M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.
Mme Nathalie Delattre. Les MNA représentent 15 % à 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Le coût de leur prise en charge est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an, bien plus qu’une radiographie osseuse, examen pourtant jugé fiable par certains spécialistes.
Il faut trouver le moyen de rendre ce test obligatoire, beaucoup de mineurs étant en réalité majeurs.
Vous avez cité le fichier AEM, monsieur le secrétaire d’État. J’ai aussi évoqué notre collaboration avec l’Espagne. Elle est assez lourde à mettre en place, mais beaucoup de mineurs en France sont déclarés majeurs en Espagne, où ils bénéficient de droits plus importants.
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le secrétaire d’État, après une dizaine d’années d’augmentation exponentielle du nombre de MNA accueillis dans nos départements, le nombre de jeunes mineurs étrangers semble se stabiliser. Il est temps maintenant de faire fonctionner correctement le système.
Les départements réclament de la cohérence entre les actions de chaque intervenant : la justice, l’État et les collectivités. Le système souffre en effet d’un parcours en deux étapes qui crée de fausses espérances pour les jeunes et des coûts indus importants pour les collectivités.
J’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur ce qui pourrait constituer une incohérence dans la mise en œuvre de notre politique publique.
La première étape consiste en un accueil du jeune par la protection de l’enfance. Le doute sur la minorité profite à l’intéressé et l’état civil est rarement reconstitué. Les jeunes bénéficient alors d’un système très généreux qui va les accueillir, les former et les accompagner pendant des mois, voire des années, sans se soucier de la suite de leur parcours.
La deuxième étape a lieu lors du passage à la majorité. En cas de doutes sérieux sur leur identité, les services de l’État peuvent alors leur refuser l’accès au séjour ou à la nationalité française et les reconduire à la frontière.
Il apparaît donc nécessaire de déterminer très rapidement, dès l’arrivée des MNA en France, leurs chances d’y séjourner durablement, avant qu’ils ne prennent racine dans notre pays sans espoir de pouvoir y rester. Nous avons évoqué le cas du jeune Traoré.
Le fichier AEM est très efficace. Il apporte toutes les garanties au jeune en matière de recours devant le juge des enfants. Son utilisation doit être généralisée à l’ensemble des départements.
Il est également nécessaire de déterminer très rapidement les chances des mineurs de rester durablement dans notre pays, en rendant obligatoire le dépôt anticipé d’une demande de titre de séjour six mois après leur arrivée, en mobilisant le réseau diplomatique pour obtenir des réponses plus fiables de la part des pays d’origine et en garantissant une réponse rapide des préfectures.
M. le président. Il faut conclure. Quelle est votre question ?
Mme Annick Jacquemet. Comment articuler le fichier AEM et une réponse plus rapide au niveau des préfectures ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. C’est tout le sens du fichier AEM, à partir duquel les services de la préfecture vont effectuer une recherche documentaire sur le jeune dans un certain nombre de bases, notamment celle des visas. Ce n’est pas toujours possible, néanmoins. Certains pays, comme le Mali, rencontrent des difficultés avec leurs registres d’état civil.
C’est aussi le sens de la circulaire du ministre de l’intérieur du 21 septembre 2020, qui vise à mieux anticiper le devenir du jeune à sa majorité. On a connu des situations ubuesques, où la procédure de régularisation était enclenchée à 18 ans. Pendant le temps de son instruction – deux à trois mois –, l’enfant n’avait plus de papiers. Le patron qui l’employait, pour ne pas se trouver dans l’illégalité, mettait fin à son contrat d’apprentissage, et le jeune ne pouvait plus prétendre à ses papiers…
Il faut donc anticiper à l’âge de 17 ans, en faisant cette recherche documentaire et en essayant de reconstituer l’état civil. Si, lors de cette procédure, on se rend compte que le jeune n’est manifestement pas mineur, on mettra fin à la prise en charge. Il pourra toutefois aller devant le juge pour contester la décision.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin. (Mme Michelle Meunier applaudit.)
Mme Victoire Jasmin. Je remercie le groupe Les Républicains d’avoir organisé ce débat, qui nous permet d’évoquer ce sujet épineux.
