Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Yung, dans le prolongement des orientations fixées par le Président de la République dans son discours de Ouagadougou, le volume de visas délivrés à des ressortissants africains est aujourd’hui en hausse constante, notamment pour les publics cibles de nos dispositifs d’attractivité.
Ainsi, depuis 2017, le nombre de visas de circulation délivrés sur le continent africain a progressé de 10 %, le nombre de visas délivrés à des étudiants africains a augmenté de 5 % et l’octroi de passeports talents a connu une hausse de 67 % dans les pays d’Afrique subsaharienne.
S’agissant spécifiquement du visa « passeport talent », la mobilisation de nos postes se heurte parfois au fait que sa finalité est une installation en France, ce qui n’est pas le but recherché par une part significative des demandeurs de visa du continent africain, davantage en recherche de mobilité et d’une forme de liberté de circulation entre la France et leur pays d’origine.
Cette souplesse de déplacement est possible avec les visas de circulation, dont la délivrance a aussi nettement augmenté au cours des dernières années.
Nos postes diplomatiques et consulaires ont toutefois instruction de poursuivre leur mobilisation afin de faire mieux connaître le dispositif du visa « passeport talent », avec l’appui des services culturels, des missions économiques et de Business France, et d’identifier les viviers locaux, cibles de cet outil d’attractivité.
Concernant plus spécifiquement les créations d’entreprises, le rôle joué jusqu’à maintenant par les Direccte dans l’évaluation des projets en vue de la délivrance d’un passeport talent création d’entreprise a vocation à être confié à un opérateur unique afin de permettre une meilleure analyse et une plus grande fluidité du processus. Il s’agit effectivement d’un point important pour garantir l’attractivité de notre pays.
Comme vous le savez, la politique des visas respecte un équilibre vertueux entre promotion de l’attractivité de notre territoire, maîtrise des flux migratoires et préservation de la sécurité de notre territoire national. Cette politique relève de la responsabilité du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui veillent conjointement au respect de cet équilibre. La commission stratégique des visas, mise en place en 2019 à l’échelon des directeurs de cabinet des deux ministères, définit tous les six mois les grandes orientations de cette politique publique.
compagnie républicaine de sécurité à demeure à bordeaux
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1499, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, Bordeaux et sa métropole font face à l’explosion de l’insécurité et de la délinquance. C’est un fait.
Nous sortons peu à peu du déni pour prendre toute la mesure d’une situation jusqu’alors inconnue dans la Belle Endormie, désormais tout à fait réveillée, pour le meilleur comme pour le pire.
Les causes sont multiples : professionnalisation des réseaux, notamment de stupéfiants, antagonismes entre quartiers, arrivée massive de mineurs non accompagnés (MNA). J’aurai d’ailleurs l’occasion d’évoquer ce dernier sujet ce soir dans ce même hémicycle.
Face à ces phénomènes convergents, j’ai souhaité immédiatement mettre en avant le rôle central des compagnies républicaines de sécurité (CRS), uniques dans la doctrine française du maintien de l’ordre, aussi bien lors de manifestations qu’au quotidien sur le terrain. À ce jour, Bordeaux reste la seule grande ville française à ne pas disposer d’une unité de CRS à demeure et de façon pérenne, dans le cadre du plan national de sécurité renforcée.
Pourtant, les CRS disposent d’un savoir-faire adaptatif qui conviendrait parfaitement pour assurer la sécurité de certains quartiers bordelais.
Par exemple, alors que la municipalité se refuse toujours à augmenter le nombre de caméras de vidéoprotection, les CRS pourraient déployer des systèmes autonomes de retransmission d’images pour la sécurisation d’événements. Ils sont dotés également d’un matériel que n’ont pas les autres corps de la police nationale, encore moins la police municipale, qui n’a pas de moyens adéquats.
Je suis la première à réclamer des CRS supplémentaires à la frontière espagnole, spécifiquement pour les MNA, et à sensibiliser sur la nécessité de maintenir des effectifs de maîtres-nageurs sauveteurs des CRS sur nos plages du littoral durant la saison estivale. Nous ne pouvons plus aujourd’hui, en France, raisonner à effectifs constants.
