectivement son activité statutaire ».
Dans le cas de Lorraine Nature Environnement, si l’association intervient bien à l’échelle régionale, un agrément régional doit pouvoir lui être accordé, même si l’activité de l’association ne recouvre pas l’ensemble du cadre territorial pour lequel l’association sollicite l’agrément. Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir sur ce point.
Concernant la procédure de renouvellement proprement dite, la circulaire du 14 mai 2012 prévoit que les associations agréées dans un cadre interdépartemental conservent cet agrément jusqu’à son expiration. Elles peuvent ensuite demander la modification du cadre territorial de leur agrément.
Dans ce cas, il convient d’appliquer les règles relatives au renouvellement habituel, notamment pour ce qui concerne le délai de présentation de la demande et la composition du bureau. Les services du ministère de la transition écologique se tiendront naturellement à disposition de cette association s’il reste des points sur lesquels les rassurer ; a priori, nous ne remarquons pas de difficultés particulières au regard de ce renouvellement élargi à l’ensemble de la région Grand Est.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Je partage votre appréciation de l’utilité de ces associations, madame la secrétaire d’État, et je me félicite que vous conserviez celles qui ont un passé – et non un passif ! (Sourires.) – et une expérience dans ce domaine. Il était, me semble-t-il, important de le dire et de le répéter. Merci beaucoup !
nouveau plan de prévention du bruit dans l’environnement de l’aéroport d’orly
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon, auteur de la question n° 1489, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Christian Cambon. Madame la secrétaire d’État, je voulais, par cette question, faire part à M. le ministre des transports de la grande émotion ressentie dans trois départements de la banlieue parisienne lorsqu’est parue une nouvelle édition du plan d’exposition au bruit (PEB) censé protéger les riverains autour de l’aéroport d’Orly.
En effet, la zone concernée par ce plan, qui était jusqu’alors de 3 000 hectares, passerait brusquement et sans concertation à 8 000 hectares, d’Ozoir-la-Ferrière jusqu’à Limours. On voit bien le tracé de l’extension invraisemblable qui a été proposée ! (M. Christian Cambon brandit une carte pour illustrer son propos.)
On s’interroge donc tout naturellement sur les causes d’une telle proposition. Rien n’a changé dans l’exploitation de l’aéroport d’Orly, dont l’activité annuelle reste autour de 260 000 mouvements, répartis sur un créneau horaire d’allant de 6 heures à 23 heures. Par ailleurs, tout le monde sait que les technologies nouvelles permettent aux avions de faire de moins en moins de bruit.
En revanche, une extension aussi disproportionnée du PEB entraînerait des effets négatifs particulièrement graves pour les communes concernées. Je pense, bien sûr, à de nouvelles contraintes d’urbanisme allant jusqu’à des interdictions de construire, ce qui entraîne une perte massive des valeurs immobilières et une dévaluation considérable du patrimoine immobilier des propriétaires concernés. Je vous mets au défi de vendre dorénavant un pavillon que vous détiendriez dans ces communes ! À terme, on peut donc redouter une paupérisation et une perte de plusieurs milliers d’habitants pour des villes comme Valenton ou Villeneuve-Saint-Georges.
Des problèmes se poseront aussi pour l’aménagement des gares : de nouveaux réseaux de circulation par métro doivent être inaugurés, mais on ne pourra pas construire autour des stations, ou du moins les conditions de construction seront beaucoup plus difficiles. Le renouvellement urbain et la réduction des friches, si nombreuses dans des villes qui ont besoin de se développer de nouveau, risquent ainsi d’être mis en difficulté.
L’État est en l’occurrence particulièrement schizophrène, puisqu’il passe son temps à pénaliser toutes les communes qui ne construisent pas assez, tout en leur interdisant de construire par de telles mesures. Une nouvelle fois, on nage en plein bonheur !
Rappelons enfin que la commission consultative de l’environnement de cet aéroport a émis à l’unanimité un avis défavorable à cette extension ; tous les élus concernés se sont exprimés successivement pour expliquer leur avis négatif.
Madame la secrétaire d’État, cette extension du PEB va-t-elle être retirée ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Cambon, vous interpellez le Gouvernement sur la protection des riverains aux abords des aéroports. Elle représente une priorité pour le Gouvernement, avec la lutte contre les nuisances sonores et, plus largement, la santé environnementale. Ce souci s’exprime dans les plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) des aéroports.
Afin d’atteindre cet objectif, le projet d’un nouveau plan de prévention couvrant une période allant jusqu’en 2023 repose sur une trentaine de mesures. Certaines d’entre elles visent à poursuivre des actions déjà entamées ; d’autres, plus innovantes, répondent à des demandes formulées par des élus ou des riverains de ces territoires.
Je tiens notamment à évoquer à ce titre la révision de la classification des aéronefs en groupes acoustiques pour permettre de moduler certaines redevances, révision qui vise justement à inciter les compagnies au renouvellement de leur flotte pour la rendre plus performante sur le plan environnemental. On peut aussi citer des mesures d’amélioration du dispositif d’aide à l’insonorisation des logements, différentes études préalables à des modifications de procédures de navigation aérienne autour de la plateforme visant à réduire leur impact acoustique, ou encore la réalisation d’une étude d’impact préalable à l’introduction d’éventuelles nouvelles restrictions d’exploitation sur la plateforme, notamment des restrictions pour les avions les plus bruyants en limite de nuit. Cette étude est d’ailleurs d’ores et déjà en cours de réalisation sous le pilotage de la direction générale de l’aviation civile (DGAC).
Le projet de plan intègre aussi une préconisation de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires : restaurer une zone C et une zone D au plan d’exposition au bruit, zones qui, de façon dérogatoire, n’existent plus dans le PPBE d’Orly, ce qui peut réduire sa capacité à protéger les riverains des nuisances sonores. Les impacts d’une telle mesure doivent être mesurés en concertation étroite avec les collectivités concernées. Le ministre des transports a ainsi demandé aux préfets de l’Essonne et du Val-de-Marne de mener une étude d’impact sur l’éventuelle intégration de ces zones.
Je souligne enfin que le PPBE de l’aéroport de Paris-Orly n’est à ce stade pas arrêté : il s’agit d’un projet, pour lequel la concertation n’a fait que débuter dans le cadre de la commission consultative de l’environnement de Paris-Orly. Ce projet de PPBE peut donc encore évoluer.
Je ne peux enfin m’empêcher de penser que ces mesures représentent aussi une forme de valorisation de ces territoires, en les préservant le plus possible de ces nuisances.
réglementation environnementale et situation de l’entreprise sermeta à morlaix
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 1448, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la secrétaire d’État, lors d’une conférence de presse le 24 novembre dernier, Mme la ministre de la transition écologique a dressé les grandes lignes de la future réglementation des logements neufs. Ma question porte précisément sur la fin de l’utilisation du gaz pour ces logements, qui compte parmi les mesures annoncées pour tenir nos engagements en matière de décarbonation.
À Morlaix, une entreprise française, la Sermeta, leader mondial de la production d’échangeurs thermiques et de brûleurs à gaz pour chaudières domestiques et industrielles, vient de suspendre, à la suite de cette annonce, ses investissements supplémentaires à hauteur de 10 millions d’euros, ainsi que le développement de son activité.
Je m’interroge sur la pertinence et la précipitation de ces nouvelles mesures !
La réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles constitue pour nous l’horizon à atteindre ; tel est d’ailleurs l’objet de la stratégie de recherche et développement (R&D) de nombreux industriels, dont la Sermeta.
Je tiens devant vous un brûleur à gaz unique au monde, compatible à l’ajout d’hydrogène. (M. Jean-Luc Fichet montre un objet métallique.) Demain, des chaudières pourront fonctionner à 100 % à l’hydrogène, ce n’est pas une fiction ! Quelque 200 sites injectent déjà du biogaz ou du gaz vert dans le réseau, et 1 100 autres sont en cours d’instruction.
Cela étant dit, pourquoi se fragiliser et se couper d’un de nos deux modes de transport et de distribution d’énergie pour le logement neuf ? Pourquoi dépendre uniquement de l’énergie nucléaire ?
Pourquoi tout miser sur les pompes à chaleur qui nécessitent un appoint de chauffage au bois ? Les pièces constitutives de ces pompes proviennent, pour 95 % d’entre elles, d’Asie du Sud, et feront demain l’objet de subventions de l’État français.
Il conviendrait d’accompagner massivement nos entreprises qui mettent au point des solutions alternatives, plutôt que de stopper leurs investissements !
Enfin, allez-vous vous revenir sur la réglementation environnementale, dite RE 2020, et laisser le temps aux entreprises du secteur d’innover en matière de gaz alternatif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Fichet, le projet de RE 2020, qui a été présenté à la fin de l’année dernière avant mise en consultation, constitue une avancée environnementale importante pour le secteur de la construction. Au-delà du prolongement des efforts sur la sobriété et l’efficacité énergétiques, la RE 2020 intègre une dimension climatique, sous la forme d’une exigence relative à l’impact de l’utilisation et de la construction du bâtiment sur le climat.
Les exigences incluses dans la RE 2020 sont cohérentes avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), notamment en ce qui concerne la décarbonation de la chaleur dans les bâtiments. Or la trajectoire sur laquelle s’appuie la SNBC se fonde sur une part de logements chauffés au gaz en 2050 inférieure à 15 % pour atteindre la neutralité carbone.
Le potentiel de production de gaz totalement décarboné, bien qu’important, est limité et doit être utilisé à bon escient, en priorité vers les secteurs les plus difficiles à décarboner. Pour atteindre ces objectifs, il est important d’inverser la tendance actuelle ; je sais que vous partagez cette ambition.
L’impact immédiat de la RE 2020 sur la filière du gaz est toutefois à relativiser. La majorité du marché des chaudières au gaz est destinée à la rénovation du parc existant : plus de 70 % des ventes de chaudières à gaz individuelles sont à destination de logements existants, non visés par la RE 2020. En 2021, seront concernées uniquement les maisons individuelles neuves, dont seulement 21 % sont aujourd’hui équipées au gaz. Les logements collectifs neufs, pour 74 % d’entre eux, sont actuellement équipés au gaz, et ne seront réellement contraints qu’à compter de 2024.
Toutes les solutions impliquant l’utilisation du gaz ne sont pas exclues : des dispositifs hybrides, tels que les pompes à chaleur hybride au gaz, couplées au besoin à des panneaux solaires, pourront passer les seuils d’émission de gaz à effet de serre si elles sont performantes. Ces dispositifs sont autant de réponses qui ne doivent pas inquiéter cette filière.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Vous ne répondez pas vraiment à ma question, madame la secrétaire d’État, car je vous parlais précisément de la recherche et du développement qui sont en cours, et de la mise au point d’une combustion à l’hydrogène pour demain.
Pourquoi utiliser seulement l’électricité parmi les énergies disponibles – et donc dépendre des centrales nucléaires en amont –, alors que nous ne sommes pas aujourd’hui capables de répondre à la demande ? On l’a vu cet hiver : il a fallu inviter les particuliers et les entreprises à réduire leur consommation !
Votre réponse me satisfait d’autant moins que je parle de la réalité d’une entreprise qui est une référence mondiale et pour qui le travail et les investissements sont importants !
contournement d’arles
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, auteur de la question n° 1473, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Guy Benarroche. Madame la secrétaire d’État, il y a plus de vingt-cinq ans, à l’époque où la biodiversité était une lubie de fantasques écolos, et où l’on pensait à fermer des lignes ferroviaires pour mettre le fret sur la route, le contournement routier d’Arles avait donné lieu à l’étude de sept trajets, afin de décharger la route nationale 113 de son flot déjà important de camions, lesquels représentaient 20 % du trafic.
Parmi les trajets envisagés, le tracé V 6, n’avait pas fait l’objet de concertation, étant, selon le rapport Astier de 1996, « très destructeur […], en tout état de cause il s’agit d’une variante à abandonner ». Quelques années plus tard, le rapport Duron, demandé par le Gouvernement, a repoussé ce projet non prioritaire à 2038. Ce dernier réapparaît en 2019, avec le tracé V 6 pour seul trajet envisagé.
Ce projet a déjà déclassé une partie du Parc naturel régional de Camargue. Au-delà, l’atteinte porterait sur des zones Natura 2000, des zones humides importantes, des terres agricoles et des rizières, mais aussi sur les 50 hectares de foin de Crau, seule appellation d’origine contrôlée (AOC) existant pour le foin… Ces impacts sur la biodiversité seraient très dommageables et irréversibles !
Une concertation publique, lancée à quelques jours des fêtes de fin d’année, a présenté au public le tracé V 6 comme étant la seule modalité de contournement, réussissant par là même l’exploit de liguer contre lui fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), environnementalistes, éleveurs de taureaux et de chevaux, riziculteurs, chambre d’agriculture, défenseurs de la nature, scientifiques et écologistes !
Nous nous battons d’autant plus contre ce projet qu’il va à l’encontre de la nécessité actuelle de penser autrement les mobilités en dehors du « tout route » et du « tout camion ».
Alors que la France s’est engagée dans une stratégie bas-carbone, la mise en place de ce contournement provoquera une augmentation du trafic de camions récupérant les marchandises qui arrivent au grand port maritime de Marseille. En comparant le trafic à l’horizon de 2028, l’accroissement serait ainsi de l’ordre de 1 100 véhicules par jour. Le projet de concertation n’étudie même pas une possibilité de report du fret routier sur le fret ferroviaire !
Comment justifiez-vous que la seule solution envisagée soit aussi la seule qui n’ait pas été présentée à la concertation publique, alors qu’elle est la plus écocide et présente le coût le plus élevé ?
Comment expliquez-vous l’intégration d’un tel projet « tout route » dans la politique ambitieuse de transports que prétend défendre le Gouvernement, pour faire face à l’urgence environnementale et à la crise climatique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Benarroche, vous interrogez le Gouvernement à propos du projet de contournement autoroutier d’Arles, sur lequel une nouvelle concertation s’est achevée au terme de deux mois de dialogue.
Le projet a pour objectif, à la fois, d’assurer le dernier maillon de la continuité autoroutière entre l’Espagne et l’Italie, et de délester la ville d’Arles d’un trafic intense. En répondant à ces enjeux, il vise à améliorer le cadre de vie des riverains, la sécurité routière et le développement économique local sur un territoire aux enjeux environnementaux absolument incontestables.
Il a d’ailleurs été réaffirmé dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure sur le volet « infrastructures » ; je profite de ma réponse pour vous signifier de nouveau toute ma préoccupation à l’égard de l’impact environnemental de ces infrastructures.
Depuis deux ans, l’État a engagé la remise à niveau des études et des analyses qui avaient conduit à retenir en 2005 le fuseau V 6, dit variante « Sud Vigueirat », de la famille de solutions « sud intermédiaires », lequel a été présenté à la concertation locale qui vient de s’achever. Selon les études, cette option apporterait la meilleure réponse aux différents objectifs évoqués. S’agissant des impacts environnementaux de l’opération, les études menées jusqu’ici ont permis de suivre la démarche nécessaire visant à éviter, réduire et, au besoin, compenser toute incidence sur l’environnement, afin de préserver la richesse de la biodiversité. Cette démarche sera poursuivie avec toute mon attention !
En complément de cet aménagement routier, des efforts très importants sont engagés par l’État et les collectivités pour développer le report modal de la route vers le fer, comme en témoignent les projets structurants en cours de développement dans la région.
Vos préoccupations, qui rejoignent celles exprimées lors de la concertation, sont légitimes ; soyez assuré que le maître d’ouvrage détaillera les réponses qui permettront de préfigurer les suites à donner à ce projet complexe. L’ensemble de ces éléments alimentera ainsi utilement les étapes suivantes du projet, notamment l’étude d’impact, l’avis de l’autorité environnementale et l’enquête publique.
Nous n’en sommes encore qu’au début du chemin !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour la réplique.
M. Guy Benarroche. J’espère, en effet, que nous n’en sommes qu’au début du chemin, d’autant que tous les syndicats, les associations environnementales et scientifiques – comme la Tour du Valat –, mais aussi les riziculteurs, les éleveurs de bovins, d’ovins et de chevaux sont tous vent debout contre ce trajet, qui est le seul à avoir un impact aussi négatif sur la biodiversité !
En outre, comme il s’agit d’un projet autoroutier, les camions seront obligés d’en payer l’utilisation, si bien qu’une grande partie d’entre eux préférera continuer à emprunter la route nationale qui traverse Arles.
Ce projet n’a donc que des aspects négatifs !
prolifération de « décharges sauvages » en pyrénées-atlantiques
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, auteure de la question n° 1362, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la secrétaire d’État, l’essor immobilier dans le département des Pyrénées-Atlantiques a mis en lumière certaines problématiques liées à la gestion des déchets issus des constructions.
En effet, certaines sociétés du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) peu scrupuleuses, impliquées dans la réalisation de chantiers immobiliers dans le département, n’hésitent pas à décharger leurs gravats sur des terrains privés leur appartenant ou non, ou, le cas échéant, après accord – bien souvent financier ! – avec les propriétaires. Parmi les gravats figurent des bidons de produits toxiques, bouteilles de gaz et autres produits inflammables pouvant engendrer des risques de pollution.
Il est fort dommage de voir ainsi certains territoires de mon beau département se transformer en dépotoirs à cause de certaines sociétés du BTP peu responsables ! Pourtant, des centres d’accueil et des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) existent !
L’article L. 541-3 du code de l’environnement dispose que, « en cas d’urgence, l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente fixe les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l’environnement ».
De plus, une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) indique que les communes sont de plus en plus confrontées aux problèmes de dépôts sauvages, et 43 % des maires considèrent que le problème est en voie d’aggravation. Cette étude démontre aussi qu’un habitant abandonnerait annuellement près de 21,4 kilogrammes de déchets dans la nature !
Pour enrayer cette situation, les élus locaux essayent différentes méthodes, telles que les verbalisations et les actions curatives. Quand les infractions sont constatées, elles sont le plus souvent classées sans suite – 41 % des cas selon l’étude –, encourageant ainsi au dépôt sauvage des déchets.
L’existence de ces décharges vient détruire les efforts très importants d’investissement menés par les exécutifs locaux pour favoriser l’émergence d’une économie circulaire et permettre d’organiser le recyclage des déchets ménagers.
Quelles sont les conditions pour qu’un maire puisse prendre, en vertu de ses compétences en matière de santé publique, et compte tenu des risques sanitaires impliqués, l’initiative d’évacuation de ce type de décharges illégales ?
Les dépenses engagées par la collectivité pour lutter contre ce type de décharges ne pourraient-elles pas être prises en charge par les contrevenants ou, à défaut, par l’État ?
Dans ce contexte, l’État prévoit-il la mise en place d’une politique nationale de lutte contre les décharges sauvages ?
Je propose au Gouvernement de créer un site internet ou une application mobile permettant à tout particulier de signaler un lieu de stockage sauvage.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Espagnac, la lutte contre les dépôts sauvages est au cœur de notre action et exige toute notre vigilance, compte tenu, bien évidemment, des événements dramatiques récents. Le Gouvernement a fait de la lutte contre les dépôts sauvages l’une de ses priorités. En ce sens, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 10 février 2020 a permis de nombreuses avancées, sur trois axes.
Premièrement, pour agir à la racine sur les causes de la gestion illégale des déchets, une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) sera créée au 1er janvier 2022 pour les déchets du bâtiment, permettant de constituer un maillage efficace en points de reprise, et une reprise gratuite pour les déchets triés.
Deuxièmement, les filières concernées prendront en charge une partie des coûts, afin de financer le nettoyage des dépôts sauvages les plus importants. Le décret d’application de cette mesure a d’ailleurs été publié en novembre dernier. De plus, les amendes administratives payées par les auteurs de dépôts sauvages seront perçues par les collectivités, apportant ainsi un complément budgétaire en contrepartie de leur mobilisation contre les dépôts sauvages.
Troisièmement, la loi renforce les sanctions pour les rendre dissuasives. Un décret publié en décembre 2020 a fait passer la contravention pénale sanctionnant les petits dépôts sauvages de la troisième à la quatrième classe.
La loi prévoit également plusieurs mesures pour faciliter l’action au quotidien des élus. L’accès au système d’immatriculation des véhicules et l’utilisation de la vidéosurveillance peuvent faciliter l’identification et la sanction des auteurs de dépôt sauvage, et les moyens humains et financiers peuvent être mutualisés à l’échelon des groupements de collectivité. En outre, les agents de surveillance de la voie publique, ou d’autres agents habilités choisis par les collectivités, peuvent dès à présent sanctionner les dépôts sauvages.
Enfin, nous avons publié en février un guide à destination des collectivités locales, visant à les accompagner dans la lutte contre les dépôts sauvages.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la secrétaire d’État, les mesures évoquées sont très importantes. Les décrets que vous avez mentionnés, pour la plupart, n’ont été publiés qu’en décembre dernier, et beaucoup de maires sont toujours en attente. Certains d’entre eux ne savaient même pas que des décrets avaient été publiés ! Je vous remercie donc de l’avoir rappelé…
Il y a véritablement urgence, car nos territoires méritent, tant dans l’intérêt de nos citoyens que de l’environnement, une prise en charge améliorée et très rapide de ces sanctions.
plan de prévention du bruit dans l’environnement d’orly
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la question n° 1496, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Laurent Lafon. Madame la secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur le nouveau projet de plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) de l’aéroport d’Orly. Celui-ci a une situation unique en France : implanté sur une emprise de plus de 1 500 hectares, il est enclavé dans un tissu urbain dense qui préexistait à la construction de la plateforme aéroportuaire. Ce statut particulier se traduit par l’existence d’un couvre-feu et d’un plafonnement du trafic aérien.
Si le transport aérien et l’activité de la plateforme aéroportuaire de Paris-Orly sont structurants pour l’économie, l’emploi et l’attractivité du Val-de-Marne et de l’Essonne, les problématiques de nuisances sonores et de pollution atmosphérique qu’ils engendrent ont d’importantes conséquences sur la santé des riverains, ainsi que sur la dégradation et la dépréciation du cadre de vie des communes survolées.
Ce délicat équilibre est aujourd’hui remis en cause par le projet de PPBE que l’État entend mettre en œuvre. En effet, il risque d’exposer une grande partie des communes de l’Essonne et du Val-de-Marne à des contraintes d’urbanisme et d’isolation, entraînant ainsi une forte dépréciation des biens immobiliers et une paupérisation des populations.
Le document prévoit d’agrandir la zone C du plan d’exposition au bruit (PEB) de 3 000 à 16 000 hectares, et de créer une zone D ; des dizaines de communes seraient ainsi concernées. En revanche, ni extension du couvre-feu, ni proposition pour améliorer les procédures de décollage, ni mesure incitative à l’innovation et l’amélioration des aéronefs ne sont envisagées !
Sur l’initiative du maire de Villeneuve-le-Roi, de très nombreux élus val-de-marnais et essonniens ont considéré que l’État ne devait pas pénaliser les riverains résidant à proximité des aéroports. Pourtant, les seules mesures restrictives supplémentaires proposées ciblent les communes, et aboutiront donc à la dévalorisation des biens de leurs habitants.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous indiquer aux élus votre position sur l’aboutissement de ce nouveau PPBE ? Pouvez-vous préciser de quelle façon le Gouvernement entend répondre à la forte opposition des élus locaux à cette modification des règles d’urbanisme ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Lafon, le projet de nouveau PPBE couvrant une période allant jusqu’en 2023 repose sur une trentaine de mesures, et vise avant tout à renforcer la protection des riverains de l’aéroport.
Parmi ces mesures, vous mentionnez plus particulièrement la mise à l’étude de la préconisation de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires de restaurer une zone C et d’instaurer une zone D au PEB.
Les conséquences de cette proposition doivent être mesurées avec attention, en concertation étroite avec les collectivités concernées. C’est la raison pour laquelle le ministre des transports a demandé aux préfets de l’Essonne et du Val-de-Marne de réaliser une étude d’impact et une concertation spécifique sur ce point. Il convient de vérifier si le cadre juridique actuel reste pertinent au vu de l’évolution des attentes des populations en matière de protection contre le bruit, et de renforcer l’information des nouveaux arrivants, à proximité des aéroports, qu’ils soient locataires ou propriétaires. C’est une volonté que nous avons d’ailleurs exprimée dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités.
J’entends l’inquiétude des élus locaux et des populations concernées. Il n’est pas question que de telles mesures soient mal comprises ou mal acceptées, alors qu’elles visent à améliorer la qualité de vie des riverains de l’aéroport d’Orly, et renforceront l’attractivité des territoires concernés.
Je rappelle que la concertation vient de débuter, et que le PPBE de Paris-Orly, qui est encore au stade de projet, n’est pas définitivement arrêté… Le PPBE évoluera donc sans doute dans les mois prochains.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour la réplique.
M. Laurent Lafon. Madame la secrétaire d’État, je prends acte du lancement d’une étude d’impact, mais je m’étonne qu’elle n’ait pas été réalisée avant que des propositions soient faites aux élus !
Je ne peux que recommander au Gouvernement de retirer le plus rapidement possible ces mesures d’urbanisme : elles polarisent toute la concertation sur ces sujets, alors qu’il y aurait d’autres choses à dire sur les éléments du PPBE.
trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, auteur de la question n° 1345, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Didier Mandelli. Madame la secrétaire d’État, aujourd’hui, la Vendée est souvent citée comme un département exemplaire dans le domaine de l’économie circulaire.
Sous l’impulsion du syndicat départemental Trivalis, et grâce à l’engagement des Vendéennes et des Vendéens, le département valorise 72 % des 470 000 tonnes de déchets annuels – en progression, quoique le taux soit faible pour un territoire touristique –, bien au-delà de l’objectif de 65 % fixé pour 2025 par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Ces bons résultats ne sont pas dus au hasard, ils s’expliquent par des choix politiques forts, tels que l’élargissement des consignes de tri à l’ensemble des Vendéens, et la promotion de la redevance incitative, qui concerne désormais deux tiers des foyers.
Cependant, en faisant le choix de privilégier le tri mécano-biologique et de ne pas disposer d’incinérateur, et malgré ses efforts en matière de valorisation des déchets, notre département va connaître une augmentation brutale de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en 2021. Cette dernière passera d’une moyenne de 18 à 30 euros la tonne, représentant une augmentation de 1,3 million d’euros, et ce dans un contexte déjà tendu par la crise sanitaire.
La trajectoire d’augmentation de la TGAP ne prend pas en compte à ce jour les paramètres locaux, comme les efforts des collectivités, et pénalisera donc un territoire exemplaire qui investit massivement dans l’économie circulaire.
Le Gouvernement envisage-t-il de mettre en place, comme nos collectivités le souhaitent, une part variable de TGAP liée aux performances ?
Compte tenu de l’augmentation importante des produits de la TGAP, le Gouvernement entend-il flécher les recettes, du moins une part substantielle de celles-ci, en direction des filières de recyclage, en particulier celles qui ont été créées par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC ?
J’ai eu l’occasion, dans le cadre des projets de loi de finances successifs, de proposer, contre l’orthodoxie budgétaire, l’affectation de fonds plus importants à ces nouvelles filières.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mandelli, je tiens tout d’abord à souligner les actions entreprises de manière très volontariste au sein de votre département pour développer l’économie circulaire, notamment à travers la tarification incitative et la modernisation des centres de tri d’emballages ménagers. Ces actions sont en cohérence avec les priorités que nous mettons en œuvre en matière de gestion des déchets.
En ce qui concerne la TGAP, le Parlement a adopté en 2018 une réforme globale de la fiscalité des déchets, visant à rendre notre système économique plus rationnel, et à faire en sorte que le recyclage soit aussi, voire plus attractif que l’élimination.
Cette réforme s’inscrit dans un équilibre global qui permet de répartir la pression fiscale de façon cohérente avec les objectifs fixés par la feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) et la loi AGEC, comme la division par deux de la mise en décharge ou le recyclage de 100 % des plastiques d’ici à 2025.
Le Gouvernement a souhaité donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs en faisant adopter dès 2018 cette nouvelle trajectoire de la TGAP.
Par ailleurs, la TGAP est calculée en fonction du tonnage de déchets éliminés. Ainsi, plus un territoire détourne de déchets de l’élimination au profit du recyclage et de la valorisation, plus l’assiette de la TGAP est faible. Il n’est en revanche pas prévu à ce stade de moduler le taux de TGAP en fonction de la performance des collectivités, au risque de créer une inégalité devant l’impôt.
Le plan de relance prévoit une enveloppe de 500 millions d’euros consacrée à l’économie circulaire, qui permettra, via l’Ademe, de soutenir les collectivités investissant dans les infrastructures et équipements nécessaires au développement de cette économie. À titre d’exemple, 100 millions d’euros seront consacrés à la mise en place du tri à la source et à la collecte séparée des biodéchets, cette enveloppe venant s’ajouter au fonds « Économie circulaire » de l’Ademe.
La loi AGEC permet par ailleurs la mise en œuvre de mesures non fiscales prévues dans la feuille de route, qui permettra aux collectivités de voir leurs coûts de gestion des déchets baisser. Je pense en particulier à la création de nouvelles filières REP, grâce auxquelles une partie des coûts des collectivités sera transférée aux producteurs et metteurs sur le marché.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Madame la secrétaire d’État, je vous invite à venir découvrir la Vendée, pour que vous puissiez vous rendre compte des efforts qui y ont été réalisés. Nous avons un niveau de performance de l’ordre de 72 %. Il y a encore une marge de progrès – un projet d’investissement de plus de 15 millions d’euros pour une unité de production de combustible solide de récupération (CSR), en lien avec les deux unités de tri mécano-biologique est ainsi prévu –, mais nous sommes globalement pénalisés.
investissements et multimodalité pour les ports français
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1495, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Agnès Canayer. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! », écrivait Charles Baudelaire. Aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, la poésie rime avec les enjeux de notre société, dans une période où la mer revêt une importance stratégique à l’heure de la résilience et de la relance.
Pilier de notre autonomie et de notre liberté, le secteur maritime est capital dans le développement de notre économie, si tant est que notre activité portuaire soit structurée, performante et innovante. Or, ces dernières années, la situation de nos grands ports maritimes n’a cessé de se dégrader, du fait des conséquences de la crise sanitaire et des manifestations sociales. Malheureusement, aujourd’hui, le trafic de nos ports baisse de plus en plus au profit d’autres grands ports européens. Face à ce constat, il nous faut des plans d’action !
Il est vrai que, en 2019, l’État s’était engagé à développer l’aide en faveur du transport combiné et que, le 22 janvier dernier, lors du Comité interministériel de la mer (CIMer) au Havre, le Premier ministre a annoncé un plan d’investissement de près de 1,45 milliard d’euros pour Haropa, regroupement prévu des ports du Havre, de Rouen et de Paris. Ces mesures vont dans le bon sens, mais il est indispensable de déterminer un plan d’action ambitieux pour promouvoir nos ports, véritables portes d’entrée pour l’Europe.
La massification des transports combinés constitue un autre enjeu de taille pour répondre à ceux de la compétitivité et de la transition écologique. Les aides « à la pince » et le développement de la logistique fluviale et ferroviaire sont des leviers prioritaires d’une croissance rapide du secteur maritime.
Dans le rapport « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale, nos collègues Michel Vaspart et Martine Filleul préconisaient le triplement des aides aux transports combinés. Or, malgré une augmentation de 20 millions d’euros prévue par le plan de relance pour les « aides à la pince », nous sommes bien loin du compte pour que les ports français puissent faire face à la concurrence des ports européens.
Comment le Gouvernement envisage-t-il inciter le recours aux transports massifiés de marchandises transitant par Haropa, et donner aux ports français les mêmes armes que celles dont disposent nos voisins européens ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Canayer, le Président de la République et le Gouvernement l’ont affirmé à plusieurs reprises : la France porte une ambition forte en matière de politique portuaire, maritime et fluviale !
Les actes sont là, en particulier pour l’Axe Seine. Lors du CIMer de novembre 2018, le Gouvernement avait décidé de procéder à l’intégration des ports du Havre, de Rouen et de Paris dans un établissement unique. Depuis, plusieurs jalons ont été posés et cet établissement sera créé au mois de juin prochain. Il constituera un outil au service de la compétitivité du commerce extérieur français et permettra de conforter le positionnement stratégique de l’Axe Seine dans les grands flux du transport international.
Ce nouvel établissement devra se doter d’un projet stratégique pour la période 2021-2025 – il est en cours d’élaboration –, et un programme d’investissement ambitieux de 1,45 milliard d’euros sur la période 2020-2027 doit être mis en œuvre. Ce projet consacrera une part importante au développement des transports massifiés, prévoyant de faire passer leur part de 26 % à 30 % d’ici à 2025.
Dans le secteur fluvial, Haropa, en partenariat avec Voies navigables de France (VNF), a engagé un plan de compétitivité du transport fluvial de conteneurs. Les principales actions visent à investir dans les infrastructures – modernisation des écluses, création d’un accès à Port 2000 avec le projet de la chatière, etc. –, à favoriser le développement de nouvelles liaisons et à soutenir la transition écologique de la flotte.
Concernant la multimodalité, vous soulignez l’utilité très largement reconnue du dispositif d’aide à l’exploitation des services de transport combiné, qui a été reconduit en 2018 pour une période de cinq ans et constitue, avec un budget annuel d’environ 27 millions d’euros, un engagement significatif. Cette aide a vocation à encourager un large report modal pour les flux issus des ports et les flux terrestres continentaux. Fort de ce constat et au vu des enjeux, le ministre des transports a décidé d’augmenter le niveau de cette aide dès cette année, avec un dimensionnement de la mesure et des arbitrages qui seront rendus très prochainement.
Cette mesure, comme plus globalement la politique que nous défendons, permettra de renforcer l’attractivité de nos ports français et du secteur maritime. Près de 400 millions d’euros sont d’ailleurs affectés dans le plan de relance. Enfin, la stratégie nationale portuaire présentée lors du CIMer de janvier 2021 fixe des objectifs très ambitieux, notamment pour faire des ports maritimes et des canaux de l’hinterland des atouts pour nos territoires. Nous y sommes déterminés !
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. On sent aujourd’hui un élan en faveur des ports français, et une prise de conscience des enjeux pour notre pays.
Même si des investissements majeurs sont prévus, le coût des transports, notamment fluviaux, reste pour nous plus élevé que dans les autres pays européens. Tant que nous ne bénéficierons pas d’aides à la hauteur des 150 millions d’euros qui sont alloués au port d’Anvers, nous aurons beau développer tous les investissements que nous voulons, nous ne serons jamais au même niveau que les autres plateformes européennes, qui continueront à capter le trafic des conteneurs.
financement de la déviation de la route nationale 135
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, auteur de la question n° 1466, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Franck Menonville. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le financement de la déviation de la route nationale (RN) 135. Je souhaite y associer mon collègue Gérard Longuet.
D’une distance de moins de quatre kilomètres, cette déviation relie Ligny-en-Barrois à Bar-le-Duc, en contournant la commune de Velaines. Ouvert depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, ce dossier est capital pour le désenclavement du sud meusien. Il était sur le point d’aboutir favorablement en 2018 à la suite de la signature du contrat de plan État-région. Celui-ci actait la participation des financeurs pour un total de 48 millions d’euros, dont 27,5 millions d’euros venant de l’État.
Or, le 14 décembre dernier, lors du comité des financeurs, les services de l’État ont annoncé un surcoût d’environ 34 millions d’euros, soit une augmentation de 70 %, portant ainsi le montant total du projet à 82 millions d’euros. Une telle augmentation en moins de trois ans est pour le moins surprenante ! Elle serait, nous dit-on, due à des actualisations des prix, ainsi qu’à une réévaluation des coûts de terrassement, d’ouvrages d’art et de fouilles archéologiques.
Cette annonce suscite beaucoup d’inquiétudes chez les élus locaux. En effet, il est évident que les collectivités territoriales ne sont pas en mesure d’assumer une telle augmentation.
Enfin, je souhaite véritablement insister sur l’urgence du projet. La traversée de la commune de Velaines est extrêmement accidentogène. En effet, depuis le mois d’août dernier, on a enregistré trois accidents graves, dont deux mortels, le dernier remontant malheureusement au 4 février.
Nous avons besoin de garanties de l’État concernant le financement de ce projet indispensable et pleinement intégré dans le projet de territoire du centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Tous les élus sont unis et mobilisés sur ce dossier, qui constitue pour eux une priorité.
Comment l’État peut-il nous accompagner et, ainsi, tenir ses engagements ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Franck Menonville, je tiens tout d’abord à vous confirmer que la réalisation des aménagements prévus sur la RN 135 est une priorité de l’État, pour des raisons évidentes de sécurité.
Comme vous l’avez rappelé, la déviation de Velaines et de l’échangeur de Ligny-en-Barrois figure dans l’actuel contrat de plan État-région, pour un montant de 48 millions d’euros, dont 27,5 millions d’euros sont pris en charge par l’État. Cet engagement a été confirmé dans le cadre du projet de développement du territoire accompagnant la mise en place de Cigéo, ce centre d’enfouissement de déchets nucléaires ultimes en couche géologique profonde.
Depuis, plusieurs étapes ont déjà été engagées. Les acquisitions foncières nécessaires aux travaux ont été réalisées en quasi-totalité. La dérogation espèces protégées, après avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), et l’autorisation au titre de la loi sur l’eau ont été obtenues. Elles ont d’ailleurs fait l’objet de demandes de prorogation à la fin de l’année 2020.
Les premiers travaux vont pouvoir débuter, avec le lancement d’une première phase intégrant notamment les travaux du giratoire de Tronville, à la suite de la confirmation, à la fin de l’année 2020, de 24,5 millions d’euros. Par ailleurs, ce sont 4 millions d’euros supplémentaires qui seront affectés cette année pour réaliser les fouilles archéologiques préventives.
Comme vous le mentionnez, l’actualisation des études détaillées par le maître d’œuvre chargé de la finalisation du dossier projet a toutefois fait apparaître une augmentation importante du coût de l’opération, s’élevant à 33,5 millions d’euros. Ce surcoût est dû principalement à des actualisations de prix, ainsi qu’à des réévaluations de l’estimation des terrassements et d’ouvrages d’art. Les fouilles archéologiques très importantes rendues nécessaires par la découverte d’une nécropole ont fortement contribué au renchérissement du coût du projet.
Je vous confirme néanmoins que les crédits déjà mis en place permettent un avancement normal des opérations à mener d’ici à la fin de l’année 2022, sans retard de calendrier.
Le ministre des transports a demandé que les estimations des surcoûts soient affinées et complétées par la recherche en parallèle d’optimisations possibles.
La mise en place du financement complémentaire, nécessaire à la seconde phase de l’opération, devra être recherchée dans le cadre de la prochaine contractualisation sur les infrastructures, qui prendra effet à compter de 2023.
L’État, je vous le confirme, reste particulièrement mobilisé sur le dossier.
retrait de leurs compétences par l’état à quatre maires du val-de-marne
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 1457, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
Mme Catherine Procaccia. Ma question s’adressait à Mme la ministre déléguée chargée du logement.
Au mois de décembre dernier, quatre villes du Val-de-Marne se sont vu retirer leur compétence d’attribution des permis de construire à la demande du Gouvernement. Ce retrait faisait suite à leur prétendue inaction en matière de construction de logements sociaux.
Pourtant, trois maires de ces quatre villes sont là depuis à peine un mandat, et le dernier n’a pris ses fonctions qu’il y a quelques mois !
Tous construisent. Presque tous ont signé des conventions d’engagement avec l’État et imposent des taux stricts et même majorés de logements sociaux dans les nouvelles constructions, pour répondre aux exigences inatteignables de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
En se substituant aux collectivités, l’État centralisateur méconnaît tous leurs efforts et montre, une fois encore, le peu de considération qu’il a pour les élus locaux !
Aussi sympathique et efficace que soit le préfet, que pourra-t-il faire face au manque de foncier disponible, à son coût prohibitif, à l’existence d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) ou au caractère pavillonnaire de certaines villes ? Est-ce également lui qui se substituera aux maires pour construire crèches, écoles et autres équipements indispensables pour éviter de reproduire les erreurs passées de l’État ? Et qui les financera ?
Il serait incompréhensible que l’État force à la bétonisation et laisse, comme d’habitude, les communes se débrouiller.
Je souhaite savoir, madame la secrétaire d’État, pourquoi ces quatre maires n’ont pas pu s’expliquer devant la commission ad hoc avant d’être brutalement sanctionnés. Et sur quelles bases ces sanctions seront-elles appliquées quand on constatera que le préfet lui-même n’arrive pas à atteindre des taux idéalistes et irréalistes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Procaccia, vous attirez l’attention du Gouvernement sur la situation de quatre communes du Val-de-Marne pour lesquelles le préfet vient effectivement de prendre un arrêté de carence au titre de l’article 55 de la loi SRU.
Vous le savez, sur le territoire de la métropole du Gand Paris, à laquelle ces communes appartiennent, la tension sur le logement social est particulièrement forte. On compte dix demandeurs de logement social pour une seule attribution et souvent plusieurs années d’attente. De nombreux ménages se trouvent ainsi dans des situations particulièrement difficiles, ne parvenant pas à accéder à un logement adapté à leurs ressources, avec les conséquences que nous connaissons sur l’équilibre familial, sur la scolarité des enfants et sur la situation professionnelle.
Dans ce contexte, ce principe de solidarité qui fonde la loi SRU ne saurait être contesté, à plus forte raison sur l’un des territoires les plus tendus de France.
Plus particulièrement, les quatre communes que vous évoquez sont soumises à l’obligation de rattrapage depuis l’origine du dispositif, adopté en 2000, et ont accumulé au fil des années un net retard en matière de production de logements sociaux. Ainsi, Saint-Maur-des-Fossés et Ormesson-sur-Marne disposent de moins de 10 % de logements sociaux – la dernière de ces communes en compte à peine 3 % ! – alors que la loi a désormais vingt ans d’existence. Ces quatre communes étaient déjà en carence lors du précédent bilan triennal.
C’est donc logiquement, au regard de leurs efforts insuffisants observés sur la période 2017-2019, et après un temps d’échange contradictoire avec les communes, que le préfet a pris des mesures fermes, non seulement en majorant le prélèvement opéré sur leur budget, mais également en se substituant aux maires pour la délivrance des autorisations d’urbanisme, afin de favoriser le développement d’opérations de logement social sur leur territoire.
Le manque de foncier supposé de ces communes ne saurait constituer un argument recevable alors que des communes voisines arrivent à respecter leurs engagements.
La production de logement social ne passe pas forcément par la construction neuve : l’acquisition-amélioration de logements existants, la mobilisation du parc privé, qui peut être conventionné avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), les opérations de démolition-reconstruction, la résorption de friches ou encore la construction dans les dents creuses font partie des solutions.
Dans ce contexte, j’invite ces quatre communes à mener enfin une politique volontariste : leurs efforts de production de logements sociaux seront bien entendu évalués à l’issue de la présente période triennale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Vous doutez du manque de foncier, madame la secrétaire d’État ? Vous pensez qu’il y a beaucoup de foncier dans une commune comme Saint-Mandé, où la densité de population est de 24 000 habitants au kilomètre carré ?
Je regrette que Mme Wargon ne soit pas présente pour répondre personnellement. Mais comme elle multiplie les apparitions et déclarations à l’approche des élections régionales, elle pourra peut-être expliquer aux citoyens pourquoi ils seront pénalisés et pourquoi elle préfère la bétonisation aux espaces verts !
Les communes d’Ormesson-sur-Marne ou du Perreux-sur-Marne sont confrontées à une impossibilité. La loi SRU, que vous évoquez, date de 2000. Pensez-vous que des maires en place depuis six ans puissent compenser en un seul mandat tout ce qui n’a pas été fait pendant vingt ans ?
Amendes, majorations d’amendes, perte du quota d’attribution de logements, perte du droit de préemption et, désormais, des permis de construire… Vous faites vraiment tout pour décourager les élus !
situation des intermittents de la restauration dans l’événementiel
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Didier Marie, auteur de la question n° 1492, transmise à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire que nous vivons depuis près d’un an a mis en évidence le vide juridique existant autour du droit social des CDD d’usage (CDDU), qui sont particulièrement usités dans certaines filières. C’est sous ce régime que sont employés les principaux acteurs du personnel de la restauration dans l’événementiel, comme les maîtres d’hôtel et chefs cuisiniers extras, soit environ 15 000 personnes qui travaillent principalement pour des traiteurs, mais aussi, régulièrement, pour les différents ministères, à Matignon ou encore à l’Élysée.
Les CDDU permettent à ces professionnels de passer rapidement d’un employeur à l’autre, leurs services étant le plus souvent requis pour des périodes très courtes. Comme c’est le cas pour les autres intermittents, les périodes d’activité sont entrecoupées de périodes où ces extras font valoir leurs droits auprès de l’assurance chômage.
La pandémie de covid-19 a entraîné la mise à l’arrêt de l’ensemble du secteur de la restauration dans l’événementiel. Toutefois, si le Gouvernement a déployé des dispositifs de soutien à destination de différents secteurs et entreprises, afin de limiter les effets des mesures d’urgence sanitaire, accordant notamment une « année blanche » aux intermittents du spectacle jusqu’au mois d’août 2021, les « intermittents de la restauration dans l’événementiel » semblent, eux, avoir été oubliés.
En raison de la nature même de leur activité, ils se trouvent en effet dans l’impossibilité de bénéficier des mesures de soutien : d’une part, seuls ceux d’entre eux qui ont atteint les seuils requis pour pouvoir liquider leurs droits ont pu jouir du maintien de ces derniers pendant la période de confinement, tout en étant dans l’incapacité de travailler pour pallier cette insuffisance ; d’autre part, au sortir du confinement, l’activité du secteur n’a pas pu reprendre.
Après dix mois d’inactivité forcée, ils sont aujourd’hui nombreux à se trouver dans une situation de grande précarité, privés à la fois de rémunération et d’allocations d’assurance chômage.
Compte tenu de cette situation dramatique, je souhaiterais savoir quelles mesures d’urgence le Gouvernement entend mettre en œuvre pour venir en aide à ces professionnels.
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai interverti l’ordre d’appel de deux questions orales. Je prie M. Jean-Marc Todeschini et Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité de bien vouloir m’en excuser.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur la situation des intermittents de la restauration dans l’événementiel. Je vous prie tout d’abord d’excuser Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, qui n’a pas pu se libérer de ses obligations.
Le Gouvernement est attentif à la situation de tous les travailleurs dans la crise, quel que soit leur secteur ; étant l’ancien député d’une circonscription dans laquelle le travail saisonnier est majoritaire, j’y suis particulièrement sensible.
Pour répondre à l’urgence des travailleurs précaires, nous avons créé une nouvelle aide exceptionnelle, afin de garantir un revenu minimum de 900 euros pour les mois de novembre, décembre, janvier et février. Elle est destinée aux saisonniers, aux extras, à celles et ceux qui alternent activité et indemnisation par l’assurance chômage. Elle pourrait concerner 450 000 personnes.
Comme il s’agit d’une nouvelle aide, et compte tenu du nombre de personnes qui peuvent en bénéficier, Pôle emploi a développé en urgence un système informatique pour permettre un traitement automatisé sans que les personnes potentiellement éligibles aient à faire la moindre demande.
Le versement des mois de novembre et décembre a été effectué vendredi 5 février à 320 000 personnes, pour lesquelles nous disposons de toutes les données nécessaires nous permettant de savoir qu’elles sont bien éligibles. Elles percevront donc jusqu’à 1 800 euros d’aide, puis jusqu’à 900 euros à la fin du mois de février et du mois de mars.
Malheureusement, il y a 130 000 personnes qui pourraient être éligibles pour lesquelles nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires pour pouvoir procéder au versement. Il faut donc les contacter pour leur demander des compléments et voir si elles sont effectivement éligibles à l’aide. C’est ce que fait actuellement Pôle emploi.
Au regard de l’évolution de la situation sanitaire et de ses conséquences économiques, nous sommes prêts à travailler à une prolongation de ce soutien exceptionnel.
La crise met par ailleurs en évidence les limites du recours aux contrats courts dans certains secteurs de notre économie.
C’est la raison pour laquelle, comme vous le savez, le Premier ministre a confié une mission au sénateur Xavier Iacovelli et au député Jean François Mbaye pour faire d’ici à l’été des propositions complémentaires d’encadrement du recours aux contrats courts.
Cette réponse structurelle me semble plus juste et équilibrée qu’une année blanche, qui serait financée par l’ensemble des salariés, ou une annexe spécifique à l’assurance chômage.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu les réponses que vous avez apportées à la question de notre collègue Didier Marie, à laquelle notre groupe s’associe, car la problématique des intermittents dans la restauration est vraiment cruciale. D’ailleurs, les chambres consulaires, qui – ne l’oublions pas – interviennent en soutien, nous interpellent souvent sur le sujet. Espérons que le recensement que vous évoquez portera ses fruits.
logements sociaux et anciennes communes de la sidérurgie et des mines
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la question n° 1464, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur la situation particulière des communes de l’ancienne sidérurgie et des mines au regard des annonces de durcissement des sanctions pour les communes ne respectant pas les règles en matière de logement social.
Nous serons tous d’accord sur la nécessité de poursuivre la dynamique d’augmentation de la construction de logements sociaux et la mise en application de la loi SRU.
Cependant, l’application actuelle de sanctions aux communes de l’ancienne sidérurgie et des mines pose un problème d’équité de traitement.
Par exemple, dans la communauté d’agglomération du Val de Fensch, les emplois ont été divisés par deux depuis 1968. Le taux de chômage est de 17,7 %, 31 % des ménages sont éligibles au prêt locatif aidé d’intégration et 86 % des logements sont collectifs. Malheureusement, les demandes de logements sociaux y sont moins satisfaites que dans le reste de la Lorraine.
Malgré leur volonté réelle de favoriser et de participer à la construction de logements sociaux, les communes font face à des difficultés insurmontables. Ainsi, la commune de Nilvange compte, au regard de l’inventaire SRU de 2016, 11,64 % de logements sociaux et apparaît donc sous le seuil de 25 %. Cependant, son espace foncier disponible ne peut pas lui permettre de procéder à de nouvelles constrictions.
Par ailleurs, la qualité de tous les logements vendus tout au long des années 1960 à 1980 par les entreprises aux anciens salariés de la sidérurgie et des mines n’est pas prise en compte. Ces logements sont fortement dégradés, souvent initialement dépourvus de toilettes particulières, mal isolés, et ils ne comptent pas dans les statistiques du logement social. Or les revenus des propriétaires comme la qualité de ces biens devraient conduire à une prise en compte particulière.
De plus, tous les permis de construire sont refusés, notamment parce que les capacités de traitement des eaux usées sont limitées et qu’il n’existe pas, en l’état, de possibilité de développement des services d’assainissement, lesquels ne relèvent par ailleurs plus de la compétence municipale.
Pourriez-vous préciser quelle sera la mise en application du durcissement des sanctions, en prenant en compte l’histoire et la géographie des anciennes communes de la sidérurgie et des mines dans lesquelles les espaces fonciers sont rares et présentent le plus souvent des difficultés liées à la dépollution ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Todeschini, vous attirez l’attention du Gouvernement sur le durcissement des sanctions à l’égard des communes qui n’affichent pas un volontarisme suffisant de production de logement social.
Notre effort de production doit effectivement être maintenu et renforcé par rapport aux exercices précédents alors que plus de 2 millions de nos concitoyens sont encore en demande d’un logement social et que les difficultés à accéder à un logement sont aggravées par le contexte de crise sanitaire.
Aussi, comme vous l’avez indiqué, le Gouvernement veille à une application rigoureuse de l’article 55 de la loi SRU, afin de permettre à tous nos concitoyens de se loger dans la commune de leur choix. Aucune commune ne doit se soustraire à l’effort de solidarité nationale.
Le Gouvernement est toutefois soucieux, comme vous, de la prise en compte des situations locales, dans le respect des principes que je viens d’énoncer. À cet égard, aucune des communes de l’intercommunalité du Val de Fensch, qui disposent d’un taux de logement social compris entre 13 % et 17 % pour un taux légal de 20 %, n’a été carencée à l’issue du bilan triennal et n’a donc subi de majoration du prélèvement SRU.
En effet, sur les trois communes soumises au dispositif SRU et à l’obligation de rattrapage, seule Algrange, qui dispose de 16 % de logements sociaux, n’a pas atteint les objectifs de production qui lui ont été assignés pour la période 2017-2019, avec un taux d’atteinte de 65 %.
Toutefois, le préfet de Moselle n’a pas souhaité sanctionner cette commune au vu des difficultés qu’elle a rencontrées dans l’atteinte de ses objectifs, mais aussi des efforts qu’elle avait consentis par le passé pour respecter ses engagements. Cela montre bien que la procédure mise en place par la loi SRU permet de s’adapter aux situations locales.
Enfin, je tiens à vous le rappeler, pour faire face aux difficultés foncières évoquées et permettre aux communes de poursuivre leurs efforts en faveur de la production de logement social, le développement de l’offre sociale peut aussi être satisfait par l’acquisition-amélioration de logements existants, la veille foncière et la densification de l’espace urbanisé, par la démolition-reconstruction, la résorption de friches et la construction dans les dents creuses ou la mobilisation du parc privé dans le cadre d’un conventionnement avec l’ANAH. Nous le savons dans nos territoires, beaucoup de possibilités s’offrent aux élus.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour la réplique.
M. Jean-Marc Todeschini. Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement ne doit pas punir une nouvelle fois nos communes en raison des stigmates qui ont été laissés par l’ancienne sidérurgie et les mines.
Vous faites référence aux autres possibilités dont disposent les élus. Mais les communes concernées se sont appauvries ; aujourd’hui, elles sont très pauvres. La pression foncière est terrible du fait de la proximité du Luxembourg.
Il faut donc prendre leur problématique particulière en compte. À défaut, elles seront pénalisées et se retrouveront dans une situation impossible.
projet d’implantation d’une maison france services dans la commune de vigy
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 1413, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, comme je l’ai indiqué dans le texte de ma question orale n° 1413, les maisons France Services (MFS) permettent de maintenir une présence de l’administration dans les bourgs-centres en zone rurale.
Le Gouvernement avait initialement retenu l’idée d’une MFS par canton, mais ce n’est pas cohérent, car les nouveaux cantons ne correspondent plus du tout à des bassins de vie, leur configuration géographique étant même souvent aberrante.
Il serait préférable de retenir plutôt le principe d’une MFS par communauté de communes. Cela concerne tout particulièrement la commune de Vigy, qui a perdu le statut de chef-lieu de canton et où plusieurs services administratifs sont la cible de restructurations.
Dans la mesure où il n’y a pas d’autre MFS dans la communauté de communes, je souhaiterais savoir si le dossier de MFS présenté pour Vigy peut être traité rapidement et avec le maximum de bienveillance.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Masson, le 25 avril 2019, le Président de la République annonçait effectivement le déploiement de France Services, réseau de services publics mutualisés, pour permettre aux usagers de procéder aux principales démarches administratives du quotidien dans un lieu unique situé à moins de trente minutes de leur domicile.
C’est un succès important. À ce jour, 1 123 MFS sont labellisées, ce qui permet déjà une bonne couverture du territoire.
L’objectif rappelé dans la circulaire du 1er juillet 2019 est de couvrir chaque canton – c’est le terme employé –, hormis les cantons très denses tels qu’ils sont définis par l’Insee.
L’engagement du Gouvernement repose sur la labellisation d’au moins une MFS par canton, dans la limite d’un plafond départemental. L’objectif départemental de labellisations assigné à chaque préfet par la circulaire du 8 juin 2020, qui correspond au nombre de cantons à couvrir rapporté à un ratio de 1,2 MFS par canton, apporte de la souplesse aux préfectures dans les choix d’implantation des MFS, afin de correspondre à la logique des bassins de vie.
Au demeurant, des MFS multisites à portage intercommunal ont été labellisées, ce qui contribue aussi à une meilleure couverture des anciens cantons. Au demeurant, ce type de portage avec une MFS centrale et des annexes est de grande qualité. Et vous avez raison, il faut retenir la maille intercommunale qui correspond réellement au bassin de vie.
Concernant plus particulièrement votre territoire, je peux d’ores et déjà vous indiquer que le projet de Vigy a bien été identifié, et qu’il a été transmis par la préfecture de Moselle pour une labellisation à la mi-2021. Sous réserve du respect des obligations du cahier des charges, notamment de la présence de deux agents à raison de vingt-quatre heures hebdomadaires dans un lieu adapté, ce projet pourra être labellisé.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. C’est le bon sens. Les cantons sont configurés de manière complètement abracadabrante ! Compte tenu du découpage, certains sont très allongés et ne ressemblent à rien. Le vrai bassin de vie, c’est la communauté de communes.
Je tiens absolument à ce que la communauté de communes dont fait partie Vigy – bien que peu éloignée de Metz, elle est très rurale – puisse avoir un relais de service public. Je vous remercie donc très chaleureusement des propos très encourageants que vous avez exprimés au nom du Gouvernement en ce sens.
isolement des petites communes rurales face à leurs difficultés financières
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, auteure de la question n° 1470, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite mettre en lumière l’isolement des petites communes rurales face à leurs difficultés financières.
Certaines situations sont insolubles. Dans la commune de Montgradail, qui compte quarante-sept habitants, dans le département l’Aude, une grange borde la route communale. Elle est en ruines. Elle doit donc être détruite. Elle est de surcroît appuyée contre un mur mitoyen qui s’est abîmé et qui doit donc être remis en état.
Le devis pour la démolition de la grange et la remise en état du mur s’élève à 25 000 euros. Son propriétaire, une personne privée, est insolvable. La commune doit donc se substituer à lui pour organiser et financer cette démolition. Or 25 000 euros, pour une commune dont le budget annuel est de 100 000 euros et dont la capacité d’endettement est limitée, car un crédit est déjà en cours, c’est tout simplement impossible à financer !
Face à cette dépense exorbitante, la commune a cherché des soutiens financiers. L’ANAH ne peut pas l’aider, car il s’agit d’une grange et non d’une habitation, et il n’y a pas de terrain autour. Le département de l’Aude ne peut pas non plus, car la commune n’est pas propriétaire du bâtiment. Que faire alors ?
Cette situation n’est pas unique. De nombreux maires, notamment ruraux, y sont confrontés.
Comprenez alors que les propos tenus au début du mois de février par Mme Gourault, pour qui les finances locales « ne sont pas en panne » et « doivent être mobilisées pour la relance », puissent être très difficiles à entendre pour nos petites communes.
Quels sont les dispositifs, les aides exceptionnelles qui permettraient d’aider les communes à gérer ce type de situations imprévues ? L’État compte-t-il aider la commune de Montgradail ? En absence d’aides, quelles mesures entendez-vous prendre pour mettre un terme à cet isolement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Jourda, vous m’interrogez sur le financement des opérations par les petites communes, en particulier sur la prise en charge de la démolition d’une grange en ruine par le maire alors que le propriétaire est insolvable.