En raison de leur situation géographique particulière, les outre-mer reçoivent beaucoup de personnes en situation irrégulière, en particulier des mineurs.
Mon collègue a déjà évoqué la situation de Mayotte. En Guyane, c’est la catastrophe. À Saint-Laurent-du-Maroni, j’ai pu constater que le fleuve était régulièrement traversé et que les jeunes étaient utilisés pour transporter de la drogue.
Aux Antilles aussi, en Guadeloupe comme en Martinique, de nombreux enfants arrivent. Ils sont parfois confiés à des personnes avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté, ce qui les prive de tout droit.
Certains sont placés en centres de rétention en attendant leur renvoi vers leurs territoires d’origine. D’autres alimentent les réseaux de la prostitution et de la drogue et vivent dans des squats ou des zones de non-droit. C’est une triste réalité.
Monsieur le secrétaire d’État, il est temps que l’État prenne ses responsabilités et qu’il engage des discussions bilatérales pour inciter les États voisins à prendre également leurs responsabilités. On ne peut pas laisser des enfants dans des situations aussi dramatiques.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je ne reviendrai pas sur les problèmes de Mayotte, que nous avons déjà évoqués. La situation est également complexe en Guyane, où je me suis rendu l’an dernier. Beaucoup de mineurs, mais aussi de jeunes mères, traversent en effet le fleuve à Saint-Laurent-du-Maroni, en provenance du Surinam pour la plupart. Le Gouvernement mène une politique de coopération bilatérale avec le Surinam et le Brésil, tout comme il essaie de le faire avec les Comores s’agissant de Mayotte.
Soyons honnêtes, nous avons assez peu de données fiables sur les mineurs non accompagnés en Guyane. Parmi les populations très éloignées qui habitent en forêt amazonienne, les déclarations de naissance à l’état civil ne sont pas systématiques. Les cas d’enfants sans identité originaires d’Haïti ou du Brésil sont en revanche très rares. Il s’agit essentiellement d’enfants nés de mère surinamaise en Guyane. Pour les autorités surinamaises, ces enfants sont français, et nous ne pouvons pas expulser de mineurs de notre territoire, conformément à notre devoir de protection. Environ 1 500 enfants surinamais naissent en Guyane française chaque année, un tiers n’étant pas enregistrés à l’état civil du Surinam.
Il y a aussi la question de la prostitution et celle des « mules ». Ces jeunes désœuvrés sont en effet utilisés pour passer de la drogue. Les forces de police et les douanes ont intensifié leurs contrôles aux frontières à l’arrivée des vols en provenance de Paris, et le nombre de personnes arrêtées a augmenté.
M. le président. Je dois vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État. Nous avons déjà pris beaucoup de retard.
La parole est à M. Gilbert Favreau.
M. Gilbert Favreau. Monsieur le secrétaire d’État, je veux parler pour ma part du nombre de jeunes qui se trouvent en situation irrégulière en France. Ces jeunes majoritairement en provenance d’Afrique ou d’Asie ne sont pas mineurs pour la plupart, mais ils réussissent, souvent par des artifices juridiques, à prolonger le plus longtemps possible leur présence sur le sol national.
L’évaluation organisée par la France pour vérifier leur minorité montre que la plus grande partie de ces jeunes sont majeurs. Ils intentent généralement un recours en justice pour prolonger leur séjour. Qu’ils soient faux mineurs ou devenus majeurs, tous ces jeunes restent sur le territoire national, et c’est bien le vrai problème.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais aujourd’hui que vous nous donniez les chiffres du nombre de ces jeunes sur le territoire national. Je suis certain que l’on en dénombre des dizaines de milliers en situation irrégulière. À mon sens, l’État n’a jamais fait ce qu’il fallait, soit pour leur donner un statut légal – carte de séjour ou statut de réfugié –, soit pour leur signifier une obligation de quitter le territoire.
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, les départements ne sont pas en cause. Ils font leur possible pour trouver à ces jeunes, avant leur majorité, des contrats de jeunes majeurs lorsqu’ils peuvent en avoir.