Le renforcement de la dotation en CRS de la direction zonale Sud-Ouest est une absolue nécessité et passe par la création d’une unité nouvelle. La demi-unité déployée depuis octobre, au détriment d’autres villes françaises, qui, elles aussi, en ont besoin, n’est pas pérenne. Il faut passer à la vitesse supérieure, madame la ministre. En rester à une demi-unité à Bordeaux, ce serait institutionnaliser la demi-mesure, ce que nous ne pouvons plus nous permettre face aux problèmes que nous subissons au quotidien.
Madame la ministre, vous devez prendre en urgence une décision forte, à la hauteur des enjeux !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Delattre, au nom du ministre de l’intérieur, je vous remercie d’avoir salué l’engagement des compagnies républicaines de sécurité, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de l’ordre public.
Les CRS sont aussi régulièrement mobilisées en renfort des effectifs de police locaux pour assurer des missions dites « de sécurisation » et, à cet égard, la ville de Bordeaux bénéficie depuis un an d’un important soutien de ces forces mobiles de la police nationale.
De mars à juin dernier, une unité de CRS a été engagée à Bordeaux, notamment pour contrôler les mesures de confinement. Depuis le 29 septembre dernier, la ville bénéficie de l’action, vous l’avez rappelé, d’une demi-unité de CRS, le reste de l’effectif étant à Nantes. Ce partage de compagnies entre deux villes n’est pas propre à Bordeaux. On retrouve ce schéma de partage à Strasbourg et Grenoble, par exemple.
Du 5 au 24 janvier, une unité supplémentaire de CRS a par ailleurs été affectée à Bordeaux en mission de sécurité générale, la ville bénéficiant alors d’une compagnie et demie.
Enfin, des agents des unités motocyclistes des CRS interviennent régulièrement à Bordeaux auprès des services territoriaux de la sécurité publique. Cet engagement des motards CRS à Bordeaux a représenté 780 agents en 2020.
Pour autant, le très fort niveau de mobilisation des CRS dans toute la France ne permet pas, à ce jour, l’affectation d’une CRS complète en mission de sécurisation à Bordeaux, mais les Bordelais peuvent également compter sur la mobilisation totale des policiers de la circonscription de sécurité publique, soit près de 840 gradés et gardiens de la paix.
Ces policiers sont principalement chargés d’assurer la sécurité du quotidien et reçoivent chaque fois que cela est nécessaire le renfort des unités départementales, qui comptent plus de 310 gradés et gardiens de la paix.
La ville de Bordeaux dispose aussi d’un quartier de reconquête républicaine, lequel a été créé dès 2018, avec un renfort dédié de quinze policiers. En outre, trois délégués à la cohésion police-population font aussi à Bordeaux un travail très important pour que notre police soit à l’écoute des habitants.
Le travail de la police nationale à Bordeaux porte ses fruits. Plusieurs indicateurs sont à la baisse en 2020 : on constate un recul de 7 % des vols avec violence, de 5 % des violences physiques et de 11 % des dégradations, par exemple.
Le ministre de l’intérieur tient aussi à saluer le rôle important joué par la police municipale de Bordeaux, qui exerce régulièrement des missions communes avec la police nationale. C’est en effet avec les collectivités locales que l’État peut mieux agir pour garantir aux habitants la sécurité et la tranquillité à laquelle ils aspirent légitimement. Le Beauvau de la sécurité permettra à court terme d’améliorer et de renforcer encore ces actions.
moyens du tribunal judiciaire de nanterre
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, auteur de la question n° 1459, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, je vais vous faire voyager et vous emmener dans les Hauts-de-Seine. Ma question portera sur les moyens de la justice dans ce département.
Les Hauts-de-Seine comptent 1,6 million d’habitants, plus de 6 000 sièges sociaux et l’un des plus grands quartiers d’affaires d’Europe, le site de la Défense. Aujourd’hui, la juridiction est sous-dotée en moyens à la fois humains et matériels. Le tribunal judiciaire de Nanterre est pourtant la cinquième juridiction française.
La juridiction est composée de 108 magistrats du siège, dont 101 en effectif réel. Selon la présidente du tribunal, Mme Catherine Pautrat, il en faudrait dix de plus. Elle écrit elle-même qu’elle mène un combat auprès de sa hiérarchie « pour que les effectifs de la juridiction de Nanterre soient revalorisés comme ils l’ont été à Marseille, Lyon ou Bobigny ». Par ailleurs, les 172 greffiers et 20 directeurs des services de greffe sont aussi en nombre insuffisant selon les bâtonniers.
