M. Hussein Bourgi. Parmi les squatteurs peuvent se trouver des mineurs, enfants en rupture familiale ou ayant fugué. Plutôt que de les envoyer devant un tribunal, il faut les orienter vers l’aide sociale à l’enfance dont ils relèvent, afin de les sortir de la marginalité qu’ils ont connue dans le cadre des squats.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Il est proposé de dispenser les mineurs de la peine prévue à l’encontre des squatteurs et, en contrepartie, de les orienter vers les services de l’aide sociale à l’enfance.
Tel qu’il est rédigé, cet amendement n’a pas, à mon avis, pour effet d’exclure les mineurs de la peine prévue en cas de squat.
Sur le fond, je ne vois pas pourquoi le phénomène du squat devrait faire l’objet d’un traitement dérogatoire par rapport aux règles habituelles du droit pénal des mineurs : les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables, et la peine qu’ils encourent est réduite de moitié par rapport à celle prévue pour les adultes.
Quant à l’intervention de l’aide sociale à l’enfance, elle est possible selon les règles de droit commun prévues par le code de l’action sociale et des familles, sans qu’il soit nécessaire de le prévoir dans cette proposition de loi. L’aide sociale à l’enfance pourra intervenir notamment si les jeunes squatteurs sont des mineurs isolés.
L’avis sur l’amendement est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Cet amendement sur le cas particulier des enfants en danger et mineurs isolés est, à mes yeux, une preuve de plus que l’incrimination n’est pas la solution aux problèmes d’occupation frauduleuse d’immeubles. Étant hostile à l’incrimination, je ne puis pas soutenir un amendement tendant à l’amender. Avis défavorable, pour cette seule raison juridique.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Nous entendons supprimer l’incrimination de l’action associative, certes non conventionnelle. Qui aurait imaginé, voilà quelques décennies, engager des poursuites contre l’abbé Pierre lorsqu’il prônait la réquisition des bâtiments vacants ? Faisons preuve aujourd’hui de la même modération et de la même tempérance en ne réprimant pas tout. Il peut arriver que l’action des associations nous interpelle, voire nous dérange, mais elle contribue aussi à faire avancer les choses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la nouvelle infraction, punie d’une peine d’amende, tendant à réprimer la propagande ou la publicité en faveur de méthodes visant à faciliter le squat ou à l’inciter.
Comme je l’ai expliqué dans la discussion générale, la commission a retouché la définition de cette infraction afin de bien cibler ceux qui diffusent de véritables modes d’emploi en ligne, avec tous les conseils et astuces pour retarder le processus d’expulsion et échapper à la justice, sans porter atteinte à la liberté d’expression des associations qui luttent contre le mal-logement.
La commission est attachée à la création de cette nouvelle infraction, qui nous paraît combler une réelle lacune de notre droit pénal. Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Il est identique à l’avis émis sur tous les amendements à cet article. Étant défavorable à l’infraction elle-même, je suis défavorable aux amendements qui s’y rapportent.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour explication de vote.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je remercie le rapporteur pour la précision qu’il a apportée. Nous n’avons surtout pas voulu porter atteinte à la liberté d’expression d’un certain nombre d’associations, qui accompagnent des publics en situation très précaire du point de vue du mal-logement – on pense à la Fondation Abbé-Pierre, mais aussi à l’association, encore plus politique et militante, Droit au logement.
Pour autant, on ne peut tolérer que des sites internet fournissent de véritables modes d’emploi du squat d’un domicile. En faisant une recherche, je suis tombée sur un site intitulé « Comment squatter en cinq étapes »… Voici d’ailleurs les cinq étapes décrites : repère ta maison ; rentre dans les bâtiments et barricade-toi ; attends le passage des flics et des huissiers, mets un faux nom sur la boîte aux lettres, barricade-toi et, une fois que les flics seront passés, tu pourras te considérer comme chez toi ; remets l’eau et l’électricité ; prépare ta défense.
Si un tel mode d’emploi n’est pas sanctionné, j’estime que nous ne faisons pas notre travail. Nous devons faire preuve de sévérité à l’égard de ces sites, que, aujourd’hui, rien ne permet de sanctionner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
L’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « principale, », sont insérés les mots : « ou dans un local à usage d’habitation » ;
b) Les mots : « ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci » sont remplacés par les mots : « , toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci ou le propriétaire du local occupé » ;
c) Après les mots : « son domicile », sont insérés les mots : « ou sa propriété » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « quarante-huit » est remplacé par le mot : « vingt-quatre » ;
3° Au premier alinéa, aux première et deuxième phrases du deuxième alinéa et au dernier alinéa, le mot : « préfet » est remplacé par les mots : « représentant de l’État dans le département ».