En matière de lutte contre les immeubles dégradés, les maires de nos communes sont souvent en première ligne, comme vous l’avez fort justement rappelé. Dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale relatifs aux immeubles menaçant ruine, le maire peut prescrire la réparation ou la destruction de bâtiments et mettre en demeure un propriétaire de prendre les mesures nécessaires, par un arrêté de mise en sécurité et à l’issue d’une procédure contradictoire à défaut de réalisation de ces mesures.
Il n’existe pas de fonds spécifiques s’agissant de la couverture des risques d’insolvabilité des propriétaires soumis à une obligation de démolition de leur immeuble, dans la mesure où le maire met en œuvre des pouvoirs de police dont l’exercice est normalement couvert par les ressources de droit commun versées aux communes. C’est le principe général.
Par ailleurs, ce type de montage ne peut pas être soutenu par la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). En effet, si le maire se substitue au propriétaire pour réaliser des travaux, c’est bien à ce dernier de payer l’opération.
Les crédits de l’État ne peuvent pas venir en substitution, d’autant que la commune ne sera pas en mesure d’établir qu’elle a ou qu’elle aura la « libre disposition » des biens sur lesquels les travaux sont effectués, ce qui est une condition absolue pour bénéficier de la DETR.
Pour autant, dans ce genre de situations, la DETR peut venir aider, le cas échéant, le maire concerné sur une autre opération éligible engagée par la commune. C’est une forme de compensation qui permet en général de résoudre le problème sans trop de difficultés. Je rappelle toutefois que peuvent être financées par les dotations les opérations d’acquisition en vue d’une démolition.
Les maires ne sont pas seuls. Dans le cas spécifique de Montgradail, dans l’Aude, la commune pourrait aussi, face à la complexité de l’opération, s’appuyer sur son intercommunalité pour disposer d’un appui technique ou financier. La commune appartient à la communauté de communes du Limouxin, qui regroupe pas moins de 76 communes, représentant 30 000 habitants, avec un budget de fonctionnement de plus de 15 millions d’euros. La situation que vous décrivez me semble justement faire partie de celles – j’ai moi-même été longtemps président d’une intercommunalité – où la solidarité intercommunale peut et doit être mise en avant.
Enfin, cette dépense de 10 000 euros présentant un caractère exceptionnel, elle peut faire l’objet d’un étalement de charges sur plusieurs exercices. Pour cela, la commune devra adresser une demande de dérogation aux ministres chargés des collectivités territoriales et du budget, demande que nous appuierons sans aucun problème.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse ne m’apprend rien que je ne sache déjà en tant qu’ancienne directrice de collectivité locale. Inutile de vous préciser que nous avons rencontré Mme la préfète et que nous avons essayé de faire tout ce que vous indiquez !
Vous faites référence aux intercommunalités ? Moi, je vous parle d’un vide juridique, lorsqu’il y a une multiplicité de communes avec des budgets extrêmement restreints !
Dans une situation d’émiettement, avec beaucoup de petits villages, il est très difficile pour une communauté de communes, fût-elle celle du Limouxin, de venir aider une commune obligée de se substituer à un propriétaire défaillant face à un péril comme celui que j’ai évoqué.
À un moment donné, il faudra trouver de nouvelles ressources, distinctes de la DETR. Il est, me semble-t-il, temps de se pencher sur le sujet, afin que les maires ne se sentent pas si isolés face à des difficultés inextricables !
pénurie d’accompagnants des élèves en situation de handicap
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 1452, transmise à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, j’ai été interpellé dans mon département, la Mayenne, sur les difficultés récurrentes rencontrées dans l’accompagnement humain de la scolarité des jeunes reconnus en situation de handicap.
Malgré un long travail de collaboration avec le service départemental de l’éducation inclusive, certains établissements connaissent une situation très tendue en raison d’une pénurie d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Ces derniers jouent pourtant un rôle pivot dans le dispositif d’inclusion des élèves : ils les écoutent, les accompagnent et sont un relais essentiel avec les familles.
Ces professionnels dévoués, en première ligne, ont d’ailleurs besoin d’une meilleure formation et d’une rémunération plus élevée.
Vous le savez, les personnes handicapées ont besoin d’un suivi stable et de proximité. Les ruptures dans l’accompagnement fragilisent ces jeunes élèves.
Les établissements manquent de moyens alloués par l’État et ne disposent plus de solutions internes pour couvrir les besoins d’accompagnement des élèves, de leurs familles et des équipes éducatives. Le manque de moyens attribués à la gestion des dossiers ne permet aucune évaluation sérieuse des besoins réels de l’élève et des capacités de l’école d’y répondre.
L’enseignement catholique mayennais m’a alerté sur le fait qu’une centaine d’élèves ne sont plus accompagnés ou le sont partiellement, faute de moyens financiers : 25 % des écoles primaires et la moitié des collèges et lycées sont concernés.
Dans un contexte sanitaire complexe, l’avenir de ces enfants est incertain. Madame la ministre, tous les élèves ont droit à l’éducation, quel que soit leur handicap. L’école est essentielle pour les enfants. Ils y sont instruits, mais apprennent aussi les normes sociales et les règles en collectivité. L’intégration commence par une école plus inclusive.
Que fait-on pour cela ? Les établissements mayennais demandent votre aide et votre soutien pour accompagner au mieux les élèves et leurs familles.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Guillaume Chevrollier, la qualité de l’inclusion scolaire ainsi que l’amélioration des conditions d’emploi des AESH sont des priorités du Gouvernement.
À la rentrée 2020, le nombre d’élèves en situation de handicap a augmenté de 7 %. Pour répondre à cette augmentation, 4 000 équivalents temps plein ont été notifiés aux académies, ce qui porte à 8 000 le total des créations d’emplois d’AESH au 1er septembre 2020.
Pour accompagner cette augmentation continue, la loi pour une école de la confiance a permis la création des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Ils ont vocation à dépasser le traitement administratif de l’accompagnement des élèves en situation de handicap pour aller vers une organisation pédagogique au plus près du besoin de l’élève, avec une réponse locale au niveau de l’école ou de l’établissement. L’objectif premier est de répondre rapidement aux notifications d’accompagnement et d’éviter les ruptures par une meilleure anticipation des recrutements.
Pour rendre le métier d’AESH plus attractif, pérenniser les emplois et professionnaliser les personnels, des mesures importantes ont été prises par le Gouvernement. Ces personnes disposent désormais d’un statut pérenne et reconnu, avec un contrat à durée déterminée de trois ans au minimum, renouvelable une fois, et le cas échéant d’un contrat à durée indéterminée au terme de ces six ans. Ces accompagnants sont désormais reconnus comme professionnels de l’éducation nationale et participent à ce titre aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS) et à un entretien désormais obligatoire avec la famille et l’enseignant de l’élève en début d’année scolaire. Ils bénéficient par ailleurs d’un accueil personnalisé par le directeur d’école ou le chef d’établissement lors de leur affectation.
Dans chaque département, un ou plusieurs AESH « référents », chargés de fournir un appui à leurs collègues dans l’exercice de leurs missions, sont désignés. Une formation obligatoire de soixante heures a également été prévue dès le début du contrat pour tous ces accompagnants, afin de garantir une meilleure qualité de scolarisation des élèves. Enfin, ils ont accès aux formations inscrites aux plans départementaux et académiques de formation.
Toutefois, vous avez raison, monsieur le sénateur, malgré ces évolutions d’importance et inédites, le contexte sanitaire peut rendre complexe l’organisation de ces accompagnements, y compris en termes de remplacement.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. Ces personnels au plus près des élèves sont souvent cas contacts ou encore positifs à la covid-19…
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je note la hausse des effectifs, mais les besoins sont toujours réels sur le territoire : une centaine d’assistants seraient nécessaires pour l’enseignement catholique en Mayenne.
Nous devons faire un effort supplémentaire pour nos enfants en situation de handicap.
école inclusive et accompagnants des élèves en situation de handicap
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 1462, transmise à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Mme Élisabeth Doineau. Il n’est pas banal que deux sénateurs d’un même département interviennent l’un après l’autre sur un même sujet !
Nous avons en effet été alertés par la direction diocésaine, mais nous recevons aussi très souvent dans nos permanences la visite de parents éplorés, qui ne trouvent pas de réponse significative en termes d’accompagnement pour soutenir leurs enfants à l’école. La demande sur le terrain est réelle, y compris de la part des équipes éducatives, et vous devez la prendre en compte.
Les efforts considérables accomplis ces dernières années, dont je ne nie pas la réalité, ont aussi suscité un espoir parmi les familles. Entre la découverte du handicap et sa prise en charge, le parcours est long et difficile. Lorsque les familles reçoivent leur notification de la maison de l’autonomie – ou de la maison départementale des personnes handicapées dans d’autres collectivités –, elles s’imaginent que leur enfant sera pleinement accompagné. Or, ce n’est pas le cas.
Je connais une AESH qui tente de se débrouiller comme elle peut avec l’équipe d’assistants de son établissement pour répondre à chaque accompagnement. Mais ils en viennent à déshabiller Pierre pour habiller Paul, car ils n’arrivent plus à s’organiser pour apporter l’accompagnement nécessaire et adapté à chaque enfant.
J’entends bien que vous avez fait des efforts, mais les annonces sur l’école 100 % inclusive ou sur le principe « une réponse pour chaque enfant » expliquent les attentes impérieuses des parents. Il faut renforcer encore la présence de ces ressources humaines auprès de chaque enfant.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, je vous remercie de reconnaître les efforts faits par ce gouvernement : 8 000 personnes supplémentaires, un nouveau statut, c’est déjà beaucoup.
Le contexte sanitaire actuel complique toutefois la situation, car ces personnes sont au contact direct des enfants. Dans certains départements, on constate un taux important de personnels malades, ce qui rend plus difficile l’organisation de l’accompagnement. Les recrutements organisés par les académies tout au long de l’année sont aussi plus complexes. Tous les postes ne sont donc pas pourvus aujourd’hui.
En dépit de ces difficultés, les personnels de terrain font état de l’apport positif de la création des pôles inclusifs. Dans votre département de la Mayenne, il apparaît qu’aucun établissement privé sous contrat n’est organisé en pôle inclusif d’accompagnement localisé. Or les départements où 100 % des établissements ont rejoint un pôle inclusif trouvent plus rapidement des solutions locales et connaissent une amélioration significative du taux d’élèves en attente d’accompagnant.
Je vous incite vivement, mesdames, messieurs les sénateurs, à faire la promotion de ces nouvelles organisations territoriales dans vos départements : elles permettent par endroits d’afficher un taux de 0 % d’élèves en attente d’accompagnant.
Pour conclure, je tiens à réaffirmer que la scolarisation des élèves en situation de handicap est une priorité du Gouvernement, de mon ministère comme du secrétariat d’État de Mme Cluzel. La pratique sportive est importante pour les personnes en situation de handicap, et le rapprochement de nos deux ministères permettra de porter une attention particulière à cet accompagnement global dans la formation des AESH. En apprenant aux enfants handicapés à faire attention à leur corps, on renforce leur estime de soi, on facilite leur intégration dans la classe et l’établissement et on favorise leurs apprentissages.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour la réplique.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, le nombre de notifications en Mayenne a augmenté de 15 %, soit le double du taux que vous avez indiqué au plan national. Il faut tenir compte de cette particularité.
Il est indispensable de mettre cette ressource humaine à portée des enfants et de prévoir les moyens nécessaires pour embaucher.
mesures de fermeture de classes dans l’ain
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 1501, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur les mesures de fermeture de classes qui menacent plusieurs écoles de communes rurales du département de l’Ain pour la prochaine rentrée scolaire.
Lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement de mercredi dernier, deux collègues sénateurs, Jean-Claude Tissot et Laurent Somon, ont interrogé Mme la secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire sur ce sujet. Mme Nathalie Elimas s’est voulue rassurante, indiquant que, pour les communes de moins de 5 000 habitants situées en territoire rural, aucune fermeture de classe ne saurait être actée sans l’accord du maire, comme ce fut le cas en 2019 et 2020.
Si nous avons reçu favorablement cette réponse, nous sommes nombreux, au Sénat comme dans l’Ain, à constater une tout autre réalité. Sur les 35 fermetures de classes annoncées la semaine dernière dans le département de l’Ain, 26 concernent des écoles situées en zone rurale.
Au regard du flou qui entoure aujourd’hui le sujet de la carte scolaire, vous comprendrez, madame la ministre, les inquiétudes légitimes des élus locaux et des parents d’élèves, qui constatent un manque de cohérence entre le discours tenu par le Gouvernement et les réalités locales, qui tendent au contraire à la fermeture de nombreuses classes.
C’est pourquoi je vous remercie de m’éclairer sur la lecture que nous devons avoir de cette situation contradictoire et sur les réelles intentions du Gouvernement pour la prochaine rentrée scolaire, en particulier dans le département de l’Ain.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, vous le savez, l’école primaire est l’une des priorités de Jean-Michel Blanquer et du Gouvernement. Entre les rentrées 2017 et 2020, nous avons créé 11 900 postes, dans un contexte de forte baisse démographique marqué par la perte de 150 000 élèves dans le premier degré.
Nous avons dédoublé les classes de CP et de CE1, et nous avons commencé cette année le dédoublement des classes de grande section de maternelle.
À la rentrée 2020, le nombre d’élèves par classe est ainsi de 22,2 au niveau national, alors qu’il était de 22,7 à la rentrée précédente. Dans le département de l’Ain, ce taux s’améliore également, passant de 23,8 à la rentrée 2019 à 23,6 à cette rentrée.
Dans le département de l’Ain, comme dans tous les départements français, le nombre de professeurs pour 100 élèves connaît aussi une amélioration progressive : il est passé de 5,24 à la rentrée 2017 à 5,34 à la rentrée 2020.
Depuis la rentrée 2019, conformément à l’engagement du Président de la République, aucune fermeture d’école en milieu rural ne peut intervenir sans l’accord du maire.
Dans le département de l’Ain, nous n’avons constaté à la rentrée 2020 aucune fermeture de classe, et a fortiori aucune fermeture d’école en milieu rural.
L’engagement de ne fermer aucune classe en milieu rural sans l’accord du maire n’était valable que pour la rentrée 2020, au regard du contexte sanitaire exceptionnel. En revanche, l’engagement de ne fermer aucune école rurale sans l’accord du maire sera bien maintenu à la rentrée 2021.
Le travail de préparation de la carte scolaire qui s’engage pour la rentrée 2021 donne lieu à de nombreux échanges avec les élus locaux et se fait sur la base d’une appréciation fine et objective de la situation de chaque école. Dans le cadre de ces travaux, le département de l’Ain ne prévoit aucune fermeture d’école en milieu rural. J’espère que cette information sera de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur.
La concertation avec les maires est engagée et se poursuivra dans un esprit de dialogue constructif, afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de chaque école.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Pour une fois, elle était parfaitement claire.
La semaine dernière, votre collègue a manifestement confondu fermetures de classes et d’écoles, ce qui a suscité de la confusion et de la colère chez les enseignants et les maires.
Pour le département de l’Ain, les chiffres sont toutefois assez inquiétants, madame la ministre : 35 fermetures de classes sont prévues, contre 18 ouvertures. Avec 25 nouveaux postes créés, il y aura un solde positif de 42 enseignants, mais des fermetures interviendront malgré tout. Où sont passés ces postes, sachant que le dédoublement était acquis dès la rentrée 2019 ? Cela donne le sentiment qu’il y a plus de moyens, plus de postes, mais moins d’enseignants.
soutien aux associations sportives
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, auteur de la question n° 1439, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports.
M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés financières actuelles des associations et clubs sportifs, dont l’activité est à l’arrêt depuis de longs mois.
La première vague de la crise sanitaire a provoqué une chute significative des cotisations et adhésions. Le nombre de licenciés dans les fédérations a fléchi de manière significative lors de la première vague. Puis, lors de la rentrée sportive en septembre 2020, les adhérents ne sont pas parvenus à imaginer qu’il leur serait possible d’avoir une activité dans les mois à venir, réalité dont nous faisons aujourd’hui l’amer constat…
Le mouvement sportif a émis un appel à l’aide face à une menace pesant sur le modèle sportif français et, plus globalement, sur l’engagement bénévole. Les petits clubs font face à des demandes de remboursement de plus en plus nombreuses et voient leur équilibre sérieusement mis en péril. Ils essayent néanmoins de garder le lien avec leurs licenciés, par visioconférence ou par mail. Ils cherchent tous des modèles pour pouvoir garder ce lien.
Afin de permettre aux associations de sécuriser leur activité et de maintenir des emplois, afin de limiter les risques de défaillance, d’endettement non maîtrisé ou d’arrêt définitif des activités, il devient urgent de prendre des mesures exceptionnelles, madame la ministre.
Serait-il ainsi possible de convertir les cotisations et adhésions d’ores et déjà versées en dons, sous réserve que les associations sportives remplissent les conditions pour en recevoir ? Madame la ministre, vous savez mieux que quiconque ici dans cet hémicycle le rôle social, sanitaire et économique que jouent ces nombreuses associations dans le paysage français, et les grandes difficultés qu’elles traversent actuellement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Grosperrin, nous sommes conscients, tout comme vous, de la période très difficile que traversent nos associations et fédérations sportives, principalement celles qui proposent des activités en milieu couvert. Beaucoup de mesures ont déjà été prises par le Gouvernement pour soutenir ces associations.
Le fonds de 15 millions d’euros a été reconduit cette année pour les associations qui n’emploient pas de salariés : 3 000 associations en ont bénéficié l’an dernier, 3 000 en bénéficieront encore cette année.
Je suis également heureuse de vous annoncer que 66 % des associations françaises ont désormais eu recours au fonds plus général de solidarité de la DGFiP – elles n’étaient que 10 % voilà quelques mois –, qui leur permet de bénéficier d’une aide mensuelle pouvant aller jusqu’à 10 000 euros pour couvrir leurs charges fixes.
Un fonds de 10 millions d’euros va aussi être débloqué par l’Agence nationale du sport (ANS) pour soutenir les fédérations, qui voient de nombreux clubs se désaffilier en raison de l’incertitude pesant actuellement sur le circuit compétitif.
Évidemment, les acteurs nous adressent la même demande que vous, monsieur le sénateur : que peut-on faire pour éviter le pire, c’est-à-dire une saison blanche pour les associations et une demande de remboursement ? Une requalification en don de l’adhésion ou de la licence pourrait en effet être étudiée. Elle n’est toutefois pas automatique, puisqu’il faut pour cela que les organismes bénéficiaires soient reconnus d’utilité publique, ce qui est le cas des fédérations, mais pas des associations.
En outre, cette cotisation ne comporte pas uniquement l’accès à la pratique ou à l’équipement ; elle comprend aussi l’adhésion à la structure. Or de nombreuses associations font l’effort d’entretenir leur relation avec leurs adhérents.
Quoi qu’il en soit, le dispositif que vous proposez est aujourd’hui à l’étude, monsieur le sénateur. Toutefois, le prix d’une licence étant relativement minime – une trentaine d’euros environ –, la possibilité d’en faire don à la fédération en échange d’un crédit d’impôt, par exemple, n’empêchera pas des demandes de remboursement d’adhésions pouvant s’élever à 100 ou 200 euros. L’idéal serait de parvenir à autoriser le don de l’intégralité de l’adhésion. Je vais plaider en ce sens…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée. D’autres solutions sont également à l’étude, de même que la solidarité du monde sportif « en extérieur », qui se propose d’accueillir les adhérents des associations de pratique en intérieur, aujourd’hui pénalisés par la crise.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Les chiffres relatifs à la DGFiP sont en effet de nature à rassurer les clubs.
Nous vous demandons vraiment de plaider cette cause, madame la ministre. Le don ne doit pas concerner seulement la licence, mais aussi la cotisation. Sans cette manne financière, les clubs sportifs auront beaucoup de difficultés à reprendre l’année prochaine. Et vous savez mieux que moi le rôle essentiel qu’ils jouent dans la société française.
affaire mediapro et rendement de la taxe prévue à l’article 302 bis ze du code général des impôts
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la question n° 1469, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports.
M. Jean-Jacques Lozach. Madame la ministre, le 29 mai 2018, la Ligue de football professionnel (LFP) annonçait que le groupe sino-espagnol Mediapro remportait 80 % des lots relatifs à la retransmission télévisée des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la période 2020-2024. Cette attribution était matérialisée par la création d’une chaîne à péage, Téléfoot.
L’accord, tous diffuseurs confondus, portait sur des droits évalués à 1,153 milliard d’euros par saison, contre 726 millions d’euros sur la période 2016-2020, renforçant plus encore la dépendance économique des clubs français par rapport à ces droits.
À l’époque déjà, des doutes pesaient sur l’assise financière de Mediapro, qui pouvaient laisser anticiper la défaillance du diffuseur. Ainsi, la Fédération italienne de football, estimant manquer de garanties, l’avait écarté de la course aux droits de son championnat.
Depuis, Mediapro s’est effectivement révélé insolvable et ses lots viennent d’être entièrement rétrocédés pour la fin de la saison 2020-2021 à Canal+. Cet accord permettra aux clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 de percevoir, sur cette saison, un montant global de 680 millions d’euros, soit une baisse d’environ 40 % par rapport à ce que devaient leur apporter Mediapro, Canal+, BeIN Sports et Free.
Plus globalement, dans un contexte économique amorphe – pertes en billetterie et en prestations d’hospitalité, ralentissement durable du marché des transferts, désengagement des sponsors, etc. –, le net arrêt de l’inflation des droits télévisuels observé au Royaume-Uni et en Allemagne laisse augurer un cycle de décroissance. Ce dernier doit encourager les dirigeants français à construire les bases d’un modèle économique plus vertueux.
Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, nous avions pour la première fois voté l’affectation intégrale du produit de la taxe Buffet à l’Agence nationale du sport (ANS), pour un rendement estimé à 74,1 millions d’euros en 2021, ce qui correspond à un relèvement du plafond de 34,1 millions d’euros par rapport à 2020, essentiellement dû à la hausse des droits télévisés, dorénavant caduque.
Au nom de la solidarité du sport professionnel à l’endroit du sport amateur via cette taxe, cette réévaluation était attendue, notamment dans la perspective des jeux Olympiques de 2024.
Madame la ministre, le contrat de diffusion des droits du championnat de France de football professionnel représentant une part déterminante de l’assiette de la taxe, êtes-vous en mesure de nous rassurer quant à l’effectivité de ce rehaussement du produit de la taxe Buffet alloué au budget de l’ANS et voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 ? Et si oui, par quels mécanismes ?
Enfin, selon vous, une réflexion doit-elle être menée sur le modèle du football professionnel, dont la crise actuelle confirme la fragilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée des sports. Monsieur le sénateur Lozach, je vous remercie de votre question, qui me permet de saluer publiquement l’accord enfin trouvé entre un diffuseur principal, quelques autres diffuseurs sur les médias sociaux et la Ligue française de football professionnel. Nous étions d’autant plus attentifs à cet accord qu’un amendement adopté à l’Assemblée nationale avait en effet permis de porter le plafond de la taxe Buffet à son maximum, avec un rendement prévisionnel de 74 millions d’euros.
Cette taxe étant toutefois volatile par nature, comme toute taxe, nous avions anticipé le problème. Nous évaluons l’incidence de la crise des droits du football sur son produit à environ 20 millions d’euros, même si ces chiffres doivent encore être affinés en fonction des derniers événements et des accords signés la semaine dernière entre la Ligue et son diffuseur.
Nous ferons en sorte de compenser ce manque de ressources pour l’ANS : nous l’avons toujours dit, et Olivier Dussopt l’avait d’ailleurs confirmé lors des débats parlementaires sur le projet de loi de finances.
Nous examinerons donc la possibilité d’augmenter la dotation budgétaire de l’ANS en procédant au relèvement des plafonds des deux autres taxes affectées à l’Agence, à savoir la taxe sur les paris sportifs et la taxe sur les jeux en ligne, ou bien via le programme 219.
Monsieur le sénateur, je vous confirme que cette question sera traitée selon les engagements pris en fin d’année dernière et que nous avons ouvert la discussion avec les acteurs du football professionnel pour organiser une réflexion autour du modèle sportif professionnel en France, bouleversé comme partout en Europe par cette crise sanitaire.
difficultés des étudiants toulousains redoublant leur première année d’études de santé
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, auteure de la question n° 1482, transmise à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la ministre, je me fais le relais du désespoir des étudiants toulousains doublant et triplant leur première année commune aux études de santé (Paces), qui subissent la réforme de leur filière en même temps que la crise sanitaire, et qui ont le sentiment d’être abandonnés, mis de côté.
Ils sont 820 étudiants à ne plus être accueillis par leurs facultés respectives – Rangueil, Maraîcher et Purpan –, mais regroupés en une seule et unique promotion, seulement constituée de « doublants » et de « triplants », sous la responsabilité de la faculté de pharmacie, sans responsable pédagogique. Les cours magistraux sont déposés sur une plateforme d’apprentissage en ligne.
Ces étudiants n’ont plus d’enseignants face à eux depuis le mois de septembre ! Leur malaise est d’autant plus profond que, au-delà de la crise du coronavirus et de l’absence de numerus clausus, ils sont confrontés à la réforme de leur cursus. En effet, depuis cette rentrée universitaire, la Paces est remplacée par le parcours accès santé spécifique (PASS) ou la licence avec accès santé (LAS).
Nous pouvons ainsi constater que deux systèmes cohabitent en parallèle : deux promotions de première année avec deux systèmes, deux sites et deux traitements complètement différents !
En effet, contrairement à leurs aînés, les étudiants du PASS ou de la LAS de Rangueil ont commencé l’année en présentiel, puis en « hybride ». De quoi provoquer des crispations, madame la ministre ! Il n’y a aucune équité et l’impression prédomine que l’on balaie l’ancien système au profit de la nouvelle réforme.
Ces étudiants se posent aujourd’hui des questions tout à fait légitimes : le numerus clausus va-t-il être revu à la hausse pour cette promotion ? Les « doublants » vont-ils être en confrontation avec les PASS ? Les Paces vont-ils être prioritaires sur les PASS ? Qui accompagnera les quelque 500 étudiants qui devront se réorienter ?
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour accompagner au mieux ces jeunes toulousains, qui ont la ferme volonté de devenir les médecins de demain dont notre pays a tant besoin ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur les conséquences de la réforme des études de santé sur les étudiants en médecine à Toulouse. Permettez-moi tout d’abord d’adresser un message de soutien à l’ensemble des étudiants en médecine de notre pays. Je sais à quel point cette année hors norme exige d’eux engagement et détermination.
S’agissant de la réforme des études de santé issue de la loi du 24 juillet 2019, elle se déploie cette année dans un contexte évidemment bouleversé et contraint. Mais ce contexte ne doit pas nous faire oublier les fondamentaux de cette réforme. Les programmes ont été profondément modifiés, et je remercie toutes les facultés de santé qui y ont contribué.
Ouvrir le champ des possibles à nos étudiants, diversifier les voies d’accès aux filières de santé, mettre fin au numerus clausus et à la Paces, dont tout le monde reconnaissait les défaillances, telle est bien l’ambition du Gouvernement.
Cette réforme se met en place progressivement : les étudiants inscrits en Paces l’année dernière, et qui n’ont pas réussi leur concours, ont bien entendu été autorisés à redoubler, pour leur donner une deuxième possibilité de passer ces concours d’accès aux études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou maïeutiques. Il est donc parfaitement normal que, pour cette année universitaire, les étudiants de Paces redoublants côtoient des étudiants de PASS et de LAS dans la même université, mais avec des programmes de formation différents.
Ces étudiants qui redoublent bénéficient, pour cette année de transition seulement, d’un numerus clausus particulier qui leur est réservé. Il a été défini de façon que les candidats bénéficient d’un taux de réussite égal à celui dont ils auraient bénéficié statistiquement si le système précédent avait perduré. À Toulouse, les étudiants inscrits en Paces bénéficient ainsi d’un numerus clausus correspondant à un taux de réussite de 44 % : 349 places pour 800 étudiants inscrits.
Vous avez néanmoins raison, madame la sénatrice, il faut accompagner et expliquer cette réforme pour qu’elle soit comprise de tous, d’autant plus que cette année, vous l’avez rappelé, nos étudiants ont été tenus éloignés de leur lieu d’enseignement, parfois de leurs professeurs.
Ce travail de pédagogie et d’accompagnement, j’en ai bien sûr fait une priorité absolue. C’est pourquoi j’ai confié au doyen de l’université d’Angers, en lien avec la conférence des doyens des facultés de médecine, une mission de pilotage. Une adresse générique à laquelle peuvent être posées toutes les questions a été créée. Des référents de filière ont été désignés dans chaque université. Nous finançons aussi la réalisation de vidéos pour mieux expliquer cette réforme.
délivrance des visas pour femmes et hommes d’affaires d’afrique subsaharienne
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 1474, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Richard Yung. Madame la ministre, ma question porte sur la politique de délivrance des visas et des passeports talents pour les femmes et les hommes d’affaires d’Afrique subsaharienne.
Lors d’un récent déplacement en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région, des femmes et des hommes d’affaires m’ont fait part des difficultés rencontrées pour obtenir un visa d’affaires français. Alors que le Président de la République a fait de l’attractivité de la France une priorité, il semblerait que trop de talents africains soient encore victimes de délais trop importants ou d’excès de zèle dans le traitement de leurs demandes.
Selon un rapport publié par l’Assemblée nationale, l’Afrique subsaharienne ne représente que 7 % des passeports talents délivrés par la France en 2019, ce chiffre étant extrêmement bas au regard de l’intensité des liens commerciaux bilatéraux avec cette région du monde.
J’ai eu une longue discussion avec les chambres de commerce et d’industrie françaises et les conseillers du commerce extérieur de la France dans ces pays. Ils se plaignent de ne pas pouvoir faire d’affaires avec des femmes et des hommes d’affaires africains et de ne pas pouvoir les faire venir en France pour signer des contrats, ce qui est évidemment contraire à nos intérêts.
J’attire l’attention du ministre de l’intérieur sur le blocage spécifique concernant les créateurs d’entreprises. Lors d’une demande de passeport talent, la viabilité du projet est évaluée par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), lesquelles ne sont pas en mesure d’émettre ce visa. Les dossiers de ces femmes et de ces hommes d’affaires sont donc bloqués dans les services consulaires.
Je demande donc au ministère de l’intérieur, par votre intermédiaire, madame la ministre, s’il ne pourrait pas travailler en collaboration avec le ministère des affaires étrangères à une refonte de la délivrance des visas d’affaires et des passeports talents pour les ressortissants d’Afrique subsaharienne, en ayant en tête le caractère prioritaire de l’attractivité française.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Yung, dans le prolongement des orientations fixées par le Président de la République dans son discours de Ouagadougou, le volume de visas délivrés à des ressortissants africains est aujourd’hui en hausse constante, notamment pour les publics cibles de nos dispositifs d’attractivité.
Ainsi, depuis 2017, le nombre de visas de circulation délivrés sur le continent africain a progressé de 10 %, le nombre de visas délivrés à des étudiants africains a augmenté de 5 % et l’octroi de passeports talents a connu une hausse de 67 % dans les pays d’Afrique subsaharienne.
S’agissant spécifiquement du visa « passeport talent », la mobilisation de nos postes se heurte parfois au fait que sa finalité est une installation en France, ce qui n’est pas le but recherché par une part significative des demandeurs de visa du continent africain, davantage en recherche de mobilité et d’une forme de liberté de circulation entre la France et leur pays d’origine.
Cette souplesse de déplacement est possible avec les visas de circulation, dont la délivrance a aussi nettement augmenté au cours des dernières années.
Nos postes diplomatiques et consulaires ont toutefois instruction de poursuivre leur mobilisation afin de faire mieux connaître le dispositif du visa « passeport talent », avec l’appui des services culturels, des missions économiques et de Business France, et d’identifier les viviers locaux, cibles de cet outil d’attractivité.
Concernant plus spécifiquement les créations d’entreprises, le rôle joué jusqu’à maintenant par les Direccte dans l’évaluation des projets en vue de la délivrance d’un passeport talent création d’entreprise a vocation à être confié à un opérateur unique afin de permettre une meilleure analyse et une plus grande fluidité du processus. Il s’agit effectivement d’un point important pour garantir l’attractivité de notre pays.
Comme vous le savez, la politique des visas respecte un équilibre vertueux entre promotion de l’attractivité de notre territoire, maîtrise des flux migratoires et préservation de la sécurité de notre territoire national. Cette politique relève de la responsabilité du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui veillent conjointement au respect de cet équilibre. La commission stratégique des visas, mise en place en 2019 à l’échelon des directeurs de cabinet des deux ministères, définit tous les six mois les grandes orientations de cette politique publique.
compagnie républicaine de sécurité à demeure à bordeaux
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1499, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, Bordeaux et sa métropole font face à l’explosion de l’insécurité et de la délinquance. C’est un fait.
Nous sortons peu à peu du déni pour prendre toute la mesure d’une situation jusqu’alors inconnue dans la Belle Endormie, désormais tout à fait réveillée, pour le meilleur comme pour le pire.
Les causes sont multiples : professionnalisation des réseaux, notamment de stupéfiants, antagonismes entre quartiers, arrivée massive de mineurs non accompagnés (MNA). J’aurai d’ailleurs l’occasion d’évoquer ce dernier sujet ce soir dans ce même hémicycle.
Face à ces phénomènes convergents, j’ai souhaité immédiatement mettre en avant le rôle central des compagnies républicaines de sécurité (CRS), uniques dans la doctrine française du maintien de l’ordre, aussi bien lors de manifestations qu’au quotidien sur le terrain. À ce jour, Bordeaux reste la seule grande ville française à ne pas disposer d’une unité de CRS à demeure et de façon pérenne, dans le cadre du plan national de sécurité renforcée.
Pourtant, les CRS disposent d’un savoir-faire adaptatif qui conviendrait parfaitement pour assurer la sécurité de certains quartiers bordelais.
Par exemple, alors que la municipalité se refuse toujours à augmenter le nombre de caméras de vidéoprotection, les CRS pourraient déployer des systèmes autonomes de retransmission d’images pour la sécurisation d’événements. Ils sont dotés également d’un matériel que n’ont pas les autres corps de la police nationale, encore moins la police municipale, qui n’a pas de moyens adéquats.
Je suis la première à réclamer des CRS supplémentaires à la frontière espagnole, spécifiquement pour les MNA, et à sensibiliser sur la nécessité de maintenir des effectifs de maîtres-nageurs sauveteurs des CRS sur nos plages du littoral durant la saison estivale. Nous ne pouvons plus aujourd’hui, en France, raisonner à effectifs constants.
Le renforcement de la dotation en CRS de la direction zonale Sud-Ouest est une absolue nécessité et passe par la création d’une unité nouvelle. La demi-unité déployée depuis octobre, au détriment d’autres villes françaises, qui, elles aussi, en ont besoin, n’est pas pérenne. Il faut passer à la vitesse supérieure, madame la ministre. En rester à une demi-unité à Bordeaux, ce serait institutionnaliser la demi-mesure, ce que nous ne pouvons plus nous permettre face aux problèmes que nous subissons au quotidien.
Madame la ministre, vous devez prendre en urgence une décision forte, à la hauteur des enjeux !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Delattre, au nom du ministre de l’intérieur, je vous remercie d’avoir salué l’engagement des compagnies républicaines de sécurité, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de l’ordre public.
Les CRS sont aussi régulièrement mobilisées en renfort des effectifs de police locaux pour assurer des missions dites « de sécurisation » et, à cet égard, la ville de Bordeaux bénéficie depuis un an d’un important soutien de ces forces mobiles de la police nationale.
De mars à juin dernier, une unité de CRS a été engagée à Bordeaux, notamment pour contrôler les mesures de confinement. Depuis le 29 septembre dernier, la ville bénéficie de l’action, vous l’avez rappelé, d’une demi-unité de CRS, le reste de l’effectif étant à Nantes. Ce partage de compagnies entre deux villes n’est pas propre à Bordeaux. On retrouve ce schéma de partage à Strasbourg et Grenoble, par exemple.
Du 5 au 24 janvier, une unité supplémentaire de CRS a par ailleurs été affectée à Bordeaux en mission de sécurité générale, la ville bénéficiant alors d’une compagnie et demie.
Enfin, des agents des unités motocyclistes des CRS interviennent régulièrement à Bordeaux auprès des services territoriaux de la sécurité publique. Cet engagement des motards CRS à Bordeaux a représenté 780 agents en 2020.
Pour autant, le très fort niveau de mobilisation des CRS dans toute la France ne permet pas, à ce jour, l’affectation d’une CRS complète en mission de sécurisation à Bordeaux, mais les Bordelais peuvent également compter sur la mobilisation totale des policiers de la circonscription de sécurité publique, soit près de 840 gradés et gardiens de la paix.
Ces policiers sont principalement chargés d’assurer la sécurité du quotidien et reçoivent chaque fois que cela est nécessaire le renfort des unités départementales, qui comptent plus de 310 gradés et gardiens de la paix.
La ville de Bordeaux dispose aussi d’un quartier de reconquête républicaine, lequel a été créé dès 2018, avec un renfort dédié de quinze policiers. En outre, trois délégués à la cohésion police-population font aussi à Bordeaux un travail très important pour que notre police soit à l’écoute des habitants.
Le travail de la police nationale à Bordeaux porte ses fruits. Plusieurs indicateurs sont à la baisse en 2020 : on constate un recul de 7 % des vols avec violence, de 5 % des violences physiques et de 11 % des dégradations, par exemple.
Le ministre de l’intérieur tient aussi à saluer le rôle important joué par la police municipale de Bordeaux, qui exerce régulièrement des missions communes avec la police nationale. C’est en effet avec les collectivités locales que l’État peut mieux agir pour garantir aux habitants la sécurité et la tranquillité à laquelle ils aspirent légitimement. Le Beauvau de la sécurité permettra à court terme d’améliorer et de renforcer encore ces actions.
moyens du tribunal judiciaire de nanterre
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, auteur de la question n° 1459, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, je vais vous faire voyager et vous emmener dans les Hauts-de-Seine. Ma question portera sur les moyens de la justice dans ce département.
Les Hauts-de-Seine comptent 1,6 million d’habitants, plus de 6 000 sièges sociaux et l’un des plus grands quartiers d’affaires d’Europe, le site de la Défense. Aujourd’hui, la juridiction est sous-dotée en moyens à la fois humains et matériels. Le tribunal judiciaire de Nanterre est pourtant la cinquième juridiction française.
La juridiction est composée de 108 magistrats du siège, dont 101 en effectif réel. Selon la présidente du tribunal, Mme Catherine Pautrat, il en faudrait dix de plus. Elle écrit elle-même qu’elle mène un combat auprès de sa hiérarchie « pour que les effectifs de la juridiction de Nanterre soient revalorisés comme ils l’ont été à Marseille, Lyon ou Bobigny ». Par ailleurs, les 172 greffiers et 20 directeurs des services de greffe sont aussi en nombre insuffisant selon les bâtonniers.
Cette absence de moyens se traduit par des délais d’audience de plus en plus longs. L’implication des magistrats et des greffiers ne suffit pas. Par exemple, alors que les violences familiales ont augmenté de 36 % lors du premier confinement et de 60 % lors du second, les dossiers de divorce ne sont audiencés que plus d’un an après la mise en état terminée, soit un des plus longs délais sur l’ensemble du territoire national.
La présidente du tribunal indiquait en avril 2020 que, entre le 16 mars et le 11 mai, 432 audiences civiles ont été renvoyées, représentant 9 500 dossiers. Par ailleurs, à la suite de la grève des avocats, et avant même l’entrée en vigueur du confinement, deux chambres civiles fixaient déjà leurs audiences jusqu’en 2022. Le délai d’obtention d’une date de référé, c’est-à-dire d’une procédure d’urgence, est de quatre mois.
Dans les autres tribunaux de la juridiction, les délais sont également très longs. Ainsi, au conseil des prud’hommes de Nanterre, il faut attendre jusqu’à 2024. Au tribunal de proximité de Puteaux, le délai est de treize mois pour obtenir en référé une date d’audience.
Je l’ai dit, le dévouement des magistrats et des greffiers ne peut suffire à régler les problèmes. Quels moyens humains et matériels vont donc être accordés au tribunal judiciaire de Nanterre en 2021 et en 2022 ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Lavarde, votre question porte sur une thématique que suit tout particulièrement le garde des sceaux : la constitution de stocks d’affaires en raison des effets conjugués de la grève des avocats et de la crise sanitaire.
Vous l’avez rappelé, la mobilisation des magistrats et des greffiers n’est pas à remettre en cause. Les juridictions sont d’ores et déjà mobilisées pour réduire les stocks et les parquets ont réalisé un important travail de réorientation des procédures pénales. Mais, vous avez raison, il faut aller encore plus loin.
Afin de soutenir les juridictions dans la réduction des délais de traitement des affaires et leur permettre de résorber de manière importante leur stock, le garde des sceaux a décidé de confier à un groupe de travail la responsabilité de lui soumettre des propositions concrètes. Ce groupe de travail pluridisciplinaire est composé de magistrats, de fonctionnaires de justice et d’avocats. Il a pour mission de proposer au garde des sceaux toutes les mesures nécessaires, rapidement opérationnelles, pour atteindre cet objectif. Les recommandations de ce groupe sont attendues pour le 31 mars prochain.
S’agissant des emplois, le budget du ministère de la justice pour 2021 ayant connu une hausse historique, les juridictions bénéficient à l’échelon national de 914 emplois en renfort dans le cadre de la justice de proximité.
Le tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi bénéficié de la création de 19 emplois, ce qui représente une augmentation des effectifs de 5,4 %, dont deux renforts seront plus particulièrement affectés au soutien du pôle famille.
Ces renforts s’inscrivent dans une trajectoire de consolidation des effectifs de greffe du tribunal judiciaire de Nanterre, qui ont augmenté de 16 emplois au cours des cinq dernières années, soit une hausse de 5,4 %, bien supérieure, en moyenne, à celle des autres juridictions à l’échelon national sur la même période, qui s’établit à 1,6 %.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Vous évoquez la constitution d’un groupe de travail, ce qui signifie qu’il ne me sera pas apporté de réponse dans l’immédiat. Je vérifierai, madame la ministre, que les nouveaux emplois que vous venez d’indiquer auront bien été créés postérieurement à la rentrée solennelle du tribunal, à laquelle j’ai assisté. On m’avait alors indiqué que les moyens étaient défaillants.
Pour faire sourire les sénateurs présents, j’indique que le tribunal va enfin pouvoir ouvrir ses fenêtres, après quarante-huit ans de fermeture, grâce aux travaux qui vont être réalisés au cours des prochains mois. Vous le voyez, nous sommes tout de même assez loin d’une justice efficace !
chartes d’amitié entre des collectivités françaises et du haut-karabagh
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, auteur de la question n° 1265, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, plusieurs collectivités françaises ont signé avec des collectivités de la République d’Artsakh des chartes d’amitié et de solidarité. À la demande du Gouvernement, plusieurs préfets ont déféré ces chartes d’amitié à la juridiction administrative. Plusieurs d’entre elles ont été annulées.
Le 30 janvier 2020, devant le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le Président de la République avait déclaré qu’il n’était pas défavorable à l’expression de cette solidarité entre des collectivités françaises et la République d’Artsakh, mais qu’il fallait trouver un cadre juridique adapté et que le Gouvernement ferait des propositions en ce sens.
Depuis lors, nous le savons, l’Azerbaïdjan et la Turquie, cette dernière ayant mobilisé des supplétifs djihadistes venus de Syrie, ont mené une guerre massive, d’une rare violence, contre la petite république de l’Artsakh, enclavée, isolée et abandonnée de la communauté internationale.
En ces lieux, dans cet hémicycle, le Sénat, par 301 voix pour et une voix contre, a voté une résolution pour demander l’arrêt immédiat des combats et la reconnaissance officielle par la France de la République d’Artsakh.
Aujourd’hui, les populations restées dans le territoire encore contrôlé par la République d’Artsakh manquent de tout. Ce pays a été cruellement saigné par une guerre qui lui a fait perdre la plupart de ses jeunes cadres. C’est maintenant, monsieur le secrétaire d’État, qu’un effort de solidarité, en particulier de la France, est nécessaire pour leur venir en aide.
Un an après l’engagement pris par le Président de la République, je vous demande quelle forme juridique pourraient prendre les chartes d’amitié et de solidarité que souhaiteraient adopter de nouveau les collectivités françaises avec leurs sœurs meurtries de l’Artsakh.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Monsieur le sénateur, depuis que vous avez posé cette question, le 23 juillet dernier, la situation a considérablement évolué sur le terrain, vous le savez.
Cette guerre d’une grande violence, qui s’est déroulée du 27 septembre jusqu’au cessez-le-feu du 9 novembre, a fait plusieurs milliers de morts. Des deux côtés, des vies et des familles ont été brisées.
La France s’est fortement mobilisée, à tous les niveaux – le Gouvernement, les collectivités locales, les associations de solidarité – pour venir en aide à l’Arménie et aux Arméniens.
Concernant les chartes d’amitié, le Président de la République en a appelé, dans le discours que vous avez évoqué, à une application du droit, des décisions de justice prises par les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, tout en soulignant qu’il était par ailleurs possible de travailler très concrètement en faveur des populations isolées, jetées sur les routes ou réfugiées en Arménie.
Il a parlé de solidarité et les projets humanitaires qu’il a évoqués dans ce même discours ont trouvé à s’appliquer de façon très concrète et très intense cette année.
À la suite du conflit, le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères a affrété cinq avions d’aide humanitaire à destination d’Erevan, notamment au profit d’un certain nombre Karabatis réfugiés en Arménie. Je peux en parler : j’ai conduit l’une de ces missions le 27 novembre dernier. Des bateaux transportant plusieurs dizaines de tonnes de fret sont arrivés par la Géorgie. Je me suis également rendu dans deux hôpitaux à Erevan au chevet des blessés graves, pour tenter, avec Youri Djorkaeff, ambassadeur de bonne volonté, de leur apporter un peu de réconfort.
En tant que coprésidente du groupe de Minsk, la France doit tout faire pour qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. Cela passe par la consolidation du cessez-le-feu, la libération de tous les prisonniers, la pleine mise en œuvre de la déclaration du 9 novembre.
Pardonnez-moi, madame la présidente, d’être un peu long,…
Mme la présidente. Je ne vais pas vous pardonner, je vais vous interrompre !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. … mais cette question touche de nombreuses familles.
Nous allons nous attacher à amplifier la coopération économique avec l’Arménie, dans un contexte nouveau, dans lequel on peut toutefois poursuivre de nombreuses actions concrètes ou prendre des initiatives humanitaires ou éducatives, portées par des associations.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. En conclusion, je précise que nous allons poursuivre ce travail avec l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), le Fonds arménien de France, la Fondation Aznavour, mais aussi les collectivités locales, qui sont très mobilisées.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Dans la mesure où vous avez largement dépassé votre temps de parole, j’ai espéré jusqu’au dernier moment que vous me donneriez le point de vue du Gouvernement sur ces chartes. Malheureusement, vous ne l’avez pas fait, je le regrette. Je ne manquerai pas de revenir vers vous et de vous poser de nouveau cette question.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Si, j’y ai répondu au début !
modalités d’application du droit du travail sur le site de l’euroairport
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 1290, transmise à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Mme Patricia Schillinger. J’attire l’attention de M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur la situation de l’EuroAirport Bâle-Mulhouse et sur les incertitudes qui y prévalent en matière d’application du droit du travail.
Créé par la convention de Berne du 4 juillet 1949, l’EuroAirport est un établissement binational franco-suisse de droit public, doté de deux secteurs d’activité, l’un français, l’autre suisse, tous deux entièrement situés sur le territoire français. Ce caractère binational constitue l’un des atouts majeurs de l’EuroAirport.
Les entreprises situées en secteur suisse contribuent en effet de façon déterminante à la dynamique de développement de l’aéroport et du bassin d’emploi qu’il irrigue. Ainsi, sur les 6 500 emplois directs créés par la plateforme, 4 900 se situent en secteur suisse. La majorité de ces salariés résident en France.
Mais la singularité de l’EuroAirport est aussi à l’origine d’une forme d’insécurité juridique, notamment en matière d’application du droit du travail.
Cette incertitude avait pu être levée en 2012, grâce à la conclusion entre les autorités suisses et françaises d’un accord de méthode censé permettre aux entreprises installées en secteur suisse de déroger au droit du travail français.
Cependant, en mars 2020, quatre arrêts de la Cour de cassation ont remis en question la validité de cet accord de méthode, en lui refusant toute valeur juridique, car il n’a pas été ratifié par les autorités suisses et françaises.
Cette situation menace gravement le devenir de cette infrastructure essentielle, de laquelle dépend le dynamisme de tout un territoire.
En conséquence, quelles actions envisagez-vous de mettre en œuvre pour régler de manière définitive et pérenne la question du cadre juridique de l’EuroAirport, après déjà quelques mois de travail ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Madame la sénatrice, le secteur du transport est particulièrement affecté par les conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. L’aéroport de Bâle-Mulhouse a ainsi connu une chute de 70 % de son activité hors fret depuis le début de l’épidémie.
À cette situation s’ajoutent les interrogations soulevées par les opérateurs économiques à la suite des arrêts de la Cour de cassation de mars 2020.
Je ne vous apprendrai rien – vous avez rencontré Clément Beaune il y a une semaine – en vous disant que le Gouvernement est attaché à cette infrastructure originale et essentielle pour le bassin de vie du sud des plaines alsacienne et bâloise. Le Gouvernement répond présent à travers les aides transversales et notamment l’activité partielle, y compris pour les salariés du secteur suisse.
La négociation se poursuit avec nos homologues suisses pour obtenir un certain nombre de garanties en matière d’emploi. S’agissant de la question du droit applicable, le Gouvernement travaille à identifier tous les leviers disponibles pour garantir la sécurité juridique des contrats des salariés, sans renoncer aux principes essentiels de notre droit du travail.
Nous avons une piste. Depuis 2017, notre droit du travail a évolué, ce qui permettra peut-être de faire avancer les choses. Les contentieux qui ont fondé la décision de la Cour de cassation relèvent en effet de licenciements antérieurs à la simplification de notre droit du travail. D’autres solutions sont sur la table, comme une modification de l’accord de Berne, ce qui nécessiterait une modification des traités et donc un passage devant le Parlement, qui aurait à en débattre.
En tout état de cause, soyez assurée que Clément Beaune et Élisabeth Borne demeurent pleinement mobilisés sur ce sujet. Je sais que les parlementaires travaillent également d’arrache-pied sur cette question. Tout sera fait pour apporter la stabilité et les aides nécessaires durant cette période de crise afin que les salariés, comme les entreprises, puissent maintenir leurs activités dans les mois à venir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État pour le travail qui est en cours, tout en rappelant que la situation de nombreuses personnes est en jeu. Nous comptons sur le soutien du Gouvernement, car la situation de l’EuroAirport est originale d’un point de vue géographique : il est situé sur une zone frontalière.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Patricia Schillinger. Je ne manquerai pas de revenir vers vous sur ce sujet si la situation n’évoluait pas.
freins au développement du spiritourisme
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 1400, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Michel Savin. Monsieur le secrétaire d’État, la production de spiritueux constitue une activité économique importante de notre pays. À lui seul, ce secteur emploie près de 100 000 personnes en France et rapporte près de 4,7 milliards d’euros à l’exportation.
Les modes de production de ces alcools forts sont souvent issus de savoir-faire ancestraux. Avec ces spiritueux, c’est notre histoire et notre patrimoine que nous faisons vivre, comme dans mon département de l’Isère, où les moines de la Grande Chartreuse se transmettent depuis des siècles la recette secrète de la célèbre liqueur verte. C’est aussi un enjeu de rayonnement culturel et touristique pour notre pays. Nombre de nos compatriotes, mais aussi beaucoup d’étrangers ont envie, après avoir découvert ces produits, d’en savoir plus sur leurs étapes de fabrication.
Inspiré par le succès du tourisme lié au rhum en Martinique et en Guadeloupe, le Gouvernement promeut depuis plusieurs années les projets de « spiritourisme » visant à favoriser la découverte et la valorisation de ces alcools forts. Or, dans les faits, ces projets risquent de se heurter à la réglementation ICPE, qui interdit la présence de visiteurs sur des sites de production d’alcool stockant plus de 50 000 litres. Ainsi, dans mon département, l’État a récemment demandé la fermeture des Caves historiques de la Chartreuse, l’un des lieux les plus emblématiques. Le récent incident industriel de Lubrizol n’a fait qu’attiser les tensions.
Beaucoup de ces fabricants d’alcool n’ont pas les moyens d’avoir deux sites : un pour la production et le stockage, un autre pour les visites. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais savoir si vous comptez adapter la réglementation ICPE aux contraintes particulières des sites de production et de stockage d’alcools forts ayant une vocation touristique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Je partage votre constat, monsieur le sénateur Michel Savin : le spiritourisme, qui est un rameau du tourisme de savoir-faire, est un véritable trésor national, une filière touristique d’exception et d’excellence. La dernière saison estivale a d’ailleurs montré l’engouement de nos compatriotes pour la redécouverte d’un tourisme sans doute plus authentique et davantage tourné vers nos terroirs, notre culture et notre patrimoine. Je l’ai constaté dans mon département de l’Yonne, comme vous, sans doute, dans votre territoire.
Le spiritourisme s’inscrit dans ce mouvement de fond : 15 millions de visiteurs sont accueillis chaque année dans plus de 2 000 entreprises françaises dont les produits sont fabriqués en France selon un véritable savoir-faire qui se transmet parfois depuis des siècles.
Comme vous l’avez indiqué, nous soutenons fortement cette filière en lien avec la FFS, la Fédération française des spiritueux, et avec l’association nationale de la visite d’entreprise. En 2019, j’ai d’ailleurs lancé le club des 100 sites d’excellence du tourisme de savoir-faire.
Vous le savez, en matière de fabrication de spiritueux, tout est question d’alchimie. C’est aussi d’alchimie qu’il s’agit dans les politiques que nous menons pour promouvoir le spiritourisme : un savant dosage entre le soutien que nous apportons à cette filière et le respect d’un certain nombre de réglementations. En ce domaine, nous sommes à la croisée de la réglementation relative à la sécurité et à l’accueil du public, de la réglementation relative aux installations classées et de celle de la prévention des risques industriels.
Le problème que vous soulevez est loin d’être anecdotique, puisqu’une centaine d’entreprises ouvertes au public sont concernées. Nous devons donc absolument démêler l’écheveau. C’est pourquoi j’ai souhaité qu’une expertise – en cours – soit conduite afin de clarifier un certain nombre d’interprétations et d’étudier d’éventuelles adaptations qu’il conviendrait d’apporter pour ne pas entraver le développement du tourisme de savoir-faire et le spiritourisme, qui constituent un vrai levier de croissance pour les entreprises qui le pratiquent.
Soyez assuré que nous poursuivrons le travail ensemble dans les toutes prochaines semaines afin de trouver les meilleures solutions et que je veillerai à ce que nous réussissions cette délicate alchimie qui permettra au spiritourisme de produire de l’or.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends que vous partagez nos inquiétudes concernant cette filière, dont vous avez rappelé qu’elle est un véritable trésor national. Nos compatriotes, mais aussi de plus en plus d’étrangers visitent ces installations.
Vous l’avez dit, il y a urgence : ces professionnels attendent aujourd’hui des réponses concrètes, car ils ne peuvent pas continuer à restreindre leur activité touristique du fait de ces réglementations. Il faut que la réglementation évolue rapidement pour permettre à ces producteurs d’alcool fort de maintenir une activité touristique de qualité.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Opération barkhane : bilan et perspectives
Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur « l’opération Barkhane : bilan et perspectives ».
Cette séance s’organisera en deux temps. Tout d’abord, la parole sera donnée à l’auteur du débat, à un orateur de chaque groupe, puis aux ministres pour leur répondre. Ensuite, nous procéderons à une séquence de seize questions-réponses.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Nicole Duranton et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je souhaiterais vous remercier, monsieur le président, d’avoir accepté l’organisation de ce débat. Le Sénat – j’en suis convaincu – s’honore de ce moment de vie parlementaire et démocratique. Il est exceptionnel, aussi bien par sa forme, qui prévoit un temps d’expression réservé aux groupes politiques, que par le sujet traité, l’opération Barkhane.
Je voudrais également vous remercier, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, d’avoir bien voulu participer à ce débat. Loin de tout esprit politique, il nous permettra notamment de vous faire part des travaux menés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées depuis plus d’un an. Au moment où l’opinion publique semble s’interroger, il est sans doute bon que les institutions jouent leur rôle en permettant une expression diverse mais constructive.
Ce débat est d’abord l’occasion de saluer une fois encore l’engagement exceptionnel de nos militaires. Rappelons le prix très lourd qu’ils ont payé : 55 morts. J’ai une pensée particulière pour le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel, qui fêterait aujourd’hui même ses trente ans. Nous nous inclinons devant leur mémoire. Notre reconnaissance et notre soutien vont bien sûr aussi aux nombreux blessés. Nous ne les oublions pas ! Expliquer leur action et le sens de leur mission, comme nous allons le faire cet après-midi, est sans doute la meilleure manière de leur rendre hommage.
Le 22 avril 2013, nous avons autorisé la prolongation de l’opération Serval, conformément à l’article 35 de la Constitution. Près de huit ans plus tard, Serval est devenue Barkhane, et la France est toujours engagée au Sahel.
En huit ans, les modalités de notre engagement ont beaucoup évolué. Le nombre de nos soldats a fortement augmenté : de 3 000 à l’origine, il est passé à 4 500, puis à 5 100. L’ennemi s’est aussi, hélas ! beaucoup transformé. L’État islamique dans le Grand Sahara est monté en puissance : les attaques djihadistes se sont étendues dans le centre du Mali, dans la zone des trois frontières puis au Burkina Faso, et menacent maintenant tout le golfe de Guinée.
Quelques jours avant le sommet de N’Djamena, il est donc temps de faire ensemble le point sur cet engagement de longue haleine et de tracer de nouvelles perspectives. À cet égard, savoir si 600 soldats vont ou non quitter Barkhane est certes important, mais n’apporte pas totalement la réponse que nous attendons. Nous souhaitons avant tout comprendre la stratégie du Gouvernement pour la période à venir. En effet, un double constat s’impose à nous.
Sur le plan militaire, les forces armées de l’opération Barkhane ont indéniablement remporté de très nombreux succès tactiques. Dernièrement, dans le cadre de l’opération Bourrasque, de nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés, ce qui a en partie désorganisé les groupes terroristes.
