Mme Monique de Marco, rapporteure. Tel qu’il est rédigé, cet amendement va au-delà du domaine scolaire. Or les collectivités territoriales ont déjà la possibilité d’apporter un soutien financier à des institutions agissant pour la promotion des langues régionales.
En outre, cette disposition créerait une inégalité dans les possibilités de soutien financier pour des dépenses d’investissement entre les établissements privés sous contrat dispensant un enseignement en langue régionale et ceux qui n’en dispensent pas.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. D’une certaine façon, cet amendement tend à pousser les choses d’encore un cran, sur les dépenses d’investissement. Il s’agit d’autoriser les collectivités locales à attribuer un soutien financier pour les dépenses d’investissement et de fonctionnement des institutions qui agissent pour la promotion des langues régionales, notamment des établissements privés, sous contrat ou hors contrat, du premier et du second degrés, qui dispensent un enseignement en langue régionale.
Si l’on recherche les dispositions en vigueur dans ce domaine, on trouve, d’une part, la loi du 30 octobre 1886 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire, la « loi Goblet », qui instaure le principe d’interdiction de toute aide publique aux dépenses d’investissement des écoles privées du premier degré – c’est l’article L. 151-3 du code de l’éducation –, et, d’autre part la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement, la « loi Falloux », reprise à l’article L. 151-4 du même code, en vertu de laquelle les établissements d’enseignement privés du second degré général ne peuvent se voir attribuer de financement public pour leurs dépenses d’investissement qu’à hauteur de 10 % de leurs dépenses annuelles.
Ces principes n’ont pas été modifiés par la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, la « loi Debré », et ils sont rappelés constamment par les juridictions administratives.
Il existe quelques dérogations à ces principes d’interdiction ou de limitation du financement public des investissements des établissements d’enseignement privé, mais pour des objets bien déterminés et relatifs à des éléments obligatoires et incontournables de la formation, dans le respect des exigences rappelées par le Conseil constitutionnel.
Les auteurs de la présente proposition de loi et du présent amendement entendent reprendre, dans la loi, les éléments de la décision du Conseil du 13 janvier 1994 relative à l’aide aux investissements des écoles privées par les collectivités territoriales. Or ces dérogations visent des situations bien précises et objectives : il s’agit, d’une part, du financement d’équipements pour les enseignements complémentaires préparant à la formation professionnelle des élèves de collège ou pour la préparation à des diplômes et, d’autre part, du financement de certains équipements informatiques – c’est l’article L. 442-16 du code précité.
Par conséquent, la condition que le présent amendement tend à instaurer pour autoriser le financement, par les collectivités locales, des dépenses d’investissement ou de fonctionnement des établissements privés ne répond pas à ces exigences du Conseil constitutionnel. En particulier, l’offre d’un enseignement en langue régionale ne constitue pas un critère objectif de financement des établissements privés, dans la mesure où cela exclurait, par exemple, le financement des écoles privées sous contrat avec l’État qui ne dispenseraient pas un tel enseignement. L’un des risques encourus avec certaines des dispositions proposées serait donc de créer une forme d’inégalité, selon qu’un établissement propose ou non une langue régionale.
Si l’article 75-1 de la Constitution dispose que les « langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 20 mai 2011, que « cet article n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ». Le Conseil constitutionnel a donc estimé qu’il ne s’agissait pas d’un droit opposable.
Cette disposition ne répondant pas aux exigences rappelées par le Conseil constitutionnel et pouvant même entrer en contradiction avec le régime législatif actuel, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE II
ENSEIGNEMENT DES LANGUES RÉGIONALES
Article 3
(Suppression maintenue)
M. le président. Je suis saisi de six amendements identiques.
L’amendement n° 7 rectifié bis est présenté par MM. Parigi, Dantec et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Gontard, Dossus, Fernique et Labbé, Mmes de Marco, Poncet Monge et Taillé-Polian et M. Salmon.
L’amendement n° 8 rectifié quater est présenté par M. Brisson, Mmes Drexler et Schalck, M. Reichardt, Mme Muller-Bronn, MM. Panunzi et Cadec, Mme Gruny, MM. Cardoux, Pemezec, Savary et D. Laurent, Mme Dumas, M. Charon, Mme Borchio Fontimp, M. Longuet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Gremillet et Belin et Mmes Chain-Larché, Canayer, Berthet et M. Mercier.