M. le président. Il faut conclure.
M. Gilbert Favreau. Même si ces termes sont inappropriés pour un tel sujet, j’aimerais que l’on raisonne en stocks et en flux, et que l’on fasse enfin le calcul !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur Favreau, je suis ravi de vous retrouver ici au Sénat, après vous avoir rendu visite, pour évoquer un autre sujet, quand vous étiez président du conseil départemental des Deux-Sèvres.
Je n’ai jamais mis en cause les départements. J’ai dit que chacun avait sa part de responsabilités, et qu’il nous fallait agir ensemble pour mieux accompagner ces enfants.
En 2017 – je vais vous répondre « en flux et en stock », bien que ces termes soient malheureux –, 44 000 jeunes se sont déclarés mineurs non accompagnés pour être évalués, et 14 000 ont été reconnus comme tels ; en 2018, ils étaient 17 000 sur 51 000 ; en 2019, on en comptait 16 000 sur 36 000. Le taux d’acceptation est donc compris entre 30 % et 40 %.
Chaque année, environ 11 500 mineurs non accompagnés accèdent à la majorité, une grande partie d’entre eux étant arrivés sur notre territoire à l’âge de 15 ou 16 ans. En 2019, ce sont 5 630 titres de séjour qui ont été délivrés à des MNA et 400 ont été refusés.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le secrétaire d’État, évoquer un sujet aussi sensible et aussi sérieux oblige à parler avec générosité, gravité et lucidité.
Dans mon département, comme un peu partout en France, des jeunes arrivent de pays en guerre après avoir traversé mers et continents, parfois au péril de leur vie.
La plupart d’entre eux souhaitent travailler et envoyer de l’argent à leur famille. Mais la vérité oblige à dire qu’il y a aussi des filières mafieuses, qui causent un vrai problème d’ordre public et jettent le discrédit sur l’ensemble des mineurs non accompagnés. Dans l’Hérault, l’an dernier, 77 MNA ont été mis en cause dans 254 infractions. Systématiquement, quand ils passent devant la justice, ils sont remis en liberté à la charge du département, même lorsqu’ils sont jeunes majeurs.
Ma conviction, c’est que 90 % des MNA ne posent pas de problèmes. J’ai d’ailleurs l’honneur de parrainer un certain nombre de ces jeunes. L’un d’eux, un modèle d’intégration pour nous tous, a rejoint les Compagnons du devoir le 17 décembre dernier.
Il semblerait toutefois que l’État français ait quelques difficultés à reconduire à la frontière les 10 % de jeunes qui se comportent mal. Le pacte de Marrakech sur les migrations nous empêcherait ainsi de reconduire à la frontière de jeunes majeurs que leur pays d’origine ne veut pas recevoir.
M. le président. Il faut conclure.
M. Hussein Bourgi. Quelles réponses le Gouvernement peut-il apporter à cette situation particulièrement critique ? (Mme Victoire Jasmin, MM. Sébastien Meurant et Laurent Burgoa applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je l’évoquais dans mon propos introductif : ces trois lettres, MNA, masquent des parcours, des réalités et des motivations très différentes. Vous avez raison, monsieur le sénateur, une très grande majorité de ces jeunes sont là pour s’intégrer : ils se lèvent le matin, apprennent le français en six mois, intègrent des parcours professionnalisants. Certains patrons sont très contents de les employer et ils vont voir le président du conseil départemental ou le préfet pour qu’ils puissent rester en France.
Mais certains mineurs sont aussi victimes de la traite, ou eux-mêmes délinquants. Je vous remercie en tout cas de nous inciter à éviter les amalgames, monsieur Bourgi.
Sans vouloir stigmatiser le Maroc, il y a en effet certains jeunes issus de ce pays, généralement originaires de la même région, qui ne sont pas du tout en France pour s’intégrer. Ils sont soit majeurs, soit très jeunes, refusent tous les systèmes d’accompagnement et souffrent parfois de gros problèmes de santé, étant souvent polytoxicomanes et dépendants au Rivotril.
Le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux et certains juges se sont rendus au Maroc. Un travail conjoint a été mené avec les autorités marocaines pour élaborer, à droit constant, un schéma de procédure relatif à la prise en charge des mineurs non accompagnés respectueux des conventions de La Haye, et développer une coopération sur la décision et l’exécution du retour de ces mineurs au Maroc, selon leur situation. Je vous renvoie à la circulaire du 8 février 2021 pour plus de détails.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne.