En outre, nous sommes parvenus à mobiliser le soutien d’un certain nombre d’alliés européens, même si les moyens qu’ils ont mis en œuvre nous paraissent encore insuffisants. La force Takuba a pu commencer à entrer en action. Les armées de nos alliés du G5 Sahel ont également progressé, souvent en payant le prix du sang. Nous devons leur rendre hommage, car le tribut qu’ils ont payé est indiscutablement un prix très fort dans la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, grâce à la pression exercée en permanence par nos forces et par celles de nos alliés, la constitution d’un sanctuaire djihadiste a pu être évitée, ce qui était l’objectif initial.
Un autre constat, cependant, s’impose à nous : le dénouement de cette crise, qui dure depuis huit ans, ne sera certainement pas militaire, nous le savons. La solution ne peut être que politique. Par conséquent, elle est essentiellement du ressort des Maliens eux-mêmes. Or les accords d’Alger n’ont pas été appliqués. Pis, le nouveau coup d’État au Mali nous donne parfois l’impression d’un retour en arrière de près de huit ans.
Dans ces conditions, allons-nous signer pour un nouveau bail de huit ans ? Que se passera-t-il si, au terme de cette période, rien n’a changé sur le plan politique au Mali ? Nous ne pensons pas qu’un retrait brutal de nos armées soit la bonne réponse ; ce ne serait ni conforme à nos intérêts ni à celui de nos alliés qui ont demandé notre aide. Nos choix doivent consolider les acquis de Barkhane, et non les sacrifier. Mais nous sommes en droit, compte tenu de notre engagement et du prix que nous payons, d’attendre des progrès sur la voie de la réconciliation nationale malienne.
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, quel sera le message de la France à nos alliés sahéliens lors du sommet de N’Djamena ? En somme, c’est votre feuille de route pour la période à venir que nous souhaitons connaître. Les Français veulent tout simplement savoir quel est le plan du Gouvernement pour qu’un jour la France puisse retirer ses forces sans craindre un nouveau séisme.
De notre côté, nos travaux ont mis en évidence le caractère crucial du développement économique et, par conséquent, celui de l’aide publique au développement. C’est essentiel pour lutter contre les causes profondes du terrorisme au Sahel. Sans cela, nous ne traiterons que les symptômes, et les populations locales finiront par nous voir comme des troupes d’occupation.
Nous avons dépensé 900 millions d’euros pour Barkhane en 2019, contre seulement 85 millions d’euros en aide publique au développement nette pour le Mali. Certes, nous ne sommes pas seuls : l’Alliance Sahel, créée en 2017, a également mobilisé des sommes très importantes. Toutefois, il nous reste très difficile d’atteindre des régions qui en ont le plus besoin, particulièrement au nord du Mali. C’est pourtant la seule façon d’offrir des perspectives aux jeunes de ces territoires. Éducation, santé, services publics de base : telles sont les améliorations concrètes que les populations attendent et qu’elles doivent voir enfin arriver. La future loi d’orientation sur la solidarité internationale, que nous allons enfin pouvoir examiner dans quelques semaines, sera l’occasion de réorienter encore davantage nos efforts sur ces priorités.
Enfin, notre débat d’aujourd’hui doit être l’occasion d’aborder des préoccupations plus immédiates. La protection de nos soldats constitue pour nous une priorité absolue. Qu’en est-il du renforcement du blindage des véhicules légers que nous attendons encore ? Ne faut-il pas basculer dans la mesure du possible vers davantage d’aéromobilité, puisque les principaux attentats qui touchent nos troupes interviennent à l’occasion de convois automobiles ? À cet égard, j’ose croire que l’actualisation de la loi de programmation militaire nous permettra aussi d’aborder directement ce sujet.
Monsieur le ministre, madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes loin de toute posture. La diversité des points de vue qui vont s’exprimer le montrera. Nous sommes face à une situation difficile, complexe. Il n’y a pas de solution toute faite, mais nous devons nous confronter ensemble à cette complexité. Tel est le rôle du Parlement.
Mes chers collègues, ce débat est aussi un symbole. Il s’adresse à nos concitoyens pour qu’ils sachent que, partout où la France se bat, c’est pour faire progresser la paix. Quant à nos soldats qui patrouillent en ce moment même dans les déserts brûlants et dangereux du Sahel, puissent-ils accueillir ce débat comme la marque de notre confiance et de notre soutien. Ils sont la fierté de la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre des armées, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mes chers collègues, permettez-moi d’entamer mon propos en rendant un hommage appuyé à nos soldats, à ces femmes et à ces hommes d’exception engagés au Sahel, dont la combativité et le dévouement sont inégalables. Leur abnégation est un modèle pour nous tous. Je veux leur dire, au nom du groupe RDPI, combien nous sommes fiers d’eux et combien nous leur sommes reconnaissants. Ils peuvent compter sur notre soutien indéfectible. À tous nos soldats tombés au service de notre nation, je rends également un hommage ému et sincère.
La tenue de ce débat tombe à point nommé, puisqu’il se déroule à quelques jours d’un sommet déterminant à N’Djamena. Il nous donne l’occasion de réaffirmer l’action capitale que mène la force Barkhane et de renouveler toute notre confiance au Président de la République et à son gouvernement.
Les groupes armés terroristes que nos soldats combattent, hier avec l’opération Serval pour les empêcher de provoquer la chute d’un État allié, le Mali, et aujourd’hui avec Barkhane pour les empêcher de faire de la bande sahélo-saharienne une base arrière du terrorisme de la taille de l’Europe, représentent une menace bien tangible. Mais, en passant de Serval à Barkhane, nous sommes passés d’une guerre d’intervention courte et rapide à une guerre d’un tout autre genre.
Nous avons pleinement conscience que, sans nos soldats sur place, aux côtés des armées sahéliennes, cette menace s’étendra demain à toute l’Afrique de l’Ouest. C’est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette analyse qu’ils s’investissent chaque jour un peu plus au Sahel. Cela me donne l’occasion de saluer l’engagement de nos alliés européens, que ce soit au sein de la task force Takuba ou dans d’autres opérations.
Depuis le sommet de Pau, Barkhane a fortement accéléré le rythme de neutralisation des groupes terroristes. En outre, la montée en puissance des forces sahéliennes est encourageante, bien que celles-ci ne soient toujours pas en mesure de prendre la relève intégrale de Barkhane et d’affronter seules la menace des groupes armés. Au côté du rôle essentiel de la France, une addition de faiblesses ne fait pas une force.
Si nos armées remportent chaque jour des victoires tactiques, il nous faut prendre conscience que la crise est aussi politique et économique.
Comme il est stipulé dans les quatre piliers complémentaires du sommet de Pau, nous devons transformer ensemble les gains durement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux et trouver un moyen de sortir l’approche « 3D » – diplomatie, défense, développement – de sa phase incantatoire.
Pour ce faire, nous avons besoin d’engagements forts de la part de nos partenaires sahéliens, surtout maliens. Il faut une feuille de route claire en faveur d’une bonne gouvernance politique démocratique et du développement de services publics dans les zones fragiles – je pense notamment aux zones du Nord –, nécessaires pour restaurer la confiance en l’État, de la tenue d’élections en mars 2022, de la préservation de l’espace humanitaire et du développement de nouveaux ponts économiques, de la lutte contre la corruption, les trafics humains, de stupéfiants et de produits de contrebande en tout genre, qui gangrènent la société et favorisent l’insécurité et l’instabilité. Après la Guinée-Bissau, le Mali est en passe de devenir progressivement un narco-État dans lequel les trafiquants achètent les consciences et les votes.
Ces engagements doivent également concerner la lutte contre la désinformation, avec l’arrivée de fake news qui viennent progressivement salir l’image de nos forces et de notre pays. Du racisme à rebours à l’anticolonialisme primaire, en passant par la réécriture de l’Histoire, leur caractéristique commune est le dénigrement de l’action passée, présente et future de notre pays en Afrique.
Nous le voyons bien, en parallèle du cadre strictement militaire, il existe toute une série d’autres combats à mener, qui prennent beaucoup de temps et qu’il s’agit de concrétiser rapidement sous peine d’enlisement.
Six ans après qu’il a été signé, comment se fait-il que la mise en œuvre de l’accord d’Alger de 2015 pour la paix et la réconciliation au Mali en soit toujours à ses balbutiements ?
Monsieur le ministre, par quels moyens politiques et diplomatiques envisagez-vous d’intervenir pour assurer la mise en œuvre concrète de cet accord de paix ? Avec quels acteurs comptez-vous avancer et dialoguer, alors que le paysage régional comprend une myriade de protagonistes locaux armés ayant leurs propres agendas locaux ? Comment lutter contre l’instrumentalisation malveillante des opinions publiques locales et la propagation de fausses informations à des fins de politique intérieure ou par des puissances étrangères qui sapent nos efforts communs ?
Le temps joue contre nous. C’est malheureusement une règle universelle : plus une opération militaire dure, plus la population locale a tendance à attribuer aux soldats la responsabilité de certaines situations.
Pacifier ces pays en faisant naître un réel sentiment d’appartenance nationale passera par le développement.
Tous ces objectifs ne pourront être atteints sans l’aide de la France et des acteurs étatiques et économiques sur place. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le président Cambon d’avoir pris l’initiative de ce débat.
À un an de l’élection présidentielle française, à quelques jours du sommet du G5 Sahel à N’Djamena, ne comptez pas sur moi pour polémiquer sur un dossier qui engage la France.
M. Olivier Cadic. Très bien !
M. Jean-Noël Guérini. La présence de 5 100 enfants de la Nation sur ce territoire sahélo-saharien appelle à des échanges responsables, loin des querelles politiciennes.
Après le décès de cinquante et un de nos soldats, j’entends ici et là les velléités de certains d’inviter au retrait de nos forces armées, en raison du coût et de l’intérêt d’une mission que d’aucuns trouvent discutable. Je ne vais pas distribuer les bons ou les mauvais points de ce choix stratégique et géopolitique. En revanche, je tiens à poser les enjeux actuels de cette opération, qui s’éternise malheureusement. Sa durée peut-elle pour autant justifier un retrait, voire une réduction de notre niveau d’engagement, alors même qu’António Guterres insiste dans son rapport trimestriel relatif à la situation au Mali sur le degré de violence auquel est confrontée la population ?
Rappelons tout de même les raisons de notre présence au Mali à la demande du gouvernement de ce pays.
Barkhane, c’est un gage de stabilité dans une zone en souffrance, un besoin réel pour contenir le terrorisme et ses nombreuses répercussions en Europe et sur notre territoire, un engagement à la formation de militaires maliens, un projet « araignée » d’aide à la population, une influence de la France.
À l’occasion de ses vœux aux armées, Emmanuel Macron a rappelé que, « face aux risques de destruction des relations internationales et de notre société, les armées françaises ont été un facteur de stabilité, de force et de résistance ». Barkhane est entièrement résumée dans cette phrase. Notre présence a pour objectif de garantir une sécurité pérenne sur ce territoire, en partenariat avec les forces de Bamako et du G5 Sahel.
La zone des trois frontières, à cheval entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est l’un des poumons des troupes djihadistes, aujourd’hui réunies sous la bannière de l’État islamique dans le Grand Sahara, branche locale de l’EI. L’enjeu est bel et bien de contenir le terrorisme, dont nous mesurons, hélas ! les répercussions en France et en Europe.
Barkhane, c’est certes une présence militaire, mais ce sont aussi des projets d’aide à la population tendant à faciliter l’accès à l’eau, à l’énergie, à la santé, aux médicaments gratuits. Ils sont destinés à accompagner la population plutôt que de la laisser traverser la Méditerranée dans des conditions inhumaines. Ces projets sont sans doute insuffisants – j’en conviens –, mais ils sont indispensables. L’avenir de ces populations n’est pas dans la migration, mais bien dans le développement du Mali et de la bande sahélo-saharienne.
C’est pourquoi Barkhane est également un engagement à la formation de militaires maliens, fondement de la lutte active contre le terrorisme qui ronge ce territoire en terrorisant la population.
Pérenniser notre intervention, si durable soit-elle, si douloureuse soit-elle, si chère soit-elle, demeure un enjeu géostratégique, un enjeu de coopération, un enjeu humain. En effet, notre engagement est l’un des fondements de notre influence en Afrique et dans le monde. Oui, notre présence représente une dépense importante – 1 milliard d’euros par an –, mais nous ne sommes plus seuls : 50 % du transport de personnel et près de 40 % du transport de matériel relèvent désormais des pays alliés et européens.
Notre politique d’influence en matière de défense mérite mieux que des projections budgétaires contraintes et la crainte de pertes humaines parmi les militaires.
Que répondre à cette émotion, sinon qu’il faudrait se remémorer ici, à cette tribune, l’intervention de notre ami et ancien collègue, Jean-Marie Bockel, après la perte de son fils : « Nous sommes infiniment tristes et fiers aussi de notre enfant. C’était un soldat engagé qui savait pourquoi il était là. »
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, soyons fiers du travail accompli par nos troupes. Ne les perturbons pas dans leur mission par nos discussions, qui peuvent sembler superfétatoires, voire irrespectueuses à l’égard de leur engagement au service de la liberté, de la sécurité et de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et SER.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la tenue de ce débat et remercier le président de notre commission d’en avoir pris l’initiative. Il n’est plus acceptable de placer le Parlement devant le fait accompli alors que, dans quelques jours à N’Djamena, le Président de la République devrait annoncer une fois de plus d’importantes décisions.
Madame la ministre, vous avez déclaré devant notre commission : « Dire que la France est engluée dans une guerre sans fin est faux. » De notre côté, nous pensons que rien ne serait plus faux que de ne pas interroger sans concession les résultats de l’opération Barkhane.
Vous ne trouverez pas plus farouches opposants aux terroristes islamistes que les communistes. Les démocrates que nous soutenons à travers le monde sont partout pourchassés et tués par ces groupes. Nos combats émancipateurs sont menacés par leurs visées obscurantistes. Mais les huit années de guerre au Mali ont-ils éteint ou propagé le feu du terrorisme islamiste et de tous les entrepreneurs de violence ? Le Mali vit-il davantage en paix qu’il y a huit ans ? Poser ces questions, c’est malheureusement y répondre. De plus en plus de Maliens, les populations civiles des pays du Sahel, ainsi que des militaires, des diplomates, des universitaires français posent ces questions avec nous.
Pour un coût exorbitant – près de 1 milliard d’euros par an depuis huit ans – et plus de 5 000 soldats engagés, nous infligeons – c’est vrai – des pertes aux groupes djihadistes, mais nous ne faisons pas reculer la violence ni baisser les pertes humaines. Au contraire, elles ne font que s’accroître : 55 militaires français ont perdu la vie ; 5 000 Maliens, soldats des armées locales ou civils, ont été tués depuis 2015 ; plus de 4 000 l’ont été dans l’ensemble de la région rien qu’en 2020 ; on comptabilise aussi un demi-million de déplacés dans la sous-région.
La situation humaine, politique et économique du Mali empire. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes continuent de développer leur sinistre entreprise.
Les leçons des guerres menées au nom de la « guerre contre le terrorisme » ne sont pas tirées. Chaque fois, les pays sont laissés en proie au chaos pour des décennies. La désintégration de la Libye en est un exemple. Elle est d’ailleurs directement à l’origine d’une partie des violences armées dans le nord du Mali. Dans quel état laisserons-nous le Mali et les autres pays de la région si nous poursuivons dans cette voie ?
Censés venir pour protéger le Mali, nous jouons aux apprentis sorciers, réveillant les divisions pour trouver des alliés, prétendant choisir entre les bons et les mauvais groupes armés, nourrissant la relance des conflits communautaires, jouant un jeu trouble avec le Mouvement national de libération de l’Azawad, suscitant la défiance des Maliens devant le risque d’une partition du pays qu’entérinerait la mainmise de groupes armés islamistes ou non sur le Nord. C’est d’ailleurs pourquoi les accords d’Alger ne peuvent être invoqués comme « la » solution politique et doivent être profondément révisés. Les islamistes prospèrent sur ces divisions, recrutent en exploitant le désespoir de populations spoliées de toute part.
Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l’impasse est certaine. Il faut créer les conditions d’un départ programmé de nos troupes, afin de lui substituer un nouvel agenda politique, économique et de sécurité pour le Mali et la région.
Cela ne se fera pas en un jour, car le mal est fait. Il ne s’agit évidemment pas d’abandonner le Mali au chaos. Le calendrier du retrait doit être discuté avec le Mali, l’Union africaine et l’ONU ; il doit en outre s’adosser à une nouvelle réponse multilatérale et africaine en matière de sécurité et à un nouvel agenda de coopération.
Notre appui militaire doit être recentré sur le soutien aux armées locales, en retenant la formule d’un comité d’état-major conjoint des forces africaines qui exclue les puissances étrangères.
La France doit soutenir avec vigueur la feuille de route de Lusaka baptisée « Faire taire les armes en Afrique », participer à toute initiative multilatérale visant le désarmement de tous les groupes armés non étatiques, ainsi – c’est très important – que la lutte contre les flux financiers illicites qui subventionnent les trafics, les violences et les guerres en Afrique.
Mais, plus que tout, c’est notre agenda politique qui doit changer. La France et l’Union européenne doivent encourager par tous les moyens, et en priorité sur les territoires les plus délaissés par les pouvoirs publics, de vastes plans d’action pour le développement. Les populations africaines, et singulièrement leur jeunesse, ont les ressources pour le construire et les entretenir.
Les pays africains doivent sortir de la domination et d’un modèle d’économie extravertie, tourné vers les besoins des multinationales et d’élites aisées corrompues, car c’est le mal profond dont nous sommes encore les complices.
La France doit massivement augmenter son aide publique au développement en révisant ses objectifs. Notre pays doit agir sans tarder pour mettre à disposition de ces pays des droits de tirage spéciaux, aujourd’hui non utilisés par les pays riches, afin de redéployer les services publics de l’éducation, de la police, de la justice, de garantir les droits des femmes, d’élaborer une fiscalité générant des ressources endogènes et de garantir une maîtrise locale des ressources et la valorisation de capacités productives propres. Tel est l’intérêt des Africains ; tel est aussi notre intérêt.
Le développement ne doit pas rester le troisième « D », alibi d’une stratégie militaire et diplomatique dans l’impasse. Il doit être l’ambition autour de laquelle tout doit s’organiser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour et au nom de mon groupe remercier notre président Christian Cambon, qui a sollicité et obtenu ce débat très attendu sur toutes les travées de cet hémicycle. En effet, depuis neuf ans que nous avons débuté notre intervention au Mali et au Sahel, ce n’est que la seconde fois que nous avons l’occasion d’avoir un débat de fond sur la stratégie, les enjeux et les perspectives de l’opération Barkhane.
Je tiens à saluer unanimement l’engagement opérationnel de nos forces mobilisées sur les différents théâtres d’opérations de cette bande sahélo-saharienne, au Mali comme au Niger. Sur ce territoire grand comme l’Europe tout entière et au climat des plus arides, nos militaires mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme et le fanatisme, parfois au péril de leur vie.
Je veux avoir une pensée pour nos soldats tombés au combat, leurs frères d’armes, leurs proches, leurs familles. Mes pensées vont également en cet instant à notre ami et ancien collègue Jean Marie Bockel.
Les opérations Serval puis Barkhane ont permis d’empêcher l’installation d’un califat territorial au Mali et la création d’un sanctuaire djihadiste comparable à celui qu’a instauré Daech au Levant. Cependant, malgré de nombreuses victoires stratégiques et la neutralisation de nombreux chefs de groupes armés terroristes, force est de constater que la guerre est loin d’être gagnée.
L’histoire nous démontre que l’intervention de pays occidentaux sur des théâtres d’opérations extérieures s’apparente le plus souvent à des conflits asymétriques : forces militaires conventionnelles, d’un côté, groupes armés terroristes noyés au sein des populations, de l’autre. Pourtant, cette asymétrie ne confère pas une supériorité très évidente et ne permet pas à nos forces de vaincre la détermination, l’imagination et la mobilité opérationnelle de ces groupes armés, qui évoluent en effectif réduit et sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement.
Force est aussi de constater que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, loin de s’être améliorée, s’est véritablement dégradée : le conflit originel au nord du Mali s’est régionalisé ; il s’étend désormais vers le sud jusqu’au Burkina Faso et se propage jusqu’aux pays riverains du golfe de Guinée. Aux conflits interethniques plus locaux se mêlent désormais les revendications idéologiques et religieuses.
Ainsi, les forces françaises apparaissent bien seules sur ce terrain.
Depuis neuf ans, l’engouement des autres pays européens à s’engager aux côtés de la France demeure peu visible par l’opinion publique. Est-ce seulement parce que la France est encore l’une des seules nations européennes à disposer d’une armée d’emploi, madame la ministre ? Pourtant, la poursuite de notre engagement dans cette bande sahélo-saharienne nécessite indiscutablement une coopération européenne et internationale élargie et renforcée, ainsi qu’une prise de conscience de tous les États membres de l’Union de l’intérêt qu’il y a à lutter collectivement contre le terrorisme, au plus près de ses racines dans cette région du monde.
Cette coopération européenne ne peut se limiter à la mission européenne de formation de l’armée malienne. Celle-ci s’inscrit certes dans une approche globale pour renforcer les capacités militaires en vue de garantir l’intégrité territoriale, mais elle doit désormais aller au-delà d’une collaboration limitée au G5 Sahel, censée permettre aux armées locales d’intervenir de façon autonome dans la zone des trois frontières.
Ce dispositif nous paraît à ce jour insuffisant pour faire face à la progression vers le sud de la zone d’influence des groupes armés terroristes. Il doit rapidement s’étendre de façon effective à tous les États membres de la CEDEAO, que sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo ou le Bénin. Il s’avère désormais indispensable d’associer plus largement les pays riverains du golfe de Guinée.
Lors du sommet de Pau, les chefs d’État du G5 Sahel ont réaffirmé leur volonté de renforcer cette force conjointe. Son élargissement sera-t-il pour autant évoqué lors du prochain sommet de N’Djamena ?
Lorsque l’on évoque la collaboration européenne, il faut également parler de la task force Takuba, que vous appelez de vos vœux, madame la ministre, pour soutenir l’opération Barkhane. Cette composante de forces spéciales était également censée matérialiser l’engagement de l’Europe et renforcer la logique d’un partenariat de combat.
Au-delà des bonnes intentions de nos voisins, les premiers éléments des forces spéciales françaises et estoniennes sont arrivés sur le théâtre des opérations. Mais qu’en est-il de l’engagement de nos autres partenaires ? Pouvez-vous nous indiquer de façon précise, madame la ministre, comment s’effectuera la montée en puissance de Takuba ?
Une stratégie qui repose sur les deux piliers que sont l’« européanisation » et la « sahélisation » sera-t-elle suffisante pour sortir du conflit ? La question reste posée. Sans les citer, nous ne pouvons ignorer les velléités de certains États puissances très intéressés par cette région du monde et, plus particulièrement, par le continent africain.
Alors, certes, il n’y a pas de petites victoires dans une guerre à condition qu’il soit envisageable de la gagner. Celle que la France mène au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane avec ses alliés ne pourra se solder que par une implication politique plus forte, à commencer par celle des pays concernés.
Nous sommes tous conscients que l’absence de l’État dans ses missions régaliennes, que ce soit l’administration publique, les services de santé, l’éducation ou l’accès à des besoins vitaux, ne peut que favoriser l’emprise de groupes armés terroristes sur les populations locales. Il est difficile dans ces conditions de percevoir l’État comme protecteur et non comme prédateur. Sans un État plus fort, la paix sera impossible.
Une véritable issue politique passe inexorablement par des politiques d’aide au développement des populations sahéliennes plus fortes, avec une stratégie claire de la part des pays bénéficiaires et des acteurs de l’aide, ainsi que des fonds importants, qui ne peuvent là encore que résulter d’une collaboration internationale. Or, aujourd’hui, il s’avère souvent plus facile de trouver des financements pour faire la guerre que pour rétablir la paix.
L’ensemble de ces éléments doit certes nous conduire à faire évoluer notre manière de nous engager dans ce conflit. Même s’il n’est pas envisageable d’opérer une réduction massive de l’empreinte française sur le terrain, une réflexion sur un accompagnement à forte valeur ajoutée de notre participation – drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées – ne doit pas être occultée.
À l’heure actuelle, le besoin prioritaire est d’établir une stratégie claire et un calendrier de transition adapté aux forces en présence, car la situation en Afrique de l’Ouest demeure d’une grande complexité.
Pour conclure mon propos, permettez-moi d’évoquer deux axes qui, à notre sens, pourraient être source d’évolutions positives.
Tout d’abord, à quelques jours de sa tenue, le sommet de N’Djamena devra bien entendu permettre de réaffirmer la volonté des pays du G5 Sahel, mais également de solliciter une véritable implication des pays qui sont désormais menacés.
Ensuite, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a déclaré il y a quelques jours vouloir renouer avec le multilatéralisme et réinstaurer le dialogue avec l’Union africaine, afin « de faire face aux périls les plus imminents ».
Mes chers collègues, l’issue de ce conflit sera politique ou ne sera pas. Réfléchissons à ce que disait Paul Valéry : « Les guerres, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et qui s’entretuent parce que d’autres qui se connaissent très bien ne parviennent pas à se mettre d’accord. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Je veux vous dire ma joie de vous voir à cette tribune, mon cher collègue.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Jean-Marc Todeschini. Je vous remercie.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux commencer mon intervention sans avoir à mon tour, au nom du groupe socialiste, une pensée pour nos militaires, leurs familles et leurs proches.
À ce jour, plus de 5 000 militaires sont engagés dans l’opération Barkhane. Depuis 2013, 55 militaires y ont perdu la vie, dont – comme nos collègues l’ont rappelé – le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel. Ce sont des femmes et des hommes fiers et libres, qui ont fait de leur vie un engagement au service, non seulement de notre drapeau, mais plus encore d’une certaine idée de la liberté.
Alors secrétaire d’État à vos côtés, monsieur le ministre, je garde le souvenir de celles et de ceux que j’ai croisés, de leur professionnalisme indiscutable, de leur très haut niveau d’entraînement, de leur détermination sans faille, de leur courage en somme. Ce qui m’a frappé et qui restera gravé en moi, c’est que revient toujours dans les yeux et les mots des proches de celles et ceux qui sont morts au combat le sens du devoir. On entend chaque fois cette phrase : « Nous n’aurions jamais pu le ou la dissuader de partir en opération, d’être aux côtés de ses camarades pour servir. »
Dans un monde où l’on ne cesse d’observer les effets de l’individualisme, nos militaires, dont la plupart sont très jeunes, démentent les idées reçues. Ensemble, avec leurs familles et leurs proches, avec tous les Français aussi, ils ne font qu’un. Il est important de rappeler régulièrement cet engagement et de le mettre en valeur.
Je ne reviendrai pas longuement sur les raisons qui ont conduit à la situation actuelle. Ces éléments sont connus.
Loin des fake news et des réseaux sociaux, l’opération Barkhane a été lancée le 1er août 2014. Elle fait suite à l’opération Serval, mise en œuvre à partir du 11 janvier 2013. Rappelons-nous toujours qu’en quelques heures, à l’appel du Président démocratiquement élu du Mali, François Hollande, Président de la République française, alors commandant en chef de nos armées, a dû prendre la difficile décision de recourir à l’usage de la force pour protéger la liberté à plus de 6 000 kilomètres de chez nous.
Telle est la seule raison de notre présence au Mali : la liberté. Nous serons toutes et tous d’accord ici, et par-delà nos travées, pour saluer le courage de cette décision, celle du Président François Hollande. La France s’est honorée de ne pas rester les bras croisés quand le peuple malien a fait appel à elle. Cette décision était nécessaire, responsable et digne.
Dans les faits, cette première bataille a été remportée en quelques semaines. Dès les premières heures, le dispositif français se déployait, démontrant une fois de plus les exceptionnelles capacités opérationnelles de projection de l’ensemble de nos forces armées.
Oui, la France fait partie d’un club mondial très fermé, celui des nations capables de projeter massivement leurs forces dans le cadre d’opérations extérieures ! Au nom de nos valeurs, ces capacités militaires exceptionnelles confèrent, dans le concert des nations, une responsabilité supplémentaire dont notre pays a pleinement conscience.
Ces derniers temps, nous entendons et lisons des choses insupportables pour la raison, dénuées de tout fondement rationnel. Il est essentiel de rappeler régulièrement les faits, les causes et les objectifs, de ne pas laisser s’installer des rumeurs nauséabondes pour notre pays, mais plus encore et plus largement pour la démocratie.
La France n’est pas un pays impérialiste, colonisateur ou déstabilisateur. La France ne poursuit qu’un seul but : la paix ; d’abord et avant toute autre considération, la paix dans la dignité pour les peuples, la paix, ici, au Mali et dans les pays voisins, pour que les peuples de cette région aient la possibilité de vivre librement, sans être maintenus sous le joug quotidien du terrorisme et de son aboutissement politique, dont la communauté internationale sait ce qu’il représente pour les peuples afghan, irakien, syrien et tous les autres.
Redire la véracité des faits n’a rien d’artificiel dans un contexte de développement de suspicions, notamment dans le pot-pourri qu’est de plus en plus souvent internet, où tout se mélange. Face aux attaques dans le cyberespace, dont nous savons qu’au moins deux grandes puissances n’hésitent plus à faire un usage assidu, la vérité des faits est essentielle. Il faut en effet toujours revenir aux causes profondes pour déterminer la situation telle qu’elle se présente.
En ce sens, ne serait-il pas plus urgent d’associer régulièrement les parlementaires et, notamment, de leur donner plus de moyens, afin qu’ils exercent leur pouvoir de contrôle sur l’exécutif, un pouvoir traditionnellement relégué au second plan sur ces questions sensibles ? Nous avons ici l’occasion de changer de prisme et d’améliorer nos pratiques pour ne pas laisser le poison des rumeurs se propager et en revenir à l’objectivité des faits. Si, tactiquement, le succès de nos opérations militaires est indiscutable, il est tout aussi essentiel de débattre de notre stratégie, comme nous le faisons aujourd’hui.
En décembre 2015, le gouvernement, par la voix de son ministre de la défense – vous-même, monsieur le ministre, puisque c’est le poste que vous occupiez alors –, avait soulevé une question qui, avec le recul, apparaît encore plus fondamentale : qui est l’ennemi ?
Pour agir sereinement et efficacement, la nature de la réponse doit nous conduire à reposer régulièrement cette question. Cet ennemi est effectivement mouvant, en évolution permanente, immergé dans les sociétés pour déstabiliser les États et tenter d’y diffuser un ensemble idéologique à rebours de la liberté, toujours avec la perspective, ne l’oublions jamais, d’instauration de proto-États de type Daech.
Cette situation ne relève ni des angoisses ni des fantasmes du monde occidental. C’est la réalité du terrain, telle qu’elle a été décrite, notamment, dans le Livre blanc de 2013.
Pour faire face, la France n’a jamais eu la culture et l’obsession de la guerre préventive, là où d’autres pays ont pu s’y confondre, prenant le risque de s’y perdre moralement, culturellement et économiquement. Les comparaisons avec ces pays, si elles pourraient avoir le mérite de questionner notre stratégie – ce qui est nécessaire –, retomberaient immédiatement à l’épreuve des faits. En effet, la France, fidèle à ses valeurs et à sa tradition, a intégré que la sécurité absolue est un leurre et que l’ennemi doit sans cesse être redéfini, au plus juste et en réaction.
Au Mali, comme ailleurs, notre stratégie ne varie pas : la France ne mène aucune guerre préventive ; la stratégie française est défensive et dissuasive.
Je le disais, ce débat est nécessaire, parce qu’il faut toujours questionner et redéfinir l’ennemi au plus juste, parce qu’il s’agit, aussi, de dépasser le simple cadre militaire.
Pour ne pas sombrer dans ce chaos où des forces obscures connues souhaitent entraîner les pays de la région, en premier lieu le Mali, les opérations militaires, y compris lorsqu’elles sont couronnées de succès, ne suffisent pas. Elles peuvent même conduire à l’impasse sans une approche globale politique, diplomatique, économique, éducative et judiciaire.
Nous le savons, une stratégie durable repose sur cet éventail de dispositions. Or, madame la ministre, le sentiment grandissant, dans les médias, mais aussi, à bien des égards, sur le terrain opérationnel et parfois même jusque dans nos armées, c’est que ces dispositions, par-delà les opérations militaires, sont de moins en moins visibles.
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous le savez, de nombreuses questions sont posées. Je me permets d’en relayer quelques-unes.
Où en sommes-nous sur le terrain diplomatique, notamment au sein du G5 Sahel ? Nous le savons, la situation en Libye est loin d’être stabilisée ; quels sont les effets de la crise libyenne pour la zone de travail de Barkhane ? Peut-on s’attendre à un changement d’attitude de la part des États-Unis et de la nouvelle administration du Président Biden ? Sans tomber dans le risque opérationnel que ferait courir la publication d’un calendrier, à quelle échéance les pays auront-ils localement suffisamment de moyens pour prendre le relais militaire ? En d’autres termes, où en sommes-nous de la formation et de l’accompagnement ? Dans les champs économique et éducatif, comment accompagnons-nous les pays menacés ? Quels sont les projets structurants qui permettront aux territoires du Nord, où la misère est grandissante, de sortir de l’impasse ?
M. le président. Il faudrait conclure !
M. Jean-Marc Todeschini. Dans le contexte actuel de crise sanitaire, pourriez-vous par ailleurs nous indiquer les mesures prises sur cet axe particulier ?
En somme, nous vous posons la question directement et sans détour : quelle est précisément la stratégie de la France au Mali, au sein de l’opération Barkhane et plus largement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants tient à rendre hommage à nos soldats, à celles et ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés, à tous les militaires actuellement engagés et à leur famille.
Une mission a été confiée à notre armée : lutter contre les groupes armés terroristes. Elle l’a admirablement accomplie et continue de le faire. Nos soldats ont ainsi libéré les villes occupées et poursuivent les terroristes partout où ils se trouvent. Ce n’est pas au moment où le bilan de l’opération Barkhane s’améliore, alors que de nouveaux entrants européens viennent nous épauler, qu’il faut baisser la garde.
Le principal effet de l’opération Barkhane est de prévenir l’effondrement des États et la création d’un sanctuaire par les terroristes. Tout retrait donnerait satisfaction aux activistes qui sont, par nature, nos ennemis. Ne nous y trompons pas !
Les armées locales sont encore loin d’être en mesure de lutter seules contre ces groupes. Un retrait de nos forces serait suivi d’une nette dégradation des conditions de sécurité, qui entraînerait des déplacements massifs de population.
Au cœur du Sahel, contrairement à la désinformation des réseaux sociaux, la population malienne, à une très forte majorité, aspire au maintien de la présence militaire française. Notre pays peut s’enorgueillir de son action. Le sacrifice de nos soldats pour une juste cause n’est pas vain. La tâche est considérable.
Pour fonder une paix durable, les nations de la zone doivent renforcer leur unité. Les États et leurs services publics doivent également être capables d’assurer une présence auprès de toutes les populations et sur tous les territoires.
J’illustrerai mes propos par l’exemple d’une ville que je connais bien. En 1995, j’ai initié une coopération décentralisée entre ma ville et celle de Kati, limitrophe de Bamako. Aujourd’hui, la situation y est catastrophique. Cette commune de plus de 100 000 habitants a vu les aides versées par l’agence nationale pour le développement passer de 30 millions à 9 millions de francs CFA. Connaissez-vous beaucoup de villes pauvres qui pourraient supporter une baisse de 70 % de leur budget ? Les agents territoriaux ne sont plus rémunérés.
À Bamako, il est de plus en plus difficile de circuler. La misère se développe, par manque de travail et de ressources alimentaires, mais aussi par l’arrivée de déplacés fuyant les zones dangereuses. Nos amis Maliens souffrent sur les plans économique, touristique, sécuritaire et politique.
Sur le plan économique, les partenaires d’hier commencent à manquer cruellement. Les aidants sont de plus en plus rares.
Sur le plan touristique, les villes de Ségou et de Mopti, qui connaissaient un flux régulier de touristes, ont perdu une ressource précieuse.
Sur le plan sécuritaire, dans les zones les plus exposées au terrorisme, voilà cinq ans que des milliers d’écoles sont fermées. Il en va de même, vous le savez, au Burkina Faso et dans bien d’autres endroits. Cette situation est extrêmement grave, car c’est sur ce terreau que croît l’effervescence radicale terroriste.
Aussi, sur le plan politique, les gouvernants des États du Sahel doivent affronter une situation très complexe.
Les écoles doivent rouvrir. Pour affaiblir et faire disparaître les groupes armés terroristes, il faut agir à tous les niveaux.
L’opération Barkhane ne saurait, à elle seule, résoudre le phénomène terroriste au Sahel. Elle est une condition nécessaire à l’émergence de solutions politiques.
Si la zone passait sous le contrôle des terroristes, comme ce fut le cas en Afghanistan ou au Levant, le risque serait grand de voir la violence s’exporter contre nos populations. Nous serions alors forcés d’intervenir dans des conditions encore plus dégradées, comme nous l’avons fait contre les talibans ou contre l’État islamique.
En somme, l’action militaire n’empêche pas la défaite ; la victoire demeure entre les mains des responsables politiques locaux. Rien, cependant, ne permet de dire quand de telles solutions pourront être trouvées. La France doit donc s’attendre à ce que son intervention dans la région dure – nous devons nous y préparer.
Dans ces conditions, il convient de rendre notre effort soutenable. Il faudra continuer à chercher des soutiens concrets à l’action que nous menons, pour que nous ne soyons pas seuls à supporter les coûts de cette opération, qui sert les intérêts de tout le continent européen. Nous ne pouvons réduire notre effectif que dans la mesure où de nouveaux contingents européens prennent la relève.
L’Europe doit prendre en considération cette dimension, soit par une mutualisation des coûts, soit par une contribution accrue à l’aide au développement des pays du Sahel. En effet, convenons-en ensemble, lutter contre la misère reste aussi le grand défi à relever. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et UC. – M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la prorogation en 2013 de l’opération Serval, devenue Barkhane, le Parlement est muet. Mis à part les débats budgétaires, n’autorisant aucune discussion stratégique, son rôle est réduit à néant. L’esprit de l’article 35 de notre Constitution s’est évanoui depuis bien longtemps ! Aussi, je me félicite de l’organisation de ce débat à la demande de notre commission, même si celui-ci n’engage nullement le Gouvernement.
Il y a pourtant beaucoup à dire et à proposer ! Sept ans après le début de l’opération Barkhane, le bilan de l’engagement français nous laisse perplexes.
Voilà un an, lors du sommet de Pau, le Président de la République annonçait une montée en puissance de l’opération, notamment par l’envoi d’un renfort de 600 hommes. Le coût financier de l’opération, lui aussi, s’est accru : de 520 millions d’euros en 2014 à environ 1 milliard d’euros en 2020. Pour quels résultats ?
Certes, l’opération Barkhane engendre des succès tactiques, comme les opérations Bourrasque et Éclipse. Mais ces succès nous rapprochent-ils des objectifs de la France et de ses partenaires ? Les armées locales sont-elles en capacité de circonscrire la menace terroriste ? Les États du Sahel ont-ils rétabli leur autorité et engagé un processus de réconciliation ? Si tels sont nos objectifs, nous en sommes encore loin…
En effet, il est clair que la neutralisation d’individus de haut rang ne fera pas disparaître le terrorisme sur le long terme. L’hybridation des groupes armés avec le tissu local et la montée des conflits communautaires sont nourries par des tensions systémiques, au premier rang desquelles, le changement climatique.
La désertification, les sécheresses, qui déciment les cheptels et assèchent les points d’eau, touchent durement les éleveurs et les populations. L’insécurité alimentaire s’ajoute aux violences quotidiennes et permet aux groupes terroristes de proliférer.
Face à ce bilan, les insuffisances de l’intervention militaire deviennent évidentes. Or ces insuffisances ont un coût humain, qu’il n’est plus possible de négliger. Je pense d’abord aux pertes parmi l’armée française. À ce jour, nous déplorons 55 morts français au Sahel depuis 2013 ; les derniers, le brigadier Loïc Risser et le sergent Yvonne Huynh, sont tombés au mois de janvier 2021, et je leur rends ici, ainsi qu’à leur famille, un hommage appuyé. Mais la population civile locale est la première victime de ces conflits. Les pertes civiles ne se comptent plus en centaines, mais en milliers de personnes, sans parler des millions de déplacés et de réfugiés.
Dans un tel contexte, les circonstances de la frappe opérée le 3 janvier près de Bounti au Mali, qui aurait potentiellement touché des civils, doivent impérativement être éclairées. Cette transparence est nécessaire, car une intervention qui ne serait plus soutenue par la population locale perdrait sa légitimité.
Nous sommes aujourd’hui à la veille du sommet de N’Djamena, où se réuniront de nouveau le Président de la République et ses homologues du Sahel pour un bilan d’étape. Ce bilan doit être un tournant, car l’enlisement, qui devait être à tout prix évité, semble déjà une réalité. À cet effet, il nous apparaît important de rappeler que la solution militaire ne remplacera jamais la solution politique.
Dans un contexte de démocratie fragilisée, voire absente depuis le coup d’État d’août 2020, il faut en priorité appuyer les transitions démocratiques et redonner un souffle à l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali. À ce jour, malgré l’activisme affiché par l’Algérie à la fin de l’été, sa mise en œuvre reste laborieuse. Les États et organisations médiateurs, avec, en tête, l’Algérie, la France et l’ONU, doivent donner ensemble une nouvelle impulsion à l’accord.
Par ailleurs, le tabou des pourparlers avec certaines des organisations armées doit être débattu. Les négociations poursuivies par certaines personnalités maliennes avec ces groupes sont déjà une réalité et doivent être accompagnées par la France, lorsque les revendications politiques ou territoriales portées ne sont pas incompatibles avec nos exigences. À cette fin, la France doit soutenir l’évolution d’un cadre politique clair et légitime.
Ensuite, si notre pays décide un désengagement progressif, celui-ci doit s’accompagner d’une participation européenne accrue et garantie par un renforcement du G5 Sahel.
Malgré le lancement de la task force Takuba l’année dernière, la participation de nos partenaires européens reste trop limitée : les contingents estoniens, tchèques et suédois intégrés à l’opération ne représentent pas une capacité supplémentaire décisive. Or, au vu de la responsabilité que portent nos voisins européens sur l’intervention au Sahel, une participation plus importante sur le volet développement serait entièrement justifiée.
Pour conclure, je dirai que la solution politique que nous appelons de nos vœux ne saurait exister, nous semble-t-il, sans un renforcement considérable de l’aide publique au développement. C’est un point sur lequel nous reviendrons au cours du débat. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa et M. Pierre Laurent applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais remercier le président Christian Cambon, à qui, comme cela a déjà été souligné, nous devons ce débat.
Ce débat tombe à pic : dans quelques jours, le sommet de N’Djamena réunira nos partenaires du G5 Sahel, dans un contexte où, il faut bien le dire, nos modalités d’intervention sont de plus en plus questionnées. C’est donc l’occasion pour nous, membres du groupe Les Républicains, non seulement d’adresser un message au Gouvernement, mais également de rendre un hommage appuyé à nos armées, qui, très loin d’ici, font la fierté de toute la Nation et l’admiration d’une très grande partie des armées du monde. En effet, ce que l’armée française accomplit au Sahel, dans des conditions si difficiles, sur un territoire si vaste, avec des moyens somme toute limités, très peu d’armées dans le monde en seraient capables.
« Loin des yeux, loin du cœur »… Jamais dicton populaire n’aura été aussi faux : les Français savent parfaitement que nos soldats luttent contre l’islamisme et le terrorisme. Là-bas, comme chez nous, c’est le même combat, un combat sans cesse recommencé pour la paix, pour la liberté et, bien évidemment, pour la vie ! Nous avons à l’esprit leur courage – vertu suprême selon Aristote, puisque c’est elle qui permet toutes les autres. Nous avons à l’esprit leur engagement au nom d’un idéal français, leur don de soi, tellement différent de cette obsession de soi si contemporaine.
Non, nos 55 soldats, auxquels je veux rendre un hommage particulier, ne sont pas morts pour rien ! Sans l’intervention de la France, portée par ses différents Présidents de la République et ses gouvernements successifs, que se serait-il passé ? Nous aurions sans doute eu un sanctuaire islamiste, un nouveau califat, un autre proto-État, au cœur du Sahel, aux portes du Maghreb ; c’est-à-dire à la frontière sud de l’Europe et de la France.
Nous avons connu et nous connaîtrons encore des succès militaires. Le succès militaire que représente Barkhane doit, malgré tout, nous ouvrir des perspectives pour discuter de cet engagement.
Nous savons parfaitement – c’est une leçon de ces dernières années – qu’aucun succès militaire ne peut déboucher sur une paix durable sans succès diplomatique ou politique. C’est d’ailleurs le sens des propos que vous avez tenus devant notre commission, madame la ministre, lorsque vous avez indiqué qu’il fallait désormais « transformer les gains tactiques […] en progrès politiques, économiques et sociaux ». À quelles conditions pouvons-nous accomplir cette transformation ?
À Brest, à l’occasion de ses vœux aux armées, nous avons entendu le Président de la République dire qu’il faudrait sans doute « ajuster notre effort », comme si – mais je me trompe peut-être et, dans ce cas, vous me démentirez – il s’agissait de revenir aux effectifs d’avant le sommet de Pau. Ce serait, à notre sens, le statu quo. Or nous voulons vous dire que le retrait n’est pas une option : il ruinerait tous nos efforts et rendrait inutile la mort de nos soldats ; le statu quo ne saurait tenir lieu de stratégie, car il risquerait de nous conduire à l’embourbement.
Alors, quelles sont précisément ces conditions, en tout cas les pistes pour un engagement réussi, alliant succès militaires et succès politiques ?
La première piste est celle du dispositif militaire. Sans reprendre ce qu’a très bien dit Christian Cambon, je veux insister sur le fait qu’il faudra s’adapter en permanence, se concentrer sur les forces spéciales, aéroporter nos forces pour limiter les risques liés aux bombes et, bien sûr, sécuriser avec un blindage approprié le transport de nos troupes.
La deuxième piste est celle qui demandera plus d’efforts, sans doute plus d’engagement à nos partenaires, à commencer par nos partenaires européens. Certes, Takuba est une avancée, mais celle-ci est insuffisante. La perspective la plus prometteuse et la plus immédiate concernant nos partenaires européens, c’est le renforcement de la mutualisation, le renforcement de leur contribution à notre effort pour la sécurité globale. Cela me paraît capital.
Bien sûr, il y a le G5 Sahel, qui paie le prix du sang – un très lourd tribut. Ce sont des partenaires que nous devons accompagner, mais qui doivent aussi renforcer leur engagement. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire…
Enfin, je veux insister sur une troisième piste, qui m’apparaît capitale : l’adéquation de notre effort pour la sécurité avec notre effort de coopération. Cette combinaison semble aujourd’hui mal calibrée : si j’en crois les chiffres du président Cambon, l’opération Barkhane nous coûte chaque jour 2 millions d’euros, alors que nous accordons 200 000 euros à la coopération. C’est insuffisant !
La France, seule, ne peut pas tout. Ce que je propose, c’est que l’Europe contribue plus ! L’Europe, mes chers collègues, est le premier contributeur mondial en matière de soutien humanitaire. Elle doit pouvoir mieux nous aider, de même que l’AFD, dont la logique – permettez-moi de le dire – nous dépasse parfois. Nous aimerions, à cet égard, beaucoup plus de transparence.
En tout cas, cette association entre effort pour la sécurité et effort de coopération est essentielle, car, dans ces zones désertiques, une école, un dispensaire, un accès à l’eau font beaucoup plus que bien d’autres actions.
Pour finir, je voudrais dire qu’il ne peut évidemment pas y avoir de reconstruction sans réconciliation. Il faudra exiger du Mali qu’il applique les accords d’Alger ; il faudra sans doute que l’Algérie elle-même entre en jeu pour garantir l’application de ces accords. De même, il faudra encourager le dialogue entre le Nord et le Sud, entre le peuple peul et le peuple dogon.
Madame la ministre, monsieur le ministre, nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. À nous de leur indiquer le sens de leur mission, quelle est notre vision, selon quelle stratégie. Nous attendons des éléments de votre part à ce sujet. Mais sachez que mon groupe assumera toujours ce devoir : au-delà de nos divergences politiques, dès lors qu’est en jeu l’intérêt supérieur de la Nation, nous serons toujours à vos côtés et aux côtés de l’armée française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai à cet instant une pensée particulière pour Jean-Marie Bockel, comme beaucoup d’entre vous.
Voilà huit ans, monsieur le président Cambon, que nous avons – pour ma part, dans des fonctions différentes – un dialogue au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur la situation au Sahel. C’est un dialogue franc, confiant et exigeant. Au début, nous l’avions toutes les semaines. Par la suite, il a eu lieu tous les mois. Je le précise à l’attention de M. Gontard, je me suis toujours efforcé de me présenter régulièrement devant la commission pour répondre à ses questions – je crois que tout le monde peut en témoigner.
Cet engagement nécessite effectivement une transparence la plus totale sur nos avancées, nos reculs, nos interrogations. C’est pourquoi, comme Mme Parly, d’ailleurs, je crois n’avoir jamais manqué l’un de ces rendez-vous.
Je me réjouis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que ce dialogue se poursuive aujourd’hui en séance plénière. J’estime en effet que la représentation nationale et, à travers elle, nos concitoyens doivent savoir ce que nous faisons au Sahel, pourquoi nous le faisons, avec qui nous le faisons et selon quelle stratégie. C’est d’autant plus important que l’on assiste, depuis plusieurs mois, à une montée très préoccupante des manipulations de l’information au Sahel et à propos du Sahel. Si ces manipulations sont avant tout destinées à alimenter sur place un sentiment antifrançais, que certains acteurs tentent d’instrumentaliser à des fins politiques, elles risquent aussi de venir brouiller la perception de notre action ici même, en France. Notre responsabilité commune – j’ai bien senti dans toutes les interventions que nous nous retrouvions sur ce point – est de ne pas laisser ce piège se refermer sur l’opinion publique française, qui mérite de pouvoir juger à partir des faits.
Ce débat est donc bienvenu. Il porte au premier chef sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane. Toutefois, de mon point de vue – et, si je suis ici aux côtés de la ministre des armées, c’est que vous partagez ce constat –, on ne saurait traiter ces questions sans prendre en compte l’ensemble de l’architecture dans laquelle cette opération s’insère désormais, une architecture que nous avons patiemment bâtie au fil des années avec nos partenaires sahéliens, européens et internationaux.
La création du G5 Sahel en 2014, la mise en place de sa force conjointe en 2017, celle de l’Alliance Sahel la même année, le lancement du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, parfois appelé P3S, en 2019 et, enfin, la création de la Coalition pour le Sahel l’an dernier sont autant de jalons décisifs dans un double mouvement d’internationalisation de la lutte contre la menace terroriste au Sahel et de définition d’un cadre global et intégré pour apporter à cette crise complexe, non seulement les réponses du court terme, celles de l’action militaire et de la stabilisation, mais aussi les réponses du temps long, celles de la négociation politique et du développement. Ce double mouvement montre que, depuis huit ans, les lignes ont considérablement bougé au Sahel, en dépit des polémiques sur un enlisement français dans cette région, polémiques qui, elles, n’avancent guère.
Dire cela, ce n’est pas nier l’importance ou le sens de l’engagement de nos soldats au Sahel. C’est évidemment ne rien retrancher à la valeur du sacrifice – souligné par les uns et les autres à cette tribune – de celles et ceux qui sont tombés. C’est au contraire affirmer que l’opération Barkhane a été le socle sur lequel ce vaste dispositif a pu se construire et qu’elle continue de jouer ce rôle aujourd’hui, bien que la charge soit désormais mieux distribuée entre nous et nos partenaires.
Permettez-moi de pointer trois malentendus qui planent encore trop souvent sur les discussions que nous pouvons avoir sur le Sahel, dont, j’espère, nous saurons nous garder aujourd’hui – vous l’avez fait jusqu’à présent, j’ai pu le constater en vous écoutant.
Le premier de ces malentendus tient à une forme d’amnésie qui pourrait conduire à penser, si vous me permettez l’expression, que ce qui se passe au Sahel n’est pas notre affaire.
Comme d’autres l’ont fait avant moi – le président Cambon, Jean-Marc Todeschini, Jean-Noël Guérini ou encore Bruno Retailleau –, je veux rappeler les raisons de notre engagement, d’abord dans le cadre de l’opération Serval, puis dans le cadre de l’opération Barkhane.
Comme vous le savez, en 2012, le Mali se trouvait au bord de l’effondrement : effondrement politique, à la suite d’un coup d’État du capitaine Sanogo, qui a renversé le régime de Toumani Touré et conduit à la présidence par intérim de Dioncounda Traoré ; effondrement sécuritaire, puisqu’une alliance de groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda occupait le nord du pays jusqu’à Tombouctou, où ces groupes avaient entrepris de soumettre la population locale à la charia et de détruire des mausolées classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ils se préparaient à prendre d’assaut la capitale du Mali, Bamako.
Cet effondrement aurait été une véritable catastrophe, non seulement pour la population malienne, qui aurait été condamnée à vivre sous la loi d’un califat islamique implacable, mais également pour nous, en France et en Europe, puisque ce califat aurait pu servir de sanctuaire aux djihadistes ; un sanctuaire où attirer des combattants en provenance de l’étranger, un sanctuaire d’où il aurait été possible de projeter des attaques vers l’étranger. Je vous rappelle que, un an et demi plus tard, au Levant, d’autres djihadistes, toujours de la même obédience, proclamaient l’instauration d’un proto-État totalitaire, le pseudo-califat de Daech.
Nous avons donc eu raison, chacun l’a souligné, de prendre cette menace très au sérieux et nous avons eu raison d’agir très vite en lançant l’opération Serval dès janvier 2013, à la demande des autorités maliennes, du Président Traoré, à l’époque Président de transition du pays.
Cette opération a réussi : elle a porté un coup d’arrêt à la progression des djihadistes vers le Sud et a permis de libérer les régions du Nord. Sur le plan politique, cette opération a aussi permis le retour d’un processus démocratique avec l’élection du Président de la République du Mali, laquelle s’est déroulée dans de bonnes conditions.
Mais, parce qu’ils avaient été défaits au Mali, nos adversaires sont passés d’une stratégie d’implantation locale que je serais tenté d’appeler « stratégie d’occupation territoriale » à une stratégie de déstabilisation régionale. Si bien que la menace terroriste s’est étendue à l’ensemble du Sahel. C’est pourquoi, en août 2014, nous avons lancé l’opération Barkhane afin de nous donner les moyens de limiter leur liberté de mouvement en intervenant à l’échelle de la région tout entière avec nos partenaires locaux, à la demande des États concernés, mais aussi avec l’accord de la communauté internationale puisque toutes ces actions ont été initiées après avoir été validées par les Nations unies.
Le deuxième malentendu tient, justement, à une forme de myopie qui pourrait conduire à voir le Sahel comme une affaire franco-française, pour ne pas dire une obsession française, comme on l’entendait naguère. Ce n’est pas le cas : les 5 100 femmes et hommes de Barkhane ne sont pas seuls sur le terrain.
La sécurité du Sahel, c’est évidemment d’abord l’affaire des États du Sahel, et notre stratégie a toujours consisté à appuyer la montée en puissance de leurs armées nationales et de la force conjointe – la ministre des armées y reviendra tout à l’heure –, parce que c’est le levier de leur future sécurité. De fait, nous n’avons pas vocation à rester là-bas pour l’éternité. Il faut donc faire en sorte que ces outils se construisent progressivement : c’est ce que nous faisons.
Si nous ne sommes pas seuls, c’est aussi parce qu’il y a eu une prise de conscience européenne – sans doute tardive. Je pense que l’Europe s’est rendu progressivement compte que, le Sahel, c’était la frontière sud de notre continent – je remercie le président Retailleau de l’avoir indiqué. La sécurité du Sahel engage donc la sécurité des Européens. Il est vrai que nous avons été les premiers à en saisir toutes les implications, mais nos partenaires européens sont désormais au rendez-vous. Ils le sont avec la force Takuba, qu’évoquera Mme la ministre des armées ; ils le sont en appuyant la force conjointe de manière significative pour financer les équipements ; ils le sont dans le cadre des missions de formation EUTM et EUCAP ; ils le sont aussi dans le cadre de la mobilisation internationale autour de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Minusma.
J’ajoute que, année après année, nos alliés britanniques, américains et canadiens contribuent progressivement, de manière de plus en plus significative, à renforcer cette présence. En dépit du Brexit, l’engagement des Britanniques n’a pas cessé.
Enfin, troisième malentendu : on pourrait déplorer qu’une certaine forme d’impatience tende parfois à fausser l’appréciation de notre engagement au Sahel, comme si nos récents succès militaires pouvaient à eux seuls suffire à assurer le retour de la paix. Or, on le sait bien, le règlement de cette crise sera obligatoirement politique.
Soyons clairs entre nous : si le Sahel est depuis huit ans en proie à un tel degré d’instabilité et de violence, c’est en raison des fragilités considérables auxquelles doit faire face cette région, lesquelles ne pourront se résorber qu’étape après étape. La clé du succès, c’est donc la mise en œuvre d’une approche globale et intégrée de la crise. Tel est le sens de la Coalition pour le Sahel, dont l’architecture, telle qu’elle a été définie au sommet de Pau du mois de janvier de l’année dernière avec les pays du G5 Sahel, s’appuie sur quatre piliers prioritaires, mais indissociables : la lutte contre le terrorisme ; le renforcement des capacités des forces armées sahéliennes ; le soutien au déploiement de l’État, des administrations territoriales et des services de base et la reconquête par les États de leur propre territoire ; le développement.
Cette coalition est une avancée considérable dans l’internationalisation du traitement de la crise sahélienne. Désormais, 45 organisations internationales et pays du monde entier – jusqu’au Japon, qui vient de nous rejoindre – sont déterminés à agir ensemble autour des États du G5 Sahel pour la sécurité et l’avenir des populations de la région. C’est une structure conçue dans un souci de pragmatisme, d’agilité. C’est un multilatéralisme nouveau, une sorte de consensus en acte de la communauté internationale, comme l’on dit, sur cet enjeu. Si bien que, un an après le sommet de Pau, le secrétariat de cette coalition est en train de s’installer à Bruxelles, pour en montrer la dimension internationale.