Cette absence de moyens se traduit par des délais d’audience de plus en plus longs. L’implication des magistrats et des greffiers ne suffit pas. Par exemple, alors que les violences familiales ont augmenté de 36 % lors du premier confinement et de 60 % lors du second, les dossiers de divorce ne sont audiencés que plus d’un an après la mise en état terminée, soit un des plus longs délais sur l’ensemble du territoire national.
La présidente du tribunal indiquait en avril 2020 que, entre le 16 mars et le 11 mai, 432 audiences civiles ont été renvoyées, représentant 9 500 dossiers. Par ailleurs, à la suite de la grève des avocats, et avant même l’entrée en vigueur du confinement, deux chambres civiles fixaient déjà leurs audiences jusqu’en 2022. Le délai d’obtention d’une date de référé, c’est-à-dire d’une procédure d’urgence, est de quatre mois.
Dans les autres tribunaux de la juridiction, les délais sont également très longs. Ainsi, au conseil des prud’hommes de Nanterre, il faut attendre jusqu’à 2024. Au tribunal de proximité de Puteaux, le délai est de treize mois pour obtenir en référé une date d’audience.
Je l’ai dit, le dévouement des magistrats et des greffiers ne peut suffire à régler les problèmes. Quels moyens humains et matériels vont donc être accordés au tribunal judiciaire de Nanterre en 2021 et en 2022 ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Lavarde, votre question porte sur une thématique que suit tout particulièrement le garde des sceaux : la constitution de stocks d’affaires en raison des effets conjugués de la grève des avocats et de la crise sanitaire.
Vous l’avez rappelé, la mobilisation des magistrats et des greffiers n’est pas à remettre en cause. Les juridictions sont d’ores et déjà mobilisées pour réduire les stocks et les parquets ont réalisé un important travail de réorientation des procédures pénales. Mais, vous avez raison, il faut aller encore plus loin.
Afin de soutenir les juridictions dans la réduction des délais de traitement des affaires et leur permettre de résorber de manière importante leur stock, le garde des sceaux a décidé de confier à un groupe de travail la responsabilité de lui soumettre des propositions concrètes. Ce groupe de travail pluridisciplinaire est composé de magistrats, de fonctionnaires de justice et d’avocats. Il a pour mission de proposer au garde des sceaux toutes les mesures nécessaires, rapidement opérationnelles, pour atteindre cet objectif. Les recommandations de ce groupe sont attendues pour le 31 mars prochain.
S’agissant des emplois, le budget du ministère de la justice pour 2021 ayant connu une hausse historique, les juridictions bénéficient à l’échelon national de 914 emplois en renfort dans le cadre de la justice de proximité.
Le tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi bénéficié de la création de 19 emplois, ce qui représente une augmentation des effectifs de 5,4 %, dont deux renforts seront plus particulièrement affectés au soutien du pôle famille.
Ces renforts s’inscrivent dans une trajectoire de consolidation des effectifs de greffe du tribunal judiciaire de Nanterre, qui ont augmenté de 16 emplois au cours des cinq dernières années, soit une hausse de 5,4 %, bien supérieure, en moyenne, à celle des autres juridictions à l’échelon national sur la même période, qui s’établit à 1,6 %.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Vous évoquez la constitution d’un groupe de travail, ce qui signifie qu’il ne me sera pas apporté de réponse dans l’immédiat. Je vérifierai, madame la ministre, que les nouveaux emplois que vous venez d’indiquer auront bien été créés postérieurement à la rentrée solennelle du tribunal, à laquelle j’ai assisté. On m’avait alors indiqué que les moyens étaient défaillants.
Pour faire sourire les sénateurs présents, j’indique que le tribunal va enfin pouvoir ouvrir ses fenêtres, après quarante-huit ans de fermeture, grâce aux travaux qui vont être réalisés au cours des prochains mois. Vous le voyez, nous sommes tout de même assez loin d’une justice efficace !
chartes d’amitié entre des collectivités françaises et du haut-karabagh
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, auteur de la question n° 1265, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, plusieurs collectivités françaises ont signé avec des collectivités de la République d’Artsakh des chartes d’amitié et de solidarité. À la demande du Gouvernement, plusieurs préfets ont déféré ces chartes d’amitié à la juridiction administrative. Plusieurs d’entre elles ont été annulées.