M. Bernard Bonne. Monsieur le secrétaire d’État, les véritables mineurs non accompagnés ne le sont pas, ou mal, ou pas assez longtemps…
Leur prise en charge est un problème récurrent, d’une grande complexité. Et je ne parlerai pas des problèmes de financement ou d’évaluation de leur âge…
Certes, le dispositif actuel de l’ASE, qui place ces mineurs sous la responsabilité du président du conseil départemental, permet de répondre à leurs besoins vitaux, mais il ne permet pas toujours un accompagnement social débouchant sur une réelle intégration et insertion professionnelle.
Ainsi, depuis 2015, la proportion de jeunes de plus de 16 ans pris en charge mais non scolarisés a largement augmenté, malgré le souhait de la plupart d’entre eux de poursuivre leur formation afin de trouver un emploi.
Si certains mineurs non accompagnés nécessitent un suivi dans des structures de l’ASE de type MECS (maison d’enfants à caractère social) en raison de leur parcours chaotique, nombre d’entre eux pourraient intégrer des parcours de formation courts de type alternance ou apprentissage, afin de bénéficier d’une qualification et des compétences leur permettant d’être orientés vers des métiers en tension comme ceux du bâtiment et de l’industrie.
Toutefois, leur installation fréquente dans des structures hôtelières en raison de la saturation des structures d’hébergement adaptées ne facilite guère un tel suivi éducatif.
Nous savons que de bons résultats ont été enregistrés dans le cadre de la transposition à des mineurs non accompagnés du dispositif HOPE – hébergement, orientation, parcours vers l’emploi – mis en œuvre par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, si cette solution d’accueil dans des structures de type foyers pour jeunes travailleurs, tendant à l’insertion professionnelle de ces mineurs non accompagnés, se développe ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, nous mettons tout en œuvre pour que ce soit le cas.
Dans leur grande majorité, les mineurs non accompagnés s’inscrivent déjà dans des filières professionnalisantes, car ils y voient, non sans raison, le meilleur « passeport » pour une régularisation administrative à 18 ans.
En dépit des circonstances, l’apprentissage a augmenté de 15 % environ l’année dernière, les mineurs non accompagnés contribuant à nourrir cette croissance.
Pour l’ensemble des enfants de l’aide sociale, y compris les MNA, nous avons mis en place une démarche « d’aller vers », à travers un partenariat avec l’UNML. Les missions locales devront avoir une sorte de référent ASE dans chaque territoire pour proposer aux jeunes les dispositifs que nous avons déployés dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ».
Par ailleurs, nous travaillons aussi avec les associations qui gèrent les foyers de jeunes travailleurs pour augmenter le « quota » des jeunes provenant de l’ASE dans ces foyers, étant entendu que ces établissements ont aussi à cœur de préserver la diversité et la mixité des populations qu’ils hébergent.
Ces différentes mesures concourent à la réalisation de vos souhaits, monsieur le sénateur. Les progrès sont réels, avec également, en parallèle, le travail d’anticipation que nous menons sur la reconstruction des papiers d’identité et la régularisation administrative, pour éviter une rupture supplémentaire. Les jeunes de l’ASE, qu’ils soient MNA ou pas, ont connu des ruptures dans leur parcours de vie, souvent dramatiques. Tout l’enjeu est d’éviter que le système n’en produise de nouvelles.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Lorsque notre collègue Olivier Cigolotti dirigeait un foyer de jeunes travailleurs, nous avions créé des places supplémentaires, justement pour éviter qu’on ne confie ces jeunes à n’importe quelle structure. Avec un suivi social allégé, cela permettait aussi de réduire les coûts.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé de partage avec les départements. Je souscris à cette idée, mais 140 millions d’euros sur 2 milliards d’euros, ce n’est pas un partage très équitable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le secrétaire d’État, dans un rapport de la commission des affaires sociales paru en 2017, Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy mettaient en lumière la situation des mineurs non accompagnés, communément appelés, à tort, « mineurs isolés » – selon vos propres dires, 70 % d’entre eux sont majeurs.