Les premiers résultats sont là : Mme la ministre des armées évoquera les deux premiers piliers ; quant à moi, je dirai un mot des deux autres, dont l’administration que j’ai l’honneur de diriger a la responsabilité d’assurer le pilotage dans le cadre de la politique de stabilisation – c’est le troisième pilier – et de développement – c’est le quatrième pilier.
S’agissant du troisième pilier – le redéploiement des États et de leurs services –, des progrès, certes lents, sont en cours.
Ainsi, nous enregistrons des progrès dans le domaine de la sécurité intérieure, notamment grâce à la création d’unités mobiles qui travailleront à consolider le contrôle des territoires arrachés à l’influence des djihadistes pour rétablir la présence de l’État dans les territoires ainsi libérés – c’est le cas en ce moment même au centre du Mali, où nous menons cette expérimentation.
Nous enregistrons également des progrès dans le renforcement de la chaîne pénale et dans la lutte contre l’impunité, l’un des engagements que nous avons pris en commun à Pau. L’appui apporté aux autorités judiciaires dans le traitement des dossiers du terrorisme a permis, par exemple, en octobre dernier, la tenue du procès des auteurs des attentats de la Terrasse et du Radisson Blu à Bamako. Ces progrès dans la lutte contre l’impunité sont réels, mais ils sont encore insuffisants. En la matière, nous poussons les pays du Sahel à assumer pleinement leurs responsabilités et à faire toute la lumière sur les allégations d’exactions lorsqu’elles se produisent.
Enfin, nous enregistrons des progrès, s’agissant toujours de ce troisième pilier, dans la mise en œuvre du redéploiement dans les zones libérées des administrations et des services de base, comme l’éducation, la santé ou encore l’état civil. Par exemple, dans la zone cruciale des trois frontières – plusieurs d’entre vous en ont parlé –, qui est effectivement l’épicentre de la crise et qui concentre les fragilités faisant le creuset du terrorisme, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a engagé 16 millions d’euros en soutien à des projets d’urgence pour faire en sorte, immédiatement après la reconquête d’un territoire, non seulement que l’État soit de nouveau présent, mais également que des actions très concrètes soient mises en œuvre pour que chacun se rende compte que la donne a changé et que, lorsque les groupes s’en vont, il est apporté le plus rapidement possible une réponse aux besoins humanitaires. Il faut d’abord déminer, en même temps construire des écoles ou des centres de santé, il faut faire en sorte que les lieux où s’exerce symboliquement et concrètement l’autorité de l’État soient réhabilités et il faut aussi immédiatement mettre en place un accès minimal à l’eau et à l’électricité.
Sur ces projets d’urgence, que nous partageons d’ailleurs avec d’autres acteurs européens, il n’a pas été fait assez jusqu’à présent. Cependant, me semble-t-il, une évolution très positive est en train de se dégager.
Puis, parallèlement, vient le temps du développement. Il ne compte pas moins pour rendre des perspectives d’avenir aux populations, pour traiter en profondeur les fragilités et pour inscrire le retour à la stabilité dans la durée. C’est pour cette raison que nous avons contribué à créer, en 2017, avec l’Allemagne et l’Union européenne, l’Alliance Sahel. Celle-ci regroupe aujourd’hui 24 partenaires et supervise près de 870 projets, pour un montant de 20 milliards d’euros avec un effort de concentration sur les zones les plus sensibles et les plus fragiles.
Nous sommes évidemment très impliqués dans l’Alliance Sahel, qui tiendra d’ailleurs son assemblée plénière lundi matin à N’Djamena, avant le sommet des chefs d’État du G5 Sahel. Cette implication de la France est marquée par une augmentation depuis cinq ans de plus de 30 % de notre aide publique au développement au Sahel. Comme le président Cambon y a fait allusion, cette aide sera consolidée dans le cadre du projet de loi relatif au développement solidaire, qui sera soumis, je le pense, avant l’été au Parlement.
Pour répondre au président Retailleau, j’indique que l’Agence française de développement a octroyé 480 millions d’euros aux pays du G5 Sahel et décaissé 350 millions d’euros en un an pour accélérer la mise en œuvre des projets qu’elle finance dans le secteur de l’eau, de la santé et de l’éducation, domaines absolument stratégiques, ainsi que l’a souligné M. Guerriau, dans la mesure où les moins de 30 ans représentent aujourd’hui 65 % de la population au Sahel.
Nous obtenons des résultats grâce à cette action : la scolarisation dans les écoles primaires de plus de 200 000 jeunes Nigériens ; la réhabilitation de plus de 1 800 classes au Mali ; la distribution de 40 000 manuels scolaires au Tchad. Je pourrais poursuivre les exemples attestant cette réelle mobilisation.
Se battre pour l’éducation, c’est aussi se battre contre l’obscurantisme et faire en sorte que les filles et les garçons du Sahel aient plus tard la liberté de choisir leur avenir. C’est donc encore une manière de combattre la menace terroriste, à l’image de tous les combats en faveur de la stabilisation et du développement engagés par la France, les Européens et la communauté internationale au Sahel.
Quand plus de 5 millions de personnes retrouvent un accès à des services d’approvisionnement en eau, quand 3 millions de personnes bénéficient d’une assistance alimentaire, quand on propose à des centaines de milliers de femmes une méthode de planning familial dans une région en proie à une croissance démographique exponentielle – vous le savez, le Niger, par exemple, qui compte aujourd’hui 22 millions d’habitants, devrait compter, selon sa trajectoire démographique actuelle, 50 millions d’habitants en 2050, c’est-à-dire demain –, c’est une manière d’anticiper les risques auxquels pourraient être confrontées les prochaines générations, mais c’est aussi un combat indirect contre le djihadisme.
Le sommet de N’Djamena va permettre d’aller plus loin dans ces différentes voies, en particulier sur ce qui concerne les deux derniers piliers. Si le sommet de Pau a été le sommet du sursaut militaire, le sommet de N’Djamena doit être le sommet du sursaut diplomatique, du sursaut politique et du sursaut du développement afin de consolider les résultats des derniers mois. En tout cas, c’est ce que nous proposerons à nos partenaires.
D’abord, le sommet de N’Djamena doit être un sursaut diplomatique pour renforcer la coordination entre les pays du G5 Sahel et les pays riverains du golfe de Guinée afin d’enrayer l’extension de la menace terroriste vers leurs territoires. C’est fondamental. Cette prise de conscience a lieu : le Président du Ghana a pris l’initiative dite « d’Accra », qui vise à conforter la relation particulière entre la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et le Ghana pour solidifier la sécurisation du nord de ces pays. Cette initiative doit déboucher sur un accord opérationnel avec les pays du Sahel directement concernés et permettre de renforcer la protection des frontières nord de ces pays. Ce somment doit également être un sursaut diplomatique pour renforcer la coopération des pays du Sahel avec l’Algérie et le Maroc et pour faire le lien avec la question libyenne.
Ensuite, le sommet de N’Djamena doit être un sursaut politique. S’agissant du nord du Mali, les conditions d’un règlement politique de la crise sont connues depuis longtemps.
Monsieur le sénateur Laurent, je ne suis pas favorable à ce qu’on reconsidère l’accord d’Alger. Cet accord, signé en 2015 au terme d’un processus de consultation mené sous l’autorité du ministre Lamamra, a permis de créer le cadre dans lequel il est désormais possible d’avancer politiquement. Le problème, c’est qu’il n’y a jamais eu de volonté politique pour le faire aboutir.
L’accord d’Alger prend acte de la nécessité de mettre en place de nouvelles institutions locales, d’une meilleure représentation des populations du Nord au sein des instances nationales, dans le respect de l’unité et de l’intégrité du Mali évidemment, d’une refonte de l’armée malienne pour y intégrer des combattants des mouvements armés du Nord et d’un effort considérable de développement de ce même Nord.
Maintenant, il faut passer aux actes, mais cette interpellation vaut pour ceux qui siègent au comité de suivi des accords d’Alger, en particulier les acteurs de la zone, singulièrement ceux du Mali : je pense à la nécessité de réinstaller l’armée malienne reconstituée à Kidal ; je pense à la poursuite du processus de désarmement-démobilisation-réintégration des ex-combattants ; je pense à la mise en œuvre des projets du Fonds de développement durable. À cet égard, l’annonce que viennent de faire les autorités algériennes d’une réunion, à Kidal, le 11 février, du comité de suivi des accords, attendue depuis très longtemps, est un signe positif et devrait nous permettre d’avancer singulièrement sur ces questions.
Cet accord est fondamental aussi parce qu’il établit une distinction politique claire entre les groupes armés signataires et les groupes terroristes. Ainsi, les premiers, parmi lesquels le MNLA, que vous avez cité, monsieur Laurent, acceptent d’inscrire leur action dans le cadre de l’État malien et sont d’ailleurs représentés dans le gouvernement provisoire actuel. Les seconds, quant à eux, j’y insiste, sont des terroristes dont l’objectif déclaré est de mettre à bas l’État malien. On ne négocie pas avec des terroristes, on les combat !
Il est également essentiel que la transition civile au Mali soit menée à bien. Là aussi, les engagements doivent être tenus. Dans un délai maximum de quinze mois, des élections crédibles doivent se tenir et l’ordre constitutionnel doit être rétabli.
Enfin, il est impératif que les demandes de réformes de la population malienne soient entendues, notamment en matière de gouvernance, de lutte contre l’impunité et de refonte du cadre et d’engagement face aux défis sécuritaires.
Nous allons également proposer que N’Djamena soit le moment du sursaut de la stabilisation et du développement, pour gagner encore en réactivité et en efficacité face aux défis du long terme. Cela passe par une prise de responsabilité des États du G5 Sahel, appuyée par une meilleure coordination de l’aide de leurs partenaires internationaux, car, aujourd’hui, je dois le dire, la coordination et, surtout, la territorialisation de l’aide ne sont pas satisfaisantes. Il faut donc ouvrir davantage d’écoles, recruter davantage d’enseignants, créer et faire vivre davantage de dispensaires. Ces pistes concrètes seront au centre de nos échanges.
Nous voulons aussi tirer profit du sommet de N’Djamena pour confirmer la relance que nous avons initiée du projet de grande muraille verte. Cette relance a eu lieu lors du One Planet Summit de janvier, événement qui a permis de mobiliser près de 14 milliards d’euros de financements internationaux – sans compter les 20 milliards d’euros que j’ai évoqués précédemment – dans 11 pays concernés d’ici à 2025. Verdir le Sahel, lutter contre la désertification, c’est aussi travailler à ramener la paix dans la région.
Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, telles sont les perspectives que nous entrevoyons dans les discussions qui vont avoir lieu à N’Djamena. J’observe que, à ce sommet, en plus des pays du G5 Sahel, seront représentés les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne, dont le Portugal assure la présidence du Conseil, d’autres pays très actifs dans la zone tels que l’Allemagne et l’Espagne, au titre de sa présidence de l’Alliance Sahel, ainsi que nos partenaires britanniques, américains et canadiens au sein de Barkhane, l’Algérie, le Maroc, l’ensemble des Européens engagés dans la task force Takuba. C’est donc une petite communauté internationale qui se réunit à N’Djamena pour continuer à la fois la lutte contre le terrorisme et permettre de tracer les chemins de la paix pour l’ensemble des populations du Sahel, meurtries depuis maintenant de nombreuses années, et leur redonner de l’espoir. Tout cela dans un contexte qui nous permettra, je l’espère, d’avancer.
Ce débat a permis de clarifier nos engagements et d’adresser, je le pense, aux populations du Sahel un message d’amitié et de soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, monsieur le ministre – cher Jean-Yves -, mesdames, messieurs les présidents de commission et de groupe, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de mon propos, je souhaite naturellement m’associer à l’hommage que vous avez tous rendu à nos militaires et avoir une pensée particulière pour la famille de Jean-Marie Bockel.
La question qui me paraît devoir être abordée à la suite de l’ensemble de vos interventions est celle-ci : pourquoi sommes-nous au Sahel ?
Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des colonnes de djihadistes qui fonçaient sur Bamako. Nous avons répondu à cet appel, car c’est ainsi que nous nous comportons avec nos partenaires ; et c’est ainsi que nous souhaiterions que nos partenaires se comportent si nous étions un jour agressés.
Nous avons répondu à cet appel pour protéger le Mali et sa population, mais aussi pour protéger les États sahéliens des groupes terroristes qui veulent les détruire et les soumettre pour imposer leur loi, terroriser et tuer tous ceux qui s’opposent à eux. Nous avons aussi répondu à cet appel du Mali, parce que, comme le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé, nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, nous ne voulons pas qu’il leur permette de préparer des attentats dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, voire en Europe.
Depuis huit ans, les forces armées françaises se sont sans cesse adaptées – certains ont dit « ajustées » – à cette menace : l’opération Barkhane a évolué, évolue et sera encore amenée à évoluer.
Je voudrais maintenant revenir avec vous sur l’évolution de la stratégie de la France au Sahel que le Président de la République a opérée il y a un an au moment du sommet de Pau.
Souvenez-vous, il y a un an, les forces armées sahéliennes étaient débordées de toutes parts, pour ainsi dire au bord de la rupture. En l’espace de deux mois seulement, le Niger avait enterré 160 de ses soldats, après les attaques d’Inates et de Chinagodrar, et le Mali 53 militaires et civils après l’attaque de la garnison à Indelimane.
Il y a un an, on observait la montée du discours antifrançais, qui n’était pas clairement démenti, souvenez-vous-en, par certaines autorités des pays du G5 Sahel.
Il y a un an, on observait aussi que la mobilisation des pays sahéliens n’était pas forcément à la hauteur des enjeux.
Au milieu, il y avait un véritable boulevard pour Daech et Al-Qaïda au Sahel, qui multipliaient leurs actions et se renforçaient chaque jour davantage.
Le Président de la République a donc convoqué un sommet avec l’ensemble de nos alliés et de nos partenaires pour revoir notre stratégie commune et pour s’assurer que la présence des armées françaises au Sahel était bien voulue et non pas subie. De ce sommet, je crois pouvoir dire que nous sommes sortis plus forts et plus nombreux. C’était en effet un message fort de solidarité avec les pays sahéliens, un message de remobilisation régionale et internationale dans la lutte contre le terrorisme.
La création de la Coalition pour le Sahel – le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé – nous a offert un cadre d’action reposant sur quatre piliers autour desquels nous articulons notre stratégie. Je concentrerai mon propos sur les deux premiers.
Le premier pilier, c’est la lutte contre le terrorisme, en particulier contre l’État islamique dans le Grand Sahara, affilié à Daech dans la région des trois frontières, cette région qui se situe à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. C’est pour intensifier cette lutte que le Président de la République a décidé il y a un an de renforcer les effectifs de Barkhane de 600 militaires supplémentaires.
Le second pilier, c’est la montée en puissance des forces armées sahéliennes.
Depuis un an, ce sont ces deux objectifs qui ont guidé notre action.
Au bout d’un an, des résultats significatifs ont été obtenus : l’effort militaire sur la zone des trois frontières a porté ses fruits. Daech au Sahel est fortement entravé, même s’il conserve encore une capacité de régénération importante.
Concrètement, en 2019, 300 membres des forces de sécurité – garde nationale, police, gendarmerie ou militaires – avaient été tués en six mois. Si, depuis un an, nous déplorons près de 100 policiers ou militaires tués par des groupes terroristes au gré d’actions d’opportunité dans la région du Liptako, qui est à cheval entre le Mali et le Niger, il convient de noter que, depuis janvier 2020, plus aucune attaque d’ampleur n’a été commise.
Nous avons également réussi à affaiblir Al-Qaïda en neutralisant son numéro un dans la région ainsi qu’un certain nombre de ses cadres.
Par ailleurs, la montée en puissance des armées sahéliennes se confirme : nous observons chaque jour des progrès et des résultats encourageants. Au début de cette année 2021, à partir du 2 janvier très exactement, jusqu’au 3 février, près de 2 000 militaires des forces armées maliennes, burkinabées et nigériennes, ainsi que de la force conjointe du G5 Sahel, ont conduit, au côté de la force Barkhane, une opération de grande ampleur baptisée Éclipse, qui a pris donc le relais de l’opération Bourrasque.
L’ennemi a été bousculé et surpris par la rapidité de l’intervention. Face à la puissance des unités engagées, les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : des motos, des pick-up, des équipements de communication, ainsi que d’importants matériels et produits permettant la fabrication d’engins explosifs improvisés qui peuvent être si meurtriers, comme nous le savons si bien.
Contrairement à il y a un an, les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies face à la violence des attaques terroristes, même si, bien sûr, elles ont encore besoin d’être accompagnées. Cela est possible grâce à Barkhane, bien sûr, mais aussi et surtout grâce à un engagement international et européen qui s’est confirmé et renforcé. Je pense en premier lieu tout particulièrement aux Européens, dont l’engagement en faveur de la formation des forces armées locales est essentiel au travers de la mission de l’Union européenne EUTM Mali.
Quand je dis qu’il y a des Européens au Sahel, on me pose à peu près systématiquement la question : « Mais où sont les Allemands ? » Eh bien, je peux vous dire qu’ils sont là ! Ce sont même les deuxièmes contributeurs, derrière la France, à la mission de formation des forces armées maliennes de l’Union européenne.
Partenaire européen de premier plan, l’Allemagne fournit 800 soldats au travers de ses déploiements au sein de la Minusma et de l’EUTM et elle devrait en fournir 450 de plus à la fin de l’année 2021 ou au début de l’année 2022.
Il y a aussi des Européens au sein même de Barkhane : des Espagnols, des Britanniques, des Estoniens, qui nous appuient par des moyens et des renseignements précieux. Un détachement danois a en outre renforcé Barkhane pendant toute l’année 2020. Naturellement, le soutien américain contribue lui aussi au succès de nos opérations.
Plus récemment, nous avons mis sur pied une force composée de forces spéciales européennes, entièrement consacrée à l’entraînement et à l’accompagnement au combat des forces armées maliennes : c’est la force Takuba. Cette force est aujourd’hui composée d’un groupe de forces spéciales franco-estonien, d’un groupe franco-tchèque et d’un détachement suédois composé de 150 militaires, qui, au moment où je vous parle, est en train de se déployer. Ils fournissent des capacités aéromobiles essentielles et une unité de réaction rapide. D’autres nations sont prêtes, elles aussi, à s’engager.
Si l’on nous avait décrit pareil engagement il y a encore un ou deux ans, aucun d’entre nous ne l’aurait sans doute cru possible. Pourtant, en engageant un contingent dans Takuba, ces pays acceptent d’aller au combat. Ils acceptent le contact direct avec l’ennemi. Ce sont des alliés qui ont compris que la stabilité du Sahel était clé pour la sécurité européenne. Ils sont prêts à se battre auprès de nous pour lutter contre le terrorisme. Leurs contributions – vous en conviendrez – sont tout sauf insignifiantes.
Si des Européens s’engagent aujourd’hui à nos côtés, c’est parce qu’ils croient au sens de cet engagement. C’est aussi parce que la France y est et que l’organisation et le savoir-faire de nos armées facilitent la présence d’armées moins puissantes.
Je l’ai dit et je le répète : Barkhane n’est pas éternelle. Mais à court terme nous allons rester, ce qui n’exclut pas que les modalités de notre intervention évoluent – s’ajustent, diraient certains –, bien au contraire.
Les pays sahéliens souhaitent que nous continuions à les aider ; les résultats obtenus nous permettent d’accentuer la stratégie d’accompagnement des forces locales avec nos partenaires et avec nos alliés sur le terrain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le contre-terrorisme au Sahel est et reste une priorité, contre Daech et contre Al-Qaïda. Comme le rappelait Bernard Emié, directeur général de la sécurité extérieure, il y a quelques jours, à la sortie du comité exécutif ministériel que nous avons consacré au contre-terrorisme, le risque d’expansion du djihadisme vers le golfe de Guinée et l’Afrique de l’Ouest est réel. Certains d’entre vous l’ont souligné. Le projet politique qu’il y a derrière est clair : faire de la région la base arrière du djihadisme.
Notre enjeu est donc de réussir à transformer les gains et les victoires tactiques en progrès politiques, économiques et sociaux, tout en adaptant sans cesse notre engagement, de façon collective et concertée. Ce sera tout l’objet du sommet de N’Djamena qui se déroulera la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Encore onze morts en 2020 : c’est le lourd tribut qu’ont dû payer nos héros dans ce combat sans visage et sans ligne de front précise. Aujourd’hui, nous leur rendons hommage, avec une pensée toute particulière pour notre ancien collègue Jean-Marie Bockel et pour sa famille.
Il existe au Sahel un vrai risque de contagion vers le golfe de Guinée, qu’il faut absolument contenir. La menace étant mondiale, notre réponse doit également être d’ampleur internationale.
Dans cette guerre contre le terrorisme, nous ne sommes pas seuls. Avec nos partenaires européens, pas assez nombreux, hélas ! et des alliés sahéliens, nous luttons contre l’ennemi commun. À mon sens, l’exemple de la force Takuba, pilotée avec certains partenaires européens, a permis de montrer la puissance de la coopération entre les nations pour éliminer cette menace qui nous est commune.
En partageant nos connaissances avec les forces militaires locales, nous allons dans le sens d’une sécurisation pérenne sur le long terme. Cet entraînement permet désormais aux forces sahéliennes, qui constituent le deuxième pilier du sommet de Pau, de monter en puissance, et les résultats sont encourageants.
L’opération Éclipse, commencée le 2 janvier dernier, vient de se terminer avec succès. Elle a été menée principalement dans la zone des trois frontières, aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Elle a mobilisé 3 400 soldats, dont 1 500 de la force Barkhane, auxquels s’ajoutent 1 900 soldats sahéliens – 900 Burkinabés, 850 Maliens et 150 Nigériens. Ces chiffres témoignent de l’envergure de cette opération conjointe menée avec nos forces partenaires.
Vous l’avez dit en commission des affaires étrangères il y a quelques jours et vous l’avez rappelé à l’instant, madame la ministre : « Jamais nous n’avons vu les forces maliennes et nigériennes mener le combat comme cela a été le cas pendant les opérations de fin 2020 et notamment à travers l’opération Éclipse. » Pourriez-vous revenir sur le bilan opérationnel d’Éclipse et nous expliquer en quoi il confirme un changement profond ? Avec ce retour d’expérience, quels enseignements pouvons-nous d’ores et déjà tirer quant aux étapes à franchir pour que les armées sahéliennes puissent intervenir avec de plus en plus d’autonomie, puisque Barkhane ne sera pas éternelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet d’insister sur la progression rapide de la combativité et des capacités opérationnelles dont font preuve les armées sahéliennes.
Il y a eu, à la fin de l’année 2020, l’opération Bourrasque. Il y a eu, à compter du 2 janvier de cette année, l’opération Éclipse, dont vous avez rappelé l’ampleur : elle a mobilisé 3 400 militaires, dont 1 500 Français et près de 2 000 soldats partenaires. À ce titre, je souligne le retour des militaires burkinabés, qui n’étaient pas intervenus dans le cadre de l’opération Bourrasque. Le résultat s’est révélé probant : neutralisation de nombreux terroristes djihadistes, saisine et destruction d’un volume important de ressources logistiques.
Quelles conclusions faut-il en tirer ? Cette stratégie, que je qualifierais de partenariat de combat, consiste à intégrer de plus en plus nos partenaires sahéliens à nos forces, qu’il s’agisse de Barkhane ou de Takuba.
Je le répète, les Sahéliens se renforcent et contestent le terrain aux groupes armés terroristes. Nous en avons encore eu un exemple à la fin du mois de janvier dernier, avec les attaques menées contre Boulikessi et Hombori : les forces armées sahéliennes ont réussi à mettre en déroute une centaine de djihadistes – un tel succès se passe de commentaires. Ce partenariat de combat est une clé majeure, et le rôle de Takuba est aussi de le développer.
Enfin, on peut tirer des conclusions plus structurelles. Il n’y aura pas de véritable résultat durable sans refonte en profondeur, sans restructuration des armées de ces pays. Précisément, ces derniers y sont aujourd’hui décidés : le Niger et le Mali s’apprêtent à recruter massivement pour régénérer les forces existantes.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Ces pays s’apprêtent également à concevoir un cycle opérationnel digne de ce nom. Il s’agit donc, en quelque sorte, de professionnaliser ces armées : c’est ce à quoi nous allons nous employer à leurs côtés. (MM. François Patriat et Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a reçu en audition M. Aguila Saleh, président du parlement de Tobrouk. M. Saleh nous a présenté la situation de son pays et les relations ambiguës que le gouvernement de Tripoli, dont il ne reconnaît pas la légitimité, entretient avec la Turquie. Il a notamment évoqué le détournement du produit de la vente du pétrole libyen au profit du financement de milices ou de mercenaires qui sévissent sur ce territoire. Un de ses objectifs, bien légitime, est de mettre un terme, après avoir démocratiquement repris le contrôle du pays, aux actions de ces milices ou de ces mercenaires, installés avec la complicité de la Turquie et avec la connivence du gouvernement de Tripoli.
Dans le même temps, plus au sud, nos soldats se battent contre un ennemi diffus, sur un territoire immense. Ils sont confrontés à des attentats et à des embuscades lâches et meurtriers.
Je regrette que les pays européens, eux aussi concernés par le terrorisme, ne soient pas significativement à nos côtés au Sahel, malgré la mise en place de la task force Takuba. Même si Mme la ministre nous a donné quelques éléments positifs à cet égard, je rappelle que, depuis le Brexit, la France est la seule puissance de l’Union européenne à siéger comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et à disposer de la dissuasion nucléaire, qui contribue à la sécurité de tous. Je formule ce rappel à l’intention de ceux qui, constamment, comparent aveuglément notre déficit public à celui de nos voisins.
Pour ce qui concerne le sujet qui nous occupe aujourd’hui, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que ces milices ou ces mercenaires, une fois empêchés d’intervenir en Libye, ne viennent renforcer d’une manière ou d’une autre les groupes armés terroristes au Sahel, mettant de fait en danger nos soldats de l’opération Barkhane ? Vous ne manquerez pas d’analyser la pertinence d’un tel risque : s’il est réel, comment l’anticiper, afin que nous prenions dès aujourd’hui les mesures qui s’imposent pour ne pas exposer plus encore nos soldats au Sahel ? (M. André Gattolin applaudit.)
(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Guiol, il est compliqué de parler de la Libye en deux minutes, tant son histoire est complexe, tant sa réalité politique, administrative, militaire et économique est confuse.
Cela étant, il peut arriver que l’on reçoive de bonnes nouvelles de Libye. Ainsi, le cessez-le-feu acté le 23 octobre dernier est respecté et l’organisation d’élections le 24 décembre prochain reste d’actualité.
M. Aguila Saleh, dont vous avez parlé longuement, a effectivement été reçu au Sénat. La seule difficulté pour ce qui le concerne, c’est qu’à l’instar de M. Bashagha il a été battu aux élections internes du Conseil national de transition, forum politique réunissant les différentes composantes représentées au sein des partis libyens.
Il importe maintenant que le nouveau président du Conseil présidentiel, M. Menfi, et le Premier ministre potentiel, M. Dbeibah, soient investis par le parlement de Tobrouk et par le Haut Conseil d’État de Tripoli. J’espère que tel sera le cas. Ce processus politique positif pourrait dès lors se poursuivre, sous réserve que la clause de l’accord du 23 octobre prévoyant le départ des forces étrangères soit effectivement respectée.
Pour notre part, nous souhaitons faire valider l’ensemble de ce processus par une résolution des Nations unies. C’est notre rôle. Cette question a effectivement un lien avec le Sahel, car la sécurité de la frontière du Fezzan, au sud de la Libye, ne pourra que renforcer les garanties pour éviter les porosités et les trafics en tout genre.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Comme le disait mon collègue Pierre Laurent, nous pensons que la France doit changer de braquet au Sahel. Nous arrivons au bout de notre modèle d’action fondé avant tout sur le militaire, malgré des concepts comme les « 3D » ou le continuum sécurité-développement. Se pose dès lors la question de nos perspectives en matière de développement et de diplomatie.
Le 10 décembre dernier, le bureau du conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, ses représentations permanentes de l’Afrique du Sud et du Nigéria ainsi que l’Union africaine ont présenté une nouvelle note sur les flux financiers illégaux en Afrique. Ce document, s’appuyant sur la feuille de route de Lusaka, prise sur l’initiative de l’Union africaine en 2016, dresse un tableau essentiel de la situation et des objectifs à atteindre.
Ainsi, les flux financiers illégaux participent chaque année à la fuite de 88,6 milliards de dollars du continent. Cette somme représente presque autant que les rentrées annuelles combinées de l’APD et des investissements étrangers en Afrique ; ce sont autant de milliards d’euros qui maintiennent les États dans une situation de sous-développement et aggravent la pauvreté, facilitant d’autant le recrutement des groupes armés terroristes et créant des conflits entre les communautés.
Parmi les recommandations de ce document, on retrouve des éléments centraux, comme la suppression des paradis fiscaux offshore, qui permettent un accès rapide aux richesses illégalement acquises, mais aussi un renforcement des dispositifs de restriction de circulation des armes.
De plus, la question de l’opérationnalisation du fonds spécial de l’Union africaine pour la prévention et la lutte contre le terrorisme est posée.
Enfin, cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption, du renforcement institutionnel des États et du renouvellement des élites politiques une priorité.
L’ensemble de ces préconisations, faites par et pour les Africains, sera-t-il activement soutenu par la France ?
M. le président. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Michelle Gréaume. À ce titre, le prochain sommet de N’Djamena peut-il être l’occasion de réunir les moyens de le rendre opérationnel ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, la question que vous abordez n’est pas spécifique au Sahel, même si le Sahel, comme les autres régions d’Afrique, est concerné par ce phénomène gravissime que constituent les flux financiers illicites.
Vous avez raison de citer le rapport de la Cnuced, qui met l’accent sur ces dérives considérables et ces trafics inacceptables. À notre avis, l’enjeu, c’est la mise en œuvre de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), conçue par l’Union africaine pour que l’Afrique puisse assurer une meilleure capacité de développement et un contrôle des flux.
Dans ce cadre, nous n’avons pas à nous substituer à l’Union africaine, qui a reconstitué ses organes internes la semaine dernière et qui doit se saisir de ce dossier pour garantir la transparence des flux financiers.
Nous avons d’ailleurs la même exigence pour ce qui concerne la corruption et la sécurité des flux financiers. À cet égard, pour en revenir au sujet de notre débat, nous sommes très attentifs à ce qui se passe au Sahel : l’ensemble des bénéficiaires d’aides doivent faire l’objet d’un criblage de sécurité avant de recevoir les aides en question. C’est un travail compliqué à mettre en œuvre, mais c’est une absolue nécessité pour éviter les dérives.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Comme tous les membres du groupe Union Centriste, j’ai une pensée particulière pour notre ami et ancien collègue Jean-Marie Bockel, ainsi que pour sa famille. Je remercie M. le président Cambon d’avoir rappelé que le lieutenant Pierre-Emmanuel Bockel aurait dû fêter ses trente ans aujourd’hui.
Nous souhaitons rendre hommage aux 55 militaires français tombés au combat et aux centaines de victimes que l’on déplore dans les rangs de nos alliés du G5 Sahel. Eux aussi paient un lourd tribut pour le rétablissement de la paix dans leur région.
Afin de préparer ce débat parlementaire dédié à l’opération Barkhane, je me suis rendu au Tchad, au Burkina Faso et au Mali. Politiques, militaires et diplomates ou encore Français établis dans ces pays, tous mes interlocuteurs ont exprimé le besoin de la présence de Barkhane sur le terrain. Ils reconnaissent la prouesse militaire de l’armée française, que je veux saluer ici, faisant énormément avec si peu pour un si vaste territoire.
Lors de ma première visite à Ouagadougou, il y a quatre ans, sur la carte « conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères, le Burkina Faso apparaissait en jaune, avec une bande rouge à la frontière nord avec le Mali. Désormais, cet État est majoritairement en rouge, le cœur du pays et sa capitale figurant en orange.
Je me suis notamment entretenu avec M. Roch Kaboré, Président du Faso. Il considère que le combat mené par les États de la région vise à contenir la menace, l’extension du phénomène en direction des pays côtiers se faisant sentir. Sur la carte « conseils aux voyageurs », ces pays – Côte d’Ivoire, Bénin, Ghana, Togo, etc. – affichent actuellement la même couleur que le Burkina Faso il y a quatre ans.
La France envisage-t-elle des initiatives diplomatiques pour aider les pays côtiers à anticiper la menace terroriste qui les vise directement et pour accroître leur coopération militaire avec les pays du G5 Sahel ?
Pour décrire la situation de son pays, le président de l’Assemblée nationale du Burkina, M. Alassane Bala Sakandé, a employé l’image d’une digue. Pour que la digue tienne, il faut que l’économie tienne.
À Bamako, nos entrepreneurs me faisaient remarquer qu’il est moins cher et trois fois moins long de transporter un conteneur de France à Dakar que de Dakar à Bamako.
La France compte-t-elle favoriser la création de corridors commerciaux depuis ces pays enclavés vers la mer, en relançant par exemple le Dakar-Bamako ferroviaire, à l’arrêt depuis 2018 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Cadic, vos deux questions sont tout à fait pertinentes.
J’ai déjà répondu à votre première interrogation dans mon propos introductif : il est indispensable qu’au sud de la région les pays du golfe de Guinée travaillent ensemble pour assurer la sécurité de leur frontière nord. Il ne s’agit pas pour eux d’entrer dans le G5 Sahel, mais d’organiser une coopération interne afin d’assurer la sécurité de cette zone, qu’il s’agisse du renseignement – c’est très important – ou de la sécurité, grâce à des relations entre les unités présentes.
Le Président du Ghana, M. Akufo-Addo, a pris une initiative dont j’ai parlé, l’initiative d’Accra, qui va précisément dans ce sens. Il se rendra au sommet de N’Djamena, qui sera donc également l’occasion de faire avancer cette coordination indispensable.
Quant aux infrastructures ferroviaires, sur lesquelles porte votre seconde question, elles constituent un vieux sujet africain. La nécessité de renforcer les liens ferroviaires entre les différents pays est si criante que je n’arrive pas à concevoir que ce chantier ne soit pas encore engagé. Je pense notamment au Dakar-Bamako, mais aussi à la liaison Abidjan-Ouagadougou et à d’autres encore.
Une série de projets existent, mais ils sont aujourd’hui en stagnation. Ainsi, le Dakar-Bamako est bloqué pour l’instant. Il nous faut trouver les moyens et les équilibres financiers pour les relancer et éviter que d’autres puissances ne les reprennent en lieu et place des Européens et notamment des Français.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yannick Vaugrenard. Mes premières pensées vont à nos soldats morts en combattant pour nous permettre de profiter durablement de notre chère liberté. Cette dernière a le prix du sang et leur sacrifice est particulièrement douloureux ici.
Il y a déjà huit ans que la France a répondu à l’appel des autorités maliennes pour contrer le risque majeur d’un djihadisme tentaculaire. Aujourd’hui, nous sommes conduits, en toute logique et sereinement, à dresser un ou des constats en pleine responsabilité. Il me semble important qu’une fois l’an la Haute Assemblée puisse mener un tel débat avec les deux ministres concernés, lorsque nos militaires sont engagés en opération extérieure.
Fallait-il intervenir ? À l’évidence, oui ! Notre pays ne pouvait détourner honteusement le regard devant cette impérieuse nécessité.
La France peut-elle rester éternellement ? Assurément, non ! En effet, chacun s’accorde à dire que ce conflit, comme bien d’autres avant lui, ne se gagnera pas militairement, mais politiquement. Or l’histoire nous enseigne que, si une intervention militaire ne s’accompagne pas d’un regard sur l’évolution démocratique, puis économique, sociale et enfin éducative, elle ne peut avoir d’effet durable. Sans cet effort, ceux qui nous ont applaudis à notre arrivée manifesteront quelques années plus tard pour nous demander de partir.
S’agissant de l’évolution démocratique, nous savons que le népotisme habituel était resté, malheureusement, présent.
Notre assistance continue ne mériterait-elle pas aussi d’être considérée en fonction des réels soutiens apportés, ou non, par nos partenaires occidentaux ? Sans eux, la France, seule, a-t-elle réellement les moyens de son ambition ?
Enfin – nous le constatons de plus en plus –, une guerre de communication pernicieuse s’est engagée au Sahel. Chine et Russie y jouent un rôle majeur : ces deux puissances tentent de discréditer notre pays pour prendre pied en Afrique. À cet égard, les enjeux économiques sont faciles à deviner. Cet aspect géopolitique devient majeur.
Dans ce nouveau cadre, pensez-vous que les États-Unis, qui nous aident militairement aujourd’hui, puissent renforcer leur soutien et accompagner la France, mais aussi l’Europe, pour éviter que le continent africain ne devienne étroitement dépendant de l’influence russo-chinoise grandissante ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Vaugrenard, je ne reviendrai pas sur les constatations que vous venez de faire : je vous ai répondu par anticipation excepté sur un point, à savoir l’intervention des États-Unis.
Pour ce qui concerne le Sahel, sujet sur lequel je me concentre aujourd’hui, les relations que nous devons entretenir avec les États-Unis sont de plusieurs natures.
Tout d’abord, il y a le soutien militaire aux opérations conduites par Barkhane. La ministre des armées l’a évoqué ; j’en ai également parlé. Les Américains nous secondent dans les domaines du transport, du ravitaillement en vol et du renseignement par drone.
Cette présence est très importante pour l’opération Barkhane, et je n’ai pas le sentiment qu’elle sera remise en cause. Tel a pu être le cas sous la précédente administration américaine : à plusieurs reprises, on a perçu la tentation de retirer ce soutien, qui est assez modeste pour les États-Unis – il représente 0,0035 % du budget de la défense américaine –, mais qui est essentiel. Les conversations que j’ai pu avoir avec Antony Blinken et les entretiens de la ministre des armées avec son propre homologue nous laissent à penser que ce soutien va se poursuivre.
Ensuite – ce point n’est pas secondaire –, il y a le rôle du Conseil de sécurité. Je pense en particulier aux opérations de la Minusma. Elles supposent une décision du Conseil de sécurité, renouvelée tous les ans. Or nous avons parfois eu des difficultés à obtenir cette validation, le risque d’un veto américain planant sur cet engagement.
Nous allons de nouveau mener ces discussions avec les autorités américaines, puisque la décision de renouvellement doit être prise au mois de juin prochain. Nous devons donc nous préparer pour apporter, au-delà du réengagement de la Minusma, un soutien logistique et financier à la force conjointe en inscrivant cette dernière sous le chapitre VII. Ce faisant, on pourrait assurer dans la durée le financement de cette force, ce qui serait une avancée très significative. Telle est la démarche dans laquelle nous nous inscrivons pour seconder le mécanisme européen de financement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Gérard Longuet. Sur le fond, avec autorité, avec gravité, mais avec mesure, Christian Cambon et Bruno Retailleau ont exprimé le point de vue du groupe Les Républicains. J’y adhère totalement.
Madame le ministre des armées, à quel niveau de participation européenne estimez-vous que la force Takuba représentera une véritable coopération de pays volontairement et profondément associés à notre effort, afin que la France ne soit pas seule ? Ces participations sont significatives et courageuses, mais elles restent très minoritaires. Elles doivent traduire un signal fort : celui du soutien européen à notre opération Barkhane, laquelle s’étend à toute une région africaine.
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, je souhaite connaître votre position à l’égard de trois grands pays dans le cadre du Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S). Je pense à la Turquie, présente en Libye – vous l’avez évoqué –, au Soudan, en Somalie ou encore à Djibouti. Voulez-vous l’associer, pour la mettre au défi de prendre ses responsabilités, au-delà du simple discours idéologique ? Je vous pose la même question s’agissant de la Russie, curieusement passionnée par la RCA, et de la Chine, présente partout économiquement, absente politiquement.
Enfin, Joe Biden constitue-t-il, à vos yeux, une espérance, une inquiétude ou un prolongement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Pour ce qui concerne la Turquie, la Chine et la Russie par rapport au Sahel – je me limite à cet espace –, je suis d’abord vigilant, en particulier s’agissant de l’ensemble des réseaux d’information – je ne cite personne. Il est nécessaire de les informer très honnêtement de ce que nous faisons, pour une raison simple : certains d’entre eux siègent au Conseil de sécurité, lequel a validé la Minusma, ainsi que notre propre engagement.
Enfin, nous prenons des précautions sur les projets de développement, qui peuvent parfois aboutir à un déséquilibre financier des pays qui en sont bénéficiaires. Je constate toutefois que, en ce moment, aucun de ces trois États n’est vraiment présent au Sahel en matière d’aide au développement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, il est difficile de répondre de façon arithmétique à votre question. Ce sujet ne se résume pas à un chiffre.
Pour que Takuba fonctionne bien, il faut remplir certaines conditions.
Tout d’abord, il faut qu’il y ait des forces maliennes disponibles, car ce sont elles que nous accompagnons au combat. Cela renvoie à la réponse que j’ai déjà faite : pour que ces forces soient disponibles en nombre croissant et de façon permanente, il faut s’assurer que les forces armées se restructurent, pour disposer de ces effectifs sur le terrain.
Ensuite, il faut des moyens. Les contingents qui viennent des forces spéciales européennes doivent être accompagnés d’équipements significatifs ; j’ai évoqué le contingent suédois, qui arrive avec des hélicoptères, ou le contingent italien, qui apporte des moyens d’évacuation sanitaire. C’est indispensable pour l’autonomie de la force Takuba.
Enfin, il faut que cette force puisse entraîner d’autres partenaires. Or nous constatons une dynamique de la force Takuba, qui rassemble aujourd’hui cinq États principaux. Quatre autres partenaires potentiels se présentent : le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Florence Parly, ministre. D’autres États européens, pas nécessairement membres de l’Union européenne, ont exprimé encore très récemment leur volonté d’y participer.
Le succès viendra en marchant, si je puis dire. C’est ce que nous constaterons dans les prochains mois, car la force Takuba sera opérationnelle cet été.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Nous avons assisté en 2020 à de grands bouleversements. La pandémie a causé de nombreux morts, elle a aussi entraîné de graves conséquences économiques : la France a vu son PIB reculer de 8 % l’année dernière. Les conséquences de la crise continueront de se faire sentir dans les prochaines années.
Parallèlement, la situation internationale connaît toujours un climat de tension dans lequel les menaces se multiplient et changent de formes. Plusieurs États se sont montrés agressifs à l’égard de l’Europe et de la France, et nous avons aussi constaté le développement d’organisations non étatiques hostiles.
Le monde de demain ne sera pas moins dangereux que celui d’hier. Face à cela, de nombreux pays, dont la France, ont choisi d’augmenter significativement leur budget militaire. Boris Johnson a également annoncé que son pays allait investir 2,2 % de son PIB dans sa défense pour les quatre années à venir.
Le Parlement a soutenu l’adoption de la loi de programmation militaire portée par le Gouvernement afin de redonner à nos militaires les moyens d’assurer la sécurité de la France dans de bonnes conditions. Cette loi doit cependant faire l’objet d’actualisations, dont une doit être mise en œuvre avant la fin de l’année 2021, comme le précise son article 7.
L’opération Barkhane nécessite un budget de plusieurs centaines de millions d’euros qu’il faudra maintenir, malgré la dégradation de la situation économique de la France. La France ne peut cependant pas assumer seule la défense de l’Europe hors de nos frontières. Les pays membres de l’Union européenne semblent encore bien loin d’avoir pris conscience de la nécessité de parvenir à une autonomie stratégique commune, même si certains d’entre eux participent à l’effort. L’unanimité sur le sujet paraît inatteignable.
Sur Barkhane comme sur les autres aspects de la défense commune, plus encore à l’heure du départ des Britanniques, comment le Gouvernement et le Président de la République comptent-ils faire progresser la défense de l’Europe à l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, lorsque nous avons engagé les travaux de préparation de la loi de programmation militaire, il y a bientôt trois ans, nous avons mené une analyse des menaces auxquelles nous étions confrontés. Celles-ci n’ont pas faibli. J’aurai l’occasion, si le président de votre commission m’y invite, de venir présenter devant vous les travaux d’actualisation que nous avons conduits récemment et qui viennent d’être publiés.
La réponse à ces menaces est, bien sûr, la préparation de nos armées, sous-tendue par cette loi de programmation militaire, mais aussi la construction de partenariats. À la veille de la présidence française de l’Union européenne, il est certain que nous devons continuer à encourager les Européens à prendre conscience de leur environnement, du fait que celui-ci n’est pas nécessairement pacifique et qu’il existe des menaces auxquelles il faut pouvoir répondre.
Dans le contexte où nous nous trouvons, subsistent certains points d’interrogation : le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a mentionné l’avènement d’une nouvelle administration américaine et l’influence que cela peut avoir sur la manière dont nos partenaires européens vont répondre à ce besoin d’une Europe de la défense plus structurée et plus puissante.
Pendant les quelques mois qui nous restent avant le début de la présidence française, nous entendons continuer à promouvoir les notions d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne, car l’expérience récente nous a appris que, même si notre partenaire américain se réengageait dans un cadre multilatéral, il était important que nous apportions, en tant qu’Européens, la démonstration de notre engagement pour défendre notre sécurité et celle de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Comme je l’évoquais précédemment, la sortie de crise au Sahel doit être accompagnée d’un volet substantiel d’aide au développement. Un rééquilibrage des moyens financiers en faveur de l’aide publique au développement est indispensable. Nous l’avons déjà constaté, entre 800 millions et 1 milliard d’euros sont dépensés chaque année pour l’opération militaire Barkhane ; à titre de comparaison, seuls 400 millions d’euros d’aide au développement ont été dépensés entre 2013 et 2017 pour le Mali.
De surcroît, nous nous interrogeons sur les modalités de mise en œuvre des projets. Quel est réellement l’impact de cette aide sur les populations auxquelles elle est destinée ? Les efforts faits pour améliorer la traçabilité des flux financiers, notamment dans le cadre de l’Alliance Sahel, initiée avec l’Allemagne, aboutissent-ils à de réels changements ?
Enfin, si les projets de développement restent ponctuels et peu suivis et servent en premier lieu à assurer aux forces armées françaises le soutien des populations, leur mise en œuvre ne sera qu’un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région. Nous soutenons que la mise en œuvre de véritables programmes de développement au plus près des intérêts des populations est une priorité pour la sortie de crise.
Ce point est fondamental. Plus que le djihad, c’est la situation économique et sociale qui fournit le terreau permettant aux organisations terroristes de perdurer, voire de se renforcer. J’ai notamment à l’esprit le pastoralisme, absolument essentiel pour l’économie sahélienne, qui est aujourd’hui menacé par l’avancée du désert et la raréfaction de l’eau, mais également les coopératives, souvent organisées par les femmes, qu’il faut soutenir.
Vous l’avez compris, seul un effort considérable et ciblé de soutien aux populations locales permettra de créer les conditions nécessaires à la diminution des tensions communautaires. Monsieur le ministre, que prévoit la France en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je crois avoir déjà largement répondu à votre question.
Tout d’abord, je voudrais combattre des propos erronés : la mobilisation financière de l’Alliance Sahel atteint 20 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros ont déjà été dépensés. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais cela ne correspond pas aux chiffres que vous indiquiez.
Par ailleurs, nous veillons à ce que les engagements pris soient mis en œuvre en relation étroite avec des acteurs locaux. À vous écouter, on a le sentiment que nous ne faisons rien, mais je vous ai donné des chiffres, y compris concernant la France, qui ne sont pas négligeables. Nous en reparlerons au moment du débat sur la loi de programmation.
Je vais prendre un exemple qui me parle beaucoup : Konna, au Mali, est une bourgade qui a été la première victime des attaques des djihadistes et sur le territoire de laquelle se sont produits les premiers combats. Une opération y a été initiée par l’AFD, avec le soutien de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de l’Allemagne – il s’agit donc de participations croisées. Elle a abouti à la dépollution et à la réhabilitation du port – la ville se trouve au bord du fleuve –, à un ensemble de formation professionnelle de 3 500 jeunes, à la restauration de salles de classe et de cliniques, à l’extension du réseau routier, de l’éclairage public et du réseau d’électricité. Les acteurs locaux ont participé à la définition des priorités. Je ne sais pas comment appeler cela, sinon du développement !
De la même manière, j’ai évoqué la relance de la grande muraille verte, un enjeu mobilisateur considérable. Le Président de la République en a pris l’initiative, mais c’est un sujet africain, porté par les Africains, mais enterré depuis longtemps, et qui permet maintenant, à mon sens, une vraie mobilisation pour le développement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. J’ai avancé des chiffres concernant la France – nous en reparlerons lors de l’examen de la loi de programmation – ; je n’ai pas dit que rien n’était fait, mais que nous arrivions à un moment où il fallait rééquilibrer l’effort.
Vous avez cité des exemples, mais d’autres débouchés existent, notamment l’opération grande muraille verte, lancée au Sahel en 2007 et qui patine, faute de moyens suffisants. Ce projet ambitieux vise à stopper la progression du Sahara en plantant des forêts à sa lisière. Plus qu’une ligne Maginot d’arbres, dont l’efficacité serait sujette à débat, il s’agit d’un projet ambitieux d’agroforesterie,…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Guillaume Gontard. … à même de répondre à la situation désastreuse que vivent les éleveurs de la région, qui sont des piliers de l’économie locale.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. En janvier 2013, le lancement de l’opération Serval au Mali a permis de stopper l’offensive djihadiste qui menaçait Bamako. Depuis huit ans, l’armée française opère sur un territoire en proie à des trafics qui s’intensifient en raison de la porosité des frontières. Nos soldats, auxquels nous témoignons un soutien indéfectible, opèrent sous la menace constante d’embuscades ou d’engins explosifs improvisés.
La France s’inscrit, avec les pays membres du G5 Sahel, dans une coalition de régimes politiques et militaires avec pour objectif de lutter contre les groupes armés terroristes. Consciente que l’avenir de cette région passe par l’implication des pays de la zone, la France développe au maximum les différents aspects de la coopération interétatiques. Toutefois, la montée en puissance des forces armées nationales est contrastée, selon les derniers rapports de la Minusma et d’Acled, qui rappellent que, en comptant les groupes d’autodéfense, celles-ci sont responsables de plus de 70 % des décès au Mali. Face à la multiplication des protagonistes, l’enjeu, pour les gouvernements de la région, est d’encadrer ces milices, parfois proches des États.
Enfin, la position française est d’autant plus compliquée que la population malienne commence à se retourner contre notre présence. Le 3 janvier 2021, nos forces ont été accusées de bavure à côté de Bounti. Cette même accusation a été relayée sur les réseaux pro-russes et pro-turcs.
À l’heure où 50 % des Français sont encore favorables à l’opération Barkhane et face à la potentielle dégradation de l’image de la France malgré les efforts consentis, avant tout sur le plan humain, mais aussi financièrement, il est urgent d’établir un agenda politique. Ainsi, quelles vont être les mesures prises pour créer les conditions de la stabilité dans cette région et les indispensables évolutions politiques, tout particulièrement au Mali ? L’Union européenne envisage-t-elle une stratégie plus intensive d’aide au développement, pour faire reculer la pauvreté et le ressentiment, ferments du recrutement des mouvements islamistes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez quasiment repris l’ensemble des sujets qui ont été évoqués au cours de ce débat. Il m’est difficile de sélectionner tel ou tel aspect.
Je connais bien la région. Je m’y suis rendu très souvent, auprès de nos forces, mais aussi des autorités politiques, de la société civile et des acteurs du développement. Je reste convaincu que ces pays et leurs populations souhaitent la présence de la France. La manifestation du 3 janvier dernier, à laquelle vous faisiez allusion, n’a pas rencontré le succès que ses promoteurs avaient annoncé la veille. Cela montre bien que nous sommes respectés, mais aussi que nos initiatives suscitent des attentes de paix. Y répondre nécessite un engagement sans faille des autorités des pays du G5 Sahel. Elles doivent être au rendez-vous, mais également à l’initiative de l’accélération du processus politique.
Un point sur lequel on ne s’appesantit pas assez souvent est la reprise de la discussion autour des accords d’Alger. Des accords ont été signés et pris en compte par l’ensemble des acteurs. Servons-nous de cela pour avancer ; sinon, nous recommencerons sans arrêt des discussions à n’en plus finir. Des textes sont validés et respectés par les différents acteurs internationaux, mettons-les en œuvre ; là est l’urgence politique.
Pour cela, il faut que l’ensemble des acteurs politiques du territoire – pour répondre à la fin de votre question – se mobilisent pour leur mise en œuvre. Les Algériens viennent de le faire : j’ai annoncé que le comité de suivi allait se tenir à Kidal, à l’initiative de l’Algérie. Les chefs d’État et les classes politiques africaines doivent suivre pour que les accords d’Alger deviennent une réalité.
M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Mickaël Vallet. Rapidement, dès les premières années de son déploiement, l’opération Barkhane a mobilisé sur place plus de 3 000 soldats, puis près de 4 500 à compter de 2018. À la suite du sommet de Pau, 600 soldats supplémentaires ont rejoint leurs camarades de combat.
Cette mission est légitime et utile, disons-le sans nuance. Soyons clairs, toutefois : la France n’est pas soutenue aujourd’hui à la hauteur du profit que tire le reste de l’Europe de cette opération.
Certes, les 13 000 Casques bleus de la Minusma sont à l’œuvre, la mission de formation de l’Union européenne aide à la reconstruction de l’armée malienne et les pays de la région ont formé utilement la coalition du G5 Sahel. Certes, la force Takuba permet l’implication sur le terrain d’armées nationales européennes qui ne sont d’ailleurs pas forcément les plus dotées, notamment celles de l’Estonie, de la République tchèque et de la Suède. Pourtant, les morts et les blessés, eux, sont, dans leur très écrasante majorité, des Africains du Sahel et des Français. Je le dis sans oublier qu’il y a eu des morts américains, mais aussi néerlandais, suisses et asiatiques dans le cadre de la mission onusienne. Nous saluons leur mémoire. Ces tristes contributions sont cependant sans commune mesure avec nos pertes et celles des Sahéliens. Je crains que les renforts italiens et grecs annoncés récemment, s’ils sont très bienvenus, ne suffisent pas à rééquilibrer le fardeau.
Ma question est double.
Premièrement, comment pouvons-nous nous contenter encore, s’agissant de Takuba, du simple soutien politique de grands pays européens, qui masque surtout l’absence d’apport en soldats, en matériel ou en financement ? Je pense notamment à l’Allemagne, même si vous avez précisé, madame la ministre, son apport dans le volet onusien.
Deuxièmement, je souhaite obtenir un ordre de grandeur – à défaut d’une réponse arithmétique, que vous ne pouvez nous apporter, comme vous l’avez indiqué au sénateur Longuet – de l’apport minimal en soldats et en matériel à Takuba que vous estimerez acceptable pour considérer que le soutien des autres nations est à la hauteur de l’enjeu. Pour le dire autrement, exigerez-vous de nos partenaires européens un doublement, un décuplement ou une augmentation à la marge de leur aide actuelle ?
M. Gilbert Roger. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, permettez-moi de revenir sur le début de réponse que j’esquissais à la question du sénateur Longuet. À mon sens, il n’y a pas de seuil arithmétique, mais deux conditions et une dynamique.
La première condition est qu’il y ait suffisamment de forces maliennes, dans ce cas particulier, pour combattre. Nous ne sommes pas là pour combattre à leur place : nous nous trouvons dans un partenariat de combat, j’y insiste. Cela peut paraître évident, mais lorsque des soldats ont combattu, parfois pendant sept mois sans discontinuer, cette question n’est pas totalement triviale.
La seconde condition est que les Européens viennent avec des moyens, car Takuba doit être autonome. L’objectif est qu’elle ait acquis sa pleine capacité opérationnelle à l’été. Nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur trois contributions, par ordre croissant : celle de l’Estonie, plus petite en volume que celle de la République tchèque, elle-même plus petite que celle de la Suède, beaucoup plus significative.
La dynamique est celle que nous saurons construire sur la base de ces premiers engagements. Il s’agit d’un travail collectif que nous devrons réussir avec nos partenaires sahéliens et européens. Dès lors, je suis confiante dans notre capacité à faire grandir la force Takuba et à atteindre ce seuil, que, encore une fois, je ne sais pas définir arithmétiquement.
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Nous en conviendrons tous, la France n’a pas vocation à demeurer indéfiniment au Sahel. Cependant, il est vrai aussi que, si nous partions demain, les pays du G5 Sahel rencontreraient d’immenses difficultés à assurer par eux-mêmes l’intégrité de leurs territoires et la sécurité de leurs populations. Les groupuscules proches d’Al-Qaïda et de Daech auraient alors les mains libres. Sur le long terme, c’est la sécurité de nos concitoyens sur le sol français qui serait menacée par des attentats perpétrés depuis ce nouvel épicentre de l’islamisme radical. Que nous manque-t-il, alors, pour assurer le succès définitif de l’opération Barkhane, qui permettrait le retrait de nos troupes ?
Pour faire face à la menace terroriste, nos alliés africains ne peuvent faire l’économie des défis institutionnels, économiques, éducatifs et sanitaires qui s’imposent à eux. Nos victoires militaires doivent aller de pair avec le déploiement de services publics stables, l’avènement d’une économie plus saine, la formation de forces armées et de sécurité performantes, le développement d’entreprises et d’écoles.
Cette vision est au cœur de l’approche « 3D », pour diplomatie, défense et développement. Aujourd’hui, force est de constater que le troisième « D », celui du développement, fait défaut. J’ai bien entendu vos propos, monsieur le ministre, mais les chiffres publiés par l’OCDE sont éloquents : les pays du Sahel sont fléchés comme prioritaires pour l’APD française, pourtant, aucun d’eux ne fait partie des douze premiers bénéficiaires de nos aides. D’autre part, comment expliquer que les cinq pays sahéliens ne perçoivent que 4,5 % du montant des aides françaises, alors que le Maroc en dispose à lui seul de 5 % ?
Nous avons consacré d’importants moyens au volet militaire et peu, en proportion, à celui du développement. Il est nécessaire de mener une véritable stratégie d’aide aux pays du Sahel, corollaire essentiel à l’action de nos armées. Ces interventions pourraient, en outre, mobiliser plus efficacement nos partenaires européens, qui peinent parfois à nous apporter leur soutien sur le plan militaire.
En clair, madame la ministre, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’en complément des actions militaires, le temps est venu de mettre en œuvre un Barkhane du développement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai indiqué précédemment que le rendez-vous de N’Djamena devait être un sursaut diplomatique, un sursaut politique, un sursaut du développement. J’entends bien que cela se déroule ainsi et dans le cadre de l’Alliance Sahel, sur laquelle je vais revenir.