L’amendement n° 9 rectifié bis est présenté par MM. Kern, Canevet et Détraigne, Mme Billon, MM. Le Nay, Folliot et Moga, Mme Saint-Pé et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 12 rectifié bis est présenté par Mme S. Robert, M. Stanzione, Mme Espagnac, M. Kanner, Mme Le Houerou, MM. Fichet, Assouline et Bouad, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Lurel, Magner et Montaugé, Mmes Préville, Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 14 rectifié est présenté par MM. Decool, Wattebled, Médevielle, A. Marc et Chasseing, Mme Mélot, M. Lagourgue et Mme Paoli-Gagin.
L’amendement n° 19 rectifié bis est présenté par Mme Havet, M. Rohfritsch, Mme Phinera-Horth, MM. Buis et Haye et Mme Duranton.
Ces six amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La section 4 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation est complétée par un article L. 312-11-… ainsi rédigé :
« Art. L. 312-11-…. - Sans préjudice des dispositions de l’article L. 312-11-1, dans le cadre de conventions entre l’État et les régions, la collectivité de Corse, la Collectivité européenne d’Alsace ou les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution, la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but de proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves. »
La parole est à M. Paul Toussaint Parigi, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié bis.
M. Paul Toussaint Parigi. Cet amendement vise à étendre, au sein du code de l’éducation, les dispositions existant aujourd’hui pour la seule langue corse et pour les seules écoles maternelles et élémentaires, à l’ensemble des langues régionales et dans les écoles maternelles et élémentaires, les collèges et les lycées des territoires concernés.
Il tend également à préciser que l’enseignement des langues régionales, dans le cadre de l’horaire normal de ces établissements, devrait donner lieu à des conventions entre l’État et les régions ou, le cas échant, la collectivité de Corse ou les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution, soit les départements et régions d’outre-mer. L’obligation prévue ne s’appliquerait que si une telle convention a été conclue et dans les territoires pour lesquelles elle l’a été. Une telle convention pourrait également prévoir la mise en place progressive de cette mesure, afin notamment de former les enseignants, en particulier dans le cadre de la formation initiale.
Cet amendement s’inscrit dans un cadre général et pour toutes les langues régionales ; sa rédaction ne restreint pas à un certain type d’enseignement ni ne présage de la forme de celui-ci.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié quater.
M. Max Brisson. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié bis.
M. Claude Kern. Il a été très bien défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié bis.
M. Lucien Stanzione. Il est défendu également !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 14 rectifié.
M. Jean-Pierre Decool. Défendu !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié bis.
Mme Nadège Havet. Défendu, monsieur le président !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Monique de Marco, rapporteure. La convention entre la collectivité territoriale de Corse et l’État a montré son efficacité en matière d’enseignement d’une langue régionale ; plus de 90 % des élèves étudient le corse à l’école primaire. Un tel dispositif respecte la Constitution tant que l’enseignement en langue régionale n’est obligatoire ni pour l’élève ni pour l’enseignant.
Il n’y a pas de raison que de telles conventions ne puissent pas être signées entre l’État et les régions ou la collectivité européenne d’Alsace, qui exerce des compétences spécifiques en matière d’enseignement des langues régionales.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. À titre préliminaire, je veux indiquer que, au-delà de ce qui est discuté dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, il existe toute une série de facteurs de dynamisme pour les langues régionales, qui se déploieront dans des temps futurs. Je veux notamment rappeler ce que je disais précédemment à propos du CNED et de ses possibilités d’extension quantitative extrêmement importantes, au travers de l’enseignement à distance ou des mécanismes périscolaires.
En effet, maintenant que nous avons un ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, nous avons la possibilité, avec, par exemple, le plan Mercredi, de favoriser l’enseignement des langues régionales en dehors du temps scolaire ; c’est une opportunité majeure. Certes, cela est de niveau infralégislatif, mais, d’un point de vue pratique, cela peut conduire à des choses très importantes.
La disposition contenue dans ces amendements est redondante avec les dispositions de l’article L. 312-10 du code de l’éducation, qui prévoit déjà qu’un enseignement de langue et de culture régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité, selon des modalités définies par voie de conventions entre l’État et les collectivités territoriales. Nous avons de multiples conventions de ce type ; je citais, précédemment, celle qui a été conclue avec l’Alsace.
En outre, telle qu’elle est rédigée, cette mesure est de nature à intégrer l’enseignement de la langue régionale parmi les enseignements obligatoires et, si elle était ainsi interprétée, à imposer cet enseignement aux élèves, ce qui serait contraire au principe de libre choix des familles face à l’offre linguistique proposée dans les écoles et les établissements publics locaux d’enseignement fréquentés par les enfants. En effet, le caractère non obligatoire de cette disposition n’est pas précisé dans l’amendement, la langue régionale n’étant pas mentionnée comme matière facultative ou optionnelle, dans le cadre de l’horaire normal d’enseignement. Ce caractère obligatoire pourrait tout à fait être induit par le contenu des conventions signées en amont.