Le 30 janvier 2020, devant le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le Président de la République avait déclaré qu’il n’était pas défavorable à l’expression de cette solidarité entre des collectivités françaises et la République d’Artsakh, mais qu’il fallait trouver un cadre juridique adapté et que le Gouvernement ferait des propositions en ce sens.
Depuis lors, nous le savons, l’Azerbaïdjan et la Turquie, cette dernière ayant mobilisé des supplétifs djihadistes venus de Syrie, ont mené une guerre massive, d’une rare violence, contre la petite république de l’Artsakh, enclavée, isolée et abandonnée de la communauté internationale.
En ces lieux, dans cet hémicycle, le Sénat, par 301 voix pour et une voix contre, a voté une résolution pour demander l’arrêt immédiat des combats et la reconnaissance officielle par la France de la République d’Artsakh.
Aujourd’hui, les populations restées dans le territoire encore contrôlé par la République d’Artsakh manquent de tout. Ce pays a été cruellement saigné par une guerre qui lui a fait perdre la plupart de ses jeunes cadres. C’est maintenant, monsieur le secrétaire d’État, qu’un effort de solidarité, en particulier de la France, est nécessaire pour leur venir en aide.
Un an après l’engagement pris par le Président de la République, je vous demande quelle forme juridique pourraient prendre les chartes d’amitié et de solidarité que souhaiteraient adopter de nouveau les collectivités françaises avec leurs sœurs meurtries de l’Artsakh.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Monsieur le sénateur, depuis que vous avez posé cette question, le 23 juillet dernier, la situation a considérablement évolué sur le terrain, vous le savez.
Cette guerre d’une grande violence, qui s’est déroulée du 27 septembre jusqu’au cessez-le-feu du 9 novembre, a fait plusieurs milliers de morts. Des deux côtés, des vies et des familles ont été brisées.
La France s’est fortement mobilisée, à tous les niveaux – le Gouvernement, les collectivités locales, les associations de solidarité – pour venir en aide à l’Arménie et aux Arméniens.
Concernant les chartes d’amitié, le Président de la République en a appelé, dans le discours que vous avez évoqué, à une application du droit, des décisions de justice prises par les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, tout en soulignant qu’il était par ailleurs possible de travailler très concrètement en faveur des populations isolées, jetées sur les routes ou réfugiées en Arménie.
Il a parlé de solidarité et les projets humanitaires qu’il a évoqués dans ce même discours ont trouvé à s’appliquer de façon très concrète et très intense cette année.
À la suite du conflit, le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères a affrété cinq avions d’aide humanitaire à destination d’Erevan, notamment au profit d’un certain nombre Karabatis réfugiés en Arménie. Je peux en parler : j’ai conduit l’une de ces missions le 27 novembre dernier. Des bateaux transportant plusieurs dizaines de tonnes de fret sont arrivés par la Géorgie. Je me suis également rendu dans deux hôpitaux à Erevan au chevet des blessés graves, pour tenter, avec Youri Djorkaeff, ambassadeur de bonne volonté, de leur apporter un peu de réconfort.
En tant que coprésidente du groupe de Minsk, la France doit tout faire pour qu’une telle tragédie ne se reproduise jamais. Cela passe par la consolidation du cessez-le-feu, la libération de tous les prisonniers, la pleine mise en œuvre de la déclaration du 9 novembre.
Pardonnez-moi, madame la présidente, d’être un peu long,…
Mme la présidente. Je ne vais pas vous pardonner, je vais vous interrompre !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. … mais cette question touche de nombreuses familles.
Nous allons nous attacher à amplifier la coopération économique avec l’Arménie, dans un contexte nouveau, dans lequel on peut toutefois poursuivre de nombreuses actions concrètes ou prendre des initiatives humanitaires ou éducatives, portées par des associations.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. En conclusion, je précise que nous allons poursuivre ce travail avec l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), le Fonds arménien de France, la Fondation Aznavour, mais aussi les collectivités locales, qui sont très mobilisées.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Dans la mesure où vous avez largement dépassé votre temps de parole, j’ai espéré jusqu’au dernier moment que vous me donneriez le point de vue du Gouvernement sur ces chartes. Malheureusement, vous ne l’avez pas fait, je le regrette. Je ne manquerai pas de revenir vers vous et de vous poser de nouveau cette question.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Si, j’y ai répondu au début !
modalités d’application du droit du travail sur le site de l’euroairport
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 1290, transmise à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Mme Patricia Schillinger. J’attire l’attention de M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur la situation de l’EuroAirport Bâle-Mulhouse et sur les incertitudes qui y prévalent en matière d’application du droit du travail.