J’entends ce que vous me dites, mais je suis en désaccord avec vos constats concernant les pourcentages. Vous avez pris en compte l’ensemble des aides, alors que, en ce qui concerne le Sahel, on ne parle que de dons. Je suis donc prêt à la comparaison, s’agissant des pays qui aujourd’hui reçoivent le plus de dons.
Pourquoi ne s’agit-il que de dons ? Parce que la capacité d’emprunt de ces pays est tarie. On ne peut donc les aider qu’ainsi. Les dons passent directement par nos propres outils, l’AFD, le centre de crise, ou différents outils qui sont à la disposition de nos ambassadeurs, mais aussi par les instruments multilatéraux, s’agissant de financements que nous diligentons par le biais d’organismes, en particulier européens. Je voulais faire cette mise au point en réponse à vos propos.
Nous devons toutefois faire en sorte que l’effort engagé pour le développement soit maintenu, vigilant, exigeant et qu’il se déroule dans le cadre de l’Alliance Sahel. L’insuffisance identifiée dans l’action de cette dernière, dont les aides s’élèvent à 20 milliards d’euros, tient au fait que les organismes qui prêtent ou qui font des dons travaillent chacun de leur côté, sans parler aux autres.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous rencontrons donc un problème de cohérence.
La vraie bataille que nous devons maintenant mener est celle de la territorialisation de l’ensemble des acteurs pour permettre le développement. À défaut, il n’y aura pas de développement, mais un challenge entre tel ou tel organisme et tel autre. C’est le sujet d’aujourd’hui, qui requiert une forte volonté politique, parce qu’il concerne beaucoup d’organismes : la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne et les différents fonds qui y émargent, l’USAID américaine.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Tout cela nécessite une coordination et une cohérence : c’est l’enjeu.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Je souhaite à mon tour rendre hommage à celles et ceux qui consacrent leur vie, parfois, malheureusement, jusqu’au sacrifice ultime, à notre protection.
Deux ministres, deux questions ; la première s’adresse à Mme la ministre des armées.
Nos militaires déployés dans l’opération Barkhane au Mali depuis plus de huit ans mènent une guerre asymétrique contre le terrorisme. Sur le terrain, ils vivent quotidiennement sous la menace d’engins explosifs improvisés, à chaque sortie de leur base, dans des véhicules blindés légers, les plus adaptés aux missions, mais qui sont vulnérables et vieillissants. Les kits de surprotection des VBL MkI vont bientôt être livrés, mais avons-nous une feuille de route pour lutter efficacement contre les IED ? N’est-il pas temps d’engager une réflexion sur le compromis nécessaire entre mobilité, discrétion et protection pour les VBAE, peut-être faut-il la mener avec notre partenaire belge ?
Par ailleurs, compte tenu de la mutation de la forme des combats, ne devrions-nous pas nous reposer davantage sur le support aérien et procéder ainsi à un rééquilibrage de nos forces pour continuer à exercer une pression maximale sur nos ennemis ?
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous avez rappelé, très justement, le consensus qui se dégage autour de l’idée que la résolution de la crise malienne passera surtout par une approche globale liant défense, diplomatie et développement, qui permettra la reconstitution d’un État de droit.
La population, qui ne voit guère les progrès que son pays devrait faire grâce aux centaines de millions d’euros que nous investissons dans de nombreux projets par le biais de l’aide publique au développement, continue de sombrer dans la pauvreté. Les bénéficiaires en sont les groupes armés, qui s’appuient sur une forme d’assise populaire pour renouveler leurs forces tombées au combat.
Le véritable enjeu est donc bien de tarir la source de recrutement de ces groupes, qui attirent à eux, non pour des raisons idéologiques ou religieuses, une jeunesse sans espoir d’insertion économique et sociale, sans espoir d’avenir.
Vous avez présenté les grandes lignes de l’aide internationale au Sahel. Pouvez-vous préciser les priorités de la France, de l’AFD, en matière d’investissement dans la reconstruction d’un appareil régalien fonctionnel à même d’assurer la sécurité des populations, leur éducation, leur santé…
M. le président. Merci de conclure !
Mme Hélène Conway-Mouret. … et d’un système judiciaire dans lequel celles-ci auront confiance, afin de lutter sur le long terme contre les causes profondes de déstabilisation du Sahel ?
M. le président. Dans le cadre du partage du temps de réponse, je demande aux ministres de veiller à ne pas dépasser une minute d’intervention chacun.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, les engins explosifs improvisés, armes non discriminantes, frappent d’abord les populations. Leur emploi par les groupes armés terroristes prouve bien qu’ils ne cherchent pas la confrontation avec nos forces armées.
Barkhane a réussi récemment plusieurs opérations d’importance – l’ayant mentionné en ouverture de ce débat, je n’y reviendrai pas. Le démantèlement d’une partie des capacités d’IED a été réalisé. Nous ciblons les poseurs de ces engins et les réseaux.
Quelles sont les perspectives ? D’abord, la régénération du parc de véhicules. Pour commencer, des kits de protection seront livrés dans les prochaines semaines : comprenant des blindages extérieurs et de la mousse intérieure, ils protégeront mieux nos combattants. Plus tard, un nouveau véhicule, le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), sera mis à disposition. Entre-temps, nous essayons d’équiper nos forces avec les engins les plus récents et les plus efficaces : ainsi, l’arrivée des Griffon du programme Scorpion au cours de cette année contribuera à améliorer la protection de nos militaires.
En outre, un certain nombre de technologies innovantes sont en cours de développement : des radars pénétrant à travers le sol pour identifier d’éventuels IED, des brouilleurs, des robots de déminage, autant d’équipements qui concourront à renforcer la protection de nos forces.
Enfin, l’arme aérienne dont vous avez parlé est absolument indispensable, mais elle ne permet pas tout. Nous avons besoin aussi de forces au sol, pour attaquer ceux qui sont au plus près des populations sans risquer d’atteindre celles-ci. C’est bien parce que nous discriminons nos actions que nous avons besoin de troupes au sol, en plus de l’arme aérienne.
M. le président. Monsieur le ministre, il ne reste que quelques secondes du temps accordé au Gouvernement pour la réponse… Peut-être pourrez-vous profiter d’une intervention ultérieure pour compléter la réponse de votre collègue ?
La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Je rends hommage à la mémoire de tous ceux qui sont tombés en opération extérieure. Mes pensées vont à leur famille, dont la vie a basculé.
Le sommet de N’Djamena doit être l’occasion d’une franche évaluation de ce qui a été réalisé depuis celui de Nouakchott, de ce que chaque pays consacre, en moyens humains et financiers, à la paix.
Madame la ministre, depuis votre entretien avec votre homologue le secrétaire d’État américain, Lloyd Austin, avez-vous pu obtenir plus d’informations sur le niveau de participation des États-Unis dans la bande sahélo-saharienne en termes de drones, de renseignement et de transport logistique ? Sans ce soutien, nous savons que des opérations peuvent être compromises.
À N’Djamena, une question de fond doit être clairement posée : quel prix pour quelle paix ? De ce point de vue, il est moins question d’agenda de retrait que de responsabilités. Nous ne gagnerons pas la paix sans déconstruire la propagande des djihadistes, qui étendent leur politique d’influence, de déstabilisation et de recrutement vers le golfe de Guinée, sans gagner la confiance des populations.
Ce sommet doit être aussi un moment de franchise : l’excellence des diplomaties africaines n’ignore pas la présence de nombreuses influences étrangères. Il n’est pas inutile de rappeler que celles-ci n’ont ni les mêmes méthodes de résolution de crises ni la même appréhension des droits humains.
Le très regrettable épisode dans le village de Bounti et les accusations proférées desservent la paix et favorisent les terroristes. Nos partenaires africains savent combien l’information est une bataille en soi.
Monsieur le ministre, quel message la France portera-t-elle pour que chaque partie assume ses responsabilités, s’agissant notamment du respect des missions des soldats français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, je profiterai de cette intervention pour terminer de répondre à Mme Conway-Mouret, d’autant que sa question a partie liée avec celle-ci.
Parmi les nécessités du moment, on ne met pas suffisamment en avant l’application du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, le P3S. Il s’agit de savoir comment occuper, immédiatement, les territoires libérés et pacifiés par l’intervention de Barkhane ou des forces conjointes.
Un effort considérable doit être mené en la matière, en liaison avec les autorités locales, pour que la présence physique des autorités de l’État dans les zones libérées soit rapide, les États concernés étant par ailleurs aidés à recouvrer leur dimension régalienne au travers d’appareils policier et judiciaire à la hauteur des événements récents.
À cet égard, notre collaboration avec l’Union européenne est très bonne. Des avancées assez innovantes sont en train de voir le jour. Cela fait aussi partie du sursaut dont j’ai dit qu’il devrait suivre le sommet de N’Djamena.
En ce qui concerne les manipulations de l’information, nous savons bien qu’elles existent et à qui elles sont destinées à profiter. Nous constatons aussi que, régulièrement, les autorités des pays concernées procèdent à des mises au point qui renforcent la mission confiée à nos forces et à nos opérations de développement.
Lutter contre les manipulations, c’est aussi un combat. Nous devons le mener collectivement, d’autant que, au-delà du Sahel, ces manipulations peuvent être instrumentalisées par divers acteurs politiques pour dégrader l’image de la France.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. L’opération Barkhane au Mali joue un rôle déterminant dans la lutte contre le djihadisme et le terrorisme au Sahel, mais aussi pour notre sécurité, ici, en France et en Europe. En plus de pacifier la région du Sahel, Barkhane participe à la protection de notre démocratie et de la civilisation européenne.
Je salue les hommes et les femmes qui engagent leur vie pour la France dans la lutte contre le terrorisme. Je soutiens nos forces armées et je rends hommage à nos morts.
À l’heure où la sécurité des Européens reste menacée par le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne et alors que la France est désormais la seule puissance militaire complète et indépendante au sein de l’Union européenne, la décision sur les ressources propres a pu nous interroger sur nos capacités à gérer une dette vertigineuse. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le sujet de la mobilisation effective des Vingt-Sept dans ces opérations doit être posé clairement, en intégrant un critère sous la forme d’un ratio entre le niveau d’engagement des pays en termes humains et financiers, leurs ressources et leur niveau d’endettement ?
Ce prisme financier doit être complété par la prise en compte des conséquences de la mobilisation des armées sur un temps long sur leur besoin en préparation et leur équipement.
Certes, nous voyons quelques signes encourageants d’européanisation des opérations : la task force Takuba, déjà mentionnée, et la mission EUCAP Sahel Mali, pour le conseil et la formation en sécurité intérieure. Mais que cela représente-t-il vraiment à l’échelle des Vingt-Sept ?
Par ailleurs, le Fonds européen de défense, qui se substitue au plan de développement industriel de défense, a vu sa dotation initiale divisée par deux : de 13 milliards, elle est passée à 7 milliards d’euros. Dans quelle mesure ce fonds assure-t-il un soutien à la France dans ces opérations ?
Comment favoriser le dialogue entre États membres pour qu’ils soutiennent davantage encore l’effort militaire considérable consenti par la France contre le terrorisme islamiste au Sahel ?
Enfin, la présidence française de l’Union européenne en 2022 devrait être l’occasion d’une prise de conscience en faveur de la défense de l’Europe et d’une participation accrue de tous aux opérations de paix. Comment préparez-vous d’ores et déjà cette échéance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Nous cherchons à créer une dynamique pour embarquer avec nous le plus grand nombre de partenaires européens. Encore faut-il qu’ils soient volontaires et capables.
Le Président de la République a amorcé cette mobilisation en avançant l’idée d’une initiative européenne d’intervention, regroupant ceux de nos partenaires qui sont volontaires et capables. Ce projet s’est concrétisé avec la force Katuba.
Demain, nous disposerons de nouveaux outils dans le cadre européen.
En particulier, nous pourrons nous appuyer, à partir du 1er juillet prochain, sur la Facilité européenne de paix, dans le cadre de laquelle l’Union européenne pourra équiper, notamment en armes létales, des soldats qu’elle aura formés au titre des missions EUTM. Dans certains pays, comme le Centrafrique, l’Union européenne est très active pour former les militaires de l’armée locale et financer l’aide au développement, mais cette action n’est pas nécessairement reconnue, parce que, à la porte des centres de formation, ce sont les Russes qui, parfois, équipent les hommes, bénéficiant ainsi, en quelque sorte, du travail que nous, Européens, avons accompli… Je l’affirme avec force : la Facilité européenne de paix sera un atout considérable entre les mains des Européens !
Il y aura, d’autre part, le fonds européen de défense, dont il est faux de prétendre qu’il a été divisé par deux : zéro divisé par deux, cela fait toujours zéro… Or 8 milliards d’euros sont prévus pour les sept prochaines années. Ce fonds a vocation à financer non pas les opérations, mais la recherche et le développement en vue d’une capacité européenne souveraine, dont nous manquons encore cruellement mais que nous allons construire !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Voilà huit ans que la France est engagée dans la bande sahélo-saharienne pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes, après avoir dû intervenir pour éviter la faillite des structures étatiques. De Serval à Barkhane, nos soldats sont l’honneur de la France et des acteurs de paix pour tous les pays de la zone ! La représentation nationale les soutient autant qu’elle en est fière.
Reste que, au regard des moyens investis, ces explications et une évaluation de notre action sur place sont indispensables, tant pour nos compatriotes que pour les pays africains impliqués.
Au fil des années, les critiques sont aisées ; mais dans quel état politique la zone serait-elle aujourd’hui, si la France n’avait pas répondu favorablement à la demande d’assistance et d’intervention du gouvernement malien ?
Notre présence ne saurait être considérée comme une occupation, alors que nos soldats protègent la population et forment les forces de sécurité locales pour permettre aux pays concernés de renforcer leurs structures étatiques face au terrorisme.
L’un des objectifs du sommet de Pau était l’établissement d’un partenariat de combat pour intégrer les forces partenaires. Dans ce cadre, il a été convenu de concentrer les efforts, notamment pour améliorer la qualité de la formation des militaires des armées des pays du Sahel. Cet aspect de l’intervention est essentiel aussi parce qu’il conditionne un retrait progressif de nos troupes. Pourriez-vous dresser un bilan de la formation par les Français et de l’autonomisation des troupes maliennes ?
Sénatrice du département, la Moselle, qui accueille le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg et le 1er régiment d’hélicoptères de combat de Phalsbourg, je tiens à vous interroger en outre sur les avancées en matière de disponibilité des appareils et le maintien en condition opérationnelle. Les hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) sont de véritables anges gardiens pour les troupes au sol, surtout compte tenu de l’immensité du territoire.
Dans son rapport d’information sur le sujet, notre collègue Dominique de Legge a appelé à une gouvernance plus efficace, à une homogénéité accrue du parc et à une plus grande verticalisation des contrats. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Nous consacrons beaucoup d’efforts à l’accompagnement et à la formation des armées maliennes. Il faudrait vérifier, mais il me semble que, au total, plus de 15 000 militaires maliens ont été formés par Barkhane – en plus de ceux formés dans le cadre d’EUTM Mali.
Au-delà de ce bilan important, des actions structurelles sont à conduire qui relèvent largement des autorités maliennes. Nous les aiderons à les mener, grâce à une coopération structurelle renforcée avec le ministère de la défense malien.
Vous m’avez interrogée aussi sur la disponibilité des moyens, en particulier des hélicoptères, pour Barkhane.
J’ai expliqué précédemment que les hélicoptères n’étaient pas suffisants. Reste que leur rôle est absolument essentiel pour nos opérations.
Leur disponibilité dans le cadre de Barkhane est critique. Le taux de disponibilité en opérations est de l’ordre de 75 % à 80 %, ce qui est très bon, bien meilleur en tout cas que la disponibilité sur le territoire national. Heureusement, car tout doit être fait pour que ces appareils soient disponibles pour compléter l’intervention de nos forces au sol.
Assurer cette disponibilité est particulièrement exigeant parce que les conditions météorologiques le sont aussi, accélérant l’usure de ces engins. C’est pourquoi, au-delà de nos efforts pour le maintien en conditions opérationnelles de nos moyens aériens – je serai sans doute amenée à en rendre compte devant votre commission –, nous veillons avec une attention toute spéciale à ce que les hélicoptères déployés sur place, dont le nombre est taillé au plus juste – ils sont une trentaine –, soient en permanence opérationnels ; nous surveillons cela comme le lait sur le feu.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. La France est présente au Sahel depuis 2013, dans le cadre d’un dispositif qui n’a cessé d’évoluer et de croître. Sur le terrain, de francs succès opérationnels ont été rencontrés, et des cibles de haute valeur éliminées. Notre connaissance du théâtre est désormais assez précise, nos modes d’action se sont adaptés et les personnels se sont aguerris au contact d’une région et d’un ennemi rudes.
Chacun d’entre nous ici a une pensée pour nos soldats tombés là-bas.
Même si elles n’affrontent pas un État, nos troupes et leurs alliés africains font face à une adversité solide et organisée. Comme le commandant de l’opération Barkhane l’a rappelé, « l’ennemi a sa propre volonté : il aspire à un projet politique et dispose d’une stratégie pour le mettre en œuvre ».
Cet ennemi n’est pas unique, mais pluriel, protéiforme. Il est fait de différents groupes s’appuyant notamment sur les tensions communautaires, l’absence d’alternatives sociales et économiques et les difficultés des États de la région. Il a su muter et s’ajuster à notre dispositif. Dans ce contexte, nous avons glissé d’une opération limitée à une véritable guerre asymétrique, qui s’installe dans la durée.
L’opinion publique occidentale voit dans les modes d’action des ennemis une certaine lâcheté, quand d’autres y voient, au contraire, une efficacité redoutable, à moindre coût, pour atteindre leurs objectifs.
Madame le ministre, d’après le retour d’expérience de Barkhane, mais aussi d’Afghanistan, quelles conséquences allez-vous tirer en matière d’engagement de la France en opérations extérieures ? Se dirige-t-on vers des opérations plus ponctuelles, menées avec une empreinte au sol réduite et sans mettre la main dans l’engrenage de situations locales complexes et anciennes ? Dans l’approche « 3D », va-t-on vers plus de diplomatie et de développement ? Bref, assiste-t-on au grand retour de Galula ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous avez fort bien décrit la guerre asymétrique : une guerre qui engage un adversaire généralement plus faible et qui se dérobe face à la force militaire. Refusant l’affrontement direct, celui-ci développe d’autres moyens d’action.
Dans ce cadre, si je puis dire, tous les coups sont permis : il s’agit non seulement de nous discréditer, mais encore, au mépris du droit international humanitaire, d’exploiter les tensions communautaires, de cibler directement les populations civiles, menacées et terrorisées, pour tenter de les rallier par la force – d’où la présence sur le théâtre de très jeunes combattants –, de détruire les écoles et d’assassiner les chefs locaux.
Face à ce type d’agissements, nous devons être en mesure de déployer des outils dans tous les champs, y compris les champs nouveaux, comme ceux de l’information et du cyber. Sinon, nous laissons la place à un modèle alternatif à celui de l’État : une justice fondée sur la charia, une éducation fondée sur les principes religieux de l’islam radical.
Nous développons donc de nouveaux modes d’action, en considérant qu’il existe une sorte de continuité entre la lutte contre le terrorisme qui s’exerce dans cette région et ce que nous pouvons connaître sur le territoire national. Il faut ne pas être naïf et bien comprendre les armes de l’adversaire pour pouvoir apporter notre riposte.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Merci, madame la ministre, pour ces précisions.
Oui, la guerre asymétrique, le développement des technologies nivelantes et l’extension de la confrontation dans le champ informationnel mettent nos démocraties en difficulté dans leurs opérations. L’actualisation stratégique 2021 souligne bien « la généralisation du recours aux stratégies hybrides et multiformes ». Attirer au sol, sur leur terrain, des forces occidentales régulières est une vraie stratégie des groupes armés terroristes.
Les armées françaises ont su faire évoluer leurs tactiques et leurs outils. Faisons, nous, évoluer notre doctrine d’information : expliquons, comme vous le faites, que notre présence au Sahel n’est pas éternelle,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Allizard. … mais qu’elle durera jusqu’à ce que la situation puisse être prise en charge totalement par les forces locales. Est-ce un horizon soutenable pour les Français ? C’est, en tout cas, le discours qu’il est souhaitable de tenir.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. À supposer qu’on se soit interrogé sur l’utilité de ce débat, je crois que nos échanges de cet après-midi ont clairement répondu, compte tenu du nombre de nos collègues qui y ont assisté jusqu’au bout, malgré les conditions sanitaires, et de la qualité des questions posées comme de la richesse des réponses apportées, malgré le temps contraint – je ne m’aventurerai pas à vouloir les résumer.
Je remercie une nouvelle fois le président du Sénat et les membres de notre commission, dont le travail préparatoire, programme par programme, a ouvert la voie à ce débat.
Je remercie également tous nos collègues présents. J’ose croire que les échos de notre débat, fussent-ils lointains, parviendront à nos militaires. Ils percevront, à travers votre présence et la richesse des questions que vous avez posées, votre attachement personnel et politique à chacune et chacun d’entre eux, exposés quotidiennement aux dangers de la mission.
Madame, monsieur les ministres, je vous remercie pour la qualité de vos interventions, s’agissant notamment des quatre piliers, dont certains nous interrogeaient particulièrement. Vous avez senti à travers les différentes interventions une volonté d’orienter encore mieux l’aide au développement. Il ne s’agit pas de nier ce qui est déjà fait, mais, comme vous l’avez très bien souligné, monsieur le ministre, il y a autant de politiques de développement que de pays qui interviennent. Si l’on faisait l’addition des sommes engouffrées depuis tant d’années dans le bassin du fleuve Niger pour les résultats que nous voyons, c’est-à-dire pas grand-chose, on serait surpris…
N’Djamena doit être le sommet des sursauts, comme vous l’avez dit. Il n’y a pas de sursaut particulier à attendre des forces françaises et de nos alliés, qui accomplissent un travail extraordinaire, avec un courage inouï. Mais la mobilisation des forces armées locales doit être une priorité. Comme la ministre et plusieurs d’entre vous l’ont fait observer, des résultats assez importants ont été obtenus ces dernières semaines, notamment avec Éclipse. On sent que les choses bougent : nous devons encourager et aider les forces locales !
Sur le plan de la gouvernance, il faut aller vers la réconciliation, et la France doit peser de tout son poids pour que celle-ci s’organise, avec celles et ceux qui veulent construire l’avenir du Mali et non le faire disparaître.
S’agissant de l’aide au développement, je crois que nous pensons tous qu’il faut aller plus loin.
Je relève qu’un consensus s’est dégagé sur toutes les travées de notre honorable assemblée en ce qui concerne la présence française au Sahel. La presse qui m’attend dehors n’a qu’une seule question à me poser : le Sénat s’est-il prononcé pour le départ des troupes françaises ? Bien évidemment, notre réponse est unanime. Au reste, ce serait un singulier affront à nos militaires que de leur dire, après les avoir envoyés dans cette région, qu’ils doivent revenir maintenant, comme si rien ne s’était passé… Leur mission n’est pas terminée.
Lorsque les conditions que les ministres ont décrites seront réunies, nous pourrons commencer, morceaux par morceaux, à alléger nos effectifs.
L’important, c’est que la mission exercée par la France au Mali soit soutenue par l’opinion française. Souvenez-vous de l’Afghanistan : après Uzbin, quand l’opinion française a commencé à ne plus croire à cette opération, il était déjà inscrit dans les faits que nous allions partir. Mes chers collègues, c’est aussi notre travail, dans nos territoires, de contribuer à cet effort de communication supplémentaire.
Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, notre débat a été de très haute tenue. Je forme le vœu que nous n’attendions pas huit ans pour renouveler l’exercice… Il serait bon que, régulièrement, les ministres puissent nous informer, comme ils l’ont fait cet après-midi ! (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane.
5
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, dans le cadre du scrutin public n° 70, sur l’article 1er du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique, mon collègue Philippe Pemezec souhaitait voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Sécurisation de la procédure d’abrogation des cartes communales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS), présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 217 rectifié [2019-2020], texte de la commission n° 305, rapport n° 304).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (plu) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (plui) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (pos)
Article 1er
Le titre VI du livre Ier du code de l’urbanisme est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Abrogation de la carte communale
« Art. L. 164-1. – L’abrogation de la carte communale est prescrite par délibération de l’organe délibérant de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, de document en tenant lieu et de carte communale.
« Art. L. 164-2. – L’abrogation de la carte communale est soumise à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement.
« À l’issue de l’enquête publique, l’abrogation est approuvée par le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent.
« L’abrogation de la carte communale est soumise à l’autorité administrative compétente de l’État, qui dispose d’un délai de deux mois à compter de sa transmission pour l’approuver. À l’expiration de ce délai, l’autorité compétente de l’État est réputée avoir approuvé l’abrogation.
« Art. L. 164-3. – L’organe délibérant de l’autorité compétente peut prévoir explicitement dans la délibération de prescription de l’élaboration du plan local d’urbanisme que l’approbation dudit plan vaut également abrogation de la carte communale. Dans ce cas, l’abrogation de la carte communale et le projet de plan local d’urbanisme font l’objet d’une enquête publique unique, puis sont approuvés par délibération unique de l’organe délibérant. L’abrogation de la carte communale ne prend alors effet que lorsque le plan local d’urbanisme devient exécutoire en application des articles L. 153-23 ou L. 153-24, sans qu’il soit besoin de recueillir l’approbation de l’autorité compétente de l’État au titre de l’article L. 164-2.
« Art. L. 164-4. – L’entrée en vigueur d’un plan local d’urbanisme sur le périmètre d’une commune couverte par une carte communale ne peut intervenir qu’après l’abrogation de ladite carte communale selon la procédure prévue au présent chapitre.
« La délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent portant approbation du plan local d’urbanisme peut toutefois intervenir avant la délibération portant abrogation de la carte communale.
« Art. L. 164-5. – (Supprimé)
Article 2
Après l’article L. 174-5 du code de l’urbanisme, sont insérés des articles L. 174-5-1 et L. 174-5-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 174-5-1. – Dans les communes non couvertes par un plan local d’urbanisme ou une carte communale, qui étaient couvertes jusqu’au 31 décembre 2020 par un plan d’occupation des sols devenu caduc en application de l’article L. 174-5 :
« 1° Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 211-1, un droit de préemption urbain peut être institué par délibération motivée de l’organe délibérant de la commune. Ce droit de préemption est exercé en vue des objectifs fixés à l’article L. 210-1 et au dernier alinéa de l’article L. 211-1. Ce droit de préemption peut porter sur les zones, secteurs et périmètres définis au même article L. 211-1 ;
« 2° Par dérogation au dernier alinéa de l’article L. 153-11, la commune peut proposer au représentant de l’État dans le département, dont l’avis conforme est recueilli au titre de l’article L. 422-5, de surseoir à statuer sur toute demande d’autorisation d’urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l’intérêt communal et, le cas échéant, des orientations du plan d’urbanisme local intercommunal en cours d’élaboration, quel que soit l’état d’avancement de la procédure d’élaboration. En cas de refus du représentant de l’État dans le département d’accorder un sursis à statuer sur la demande, celui-ci motive sa décision de refus et la transmet à la commune. Ce refus peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
« Les dérogations prévues aux 1° et 2° du présent article s’appliquent jusqu’à l’entrée en vigueur d’une carte communale ou d’un plan local d’urbanisme et, au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022.
« Art. L. 174-5-2. – Dans les communes non couvertes par un plan local d’urbanisme ou une carte communale, qui étaient couvertes jusqu’au 31 décembre 2020 par un plan d’occupation des sols devenu caduc en application de l’article L. 174-5, la commune peut proposer au représentant de l’État dans le département, dont l’avis conforme est recueilli au titre de l’article L. 422-5, de faire usage du pouvoir de dérogation au règlement national d’urbanisme prévu à l’article L. 111-2 au bénéfice de toute demande d’autorisation d’urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l’intérêt communal. En cas de refus du représentant de l’État dans le département d’accorder les dérogations sollicitées, celui-ci motive sa décision de refus et la transmet à la commune. Ce refus peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
« Les dispositions du présent article s’appliquent jusqu’à l’entrée en vigueur d’une carte communale ou d’un plan local d’urbanisme et, au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022. »
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, au Gouvernement, puis à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en matière d’urbanisme, on pense souvent, à tort, que certaines mesures législatives relèvent d’ajustements techniques : l’urbanisme ne serait qu’affaire de technique… Tel n’est pas le cas, comme nous le savons tous.
À la vérité, comme les travaux en commission l’ont bien montré, cette proposition de loi de mon collègue Rémy Pointereau soulève une question profondément politique, que je résumerai ainsi : souhaitons-nous une modernisation accompagnée, concertée, différenciée de nos politiques d’urbanisme local ou une transition à marche forcée, sanctionnée de recentralisation ?
Rien ne reflète davantage la diversité de nos territoires que leurs documents d’urbanisme. Voilà plus de vingt ans, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, a instauré le plan local d’urbanisme (PLU), envisagé comme un nouveau document de référence pour les communes françaises.
En réalité, la transition vers le PLU ne se fait que progressivement, pour des raisons que les élus locaux connaissent bien : d’abord, la complexité des procédures, qui évidemment s’accroît au fil des nouvelles lois ; ensuite, le coût de l’élaboration – en moyenne, 35 000 euros par commune ; enfin, le transfert, en 2017, de la compétence à l’échelon intercommunal, qui a retardé la transition vers le PLU, car il n’est pas facile de faire converger les visions de dizaines de communes.
La transition vers le PLU avance, mais de nombreuses communes ont préféré rester régies par une carte communale ou, jusqu’à récemment, par un plan d’occupation des sols (POS). Il s’agit souvent de communes rurales de petite taille, qui ont fait ce choix par manque de moyens ou d’opportunités. Elles doivent être respectées et entendues.
À rebours de ce constat différencié et territorialisé, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a imposé la caducité des POS qui n’auraient pas été transformés en PLU. L’échéance de caducité, trop proche, a été aménagée plusieurs fois, notamment sur l’initiative du Sénat. Par exemple, à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ayant acquis la compétence d’urbanisme en 2017, la loi laissait moins de deux ans pour élaborer un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), procédure qui prend d’ordinaire jusqu’à six ans…
La proposition de loi déposée par Rémy Pointereau, que je salue, vise à faciliter la transition des documents d’urbanisme locaux par deux mesures.
Premièrement, elle a pour objet de fixer une procédure applicable au remplacement des cartes communales par les PLUi dans la loi, alors que celle-ci est aujourd’hui silencieuse. Nous savons, de la voix même des maires, que cette incertitude les place dans des situations délicates : d’abord, devoir conduire une seconde enquête publique ; ensuite, tomber sous le régime du règlement national d’urbanisme (RNU) sans l’avoir anticipé ; enfin, retarder l’entrée en vigueur des PLUi.
Deuxièmement, cette proposition de loi tend à repousser de deux ans l’échéance de caducité des POS, pour la porter au 1er janvier 2023, afin que les dernières communes puissent faire aboutir leur nouveau PLUi. Malheureusement, l’ordre du jour parlementaire n’ayant pas permis d’examiner à temps ce texte, force est de constater que la caducité est bel et bien intervenue au début de l’année 2021.
Le rapport que j’ai réalisé au nom de la commission des affaires économiques a suivi deux principes : la souplesse, d’abord, afin d’offrir aux maires confrontés à des problèmes concrets des outils ciblés pour avancer, en cohérence avec le projet de territoire ; le pragmatisme, ensuite, car j’estime qu’il n’était pas envisageable de remettre en vigueur les POS, pour des raisons évidentes de sécurité juridique, de rétroactivité notamment – cela aurait engendré trop de contentieux.
La commission a adopté quatre amendements traduisant ces principes.
Tout d’abord, elle a ajusté la rédaction de l’article 1er pour renforcer la procédure combinée introduite par l’auteur de la proposition de loi. L’abrogation de la carte communale et l’élaboration du PLUi pourront ainsi être menées de front avec des délibérations jointes et une enquête publique unique. C’est là davantage non seulement de sécurité, avec une abrogation explicite et articulée dans le temps, mais aussi de souplesse, avec une réduction des lourdeurs procédurales.
Ensuite, à l’article 2, la commission a offert aux maires des communes frappées par la caducité des POS ce que nous avons appelé une « boîte à outils », afin d’en atténuer les conséquences les plus problématiques et d’améliorer le dialogue avec le préfet. Il s’agit de gérer au mieux la période intermédiaire avant l’adoption du nouveau PLUi sans que l’application du RNU vienne bouleverser un projet de territoire construit pendant des années. Cette « boîte à outils » se compose précisément de trois outils, sous la forme de trois dérogations.
La première dérogation vise à restaurer le droit de préemption des communes dont le POS est caduc. Elles pourront ainsi continuer à constituer des réserves foncières pour mener leurs projets d’équipement collectif, de logement ou d’autres projets structurants.
Les deux autres dérogations tendent à améliorer le dialogue entre le maire et le préfet et à favoriser le traitement au cas par cas des difficultés de terrain. Sous le régime du RNU, toute décision du maire relative aux autorisations d’urbanisme est soumise à l’avis conforme du préfet. Parfois, cela se traduit par des blocages sur des projets pourtant pertinents ou, à l’inverse, par l’autorisation de projets prédateurs.
Pour améliorer le dialogue, la commission a instauré deux dispositifs.
Il s’agit, d’une part, du recours à un sursis à statuer élargi, permettant d’attendre l’adoption du PLUi avant de statuer sur une demande : c’est une sorte de dérogation défensive. La commission a prévu, d’autre part, que les maires puissent solliciter du préfet l’usage de dérogations élargies : c’est une dérogation dite « offensive », toujours de nature à lever les blocages. Dans les deux cas, ces propositions devront être justifiées par un intérêt communal.
Madame la ministre, je conclurai mon propos en revenant sur les échanges que nous avons eus en commission. Certes, une partie des articulations que nous proposons auraient pu être apportées par un décret. Peut-être nous direz-vous ce que devient ce projet de décret… S’il est en cours de préparation, pourquoi avoir attendu si longtemps, et plus précisément la mobilisation du Sénat ?
En outre, nombre des apports de la commission nécessitent de passer par la loi : restaurer le droit de préemption ; élargir le sursis à statuer ; modifier la procédure d’avis du préfet sur l’abrogation de la carte. En tant que législateurs, il nous appartient de nous assurer de la précision de la loi, et non pas de renvoyer la définition des procédures à la seule jurisprudence ou à une pratique. Cela va mieux en le disant…
Vous l’avez également suggéré, certaines rédactions votées en commission pourraient être encore améliorées. C’est là tout l’intérêt de la navette parlementaire. Aussi, j’espère que le Gouvernement demandera l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que la proposition de loi puisse poursuivre son chemin et apporter enfin aux élus locaux des solutions concrètes.
Comme toute transition, celle que nous appelons de nos vœux vers des documents d’urbanisme plus concertés, plus respectueux de l’environnement, plus intégrés aux enjeux de logement et de développement économique, mérite un véritable accompagnement et des gages de confiance envers celles et ceux qui la conduisent au quotidien.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. Madame la ministre, les élus locaux attendent ces gages. À défaut de pouvoir débattre sur le projet de loi relatif à la décentralisation, à la différenciation, à la déconcentration et à la décomplexification, dit « 4D », le Sénat prend les devants et vous soumet ses propositions.
Mes chers collègues, monsieur Rémy Pointereau, nous apportons enfin à nos collectivités l’accompagnement et la confiance qu’elles méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Canevet applaudit également.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Sophie Primas, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi à mon tour de remercier M. Rémy Pointereau, l’auteur de cette proposition de loi, ainsi que l’ensemble de la commission des affaires économiques, de nous donner l’occasion de nous retrouver pour ce débat consacré aux cartes communales et aux POS, ces sujets essentiels pour l’urbanisme, tout particulièrement dans les zones rurales.
Progressivement, les outils de l’urbanisme se sont en effet enrichis pour dépasser la seule utilisation du sol et devenir des éléments stratégiques de définition et de mise en œuvre de projets de territoire ambitieux et équilibrés, intégrant à la fois les enjeux d’aménagement urbain, d’architecture et de paysage, de mixité sociale et de transition écologique.
Aujourd’hui, les collectivités territoriales se sont approprié ces outils. Elles les utilisent pour construire des stratégies et des projets sur mesure adaptés aux réalités de leurs territoires et à leurs ambitions.
Elles disposent aussi d’une palette d’outils, du plus simple au plus sophistiqué, en fonction de l’ambition du projet de territoire : nombre d’entre elles ont un PLU ou un PLUi ; pour certains territoires, notamment ruraux, les cartes communales, voire le RNU, peuvent être suffisants, avec des procédures plus simples.
Avec l’augmentation des ambitions de leurs projets de territoire, les collectivités passent progressivement du RNU et des cartes communales au PLU ou au PLUi. Ainsi, depuis les années 2000, les POS ont progressivement laissé la place aux PLU.
Il faut naturellement faciliter ces procédures et lever les incertitudes pour les collectivités, faute de quoi l’on risque de créer de l’insécurité juridique et de bloquer les projets des citoyens. Je vous rejoins sur ce constat, monsieur le rapporteur.
C’est pour remédier à cette situation, cher Rémy Pointereau, que vous avez voulu revenir sur les règles applicables aux cartes communales et les conditions dans lesquelles devrait se faire la transformation des POS en PLU.
Votre article 1er vise ainsi à préciser les règles de procédure applicables aux cartes communales. Mais, comme je l’ai indiqué devant la commission des affaires économiques le 27 janvier, quatre des cinq mesures que vous proposez sont déjà satisfaites.
Je prendrai un seul exemple. Pour abroger une carte communale, l’autorité compétente est évidemment la collectivité qui détient la compétence d’urbanisme. Il ne paraît donc pas nécessaire de le préciser. Vous avez d’ailleurs, monsieur le rapporteur, proposé des amendements pour supprimer certaines des mesures déjà satisfaites.
Je suis persuadée qu’il nous faut éviter de prendre des mesures redondantes. Je sais que cette conviction est très largement partagée, car l’inflation législative et normative complexifie inutilement la loi et, par conséquent, notre vivre-ensemble.
Pour autant, les règles doivent être claires pour tous. À ce titre – c’est une ancienne enseignante qui vous le dit –, la pédagogie réside pour partie dans la répétition. C’est la raison pour laquelle je m’engage à envoyer une nouvelle instruction pour rappeler le cadre juridique existant à nos services déconcentrés, ainsi qu’aux collectivités.
L’une des mesures que vous proposez répond, en revanche, à un réel vide juridique. Il existe en effet une période, de quelques jours à plusieurs mois, durant laquelle la carte communale est abrogée pour laisser place au PLU, alors même que ce dernier n’est pas encore en vigueur.
Je me suis d’ores et déjà engagée en commission à régler ce problème, qui relève cependant d’un décret, et non de la loi. Ce projet de décret, monsieur le rapporteur, est déjà en cours de finalisation et pourra être pris assez rapidement. Soyez certain que je vous le ferai parvenir avant sa publication, afin que le Sénat puisse nous faire part de ses remarques. J’en prends l’engagement.
Votre article 2 prévoyait, quant à lui, de prolonger les POS, caducs depuis le 1er janvier 2021. Sur votre initiative, monsieur le rapporteur, la commission n’a pas retenu cette proposition.
Je crois en effet qu’il était temps de procéder au changement, vingt ans après la loi SRU qui prévoyait déjà le remplacement des POS par les PLU.
Les délais ont déjà été plusieurs fois repoussés, jusqu’à la fin 2015, puis fin 2017, puis fin 2019 et, enfin, au terme de l’année 2020. Il y a eu donc une succession de prolongations. Surtout, dans l’intervalle – j’y insiste –, plus de 91 % des POS ont été remplacés par des PLU. Quant aux 530 communes qui sont revenues en 2021 au RNU, 200 ont simplement lancé la procédure, sans passer les premières étapes, dans l’objectif de simplement prolonger leur POS.
Vous avez donc fait le choix, monsieur le rapporteur, de remplacer la prolongation des POS par des mesures visant à empêcher que les projets se retrouvent bloqués dans les territoires.
Je partage cette approche. Avant de décider de ne pas repousser la durée de validité des POS, je me suis évidemment assurée que cela n’aurait pas d’impact négatif sur les projets. Là encore, le droit en vigueur le garantit et permet d’opérer la transition en douceur. Le RNU n’empêche pas les projets dans les zones déjà urbanisées et, au cas par cas, hors des zones déjà urbanisées.
Par ailleurs, les porteurs de projet ont également pu demander des certificats d’urbanisme permettant de conserver les règles du POS pendant dix-huit mois de plus.
Vous avez souhaité compléter ce dispositif par deux mesures pour les communes qui seraient revenues au RNU, auxquelles je ne souscris pas.
Tout d’abord, permettre au préfet de surseoir à statuer sur un permis de construire dans l’attente que le PLU soit approuvé ne serait pas raisonnable. En droit, c’est la commune qui est compétente pour surseoir à statuer. Si je vous avais proposé cette mesure directement, on m’aurait accusée de vouloir recentraliser.
Ensuite, permettre au préfet de déroger au RNU pour tout projet d’intérêt communal afin d’éviter de bloquer certains projets me pose également problème à plusieurs titres. D’une part, cela est contraire au message porté par le Gouvernement au sujet de la lutte contre l’étalement urbain, dont nous mesurons tous les effets écologiques mais aussi économiques et sociaux dans nos territoires. D’autre part, là encore, cela pourrait être vu comme une recentralisation : le RNU permet à la commune de délibérer pour mobiliser des dérogations lorsque l’intérêt général est dûment justifié.
Vous soulevez toutefois un point essentiel portant sur la capacité à mobiliser le droit de préemption urbain lorsque l’on revient au RNU. C’est en effet un outil stratégique pour récupérer les terrains nécessaires, au fur et à mesure de leur vente, en vue de réaliser des opérations d’aménagement. Compte tenu de son impact sur le droit de propriété, il convient de bien l’encadrer, notamment par rapport aux documents d’urbanisme en cours d’élaboration, et pas uniquement sur la base de l’ancien POS, ainsi que vous le proposez dans cette proposition de loi.
Par conséquent, nous réunirons prochainement un groupe de travail sur ce sujet, comprenant des parlementaires et des associations d’élus locaux.
J’ai par ailleurs lancé cette semaine – je m’y étais engagée, monsieur le rapporteur – une enquête auprès des collectivités concernées, par l’intermédiaire des préfets, afin que toute difficulté similaire soit identifiée et puisse être traitée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a permis de mettre en évidence un certain nombre de difficultés. C’est bien le rôle des assemblées parlementaires, et du Sénat en particulier. Cependant, pour les raisons que j’ai exprimées, il ne m’apparaît pas souhaitable d’adopter le texte en l’état, même si nos positions ne sont pas si éloignées.
Je m’engage à apporter une réponse rapide aux principaux points soulevés.
Tout d’abord, nous rappellerons, d’ici au mois de mars, le cadre applicable à l’abrogation des cartes communales pour éviter toute difficulté de procédure.
Ensuite, nous allons supprimer le vide juridique qui existe entre l’abrogation d’une carte communale et l’entrée en vigueur du PLU par un décret. Nous avons déjà lancé la consultation des collectivités afin qu’elles nous fassent remonter les difficultés concrètes liées à l’abrogation des POS.
Enfin, nous mettons en place un groupe de travail avec les élus pour élargir le droit de préemption urbain pour les communes revenues au RNU. Je vous propose bien sûr, cher Rémy Pointereau, cher Jean-Baptiste Blanc, de participer à ces travaux… mais le Sénat dispose ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la maîtrise de l’urbanisme par les communes constitue l’un des principaux acquis des lois de décentralisation. Elles contribuent ainsi à l’aménagement du territoire, dont la compétence doit être partagée entre les collectivités locales et l’État, garant de la cohésion des territoires et d’une vision d’ensemble.
Les communes et les intercommunalités ont dû s’adapter à un droit de l’urbanisme marqué par une certaine instabilité pathologique le rendant particulièrement complexe à appréhender, ce qui suppose de recourir à davantage d’expertise. Dès lors, l’ingénierie territoriale conditionne l’exercice même de leur libre administration.
Le transfert automatique de la compétence en matière d’urbanisme vers les intercommunalités, sauf minorité de blocage, prévu par la loi ALUR, combiné aux réformes territoriales successives à peine digérées, n’est pas aisé à mettre en œuvre.
De plus, le paramètre financier n’est pas négligeable : les communes et EPCI font état d’importants points de blocage, au premier rang desquels le coût significatif de l’élaboration d’un PLU, entre 25 000 et 50 000 euros en moyenne.
Si les collectivités doivent se conformer au droit, la loi doit prendre en compte leurs spécificités et leurs moyens. À cet égard, les difficultés soulevées par les élus locaux et par les auteurs de la proposition de loi sont révélatrices de la démarche encore descendante des relations entre l’État et les collectivités territoriales.
L’article 1er articule expressément la procédure d’abrogation des cartes communales et l’élaboration d’un plan local d’urbanisme. Cette clarification au sein du code de l’urbanisme renforce la lisibilité du droit et peut ainsi représenter un gain de temps non négligeable pour les communes qui douteraient de la possibilité d’organiser une seule enquête publique et de procéder à une seule délibération pour les deux procédures. Alors qu’elles sont souvent engagées dans l’élaboration laborieuse d’un PLUi, il est inutile de leur compliquer la tâche pour une simple abrogation.
Les précisions apportées par le rapporteur permettront de supprimer toute période pendant laquelle le RNU pouvait trouver à s’appliquer de manière transitoire entre les deux documents d’urbanisme. Bien que modeste, c’est un progrès par rapport à la situation actuelle.
J’en viens à l’article 2, relatif aux POS. Considérés comme des documents d’urbanisme archaïques, qui ne couvriraient pas systématiquement l’ensemble du territoire communal ou intercommunal, leur caducité a été programmée par la loi ALUR, puis reportée à plusieurs reprises.
En application de la loi « Engagement et proximité », qui leur a offert un an de répit, les 530 POS restants ont été frappés de caducité depuis le 1er janvier 2021.
Certes, la disparition des POS au bénéfice des PLU est prévue depuis vingt ans. Cependant, remettons cela en perspective par rapport à la réalité du terrain : nous ne parlons plus que de 530 POS à épurer, parmi lesquels 130 se situent à un stade avancé du processus de transformation. Il n’y a donc pas eu d’inertie des élus locaux en la matière.
Pourquoi leur refuser une souplesse, limitée dans le temps, dans un contexte de crise sanitaire et de changement d’équipes municipales ?
Nous sommes persuadés que la contrainte ne crée pas d’adhésion naturelle à des projets de territoire élaborés hâtivement. Bien au contraire, il arrive qu’elle provoque des conflits qui n’existaient pas auparavant. Laissons le temps aux collectivités de construire cette adhésion, d’élaborer un document d’urbanisme de qualité permettant de répondre au développement économique local, à la sauvegarde des activités agricoles, à la préservation de la biodiversité ou à la qualité de l’habitat.
Nous souscrivons donc à la démarche équilibrée du rapporteur, qui vise à temporiser les effets de la caducité des POS par l’introduction de trois aménagements à l’application du RNU permettant aux communes de continuer à préserver l’intérêt communal. Il n’est pas question d’exonérer les communes concernées de leurs obligations légales, mais simplement de leur laisser une période d’adaptation, inférieure à deux ans, le temps d’achever leur document d’urbanisme.
Nous connaissons votre position, madame la ministre, sur la proposition de loi, et je ne me fais pas d’illusions quant à son adoption définitive. Néanmoins, nous espérons que le Gouvernement apportera des solutions concrètes, comme cela a été envisagé en commission.
Les collectivités, majoritairement rurales, dont le processus de transformation du POS en PLU ou en PLUi est à la peine, doivent être accompagnées. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pourrait mettre à disposition ses compétences.
Leurs inquiétudes doivent être entendues. Voilà bien ce qui est proposé dans le présent texte, que le groupe RDSE soutiendra. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à combler un vide juridique concernant la procédure d’abrogation des cartes communales, qui n’est aujourd’hui pas explicitement prévue par le code de l’urbanisme. Il s’agit donc d’un texte utile et pragmatique, et nous remercions notre collègue Rémy Pointereau de cette initiative. Je tue d’emblée tout suspense en disant que nous voterons cette proposition de loi… à charge de revanche ! (Sourires.)
La procédure définie par le texte permet judicieusement le parallélisme des formes en adossant cette procédure à celle de l’adoption d’un PLU, afin de gagner du temps et d’éviter des surcoûts.
Pour autant, si l’on s’en tient aux difficultés pointées par les auteurs de cette proposition de loi, liées à la réglementation évolutive et aux coûts jugés très ou trop importants de l’élaboration des documents d’urbanisme pour les petites collectivités, force est de constater que cette proposition de loi n’apporte pas toutes les réponses.
Sur le plan de la réglementation, il est vrai que les documents d’urbanisme ont beaucoup évolué depuis la loi SRU, pour tenir compte des enjeux urbains tels que la lutte contre l’étalement urbain, l’exigence de non-artificialisation, la préservation de l’environnement et du vivant.
Ce renforcement des normes et des études n’est pas, à notre sens, du « superflu coûteux ». C’est en effet utile pour atteindre les objectifs de transition et de meilleure préservation des sols. Ainsi, alors que l’équivalent d’un département disparaît tous les sept ans du fait de l’urbanisation, renforcer les objectifs et les normes nous apparaît incontournable, à l’image du « zéro artificialisation nette » prévu à l’horizon 2050.
Les documents d’urbanisme sont des outils essentiels pour atteindre ces objectifs et, dans ce cadre, le renforcement des obligations de contenu nous semble aller dans le bon sens, celui de l’intérêt général.
Cependant, nous ne sommes pas pour l’abrogation « couperet » des POS qui précédaient les PLU, prévue par le texte, d’autant que les POS les plus récents ont été réalisés le plus souvent comme des PLU. Les collectivités, au titre de la libre administration, doivent conserver la maîtrise de l’aménagement de leur territoire.
Il faut par ailleurs, même si ce n’est pas directement l’objet de cette proposition de loi, reconnaître que les évolutions auxquelles sont confrontées les collectivités tiennent beaucoup au changement d’échelle de l’exercice de la compétence « urbanisme », un transfert difficile prévu par l’article 136 de la loi ALUR.
Nous avions, à l’époque, formulé un certain nombre de réserves sur ce transfert automatique qui dessaisissait les communes d’un élément important dans la définition de leur projet politique. Un transfert d’autant moins opportun qu’il s’articulait avec la construction d’intercommunalités forcées, ce qui n’est pas favorable à l’émergence d’un projet urbain collectivement défini et partagé.
Nous avions ainsi estimé que ce transfert de compétence venait dessaisir encore davantage les élus communaux des capacités concrètes de porter le projet politique pour lequel ils avaient été élus, participant ainsi à la vague de dévitalisation des communes et de la démocratie de proximité.
Ces constructions intercommunales, réalisées parfois en dépit des volontés communales, expliquent à nos yeux pour beaucoup les retards pris dans l’élaboration des PLU et des PLUi.
Nous avions, par ailleurs, considéré à cette même époque qu’avec la suppression par la loi de finances de 2014 de l’Assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atesat), c’est-à-dire du soutien de l’État aux collectivités justement sur ces questions territoriales, les communes avaient subi une perte très importante d’ingénierie et de maîtrise de leur territoire.
La difficulté des collectivités à faire face à la construction de nouveaux documents d’urbanisme tient donc, à la fois, à une perte d’ingénierie humaine liée à leur dévitalisation progressive, à la fin du soutien technique de l’État et à une baisse continue des ressources financières provenant de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Leur capacité d’action est donc triplement bridée. Nous sommes par conséquent favorables aux dispositions de cette proposition de loi qui facilitent l’exercice de la compétence « urbanisme » pour les plus petites collectivités.
Face à cette situation, et au-delà de l’accompagnement des programmes nationaux par l’ANCT, il nous semble que le rôle de cette agence devrait être recentré sur un soutien plus fort des collectivités dans leur démarche d’élaboration des documents d’urbanisme, notamment au regard des enjeux de transition écologique et d’aménagement équilibré des territoires.
Pour conclure, je dirai que l’esprit de décentralisation doit être maintenu. L’État doit non pas porter une vision autoritaire de l’aménagement territorial et des collectivités, mais apporter à celles-ci son soutien puissant au service de l’intérêt général et de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à sécuriser l’abrogation des cartes communales et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols, déposée par notre collègue Rémy Pointereau, est un texte de clarification juridique et de simplification des démarches, mais aussi de bon sens à destination des élus locaux.
Permettez-moi de remercier à mon tour l’auteur de cette proposition de loi et le rapporteur de la commission des affaires économiques. Loin des débats manichéens sur le droit de l’urbanisme, en particulier loin de ceux que nous avons eus sur le transfert de la compétence en matière d’urbanisme aux intercommunalités lors de l’examen de la loi ALUR de 2014, le texte déposé, puis celui adopté par la commission, présentent des propositions d’adaptation liées à des situations locales réelles.
Dans ce texte, aucun objectif en matière d’organisation locale et aucune mesure en matière de stratégie d’aménagement ne sont remis en cause.
Certains pourront éventuellement le regretter, mais la disparition des POS, la transformation des cartes communales et le transfert de la compétence aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne sont pas remis en question. Vingt ans après la loi SRU, six ans après la loi ALUR, leurs dispositions sont appliquées, bon gré mal gré, par les territoires.
Ce mouvement long est en passe d’aboutir, puisque plus de la moitié des communes françaises appartiennent à un EPCI désormais compétent en matière d’urbanisme ; plus de 18 000 PLU ont été élaborés et il restait à peine 530 POS au 31 décembre dernier.
Madame la ministre, cette proposition de loi ne revient pas sur les réformes passées. Elle n’est pas non plus conservatrice. Elle a pour objectif d’accompagner les communes et les élus locaux dans cette dernière mutation.
Le droit de l’urbanisme est une matière ardue et mouvante : ardue, parce qu’il recèle de nombreux détails qui nécessitent un travail quotidien, mais aussi parce qu’il est à la fois un droit dur, dans le code de l’urbanisme, et un droit mou, par la jurisprudence et les instructions données aux préfets ; mouvante, parce que les lois changent souvent et que la hiérarchie des documents d’urbanisme est un empilement de règles souvent validées par des niveaux différents : PLU et carte communale au niveau municipal, PLUi au niveau intercommunal, schéma de cohérence territoriale (SCoT) au niveau intercommunal ou à l’échelle d’un pays, ou encore schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) au niveau régional.
Les élus locaux, on le sait bien, font leur maximum, mais reconnaissons qu’un peu de clarification et surtout d’accompagnement de la part des services de l’État ne seront jamais de trop.
M. François Bonhomme. C’est certain !
M. Jean-Pierre Moga. Concernant la présente proposition de loi, son article 1er apporte des précisions utiles sur la période de transition au moment du passage d’une carte communale à un PLU ou à un PLUi, et fixe une procédure plus efficace et plus lisible. S’il existe des règles ou des instructions, comme l’a rappelé le Gouvernement devant la commission, elles ne sont pas assez sûres et connues ; ce texte permet de les fixer et d’encadrer la transition. Cet article simplifie aussi certaines démarches, en limitant le nombre d’enquêtes publiques qui ont naturellement trait au même sujet.
Pour l’article 2, le rapporteur a largement tenu compte de la nouvelle situation du droit après le 1er janvier de cette année. Il est proposé une boîte à outils de quelques dérogations pour les 530 communes restantes ; cela représente à peine 5 communes par département. Mieux vaut les aider à transformer leurs documents d’urbanisme que les braquer. Ce sera au profit de tous et, en particulier, des habitants de ces communes.
Avant de conclure, madame la ministre, j’aimerais vous interpeller sur votre futur projet de loi dit « 4D ». Nous n’en connaissons encore ni toutes les mesures ni tous les détails ; néanmoins, prenez garde à ne pas bousculer, une fois encore, l’organisation locale en matière d’urbanisme : inutile de créer de nouveaux transferts et de nouveaux délais ! Il serait au contraire préférable de renforcer l’ingénierie de l’État à l’échelle départementale, pour accompagner au mieux les élus locaux.
Pourriez-vous nous donner vos ambitions en la matière, en particulier vos axes de réflexion contenus dans le projet de loi 4D ?
M. Jean-Pierre Moga. Pour revenir à la proposition de loi qui nous est soumise, les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a deux objectifs : expliciter le droit en matière d’abrogation des cartes communales et accorder deux ans supplémentaires aux communes n’ayant pas achevé leur transition du POS au PLU ou au PLUi au 31 décembre 2020.
Quelque 530 communes en France seraient concernées par cette dernière problématique, soit environ 5 communes par département qui se retrouvent dans un état de flou juridique depuis le 1er janvier 2021, date à laquelle les POS sont devenus caducs.
Il est donc tout à fait préjudiciable que l’État ait refusé de se saisir du sujet plus tôt, estimant que le droit actuel fournissait déjà des solutions. La situation aurait pu être régularisée avant la date limite de caducité, ce qui aurait évité à ces petites communes de se retrouver dans une situation difficile, sans les documents d’urbanisme qui leur permettaient de planifier leur développement.
En premier lieu, on peut s’interroger légitimement sur les raisons qui expliquent ces difficultés à passer du POS au PLU ou au PLUi, difficultés qui n’ont rien à voir avec une quelconque négligence. Comme j’ai pu le souligner en commission, je maintiens que lorsqu’une petite commune appartient à une intercommunalité de taille importante, la prise en compte de ses propres intérêts peut être en soi un sujet de discussion serré.
Nous abordons ici la liberté d’administration des communes : si le nouveau document d’urbanisme ne répond pas, en matière d’aménagement du territoire, aux besoins de ces communes souvent situées dans des territoires fragiles, il est compréhensible qu’elles aient besoin de temps pour affiner son élaboration. Était-il possible de fournir à ces communes les moyens nécessaires en ingénierie et en finances pour tenir les délais ? Sans doute, mais cela n’a pas été anticipé, d’où la situation où elles se trouvent aujourd’hui.
Notre rôle en tant qu’élus des territoires est de nous montrer à l’écoute de ces difficultés et d’y apporter une réponse.
En l’absence de tout document d’urbanisme, ces communes reviennent au RNU. Je sais, madame la ministre, que vous jugez cette solution tout à fait applicable ; vous rappelez que quelques maires ruraux de votre connaissance souhaitent conserver ce régime d’urbanisme.
M. Christian Redon-Sarrazy. Néanmoins, ce souhait est loin d’être unanime. En effet, le RNU nécessite pour les maires d’obtenir l’avis conforme du préfet. En outre, à la différence des documents d’urbanisme tels que les PLU, les PLUi ou les POS, le RNU ne définit pas de zones par affectation : zones industrielles, touristiques, ou encore naturelles. Il ne s’articule qu’autour de deux notions, des terrains constructibles et non constructibles, c’est-à-dire des zones urbanisées et non urbanisées, sachant que la notion d’« urbanisation » est soumise à une appréciation parfois différente d’un département à l’autre. J’en sais quelque chose : j’ai pu constater de telles différences entre la Corrèze et la Haute-Vienne !