Trois ans et demi plus tard, qu’en est-il, mes chers collègues ? Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation et des conditions parfois dramatiques dans lesquelles ces jeunes vivent ?
En 2011, dans mon département du Val-d’Oise, 65 mineurs ont été pris en charge par l’ASE, pour un coût de 3 millions d’euros. En 2019, ce sont 751 mineurs et 152 jeunes majeurs qui l’ont été, pour un coût de 43 millions d’euros. On relève aussi une augmentation de 50 % entre 2017 et 2019. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), en 2019, il y avait 40 000 MNA sur le territoire national, mais seulement 16 760 à en croire le ministère de la justice. Comment expliquer ce rapport de 1 à 2,5 ? Qui dit vrai ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez ignorer que les services de police sont débordés par les plaintes : des petits larcins jusqu’au crime commis en 2020 devant Charlie Hebdo par un « mineur » de 25 ans, victimes de filières organisées, souvent en bandes, ces jeunes squattent, volent et se droguent.
Les chiffres sont accablants : 10 000 interpellations dans l’agglomération parisienne en 2019, et les infractions explosent ! Qu’attendez-vous pour que la réponse judiciaire soit à la hauteur des préjudices moraux et financiers subis par des milliers de citoyens français ?
Bien souvent, l’absence de recours aux tests osseux conduit à abandonner les poursuites et à remettre en liberté des délinquants que la police qualifie de « mijeurs » : ils se disent mineurs, mais tout le monde sait qu’ils sont majeurs. Comment expliquez-vous que certains utilisent des dizaines de fausses identités et soient toujours dans la nature ?
Monsieur le secrétaire d’État, ce phénomène est grandissant et la réponse n’est pas à la hauteur. Il faut vraiment s’attaquer à la source du problème. Qu’en est-il ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, je pense n’avoir jamais nié la réalité de la situation, ni les difficultés que peuvent rencontrer un certain nombre de territoires et de jeunes. Mais je n’adhère pas à votre vision exclusivement catastrophiste.
Oui, il y a des dysfonctionnements. Il faut les mettre en lumière, les dénoncer et essayer d’y remédier. Mais il faut aussi dire que notre système protège des dizaines de milliers d’enfants chaque jour qui passe. C’est l’honneur de notre pays d’avoir un tel système, l’honneur des départements d’en assumer la responsabilité, l’honneur des travailleurs sociaux de s’occuper de ces jeunes.
Je ne pourrai pas répondre à tous les sujets que vous avez évoqués, et il me semble déjà avoir apporté quelques éléments. L’ADF estime la charge financière de la prise en charge des MNA à 2 milliards d’euros. Nous n’avons pas exactement les mêmes chiffres. Dans le Val-d’Oise, en 2019, 1 192 jeunes ont été évalués mineurs.
La réforme de la clé de répartition, à laquelle je m’étais engagé, a permis de retenir comme critère démographique la population générale, et non pas les seuls jeunes de moins de 19 ans présents sur le territoire. C’est la seule modification que l’on pouvait faire à droit constant. Il ne serait pas inutile selon moi de passer par la loi pour intégrer également des critères socioéconomiques.
Sur ce fondement, 421 mineurs non accompagnés évalués dans le Val-d’Oise ont été répartis dans d’autres départements en France. C’est l’un des moyens d’action que nous développons pour accompagner les collectivités.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le secrétaire d’État, laisser faire, c’est se rendre complice des trafics d’êtres humains.
Un mineur ne part pas tout seul du Pakistan en bateau. L’une des explications de cet afflux de jeunes qui se poursuit partout sur le territoire français, c’est la loi Collomb, qui permet d’élargir le regroupement familial. Faire passer un « mineur », c’est l’assurance, vous le savez très bien, de ne pas être expulsé, et de pouvoir ensuite faire venir sa famille.
En 2020, les Français, pourtant confinés aux frontières de leurs logements, ont accueilli 115 000 demandeurs d’asile, conséquence de votre incapacité à maîtriser les frontières.
Si les prétendus mineurs causent des problèmes pour certains, en Île-de-France, on estime que 60 % à 70 % des cambriolages sont dus aux MNA.
Mme Éliane Assassi. Nous voilà en plein délire…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le secrétaire d’État, la responsabilité des mineurs non accompagnés, qui sont souvent de jeunes migrants, est à la charge des départements. On constate que l’évaluation de la minorité est défaillante, cela a été dit à plusieurs reprises aujourd’hui.
Les conséquences sont importantes : cette fraude massive représente un coût exponentiel pour les budgets de la protection de l’enfance. En effet, l’État ne finance que la phase d’évaluation et de mise à l’abri sur une durée maximale de vingt-trois jours, alors que les mineurs non accompagnés sont confiés aux départements en moyenne au moins deux ans.
Pour la collectivité européenne d’Alsace, par exemple, où les mineurs non accompagnés viennent souvent des filières mafieuses des pays de l’Est, qui ne sont pas en guerre, mais où l’attractivité de la France est réelle, sur un budget de 20,3 millions d’euros consacrés aux mineurs non accompagnés, l’apport de l’État n’est que d’un demi-million d’euros, soit 2,5 % réellement compensés par l’État.
L’autre difficulté, c’est que nous sommes face non plus à des enfants, mais à de jeunes adultes, qui s’intègrent moins facilement à la culture française. Parce que leur insertion est plus compliquée, des phénomènes de violences, de drogues et d’addictions apparaissent dans les lieux d’accueil qui sont normalement réservés à l’enfance mineure isolée.
En milieu carcéral, les établissements pénitentiaires pour mineurs observent l’émergence d’un phénomène nouveau. La violence explose ; les personnels des lieux d’incarcération pour les mineurs l’affirment : huit mineurs sur dix sont en fait majeurs.
Pour sortir de cet engrenage, seul un système d’évaluation de l’âge, avec des tests osseux, que l’on a déjà évoqués, médical, centralisé, et contrôlé permettrait aux départements de revenir à leur vraie mission, celle de l’accompagnement et de l’insertion de ces jeunes de moins de 18 ans.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question est la suivante : au lieu de prendre le problème à la source, pour éviter aux départements d’avoir à gérer des faux mineurs illégaux qui leur coûtent très cher, pourquoi votre futur projet de loi s’attache-t-il surtout à contrôler l’action sociale des départements par les préfets ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, je pense que vous pouvez faire confiance au président de votre département, Frédéric Bierry, avec lequel je parle depuis deux ans, très régulièrement, parce que, outre le fait que nous nous apprécions à titre personnel, outre le fait que nous partageons une certaine vision de la protection de l’enfance précaire, c’est un président engagé à titre personnel.
J’ai compris avec lui que l’orientation et l’implication d’un département dans la protection de l’enfance étaient aussi liées à l’histoire. Je crois que c’est le cas dans le Bas-Rhin, notamment s’agissant d’une longue tradition de recours aux assistantes familiales, que je salue à cette occasion.
N’ayez pas d’inquiétude : Frédéric Bierry, vice-président de l’Assemblée des départements de France, président de la commission sociale, veillera à ce que la réforme que j’évoquais tout à l’heure ne conduise pas à un contrôle par les préfets de l’action sociale des départements. Ce n’est pas du tout mon intention et cela n’aurait pas de sens, me semble-t-il.
Vous affirmez que les mineurs viennent de pays qui ne sont pas en guerre. Je crois que, juste avant ce débat, vous discutiez de l’opération Barkhane. Le Mali est un pays en guerre, madame la sénatrice. Or c’est un des principaux pays d’origine des mineurs non accompagnés, comme je l’évoquais.
Je ne reviens pas sur la question des conditions d’évaluation, notamment sur le recours aux tests osseux. Une fois encore, je n’ai pas de souci, par principe ou par idéologie, avec les tests osseux ; je mentionne simplement les limites scientifiques de son recours.
Je constate que le Conseil constitutionnel a estimé que ce n’était pas contraire à la dignité humaine, mais que cela ne peut pas être l’élément unique de la décision. Nous avons travaillé avec les différentes directions – DPGJ, DGCS, ministère de l’intérieur – pour tenter d’homogénéiser les pratiques et de guider au mieux les différentes associations, ainsi que les fonctionnaires des départements, dans ce travail difficile qu’est l’évaluation.