Créé par la convention de Berne du 4 juillet 1949, l’EuroAirport est un établissement binational franco-suisse de droit public, doté de deux secteurs d’activité, l’un français, l’autre suisse, tous deux entièrement situés sur le territoire français. Ce caractère binational constitue l’un des atouts majeurs de l’EuroAirport.
Les entreprises situées en secteur suisse contribuent en effet de façon déterminante à la dynamique de développement de l’aéroport et du bassin d’emploi qu’il irrigue. Ainsi, sur les 6 500 emplois directs créés par la plateforme, 4 900 se situent en secteur suisse. La majorité de ces salariés résident en France.
Mais la singularité de l’EuroAirport est aussi à l’origine d’une forme d’insécurité juridique, notamment en matière d’application du droit du travail.
Cette incertitude avait pu être levée en 2012, grâce à la conclusion entre les autorités suisses et françaises d’un accord de méthode censé permettre aux entreprises installées en secteur suisse de déroger au droit du travail français.
Cependant, en mars 2020, quatre arrêts de la Cour de cassation ont remis en question la validité de cet accord de méthode, en lui refusant toute valeur juridique, car il n’a pas été ratifié par les autorités suisses et françaises.
Cette situation menace gravement le devenir de cette infrastructure essentielle, de laquelle dépend le dynamisme de tout un territoire.
En conséquence, quelles actions envisagez-vous de mettre en œuvre pour régler de manière définitive et pérenne la question du cadre juridique de l’EuroAirport, après déjà quelques mois de travail ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Madame la sénatrice, le secteur du transport est particulièrement affecté par les conséquences de la crise sanitaire que nous traversons. L’aéroport de Bâle-Mulhouse a ainsi connu une chute de 70 % de son activité hors fret depuis le début de l’épidémie.
À cette situation s’ajoutent les interrogations soulevées par les opérateurs économiques à la suite des arrêts de la Cour de cassation de mars 2020.
Je ne vous apprendrai rien – vous avez rencontré Clément Beaune il y a une semaine – en vous disant que le Gouvernement est attaché à cette infrastructure originale et essentielle pour le bassin de vie du sud des plaines alsacienne et bâloise. Le Gouvernement répond présent à travers les aides transversales et notamment l’activité partielle, y compris pour les salariés du secteur suisse.
La négociation se poursuit avec nos homologues suisses pour obtenir un certain nombre de garanties en matière d’emploi. S’agissant de la question du droit applicable, le Gouvernement travaille à identifier tous les leviers disponibles pour garantir la sécurité juridique des contrats des salariés, sans renoncer aux principes essentiels de notre droit du travail.
Nous avons une piste. Depuis 2017, notre droit du travail a évolué, ce qui permettra peut-être de faire avancer les choses. Les contentieux qui ont fondé la décision de la Cour de cassation relèvent en effet de licenciements antérieurs à la simplification de notre droit du travail. D’autres solutions sont sur la table, comme une modification de l’accord de Berne, ce qui nécessiterait une modification des traités et donc un passage devant le Parlement, qui aurait à en débattre.
En tout état de cause, soyez assurée que Clément Beaune et Élisabeth Borne demeurent pleinement mobilisés sur ce sujet. Je sais que les parlementaires travaillent également d’arrache-pied sur cette question. Tout sera fait pour apporter la stabilité et les aides nécessaires durant cette période de crise afin que les salariés, comme les entreprises, puissent maintenir leurs activités dans les mois à venir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État pour le travail qui est en cours, tout en rappelant que la situation de nombreuses personnes est en jeu. Nous comptons sur le soutien du Gouvernement, car la situation de l’EuroAirport est originale d’un point de vue géographique : il est situé sur une zone frontalière.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Patricia Schillinger. Je ne manquerai pas de revenir vers vous sur ce sujet si la situation n’évoluait pas.
freins au développement du spiritourisme
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 1400, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Michel Savin. Monsieur le secrétaire d’État, la production de spiritueux constitue une activité économique importante de notre pays. À lui seul, ce secteur emploie près de 100 000 personnes en France et rapporte près de 4,7 milliards d’euros à l’exportation.