C’est un régime restrictif où les situations se règlent au cas par cas, selon la libre appréciation des directeurs départementaux des territoires. Le manque de transparence est donc total, et le risque de voir des prédateurs fonciers lésés par les précédents documents d’urbanisme devenus caducs tenter d’exploiter les ambiguïtés permises par le retour au RNU est réel. Un retour à ce dispositif va à l’encontre de la lutte contre l’artificialisation des sols et n’assure pas aux communes des conditions de développement semblables à celles qui étaient prévues dans les POS.
Le Sénat s’est vu contraint d’examiner le présent texte après la date limite de caducité ; les auditions menées par le rapporteur ont permis de constater que ce vide juridique entraînait la perte de la maîtrise foncière et du droit de préemption urbain, ainsi qu’un risque de blocage de certains projets à cause du retour au RNU.
Une réécriture complète de l’article 2 de la proposition de loi a donc été proposée, de manière à atténuer les conséquences de la caducité des POS par la mise à la disposition des maires des communes concernées d’une boîte à outils applicable jusqu’à l’adoption du nouveau PLU ou PLUi, et jusqu’au 31 décembre 2022 au plus tard.
Le texte de la commission prévoit également de créer un droit de proposition des maires : ils pourraient solliciter du préfet l’usage de son pouvoir de dérogation aux règles du RNU pour des projets qui auraient été compatibles avec le POS antérieur, mais ne le sont pas avec le RNU.
Le Gouvernement s’est pourtant montré opposé à ces mesures transitoires, arguant que, sur les 530 communes évoquées, 160 communes seulement se situaient à l’arrêt du projet de PLUi et 200 autres à un stade d’avancement très faible, tandis que 130 communes revenues au RNU allaient pouvoir approuver rapidement leur PLUi.
Sur le droit de proposition, madame la ministre, vous avez émis un avis défavorable au motif que le maire restait l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, sous la seule réserve de recueillir l’avis conforme du préfet. Malheureusement, votre argumentaire ne fonctionne réellement que dans le cas où les deux parties sont d’accord. Même si le maire reste libre de ne pas suivre les conclusions du préfet, il n’est pas toujours évident d’aller contre l’avis de l’administration.
Pour ces 360 communes, madame la ministre, vous avez proposé en commission d’écrire à tous les préfets pour vous faire remonter avec précision pourquoi certaines communes ou intercommunalités connaissent des situations de blocage.
Vous proposez enfin d’accompagner au plus près ces collectivités, par l’ingénierie de l’État sur les territoires ou l’aide directe fournie par l’ANCT.
Vos propositions prouvent bien qu’un dialogue spécifique et « cousu main », pour reprendre votre expression, est nécessaire. On peut néanmoins regretter que l’État ne l’ait pas mis en place plus tôt.
M. le président. Il est temps de conclure, mon cher collègue.
M. Christian Redon-Sarrazy. Même si peu de communes sont désormais concernées, il n’est pas question de les négliger. En effet, le sujet est de la même importance pour une agglomération ou pour une petite commune, et toutes deux sont utiles à nos territoires.
Le groupe socialiste confirmera donc le vote favorable qu’il a eu en commission sur cette proposition de loi, en espérant que la navette parlementaire sur ce texte s’achèvera dans les délais de la présente législature. En effet, si tel n’était pas le cas et que, par ailleurs, le traitement au cas par cas ne permettait pas de régulariser les situations, le problème resterait entier.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémy Pointereau que nous examinons en cette fin d’après-midi va assurément dans le bon sens. Elle vient sécuriser certains vides juridiques identifiés sur nos territoires par les élus locaux, que ce soit au sein des communes ou des EPCI.
Nous l’avons suffisamment dit ici : il existe encore des difficultés, notamment dans de petites communes rurales et de petits EPCI, même si la couverture des PLU et des PLUi progresse sur le territoire hexagonal.
La situation que nous avons connue en 2020 – crise sanitaire, renouvellement différé d’élus municipaux – a causé certaines difficultés supplémentaires pour de nombreux EPCI et communes dans la transition qu’ils avaient engagée afin d’éviter la caducité des POS et l’abrogation de cartes communales. Dans le premier cas, la date limite, repoussée à plusieurs reprises, est désormais dépassée depuis la fin du mois de décembre dernier.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de notre examen de ce texte en commission la semaine passée, les ralentissements ont aussi pu être causés par les évolutions des périmètres des intercommunalités – certaines, de fait, ont été contraintes de fusionner –, mais aussi par les transferts de compétences évoqués par Fabien Gay, qui ont aussi beaucoup mobilisé les intercommunalités. Ces évolutions sont parfois venues ajouter à la complexité des procédures existantes, souvent dénoncée par les élus. On peut aussi ressentir sur nos territoires un manque d’accompagnement et d’ingénierie ; l’ANCT a pour mission de les combler.
Le présent texte apporte donc des réponses pratiques et réalisables. Je salue ce que nous appelons la « procédure combinée » et son approfondissement. Elle me paraît être logique et pragmatique.
Comme j’ai pu également le dire lors du débat en commission, l’article 2 de cette proposition de loi et la boîte à outils qui y est développée sont les bienvenues pour les 530 communes concernées.
Les possibilités qui sont données aux maires dans le cadre des autorisations d’urbanisme et des dérogations aux règles du RNU auront des finalités concrètes. Le couple maire-préfet serait une nouvelle fois sollicité pour rechercher des solutions au plus près des problématiques des communes et des territoires.
Parmi les éléments de cette boîte à outils, on trouve le droit de préemption urbain. En effet, dans le cadre du RNU, ce droit est très limité et notamment circonscrit à la création de logements sociaux. D’autres objectifs du droit de préemption urbain sont quant à eux impossibles à mobiliser, ce qui risque de susciter des difficultés pour les communes concernées.
Ce texte apporte donc des solutions pour faire face à cette période de transition.
Enfin, je veux évoquer le caractère temporaire des dérogations et alternatives détaillées à l’article 2. Il me paraît essentiel qu’au-delà du 31 décembre 2022 les transitions aient pu être effectuées et que les effets négatifs des situations actuelles soient définitivement derrière nous. Là encore, nous devons rester attentifs et accompagner ces communes.
Le rôle des préfets et des maires demeure central. Ils doivent œuvrer de concert : c’est un gage de solutions pour nos territoires, c’est aussi l’esprit de ce texte.
Pour conclure, je suis amené à constater sur le terrain que les politiques d’urbanisme ne sont pas toujours adaptées aux territoires ruraux. Si je conviens qu’il faut lutter contre l’artificialisation des terres et l’étalement urbain, il ne faut pas pour autant exclure les territoires ruraux de leur développement urbanistique. Les politiques actuelles sont quelquefois trop restrictives : il devient parfois impossible de proposer des terrains à bâtir aux enfants de nos villages. Leur développement, indispensable, constitue vraiment un gage d’attractivité pour nos villages et nos territoires.
Le groupe Les Indépendants soutiendra donc ce texte pragmatique et de bon sens, qui accompagne les transitions des communes, même s’il ne répondra sans doute pas à toutes les situations. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons l’objectif tout à fait louable de cette proposition de loi, qui permet de mieux accompagner la transition des documents d’urbanisme communaux vers les PLU et PLUi. Le cadre législatif de ces règlements a fait l’objet d’un certain nombre de réformes importantes depuis les années 2000 ; je n’en referai pas l’historique.
Ce texte s’attelle d’abord à une simplification et à une clarification bienvenues du cadre juridique quant à l’abrogation des cartes communales. Comme nous l’avons souligné en commission, la législation actuelle n’apporte aucune précision sur cette procédure ; nombre d’élus locaux demandent de la lisibilité sur le droit applicable en la matière.
Environ 2 300 communes, soit 40 % de celles qui sont aujourd’hui couvertes par une carte communale, seront bientôt couvertes par un PLUi. Ces communes peuvent se retrouver démunies face à la lourdeur et à la complexité de la procédure, qui sont notamment dues à l’obligation d’organiser une enquête publique supplémentaire.
Il convient donc de clarifier et d’expliciter le droit et de lever des contraintes inutiles, pour ne plus exposer des communes à une potentielle insécurité juridique. Ce sont surtout les plus petites d’entre elles qui peuvent être mises à mal, celles qui sont peu accompagnées dans ces évolutions procédurales et qui n’ont pas les moyens humains et financiers d’y faire face ; pour certaines d’entre elles, je dirais plutôt qu’elles n’ont plus ces moyens.
En ce sens, l’article 1er nous paraît tout à fait pertinent : il fixe dans la loi la procédure applicable, qui permet de sécuriser juridiquement ces communes et d’apporter aux élus locaux des outils clairs et efficaces pour davantage de prévisibilité.
Il apporte notamment une souplesse accrue aux collectivités et aux intercommunalités, lorsque l’abrogation d’une carte communale intervient au profit de l’approbation d’un PLUi, et prévoit ainsi une procédure combinée d’abrogation de la carte communale et d’approbation du PLUi via une enquête publique unique et une seule délibération finale. Voilà le plus important !
Nous saluons le renforcement par la commission de cette procédure combinée, qui sera prévue dès la délibération initiale de prescription. Cela tend à éviter tout décalage entre l’abrogation des cartes et la mise en application du PLUi, et permet d’éviter la mise en application temporaire du RNU.
L’article 2 initial, qui reportait de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2022, la date de caducité des POS nous posait davantage question : l’argument selon lequel la crise sanitaire et la période de confinement auraient empêché l’avancée de certaines communes sur leur document d’urbanisme peut s’entendre, mais notons que cela fait tout de même vingt ans que la disparition des POS doit être actée. Un an supplémentaire nous paraissait largement suffisant pour laisser les 530 communes concernées faire aboutir leur PLUi.
Comme nous l’avons vu en commission, ce délai supplémentaire est inopérant puisque la caducité a été actée depuis le 1er janvier. La commission a donc proposé d’apporter des dérogations facultatives, ciblées et encadrées dans le temps aux maires des communes concernées par la caducité, en se basant sur un dialogue renforcé entre le maire et le préfet.
Ces dispositions m’apparaissent plutôt pertinentes et utiles pour les communes, afin notamment de leur éviter de se retrouver soumises au RNU. En effet, ce règlement peut entraîner un certain nombre de problématiques quant à la continuité ou à la mise en place de projets structurants pour le territoire concerné.
Nous restons tout de même vigilants : ces dérogations doivent être suffisamment cadrées et ne sauraient permettre de revenir temporairement sur des réglementations nécessaires pour la protection des paysages et de la biodiversité, en lien avec l’artificialisation des sols ou la protection du littoral.
Prenons garde à ce que ce délai supplémentaire ne soit pas utilisé comme un moyen de déroger à l’application de documents d’urbanisme qui s’imposeront aux futurs PLU ou PLUi. Je pense notamment aux SCoT. Merci, madame la ministre, monsieur le rapporteur, de nous apporter des éléments sur ce point.
Pour conclure mon explication au nom du groupe écologiste, nous voterons pour ce texte qui permet globalement de clarifier le droit et apporte des outils utiles aux élus locaux. J’imagine qu’il fera consensus ; en ce sens, l’usage de la procédure de législation en commission est justifié. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le transfert au niveau communal de la compétence en matière d’urbanisme, en 1983, plusieurs réformes sont intervenues pour encadrer l’action des collectivités en la matière. Avec les lois SRU et ALUR, les documents d’urbanisme sont devenus de véritables instruments d’aménagement et de cohésion des territoires, intégrant des objectifs de contrôle de l’étalement urbain, de mixité sociale, ou encore, plus récemment, de lutte contre le changement climatique.
Avec la complexité croissante des règles en matière d’urbanisme, aggravée dans certaines collectivités par le manque d’ingénierie et de moyens financiers, les maires et les présidents d’intercommunalité peuvent rencontrer des difficultés dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme.
Aussi, la proposition de loi que nous examinons entend épauler ces collectivités face à ces difficultés.
Il est question, d’une part, à l’article 1er, de clarifier et d’expliciter la procédure applicable en matière d’abrogation des cartes communales, et, d’autre part, à l’article 2, de répondre aux inquiétudes suscitées par la disparition des POS. En commission, nous avons salué la volonté de sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales portée à l’article 1er par les auteurs de cette proposition de loi. Mais si le droit se doit d’être lisible, la codification proposée ne nous a toutefois pas semblé nécessaire.
La jurisprudence, reprise par de nombreuses instructions ministérielles et confirmée dans la pratique, démontre que les solutions existent et sont opérationnelles. Or, en matière de codification, le mieux s’avère parfois être l’ennemi du bien.
Aussi, notre crainte est que l’introduction de nouvelles dispositions dans le code de l’urbanisme génère de nouveaux contentieux et qu’elle nuise davantage à la lisibilité du droit qu’elle ne l’améliore.
En revanche, les auteurs de la proposition de loi ont relevé à juste titre l’existence d’un vide juridique durant la courte période qui sépare le moment de l’abrogation de la carte communale de celui de l’entrée en vigueur du PLU.
Si le texte a le mérite de proposer une solution pour combler ce vide juridique, la voie législative ne nous semble pas la plus appropriée, en raison notamment du temps qui serait nécessaire pour une mise en œuvre effective de cette solution.
En conséquence, nous avons choisi en commission de faire confiance à Mme la ministre, qui s’est engagée à apporter une solution à cette situation par la voie réglementaire. Une instruction claire rappelant les règles d’abrogation des cartes communales doit par ailleurs être envoyée aux préfets.
Nous nous sommes montrés plus sceptiques en ce qui concerne l’article 2, qui reportait à l’origine de deux ans la date de caducité des POS. Il s’agissait de tenir compte du retard pris par certaines communes dans l’élaboration de leur PLU, notamment du fait de la crise sanitaire.
Si nous comprenons l’inquiétude suscitée par cette caducité, un tel report nous aurait semblé inéquitable par rapport aux communes qui ont accéléré l’adoption de leurs documents d’urbanisme et ont tenu les délais.
Par ailleurs, le principe de non-rétroactivité de la loi s’opposait à ce que l’on revienne sur la caducité des POS intervenue au 1er janvier 2021.
Enfin, un énième report ne nous a pas semblé opportun, alors qu’il ne reste que 530 communes concernées et qu’une grande partie d’entre elles sont en train de terminer l’élaboration de leur document d’urbanisme.
Cet article a toutefois été complètement réécrit en commission. S’il n’y est plus question de report de la caducité des POS, la rédaction proposée revient par des voies de contournement aux mêmes finalités.
En conséquence, cette nouvelle rédaction ne modifie pas notre regard sur l’objet de cette mesure. Conscients toutefois des difficultés que peuvent rencontrer certains élus en matière d’urbanisme, nous observons avec bienveillance la démarche portée par ce texte.
Nous ne pouvons néanmoins totalement y souscrire, puisque les solutions qui y sont proposées s’avèrent déjà satisfaites ou trouveront une traduction plus rapide et plus efficace par la voie réglementaire.
Aussi, comme Mme la ministre a entendu les difficultés exprimées et s’est engagée à y répondre, nous choisirons de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi que j’ai déposée, avec l’appui de plus de 80 sénatrices et sénateurs, le 18 décembre 2019. Sans vouloir retracer la genèse de cette initiative, je souhaite tout de même indiquer qu’elle émane du terrain, de nos collègues élus locaux qui sont excédés par les changements permanents du cadre juridique des règles et documents d’urbanisme locaux. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette proposition de loi, qui aurait pu se transformer en simple amendement, reflète parfaitement le manque d’information que subissent nos collègues de terrain. Dès l’automne 2019, j’ai été interpellé par le président d’une communauté de communes de mon département et par plusieurs maires ; ils m’ont fait part de leur incompréhension de voir les cartes communales abrogées dès lors que la communauté de communes lance une enquête publique dans le cadre de l’élaboration de son PLUi, avant même que celui-ci soit validé ! Il n’est pas question d’une courte période : ce vide peut durer deux ans, si tout se passe bien, trois ans, ou même quatre ans, selon la durée du processus de validation du PLUi.
Les élus se demandent sur quel document d’urbanisme ils doivent s’appuyer durant cette période. Malheureusement, aucune loi ne précise comment s’opère cette transition.
Le rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc, que je félicite au passage pour son travail et son investissement sur le sujet, indique qu’en l’absence d’informations claires, les élus sont parfois amenés à relancer des enquêtes publiques alors qu’ils étaient sur le point d’approuver leur PLUi.
C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi met en place une procédure claire : tout simplement, l’abrogation de la carte prendra effet dès lors que le nouveau document, tel qu’un PLUi, entre véritablement en vigueur. C’est une mesure pragmatique et de bon sens qui comble un vide juridique pour faciliter le travail de nos élus locaux.
Quant à l’article 2, qui concerne les POS, il est venu se greffer sur cette proposition de loi au cours de sa rédaction.
Là aussi, ce sont des élus de mon département qui m’ont interpellé sur le sujet ; je sais que je ne suis pas le seul à avoir été saisi de la question, qui a été posée dans de nombreux départements.
Comme vous le savez, la loi ALUR a instauré un principe de caducité des POS qui a connu – soyons honnêtes ! – plusieurs assouplissements en matière de délais. Le dernier de ces assouplissements résulte d’ailleurs d’une initiative sénatoriale, puisqu’un report d’un an, soit jusqu’au 31 décembre dernier, avait été obtenu lors de l’examen du projet de loi « Engagement et proximité ».
Malheureusement, 536 communes n’ont pas eu le temps de finaliser leur PLUi avant la caducité du POS. Cela s’explique parfois par des raisons financières : un PLU coûte en moyenne entre 25 000 et 50 000 euros ; une commune n’allait pas investir une telle somme alors qu’un PLUi allait bientôt arriver.
Mon idée de départ était de faire la même proposition que pour les cartes communales : préciser que l’abrogation du POS ne prendrait effet qu’à partir du moment où le PLUi entrerait en vigueur, afin d’éviter de revenir au RNU.
Malheureusement, le délai du 31 décembre étant passé, le dispositif que j’avais proposé n’est plus viable. Pour une collectivité, retomber sous le régime du RNU entraîne d’importantes conséquences : perte du droit de préemption urbain ; exigence d’un avis conforme préalable du préfet sur les autorisations délivrées par le maire au nom de l’État ; restrictions de construction pour les zones non urbanisées. Vous aurez donc compris que revenir à l’application du RNU peut mettre en péril les projets des territoires concernés, quand bien même ces projets étaient conformes au POS. C’est pourquoi il nous appartenait de leur venir en aide.
Je sais, madame la ministre, que vous êtes opposée à ce dispositif, pourtant de bon sens, et que vous considérez – vous l’avez dit en commission – que les communes frappées par la caducité étaient responsables.
Cette accusation occulte tout d’abord le fait que les services de l’État eux-mêmes ont parfois conseillé aux petites communes de ne pas transformer leur POS, et d’attendre le transfert de compétence à l’EPCI. Cela éclipse aussi le fait que les maires, l’an passé, se sont mobilisés pour gérer la crise sanitaire et qu’ils étaient aux avant-postes en tant qu’amortisseurs sociaux.
Madame la ministre, vous avez été élue locale, maire, présidente de communauté de communes. Vous ne pouvez donc pas aujourd’hui ignorer les difficultés des maires, qu’ils soient 536 ou même une dizaine. Le Sénat, maison des territoires et des élus, s’honore et s’oblige à leur trouver des solutions.
En conclusion, je remercie la commission des affaires économiques et son rapporteur, Jean-Baptiste Blanc, d’avoir trouvé des solutions concrètes
Je vous demande, mes chers collègues, de voter massivement cette proposition de loi. Ce texte aurait d’ailleurs pu être déposé par chacun d’entre vous, quelle que soit votre famille politique, car il ne vise qu’une chose : apporter de l’assouplissement et de la simplification pour accompagner nos élus locaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS).
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
7
Mineurs non accompagnés
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les mineurs non accompagnés.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que ce débat puisse avoir lieu au sein de notre hémicycle, tant ce sujet suscite à la fois de vives inquiétudes et des récupérations politiques de toutes sortes.
Il s’agit d’un sujet sensible – c’est heureux qu’il le soit et il faut qu’il le reste ! –, et c’est la raison pour laquelle nous devons l’aborder. Je me félicite que mon groupe en ait pris l’initiative.
Je tiens à remercier Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy pour le rapport d’information qu’ils avaient rédigé et qui doit sans nul doute, quatre ans plus tard, être actualisé.
Notre pays peut s’enorgueillir d’être une terre d’accueil, et c’est afin qu’il puisse le demeurer que nous devons être fermes avec ceux qui chercheraient à dévoyer sa politique.
Il faut parfois le rappeler, lorsque nous évoquons les mineurs non accompagnés (MNA), nous parlons avant tout de vies brisées et d’enfants déracinés. Oui, tout enfant privé de son milieu familial, sur notre sol, mérite notre protection. Or certains individus sans vergogne cherchent à bénéficier des moyens qui ne leur sont pas réservés, et nuisent ainsi à la qualité de prise en charge de ces mineurs en grande difficulté.
Cet accueil, qui est d’abord le reflet d’un drame humain, a aussi un coût, 2 milliards d’euros par an, et l’Assemblée des départements de France (ADF) nous alerte sur le fait que près de 70 % de prétendus mineurs ne le sont pas en réalité. Je vous laisse faire le calcul…
Pour pouvoir être à la hauteur de notre idéal, nous devons, sans relâche et de manière concomitante, lutter contre les réseaux qui exploitent cette misère humaine. Certains témoignages au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont édifiants. En effet, il arrive que le personnel voie plusieurs individus se présenter devant eux avec exactement le même certificat de naissance. Ces individus sans scrupules, avec l’aide de passeurs, cherchent à être identifiés comme mineurs et connaissent parfaitement notre système administratif et ses failles.
Nos départements sont débordés et les coûts imposés sont très supérieurs à la compensation accordée par l’État. Sous l’actuelle présidence, et après des heures de négociation, la participation de l’État est passée de 12 % à 14 %, alors que ces mineurs étaient 4 000 en 2010, contre près de 40 000 aujourd’hui.
J’ai évoqué des coûts « imposés », car le Gouvernement ne fait rien pour y remédier. En effet, certains départements, par idéologie ou par posture politicienne, fragilisent l’ensemble de notre politique d’accueil. La gestion des flux migratoires est une compétence non pas départementale, mais bien régalienne. Il revient désormais à l’État de porter ses responsabilités.
C’est bien l’État qui rend possible qu’un tiers des départements se refusent à renseigner un fichier national recensant les demandes de prise en charge, et permettant ainsi de lutter contre les demandes répétitives et abusives. Aujourd’hui, des individus reconnus majeurs dans un département peuvent en solliciter bien d’autres. D’autant que nos forces de l’ordre se retrouvent dans l’incapacité de savoir si une personne interpellée est mineure ou non, et donc de faciliter sa prise en charge par l’ASE lorsqu’elle est mineure, ou son expulsion du territoire lorsqu’il n’en est rien.
Dans un article publié dans Midi Libre le 7 novembre dernier, le ministre de l’intérieur se désolait qu’il n’y ait pas d’obligation à remplir ce fichier. Heureusement que vous êtes chargé des affaires et que vous disposez d’une majorité à l’Assemblée nationale…
Ces départements handicapent sciemment notre politique d’accueil, et je crains que l’incitation financière née du décret du 23 juin 2020 ne soit pas suffisante.
Une nouvelle fois, il s’agit de décourager des individus qui cherchent à bénéficier d’aides dues à des mineurs en détresse. Pour y parvenir, puisque ces personnes se présentent sous de faux papiers – quand elles ne se présentent pas sans papier –, nous devons pouvoir recourir aux tests osseux qui, bien qu’ils ne soient pas infaillibles, contribuent à établir un faisceau d’indices dont nous ne pouvons pas nous passer en la matière. Prenons le temps, à cet égard, de préciser qu’il s’agit d’une simple radiographie, et que celle-ci peut être refusée.
En somme, nous devons nous préoccuper de la véracité de la situation du demandant. Il importe de constater sa minorité comme son isolement.
En la matière, nous devons nous donner beaucoup plus de moyens. Il y a peu, j’ai eu à solliciter la direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (Daaen) de la préfecture du Gard au sujet de l’attribution d’un visa. J’ai pu constater que les services étaient débordés, alors même qu’il s’agissait en l’espèce d’une ressortissante de bonne foi. Faisant ce constat, je ne pouvais que m’interroger, non sans perplexité, sur le suivi susceptible d’être réservé au demandeur dont la majorité avait été établie…
Cette tentation, que certains départements font naître, fait le jeu de réseaux mafieux. En effet, ceux qui sont déboutés, bien qu’étant en situation irrégulière, ne résident pas moins sur le sol français et devront, dans l’attente d’un éloignement, subvenir à leurs besoins. C’est alors que ces réseaux profitent de leur vulnérabilité. Par ailleurs, et c’est peut-être encore plus grave, les enfants bel et bien mineurs n’étant plus suffisamment encadrés, on peut facilement les embrigader.
Les réseaux sont alors doublement gagnants, et j’espère ne pas être le seul à ne pas m’y résoudre. Car cette générosité d’apparat, facile à tenir en discours, nuit à notre capacité d’accueil. Ces enfants – car nous parlons bien d’enfants ! – doivent pouvoir bénéficier d’une formation, être logés et suivis. Cela représente un coût estimé à 50 000 euros par an et par enfant, sans compter d’éventuels frais de santé.
Chaque année, le flux de prétendus mineurs est estimé à 37 000 individus. Rappelons qu’un enfant de 14 ans doit être, au minimum, accompagné dignement durant les quatre prochaines années de sa vie. Nous ne pouvons laisser de faux mineurs user de notre générosité et ainsi grever l’assistance à ces jeunes au parcours déjà si difficile.
Ce tableau étant dressé, j’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez perçu qu’il s’agit là d’un enjeu non pas départemental mais bien national, auquel il vous revient d’apporter une réponse à la hauteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Burgoa, je vous remercie d’avoir évoqué la sensibilité de ce sujet et rappelé que ces enfants méritaient notre protection.
C’est un devoir et c’est aussi notre honneur que de protéger les enfants. Merci également d’avoir dit qu’il fallait faire montre de pragmatisme plutôt que d’idéologie et de récupération politique. Je remercie enfin le groupe Les Républicains d’avoir pris l’initiative de ce débat.
La question des MNA fait l’objet d’un travail interministériel important, impliquant les administrations des ministères de la justice, de l’intérieur, des solidarités et de la santé, de l’éducation nationale. Je reviendrai, bien entendu, sur ce que vous avez dit s’agissant de l’articulation entre l’État et les départements.
Depuis que j’ai été nommé, il y a deux ans, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, j’ai demandé à assurer le pilotage de cette question avec l’ensemble des autres ministères. Dans la mesure où des enfants sont concernés, il est tout à fait normal que me revienne la responsabilité de ce sujet.
Derrière le sigle MNA, il ne faut jamais oublier qu’il y a des personnes, et que derrière les chiffres et les procédures il y a des enfants qui doivent, à ce titre, être protégés.
Nous allons parler des MNA comme d’un bloc homogène, alors que cela ne correspond pas à la grande diversité des réalités. Il y a autant de réalités que d’enfants, et ceux-ci viennent de pays très divers. Quel point commun établir entre un enfant du Bangladesh et un autre du Mali ou du Maghreb, si ce n’est qu’il s’agit d’enfants et qu’ils ont droit, en tant que tels, à une protection ?
Les motivations de ces enfants pour rejoindre notre pays et leurs parcours migratoires sont très différents. Leur volonté d’intégration n’est pas toujours fondée sur les mêmes raisons.
Depuis que je m’occupe de ce sujet complexe, j’essaie de faire montre d’humilité, d’autant que la situation est compliquée pour les départements et les élus locaux. Je souhaite que le pragmatisme, loin de toute idéologie, de tout amalgame, de tout raccourci et de toute généralité, et avec pour seule boussole l’intérêt de l’enfant, soit au fondement de notre discussion.
Pour bien débattre, il nous faut avoir une vision précise de la réalité. Permettez-moi de partager avec vous quelques chiffres, dont certains sont les mêmes que les vôtres ; d’autres, en revanche, sont différents.
Notre territoire ne comptait que 13 000 MNA en 2016. Au 31 décembre 2019, ils étaient 31 000. L’augmentation a été particulièrement forte sur deux années en particulier : entre la fin de l’année 2016 et la fin de l’année 2018, le nombre de MNA a crû de plus de 115 % !
Depuis, la situation a quelque peu changé. Alors que plus de 17 000 personnes avaient fait l’objet d’une reconnaissance de minorité en 2018, on en dénombrait seulement 9 000 en 2020. En 2019, une légère diminution de l’ordre de 1,5 % avait été observée en termes de flux. J’aurais l’occasion, lors de ce débat, de revenir sur ces fluctuations.
Les MNA sont pour 95 % des garçons, dont la grande majorité, soit 77 %, sont âgés de 15 et 16 ans. Deux tiers d’entre eux sont originaires de Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire, avec une légère progression, de l’ordre de 10 %, du nombre de jeunes maghrébins – ceux-ci sont aujourd’hui au nombre de 1 771 sur notre territoire.
Face à cette réalité, le Gouvernement, les pouvoirs publics et les départements veillent à améliorer la protection des MNA.
Premièrement, la contribution financière versée par l’État aux départements, que vous évoquiez, monsieur le sénateur, comprend un forfait dédié à la réalisation de bilans de santé. Sur les 500 euros alloués par jeune mis à l’abri, nous avons souhaité que 100 euros soient consacrés à un tel bilan à la fois physique et psychique, afin de disposer d’une première évaluation.
J’ajoute que nous avons souhaité un renforcement de ce bilan de santé, notamment sur l’évaluation psychologique. On peut en effet aisément comprendre que ces jeunes puissent souffrir de traumatismes, compte tenu de ce qu’ils ont vécu. C’est pourquoi une mission quadripartite a été mise en place par le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux, le ministre des solidarités et de la santé et moi-même, en octobre dernier. L’enjeu est majeur, car il en découle énormément de difficultés… Ladite mission porte sur l’évaluation et la prise en charge des MNA, et devrait rendre ses conclusions d’ici à la fin du premier semestre.
Deuxièmement, toujours dans une logique d’amélioration de la protection des MNA, le fichier d’appui à l’évaluation de minorité (AEM) a pour objectif que seules les personnes effectivement mineures bénéficient d’une protection, et non des majeurs qui viendraient emboliser le système. Ce fichier constitue aussi une protection pour les mineurs : ceux qui ont été évalués « MNA » ne verront plus, s’ils changent de département, contester leur minorité, comme cela pouvait être le cas par le passé.
Troisièmement, la circulaire publiée par le ministre de l’intérieur en septembre dernier vise à proposer aux MNA placés à l’ASE et engagés dans un parcours professionnalisant d’anticiper l’examen de leur droit au séjour à la majorité. En effet, il n’est plus possible d’attendre quelques jours avant la majorité pour se poser la question de l’insertion professionnelle d’un jeune. Dès qu’un MNA atteint l’âge de 17 ans, il faut que les préfectures et les départements commencent à se préoccuper de sa situation de futur majeur.
Enfin, je voudrais aborder la question de l’accompagnement des départements par l’État.
Le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » du projet de loi de finances pour 2021 a précisément pour objet la contribution financière consacrée par l’État aux départements, via une participation forfaitaire.
Vous avez parlé d’heures de négociation, monsieur le sénateur… Ce mécanisme a justement été élaboré en concertation avec l’ADF : nous nous sommes mis d’accord pour qu’un forfait de 90 euros pendant quatorze jours, puis de 20 euros pendant neuf jours, et qu’un forfait de 6 000 euros par MNA supplémentaire par rapport à l’année suivante sur un quorum de 75 %, soient accordés par l’État aux départements.
Cette contribution financière a été portée à 96 millions d’euros en 2018, et à 33 millions d’euros en 2019, selon les nouveaux critères. En outre, l’aide exceptionnelle prévue dans le cadre du dispositif des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) a été reconduite.
Dès mon arrivée, Stéphane Troussel, président de conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, m’a alerté sur les difficultés liées à la clé de répartition des MNA. Je me suis engagé à revoir celle-ci, afin que nous puissions parvenir à une réparation plus équitable tenant davantage compte de la situation de chaque département.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je développerai d’autres aspects de cet accompagnement de l’État en répondant à vos questions.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Une de fois de plus, nous sommes invités à débattre des MNA, autrefois qualifiés de « mineurs isolés étrangers », une appellation qui, selon nous, définissait bien mieux leur véritable statut d’enfants étrangers se trouvant seuls – c’est-à-dire sans responsables – sur notre territoire.
En 2018, mon groupe avait pris l’initiative d’un débat sur ce thème, en posant dans l’intitulé même inscrit à l’ordre du jour la question de la prise en charge de ces mineurs. Aujourd’hui, nos collègues du groupe Les Républicains n’ont posé aucune problématique précise. Il semblerait que, à l’instar de la mission d’information actuellement en cours à l’Assemblée nationale, nous devions principalement évoquer les problèmes de diverse nature qui seraient causés par les MNA et la réponse pénale à adopter. Nous ne partageons évidemment pas cette approche du sujet !
Forcés à un exil dans lequel nous avons une large part de responsabilité, tributaires de nos politiques migratoires, les MNA sont victimes d’enfermement aux frontières, dans les centres de rétention administration et dans les zones d’attente, avant d’être bien souvent criminalisés ou pointés du doigt…
Je vous le redis avec force : nous ne pouvons pas traiter ces mineurs étrangers autrement que comme nos propres enfants. L’intérêt supérieur de l’enfant et la protection de l’enfance doivent toujours primer. C’est pourquoi il est désormais nécessaire et urgent de mettre en place un réel dispositif d’accueil et de prise en charge des MNA, en mettant fin à leur enfermement, en garantissant leur mise à l’abri inconditionnelle et en cessant le recours aux tests osseux.
Enfin, ne serait-il pas temps d’instaurer un dispositif – financé, bien sûr – de prise en charge des MNA qui soit juridiquement contraignant pour tous les conseils départementaux, notamment en termes de places d’hébergement en foyer ou en famille d’accueil et de postes de travailleurs sociaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Ce dispositif que vous appelez de vœux, madame la sénatrice, existe déjà en réalité. Il relève de nos obligations internationales et de notre droit interne de mettre à l’abri toute personne se déclarant mineure. D’un point de vue financier, mais aussi sur le fond, l’État accompagne les départements pour cette prise en charge.
Nous nous sommes rendu compte qu’un certain nombre de départements ou d’associations s’étaient vu déléguer l’évaluation que vous évoquiez, ce qui a entraîné une iniquité de traitement entre les territoires. C’est la raison pour laquelle la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a émis un guide d’évaluation de la minorité, afin d’homogénéiser les pratiques et d’aider les départements au titre de cette mission.
Veillons aussi à ne pas faire de distinctions entre les enfants, à ne pas les « filiariser » : les MNA, une fois qu’ils ont été évalués mineurs, bénéficient de la même protection que les enfants nés sur le territoire national. Ce droit inconditionnel existe donc bel et bien !
L’évaluation de la minorité doit répondre à un faisceau d’indices. Il y a ainsi lieu de procéder à une évaluation sociale, dont les modalités ont été précisées par le guide d’évaluation précédemment cité. Il est également possible de recourir aux tests osseux, de façon très encadrée. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que ces tests ne pouvaient pas constituer, en tant que tels, une preuve de l’âge d’un enfant – il est très difficile d’avoir des certitudes scientifiques sur ce point –, mais qu’ils ne portaient pas atteinte à la dignité de la personne humaine.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.
Mme Éliane Assassi. Vos propos, monsieur le secrétaire d’État, se heurtent au principe de réalité. Les droits des enfants, et particulièrement ceux des MNA, ne sont in fine pas respectés. Nous savons tous ici que des mineurs sont enfermés dans des centres de rétention et retenus dans les zones d’attente.
Il serait temps d’affronter la réalité avec courage et d’essayer de trouver les remèdes pour que les droits de l’enfant soient enfin respectés !
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Je remercie notre collègue Laurent Burgoa d’avoir proposé ce débat, et rappelé le rapport que notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy et moi-même avions rédigé sur ce sujet. Nous nous étions concentrés à l’époque sur les questions complexes de l’évaluation de minorité et de l’hébergement des MNA – deux problématiques centrales, comme en témoigne le récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) –, et avions émis trente propositions afin d’améliorer la prise en charge de ces mineurs.
Je souhaite ici rebondir sur l’actualité pour évoquer les sujets de la formation et de l’obtention d’un titre de séjour. Récemment, le boulanger Stéphane Ravacley a entamé une grève de la faim afin que son apprenti, Laye Fodé Traoré, obtienne un titre de séjour. Cette situation n’est malheureusement pas isolée dans notre pays.
Vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, les nouvelles dispositions prises depuis septembre dernier pour anticiper ce droit au séjour, mais des freins subsistent encore !
En 2017, nous avions fait trois propositions.
La proposition n° 27 visait tout d’abord à renforcer les partenariats entre les Casnav et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), afin d’identifier les formations professionnelles et d’apprentissage, et de faciliter ainsi pour les MNA l’éligibilité à un titre de séjour au moment de leur majorité.
La proposition n° 28 tendait à modifier l’article L.313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), pour que le critère de suivi d’une formation à l’admission au titre de séjour soit élargi aux formations d’enseignement général.
Enfin, la proposition n° 30 prévoyait de réitérer par circulaire le droit inconditionnel des MNA à se voir délivrer une autorisation provisoire de travail, dans le cadre d’une formation professionnelle.
Pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous comptez mettre en œuvre, afin que les MNA engagés dans une formation puissent réellement bénéficier d’un parcours plus facilitant vers l’obtention d’un titre de séjour ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, je suis désolé de ne pas avoir mentionné votre rapport dans mon propos introductif. Un certain nombre des propositions que vous aviez formulées sont encore en expertise chez nous. Je peux vous indiquer ce que nous avons d’ores et déjà mis en place.
Vous avez fait référence à la nécessité d’anticiper les situations pour éviter les ruptures. Une circulaire du 21 septembre 2020 du ministre de l’intérieur a été adressée à l’ensemble des préfectures pour qu’elles se rapprochent des départements. C’est une initiative issue du terrain.
Ainsi, la préfecture et le conseil départemental de l’Oise ont mis en place une convention permettant d’examiner la situation d’un jeune à l’âge de 17 ans au plus tard, non pas forcément pour lui promettre qu’il aura des papiers à 18 ans, mais pour considérer le parcours d’études professionnalisant dans lequel il s’inscrit, afin de dresser une trajectoire et de faire un peu baisser la pression sur ses épaules.
Je sais que la circulaire n’est pas encore forcément appliquée sur l’ensemble du territoire.
Je me suis entretenu cet après-midi au téléphone avec le boulanger dont vous avez parlé. La tension étant un peu retombée, nous avons échangé sur la situation du jeune en question, qui n’est effectivement pas un cas isolé.
Toujours dans l’esprit des propositions que vous avez formulées, en matière d’insertion professionnelle, nous avons récemment annoncé un dispositif en faveur de tous les jeunes de l’ASE, dont les mineurs non accompagnés. En compagnie de Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion, nous avons signé, sous le haut patronage de l’ADF, une convention avec l’Union nationale des missions locales (UNML), dont l’une de vos collègues est vice-présidente, et l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj).
L’idée est que les missions locales aillent vers les jeunes de l’ASE, par exemple dans les foyers, au plus tard lorsqu’ils atteignent l’âge de 17 ans, au moment de l’entretien d’autonomie, afin de voir dans quel parcours ils s’inscrivent et quels dispositifs – je pense notamment à tout ce que nous avons déployé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » – peuvent être mis à leur disposition.
J’ai également annoncé une solution financière pour les jeunes de l’ASE : 500 euros seront attribués à ceux qui n’ont ni formation ni emploi.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Je remercie nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat.
Dans un courrier du 8 octobre dernier, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, écrivait au Premier ministre pour évoquer la politique publique relative aux MNA. Il y pointait un certain nombre de défaillances et de carences de la part de l’État dans la prise en charge des mineurs non accompagnés, en tout cas de ceux qui se déclarent comme tels. Il insistait en particulier sur le manque de pilotage et d’organisation interministériels, et soulignait même des fragilités. En filigrane, il confirmait ce que nous constatons toutes et tous dans nos territoires – je précise que mon département, l’Hérault, est mitoyen de celui de M. Burgoa, le Gard.
Nous avons le sentiment que l’État se défausse sur les départements, laissant à ceux-ci le soin de prendre en charge les mineurs non accompagnés. Pourtant, une politique ambitieuse et transversale de prise en charge des MNA devrait réunir autour d’une même table les départements, votre ministère, mais aussi les ministères de l’éducation nationale, de l’intérieur, de la justice, de l’emploi et de la formation professionnelle.
Le courrier de M. Moscovici soulignait aussi la préparation insuffisante à la sortie des jeunes pris en charge par l’ASE.
Quelles mesures ont-elles été adoptées depuis que ce courrier a été adressé ? Quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre dans les prochains mois et les prochaines années pour desserrer l’étau autour des départements ? Le sujet est sensible et sérieux ; j’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Dans l’immédiat, j’aimerais avoir votre éclairage sur le pilotage et la coordination de l’action gouvernementale, monsieur le secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, ces remarques du Premier président de la Cour des comptes portaient en fait sur l’aide sociale à l’enfance dans son ensemble. Il y a d’ailleurs eu un autre rapport de la Cour des comptes à cet égard. Le pilotage de cette politique est effectivement insuffisant.
Je pense avoir toujours été très clair avec les élus, notamment les présidents de conseil départemental ; d’ailleurs, je salue les personnes présentes dans l’hémicycle qui exerçaient encore récemment ce mandat, juste avant leur élection au Sénat. L’État n’a pas toujours été au rendez-vous de ses propres responsabilités. À mes yeux – cela a toujours été ma position –, la protection de l’enfance est une compétence non pas décentralisée mais partagée.
En effet, la vie d’un enfant, mineur non accompagné ou pas, ne suit pas notre organisation administrative et institutionnelle. Les points de contact entre l’État et les départements sont permanents tout au long de la vie d’un enfant.
Nous le savons, les enfants relevant de l’ASE, et notamment les mineurs non accompagnés, ont une scolarité plus compliquée que les autres enfants de leur âge, et leur santé est moins bonne. C’est une problématique qui relève de la compétence de l’État.
Il y a aussi un point de contact entre l’État et les départements sur l’accompagnement vers l’autonomie.
Les conclusions du rapport rejoignent les enjeux de la réforme de la gouvernance de l’ASE, laquelle concerne aussi les mineurs non accompagnés ; j’espère que vous aurez bientôt l’occasion d’en débattre. L’objectif est précisément de renforcer le pilotage politique et d’améliorer la coordination tant entre les différents intervenants au sein de l’État qu’entre l’État et les départements.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Monsieur le secrétaire d’État, le coût annuel de la prise en charge des mineurs non accompagnés par les départements est estimé à 2 milliards d’euros ! Et, en 2020, le coût d’accueil d’un MNA est estimé à 50 000 euros par an.
Face à l’augmentation massive du nombre de MNA étrangers, qui a triplé entre 2016 et 2018, même si cela va un peu mieux maintenant, les services départementaux doivent s’organiser dans l’urgence sans les moyens et les structures adaptées.
D’un point de vue budgétaire, les dépenses ont considérablement augmenté. À titre d’exemple, le département des Côtes-d’Armor dépensait 2,5 millions d’euros pour la prise en charge des mineurs non accompagnés en 2016, contre 8 millions d’euros aujourd’hui. Certes, il reçoit des aides de l’État, mais celles-ci sont loin de compenser toutes les dépenses.
En 2019, l’État budgétait ainsi seulement 141 millions d’euros, alors que le coût évalué par l’ADF était – je le rappelle – de 2 milliards d’euros. C’est un gouffre financier pour les départements, qui s’ajoute d’ailleurs à la non-compensation croissante des allocations individuelles de solidarité.
Chaque département se voit imposer chaque année par l’État un pourcentage de MNA à accueillir, lesquels se révèlent parfois, au terme d’une procédure d’évaluation ou même au cours de leur prise en charge, être des majeurs.
L’État laisse les collectivités gérer seules les conséquences de son manque de courage politique. Une fois de plus, il est aux abonnés absents !
La question des MNA est liée à la politique migratoire, monsieur le secrétaire d’État. C’est donc bien une prérogative régalienne.
Cerise sur le gâteau, le Gouvernement vient de décider unilatéralement d’interdire aux départements d’héberger les MNA dans des hôtels, tout cela sans proposer de solution de remplacement. D’ailleurs, il n’en existe pas.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il l’intention de prendre sa part de responsabilité dans la gestion du flux migratoire, afin de désengorger les demandes d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes et d’assumer ainsi ses responsabilités ? Va-t-il enfin soutenir efficacement les conseils départementaux en leur donnant les moyens nécessaires pour accueillir ces mineurs non accompagnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, quand nous décidons qu’il ne peut pas y avoir d’enfant à l’hôtel dans notre pays, nous assumons, je le crois, nos responsabilités. Nous le faisons collectivement, en tant que Nation n’acceptant pas que certains gamins de 15 ans n’aient aucun accompagnement éducatif et soient abandonnés à eux-mêmes.
Je ne tombe pas dans les généralités… Il s’agit d’une réalité que le confinement a exacerbée, parfois de manière dramatique. Je sais que nous nous rejoignons sur ce point.
Encore une fois, je ne fais pas d’idéologie ou de politique sur ces sujets ; je suis simplement conscient des raisons pour lesquelles des enfants vivent aujourd’hui à l’hôtel. J’ai commandé à l’IGAS voilà un an un rapport pour connaître la réalité de la situation. Car tout le monde en parle sans savoir précisément de quoi il s’agit…
Il y a aujourd’hui, nous le savons, entre 7 000 et 10 000 mineurs hébergés à l’hôtel. Dans 95 % des cas, ce sont effectivement des MNA. Dans 5 % des cas, ce sont des enfants « à parcours complexe » ; nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.
Je pense que nous devons collectivement poser le principe de l’interdiction d’hébergement des mineurs à l’hôtel. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous décidions le contraire.
Pour être pragmatique, il faut proposer d’autres solutions, et même un encadrement strict dans le temps sur les modalités d’accompagnement et le type d’hôtel, afin de faire face de manière temporaire aux situations vécues par les départements lors de l’arrivée de nombreux MNA.
Telle est notre démarche ; nous allons y travailler avec les départements et l’ADF.
M. le président. Vous ne pouvez pas répliquer, monsieur Cadec, car vous avez épuisé votre temps de parole.
La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais partager avec vous un témoignage.
Au mois de septembre dernier, quelques jours après l’attentat qui a eu lieu devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, j’ai pu m’entretenir avec une famille accueillant trois mineurs isolés étrangers. Deux d’entre eux, jeunes gens de nationalité pakistanaise, venaient du foyer où était hébergé l’auteur de l’attentat. Je dois dire que plusieurs points m’ont interpellé au cours de mes échanges avec cette famille d’accueil.
Ces deux jeunes mineurs considéraient de bonne foi le blasphème comme un crime. Ils approuvaient même l’attentat qui venait d’être commis. Le couple qui les accueille a pris le parti, contre l’avis des éducateurs, de leur enlever quelque temps après l’attentat leurs téléphones, grâce auxquels ils entretenaient des liens avec d’autres personnes partageant cette opinion.
Les deux mineurs ont également été entendus par des gendarmes. J’ai été surpris de constater qu’aucun suivi éducatif ou pédagogique ne leur avait été apporté dans leur foyer d’origine. Il n’y a pas de cours d’éducation civique leur permettant de s’intégrer en acquérant les valeurs de la Nation française ! En fait, ils viennent avec leur culture et ignorent la nôtre.
À ce titre, l’insertion en lieu de vie, plutôt qu’en foyer, semble être une bien meilleure solution. Les lieux de vie sont sous-utilisés, et nos départements manquent de moyens pour réaliser ces accueils dans de bonnes conditions.
Dans le témoignage que j’ai recueilli, les accueillants m’ont affirmé que ces jeunes gardaient des contacts réguliers avec leur famille. Dans ce cas, si l’on connaît les parents, si l’on peut les identifier, pourquoi ces jeunes restent-ils en France ?
Enfin, les passeurs sont souvent connus dans le cas des mineurs non accompagnés ; c’était le cas pour ces deux jeunes. Ces gens utilisent la misère du monde. C’est inadmissible !
Quels moyens sont mis en œuvre aux échelons français et européen pour arrêter les passeurs et démanteler ces filières ? Quelles discussions sont en cours avec les pays de départ des MNA sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, vous évoquez énormément de sujets. Vous vous référez à un cas dramatique, qui avait d’ailleurs suscité – ce n’est pas du tout votre cas – un certain nombre d’amalgames à l’époque. J’en avais longuement discuté avec la présidente du conseil départemental du Val-d’Oise, Marie-Christine Cavecchi, et la vice-présidente chargée de l’enfance.
Il s’agissait, souvenez-vous, d’un jeune qui était passé par l’ASE, mais qui en réalité n’était pas mineur, ce que les services départementaux avaient confirmé. En outre, d’après l’enquête administrative, il n’y avait eu aucun signe de radicalisation au sein du foyer où il était hébergé.
Je m’étonne d’entendre que des jeunes ne bénéficient pas d’un suivi éducatif. Normalement, c’est un principe de base, et les travailleurs sociaux sont soumis aux règles de signalement de suspicion de radicalisation s’ils sont confrontés à de telles situations. Nous avions un peu investigué, avec le ministère de l’intérieur, pour savoir ce qu’il en était. Peu de signes inquiétants remontaient des foyers ou des familles d’accueil.
Je vous remercie d’appréhender le sujet dans sa globalité. Il y a évidemment une action à mener avec les pays d’origine. Elle peut être policière, notamment pour lutter contre les passeurs et les trafics, car un certain nombre de ces enfants sont effectivement victimes de la traite.
Pour ma part, j’ai toujours abordé cette problématique sans idéologie et avec une grande humilité. Le sujet est complexe. Le débat sur les questions migratoires nous anime depuis des années. À mes yeux, tout faire pour éviter qu’un môme de 15 ans ne monte sur un canot pneumatique pour traverser la Méditerranée, cela relève de la protection de l’enfance ! Notre responsabilité est de faire en sorte qu’il ne parte pas.
Nous devons donc, à la fois, lutter contre les filières clandestines et discuter avec les pays sources pour retenir les enfants. En outre – j’y reviendrai peut-être –, le ministère de l’intérieur mène un travail sur la reconstruction de l’état civil dans un certain nombre de pays d’origine.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le secrétaire d’État, malgré une baisse importante des arrivées en 2020, la situation alarmante dans laquelle se retrouvent les mineurs non accompagnés perdure.
En effet, les délais de traitement des recours de reconnaissance de minorité auprès d’un juge peuvent varier de six à vingt-quatre mois, et certains jeunes arrivent à majorité avant d’obtenir une réponse.
Par ailleurs, on note de grandes disparités territoriales : dans certains départements, l’évaluation de ces mineurs ne va durer qu’un seul jour ; dans d’autres, ils seront placés à l’hôtel pendant plus de six mois.
Mais, outre que le placement en hôtel a été décrié dans un récent rapport de l’IGAS – je vous ai interpellé sur le sujet en vous adressant une question écrite le 4 février dernier –, les évaluations ne durant qu’un jour ne sont pas plus vertueuses, car elles sont souvent expéditives, et les jeunes sont directement remis à la rue. Ces derniers se retrouvent ainsi confrontés à des problèmes d’hébergement et de scolarisation. Beaucoup d’entre eux ne font l’objet d’aucune prise en charge sanitaire, notamment dentaire, ce qui est problématique en plein hiver et en pleine pandémie.
De ce fait, non seulement il apparaît urgent d’appliquer immédiatement la présomption de minorité pour ces jeunes en recours, mais il convient aussi d’aller au-delà et de tout simplement prendre en compte leur vulnérabilité pour qu’ils aient accès à une réelle prise en charge pluridisciplinaire. Les associations qui pallient ces carences ne peuvent pas remplacer à elles seules l’État. Quand celui-ci prendra-t-il ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, aujourd’hui, les conseils départementaux ou les associations qui ont reçu une délégation en ce sens évaluent en moyenne sous quinze jours. Ces dernières années, les délais ont été réduits ; il est vrai que c’était un sujet de préoccupation.
À cet égard, les contributions financières de l’État vers les départements dont je parlais précédemment, notamment les 90 euros pendant quatorze jours, ont un effet levier. Nous avons calé les choses pour essayer de réduire les délais d’instruction, d’évaluation et de mise à l’abri.
En outre, et ce point n’est pas toujours très bien compris par les associations – il est vrai que chacun est dans son rôle –, celui qui n’a pas été évalué comme mineur par les services compétents est réputé majeur. Le recours au juge par des jeunes ou des associations, comme cela se pratique de manière systématique dans certains territoires, ne vaut pas interjection d’appel. Le jeune est considéré comme étant majeur et ne peut pas bénéficier des dispositifs réservés aux mineurs.
Encore une fois, notre dispositif, avec tous ses bienfaits, ses difficultés, ses limites, ses points de friction et de tension, doit être là pour protéger les mineurs, c’est-à-dire ceux qui sont reconnus comme tels. Le débat se pose dans les mêmes termes pour l’asile. Nous voulons avant tout protéger ceux qui ont droit au dispositif. Ne prenons pas le risque de faire souffrir les véritables mineurs à cause d’un système bloqué par des personnes majeures !
En 2018, sur les quelque 40 000 jeunes qui sont venus se déclarer mineurs, seuls 17 000 à 18 000 l’étaient vraiment !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Tout de même, monsieur le secrétaire d’État, plus de la moitié des jeunes qui font un recours, accompagnés par des associations, sont finalement reconnus comme mineurs par la justice ! Des centaines de jeunes sont donc laissés par erreur dans la rue pendant des mois, voire des années.
Pour ma part, j’ai suivi pendant un mois des mineurs dans le 11e arrondissement.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue ; vous avez dépassé votre temps de parole.
Mme Esther Benbassa. Pour le moment, la ville a placé quarante d’entre eux dans un centre. Les soixante autres sont dans la rue.
M. le président. Madame Benbassa, il y a un règlement. Les auteurs d’une question ont un droit de réplique s’ils n’ont pas consommé la totalité des deux minutes dont ils disposent. Mais chacun doit respecter le temps de parole qui lui est imparti.
Mme Esther Benbassa. Vous avez raison, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’elle porte sur Mayotte, la question des mineurs non accompagnés déborde largement le champ de la politique de l’aide sociale à l’enfance ou du secteur associatif.
La situation du 101e département reste en effet singulière sur le territoire national. Je ne peux pas éluder en disant cela les événements très graves qui se produisent sur le sol mahorais, opposant des bandes de jeunes armés, lesquels ont très récemment tué deux mineurs.
La particularité se retrouve également dans les chiffres, rappelés par le dernier rapport de la chambre régionale des comptes sur le sujet. Ainsi, plus de 4 000 MNA ont été dénombrés en 2016.
Alors que les MNA représentent entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE en 2018 à l’échelon national, ce pourcentage est plus du double à Mayotte, dans une proportion qui a elle-même presque doublé en deux ans.
Cette situation est d’ailleurs qualifiée d’« atypique » par la Cour des comptes, qui, dans son rapport de 2020, justifie de cette façon le fait que ce département ne soit pas pris en compte dans les données nationales qu’elle utilise.
Cette spécificité est aussi celle de la situation géographique de Mayotte, qui se traduit par une pression migratoire insupportable depuis les Comores, ainsi que par l’absence de répartition entre départements de la prise en charge des MNA se trouvant sur le sol mahorais, lesquels sont livrés à une grande précarité et à toutes les vulnérabilités.
La complexité est grande – j’en ai bien conscience –, et la solution ne peut se faire au mépris du droit.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes rendu dans notre territoire au mois d’octobre dernier, et vous avez pu constater ces difficultés. À ce titre, quel bilan pouvez-vous dresser de l’action de l’État en appui du département ?
Je pense notamment à la convention de 2017 relative aux concours en faveur de l’ASE. Dans la continuité, quelles actions sont-elles envisagées pour traiter cette réelle difficulté de prise en charge des MNA dans notre département ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, la situation à Mayotte est pour le moins atypique. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’on ne pouvait pas la comprendre depuis Paris sans la sentir dans sa chair, en se rendant sur place. J’avais d’ailleurs fait le même raisonnement à propos de la Guyane.
Vous l’avez rappelé, je suis venu à Mayotte au mois d’octobre dernier. Vous étiez à mes côtés, et je vous en remercie.
La situation est éminemment complexe. Stricto sensu, il y a 300 mineurs non accompagnés. Mais il y a également 4 000 jeunes qui ne sont pas totalement isolés, puisqu’ils ont des membres de leur famille sur le territoire mahorais.
Une convention spécifique a effectivement été mise en place, avec une aide de l’État de 10 millions d’euros chaque année ; celle-ci arrivera d’ailleurs à son terme à la fin de cette année. Nous réfléchissons actuellement sur les modalités de prorogation de cette dotation exceptionnelle.
Vous le savez, lors de ma venue, j’ai apporté un concours financier exceptionnel de 2 millions d’euros à destination non pas du conseil départemental, mais directement des associations qui agissent auprès des enfants à Mayotte. Il s’agit de les aider à créer des places supplémentaires et à mettre en place des dispositifs de prévention spécialisée.
J’ai par ailleurs tendu la main au président du conseil départemental, en proposant de contractualiser avec l’État dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance que j’ai déployée. Il m’a dit qu’il y réfléchissait. Je suis bien évidemment toujours à sa disposition pour accompagner le territoire.
La politique de reconduite à la frontière est importante. En 2019, ce sont 27 000 personnes, pas seulement des enfants, qui ont été reconduites, essentiellement aux Comores. L’objectif est à peu près similaire pour 2020.
Toutes ces dispositions doivent permettre de faire face aux difficultés que vous évoquez.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le secrétaire d’État, depuis deux ans, la quiétude et la sérénité qui caractérisaient notre belle ville de Bordeaux sont perturbées par l’afflux massif de jeunes étrangers isolés. Ils sont livrés à eux-mêmes, errant dans le centre-ville et devenant ainsi les proies idéales de réseaux de traite d’êtres humains. La hausse des violences est sans précédent : vols à l’arrachée, cambriolages, agressions, trafic de stupéfiants et d’armes sont devenus monnaie courante.