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mme Procaccia, M. Segouin, Mme Lavarde, M. Bazin, Mme Thomas, MM. Cadec et Panunzi, Mmes Belrhiti et V. Boyer, MM. Meurant, Burgoa, Cambon, Sol et Cuypers, Mmes L. Darcos et Raimond-Pavero, MM. Bonne, Grand, Savary, E. Blanc, Lefèvre et Vogel, Mmes Demas et Primas, M. Anglars, Mme Drexler, M. B. Fournier, Mme Di Folco, MM. de Nicolaÿ et Cardoux, Mme Chauvin, M. Piednoir, Mme Micouleau, M. Dallier, Mme Deromedi, M. Brisson, Mmes Berthet et Puissat, MM. Saury, Genet, Bouchet et Le Rudulier, Mme Schalck, M. Reichardt, Mme Garriaud-Maylam, M. Savin, Mmes Dumont, Lassarade et de Cidrac, MM. Babary, Somon, Boré et Klinger, Mmes Chain-Larché et Dumas et MM. Laménie, Pellevat, Rapin, Allizard, Sido, Gremillet et Gueret, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison de l’occupation, le représentant de l’État dans le département sollicite l’administration fiscale pour établir ce droit. » ;
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. La charge de la preuve du domicile incombe à l’occupant légal, propriétaire ou locataire.
Pour suivre ces dossiers depuis quinze ans, je puis témoigner que, très souvent, on demande à une personne âgée qui revient de l’hôpital ou de vacances en famille d’apporter une preuve qu’elle ne peut pas fournir, tous ses papiers étant à l’intérieur du domicile, s’ils n’ont pas été détruits par les squatteurs.
Parmi les modes d’emploi, pour reprendre l’expression de Mme Estrosi Sassone, un des plus simples consiste pour le squatteur à se faire établir un contrat, par exemple d’électricité, à son nom : il téléphone, donne l’adresse où il se trouve, explique ne pas connaître le numéro de contrat ni le nom de son prédécesseur, et il reçoit dans les deux ou trois jours une facture ou une attestation… C’est pourquoi, voilà déjà plusieurs années, j’ai demandé qu’on sécurise ces procédures au moyen d’un code-barres.
La seule preuve de domicile est la taxe d’habitation. Mais qui connaît par cœur son numéro de connexion pour la rechercher en ligne ? Imaginez pour une personne âgée…
Dès lors, cet amendement prévoit, de manière simple, que le préfet demande aux impôts, si possible très rapidement, la preuve que le logement appartient bien à M. X ou à Mme Y.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri Leroy, rapporteur. L’idée est lumineuse : qui, en effet, est plus compétent pour identifier les gens que les services fiscaux ?
De fait, le propriétaire ne pouvant plus rentrer chez lui, il ne peut plus prouver qu’il est l’occupant légal. D’ailleurs, même s’il peut rentrer, tout a été détruit, parce que le squatteur a pris la précaution de le faire.
Dans ces conditions, il convient en effet d’autoriser le préfet à s’adresser aux services fiscaux – il n’aura pas la réponse dans les vingt-quatre heures, mais dans la minute qui suit… Ouf ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Je partage la volonté d’être plus opérationnel pour qu’une personne confrontée à un squatteur puisse prouver la légitimité de son occupation. Il est vrai que, quand les papiers sont à l’intérieur du domicile squatté, la légalité de l’occupation est difficile à établir.
Sur le fond, nous devons continuer à travailler pour simplifier les demandes adressées aux services fiscaux, ou d’ailleurs aux notaires, qui détiennent généralement un double du titre de propriété. Il s’agit d’une préoccupation réelle et sérieuse.
La procédure administrative prévoit que le préfet dispose de quarante-huit heures pour statuer. Je ne suis pas certaine qu’il soit l’autorité la plus à même d’intervenir au titre de la famille. Les ayants droit et les associations qui accompagnent les propriétaires peuvent le faire. Quoi qu’il en soit, je suis prête à étudier les conditions d’une intervention opérationnelle.