Les modes de production de ces alcools forts sont souvent issus de savoir-faire ancestraux. Avec ces spiritueux, c’est notre histoire et notre patrimoine que nous faisons vivre, comme dans mon département de l’Isère, où les moines de la Grande Chartreuse se transmettent depuis des siècles la recette secrète de la célèbre liqueur verte. C’est aussi un enjeu de rayonnement culturel et touristique pour notre pays. Nombre de nos compatriotes, mais aussi beaucoup d’étrangers ont envie, après avoir découvert ces produits, d’en savoir plus sur leurs étapes de fabrication.
Inspiré par le succès du tourisme lié au rhum en Martinique et en Guadeloupe, le Gouvernement promeut depuis plusieurs années les projets de « spiritourisme » visant à favoriser la découverte et la valorisation de ces alcools forts. Or, dans les faits, ces projets risquent de se heurter à la réglementation ICPE, qui interdit la présence de visiteurs sur des sites de production d’alcool stockant plus de 50 000 litres. Ainsi, dans mon département, l’État a récemment demandé la fermeture des Caves historiques de la Chartreuse, l’un des lieux les plus emblématiques. Le récent incident industriel de Lubrizol n’a fait qu’attiser les tensions.
Beaucoup de ces fabricants d’alcool n’ont pas les moyens d’avoir deux sites : un pour la production et le stockage, un autre pour les visites. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais savoir si vous comptez adapter la réglementation ICPE aux contraintes particulières des sites de production et de stockage d’alcools forts ayant une vocation touristique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie. Je partage votre constat, monsieur le sénateur Michel Savin : le spiritourisme, qui est un rameau du tourisme de savoir-faire, est un véritable trésor national, une filière touristique d’exception et d’excellence. La dernière saison estivale a d’ailleurs montré l’engouement de nos compatriotes pour la redécouverte d’un tourisme sans doute plus authentique et davantage tourné vers nos terroirs, notre culture et notre patrimoine. Je l’ai constaté dans mon département de l’Yonne, comme vous, sans doute, dans votre territoire.
Le spiritourisme s’inscrit dans ce mouvement de fond : 15 millions de visiteurs sont accueillis chaque année dans plus de 2 000 entreprises françaises dont les produits sont fabriqués en France selon un véritable savoir-faire qui se transmet parfois depuis des siècles.
Comme vous l’avez indiqué, nous soutenons fortement cette filière en lien avec la FFS, la Fédération française des spiritueux, et avec l’association nationale de la visite d’entreprise. En 2019, j’ai d’ailleurs lancé le club des 100 sites d’excellence du tourisme de savoir-faire.
Vous le savez, en matière de fabrication de spiritueux, tout est question d’alchimie. C’est aussi d’alchimie qu’il s’agit dans les politiques que nous menons pour promouvoir le spiritourisme : un savant dosage entre le soutien que nous apportons à cette filière et le respect d’un certain nombre de réglementations. En ce domaine, nous sommes à la croisée de la réglementation relative à la sécurité et à l’accueil du public, de la réglementation relative aux installations classées et de celle de la prévention des risques industriels.
Le problème que vous soulevez est loin d’être anecdotique, puisqu’une centaine d’entreprises ouvertes au public sont concernées. Nous devons donc absolument démêler l’écheveau. C’est pourquoi j’ai souhaité qu’une expertise – en cours – soit conduite afin de clarifier un certain nombre d’interprétations et d’étudier d’éventuelles adaptations qu’il conviendrait d’apporter pour ne pas entraver le développement du tourisme de savoir-faire et le spiritourisme, qui constituent un vrai levier de croissance pour les entreprises qui le pratiquent.
Soyez assuré que nous poursuivrons le travail ensemble dans les toutes prochaines semaines afin de trouver les meilleures solutions et que je veillerai à ce que nous réussissions cette délicate alchimie qui permettra au spiritourisme de produire de l’or.