Pour la préfecture, plus de 40 % de la délinquance des mineurs à Bordeaux seraient le fait de ces mineurs non accompagnés ; 1 400 d’entre eux ont d’ores et déjà été pris en charge par le département, mais au moins 200 posent encore problème. Pourtant, une trentaine seulement seraient réellement âgés de moins de 18 ans.
Ce phénomène qui, à Bordeaux, inquiète autant nos habitants qu’il désarme nos forces de police, nous fait débattre à Paris, alors que nous ne sommes toujours pas dotés sur le terrain d’outils pour identifier correctement ces mineurs !
Nous devons faire ici l’aveu de l’échec de notre politique d’évaluation de l’âge de ces étrangers, malgré quelques coopérations fructueuses, mais trop lourdes, avec l’Espagne. Il faut mettre un terme aux polémiques stériles qui surgissent de toutes parts et nous empêchent d’avancer.
Sur les tests osseux, l’avis du Conseil constitutionnel de 2019 aurait dû mettre un terme à certaines controverses injustifiées, d’autant que ces examens radiologiques, sous-exploités, sont la seule solution pour régler l’épineuse question de la présomption de minorité.
Pourquoi le recours aux radiographies osseuses n’est-il pas systématique lorsqu’un jeune migrant souhaite contester la décision du département devant un juge pour enfants, seul habilité à statuer définitivement sur l’âge ? Pourquoi cette demande d’appel ne constitue-t-elle pas une expression de consentement de sa part ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, l’évaluation est un sujet complexe.
En droit et en fait, les tests osseux ne garantissent pas de connaître avec certitude l’âge d’une personne, ainsi que nous le disent les scientifiques. C’est encore plus vrai pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans : le corps se développant à cette période, il est difficile de déterminer l’âge avec précision. Il est donc impossible de savoir avec certitude si un jeune a 17 ans et demi ou 18 ans et demi.
Pour cette raison, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que ces tests osseux, pratiqués sur décision d’un juge – ils ne sont pas systématiques –, faisaient partie du faisceau d’indices permettant d’évaluer la minorité, notamment avec l’entretien d’évaluation sociale.
Ce faisceau a été redéfini par l’arrêté du 20 novembre 2019. Doivent être pris en compte explicitement ce qui permet de déterminer l’âge, l’état civil, l’état de vulnérabilité, les éléments de projet personnel ayant émergé lors de l’évaluation ou encore ce qui, dans les entretiens, est apparu comme de nature à faire douter de la minorité ou de l’isolement.
Ces éléments doivent être appréciés dans le cadre d’une politique d’homogénéisation par les services de la DGCS, mais également du ministère de l’intérieur et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).
Madame la sénatrice, vous êtes élue en Gironde. Dans les 80 départements qui utilisent ou sont sur le point d’utiliser le fichier AEM, on a constaté une baisse de 20 % à 30 % du nombre de jeunes qui se présentent. Il y avait effectivement du nomadisme administratif !
Il me semble important que l’ensemble des départements utilisent ce fichier, tant pour la bonne tenue de l’ensemble du système que pour la protection des enfants.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.
Mme Nathalie Delattre. Les MNA représentent 15 % à 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Le coût de leur prise en charge est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an, bien plus qu’une radiographie osseuse, examen pourtant jugé fiable par certains spécialistes.
Il faut trouver le moyen de rendre ce test obligatoire, beaucoup de mineurs étant en réalité majeurs.
Vous avez cité le fichier AEM, monsieur le secrétaire d’État. J’ai aussi évoqué notre collaboration avec l’Espagne. Elle est assez lourde à mettre en place, mais beaucoup de mineurs en France sont déclarés majeurs en Espagne, où ils bénéficient de droits plus importants.
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le secrétaire d’État, après une dizaine d’années d’augmentation exponentielle du nombre de MNA accueillis dans nos départements, le nombre de jeunes mineurs étrangers semble se stabiliser. Il est temps maintenant de faire fonctionner correctement le système.
Les départements réclament de la cohérence entre les actions de chaque intervenant : la justice, l’État et les collectivités. Le système souffre en effet d’un parcours en deux étapes qui crée de fausses espérances pour les jeunes et des coûts indus importants pour les collectivités.
J’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur ce qui pourrait constituer une incohérence dans la mise en œuvre de notre politique publique.
La première étape consiste en un accueil du jeune par la protection de l’enfance. Le doute sur la minorité profite à l’intéressé et l’état civil est rarement reconstitué. Les jeunes bénéficient alors d’un système très généreux qui va les accueillir, les former et les accompagner pendant des mois, voire des années, sans se soucier de la suite de leur parcours.
La deuxième étape a lieu lors du passage à la majorité. En cas de doutes sérieux sur leur identité, les services de l’État peuvent alors leur refuser l’accès au séjour ou à la nationalité française et les reconduire à la frontière.
Il apparaît donc nécessaire de déterminer très rapidement, dès l’arrivée des MNA en France, leurs chances d’y séjourner durablement, avant qu’ils ne prennent racine dans notre pays sans espoir de pouvoir y rester. Nous avons évoqué le cas du jeune Traoré.
Le fichier AEM est très efficace. Il apporte toutes les garanties au jeune en matière de recours devant le juge des enfants. Son utilisation doit être généralisée à l’ensemble des départements.
Il est également nécessaire de déterminer très rapidement les chances des mineurs de rester durablement dans notre pays, en rendant obligatoire le dépôt anticipé d’une demande de titre de séjour six mois après leur arrivée, en mobilisant le réseau diplomatique pour obtenir des réponses plus fiables de la part des pays d’origine et en garantissant une réponse rapide des préfectures.
M. le président. Il faut conclure. Quelle est votre question ?
Mme Annick Jacquemet. Comment articuler le fichier AEM et une réponse plus rapide au niveau des préfectures ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. C’est tout le sens du fichier AEM, à partir duquel les services de la préfecture vont effectuer une recherche documentaire sur le jeune dans un certain nombre de bases, notamment celle des visas. Ce n’est pas toujours possible, néanmoins. Certains pays, comme le Mali, rencontrent des difficultés avec leurs registres d’état civil.
C’est aussi le sens de la circulaire du ministre de l’intérieur du 21 septembre 2020, qui vise à mieux anticiper le devenir du jeune à sa majorité. On a connu des situations ubuesques, où la procédure de régularisation était enclenchée à 18 ans. Pendant le temps de son instruction – deux à trois mois –, l’enfant n’avait plus de papiers. Le patron qui l’employait, pour ne pas se trouver dans l’illégalité, mettait fin à son contrat d’apprentissage, et le jeune ne pouvait plus prétendre à ses papiers…
Il faut donc anticiper à l’âge de 17 ans, en faisant cette recherche documentaire et en essayant de reconstituer l’état civil. Si, lors de cette procédure, on se rend compte que le jeune n’est manifestement pas mineur, on mettra fin à la prise en charge. Il pourra toutefois aller devant le juge pour contester la décision.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin. (Mme Michelle Meunier applaudit.)
Mme Victoire Jasmin. Je remercie le groupe Les Républicains d’avoir organisé ce débat, qui nous permet d’évoquer ce sujet épineux.
En raison de leur situation géographique particulière, les outre-mer reçoivent beaucoup de personnes en situation irrégulière, en particulier des mineurs.
Mon collègue a déjà évoqué la situation de Mayotte. En Guyane, c’est la catastrophe. À Saint-Laurent-du-Maroni, j’ai pu constater que le fleuve était régulièrement traversé et que les jeunes étaient utilisés pour transporter de la drogue.
Aux Antilles aussi, en Guadeloupe comme en Martinique, de nombreux enfants arrivent. Ils sont parfois confiés à des personnes avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté, ce qui les prive de tout droit.
Certains sont placés en centres de rétention en attendant leur renvoi vers leurs territoires d’origine. D’autres alimentent les réseaux de la prostitution et de la drogue et vivent dans des squats ou des zones de non-droit. C’est une triste réalité.
Monsieur le secrétaire d’État, il est temps que l’État prenne ses responsabilités et qu’il engage des discussions bilatérales pour inciter les États voisins à prendre également leurs responsabilités. On ne peut pas laisser des enfants dans des situations aussi dramatiques.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je ne reviendrai pas sur les problèmes de Mayotte, que nous avons déjà évoqués. La situation est également complexe en Guyane, où je me suis rendu l’an dernier. Beaucoup de mineurs, mais aussi de jeunes mères, traversent en effet le fleuve à Saint-Laurent-du-Maroni, en provenance du Surinam pour la plupart. Le Gouvernement mène une politique de coopération bilatérale avec le Surinam et le Brésil, tout comme il essaie de le faire avec les Comores s’agissant de Mayotte.
Soyons honnêtes, nous avons assez peu de données fiables sur les mineurs non accompagnés en Guyane. Parmi les populations très éloignées qui habitent en forêt amazonienne, les déclarations de naissance à l’état civil ne sont pas systématiques. Les cas d’enfants sans identité originaires d’Haïti ou du Brésil sont en revanche très rares. Il s’agit essentiellement d’enfants nés de mère surinamaise en Guyane. Pour les autorités surinamaises, ces enfants sont français, et nous ne pouvons pas expulser de mineurs de notre territoire, conformément à notre devoir de protection. Environ 1 500 enfants surinamais naissent en Guyane française chaque année, un tiers n’étant pas enregistrés à l’état civil du Surinam.
Il y a aussi la question de la prostitution et celle des « mules ». Ces jeunes désœuvrés sont en effet utilisés pour passer de la drogue. Les forces de police et les douanes ont intensifié leurs contrôles aux frontières à l’arrivée des vols en provenance de Paris, et le nombre de personnes arrêtées a augmenté.
M. le président. Je dois vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État. Nous avons déjà pris beaucoup de retard.
La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Monsieur le secrétaire d’État, je veux parler pour ma part du nombre de jeunes qui se trouvent en situation irrégulière en France. Ces jeunes majoritairement en provenance d’Afrique ou d’Asie ne sont pas mineurs pour la plupart, mais ils réussissent, souvent par des artifices juridiques, à prolonger le plus longtemps possible leur présence sur le sol national.
L’évaluation organisée par la France pour vérifier leur minorité montre que la plus grande partie de ces jeunes sont majeurs. Ils intentent généralement un recours en justice pour prolonger leur séjour. Qu’ils soient faux mineurs ou devenus majeurs, tous ces jeunes restent sur le territoire national, et c’est bien le vrai problème.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais aujourd’hui que vous nous donniez les chiffres du nombre de ces jeunes sur le territoire national. Je suis certain que l’on en dénombre des dizaines de milliers en situation irrégulière. À mon sens, l’État n’a jamais fait ce qu’il fallait, soit pour leur donner un statut légal – carte de séjour ou statut de réfugié –, soit pour leur signifier une obligation de quitter le territoire.
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, les départements ne sont pas en cause. Ils font leur possible pour trouver à ces jeunes, avant leur majorité, des contrats de jeunes majeurs lorsqu’ils peuvent en avoir.
M. le président. Il faut conclure.
M. Gilbert Favreau. Même si ces termes sont inappropriés pour un tel sujet, j’aimerais que l’on raisonne en stocks et en flux, et que l’on fasse enfin le calcul !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur Favreau, je suis ravi de vous retrouver ici au Sénat, après vous avoir rendu visite, pour évoquer un autre sujet, quand vous étiez président du conseil départemental des Deux-Sèvres.
Je n’ai jamais mis en cause les départements. J’ai dit que chacun avait sa part de responsabilités, et qu’il nous fallait agir ensemble pour mieux accompagner ces enfants.
En 2017 – je vais vous répondre « en flux et en stock », bien que ces termes soient malheureux –, 44 000 jeunes se sont déclarés mineurs non accompagnés pour être évalués, et 14 000 ont été reconnus comme tels ; en 2018, ils étaient 17 000 sur 51 000 ; en 2019, on en comptait 16 000 sur 36 000. Le taux d’acceptation est donc compris entre 30 % et 40 %.
Chaque année, environ 11 500 mineurs non accompagnés accèdent à la majorité, une grande partie d’entre eux étant arrivés sur notre territoire à l’âge de 15 ou 16 ans. En 2019, ce sont 5 630 titres de séjour qui ont été délivrés à des MNA et 400 ont été refusés.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le secrétaire d’État, évoquer un sujet aussi sensible et aussi sérieux oblige à parler avec générosité, gravité et lucidité.
Dans mon département, comme un peu partout en France, des jeunes arrivent de pays en guerre après avoir traversé mers et continents, parfois au péril de leur vie.
La plupart d’entre eux souhaitent travailler et envoyer de l’argent à leur famille. Mais la vérité oblige à dire qu’il y a aussi des filières mafieuses, qui causent un vrai problème d’ordre public et jettent le discrédit sur l’ensemble des mineurs non accompagnés. Dans l’Hérault, l’an dernier, 77 MNA ont été mis en cause dans 254 infractions. Systématiquement, quand ils passent devant la justice, ils sont remis en liberté à la charge du département, même lorsqu’ils sont jeunes majeurs.
Ma conviction, c’est que 90 % des MNA ne posent pas de problèmes. J’ai d’ailleurs l’honneur de parrainer un certain nombre de ces jeunes. L’un d’eux, un modèle d’intégration pour nous tous, a rejoint les Compagnons du devoir le 17 décembre dernier.
Il semblerait toutefois que l’État français ait quelques difficultés à reconduire à la frontière les 10 % de jeunes qui se comportent mal. Le pacte de Marrakech sur les migrations nous empêcherait ainsi de reconduire à la frontière de jeunes majeurs que leur pays d’origine ne veut pas recevoir.
M. le président. Il faut conclure.
M. Hussein Bourgi. Quelles réponses le Gouvernement peut-il apporter à cette situation particulièrement critique ? (Mme Victoire Jasmin, MM. Sébastien Meurant et Laurent Burgoa applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je l’évoquais dans mon propos introductif : ces trois lettres, MNA, masquent des parcours, des réalités et des motivations très différentes. Vous avez raison, monsieur le sénateur, une très grande majorité de ces jeunes sont là pour s’intégrer : ils se lèvent le matin, apprennent le français en six mois, intègrent des parcours professionnalisants. Certains patrons sont très contents de les employer et ils vont voir le président du conseil départemental ou le préfet pour qu’ils puissent rester en France.
Mais certains mineurs sont aussi victimes de la traite, ou eux-mêmes délinquants. Je vous remercie en tout cas de nous inciter à éviter les amalgames, monsieur Bourgi.
Sans vouloir stigmatiser le Maroc, il y a en effet certains jeunes issus de ce pays, généralement originaires de la même région, qui ne sont pas du tout en France pour s’intégrer. Ils sont soit majeurs, soit très jeunes, refusent tous les systèmes d’accompagnement et souffrent parfois de gros problèmes de santé, étant souvent polytoxicomanes et dépendants au Rivotril.
Le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux et certains juges se sont rendus au Maroc. Un travail conjoint a été mené avec les autorités marocaines pour élaborer, à droit constant, un schéma de procédure relatif à la prise en charge des mineurs non accompagnés respectueux des conventions de La Haye, et développer une coopération sur la décision et l’exécution du retour de ces mineurs au Maroc, selon leur situation. Je vous renvoie à la circulaire du 8 février 2021 pour plus de détails.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne.
M. Bernard Bonne. Monsieur le secrétaire d’État, les véritables mineurs non accompagnés ne le sont pas, ou mal, ou pas assez longtemps…
Leur prise en charge est un problème récurrent, d’une grande complexité. Et je ne parlerai pas des problèmes de financement ou d’évaluation de leur âge…
Certes, le dispositif actuel de l’ASE, qui place ces mineurs sous la responsabilité du président du conseil départemental, permet de répondre à leurs besoins vitaux, mais il ne permet pas toujours un accompagnement social débouchant sur une réelle intégration et insertion professionnelle.
Ainsi, depuis 2015, la proportion de jeunes de plus de 16 ans pris en charge mais non scolarisés a largement augmenté, malgré le souhait de la plupart d’entre eux de poursuivre leur formation afin de trouver un emploi.
Si certains mineurs non accompagnés nécessitent un suivi dans des structures de l’ASE de type MECS (maison d’enfants à caractère social) en raison de leur parcours chaotique, nombre d’entre eux pourraient intégrer des parcours de formation courts de type alternance ou apprentissage, afin de bénéficier d’une qualification et des compétences leur permettant d’être orientés vers des métiers en tension comme ceux du bâtiment et de l’industrie.
Toutefois, leur installation fréquente dans des structures hôtelières en raison de la saturation des structures d’hébergement adaptées ne facilite guère un tel suivi éducatif.
Nous savons que de bons résultats ont été enregistrés dans le cadre de la transposition à des mineurs non accompagnés du dispositif HOPE – hébergement, orientation, parcours vers l’emploi – mis en œuvre par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, si cette solution d’accueil dans des structures de type foyers pour jeunes travailleurs, tendant à l’insertion professionnelle de ces mineurs non accompagnés, se développe ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, nous mettons tout en œuvre pour que ce soit le cas.
Dans leur grande majorité, les mineurs non accompagnés s’inscrivent déjà dans des filières professionnalisantes, car ils y voient, non sans raison, le meilleur « passeport » pour une régularisation administrative à 18 ans.
En dépit des circonstances, l’apprentissage a augmenté de 15 % environ l’année dernière, les mineurs non accompagnés contribuant à nourrir cette croissance.
Pour l’ensemble des enfants de l’aide sociale, y compris les MNA, nous avons mis en place une démarche « d’aller vers », à travers un partenariat avec l’UNML. Les missions locales devront avoir une sorte de référent ASE dans chaque territoire pour proposer aux jeunes les dispositifs que nous avons déployés dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ».
Par ailleurs, nous travaillons aussi avec les associations qui gèrent les foyers de jeunes travailleurs pour augmenter le « quota » des jeunes provenant de l’ASE dans ces foyers, étant entendu que ces établissements ont aussi à cœur de préserver la diversité et la mixité des populations qu’ils hébergent.
Ces différentes mesures concourent à la réalisation de vos souhaits, monsieur le sénateur. Les progrès sont réels, avec également, en parallèle, le travail d’anticipation que nous menons sur la reconstruction des papiers d’identité et la régularisation administrative, pour éviter une rupture supplémentaire. Les jeunes de l’ASE, qu’ils soient MNA ou pas, ont connu des ruptures dans leur parcours de vie, souvent dramatiques. Tout l’enjeu est d’éviter que le système n’en produise de nouvelles.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Lorsque notre collègue Olivier Cigolotti dirigeait un foyer de jeunes travailleurs, nous avions créé des places supplémentaires, justement pour éviter qu’on ne confie ces jeunes à n’importe quelle structure. Avec un suivi social allégé, cela permettait aussi de réduire les coûts.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé de partage avec les départements. Je souscris à cette idée, mais 140 millions d’euros sur 2 milliards d’euros, ce n’est pas un partage très équitable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le secrétaire d’État, dans un rapport de la commission des affaires sociales paru en 2017, Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy mettaient en lumière la situation des mineurs non accompagnés, communément appelés, à tort, « mineurs isolés » – selon vos propres dires, 70 % d’entre eux sont majeurs.
Trois ans et demi plus tard, qu’en est-il, mes chers collègues ? Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation et des conditions parfois dramatiques dans lesquelles ces jeunes vivent ?
En 2011, dans mon département du Val-d’Oise, 65 mineurs ont été pris en charge par l’ASE, pour un coût de 3 millions d’euros. En 2019, ce sont 751 mineurs et 152 jeunes majeurs qui l’ont été, pour un coût de 43 millions d’euros. On relève aussi une augmentation de 50 % entre 2017 et 2019. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), en 2019, il y avait 40 000 MNA sur le territoire national, mais seulement 16 760 à en croire le ministère de la justice. Comment expliquer ce rapport de 1 à 2,5 ? Qui dit vrai ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez ignorer que les services de police sont débordés par les plaintes : des petits larcins jusqu’au crime commis en 2020 devant Charlie Hebdo par un « mineur » de 25 ans, victimes de filières organisées, souvent en bandes, ces jeunes squattent, volent et se droguent.
Les chiffres sont accablants : 10 000 interpellations dans l’agglomération parisienne en 2019, et les infractions explosent ! Qu’attendez-vous pour que la réponse judiciaire soit à la hauteur des préjudices moraux et financiers subis par des milliers de citoyens français ?
Bien souvent, l’absence de recours aux tests osseux conduit à abandonner les poursuites et à remettre en liberté des délinquants que la police qualifie de « mijeurs » : ils se disent mineurs, mais tout le monde sait qu’ils sont majeurs. Comment expliquez-vous que certains utilisent des dizaines de fausses identités et soient toujours dans la nature ?
Monsieur le secrétaire d’État, ce phénomène est grandissant et la réponse n’est pas à la hauteur. Il faut vraiment s’attaquer à la source du problème. Qu’en est-il ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, je pense n’avoir jamais nié la réalité de la situation, ni les difficultés que peuvent rencontrer un certain nombre de territoires et de jeunes. Mais je n’adhère pas à votre vision exclusivement catastrophiste.
Oui, il y a des dysfonctionnements. Il faut les mettre en lumière, les dénoncer et essayer d’y remédier. Mais il faut aussi dire que notre système protège des dizaines de milliers d’enfants chaque jour qui passe. C’est l’honneur de notre pays d’avoir un tel système, l’honneur des départements d’en assumer la responsabilité, l’honneur des travailleurs sociaux de s’occuper de ces jeunes.
Je ne pourrai pas répondre à tous les sujets que vous avez évoqués, et il me semble déjà avoir apporté quelques éléments. L’ADF estime la charge financière de la prise en charge des MNA à 2 milliards d’euros. Nous n’avons pas exactement les mêmes chiffres. Dans le Val-d’Oise, en 2019, 1 192 jeunes ont été évalués mineurs.
La réforme de la clé de répartition, à laquelle je m’étais engagé, a permis de retenir comme critère démographique la population générale, et non pas les seuls jeunes de moins de 19 ans présents sur le territoire. C’est la seule modification que l’on pouvait faire à droit constant. Il ne serait pas inutile selon moi de passer par la loi pour intégrer également des critères socioéconomiques.
Sur ce fondement, 421 mineurs non accompagnés évalués dans le Val-d’Oise ont été répartis dans d’autres départements en France. C’est l’un des moyens d’action que nous développons pour accompagner les collectivités.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le secrétaire d’État, laisser faire, c’est se rendre complice des trafics d’êtres humains.
Un mineur ne part pas tout seul du Pakistan en bateau. L’une des explications de cet afflux de jeunes qui se poursuit partout sur le territoire français, c’est la loi Collomb, qui permet d’élargir le regroupement familial. Faire passer un « mineur », c’est l’assurance, vous le savez très bien, de ne pas être expulsé, et de pouvoir ensuite faire venir sa famille.
En 2020, les Français, pourtant confinés aux frontières de leurs logements, ont accueilli 115 000 demandeurs d’asile, conséquence de votre incapacité à maîtriser les frontières.
Si les prétendus mineurs causent des problèmes pour certains, en Île-de-France, on estime que 60 % à 70 % des cambriolages sont dus aux MNA.
Mme Éliane Assassi. Nous voilà en plein délire…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le secrétaire d’État, la responsabilité des mineurs non accompagnés, qui sont souvent de jeunes migrants, est à la charge des départements. On constate que l’évaluation de la minorité est défaillante, cela a été dit à plusieurs reprises aujourd’hui.
Les conséquences sont importantes : cette fraude massive représente un coût exponentiel pour les budgets de la protection de l’enfance. En effet, l’État ne finance que la phase d’évaluation et de mise à l’abri sur une durée maximale de vingt-trois jours, alors que les mineurs non accompagnés sont confiés aux départements en moyenne au moins deux ans.
Pour la collectivité européenne d’Alsace, par exemple, où les mineurs non accompagnés viennent souvent des filières mafieuses des pays de l’Est, qui ne sont pas en guerre, mais où l’attractivité de la France est réelle, sur un budget de 20,3 millions d’euros consacrés aux mineurs non accompagnés, l’apport de l’État n’est que d’un demi-million d’euros, soit 2,5 % réellement compensés par l’État.
L’autre difficulté, c’est que nous sommes face non plus à des enfants, mais à de jeunes adultes, qui s’intègrent moins facilement à la culture française. Parce que leur insertion est plus compliquée, des phénomènes de violences, de drogues et d’addictions apparaissent dans les lieux d’accueil qui sont normalement réservés à l’enfance mineure isolée.
En milieu carcéral, les établissements pénitentiaires pour mineurs observent l’émergence d’un phénomène nouveau. La violence explose ; les personnels des lieux d’incarcération pour les mineurs l’affirment : huit mineurs sur dix sont en fait majeurs.
Pour sortir de cet engrenage, seul un système d’évaluation de l’âge, avec des tests osseux, que l’on a déjà évoqués, médical, centralisé, et contrôlé permettrait aux départements de revenir à leur vraie mission, celle de l’accompagnement et de l’insertion de ces jeunes de moins de 18 ans.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question est la suivante : au lieu de prendre le problème à la source, pour éviter aux départements d’avoir à gérer des faux mineurs illégaux qui leur coûtent très cher, pourquoi votre futur projet de loi s’attache-t-il surtout à contrôler l’action sociale des départements par les préfets ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, je pense que vous pouvez faire confiance au président de votre département, Frédéric Bierry, avec lequel je parle depuis deux ans, très régulièrement, parce que, outre le fait que nous nous apprécions à titre personnel, outre le fait que nous partageons une certaine vision de la protection de l’enfance précaire, c’est un président engagé à titre personnel.
J’ai compris avec lui que l’orientation et l’implication d’un département dans la protection de l’enfance étaient aussi liées à l’histoire. Je crois que c’est le cas dans le Bas-Rhin, notamment s’agissant d’une longue tradition de recours aux assistantes familiales, que je salue à cette occasion.
N’ayez pas d’inquiétude : Frédéric Bierry, vice-président de l’Assemblée des départements de France, président de la commission sociale, veillera à ce que la réforme que j’évoquais tout à l’heure ne conduise pas à un contrôle par les préfets de l’action sociale des départements. Ce n’est pas du tout mon intention et cela n’aurait pas de sens, me semble-t-il.
Vous affirmez que les mineurs viennent de pays qui ne sont pas en guerre. Je crois que, juste avant ce débat, vous discutiez de l’opération Barkhane. Le Mali est un pays en guerre, madame la sénatrice. Or c’est un des principaux pays d’origine des mineurs non accompagnés, comme je l’évoquais.
Je ne reviens pas sur la question des conditions d’évaluation, notamment sur le recours aux tests osseux. Une fois encore, je n’ai pas de souci, par principe ou par idéologie, avec les tests osseux ; je mentionne simplement les limites scientifiques de son recours.
Je constate que le Conseil constitutionnel a estimé que ce n’était pas contraire à la dignité humaine, mais que cela ne peut pas être l’élément unique de la décision. Nous avons travaillé avec les différentes directions – DPGJ, DGCS, ministère de l’intérieur – pour tenter d’homogénéiser les pratiques et de guider au mieux les différentes associations, ainsi que les fonctionnaires des départements, dans ce travail difficile qu’est l’évaluation.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à ce travail ; pour ma part, je l’ai fait, et c’est très complexe. Nous essayons d’accompagner les départements dans cette mission.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le secrétaire d’État, la question des mineurs non accompagnés, anciennement appelés mineurs isolés étrangers – ils le demeurent, d’ailleurs –, relève d’abord d’un sujet migratoire, donc de l’État. Le Président de la République l’avait d’ailleurs reconnu avant le congrès de Rennes de l’ADF en 2018.
Pour ma part, à l’issue de ce débat, je veux attirer votre attention sur le continuum de la protection de l’enfance, qui doit concerner les MNA, comme tous les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. En effet, ces jeunes bénéficient d’un accompagnement de l’ASE au titre du contrat jeune majeur. Or, nombre d’entre eux doivent mettre un terme à leur parcours d’insertion en raison de leur situation administrative.
Alors qu’ils sont engagés dans un parcours scolaire et/ou d’apprentissage, leur majorité, faute de titre de séjour, les condamne. Les mêmes pour lesquels l’État a demandé aux conseils départementaux d’assurer la protection et la prise en charge inconditionnelle sont ensuite parfois chassés par ce même État, de manière aveugle, alors qu’ils sont bien souvent en phase d’insertion et de construction d’un nouveau projet de vie.
Les services de l’ASE instruisent régulièrement une demande d’asile auprès de l’Ofpra ou d’accession à la nationalité française, lorsque cela est possible, mais se heurtent à des blocages liés bien évidemment au fait que ces jeunes MNA ne disposent souvent pas de documents d’état civil authentifiés par les services de la police aux frontières, la PAF.
Bref, nous sommes dans un cadre kafkaïen, qui provoque de véritables drames humains.
Ces parcours interrompus stoppent l’engagement de ces jeunes, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Ils mettent aussi en difficulté des entreprises qui avaient investi dans leur parcours d’apprentissage et qui se retrouvent accusées d’avoir recours au travail clandestin. Ce n’est acceptable ni pour les jeunes, ni pour les entreprises, ni pour les professionnels de l’ASE qui voient leurs missions niées, ni pour nos finances publiques, qui ont investi sur ces jeunes pour les abandonner ensuite.
Dans mon département par exemple, le Cantal, plusieurs jeunes sont dans cette situation, et les réponses administratives apportées, qui confinent à l’impuissance, sont désespérantes pour tous, y compris pour notre reconquête démographique.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand mettrez-vous de la cohérence et des moyens pour une gestion responsable et solidaire de la situation de ces jeunes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, au risque de me répéter un peu, c’est, je crois, tout le sens de ce que nous essayons de faire pour les mineurs non accompagnés, comme pour les jeunes de l’aide sociale à l’enfance.
En effet, la question de la majorité, c’est-à-dire de la fin de la prise en charge dans un certain nombre de cas par les services de l’aide sociale à l’enfance à 18 ans, soulève, s’agissant de l’aide sociale à l’enfance, un certain nombre de questions, de difficultés, parfois de situations dramatiques, avec ce que l’on appelle les sorties sèches. Un certain nombre de jeunes, du jour au lendemain, ne sont plus pris en charge.
C’est la raison pour laquelle, dans un cas comme dans l’autre, je pense que la coopération entre l’État et les départements et ce continuum que vous évoquiez doit être mobilisée au maximum.
C’est tout le sens, s’agissant de l’insertion professionnelle, de cette convention avec l’Union nationale des missions locales que j’évoquais et à laquelle nous avons adjoint une contribution financière de la part de l’État de 500 euros pour tout jeune qui ne serait pas dans un parcours d’études ou d’insertion, afin d’éviter justement ces fameuses sorties sèches. Je précise ici que cette mesure n’a pas vocation à se substituer à un éventuel contrat jeune majeur, ou en tout cas à l’accompagnement éducatif qui pourrait continuer à être nécessaire de la part du département.
Par ailleurs, dans le cadre de la régularisation administrative, il est nécessaire de mieux anticiper les situations, pour faire sortir tout le monde de l’incertitude actuelle : le jeune au premier chef, évidemment, mais aussi le département, parce que celui-ci ne sait pas s’il va devoir continuer à s’occuper de ce jeune, et les chefs d’entreprise. Pour ma part, j’en ai rencontré beaucoup, je le disais, qui sont confrontés à ces situations.
Essayons d’anticiper, de mieux nous coordonner, de mieux coopérer, de mieux accompagner ces jeunes et de faire en sorte que l’investissement qui a été réalisé à leur profit – je le dis avec une connotation très positive – ne soit pas perdu pour l’avenir, parce que cela pourrait s’apparenter, dans un très grand nombre de cas, à du gâchis.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe auteur de la demande.
M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conclure un tel débat est une gageure, c’est évident. En tout cas mon propos, qui va relever certaines des questions qui ont été abordées, n’a pas vocation à mettre un point final, bien évidemment, mais à faire saillir quelques éléments.
Le point principal par lequel je voudrais commencer, c’est la nécessité et le caractère indispensable du débat que nous avons et dont les seize orateurs ont évoqué toutes les dimensions. En effet, une politique publique qui voit son volume multiplié par douze ou par treize, voire davantage, en cinq à sept ans doit nous interroger en tant que responsables publics. Quelles en sont les causes ? Examinons les conséquences et essayons de comprendre ce qui se passe.
Ensuite, cela a été dit également, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit là d’une compétence départementale majeure, particulièrement sensible et même emblématique de l’action sociale des départements.
Pour avoir siégé pendant près de sept ans au bureau de l’Assemblée des départements de France, je puis vous assurer que l’ensemble des présidentes et présidents de départements ont à cœur de remplir cette noble mission de donner une deuxième chance à ces enfants qui ne trouvent pas toutes les chances dans leur famille. Je puis attester qu’ils y sont tous très attachés. C’est justement cela qui les amène à s’inquiéter de cette situation de dégradation.
Ensuite, ce débat était absolument nécessaire parce que les départements, qui sont la cheville ouvrière de ces politiques, sont déjà en grande difficulté, bien évidemment pour d’autres raisons.
Les dépenses sociales n’ont cessé de croître : elles représentent de 57 % à 60 % de leurs dépenses de fonctionnement. On peut déjà constater, avec la crise sanitaire et ses conséquences économiques, que le RSA a encore augmenté ; dans nombre de départements, il a même connu une croissance à plus de deux chiffes, ce qui est tout à fait considérable.
Par ailleurs, pèsent des risques importants sur les recettes des départements, notamment les droits de mutation à titre onéreux, dans ce contexte de crise. L’impact a déjà été souligné à plusieurs reprises ; il est très lourd, je n’y reviens pas.
Enfin, depuis dix ans, les départements sont confrontés à une surdité chronique de l’État, qui s’inscrit dans un contexte déjà ancien de maltraitance de ces collectivités par l’État.
Je vous renvoie au rapport de Cécile Cukierman et à celui de la mission d’information, que j’ai eu l’honneur de présider, sur la place des départements dans les grandes régions. Mes chers collègues, vous connaissez tous les différentes étapes de la disparition programmée des départements, avec les lois NOTRe, Maptam, ainsi que l’étranglement financier de cette collectivité, notamment avec la baisse de 40 % de la dotation de fonctionnement pendant le quinquennat précédent, ce qui est tout de même considérable.
Ce débat était donc absolument nécessaire, dans une situation particulièrement difficile.
Nous sommes également face à un angle mort des politiques migratoires ; ce point est apparu très clairement pendant l’ensemble du débat. Nous avons affaire maintenant à un phénomène économique, l’eldorado européen. On continue à attirer les jeunes, fragilisés ou non d’ailleurs dans leur pays, ainsi que leurs familles, qui, souvent, les mandatent pour en faire des sources de revenus pour divers besoins dont ils estiment qu’ils seront les leurs par la suite.
Ce phénomène économique est adossé, cela a été dit également, à un phénomène mafieux évident. Nous connaissons bon nombre de filières ; monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons même vous donner les tarifs par pays et par région dans ces pays, puisque ces éléments sont apparus dans les différents départements.
Enfin, je vous le concède, monsieur le secrétaire d’État, l’évaluation de la minorité est un sujet extrêmement délicat, pour lequel il n’y a pas de réponse évidente.
C’est pourquoi d’ailleurs, je pense, le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, quand il est venu au congrès de l’ADF en octobre 2017, a pratiquement dit que cette mission d’accueil et d’évaluation devait relever de l’État. Ensuite, il a considéré que peut-être les départements pouvaient l’assurer pour le compte de l’État. Le problème, c’est que les moyens n’ont pas été au rendez-vous, loin de là, avec, on l’a rappelé, 120 millions d’euros de crédits pour 2021 ; ces sommes baissent d’ailleurs par rapport à l’année précédente, ce qui est difficile à comprendre.
À l’évidence, nous sommes confrontés à un état d’urgence qui est temporairement masqué par la crise sanitaire – on comprend bien qu’il est difficile de se déplacer en ce moment, vu la situation –, mais qui est appelé à prospérer, et nous ferions une erreur considérable en restant sur la même appréhension du problème après cette brève accalmie.
Je pense qu’il faut nous mobiliser dès maintenant pour apporter des réponses qui soient plus solides que celles qui ont été les nôtres jusque-là.
Enfin, dans cet état d’urgence, nous mettons en danger l’aide sociale à l’enfance elle-même dans les départements, notre capacité à l’assurer de façon satisfaisante, les départements eux-mêmes dans leurs finances, mais aussi les Français. Il a été fait état d’un certain nombre de faits délinquants, qui sont de plus en plus préoccupants, notamment dans les territoires d’outre-mer.
À droit constant, y a-t-il une réponse possible ? C’est à vous de nous le dire, monsieur le secrétaire d’État. S’il n’y en a pas, il faudra envisager une réflexion plus large et remettre en cause bien des choses dans ce pays. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les mineurs non accompagnés.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Avenir de la métropole du Grand Paris
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir de la Métropole du Grand Paris.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons évoquer un sujet dont nous avons à discuter chaque année, tel un marronnier, lors de l’examen de chaque projet de loi de finances et de chaque texte portant sur les collectivités locales. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité organiser un débat sur ce thème ce soir.
La problématique du Grand Paris n’est pas nouvelle. Dès le XIXe siècle, deux visions se sont opposées : celle de Napoléon III,…
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. … qui imaginait une capitale s’étendant de Saint-Germain-en-Laye à Marne-la-Vallée, s’est heurtée au réalisme du baron Haussmann, qui a fait justement remarquer qu’il avait fallu un combat de dix-sept ans pour unifier l’ensemble des communes d’Auteuil, de Passy ou des Batignolles et créer la ville de Paris.
Un peu plus tard, en 1932, André Morizet, ancien sénateur et maire de Boulogne-Billancourt – je ne pouvais pas ne pas le citer ! (Sourires.) – jette les bases d’une réforme administrative du Grand Paris. Il indique que tout reste à faire pour répondre aux nombreux problèmes de l’agglomération parisienne : inégalités territoriales, logements, transports, services publics…
En 1949, le célèbre géographe Jean-François Gravier, auteur de Paris et le désert français, propose la création de seize régions avec des superpréfets à leur tête, ainsi que d’un « Grand Paris ».
Toutefois, la réforme de l’Île-de-France organisée par la loi du 10 juillet 1964 a eu raison de cette vision. Les trois départements créés en 1790 – Paris, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne – sont subdivisés en sept nouveaux départements : la petite couronne et la grande couronne.
La réorganisation de l’Île-de-France redevient un sujet de conversation au début des années 2000, face au constat partagé d’un développement économique déséquilibré : pas de desserte ferroviaire directe entre le centre de Paris et ses aéroports ; difficultés à rejoindre le pôle technologique de Saclay ; réseau de transport construit en radiale, ne permettant pas des échanges faciles entre les zones d’emploi et les zones de logement.
C’est la loi de juin 2010, relative au Grand Paris, qui définit ce territoire comme « un projet urbain, social et économique d’intérêt national ».
En 2010, le législateur, dans sa grande sagesse peut-être, n’a pas retenu les propositions institutionnelles visant à regrouper les collectivités franciliennes dans de nouvelles structures. Cette réforme s’est faite plus tard, mais contre les élus.
La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou Maptam, qui donne un nouveau statut aux agglomérations de plus de 400 000 habitants, prévoit un statut particulier pour les métropoles de Paris, de Lyon et de Marseille.
En première lecture, le Sénat rejette l’ensemble des articles relatifs à la zone parisienne. C’est l’Assemblée nationale qui dessine ce qui sera plus tard la métropole du Grand Paris, la MGP.
En septembre 2013, au cours de la navette, 75 % des élus de Paris Métropole adoptent un vœu contestant l’organisation institutionnelle proposée. Finalement, le projet de loi Maptam est adopté d’une courte majorité au Sénat en octobre 2013, par 156 voix pour et 147 contre.
L’opposition des élus s’est renforcée après les élections municipales de 2014, lesquelles ont modifié l’équilibre au sein du territoire métropolitain. En mai 2014, à l’unanimité, les élus de Paris Métropole réclament une révision de l’article 12 de la loi Maptam, qui supprime les intercommunalités.
Cette position est réaffirmée quelques mois plus tard : en octobre 2014, quelque 94 % des membres de la mission de préfiguration de la Métropole du Grand Paris réclament une personnalité juridique pour les territoires et un partage des recettes de la fiscalité économique.
Après d’importants débats parlementaires, le régime juridique de la métropole du Grand Paris prévu par la loi Maptam est profondément modifié par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou NOTRe, du 7 août 2015.
Les territoires de la loi Maptam, aires géographiques sans personnalité morale, dont le régime juridique aurait été proche de celui des arrondissements parisiens, sont remplacés par des établissements publics territoriaux, ou EPT, qui sont des établissements publics de coopération intercommunale, des EPCI, sans fiscalité propre, dotés d’importantes compétences et d’un régime juridique spécifique.
La MGP est créée au 1er janvier 2016, avec Paris, les 123 communes de la petite couronne et 7 communes limitrophes de la grande couronne ayant choisi d’y adhérer. Sur les 11 territoires créés au sein de ce périmètre, seuls 3 préexistaient ; les 8 autres ont été imposés par les préfets et font parfois l’objet de mariages forcés.
Mme Sophie Primas. En effet !
Mme Christine Lavarde. Non soutenue par les maires, cette nouvelle organisation est restée un échelon supplémentaire dans une organisation territoriale déjà très compliquée, comprenant communes, territoires, départements, métropole, grands syndicats et région.
Chacun cherche à conserver les compétences que la loi lui a retirées. À titre d’exemple, une seule opération d’aménagement, la zone d’aménagement concerté, ou ZAC, des docks de Saint-Ouen, a été transférée à la métropole du Grand Paris lors de sa création. Seuls deux actes ont depuis été déclarés d’intérêt métropolitain.
Par ailleurs, la MGP reste un nain budgétaire. Si elle enregistre 3,4 milliards d’euros de ressources, elle en reverse 98 % aux communes via les attributions de compensation pour permettre aux communes et aux territoires de continuer à assurer les missions du quotidien. Les capacités financières réelles de la MGP sont donc dérisoires.
Aujourd’hui, le changement se fait attendre. En juillet 2017, au Sénat, le Président de la République récemment élu, Emmanuel Macron, annonçait pourtant de futurs changements majeurs dans l’organisation du Grand Paris.
Depuis lors, tout le monde attend, comme le montre une rapide revue de presse.
Juillet 2017 : « Paris : Macron au secours de la MGP ? » Octobre 2017 : « Comment Macron veut réorganiser le Grand Paris ». Octobre 2017 toujours : « La fronde des départements contre la métropole “Macron” ». Novembre 2017 : « Métropole du Grand Paris : que va décider Emmanuel Macron ? » Janvier 2018 : « Quel sort Macron réserve-t-il à la métropole du Grand Paris ? » Octobre 2018 : « Métropolisation : le Paris en grand de Macron au point mort » et « Grand Paris, la réforme sans cesse repoussée ». Décembre 2019 : « Grand Paris : le Gouvernement annonce une réforme institutionnelle après les municipales ». Enfin – et j’en passe –, en décembre 2020 : « Des députés LREM veulent pulvériser la métropole du Grand Paris ».
Au cours de ces mois, plusieurs scénarios ont été envisagés : une métropole avec le périmètre actuel, au sein de laquelle seraient fusionnés les départements de la petite couronne avec Paris ; une fusion de la région Île-de-France et de l’actuelle métropole, pour associer Paris intra-muros et des secteurs périurbains ou ruraux. Cela étant, rien n’a été décidé.
Quel échelon supprimer ? Quel statut pour les territoires ? Quel périmètre pour définir la région capitale ? Qui doit exercer les compétences du quotidien ?
Ces questions ne manqueront pas d’être évoquées ce soir. Si je devais résumer la situation, je citerais l’analyse de Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS : « Nous avons une métropole qui est tout à fait sous-calibrée, une gouvernance éclatée et une MGP croupion qui a quelques dizaines de millions d’euros de budget réel. Donc, il faut réformer et c’est un tel imbroglio qu’il faut réformer fort. Tout le monde le sait, mais personne n’est prêt à assumer les coûts politiques pour le faire. »
L’histoire étant un éternel recommencement, on pourrait dire, comme l’aurait déclaré le général de Gaulle, alors qu’il survolait en hélicoptère la région parisienne : « Delouvrier, mettez-moi de l’ordre dans ce bordel ! » C’est ce que nous allons essayer de faire ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Le débat a été très bien posé. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains de nous permettre d’évoquer le devenir du Grand Paris.
M. Vincent Éblé. Des convergences, déjà ?…
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Évoquer ce devenir, chacun le mesure, c’est se confronter à une grande complexité, comme vous l’avez fait remarquer, madame Lavarde, car tout est exacerbé : les enjeux, les attentes, les ambitions et parfois, aussi, bien sûr, les déceptions.
Pourtant, le contexte actuel est sans doute propice, comme le dit l’adage, à remettre le métier sur l’ouvrage. Je le disais récemment lors d’un colloque à l’Assemblée nationale consacré aux « métropoles résilientes » : la décennie 2010 aura été marquée par une relation passionnée, excessive même, avec le fait métropolitain et, a fortiori, avec le Grand Paris.
Elle s’est en effet ouverte, chacun s’en souvient, par une série de lois destinées à affirmer leur place sur la scène française et internationale : loi relative au Grand Paris en 2010, la loi Maptam en 2014, la loi NOTRe en 2015. Elle s’est achevée dans un climat de méfiance ou de défiance, voire de rejet de ces mêmes métropoles, tour à tour accusées d’être responsables des fractures territoriales et invivables pour leurs habitants.
Alors qu’une nouvelle décennie s’ouvre, tâchons, ensemble, d’y voir plus clair, au cœur de cette « assemblée des territoires ».
Sur ce sujet, aucun consensus n’émerge, à l’exception d’un seul : la situation actuelle ne satisfait personne. La raison en est simple : elle ne permet pas au Grand Paris, en tant que réalité métropolitaine – non en tant qu’institution – d’être à la hauteur des immenses défis auxquels ce territoire doit répondre, aujourd’hui comme demain.
Pour autant, je me permets de le rappeler, cette situation est le produit d’une histoire à laquelle nombre d’entre nous ont participé, une histoire faite de compromis, mais aussi d’occasions manquées et, il est vrai, d’un certain nombre de renoncements. Cette réalité, loin de la juger en procureurs implacables, nous devons la comprendre, pour éviter, collectivement, de refaire les mêmes erreurs.
En effet, les destins de notre pays et du Grand Paris sont, nolens volens, organiquement liés. Une large part de la capacité de notre pays à relever les immenses défis qui sont devant lui réside dans la réussite du Grand Paris. En cela, ce sujet relève, au sens le plus noble du terme, de l’intérêt général, transcendant nos personnes autant que nos mandats.
Aussi, aujourd’hui, faisons en sorte d’examiner ce sujet avec des yeux à la fois informés par cette histoire et en même temps délestés, autant que faire se peut, des antagonismes et postures trop bien connus. Laissons, en somme, toute sa place à ce que Nietzsche, dans une jolie formule, appelait « l’innocence du devenir ».
Comment, au fond, en sommes-nous arrivés à cette situation ? L’impasse actuelle pourrait se résumer, en le paraphrasant, par un célèbre mot de Raymond Aron : « réforme improbable, statu quo impossible ». Pour en sortir, faisons d’abord un rapide détour par l’histoire.
Il n’est pas besoin de rappeler la place exorbitante qu’occupent Paris et sa région dans l’histoire et la géographie françaises. Elle est, à dire vrai, unique dans le monde.
La complexité du paysage politique et institutionnel contemporain est l’héritière de cette histoire. La région Île-de-France, c’est en effet 1 300 communes, 11 établissements publics territoriaux, une métropole du Grand Paris, 8 départements, 800 syndicats, un conseil régional.
La région Île-de-France, c’est également un État aménageur puissant, comme en témoigne la création de nombreuses opérations d’intérêt national, de villes nouvelles, ou de grandes infrastructures.
Cette fragmentation institutionnelle se traduit logiquement, et malheureusement, par des politiques publiques elles aussi très fragmentées, évoquant une « orchestration sans chef d’orchestre », pour reprendre la belle formule du philosophe Wittgenstein.
Cette situation, vous la connaissez et, comme moi, vous la déplorez. Pourtant, depuis les années 2000 et les actions de coopération engagées par Bertrand Delanoë entre Paris et certaines communes avoisinantes, et depuis 2007, date du discours fondateur du président Sarkozy prononcé à Roissy, les réflexions n’ont pas manqué.
Aussi, d’où viennent ces blocages et quels sont-ils ? Comme pour l’œuf et la poule, il est difficile de faire la part des choses : sont-ce les fractures trop importantes qui empêchent l’émergence d’un destin commun ? Ou est-ce que l’absence d’un projet fédérateur conduit en retour à renforcer ces fractures ?
Quoi qu’il en soit, le constat est là : le territoire grand-parisien concentre, de manière particulièrement exacerbée, l’ensemble des tensions et contradictions propres aux réalités métropolitaines.
C’est une métropole-monde, dont le rayonnement ne se dément pas, mais c’est également un territoire marqué par de très grandes fractures, qui ne se résorbent pas. Selon l’expression d’Ernest Renan, la nation est le « plébiscite du quotidien ». Nous sommes loin du compte, tant il est vrai que ces immenses disparités ont des conséquences très concrètes sur la qualité de vie des habitants, et logiquement, sur l’attractivité de la métropole.
Aussi, que faire ? Tous ces constats nous ramènent au devenir de la région capitale, plus particulièrement à son devenir institutionnel. En tant que législateur, c’est ce qui vous intéresse au premier chef, et c’est bien normal, d’autant que la situation est marquée par une très forte fragmentation institutionnelle.
Quels sont les scénarios possibles ? Ce sujet a été très documenté. Les parlementaires, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont formulé des propositions, mais, durant tout le quinquennat, élus locaux et société civile ont également apporté leur contribution.
Si je devais résumer ces propositions pour introduire notre débat, je dirais qu’il existe trois grandes familles de scénarios, que je vais tâcher s’esquisser.
Le premier privilégie l’échelle de la région, prenant acte de la présence de nombreux sites essentiels à la vie de la métropole en grande couronne. Ainsi, cette première option consisterait à fusionner la région et les départements actuels et à renforcer la logique intercommunale au sein de cet espace. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne fais qu’énoncer des possibilités !
M. le président. Il va falloir conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous prie de me laisser un peu de temps, monsieur le président.
La deuxième option consisterait à créer des élus communs aux échelons départementaux et régionaux et à assurer une rétribution des ressources financières.
Enfin – c’est la troisième option –, on pourrait imaginer réunir les départements au sein d’un syndicat interdépartemental. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Dallier rit.)
M. le président. Madame la ministre, il faut conclure ! Vous pourrez développer votre propos lors du débat interactif.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je termine, monsieur le président.
La deuxième option privilégie le périmètre de la zone dense, c’est-à-dire, pour l’essentiel, de la petite couronne. Quant à la troisième option, je la développerai plus tard !
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite aborder le sujet par la face financière, si j’ose dire.
La question du financement de la métropole du Grand Paris et des établissements publics territoriaux a été repoussée depuis l’origine. Tout le monde convient que la formule choisie au départ tient davantage de l’usine à gaz que d’un financement clair des compétences exercées par chacun.
Cette formule provisoire devait muter dans un second temps, mais le nouveau pacte financier a été différé. L’attribution de la cotisation foncière des entreprises, la CFE, demeure un sujet discuté et, si j’ose dire, disputé.
Nous nous trouvons depuis lors, à chaque loi de finances, dans la situation d’arrêter le moins mauvais compromis possible pour parvenir à financer la mise en œuvre des compétences des EPT et de la métropole, le tout en continuant à repousser la remise à plat de ce dispositif provisoire qui ne devait pas durer.
Évidemment, discuter du financement alors que la question des compétences et du périmètre reste pendante n’est pas simple. Toutefois, cette régulation annuelle n’offre pas de perspective claire pour les exécutifs et renforce la fragilité du système, alors même que le rôle de la métropole et des territoires est crucial pour la relance.
Ma question est donc la suivante, madame la ministre : ce mode de régulation du financement de la métropole et des territoires vous paraît-il soutenable, notamment compte tenu du contexte économique issu de la pandémie ?
Quelles garanties pouvez-vous donner pour assurer le financement de ces deux échelons tout en préservant les communes ? Les projections sur l’évolution de la CFE et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, seront bien sûr au centre du dispositif. Disposez-vous sur ce point d’éléments d’éclairage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, nous sommes d’accord sur le constat, à savoir que le schéma de financement de la MGP n’est pas viable à long terme.
En effet, comme vous l’avez rappelé, l’organisation actuelle, qui devait être transitoire, s’éternise malheureusement. Les règles actuelles sont illisibles, sauf pour quelques initiés, et les mécanismes de solidarité ne sont pas à la hauteur pour résorber les inégalités entre les territoires.
Ce système vaut encore pour deux ans. À court terme, il continue de fonctionner même s’il n’est pas performant. Le mécanisme adopté dans la loi de finances de 2021 maintient les équilibres antérieurs et affecte à la MGP deux tiers de la CFE en 2021, de sorte qu’elle ne porte pas seule la charge de la crise.
À plus long terme, une remise en cause est indispensable. Elle doit se faire en deux temps.
Tout d’abord, il convient d’effectuer une analyse correcte des difficultés existantes. Si la MGP ne produit pas suffisamment de services, c’est aussi parce qu’il a été décidé de ne pas lui transférer autant de compétences qu’à une autre métropole.
Ensuite, les moyens financiers de la MGP sont très inférieurs à ceux d’une intercommunalité classique. Pour l’avenir, il faut donc prendre le débat par le bon bout en partant des objectifs avant de concevoir les bons tuyaux. L’objectif est, à mon sens, de construire un espace de solidarité, donc de partage des ressources financières entre territoires, c’est-à-dire entre collectivités, soit entre Paris et sa banlieue et entre l’est et l’ouest.
On ne répondra pas aux enjeux de la région capitale en laissant chaque territoire replié dans son coin. À défaut d’une telle internalisation de la solidarité au sein d’une structure large, il faudra des transferts financiers plus directifs pour financer les grandes compétences structurantes.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.
M. Vincent Capo-Canellas. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Ma préoccupation est de préserver autant que possible la capacité d’agir des territoires et de la métropole, en n’oubliant pas que le pacte originel a été conclu avec les communes.
Le territoire métropolitain est confronté à de nombreux défis, et ses habitants ressentent le besoin de moyens publics plus importants pour y faire face. Comme vous l’avez indiqué, la métropole du Grand Paris est aussi un instrument de rééquilibrage territorial, qu’il faut préserver.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la coopération entre la métropole, la ville de Paris et les communes qui sont incluses dans le périmètre de l’autoroute A86 a abouti à l’instauration d’une zone à faibles émissions, ou ZFE, métropolitaine au 1er juillet 2019.
Poursuivant cette dynamique, le conseil métropolitain a adopté à l’unanimité la mise en œuvre d’une nouvelle étape de la ZFE au 1er juin prochain, confirmant ainsi des objectifs ambitieux, parmi lesquels la restriction d’accès aux véhicules diesel en 2024.
Néanmoins, pour assurer pleinement l’efficacité de cette ZFE, il faut aussi prévoir son contrôle et, pour cela, le système le plus performant est le contrôle-sanction automatisé.
Or, sur ce point, nous restons en attente des décisions de l’État. Le Gouvernement n’a pas encore annoncé la mise à disposition des outils existants, à savoir le Centre automatisé de constatation des infractions routières et l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, qui permettraient une mise en œuvre rapide et efficace du contrôle-sanction automatisé.
Dans une récente interview au Parisien, le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports a d’abord renvoyé à une étape de transition, prévoyant la mise en place de la vidéo- verbalisation.
Notons que celle-ci est à la seule charge des territoires et qu’elle requiert des investissements importants alors que le dispositif n’est que transitoire. Par ailleurs, son efficacité reste en pratique assez faible, puisqu’elle repose sur des contrôles aléatoires, véhicule par véhicule. Pour ces raisons, la vidéoverbalisation ne nous paraît pas être la bonne solution.
Madame la ministre, ma question est la suivante : ne pensez-vous pas nécessaire et possible d’accélérer la mise en œuvre par l’État des contrôles-sanctions automatisés pour permettre à la métropole d’exercer pleinement et sans attendre sa responsabilité en matière de réduction de la pollution ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, l’État s’est engagé activement dans la promotion des zones à faibles émissions, afin de diminuer la pollution dans les grandes agglomérations, et, ainsi, d’améliorer la qualité de l’air et donc les conditions de vie de nos concitoyens.
La ville de Paris et la MGP se sont volontairement engagées rapidement dans la démarche, en prévoyant dès le 1er juin 2021 que les véhicules particuliers classés Crit’Air 4 et 5 et non classés ne pourront circuler en semaine de huit heures à vingt heures dans la ZFE. Concrètement, il s’agit de véhicules diesel immatriculés avant le 31 décembre 2005 et de véhicules à essence immatriculés avant le 31 décembre 1996.
Cette interdiction sera étendue progressivement, comme prévu, aux autres vignettes. Dès juillet 2021, s’ajouteront les véhicules classés Crit’Air 3, et en janvier 2023, Crit’Air 2, afin d’atteindre l’objectif de 100 % de véhicules propres en circulation.
Le ministère de la transition écologique avait missionné M. le préfet Bartolt en décembre 2018 pour préfigurer un système de contrôle-sanction automatisé, notamment pour les ZFE. Les conclusions de ces travaux ont été remises l’été dernier, et depuis lors, les administrations concernées poursuivent activement leurs travaux d’expertise, pour élaborer ce système de contrôle-sanction automatisé dans les meilleurs délais.
D’ici à la fin de l’année, il devrait être possible de franchir une première étape en matière de contrôle du respect de la ZFE, en mettant en place un système de contrôle assisté par vidéo.
Ce système de contrôle par des officiers de police judiciaire, avec l’assistance d’un système informatique et vidéo, permettra de réaliser effectivement des contrôles en attendant de pouvoir en réaliser un nombre plus important lorsque le système automatisé sera opérationnel.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.
M. Rémi Féraud. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Toutefois, si vous faites le point sur la situation actuelle et les projets déjà annoncés par le Gouvernement, ma question portait volontairement sur un projet essentiel, à savoir la lutte contre la pollution.
Étant entendu qu’il est peu probable que nous avancions sur les questions institutionnelles dans les mois qui viennent, j’encourage le Gouvernement à faire preuve de volontarisme dans l’accompagnement de ce projet, qui réunit tous les élus de la métropole.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la ministre, en 2007 j’étais plein d’espoir lorsque Nicolas Sarkozy, inaugurant une piste à Roissy, avait posé le sujet du Grand Paris sous l’angle des transports – c’est le seul point qui avance –, mais aussi sous l’angle institutionnel, dont il avait chargé le comité Balladur. J’avais d’ailleurs travaillé et rendu un rapport sur ce sujet.