La circulaire n° 2017-72 du 12 avril 2017 indique déjà qu’une langue régionale peut être enseignée à l’école élémentaire sur l’horaire dévolu aux langues vivantes, étrangères ou régionales. L’enseignement de la langue régionale peut éventuellement être renforcé, selon le projet d’école, par la conduite d’activités en langue régionale dans différents domaines d’apprentissage. Cet apprentissage peut en outre être précédé par des actions de sensibilisation et d’initiation à l’école maternelle, sous la conduite d’un professeur ou d’un intervenant extérieur. Il n’y a donc pas de caractère obligatoire pour l’enseignant et l’on compte beaucoup de projets extrêmement dynamiques sur le terrain, dans ce domaine.
Par ses décisions du 17 janvier 2002 et du 12 février 2004, le Conseil constitutionnel indique que « si l’enseignement de la langue [régionale] est prévu “dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires”, il ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves, ni pour les enseignants ; […] il ne saurait non plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci ». Or les limites fixées par le Conseil constitutionnel ne sont pas prises en compte dans le présent amendement.
En effet, tel que celui-ci est rédigé, l’enseignement de la langue régionale devra être obligatoirement proposé aux élèves des écoles maternelles et élémentaires, dès lors qu’il existerait une convention ou une demande exprimée sur le territoire. Cette disposition serait susceptible d’alourdir considérablement le poids des dépenses publiques.
Enfin l’amendement tend à attribuer un caractère obligatoire aux conventions passées avec l’État et, tel qu’il est formulé, il vise également à exclure de son champ les langues n’étant soumises à aucune convention, ce qui créerait une situation d’inégalité entre les langues régionales actuellement enseignées.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié bis, 8 rectifié quater, 9 rectifié bis, 12 rectifié bis, 14 rectifié et 19 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 3 est rétabli dans cette rédaction.
Articles 4 à 7
(Suppressions maintenues)
TITRE III
SERVICES PUBLICS : SIGNALÉTIQUE PLURILINGUE ET SIGNES DIACRITIQUES DES LANGUES RÉGIONALES DANS LES ACTES D’ÉTAT CIVIL
Article 8
(Non modifié)
Les services publics peuvent assurer sur tout ou partie de leur territoire l’affichage de traductions de la langue française dans la ou les langues régionales en usage sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, sur les voies publiques de circulation, sur les voies navigables, dans les infrastructures de transport ainsi que dans les principaux supports de communication institutionnelle, à l’occasion de leur installation ou de leur renouvellement. – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
L’article 34 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les signes diacritiques des langues régionales sont autorisés dans les actes d’état civil. »
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le Gouvernement s’est engagé à ce que les prénoms et noms de famille puissent comporter des signes diacritiques régionaux lorsqu’ils sont mentionnés dans les actes de l’état civil.
Toutefois, l’intégration de tels signes régionaux relève du domaine non de la loi, mais du règlement ; c’est donc simplement une question de droit. Ainsi, un décret en conseil d’État précisera, avant la fin du mois de janvier 2021, la liste des signes diacritiques régionaux recensés par le ministère de la culture qui pourront être utilisés dans les actes de l’état civil.
C’est pourquoi le Gouvernement propose, par cet amendement, la suppression de l’article 9 de la présente proposition de loi, dont le contenu trouvera néanmoins sa traduction, à sa place dans la hiérarchie des normes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Monique de Marco, rapporteure. La position du Gouvernement a évolué sur ce sujet depuis janvier 2020. En effet, un amendement similaire avait été adopté par le Sénat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative à la déclaration de naissance auprès de l’officier d’état civil du lieu de résidence des parents, sans que cela suscite de remarque particulière de la part du Gouvernement.
Vous évoquez, monsieur le ministre, un décret à venir. Pour l’instant, il n’est pas publié. Nous aurions aimé en avoir le texte.
En outre, selon les explications du ministre, ce décret devrait mentionner la liste des signes régionaux recensés par le ministère de la culture. Or l’existence d’une liste nous expose au risque de l’exclusion de signes diacritiques qui n’y figureraient pas. Lors de nos échanges avec la ministre de la culture, une telle liste m’a été transmise, mais elle portait la mention « non exhaustive ». Le ministère de la culture dispose-t-il seulement d’une liste exhaustive ?
La commission, qui s’est réunie pendant la suspension du déjeuner – cet amendement nous a été transmis très tardivement –, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 9.
(L’article 9 est adopté.)
Article 10
(Suppression maintenue)
Article 11
(Non modifié)
Le Gouvernement remet annuellement au Parlement un rapport relatif à l’accueil, dans les académies concernées, des enfants dont les familles ont fait la demande d’un accueil au plus près possible de leur domicile dans les écoles maternelles ou classes enfantines en langue régionale. – (Adopté.)
Article 12
(Non modifié)
Le Gouvernement remet annuellement au Parlement un rapport sur les conventions spécifiques conclues entre l’État, des collectivités territoriales et des associations de promotion des langues régionales relatives aux établissements d’enseignement de ces langues créés selon un statut de droit public ou de droit privé et sur l’opportunité de bénéficier pour les établissements scolaires associatifs développant une pédagogie fondée sur l’usage immersif de la langue régionale de contrats simples ou d’association avec l’État. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Paul Toussaint Parigi, pour explication de vote.
M. Paul Toussaint Parigi. En préambule, je tiens à remercier, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, les sénateurs ici présents. Dans un esprit transpartisan, vous avez contribué, mes chers collègues, à redonner du sens et de la teneur à ce texte ambitieux pour nos langues, légitime pour notre histoire, fidèle à notre culture, à nos racines. Vous avez même redonné de l’âme, dirais-je, à cette proposition de loi vidée de sa substance par la majorité des députés, confortée par un gouvernement encore hanté par le fantôme de l’idéologie monolinguiste, par un État qui ânonne l’importance de soutenir les langues régionales tout en réduisant les moyens qui leur sont consacrés.
Au pays du centralisme jacobin, hostile à toute la diversité linguistique, alors que la Constitution édicte que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, on laisse ces langues mourir en silence, empêchant toute déclinaison législative de ce principe constitutionnel et – pis ! – en sapant les timides avancées proposées, comme vous l’avez fait, monsieur le ministre, dans le cadre de la réforme du baccalauréat.
Vous ne duperez personne, monsieur le ministre ; les déclarations et les vœux pieux ne feront pas revivre nos langues, reconnues si tardivement par la République française. L’urgence à agir pour assurer l’enseignement de ces langues et leur promotion est à la mesure des talents que l’on a développés, en France, pour les éradiquer.
En donnant d’un côté et en reprenant de l’autre, vous démontrez votre volonté délibérée de rompre le progrès fragile qui prévalait depuis cinquante ans, foulant aux pieds l’histoire linguistique et le multilinguisme de la France et créant un ennemi virtuel de la République en brandissant le spectre du séparatisme. Mais, monsieur le ministre, c’est la folle volonté de l’État qui nous y accule ! Si nos langues doivent être sauvées, c’est au nom de la richesse culturelle, qui charrie d’autres rêves que ceux de la globalisation et de l’implacable conformisme auquel on plie nos destins tout entiers, c’est au nom de l’avenir de nos enfants, à qui l’on doit enseigner le plurilinguisme, et au nom de l’exercice des libertés de tous.
Sur les travées de la Haute Assemblée, c’est notre patrimoine vivant qui s’est exprimé aujourd’hui, le passé et l’avenir de nos langues que nous ne laisserons pas mourir sous la férule jacobine. Vi ringraziu ! Trugarez ! Milesker ! Velmol merci ! Je vous remercie ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour explication de vote.
M. Jérémy Bacchi. Je l’indiquais dans mon propos liminaire, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste voyait dans cette proposition de loi un acte législatif largement symbolique, mais important pour les langues régionales. En effet, une partie importante des dispositions contenues dans le texte existent déjà dans la loi.
Je mettais toutefois notre vote en balance. En effet, certains amendements déposés en amont du débat déséquilibraient le texte, en franchissant certaines lignes rouges et en dénaturant le dispositif proposé.
Oui, nous aurions pu aller plus loin en matière de promotion des langues régionales, c’est vrai, mais il ne faut pas que ces dernières deviennent un prétexte pour, une nouvelle fois, affaiblir le service public de l’éducation nationale en favorisant encore le secteur privé. Il me paraît d’ailleurs assez incohérent de vouloir démocratiser l’enseignement des langues régionales en privilégiant les établissements privés ; on aurait pu – cela aurait été plus efficace pour atteindre l’objectif annoncé – aller plus loin, en favorisant l’émergence de cursus de langues régionales au sein des établissements publics. C’est notamment par cette voie que le législateur a réussi à démocratiser l’offre de formation concernant certaines langues étrangères et mortes.
Par ailleurs, en faisant une nouvelle fois porter le poids de l’enseignement aux familles et aux collectivités, on crée un cadre parfait pour renforcer les inégalités territoriales et sociales au sein d’une même aire linguistique.
Ces amendements ayant été adoptés, c’est à regret que nous nous voyons dans l’impossibilité de voter pour ce texte. Toutefois, nous nous abstiendrons, étant entendu que la proposition de loi ne se résume pas à ces seules dispositions.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je n’approuve pas tout ce qu’a pu dire notre collègue Parigi, mais nous sommes d’accord sur deux points : d’une part, notre débat a effectivement été transpartisan – dans nos territoires, la défense de nos langues dépasse les clivages politiques – et, d’autre part, il y a urgence à agir. Voilà les deux points sur lesquels je serai d’accord avec notre collègue.
Je veux dire au président de la commission, M. Laurent Lafon, que nos langues sont le trésor de tout le pays, et non seulement celui des élus des départements où elles sont parlées. Qu’il se rassure, l’amendement que nous avons adopté aura peu de conséquences dans le Val-de-Marne ; en revanche, il pourrait avoir des conséquences bénéfiques pour les écoles de nos territoires qui ont des besoins de financement. Or, dans ces territoires, les maires sont déjà convaincus.
Monsieur le ministre, vous avez parlé d’intérêt général. Je pense que la Haute Assemblée est aussi porteuse de l’intérêt général et que, en l’occurrence, l’intérêt général consiste à se préoccuper des générations futures. Sans cela, nous serons la génération qui aura sacrifié et fait disparaître ces langues. Cette responsabilité, nous ne pouvons pas l’assumer devant les générations futures. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais les propos de monsieur Parigi me poussent à dire quelques mots.
Les élus du groupe Union Centriste ne partagent pas le point de vue qu’il a exprimé. Il y a une réelle volonté, je crois, y compris du côté du ministère de l’éducation nationale – en tout cas, pour ma part, je le ressens en Bretagne –, de faire avancer la cause des langues régionales ; je sais que des moyens importants y sont consacrés.
Je ne pense donc pas qu’il faille fustiger un pouvoir qui serait jacobin et qui s’opposerait aux girondins. Non, les uns et les autres veulent faire avancer la cause des langues régionales, parce que ces langues font partie de notre patrimoine, et nous devons essayer, ensemble, de construire quelque chose qui permette d’avancer pour la préservation de ce patrimoine. En aucun cas, nous ne pouvons nous retrouver dans la mise en cause du Gouvernement sur ce sujet, compte tenu de ce qu’il a déjà fait.
Le groupe Union Centriste votera ce texte. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. Je ne souhaitais pas reprendre la parole, mais je veux simplement me faire l’écho de ce que certains de mes collègues ont dit.
D’aucuns ont indiqué que le meilleur moyen d’aider les langues régionales consistait à développer l’enseignement au sein de l’école publique, de ne pas favoriser les écoles catholiques sous contrat ou autres. C’est tout l’enjeu ! L’école de la République et l’enseignement des langues régionales sont des enjeux majeurs pour le Sénat.
Les uns et les autres, nous nous sommes battus pour essayer de développer cet enseignement et, cher collègue Jérémy Bacchi, nous avons tous la volonté de développer les langues régionales dans l’école publique. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui. Il ne s’agit pas de monter les uns contre les autres – bien au contraire, monsieur le ministre, nous avons été à vos côtés pour chercher des solutions –, mais, je l’affirme, au Pays basque, c’est l’inverse que nous vivons.
Max Brisson et moi-même, nous nous battons donc pour faire progresser l’enseignement des langues régionales au sein de l’école publique, afin de ne pas instaurer de compétition ni de désordre entre les différents types d’enseignement.
Eu égard à ce que M. le ministre a affirmé, je veux croire que nous y parviendrons. Dans plusieurs de nos offices – offices publics de langue basque ou de langue bretonne –, il y a un partenariat majeur avec l’État ; il est aussi placé sous l’égide du ministère de l’intérieur et du ministère de la culture. On sait à quel point tout cela est important.
Nous devons trouver une solution et, si cela passe par la contractualisation avec l’État, je veux croire que celui-ci aura une autre attitude. Il ne s’agit pas, monsieur Blanquer, de vous pointer du doigt ; bien au contraire, je connais votre volonté en la matière – vous l’avez rappelée à la tribune et je vous en remercie –, mais j’espère que nous trouverons une issue positive pour l’école publique.