Le Gouvernement, défavorable à l’article, émet par cohérence un avis défavorable à l’amendement. Au-delà de la procédure législative, je reste néanmoins disponible pour travailler sur l’opérationnalité de la mesure.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Le chapitre II du titre Ier du livre IV du code des procédures civiles d’exécution est ainsi modifié :
1° Après le mot : « locaux », la fin du second alinéa de l’article L. 412-1 est ainsi rédigée : « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. » ;
2° À la fin du premier alinéa de l’article L. 412-3, les mots : « , sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation » sont supprimés ;
3° Après le mot : « autrui », la fin du deuxième alinéa de l’article L. 412-6 est ainsi rédigée : « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. » – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour explication de vote.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je voudrais remercier, très sincèrement, l’ensemble des collègues présents dans l’hémicycle de leur participation à ce débat. Les discussions, on l’a vu, ont été très animées, sur un sujet important qui a suscité de nombreuses interventions, dont certaines sont apparues comme tout à fait légitimes, alors que d’autres m’ont semblé pour le moins idéologiques. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
Je remercie encore une fois M. le rapporteur Henri Leroy et M. le président de la commission des lois, ainsi que tous les commissaires aux lois dont le travail a permis d’enrichir le texte que nous soumettons désormais à votre vote. Ils ont veillé à ne pas créer d’amalgame ni d’opposition caricaturale, en évitant d’opposer, d’un côté, des propriétaires présentés comme riches et nantis, alors que pour la plupart ils ne le sont pas, ayant acquis leur bien – qu’il soit principal ou secondaire, pour compléter leur retraite – au prix de leur travail et de leur épargne ; et, de l’autre, des locataires qui seraient tous pauvres. L’équilibre recherché par le rapporteur me satisfait pleinement et je l’en remercie.
En revanche, je regrette la position défendue par les groupes socialiste et communiste, car elle est pour le moins idéologique, politique, voire démagogique. (Mme Cathy Apourceau-Poly s’exclame.) En effet, alors que ce n’était pas l’objet de cette proposition de loi, vous avez volontairement opposé le droit de propriété au droit au logement. Or le droit au logement n’est pas le droit au squat ! Le droit de propriété est le seul droit constitutionnel qui soit. Le droit au logement, reconnu dans les valeurs républicaines, n’est pas un droit constitutionnel. Nul besoin donc de les opposer, car sur ces travées nous œuvrons tous avec conviction pour accompagner ceux de nos compatriotes qui rencontrent des difficultés pour se loger et pour avoir « un toit sur la tête ». Nous partageons en cela les mêmes objectifs que des associations comme la Fondation Abbé Pierre.
La situation actuelle est le résultat de la défaillance de l’État dans la mise en œuvre du droit au logement, et de l’inefficacité des politiques publiques de l’habitat. Rien ne justifie que les propriétaires aient à assumer cette défaillance de l’État.
Enfin, madame la ministre, l’examen de cette proposition de loi était l’occasion de vous emparer d’un texte législatif mesuré et équilibré pour atteindre les objectifs que vous vous étiez fixés. Nous regrettons que vous ne mettiez pas en conformité vos actes avec vos paroles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage, présentée par M. Patrick Chaize, Mme Sylviane Noël, M. Alain Chatillon et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 585 [2019-2020], texte de la commission n° 266, rapport n° 265).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous en venons à présent à un texte que j’avais déposé l’an dernier avec mes collègues Sylviane Noël et Alain Chatillon, et dont l’objectif est de contribuer à consolider l’un des volets les plus délicats de la législation sur l’accueil des gens du voyage : l’équilibre entre, d’une part, la garantie des bonnes conditions d’accueil des personnes choisissant de pratiquer ce mode de vie, et, d’autre part, la lutte contre les installations illicites.
Cet équilibre prend ses racines dans la loi Besson du 5 juillet 2000, qui, en fixant des droits et des devoirs, a jeté les bases de la politique contemporaine de l’accueil des gens du voyage.
Or, comme l’avait déjà diagnostiqué en 2017 notre ancien et regretté collègue Jean-Claude Carle, cet équilibre est de plus en plus fragile.
En effet, vingt ans après la loi Besson, la situation n’est plus exactement la même. Certains groupes de gens du voyage se sont sédentarisés, ou semi sédentarisés. D’autres personnes traditionnellement étrangères à la communauté ont pu adopter des modes de vie itinérants. D’importants flux saisonniers de gens du voyage se poursuivent, et il n’est pas rare qu’ils aboutissent à la saturation des capacités d’accueil des territoires.
De manière plus exceptionnelle, heureusement, la crise du coronavirus a mis à rude épreuve les communautés de gens du voyage, et elle a révélé les dangers que peuvent représenter des aires surchargées.
Enfin, les occupations illicites de terrains demeurent une triste réalité dans les territoires, d’autant plus que la conformité de ceux-ci au schéma départemental ne leur garantit aucunement d’échapper au phénomène.
Là où ils apparaissent, les « campements illicites » entraînent dans leur sillage complications juridiques, tensions locales et dégradations physiques. Ces agissements d’une minorité finissent par porter préjudice non seulement aux propriétaires des terrains, mais aussi à l’ensemble des voyageurs.
Cet état de fait ne doit pas être toléré ni indéfiniment excusé par des circonstances locales : il y va de la crédibilité de la République, garante de l’ordre public.
Les collectivités locales sont au premier rang face à l’ensemble de ces facteurs. Elles sont à la fois les interlocutrices essentielles des voyageurs installés paisiblement, et les victimes plus ou moins directes des occupations illégales, alors même qu’elles poursuivent leurs efforts de création d’espaces d’accueil.
Je ne doute pas que de nombreux collègues, sur ces travées, ont été comme moi sollicités par des maires ou des présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) confrontés à des situations impossibles, auxquelles s’ajoute un appui parfois inadapté des autorités préfectorales et de la justice.
Ce constat avait déjà été dressé en 2017 par Jean-Claude Carle, qui avait déposé une proposition de loi comprenant certaines mesures fortes.
Malheureusement, le texte ambitieux voté à l’époque par notre institution n’avait été que très partiellement repris par l’Assemblée nationale.
Par conséquent, notre décision fut, non sans une certaine circonspection, de privilégier une réponse rapide, pour assister dès que possible les gens du voyage et les collectivités.
Plutôt que de poursuivre une navette au moment où convaincre nos collègues députés semblait difficile, notre choix fut de voter conforme une loi Carle, malheureusement amputée de plusieurs de ses dispositions, en nous promettant néanmoins d’y revenir.
Plus de deux ans après son adoption, c’est avec déception que nous constatons que ce texte d’ampleur limitée n’a pas reçu la mise en œuvre qu’il méritait.
Certes, nous pourrions attendre encore quelques années, pour mieux en évaluer l’impact, comme certains de nos collègues l’ont suggéré.
Cependant, compte tenu de l’urgence de la situation que je vous ai exposée, j’estime que nous sommes dans notre rôle de législateur quand nous proposons et quand nous agissons.
Par conséquent, j’ai travaillé avec mes collègues Sylviane Noël et Alain Chatillon à cette nouvelle proposition de loi.
Elle permettra de restaurer enfin l’équilibre dans les politiques de l’accueil des gens du voyage, et de doter les collectivités des outils nécessaires, en privilégiant l’implication des élus locaux et l’opérationnalité des dispositifs.
Le premier de ces outils vise à renforcer la coopération entre l’État et les collectivités dans l’anticipation et la préparation des flux de gens du voyage.
En développant une stratégie annuelle de gestion des déplacements des résidences mobiles des gens du voyage, le préfet de région contribuera en amont à éviter les surcharges ponctuelles des aires.
Cette nouvelle stratégie permettra de mieux faire circuler l’information, d’anticiper les déplacements et de coordonner l’élaboration des schémas départementaux. Elle impliquera surtout la consultation des élus, car l’écoute est le premier pas pour chasser leur impression d’abandon.
Un deuxième outil que nous prévoyons est l’inscription dans la loi d’un système de réservation préalable des aires. Son application restera facultative afin que les collectivités conservent toute latitude dans leur gestion des aires. Ce système permettra d’harmoniser les démarches des gens du voyage qui souhaitent s’installer, tout en améliorant la maîtrise des collectivités sur les entrées et les sorties des aires.
L’objectif est d’éviter les situations où des arrivées simultanées dépasseraient les capacités d’accueil, et de faciliter l’expulsion des groupes occupant indûment une aire pendant une longue durée.
Enfin, ce système s’articule avec l’approche stratégique d’une coopération entre l’État et les collectivités, telle que nous l’avons précédemment évoquée : le maire ou le président d’EPCI pourra demander au préfet de proposer des aires alternatives.
Grâce à ces deux outils, la liberté d’aller et de venir des voyageurs demeure intacte. L’objectif de ce texte est en effet d’user de dispositifs facultatifs et incitatifs afin de réunir les conditions d’un accueil effectif.
En troisième lieu, nous avons voulu rendre plus robustes les outils de lutte contre les installations illégales.
Il s’agit, très concrètement, de doubler la période durant laquelle la mise en demeure d’expulsion du préfet à l’encontre des occupants illégaux demeure en vigueur. Si les occupants n’ont pas quitté le terrain à l’issue de cette période, l’évacuation par le préfet sera désormais une compétence liée : il n’aura d’autre choix que de l’effectuer.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Patrick Chaize. Grâce à cela, les élus n’auront plus l’impression que les occupants illégaux demeurent dans l’impunité lorsque le préfet choisit, dans le cadre de sa compétence discrétionnaire, de ne pas passer à l’étape suivante.
Enfin, notre texte comprend certaines mesures inspirées de celles déjà votées par le Sénat il y a deux ans, dont l’intérêt et le contenu vous sont familiers.
Il s’agit non seulement de la suppression de la procédure de consignation de fonds, qui nous semble contraire au principe de libre administration et d’autonomie financière des collectivités, mais aussi de la prise en compte de certaines places d’aires au titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), sujet qui retiendra sans doute l’attention de Mme la ministre déléguée, chargée du logement.
Tel est le contenu de cette proposition de loi, que, je l’espère, vous approuverez aujourd’hui.
Avant de passer la parole à Mme la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, je tiens à saluer la qualité de son travail et de son écoute, pendant nos échanges, au moment des travaux préliminaires.
Grâce à elle et à nos collègues de la commission des lois, ce texte a pu être encore enrichi et amélioré.
Le moment est donc venu de donner aux acteurs locaux de l’accueil des gens du voyage les outils dont ils ont besoin pour remplir leur rôle : c’est le meilleur signal que nous pouvons leur envoyer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est, convenons-en, particulière.
Elle l’est tout d’abord parce que l’accueil des gens du voyage est un sujet sensible dans notre pays, et nous savons tous combien il peut être difficile à traiter pour les élus locaux que nous rencontrons toute l’année.
Elle l’est ensuite parce que son examen intervient un peu plus de deux ans après que nous nous sommes collectivement saisis du sujet, lors de l’examen conjoint des propositions de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Carle et de notre collègue Loïc Hervé.
Les débats que nous avons eus en commission ont été l’occasion pour certains de mes collègues de dire leur perplexité face à un texte examiné avant qu’un travail d’évaluation ne permette d’identifier précisément des pistes d’amélioration du cadre juridique, tel qu’il résulte de la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. Je comprends pleinement cette inquiétude, et je souhaiterais y répondre en deux points.
D’une part, certaines des propositions formulées par le Sénat à l’occasion de l’examen de divers textes – tels que le projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté ou les propositions de loi évoquées ci-avant – ne figurent pas dans la loi, faute d’avoir été retenues au cours de la navette parlementaire. Or les difficultés auxquelles ces dispositions entendaient répondre n’ont pas pour autant disparu ! Nous sommes donc contraints de réitérer une réponse législative dont la nécessité n’est pas démentie sur le terrain.
D’autre part, force est de constater que des pistes d’amélioration demeurent, tant la politique territoriale d’accueil semble perfectible sur le terrain. Ainsi, les élus locaux ne sont pas toujours en mesure d’anticiper les déplacements de gens du voyage, ce qui rend leur accueil d’autant plus difficile qu’il est imprévu.
Par ailleurs, les stationnements illicites continuent d’être une source de préoccupation pour les élus locaux, qui constatent un recours trop sporadique à la procédure d’évacuation d’office, pourtant prévue dans la loi.
Mes chers collègues, face à ces difficultés persistantes et quotidiennes dans les territoires, le législateur ne saurait rester passif !
La proposition de loi que nous examinons a trois objectifs distincts : elle vise à mieux anticiper les déplacements de résidences mobiles, à améliorer la gestion des aires d’accueil de gens du voyage, et à renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.
Pour cela, elle complète les dispositions déjà votées par notre assemblée, en y mêlant des pistes de solutions originales et innovantes, qui constituent des réponses pragmatiques aux difficultés rencontrées sur le terrain.
Parmi les dispositions déjà votées par le Sénat, deux articles visent à faciliter la gestion des aires d’accueil pour les collectivités territoriales concernées.
L’article 4 tend à comptabiliser les emplacements des aires permanentes d’accueil des gens du voyage dans les quotas de logements sociaux auxquels sont soumises certaines communes.
L’article 5 prévoit de supprimer la procédure de consignation de fonds pour les communes et les EPCI qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’accueil.
Ces articles relèvent du bon sens et ont été adoptés par la commission sans modification.
L’article 9, issu d’un amendement présenté par Loïc Hervé et adopté par la commission, reprend également des dispositions déjà adoptées par le Sénat. Il tend à renforcer les sanctions pénales applicables en cas d’occupation en réunion sans titre d’un terrain. Si une interrogation sur l’effectivité de la mesure persiste à ce stade, elle constituera un outil supplémentaire à la main du juge, à qui il reviendra de s’en saisir, dans le respect des droits et libertés fondamentaux.
Par ailleurs, d’autres dispositions du texte développent des pistes de solutions innovantes face aux problèmes régulièrement rencontrés par les élus.
L’article 2, qui prévoit principalement la possibilité pour les communes et les EPCI concernés de subordonner à une réservation préalable l’accès aux aires d’accueil, constitue à cet égard une réelle avancée dans la gestion des aires d’accueil des gens du voyage. Dans la mesure où l’examen en commission a permis de garantir la solidité juridique du dispositif, je me réjouis qu’il puisse désormais être adopté par notre assemblée, car il facilitera la vie des collectivités territoriales concernées.
L’article 1er vise à éviter les risques de saturation des aires d’accueil par l’anticipation des déplacements de résidences mobiles. Il prévoit, dans la rédaction issue de l’examen en commission, une stratégie régionale de gestion de ces déplacements. Ce dispositif permettra d’impliquer le préfet de région et de s’assurer de la coordination, à l’échelle pertinente, de l’action de l’État et des collectivités en matière d’accueil des gens du voyage.
Enfin, l’article 8 tend à répondre au troisième et dernier objectif de la présente proposition de loi, à savoir le renforcement de la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.
Consolidée, d’une part, via le doublement de la période pendant laquelle la mise en demeure du préfet court et, d’autre part, par l’obligation du préfet de procéder à l’évacuation d’office dès lors qu’à son échéance la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet, cette procédure constituera la réponse efficace aux stationnements illicites que les maires et les présidents d’EPCI attendent depuis si longtemps.
En la matière, seule une action forte de l’État, se tenant aux côtés des collectivités concernées, est à même de rassurer ces dernières, qui se trouvent trop souvent démunies, car délaissées, face à un problème qui les dépasse.
Je souhaiterais saisir l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour m’adresser à vous, madame la ministre : les collectivités ont besoin que l’État prenne ses responsabilités en ce qui concerne l’accueil des gens du voyage.
Nous savons parfaitement que les schémas départementaux d’accueil sont insuffisamment mis en œuvre, et nous le déplorons. Cependant, nous avons tous aussi, dans cette assemblée, des exemples de communes ou d’EPCI qui se retrouvent dans une situation inacceptable lorsque, respectueux de leurs obligations et confrontés à une occupation illicite, ils voient le préfet opposer une fin de non-recevoir à leurs demandes légitimes d’évacuation.
Par ailleurs, depuis 2009, l’État ne prévoit plus de soutien spécifique à la réalisation ou à l’aménagement d’aires d’accueil et de terrains familiaux locatifs, sauf dans le cas de communes nouvellement inscrites au schéma départemental.
Madame la ministre, face à la sous-exécution des schémas départementaux, pourquoi ne pas restaurer un tel soutien financier, au lieu de procéder à des consignations de fonds contraires aux principes d’autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales ?
Une telle disposition ne saurait être introduite dans un amendement d’initiative parlementaire, en raison des règles de recevabilité financière, mais nous sommes prêts à travailler avec vous pour penser les voies et les moyens d’un soutien réel de l’État aux collectivités en la matière.
En un mot, madame la ministre, les collectivités territoriales sont bien au fait des obligations qui s’imposent à elles, et elles font leur possible pour s’y plier. Elles ont néanmoins besoin des marques de soutien qui leur font défaut dans la situation actuelle. Elles doivent pouvoir compter sur l’État bien davantage qu’elles ne le font. L’ensemble des acteurs du système y gagnerait, à commencer par les gens du voyage, dont l’accueil se trouverait significativement amélioré.
En conclusion, la présente proposition de loi ne réglera pas toutes les difficultés qui se posent aux élus locaux quant à l’accueil des gens du voyage. Le cadre juridique existant souffre, nous le savons, d’un défaut d’application, aux niveaux central et déconcentré, auquel il convient de remédier urgemment.
Elle permettra néanmoins de consolider ce cadre juridique et de donner davantage d’outils aux collectivités pour gérer avec efficacité des situations souvent difficiles. Elle me semble de ce seul fait, mes chers collègues, utile et nécessaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)