Malheureusement, le temps a passé, et les lois NOTRe et Maptam ont été adoptées. J’étais encore une fois plein d’espoir lorsque ce dernier texte a été déposé, mais, au moment de le voter, j’avais bien conscience qu’il n’allait pas régler le problème, et pis encore, qu’il allait probablement poser des difficultés qui nous rattraperaient très vite.
En 2017, le préfet Cadot a été mandaté, mais ses propositions n’ont pas été rendues publiques. Celles-ci nous intéressent pourtant, madame la ministre, et nous souhaiterions en prendre connaissance. Puis, Sébastien Lecornu a été nommé ministre. Il devait traiter le sujet, mais il s’est concentré sur d’autres dossiers.
Nous allons peut-être examiner le texte 4D prochainement, mais vous avez indiqué que celui-ci ne traiterait pas de la métropole du Grand Paris.
Je souhaite donc vous réinterroger sur l’agenda du Gouvernement, madame la ministre. Il est évidemment trop tard pour proposer une réforme lourde, qui de toute façon ne pourrait entrer en application qu’en 2026 ou en 2027, soit après les prochaines élections municipales, départementales et régionales.
Toutefois, nous pouvons encore modifier ce qui peut l’être pour remédier à un certain nombre de difficultés, notamment celles qui ont été évoquées par Vincent Capo-Canellas, mais aussi pour faire un pas dans la bonne direction et faire en sorte que la métropole du Grand Paris, enfin, soit utile et efficace, et qu’elle contribue à mieux répartir la richesse fiscale, ce que la métropole actuelle ne fait absolument pas.
Madame la ministre, quel est donc l’agenda du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Cher Philippe Dallier, en 2008, vous avez effectivement rédigé un rapport dont les conclusions ont été largement reprises par le rapport Balladur l’année suivante. D’autres rapports ont suivi, notamment celui de Michel Cadot, que vous avez cité, et celui de Roland Castro.
Permettez-moi de revenir sur les trois familles de scénarios que j’évoquai précédemment.
Le premier type de scénario privilégie l’échelle de la région, prenant acte de la présence de nombreux sites essentiels à la vie de la métropole en grande couronne.
Le deuxième privilégie le périmètre de la zone dense, c’est-à-dire pour l’essentiel de la petite couronne.
Il existe enfin une troisième famille de scénarios, qui tous consistent à faire entrer les institutions de la région capitale dans le droit commun, en prévoyant d’octroyer le statut d’EPCI à fiscalité propre aux EPT (M. Philippe Dallier s’exclame.), et non plus à la MGP, qui serait réduite au statut de syndicat mixte de la zone dense réunissant en tant que de besoin Paris, les EPT, les départements de petite couronne et la région Île-de-France.
Ces scénarios et ces variantes sont présentés par leurs auteurs comme des étapes intermédiaires dans l’attente d’une réforme institutionnelle d’ampleur. Par nature, ils ne permettent donc pas d’embrasser l’intégralité des enjeux que je soulignais tout à l’heure.
Je ne puis vous indiquer de calendrier, cher Philippe Dallier. Vous le savez, d’ailleurs, et c’est pour cela que vous me posez la question. Je vous accorde qu’il s’agit d’un sujet important. Pour avoir longtemps siégé dans cette assemblée, je connais votre implication et je reconnais la permanence de votre analyse. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis pas un élu de l’Île-de-France ni un spécialiste du sujet.
Néanmoins, dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, j’ai assisté il y a quelques semaines à un débat réunissant Mme la maire de Paris, la présidente de la région Île-de-France et le président de la métropole du Grand Paris. Le dossier est complexe et pas forcément très bien parti… Il semble notamment difficile de déterminer la bonne échelle pour appliquer les compétences ou pour capter des financements. J’en ai tiré la conclusion que des solutions ne pourront être trouvées que si l’État et le Gouvernement s’en mêlent.
Je suis élu non pas de l’Île-de-France ou du Grand Paris, mais plutôt de l’immense Paris, puisque mon département, l’Aisne, se trouve comme d’autres à une distance comprise entre 100 et 150 kilomètres de Paris. Ces territoires sont concernés par l’essor du Grand Paris et par ses conséquences en termes de transport en commun, d’infrastructures et de développement économique.
Il serait donc intéressant d’associer les élus de ces territoires un peu plus éloignés à la définition du Grand Paris. La guerre entre les ruraux et les urbains a fait long feu : l’objectif est de développer les voies de communication, qu’elles soient routières – par exemple, pour l’Aisne, la RN2 – ferrées ou maritimes.
Nul n’est besoin pour cela de créer une nouvelle structure : il suffit d’associer ces territoires à la dynamique du futur Grand Paris.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Vous avez raison, monsieur le sénateur : on ne peut penser les mobilités en Île-de-France sans penser les relations entre l’Île-de-France et les régions voisines.
L’État est ainsi particulièrement vigilant à la bonne articulation entre régions. C’est pourquoi la rénovation de la gare du Nord et les projets de l’axe Seine, par exemple, sont pensés en concertation avec toutes les régions concernées. Les projets autour de l’axe Seine pilotés par le préfet Philizot sont d’ailleurs emblématiques de cette approche intégrée qui a abouti à la création ce mois-ci d’Haropa, qui regroupe les trois anciens ports du Havre, de Rouen et de Paris, afin de promouvoir une logistique fluviale intégrée sur la Seine.
Il en est de même du projet de ligne nouvelle Paris- Normandie, la LNPN, conçue à la fois pour améliorer les liaisons des villes normandes vers Paris, mais aussi pour améliorer et fiabiliser la desserte des Transiliens dans l’ouest de l’Île-de-France.
Ces exemples concrets répondent parfaitement à votre souhait. À mes yeux, une telle démarche ne peut pas ne pas exister.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la métropole du Grand Paris s’est donné comme objectif de contribuer à la réduction des inégalités territoriales, notamment en matière d’accès au logement. Au regard de la situation sociale dans laquelle nous nous trouvons, cet objectif est très loin d’être atteint.
Les politiques publiques en faveur du logement social sont pourtant un levier essentiel dans la bataille contre les inégalités. C’est un enjeu majeur pour la MGP, puisque 72 % des demandes de logement social de la région sont localisées à l’intérieur de la métropole. Or l’accès au logement social dans cette dernière relève encore aujourd’hui du parcours du combattant : les demandes de logement social, lorsqu’elles sont satisfaites, ne le sont qu’au terme d’un délai de neuf à dix ans.
Non seulement les objectifs initiaux ne sont pas atteints, mais les inégalités ont augmenté. Un processus de ségrégation est incontestablement à l’œuvre. Si le partage de la richesse fiscale est certainement un objectif important, celui de la richesse foncière et de la richesse spatiale l’est tout autant.
Vingt ans après son entrée en vigueur, l’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU, laisse toujours à désirer. Sur les 129 communes de la MGP, 56 n’ont toujours pas atteint le seuil fixé par la loi.
Le plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement, qui devait permettre de transférer les compétences en matière de politique du logement, d’aide financière et d’action en faveur du logement social à la métropole, tarde à être adopté.
Ma question est donc la suivante, madame la ministre : comment comptez-vous faire en sorte que le plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement soit enfin adopté et que la loi SRU puisse être appliquée, non pas en permettant aux élus de provisionner les dépenses liées aux amendes, mais en faisant en sorte que la lutte contre les inégalités spatiales dans notre métropole du Grand Paris soit, enfin, à l’ordre du jour et une vraie priorité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Permettez-moi de rappeler que, l’année 2020 mise à part, les objectifs de la construction en Île-de-France sont atteints. La loi relative au Grand Paris fixe un objectif de 70 000 logements construits par an en Île-de-France. Entre 2017 et 2019, le nombre de logements mis en chantier a été supérieur à 80 000 logements. L’objectif est donc plus qu’atteint.
L’enjeu porte surtout sur le parc social. Il faut toutefois rappeler que la production de logements sociaux relève essentiellement de la responsabilité des collectivités, qui fixent les objectifs dans le cadre de la planification et accompagnent les bailleurs par leur action en matière de foncier, d’urbanisme et de permis de construire.
Il est vrai que les objectifs ne sont pas atteints, mais cela masque des réalités territoriales très différentes. En effet, les communes de la MGP sont plus nombreuses à respecter la loi SRU. Au sein de la métropole, le taux moyen de logements locatifs sociaux est de 30 %. Seulement 40 % des communes de la MGP ont des obligations de rattrapage, alors que 60 % des communes d’Île-de-France soumises à la loi SRU sont concernées. Cette situation est la traduction de disparités territoriales exacerbées.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour appliquer la loi SRU et carencer les communes qui ne tiennent pas leur engagement, soit 40 % des communes de la métropole, et seulement 20 % en Île-de-France.
Toutefois, je suis absolument convaincue que la mixité ne tient pas uniquement au rattrapage, mais aussi à la volonté de cesser de concentrer les populations pauvres au même endroit. C’est pourquoi nous avons pris l’engagement, lors du comité interministériel des villes qui s’est tenu il y a une semaine, d’encadrer davantage les agréments dans les communes qui ont déjà plus de 40 % de logements sociaux.
M. Rachid Temal. Et dans les autres ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est indispensable de construire des logements locatifs sociaux de qualité, car ceux-ci constituent une solution indispensable dans le parcours de vie de nos concitoyens, mais il faut les construire ailleurs que là où il y en a déjà trop.
M. Rachid Temal. Comment ?
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, vous avez indiqué que 40 % des communes de la MGP ne remplissent pas leurs obligations : on voit bien où est le problème !
Par ailleurs, la proportion de foyers qui peuvent être accueillis dans le logement social est gigantesque. Pourquoi restreinte la proportion de logements sociaux à 40 % ? Le logement social peut accueillir des populations diverses.
Ce gouvernement, comme tant d’autres acteurs, doit sortir du misérabilisme à l’égard du logement social.
Mme Sophie Taillé-Polian. Le logement social peut aussi être une forme de logement accueillante et propice à la mixité.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa création, la métropole du Grand Paris soulève de nombreuses questions institutionnelles, juridiques et politiques, mais c’est bien le sens de la métropole du Grand Paris qui doit nous interroger ce soir.
Conçue pour réduire les inégalités entre les habitants et améliorer leur cadre de vie, la métropole du Grand Paris se confrontera dès demain aux défis d’aujourd’hui : la démographie, la transition énergétique, la mobilité durable et l’attractivité économique.
Néanmoins, ces défis ne pourront être relevés que si la population francilienne sait clairement à qui s’adresser pour telle ou telle situation.
Soyons lucides : force est de constater que la métropole du Grand Paris est un objet politique peu identifié et peu connu. À ce jour, 208 conseillers et conseillères siègent au conseil métropolitain, pour y représenter les 131 communes membres. Je doute que les Franciliens concernés connaissent l’identité de leurs élus et le fonctionnement de ce conseil. Au millefeuille administratif français déjà encombrant s’est ajoutée la métropole du Grand Paris, dont les compétences manquent de clarté.
En tant qu’élu provincial, je constate qu’il s’agit d’un nain politique aux compétences limitées et exercées de manière croisée avec les autres collectivités sur cinq couches administratives. Il s’agit aussi d’un nain budgétaire : comme le montre le compte administratif de 2019, la métropole dispose d’un budget qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, la frontière entre la métropole et la région est opaque : la première est une intercommunalité, certes débutante, mais souffrant encore de son image de colosse aux pieds d’argile ; la seconde, agile sur le plan des compétences et connue de tous, s’est au contraire imposée progressivement comme un échelon politique essentiel.
Madame la ministre, ne doit-on pas travailler pour simplifier la question des objectifs, des moyens, des compétences et de leur périmètre, afin de dissocier distinctement la métropole du Grand Paris des autres collectivités et, ainsi, donner enfin corps à ce projet territorial, aujourd’hui en hibernation, dont nous attendons qu’il prenne son envol ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je note avec intérêt qu’il y a autant de solutions que d’orateurs ! (Sourires.)
Vous avez raison, il y a deux façons d’envisager la question de la gouvernance en Île-de-France. La première consiste à créer des instances de coordination procédant, selon le modèle des intercommunalités, des collectivités qui doivent se coordonner. C’est le modèle de la MGP. On peut aussi imaginer une sorte d’interdépartementalité.
Quelles que soient les solutions retenues, les intercommunalités procèdent toujours des communes, et c’est à l’échelon de ces dernières que se jouent les scrutins. Chacun a ainsi pu constater que la MGP et les programmes des EPT n’étaient pas au cœur des débats du scrutin municipal de 2020 – c’est le moins que l’on puisse dire !
La légitimité d’une vaste intercommunalité pour trancher de grands enjeux stratégiques est, par nature, plus limitée que s’il s’agissait d’une collectivité à statut particulier. En effet, le conseil communautaire n’a pas été élu sur le fondement d’un programme électoral métropolitain clairement choisi par les électeurs.
La seconde méthode, qui peut être complémentaire de la première, consiste à donner à une institution la possibilité de mettre en œuvre un projet politique métropolitain clairement choisi par les électeurs : c’est le modèle des collectivités à statut particulier, qui peuvent être dotées de compétences accrues par rapport aux collectivités de droit commun, voire issues de la fusion de deux échelons.
Une collectivité est administrée par une assemblée élue au suffrage universel direct. Cette assemblée a sa propre légitimité dans l’hypothèse d’un scrutin de liste dans une circonscription unique. Elle peut se prévaloir de la claire validation par les électeurs du programme qu’elle met en œuvre.
Pour reprendre votre expression, monsieur le sénateur, les différents projets territoriaux portés par les diverses tendances politiques seraient périodiquement soumis aux électeurs qui choisiraient leur destin commun.
Il faut cependant être clair : une telle collectivité ne ressemblerait en aucune manière à une métropole des maires, ou à une métropole à un autre échelon, ni à une communauté de départements. Elle serait, comme vous l’indiquez, dissociée des autres collectivités dans le respect du principe de non-tutelle.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne, ne peut malheureusement pas être présent aujourd’hui. Il m’a donc demandé de bien vouloir lire sa question, ce que je vais faire avec un accent plus méridional que celui que l’on entend dans son territoire du Hurepoix. (Rires. – Mme Françoise Gatel, MM. Philippe Pemezec et Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)
Je donne donc lecture de sa question :
« À l’époque, la création de la métropole du Grand Paris avait déjà suscité de vifs débats sur la pertinence d’un nouvel échelon administratif et politique dans le millefeuille préexistant en Île-de-France.
« La création de ce nouvel échelon devait d’ailleurs s’inscrire dans une réflexion nécessaire, plus globale, sur la répartition des compétences entre la région, la ville de Paris, les départements de la petite et de la grande couronne avec leurs spécificités, les nouvelles intercommunalités issues de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation, la loi Maptam, et les communes.
« En 2014-2016, de nombreux élus de terrain de tous bords politiques avaient aussi alerté sur le risque d’une relégation des territoires les plus éloignés du centre de Paris à la suite de la création d’une hyperstructure telle que la MGP.
« Malheureusement, ces préoccupations se confirment aujourd’hui, car le rapport de force institutionnel déséquilibré conforte les inégalités territoriales au sein de notre région.
« Cette problématique est particulièrement frappante dans le domaine des transports, quand les collectivités de Paris et de la petite couronne accaparent une part disproportionnée des investissements publics, alors que le réseau RER est au bord de l’implosion.
« Pour rappel, ce sont bien les habitants de la grande couronne qui ont besoin de transports en commun de qualité pour éviter de se déplacer en voiture et répondre à l’urgence environnementale.
« Dans cette même logique, la création d’une zone à faible émission, décidée unilatéralement par la MGP pour limiter progressivement l’accès des véhicules dotés de moteurs diesel et essence à l’intérieur des frontières de l’autoroute A86, révèle un problème de gouvernance. Comment accepter de telles mesures qui pénalisent les habitants de la grande couronne ?
« Madame la ministre, ma question est simple : quelles réformes envisagez-vous pour rééquilibrer la gouvernance de la région Île-de-France et contribuer à réduire les inégalités au bénéfice de tous les Franciliens ? »
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. M. Léonhardt a raison : il faut sortir de la logique de réseau en étoile qui vise à faire passer tous les voyageurs par Paris. Vous parlez des Franciliens, mais on pourrait presque dire que cette problématique concerne les Français dans leur ensemble, puisque tel a longtemps été le cas.
Dans un rapport publié aujourd’hui, François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne, pointe le fait que les différents projets d’infrastructures de transport actuellement programmés desserviront principalement la première couronne. Je crois que nous pouvons nous en féliciter, parce que le besoin était évidemment criant.
Toutefois, celui-ci considère que cela n’est pas suffisant : il craint en effet que les inégalités ne s’accroissent entre habitants de la zone dense parisienne et de la deuxième couronne, alors même que ce sont ces derniers qui souffrent des conditions de transport les plus dégradées et les plus contraintes.
Je partage l’idée qu’il faut dépasser les clivages entre petite et grande couronne, zones denses et zones plus rurales. Tel est le sens des engagements de l’État, puisque, vous le savez, celui-ci s’est fortement engagé aux côtés de la région pour financer à hauteur de 1,4 milliard d’euros, dans le cadre du contrat de plan État-région, le CPER 2015-2020, le plan de mobilisation pour les transports.
L’auteur du rapport insiste également sur le potentiel que représente l’aménagement des routes franciliennes, avec des voies réservées pour les transports en commun.
À la suite des dispositions de la loi d’orientation des mobilités, la LOM, permettant l’expérimentation de voies réservées sur les routes, plusieurs expérimentations ont été lancées sur le réseau des routes nationales en Île-de-France et sont en cours.
L’engagement de l’État pour l’amélioration des mobilités dans l’ensemble de l’Île-de-France se traduit également par la réunion, vendredi prochain, sur l’initiative du préfet de l’Île-de-France, d’une conférence stratégique sur les mobilités routières.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Le fait métropolitain n’est pas nouveau. Il n’a pas non plus fallu attendre la création administrative d’une métropole pour qu’une métropole existe – on peut tous en convenir ici.
En revanche, depuis sa création institutionnelle, nous traînons la question du statut de la métropole du Grand Paris : c’est un sujet et un enjeu politique et démocratique majeur, mais il est confisqué, détourné et instrumentalisé.
Craignant le conflit de pensées sur l’avenir institutionnel de la MGP, nous avons encore reporté son schéma de financement lors de l’examen du dernier budget. Certains se plaisent à dire que l’on peut se contenter d’expliquer ce casse-tête repose par un manque de consensus entre l’ensemble des acteurs. C’est une formule consacrée, qui passe bien. D’ailleurs, vous l’avez quasiment utilisée, madame la ministre… (M. Jean-Raymond Hugonet rit.)
À nos yeux, la métropole est cependant un opérateur qui menace ses échelons départementaux et communaux. Or, eux se trouvent en première ligne et ont une grande proximité avec nos concitoyens.
Je pense en particulier aux communes, puisque ces dernières conservent la clause générale de compétence, ainsi qu’aux départements, qui, de par leurs prérogatives, constituent un pilier en matière de cohésion sociale et territoriale, autrement dit aux deux échelons de proximité qui sont pleinement engagés grâce à leurs services et leurs agents publics locaux.
M. Philippe Pemezec. Très bien !
M. Pascal Savoldelli. Nous voulons sortir de cet imbroglio, de cette sorte de séparatisme métropolitain « métropolisé », qui ne trouve pas sa place dans le schéma territorial historique, car il est déconnecté des besoins des Franciliens et en apesanteur.
Madame la ministre, je ne sais pas si vous êtes d’accord, mais le mythe de l’utilité des fusions qui réduiraient les coûts a vraiment vécu. Si la métropolisation est une réalité que le redécoupage des régions a favorisée et installée, le fossé créé entre cette institution et nos administrés renforce une crise démocratique déjà manifeste dans notre pays.
Aux projets élaborés d’en haut, nous préférons fédérer de manière ascendante, en faisant de la réponse aux besoins l’ambition partagée de chaque échelon institutionnel. Face à l’impossibilité de la gouvernance d’un espace regroupant 131 communes, ne pensez-vous pas qu’il faudrait repenser cet échelon sous la forme d’une coopération polycentrique, d’un espace de coordination légitime, puisque désiré, n’effaçant ni les départements ni le bloc communal ?
M. le président. Merci, mon cher collègue : votre temps de parole étant terminé, c’était votre conclusion ! (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je me souviens bien de cette question, puisque je siégeais sur ces travées quand on l’a abordée, notamment lorsque l’on a débattu de la disparition des départements ; j’ai compris que, au-delà ce que vous évoquiez, vous aviez en tête cet épisode. Dans l’esprit de certains, cela était et cela reste d’ailleurs une solution à explorer.
Cela étant, ce que vous décrivez correspond au fond à la troisième famille de scénarios que je mentionnais tout à l’heure, c’est-à-dire celle qui fait entrer les institutions de la région capitale dans le droit commun, en prévoyant d’octroyer le statut d’EPCI à fiscalité propre aux EPT, et non plus à la MGP.
M. Philippe Dallier. C’est l’anti-métropole, en somme !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je ne sais pas si c’est exactement ce que vous vouliez dire lorsque vous avez affirmé que vous vouliez « fédérer de manière ascendante », mais cela y ressemble assez.
Au fond, la MGP serait alors réduite à un syndicat mixte de la zone dense réunissant autant que de besoin Paris, les EPT, les départements de la petite couronne et la région Île-de-France. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre dans votre proposition.
Ces scénarios ont évidemment des variantes, mais ils peuvent être une première étape permettant d’envisager plus sereinement une réforme institutionnelle plus ample.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Paul Delouvrier disposait d’un droit exorbitant du droit commun, de leviers puissants, de prérogatives de puissance publique et des outils qu’étaient les opérations d’intérêt national ou les projets d’intérêt général, ainsi évidemment que des moyens d’investir, notamment à l’époque dans les transports, ce qui permettait d’aboutir à un certain équilibre.
Par la suite, nous avons continué à produire des logements, à densifier, y compris en grande couronne, tandis que la logique d’investissement structurant à l’échelon de la région n’a pas suivi.
Aujourd’hui, ces instruments ne sont plus dans l’air du temps, et les élus des territoires sont les plus légitimes pour faire des propositions. Néanmoins, on voit bien que leur enthousiasme est assez modéré après cinq ans de réformes – je pense aux lois NOTRe et Maptam, qui nous ont tous bien occupés –, particulièrement dans l’unité urbaine de Paris.
Le consensus parmi les élus sur les solutions à apporter aux problèmes constatés de manière consensuelle est aussi assez relatif. On sent bien par ailleurs que l’intérêt de nos concitoyens pour cette réforme institutionnelle est également assez limité.
La campagne des régionales permettra-t-elle de faire avancer le sujet ? Je n’en suis pas certain : on voit bien que le projet n’est pas mûr.
Cela nous interdit-il pour autant d’envisager rapidement, faute de consensus sur la réforme institutionnelle, un outil assez souple qui nous permette de dégager quelques objectifs, un calendrier, des pistes de financement, et pourquoi pas un contrat régional d’intérêt national permettant de fédérer et de répondre aux attentes de nos concitoyens franciliens, et pas seulement en petite couronne, en matière d’investissements nécessaires à leur qualité de vie au quotidien ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Arnaud de Belenet, je suis d’accord avec vous. Ce qui est essentiel, bien sûr, c’est de répondre aux besoins de nos concitoyens. Il faut éviter de nous perdre dans des débats institutionnels, donc essayer d’avancer sur les projets ; c’est en gros ce que vous dites, si j’ai bien compris.
Je sais la sensibilité qui est la vôtre en tant que sénateur de la Seine-et-Marne. Je rappelle que votre département représente 50 % de la superficie totale de l’Île-de-France. Il est pleinement intégré dans son bassin de vie (M. Vincent Éblé fait un signe de dénégation.), avec des mouvements pendulaires très importants, mais aussi – je me permets de le dire sans faire de l’humour –, avec les inondations qui menacent le bassin parisien.
De plus, la Seine-et-Marne comprend des territoires absolument stratégiques pour la vie de la métropole : Val d’Europe, Eurodisney, sites universitaires, etc. On voit bien qu’elle fait partie de ce grand ensemble.
D’ailleurs, le département de la Seine-et-Marne, je tiens à le dire, siège au conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités ou au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris, par exemple.
Les schémas régionaux comme le schéma régional de l’habitat et de l’hébergement incluent naturellement la Seine-et-Marne. Les outils pour travailler sur les projets existent donc. La Seine-et-Marne est par exemple pleinement intégrée dans les projets de modernisation des infrastructures de transport, comme celui de l’électrification de la ligne ferroviaire 4.
L’État a également veillé à ce que le département soit pleinement partie prenante des échanges sur la programmation des chantiers de l’axe nord,…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … dans le cadre des travaux de modernisation du RER B et de la construction de la ligne Charles-de-Gaulle Express.
En résumé, des choses existent déjà, mais il faut amplifier le mouvement !
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour la réplique.
M. Arnaud de Belenet. Je profite des quelques secondes qu’il me reste pour affirmer ici que la création de richesses, de valeur, d’emplois en Île-de-France et pour la métropole du Grand Paris peut passer par la grande couronne, grâce à quelques investissements.
Il existe de nombreux potentiels de développement en grande couronne, qui sont singuliers et nécessaires à la métropole urbaine et dense. Je me tiens à la disposition de chacun pour en suggérer quelques-uns.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Je formulerai un constat, une remarque et deux questions.
Tout d’abord, je constate que, si nous sommes ici ce soir, c’est parce que le candidat Macron, qui se présentait comme un réformateur de l’architecture institutionnelle en Île-de-France, est finalement devenu un président assez conservateur, sinon silencieux.
M. Philippe Dallier. Il a beaucoup changé, en effet ! (Sourires.)
M. Rachid Temal. Je fais donc le constat d’une sorte d’immobilisme du Président de la République : ce quinquennat n’aura servi à rien pour notre région, si j’en crois vos déclarations de ce soir, madame la ministre.
En tant qu’élu de la grande couronne, je m’intéresse à la fois à la métropole et à la région. Aujourd’hui, je remarque qu’il faudrait dépasser le clivage entre le fait métropolitain et le fait régional.
Quand on vous entend nous présenter vos trois scénarios, quand on s’intéresse à vos différentes interventions, madame la ministre, on a le sentiment que vous oubliez que la moitié des 12 millions de Franciliens vivent dans les quatre départements de la grande couronne. Il ne faudrait pas que votre volonté de densifier et de créer de la valeur ajoutée au sein de la métropole se fasse au détriment de ces habitants.
D’où mes questions, madame la ministre : que proposez-vous dans vos scénarios pour la grande couronne ? Comment envisagez-vous de favoriser un rééquilibrage en matière d’investissements et de création de richesses, d’emploi et de logement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous dire que les problèmes n’ont pas commencé avec Emmanuel Macron. (Exclamations.)
M. Philippe Pemezec. C’est vrai !
M. Philippe Dallier. Nous sommes d’accord !
M. Rachid Temal. Et alors ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il n’est pas le seul responsable de l’évolution de la situation de la métropole.
M. Rachid Temal. Peut-être, mais vous n’avez rien fait en cinq ans !
M. Philippe Pemezec. Les responsables, ce sont plutôt vos amis, monsieur Temal !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par ailleurs, j’ai participé de très près aux discussions qui ont eu lieu sur le sujet, que ce soit ici, au Sénat, ou au sein de ce gouvernement. Or il n’y a jamais eu de consensus parmi les élus.
M. Philippe Dallier. C’est impossible !
M. Vincent Éblé. Vous attendez donc le consensus ? Vous pouvez attendre longtemps !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Nous avons essayé, mais nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord.
Bien entendu, nous pensons aussi aux citoyens de la grande couronne. D’ailleurs, parmi les propositions que j’ai formulées, certaines englobent la grande couronne.
M. Rachid Temal. Lesquelles ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Au demeurant, tout ce que j’ai dit ce soir n’est que le reflet des principales propositions mises en avant. Il ne s’agit pas du projet du Gouvernement, mais des suggestions dont nous entendons parler.
Enfin, il existe des syndicats, beaucoup de syndicats ! Vous parlez des déchets : je connais des syndicats dont le rayon d’action dépasse les frontières des intercommunalités de la petite couronne, intervenant parfois jusqu’en grande couronne. On observe aujourd’hui fréquemment une superposition des structures institutionnelles sur ce territoire. C’est pourquoi il importe de simplifier l’ensemble. Et pour ce faire, il faut que tout le monde s’y mette.
Pour finir, monsieur le sénateur, je me souviens d’un texte qui était reparti d’ici, au Sénat, sans aucune proposition à l’intérieur. Peut-être vous en souvenez-vous ? (M. Philippe Dallier acquiesce.)
Vous le voyez, tout n’est pas si simple. Cessons donc de nous accuser les uns les autres et essayons de construire !
M. Julien Bargeton. Bravo !
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Je suis très étonné de votre ton, madame la ministre, car la réalité que j’évoque est factuelle.
J’ai bien compris que, avec les partisans du macronisme, tout est toujours très simple : quand cela va bien, c’est grâce à eux. Quand cela ne va pas, c’est la faute des autres ! (Protestations sur les travées du groupe RDPI. – Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Je dis simplement que le Président de la République portait des projets ambitieux. Or, trois ou quatre ans plus tard, il n’en reste rien. Ce constat étant factuel, il est inutile de s’énerver. Chacun doit pouvoir défendre sa position.
Par ailleurs, vous nous dites que, puisqu’il n’existe aucun consensus, il faut patienter. Je ne sais pas ce que vous attendez, parce qu’il n’y en aura jamais de toute façon ! Il aurait peut-être été agréable ou souhaitable que vous formuliez une proposition au cours de ce débat.
M. Julien Bargeton. Dès que l’on propose quelque chose, on est immédiatement attaqué !
M. Rachid Temal. Le Parlement aurait alors pu jouer son rôle. Vous auriez ainsi obligé le Parlement à avancer. Sinon, c’est l’Arlésienne ! Comme personne ne veut bouger, nous serons encore à nous demander comment progresser lors de la prochaine élection présidentielle.
J’ajoute, madame la ministre, que je n’ai toujours pas entendu vos propositions concrètes pour les habitants de la grande couronne, notamment dans le Val d’Oise.
M. Julien Bargeton. Cela n’a rien à voir avec la métropole !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Pour compléter l’excellent exposé de ma collègue Lavarde, je dirai que, depuis que la Ve République existe, tous les Présidents de la République ont apporté leur contribution et une attention particulière à la région Île-de-France et à la capitale : le général de Gaulle, comme certains l’ont souligné ; Valéry Giscard d’Estaing, en donnant un maire à Paris ; François Mitterrand, en associant les villes de Paris, Lyon et Marseille ; Jacques Chirac, sous la forme d’une contribution locale ; Georges Pompidou, dans le domaine culturel.
Le président Macron avait bien commencé, en présentant une feuille de route et en prononçant un discours dans lequel il nous disait qu’il verrait chacune et chacun d’entre nous, qu’il travaillerait avec le Premier ministre, que l’organisation actuelle de notre région était trop complexe, néfaste, non institutionnelle et déstructurée, qu’une compétition internationale était prévue et qu’il était par conséquent important d’agir.
Ce discours date de quelques mois après son élection. J’aimerais savoir qui travaille avec le Président de la République aujourd’hui ! Il dit travailler avec le Premier ministre, mais nous avons changé de Premier ministre et nous n’avons toujours pas les réponses à nos questions.
Il a aussi déclaré qu’il rencontrerait des personnalités, mais lesquelles ? En trois ans, quand s’est-il exprimé sur la région capitale, sur le sort de Paris et sur tous les problèmes qui s’y posent ?
Vous nous proposez des solutions, madame la ministre. En réalité, je plains votre situation, parce que nous avons compris que nous ne parlons pas de l’avenir de la métropole du Grand Paris.
Vous évoquez trois solutions, autrement dit vous n’en avez aucune ! Après trois années de législature, vous auriez pourtant pu égrener un chapelet de propositions. Or on voit bien, au travers de ces trois scénarios, qu’aucun travail n’a vraiment été accompli et qu’aucune réflexion n’a été menée. Je dirais même que vous n’avez manifesté aucun intérêt pour la région francilienne.
Je reviens donc sur la question de Philippe Dallier : quel est votre agenda ? Et qui travaille sur ce sujet ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Dominati, j’ai déjà répondu au sujet du calendrier. Je n’y reviendrai donc pas.
Le Président de la République reçoit et consulte évidemment les grands élus. Je ne vous citerai que quelques noms – pas tous –, ne serait-ce que parce que je ne connais pas tous ceux qu’il rencontre.
Ainsi, il aborde régulièrement le sujet qui nous intéresse avec la présidente de la région, Valérie Pécresse, avec Patrick Ollier et avec les présidents des départements de la petite couronne, ainsi qu’avec ceux de la grande couronne. Il rencontre également certains maires.
Après que le préfet Cadot a rendu ses propositions, le Président de la République a pensé que la question institutionnelle n’était sûrement pas la bonne porte d’entrée pour parvenir à une solution équilibrée pour Paris. Il en est sûrement arrivé à l’idée que c’était par le biais des projets qu’il fallait construire la future métropole du Grand Paris.
J’ai tâché d’exposer le plus précisément possible la philosophie et les idées qu’essaie de diffuser le Président de la République aujourd’hui. Cela étant, je le reconnais, nous n’avons encore fixé aucun calendrier s’agissant des réponses législatives nécessaires à la métropole du Grand Paris.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour la réplique.
M. Philippe Dominati. Madame la ministre, vous avez malheureusement confirmé la tonalité du débat.
En réalité, le Président de la République ne s’intéresse pas tellement à la région capitale. On l’a d’ailleurs vu aux élections municipales à Paris avec les deux candidats de la majorité : aucun portage politique, pas de projection, pas de gouvernance pour incarner ce projet métropolitain.
Emmanuel Macron est le seul Président de la République, depuis 1958, à n’attacher aucune importance à ce qui représente un tiers de l’économie de notre pays ; on peut en effet s’intéresser à cette région pour d’autres raisons que le problème institutionnel.
Nous souhaiterions avoir des solutions ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Même si ce n’est pas la règle, madame la ministre, je vous donne la parole pour trente secondes supplémentaires.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Dominati, je voudrais tout de même vous dire que la métropole du Grand Paris existe bel et bien et qu’elle a des élus.
M. Philippe Dominati. Elle ne marche pas !
M. Rachid Temal. Nous sommes rassurés, alors ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … mais simplement qu’il y existait des élus métropolitains.
On ne peut pas toujours tout faire reposer sur les autres : à un moment, il faudrait que ceux qui siègent à la métropole du Grand Paris prennent position.
M. Philippe Dominati. C’est le rôle du Président de la République !
M. Julien Bargeton. Et vous, quelle est votre position ?
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Au début de ce quinquennat, le Président de la République annonçait vouloir réformer le Grand Paris en cent jours. Il s’agissait d’une priorité… À plusieurs reprises, un discours-programme nous a été annoncé et, à plusieurs reprises, il a été reporté. Puis, comme l’écrivait Louis XVI dans son journal à la date du 14 juillet 1789, rien !
M. Julien Bargeton. Mais que proposez-vous ?
M. Vincent Éblé. En un sens, ne rien faire quand on ne sait que faire n’est pas la plus mauvaise option.
En revanche, ne rien faire après avoir annoncé une réforme rapide et affirmer qu’un échelon du système territorial du Grand Paris devait disparaître, puis laisser entendre que cet échelon serait le département, et laisser penser que la région serait le bon échelon pour faire fonctionner la métropole du Grand Paris, tout en demandant à cette dernière de prendre davantage de responsabilités, notamment en matière de qualité de l’air, de lutte contre les inondations – c’est d’actualité ! – ou de relance économique constitue sans doute une très mauvaise option et traduit une pratique du pouvoir totalement délétère pour l’action publique.
Pour agir, les institutions ont besoin de temps et de stabilité. Or, par votre volontarisme sans dessein et votre ardeur réformatrice dépourvue de contenu, vous avez mis la métropole du Grand Paris en attente ; vous l’avez enfoncée dans l’instabilité. (M. Julien Bargeton proteste.)
Est-ce le bon jour ou le bon endroit pour réformer ? Peut-être le bon moment est-il passé ? Que faire en attendant ? « Allons-y », dit l’un et, finalement, il ne bouge pas. Comme l’a fait Beckett pour ces deux héros, nous pourrions ainsi résumer votre action pour la métropole du Grand Paris.
Ce théâtre d’ombres serait comique s’il n’était joué au mépris des besoins des habitants de la région et du pays, dont la métropole est le cœur battant politique et économique.
Les liens de la Seine-et-Marne et du Grand Paris et ceux de l’ensemble de la grande couronne sont trop forts et trop essentiels pour que nous ne nous alarmions pas, au-delà des frontières de la métropole du Grand Paris, de cette situation préjudiciable au développement de toute la région et du pays.
Alors que tous les acteurs s’accordent à dire qu’une réforme était nécessaire, vous n’avez pas su rassembler. Pouvez-vous, madame la ministre, nous expliquer les raisons de cet activisme immobile ?
M. Julien Bargeton. Et vous, quelle est votre position ? Êtes-vous pour plus ou moins de métropole ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur Éblé, j’entends très bien ce que vous dites, mais je voudrais tout de même vous rappeler que la métropole du Grand Paris est née ici.
Vous en avez voté le principe, avant de rendre une feuille blanche à l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi Maptam. Ensuite, les députés ont voté un schéma, qui ne faisait évidemment pas consensus. Puis, des débats à n’en plus finir ont eu lieu lors de l’examen de la loi NOTRe ; nous étions un certain nombre à être présents.
Je ne puis donc pas vous laisser dire qu’un choix extrêmement clair a été fait ou qu’une construction tout à fait limpide a été décidée par les précédents gouvernements : si nous en sommes là et si cela ne fonctionne pas, c’est que l’on n’est jamais parvenu à prendre des mesures claires depuis 2010 et la première loi votée à ce sujet. Et je n’accuse personne.
M. Rachid Temal. Mais non ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Nous ne sommes pas parvenus à élaborer un schéma assez clair, soit. Il faut désormais essayer de sortir par le haut de cette affaire.
M. Rachid Temal. Présentez une loi !
M. Rachid Temal. C’est vous qui êtes au Gouvernement ! (Mme Françoise Gatel proteste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec.
M. Philippe Pemezec. Il était une fois un vieux pays, dont l’administration territoriale s’appuyait sur trois strates : la commune, le département et la région.
Pendant deux siècles, cela a plutôt bien fonctionné, jusqu’au jour où nos technocrates se sont emparés du problème et ont voulu le simplifier – doux euphémisme, puisqu’ils ont ajouté deux strates : l’intercommunalité et la métropolisation. Depuis lors, nous, les élus, déployons une énergie folle pour tenter de réduire ce millefeuille indigeste !
Rendez-vous compte, mes chers collègues, de ce que nous vivons en région Île-de-France : une ville-centre, Paris, ignorant les communes qui l’entourent ; une métropole qui prétend à des fonctions stratégiques, mais qui n’inclut pas le neuvième aéroport mondial, ni le plateau de Saclay, un des plus grands centres de recherche au monde ; à l’intérieur, des maires étouffant sous quatre couches d’administration et ayant perdu ce qui faisait le cœur de leur métier, à savoir répondre aux aspirations quotidiennes de leurs habitants.
Aussi, madame la ministre, ne cherchez plus ! Je vous amène, avec humilité, la solution ! Ce qu’il faut faire, c’est supprimer une couche – et même, rêvons un peu, deux couches –, pour redonner de l’air aux communes.
Pour cela, on fusionnerait la métropole et la région en une région métropolitaine, qui conserverait toutes les fonctions stratégiques d’une métropole mondiale, avec, évidemment, schéma de cohérence pour les transports et compétences en matière de développement économique. La disparition de l’actuelle métropole entraînerait de facto celle des établissements publics territoriaux de la petite couronne, qui ne servent pas à grand-chose.
Là où l’on entre dans le domaine du rêve, madame la ministre, c’est sur le point suivant : pourrait-on, pour une fois, faire confiance aux maires et laisser aux communes le libre choix de leur organisation ?
Certaines pourraient fusionner pour constituer des communes nouvelles ; d’autres pourraient poursuivre leur démarche de fusion – je pense à l’établissement Grand Paris Seine Ouest, le GPSO, autour de la ville de Boulogne-Billancourt ; d’autres pourraient retrouver leur liberté d’action, parce qu’elles ont la taille et la compétence nécessaires pour assumer toutes les fonctions essentielles, notamment l’aménagement urbain et l’urbanisme.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que notre région capitale mérite d’accéder, enfin, au rang de grande métropole mondiale, en changeant de statut et de taille ?
Par ailleurs, ne serait-il pas temps d’offrir aux maires de la première couronne un véritable choix d’organisation et la possibilité de retrouver une vraie liberté, au service de leurs administrés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le moins que l’on puisse dire, monsieur Pemezec, c’est que votre proposition a le mérite d’être claire !
Si j’ai bien compris, vous fusionnez la métropole avec la région pour créer un ensemble ayant, bien évidemment, les compétences de la région et certaines compétences en matière d’aménagement du territoire, puis vous maintenez comme seul échelon subsistant les communes.
M. Philippe Pemezec. Et les départements !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. D’accord ! Vous maintenez donc les départements et les communes. Il n’y a plus d’intercommunalités, mais vous jouez sur les fusions de communes, pour qu’émergent éventuellement des communes nouvelles. Ai-je bien compris ?
M. Philippe Pemezec. Je suis pour libre administration des communes, madame la ministre !
Mme Christine Lavarde. Ce serait au choix des maires !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. C’est une proposition claire et intéressante, qu’il faut verser au débat. Je l’enregistre comme telle.
Cela étant – je vous livre un avis personnel –, quand je siégeais dans cet hémicycle, je me suis toujours demandé pourquoi on avait fait de Paris un cas particulier aussi longtemps. Quand on discutait de l’intercommunalité, cela devait s’appliquer partout en France, sauf à Paris. À mon sens, cela a été une erreur stratégique très importante des gouvernements successifs.
M. Philippe Dominati. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si l’on avait envisagé des intercommunalités comme pour le reste du territoire – intercommunalités qui se sont d’ailleurs souvent construites de manière volontaire au début, peut-être moins ensuite –, on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais, à nouveau, c’est un avis tout à fait personnel.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Pour cette seconde intervention, j’ai le privilège de représenter ma collègue Céline Boulay-Espéronnier, qui, sur avis médical, a été précipitamment mise à l’écart du débat cet après-midi.
Ma collègue souhaitait évoquer trois points, madame la ministre : la situation de la place financière de Paris ; la sécurité en Île-de-France, où le périmètre de la préfecture de police et celui de la métropole du Grand Paris ne correspondent pas ; enfin, l’anarchie qui règne dans l’organisation des transports franciliens, avec ce statut hybride un peu particulier et la place des sociétés nationales de transport – on vient d’en voir un avatar avec l’appel d’offres impliquant Alstom et Bombardier.
Dans ces trois domaines, les Franciliens connaissent des difficultés, lesquelles sont liées, dirai-je, à la permanence d’un ancien système régalien, jacobin, où l’État entend tout décider, au détriment des élus et de la décentralisation.
La place financière de Paris constitue un sujet important, car, depuis la sortie de Londres de l’Union européenne, c’est la seule place financière européenne qui peut rivaliser avec Francfort. Or, sur ce sujet, pas de discours, pas de projet, pas d’ambition !
L’insécurité à Paris, tous les Parisiens la vivent. Ils ont désormais l’habitude de voir la police nationale occupée par d’autres missions, certes nécessaires, mais différentes de celles qui sont strictement liées à la capitale, de sorte que toutes les forces politiques locales ont dû admettre la nécessité d’une police municipale. Il faut adapter le périmètre de la préfecture de police à celui de la métropole du Grand Paris : il est anormal, par exemple, que les prérogatives du préfet de police ne s’appliquent pas à une ville comme Argenteuil.
Telles sont les questions, madame la ministre, que souhaitait vous poser Céline Boulay-Espéronnier.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Votre évocation de la plateforme financière de Paris, monsieur le sénateur Dominati, me rappelle les dernières conversations que j’ai eues avec Patrick Devedjian. Anticipant déjà le Brexit, il y voyait pour Paris une chance, peut-être historique, de développer son rôle de métropole attractive et financière.
Le rayonnement de Paris, il faut s’en rendre compte, ne se dément pas. Métropole la plus attractive d’Europe pour les investissements étrangers, elle est de très loin la plus riche de France. Elle concentre 30 % du produit intérieur brut national – mais il y a, je tiens à le dire, l’effet redistributif de la péréquation – et 40 % des activités de recherche et développement, avec, notamment, le pôle de Paris-Saclay.
Tout cela contribue à son positionnement avantageux sur le plan international. S’y ajoute un certain nombre de projets structurants, qui progressent bien, comme le Grand Paris Express ou la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Paris, métropole d’envergure, a donc une très grande puissance d’attraction pour le monde entier. Naturellement, j’en conviens avec vous, il faut renforcer cette dernière, mais, dans le même temps, il faut traiter les très grandes inégalités qui caractérisent ce territoire. Nous avons ces deux enjeux à relever de front.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. La création du Grand Paris est le résultat d’une juxtaposition de textes qui représentent un véritable cauchemar législatif, dont le dernier avatar a été la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
M. Jean-Raymond Hugonet. La multiplicité des strates, l’enchevêtrement des compétences, des financements et des circuits de décision débouchent sur un système totalement inefficace.
La complexité de la gouvernance de la métropole du Grand Paris contraste avec ses compétences limitées et exercées de manière croisée avec d’autres acteurs territoriaux, dont l’État. Son budget d’investissement – 50 millions d’euros – est lilliputien. Le périmètre territorial actuel, soit 7,3 millions d’habitants, ne correspond à aucune logique fonctionnelle.
La métropole est un Grand Paris de l’État, non un Grand Paris des élus et des citoyens.
Le déficit de légitimité démocratique et de notoriété auprès des citoyens a un effet dévastateur. Le dispositif ne répond ni à la diversité des territoires ni à leur identité, encore moins aux besoins de participation des élus et des habitants à la coconstruction des projets. Pourtant, jamais les enjeux n’ont été aussi importants ; jamais la complexité n’a été aussi forte.
Il y a donc une immense contradiction qu’il faut résoudre, faute de quoi la première région européenne perdra des batailles au plan international et au plan local.
Puisque vous êtes en responsabilité, madame la ministre, peut-on connaître votre position ? Voilà des lustres que l’on réfléchit à ces questions… Faudra-t-il attendre la création d’un énième comité Théodule de Franciliens tirés au sort pour avoir la réponse ?… (MM. Philippe Dallier et Rachid Temal s’esclaffent.)
M. Julien Bargeton. Bonne idée !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur Hugonet, je ne vois pas du tout le rapport avec la loi Engagement et proximité de décembre 2019…
M. Jean-Raymond Hugonet. Il y a pourtant des ramifications !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je puis vous assurer qu’aucune mesure concernant la métropole du Grand Paris ne figure dans ce texte, qui, d’ailleurs, je le dis en passant, est plutôt apprécié des élus locaux.
M. Jean-Raymond Hugonet. Nous ne rencontrons pas les mêmes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il faut aussi rappeler un point que j’ai déjà évoqué, car il est important : les élus de la métropole du Grand Paris ont raté certaines occasions, comme le Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement, qui n’a pas été réalisé, le schéma de cohérence territoriale métropolitain,…
M. Philippe Dallier. Il est en cours !
M. Philippe Dallier. Il y en a peu !
M. Philippe Pemezec. Laissez faire les communes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Même au sein de la métropole, on ne parvient pas à faire aboutir les dossiers. C’est un constat que, je crois, nous avons tous dressé au début de notre discussion.
Puisque vous me demandez mon avis, il me semble qu’il faut vraiment s’accrocher aux grands projets pour engager une réflexion pouvant aboutir à des changements institutionnels. On le voit bien, lorsqu’il s’agit de construire des équipements ou des moyens de transport en vue de l’accueil des jeux Olympiques, les choses se font ! Pourquoi ne pas procéder de même dans un cadre plus large et construire la métropole du Grand Paris à partir des projets ?
Je ne me prononcerai pas pour tel ou tel périmètre, monsieur Hugonet. Je vous dirai simplement : partons des projets, et réfléchissons ensuite à ce à quoi il semble le plus intelligent d’aboutir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Avec beaucoup de respect, madame la ministre : une fois encore, c’est trop court !
M. Jean-Raymond Hugonet. Vous êtes ministre du Gouvernement et, dans d’autres domaines, le Gouvernement sait parfaitement imposer des choses.
Qu’il commence par le dire : cette métropole est une singerie !
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Jean-Raymond Hugonet. Il y a la région Île-de-France, et il est évident que, sans la grande couronne, la métropole ne pourra jamais être efficace. Jamais ! Dites-le donc !
M. Philippe Pemezec. Bien sûr !
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Je vous écoute avec attention depuis une bonne heure, madame la ministre. Vous avez expliqué n’avoir pas de calendrier pour des réponses législatives. Or, aujourd’hui, un texte est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, porté par pratiquement tous les députés de votre majorité concernés par ce territoire. Le Gouvernement poussera-t-il son inscription à l’ordre du jour ?
Vous nous avez également dit qu’il était essentiel de répondre aux besoins de nos concitoyens, en évitant de se perdre dans des débats institutionnels.
Madame la ministre, allez-vous prendre certaines mesures de nature réglementaire, par exemple pour aligner les compétences des agents des communes limitrophes de la ville de Paris sur celles de ses propres agents ? Ainsi, l’on pourrait mettre un terme à certains phénomènes d’évitement au niveau du recrutement des personnels de la petite enfance ou faire en sorte que des agents de surveillance de la voie publique n’aient pas des compétences différentes d’une rue à l’autre.
Enfin, vous nous avez expliqué que la loi Engagement et proximité ne comprenait pas de mesures sur la métropole du Grand Paris. Mais c’est de la responsabilité du Gouvernement, madame la ministre, car nous avions porté des amendements de bon sens sur ce texte !
Les EPT, par exemple, ne peuvent pas créer de police intercommunale, car ils ne sont pas dotés de la fiscalité propre. Il aurait été possible de prévoir une exception, mais le ministre qui se trouvait à l’époque au banc du Gouvernement, M. Sébastien Lecornu, nous avait proposé d’attendre la loi dite « 3D », qui contiendrait un titre spécifique à la métropole du Grand Paris.
Je comprends aujourd’hui que, dans cette loi « 3D » devenue « 4D », il n’y aura rien sur la métropole du Grand Paris… Accepterez-vous donc, madame la ministre, que nous adoptions dans ce cadre des mesures de bon sens, permettant d’apporter des réponses à des problèmes du quotidien ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Voilà pourquoi il faut toujours être prudent quand on dit quelque chose, madame Lavarde… Ensuite, on vous le reproche ! (Sourires.)
M. Vincent Éblé. Quelle lucidité…
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Une proposition de loi a effectivement été déposée par des députés qui pensent, eux aussi, que les choses doivent bouger ; ce n’est pas parce qu’ils sont dans la majorité que cela doit les en empêcher. C’est aussi simple que cela !
Toutefois, il faut voir leur démarche comme celle qui a consisté, ce soir, à provoquer ce débat : il s’agit, si je puis dire, de faire avancer le schmilblick.
M. Philippe Dallier. Plutôt de le faire reculer !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En tout cas, de faire avancer le débat, cher Philippe Dallier.
Par ailleurs, même en l’absence de réformes d’ampleur, nous sommes toujours prêts à apporter des réponses. Nous n’avons pas cessé de le faire sur le plan financier, en faisant en sorte, chaque année, dans la loi de finances, de sauvegarder les équilibres entre les EPT et la métropole. Nous sommes bien sûr disposés à étudier toute évolution qui s’inscrirait sur le plan réglementaire, et non législatif.
Une police vient d’être créée à Paris, par exemple. Est-ce de cela que vous souhaitiez me parler, Mme Lavarde ?… Quoi qu’il en soit, nous reparlerons de tous les points dont vous souhaitiez m’entretenir.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Je vous ai bien entendue, madame la ministre, et je reviendrai donc avec mes problèmes précis, si j’en ai la possibilité, dans le cadre de l’examen de la loi « 4D ». Cette fois, vous ne me renverrez pas à un texte à venir !
En ce qui concerne les équilibres financiers, j’ai tout de même l’impression, à chaque projet de loi de finances, de devoir proposer, avec le soutien du Sénat, d’ailleurs, la correction de problèmes liés à une rédaction trop rapide, d’erreurs dans les calculs qui pénalisent certaines communes.
On me répond alors qu’il faut une réforme globale. En attendant, ces erreurs perdurent, la direction générale des collectivités locales les connaît et, pour autant, rien n’est fait !
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe auteur de la demande.
M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur ce qui fait manifestement consensus : la critique du modèle actuel. Nous sommes à peu près tous d’accord sur le fait que les choses ne peuvent rester en l’état !
Je vais plutôt essayer, et c’est ce sur quoi je travaille avec Didier Rambaud pour la délégation aux collectivités territoriales – nous rendrons un rapport sur ce sujet en mars prochain –, de vous proposer une méthode pour avancer.
Quelles sont les questions qui structurent le débat ? Vous en avez énuméré un certain nombre, madame la ministre.
Quel doit être le périmètre ? Cette question, je crois, se résume aujourd’hui à choisir entre la métropole actuelle ou la région – à un certain moment, on parlait de l’aire urbaine, totalisant 10 millions d’habitants sur les 12 millions que compte la région, mais ce n’est plus d’actualité.
Quelle doit être la nature de la métropole, et comment les conseillers métropolitains doivent-ils être élus ?
La situation actuelle est celle d’une métropole des maires, comptant 131 maires. Imaginez-vous, mes chers collègues, que l’on puisse envisager un tel fonctionnement dans une métropole-région qui compterait plus de 1 200 maires ? Non ! Il faudrait alors – que les choses soient claires – un mode d’élection différent, à la proportionnelle.
Quel peut être le statut de la métropole ? Faut-il en rester à un établissement public de coopération intercommunale, ou EPCI, à statut particulier, comme c’est le cas aujourd’hui, ou opter pour une collectivité à statut particulier, à l’image de la métropole de Lyon ? On n’en parle pas assez, de cette métropole de Lyon, qui s’est substituée à la communauté urbaine, mais également au département du Rhône…
On pourrait ainsi imaginer faire de la métropole du Grand Paris une sorte de « commune-département », un peu comme à Lyon, de « super-département », comme le préconisait mon rapport de 2008, ou alors de « super-région » avec un statut à inventer.
Certains ont proposé ce soir d’en faire un simple syndicat mixte, autrement dit un pôle métropolitain sans véritables moyens. Ayons le courage de le dire, mes chers collègues, cette thèse est celle de ceux qui ne veulent pas de métropole !
M. Laurent Lafon. Absolument !
M. Philippe Dallier. En effet, et je ne démordrai jamais de ce point-là, cette question est corrélée à celle du partage de la richesse fiscale. Avec un pôle métropolitain, il n’y a aucun partage !
Qui peut imaginer, ici, que nous réglions les problèmes de la métropole qui est la plus riche d’Europe et de France, mais aussi la plus inégalitaire, sans une mutualisation des moyens issus de cette richesse économique ?
M. Julien Bargeton. Et des compétences !
M. Philippe Dallier. Cette question du partage de la richesse économique est fondamentale, car, sans mutualisation des moyens budgétaires, il n’y aura pas de métropole. Ceux qui proposent des solutions du type « pôle métropolitain » – j’ai constaté avec effroi que c’était tout de même un peu le cas des députés En Marche à l’Assemblée nationale – doivent le dire clairement.
Enfin, il faut parler de la redistribution des compétences, que pratiquement personne n’a évoquée ce soir. C’est un sujet pourtant fondamental. On a ajouté deux couches au millefeuille – quelle erreur, mais c’est fait ! –, en discutant à peine de la redistribution des compétences. La problématique a été traitée entre ce qui est devenu le bloc communal – communes et EPT – et la métropole, mais les départements et la région sont restés à l’écart.
Or, si l’on veut penser un modèle pour les trente ans à venir, il faut repartir des compétences et voir, pour chacune d’entre elles, le périmètre qui convient pour l’exercer et les moyens budgétaires qu’il faut y consacrer.
Le triptyque « compétence, périmètre, moyens », telle est la bonne entrée dans le débat !
Sans cela, nous l’avons encore constaté avec Didier Rambaud lors de nos récentes auditions, tous les acteurs agissent de même – de nouveau, je ne vais pas le leur reprocher, car c’est humain, et j’aurais sans doute la même réaction à leur place. Les présidents de département défendent leur département, la présidente de région défend la région, les présidents des EPT défendent les EPT et les maires défendent les communes.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Philippe Dallier. Personne ne veut envisager de lâcher de bon cœur une partie de son pouvoir et, encore moins, de ses moyens. Là est le problème !
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons pas attendre que cela monte des territoires, comme je l’ai entendu si souvent. Rien ne montera des territoires, rien !
M. Julien Bargeton. Voilà !
M. Philippe Dallier. Si ce n’est, effectivement, la volonté de ne rien changer. Un peu comme Mme du Barry suppliait sur l’échafaud : « Encore un instant, monsieur le bourreau », on fera tout pour conserver sa richesse économique.
Alors que ce débat se termine, je dois dire, madame la ministre, que vous m’avez quelque peu perturbé.
Le Président de la République me semblait convaincu qu’il fallait une réforme de la gouvernance… Pour ma part, je suis convaincu qu’il n’y a pas de bons projets sans outils de gouvernance ! Qu’a fait le général de Gaulle en 1958 ? Il a doté la France d’un outil de gouvernance, la Ve République, et il a réformé le pays.
Je m’inquiète de vous entendre dire qu’il faut reprendre les choses par le projet. Non, madame la ministre ! En matière d’inégalités territoriales, les écarts sont immenses ; la Seine-Saint-Denis s’enfonce ; en dépit de la puissance de la région, la ségrégation territoriale progresse. Si nous voulons lutter contre toutes ces inégalités, pour le bien de la métropole et du pays, il nous faut une réforme de cette gouvernance !
M. Philippe Pemezec. Non !
M. Philippe Dallier. Il nous faut une véritable métropole ! (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de la Métropole du Grand Paris.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 10 février 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ;
Débat sur le thème : « Le fonctionnement des universités en temps covid et le malaise étudiant » ;
Débat sur le thème : « Respect des libertés publiques, protection de la vie privée : un nécessaire état des lieux des fichiers dans notre pays ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Les Indépendants - République et Territoires a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Franck Menonville est proclamé membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Pierre Médevielle, démissionnaire.
nomination d’un membre d’un office parlementaire
Le groupe Les Indépendants - République et Territoires a présenté une candidature pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pierre Médevielle est proclamé membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de M. Franck Menonville, démissionnaire.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER