Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je félicite nos collègues du groupe CRCE de leur constance dans leurs convictions. Certes, elle n’a pas eu d’effet, mais nous devons le souligner. (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre présence constante pour remplacer le ministre Olivier Véran, dont nous regrettons une fois de plus l’absence.

M. Fabien Gay. Il va venir un jour ?

M. Pierre Laurent. Il n’est pas malade au moins ?

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Il existait autrefois une émission qui s’appelait Perdu de vue. On pourrait la relancer pour retrouver le ministre au Sénat ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Article 5 (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un pôle public du médicament et des produits médicaux
 

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, concernant l'aménagement numérique des territoires
Discussion générale (suite)

Aménagement numérique des territoires

Rejet d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, concernant l'aménagement numérique des territoires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, l’examen de la proposition de résolution concernant l’aménagement numérique des territoires présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 685 [2019-2020]).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de résolution.

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons un thème cher au sénat, celui de l’aménagement numérique du territoire. Il faut reconnaître qu’il s’agit d’une question essentielle pour nos concitoyens, comme l’a démontré avec acuité la crise de la covid-19. Cette crise a révélé de nouvelles fractures au sein de notre société : aux fractures sociales entre les premiers de cordée et les premiers de corvée se sont ajoutées des fractures territoriales et numériques dans l’accès aux services publics.

Ainsi, la question de l’accès à une connexion internet de qualité comme au réseau téléphonique mobile a été cruciale pour nombre de nos concitoyens dans leur rapport au monde durant le confinement. Grâce à une bonne connectivité, certains ont pu profiter de leurs proches, mais également poursuivre leur travail à distance, suivre des cours, des formations, accéder aux collections des musées, à la culture en ligne et aux divertissements, ou encore régler des problèmes administratifs, inscrire leurs enfants aux activités, payer la cantine, faire leurs courses livrables à domicile… Bref, ils ont pu continuer de vivre dans les conditions permises par l’État d’urgence sanitaire. Pour d’autres, l’isolement physique a été conjugué à un isolement numérique, une telle situation étant insupportable moralement, mais également particulièrement handicapante.

De ce constat, nous tirons une leçon. Les réseaux de télécommunications sont à l’image des réseaux de communications au XIXe siècle : un levier puissant d’aménagement du territoire et de désenclavement, un outil d’intégration au monde. Pour cette raison, notre groupe demande depuis de nombreuses années l’intégration du très haut débit, soit un débit supérieur à 30 mégabits par seconde, au service universel des communications électroniques, afin d’en garantir réellement l’accès pour tous.

Faute d’une telle spécification, corollaire d’un nouveau droit au numérique qui reste à conquérir, la place laissée à l’initiative privée a été prépondérante. L’urgence à l’époque a été de démanteler le monopole d’alors, celui de France Télécom, devenu Orange, pour permettre, au nom des directives européennes et de la concurrence, à d’autres opérateurs de s’installer. Une telle situation devait être favorable aux usagers, devenus des clients. Or que constate-t-on ?

Ce changement de paradigme et la succession des différents plans n’ont pas permis d’avancer vers une couverture intégrale des territoires, et trop de nos concitoyens restent toujours sur le bord des routes numériques. Alors que le plan France Très haut débit, adopté le 28 février 2013 par le Gouvernement, a fixé l’objectif d’une couverture intégrale du territoire en très haut débit d’abord en 2022, puis en 2025, nous en sommes malheureusement encore loin. Avec ce plan, 80 % de la population devrait être directement reliée à la fibre optique. Ce plan très haut débit prévoit de mobiliser les acteurs privés et publics, pour un investissement total évalué à 20 milliards d’euros.

Pour ce faire, le territoire est coupé en deux. Sur le territoire le plus dense, représentant 57 % de la population, les opérateurs s’engagent à déployer des réseaux de fibre privés mutualisés de très haut débit dans le cadre de conventions signées avec l’État et les collectivités concernées. Le déploiement des réseaux privés nécessite un investissement des opérateurs de 6 milliards à 7 milliards d’euros.

Pour le reste du territoire, qui représente 43 % de la population, mais 90 % du territoire, autant dire l’essentiel de notre pays, les collectivités territoriales créent des réseaux publics, les réseaux d’initiative publique (RIP). Ceux-ci sont aujourd’hui frappés d’une faiblesse qui tient à la difficulté, une fois même le réseau créé, de trouver des opérateurs pour s’y inscrire. Ainsi, dans les RIP, seuls 26 % des prises installées bénéficient de l’offre de plus d’un opérateur.

Par ce découpage, le plan entérine et poursuit un schéma bien connu, dans lequel on privatise les profits et socialise les pertes. Là où la rentabilité est assurée, les opérateurs interviennent et, là où ce n’est pas le cas, la puissance publique se substitue avec, je le souligne, de fortes limites, puisque les collectivités comme l’État interviennent dans un contexte d’assèchement global des ressources.

Dans les zones intermédiaires, pas tout à fait denses, mais suffisamment pour se passer de l’initiative publique, on a recours aux appels à manifestation d’intérêt, laissant encore le secteur privé répondre à des questions relevant de l’intérêt général.

Le déploiement de réseaux publics par les collectivités territoriales représente un investissement de 13 milliards à 14 milliards d’euros. Les recettes d’exploitation et le cofinancement des opérateurs privés doivent financer la moitié de cet investissement, limitant le besoin de subventions publiques à 6,5 milliards d’euros. Sur cette somme, le plan France Très haut débit prévoit un double soutien financier pour les projets des collectivités ; d’une part, une subvention de l’État de 3,3 milliards d’euros et, d’autre part, l’accès à des prêts à des taux préférentiels.

En décembre 2017, le Gouvernement a pourtant stoppé les subventions et fermé le guichet chargé de distribuer ces aides aux collectivités. À la suite d’une forte mobilisation des territoires, le guichet a rouvert en décembre 2019, avec un financement limité à 140 millions d’euros. Dans la loi de finances pour 2020, ces sommes sont même passées à 440 millions d’euros.

Le Sénat a obtenu, dans la troisième loi de finances rectificative, une rallonge de 30 millions d’euros. Le plan de relance, dans le cadre de la loi de finances pour 2021, prévoit, lui, de nouvelles autorisations d’engagement, à hauteur de 240 millions d’euros. Autrement dit, en cumulé, en ajoutant ces autorisations d’engagement supplémentaires aux crédits dégagés sur les RIP antérieurs, les crédits du plan France Très haut débit s’élèvent aujourd’hui à 550 millions d’euros.

Certes, ces crédits sont en hausse, mais ils demeurent en deçà des besoins puisque, selon l’Observatoire du très haut débit, il faudrait environ 800 millions d’euros pour atteindre nos objectifs.

Par ailleurs, dans un rapport du 31 janvier 2017, la Cour des comptes a estimé que le projet devrait dépasser la durée et le budget initiaux, pour passer de 20 milliards à 35 milliards d’euros et s’étaler jusqu’en 2030, ce qui soulève de nouvelles questions de financement.

Ces chiffres étant très décevants – aujourd’hui seuls un peu plus de 50 % des locaux disposent d’une couverture en très haut débit –, nous considérons qu’il convient de changer de modèle. L’effort public doit être réévalué de manière globale, afin de redonner un cadre à l’investissement et à l’action publique en faveur de l’aménagement numérique des territoires. L’intervention publique de l’État ne peut se limiter à une politique de guichet ou à des appels à manifestation d’intérêt, encore moins à des enchères publiques, comme avec la 5G, qui pose pourtant tant de problèmes éthiques et politiques, comme l’a souligné la Convention citoyenne sur le climat.

L’intervention privée doit donc être mieux encadrée. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, a en ce sens marqué des avancées. Une clause « fibre » a ainsi été insérée permettant à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), après une mise en demeure sur le respect d’obligations de déploiement résultant d’engagements pris, de sanctionner l’opérateur à hauteur de 1 500 euros par local non raccordable pour un réseau filaire ou de 3 % du chiffre d’affaires.

Pour autant, force est de reconnaître que ces dispositions n’ont fait l’objet d’aucune mise en œuvre, alors même que, à la fin du premier trimestre 2020, Orange et SFR n’avaient rendu raccordables respectivement que 67 % et 75 % des sites des zones AMII (Appel à manifestation d’intention d’investissement). Je crains donc que ces mesures ne soient assez peu dissuasives.

La question des modalités de construction et de gestion des infrastructures numériques reste entière. Elle est prioritaire. Pourquoi permettre aux opérateurs privés d’être propriétaires des infrastructures dans les zones denses et rentables et les exonérer de cette obligation dans les zones non rentables ? Pourquoi ne pas avoir soit séparé partout les infrastructures et les activités d’opérateurs, à l’image par exemple du rail, soit conservé un modèle unifié qui aurait permis de basculer, grâce à la rente du cuivre, au fibrage de l’ensemble des territoires ? Nous sommes aujourd’hui dans un modèle hybride, inopérant pour remplir ses missions d’intérêt général.

Nous considérons ainsi qu’il est nécessaire de créer un opérateur national, propriétaire des réseaux, et dont le financement serait assuré à la fois par les opérateurs et par l’État. Il s’agit de doter cet opérateur de ressources mutualisées, pourquoi pas au travers d’un fonds dédié, alimenté par les entreprises sur leurs bénéfices, souvent considérables et si souvent décriés comme le résultat d’ententes. Les actions de SFR, Bouygues et Orange se portent toutes très bien, leurs résultats étant positifs, même avec la crise !

Dans le modèle que nous vous proposons, toutes les recettes de l’opérateur de réseau seraient obligatoirement réinvesties dans le développement et l’entretien du réseau existant. Il s’agirait ainsi de permettre la mutualisation des recettes des zones denses pour couvrir les besoins des zones moins denses, ce qui serait une avancée considérable.

Rappelons pour finir que la Commission européenne a fixé pour 2025 l’objectif d’une couverture totale des locaux à 100 mégabits par seconde, soit la mise en place de la fibre jusqu’à l’ensemble des abonnés. La France se doit donc de créer les moyens d’atteindre ces objectifs afin d’éviter d’aggraver des fractures territoriales en créant de nouveaux déserts numériques, alors même que le droit au très haut débit doit être garanti pour l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRCE a fait le choix de débattre ici de l’aménagement numérique des territoires. Nous voulons montrer, à travers cet exemple, combien des territoires entiers de notre pays ont été oubliés du fait d’un désengagement de l’État, et ce depuis plusieurs années.

Encore très récemment, la mise aux enchères des fréquences de la 5G a été une belle illustration de ce laisser-faire coupable. L’attribution de ces fréquences, qui s’est faite au plus offrant et a rapporté 2,7 milliards d’euros, n’avait pour seul but que de faire entrer de l’argent frais dans les caisses de l’État. Avouez, mes chers collègues, que c’est curieux en termes de politique publique, d’autant que les opérateurs eux-mêmes avaient alerté le Gouvernement sur le caractère non urgent de ces enchères au regard des retards existants concernant la 4G. Cette démarche est d’autant plus curieuse que le passage à la 5G devrait également priver d’accès près de 4 000 foyers dans quarante départements particulièrement enclavés.

Ce nouvel épisode confirme ainsi les schémas existants d’intervention publique et privée structurés autour d’une socialisation des pertes et d’une privatisation des profits. Au-delà du modèle économique, ces éléments nous interrogent également en matière de stratégie industrielle nationale et de démocratie.

Je prendrai encore une fois l’exemple de la 5G. Cette technologie, par ses performances en termes de connectivité, est une innovation d’importance. Concrètement, elle pourrait constituer une solution de remplacement sérieuse à la fibre optique dans les territoires très enclavés. Toutefois, les questions qui se posent aujourd’hui concernant son développement ne relèvent pas de ces enjeux industriels ou d’aménagement ; le seul prisme est celui de la rentabilité. Nous allons donc continuer de multiplier les infrastructures et les pylônes en zone dense pour attirer les consommateurs et favoriser la compétitivité.

Nous le voyons bien, le problème, au fond, ce n’est pas cette technologie innovante, mais ce que l’on en fait et à qui elle est destinée. Si l’objectif est de permettre aux banques et autres assureurs de spéculer plus vite en gagnant quelques secondes de réactivité, quel est l’intérêt pour nos concitoyens ?

Surtout, qui en décide ? Car, mes chers collègues, c’est aussi une question démocratique ! Il apparaît nécessaire que le Parlement se dote enfin réellement d’un plan stratégique de développement numérique adossé à la création d’un véritable service public permettant de garantir le droit au très haut débit pour tous. Ce plan doit être présenté et voté au Parlement. Il devrait fixer des objectifs non seulement de connectivité et de couverture du territoire, mais également industriels, liés au développement de ces technologies, adossés à des outils publics et à des études fiables, ce qui manque aujourd’hui et nourrit toutes les défiances.

Il nous faut reconstruire un pôle public des télécommunications responsable de ce service public. La privatisation de France Télécom a été une folie économique et sociale. Alors que la rente du cuivre aurait permis de financer la fibre sur tout le territoire, l’État a préféré brader ce fleuron industriel. Or nous avons besoin d’une stratégie industrielle nationale dans le secteur du numérique, c’est une évidence.

Les enjeux sociaux sont aussi importants et rendent nécessaire un renforcement de la prise en charge de l’accès des plus fragiles, car il s’agit bien d’un service essentiel, nous l’avons vu durant le confinement.

Enfin, un tel plan doit fixer des objectifs environnementaux de sobriété. Cette exigence, qui s’exprime de plus en plus fortement, doit être prise en compte.

Pourtant, aujourd’hui, le développement numérique reste un angle mort démocratique, le Parlement étant simplement appelé à constater ou non le respect par les opérateurs privés de leurs engagements peu contraignants dans le cadre du plan France Très haut débit et du contrôle de l’Arcep. De même, alors que les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont exigé un moratoire sur le développement de ces technologies, l’exécutif leur a répondu par le dédain en les qualifiant d’« amish », traduisant un mépris tout jupitérien.

Nous pensons que l’utilité publique de ces usages justifie des débats avec la Convention citoyenne, mais aussi avec les associations, les élus et le Parlement.

Tels sont, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais vous soumettre, en complément de la présentation de notre proposition de résolution par Marie-Claude Varaillas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la démarche engagée dans cette proposition de résolution, car j’en partage le constat, à savoir celui d’une fracture numérique persistante au sein de notre société. La crise sanitaire a mis en lumière le caractère essentiel des réseaux numériques pour la continuité des activités de la Nation, qu’il s’agisse de continuer à apprendre, à travailler, à se soigner via la téléconsultation, ou simplement de garder un contact avec nos proches.

Relever ce défi nous permettra collectivement de désenclaver nos territoires et de les rendre plus attractifs pour les entreprises et nos concitoyens. Pour toutes ces raisons, je partage le constat de nos collègues du groupe CRCE. Toutefois, nous ne pouvons souscrire aux solutions proposées.

Il est tout d’abord proposé d’intégrer au service universel des télécommunications l’accès au très haut débit garanti à tous. Force est de rappeler que le service universel découlant de la directive européenne portant création du code européen des communications électroniques intègre l’accès au haut débit et non au très haut débit. Il est vrai qu’un doute existe sur la possibilité d’atteindre en 2020 l’objectif d’un « bon » haut débit pour tous. Notre collègue Jean-Michel Houllegatte a soulevé cette préoccupation dans son rapport pour avis sur les crédits relatifs à l’aménagement numérique du territoire, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Ce doute, mes chers collègues, semble bel et bien confirmé sachant que le guichet Cohésion numérique des territoires, qui permet, dans l’attente de l’arrivée de la fibre, de financer des équipements pour une connexion non filaire, est trop peu utilisé. Seuls 600 000 euros ont été décaissés au 30 juin dernier. Nous sommes donc très loin des 100 millions d’euros budgétés. Toutefois, et j’y reviendrai, les financements sont maintenant sur la table et les rythmes de déploiement sont globalement satisfaisants en matière de très haut débit.

Ensuite, les auteurs de la proposition de résolution considèrent qu’il convient de s’interroger sur l’opportunité de créer un véritable pôle public des télécommunications afin de garantir le service universel et la maîtrise publique des infrastructures numériques.

Permettez-moi de rappeler que la planification et l’initiative publique valent déjà dans les zones rurales et peu denses, où a été reconnue, au début des années 2010, la carence de l’initiative privée. Ainsi, dans ces territoires, le déploiement s’opère sous l’autorité des collectivités territoriales, avec un soutien financier de l’État, via des réseaux d’initiative publique.

Ailleurs, en revanche, la logique de planification n’a pas été retenue, car il a été jugé préférable de s’appuyer sur une logique concurrentielle, considérant que le marché pouvait aboutir à un déploiement dynamique. Cela n’empêche pas, dans cette zone d’initiative privée, la souscription d’engagements contraignants, afin de s’assurer de l’atteinte des objectifs par les acteurs privés : c’est la logique des fameuses zones AMII.

Dès lors, la logique de planification de la présente proposition de résolution n’est ni celle du plan France Très haut débit ni celle du Sénat, et je considère qu’il convient de laisser fonctionner la logique concurrentielle, qui aboutit à des rythmes de déploiement satisfaisants, voire inédits, avec par exemple l’installation de près de 5 millions de prises en 2019 pour la fibre optique jusqu’au domicile. Dès lors, la logique hybride actuelle semble pertinente, à condition que le régulateur puisse sanctionner la non-atteinte des objectifs, j’y reviendrai également.

Les auteurs de la proposition de résolution estiment par ailleurs nécessaire de revoir les architectures de financement des réseaux d’initiative publique, afin que l’État accorde un soutien exceptionnel aux collectivités volontaires. Il est vrai que, en 2019, vingt-cinq départements n’avaient pas encore finalisé leur plan de financement pour la généralisation de la fibre optique, illustration de crédits insuffisamment déployés par l’État dans ces territoires. Le Sénat, ainsi que la commission que je préside, avait régulièrement alerté le Gouvernement sur ce sujet.

Après une première rallonge de 30 millions d’euros, sur l’initiative du Sénat, dans la troisième loi de finances rectificative, le plan de relance nous apporte enfin satisfaction. Celui-ci prévoit en effet de nouvelles autorisations d’engagement à hauteur de 240 millions d’euros, offrant de la visibilité pour la généralisation de la fibre d’ici à 2025.

Il s’agit d’une victoire politique majeure pour notre assemblée et notre commission, engagées dans ce combat pour assurer la couverture numérique des territoires. À cet égard, je tiens à saluer nos collègues Hervé Maurey et Patrick Chaize, qui se sont particulièrement investis sur ce sujet.

Enfin, les auteurs de ce texte souhaitent des mesures plus contraignantes afin que les opérateurs privés respectent les obligations qu’ils ont contractées. La couverture intégrale des zones AMII accuse en effet un certain retard pour lequel la crise sanitaire ne constitue pas une explication suffisante. À la fin du premier trimestre 2020, Orange et SFR avaient rendu respectivement 67 % et 75 % des sites en zones AMII raccordables, ce qui est assez loin de l’objectif souscrit auprès de l’Arcep. Dès lors, les éventuels retards devront bien entendu être justifiés par les opérateurs. Dans le cas contraire, le cadre juridique existant déjà, il faudra que l’Arcep ait la volonté d’user de son pouvoir de sanction.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de résolution.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.

M. Jean-Michel Houllegatte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Un État moderne est un État qui sait donner des impulsions sans se substituer aux acteurs de la société - citoyens, associations, entreprises, collectivités territoriales : l’État épaule leurs efforts, en leur donnant les moyens d’agir par eux-mêmes. » Ces paroles, prononcées le 26 août 1999 par Lionel Jospin, alors Premier ministre, lors de l’Université d’été de la communication à Hourtin, définissaient à l’époque la stratégie du Gouvernement pour la société de l’information.

Il était temps d’agir, car si la France avait réussi son plan téléphone en 1970, ouvrant dix ans plus tard la voie au célèbre et populaire Minitel, elle avait raté le plan câble les années suivantes et commençait à accumuler du retard dans ce que l’on appelait à l’époque les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais il faudra tout de même attendre février 2013 pour que les fondamentaux de cette stratégie soient posés, sous l’impulsion de François Hollande, avec le plan France Très haut débit.

Celui-ci reposait sur un constat simple : la couverture intégrale et rapide du territoire représente des investissements tels qu’ils nécessitent bel et bien un partage des rôles entre initiative publique et privée. Dans les zones très denses, soit 57 % de la population, l’initiative privée doit se mobiliser et, dans les zones moins denses, après appel à manifestation d’intention d’investissement, là où il y a donc une carence constatée du privé, c’est à la puissance publique d’agir par le biais des collectivités, et c’est à l’État de les accompagner, à l’aide d’un guichet de financement doté initialement de 3,3 milliards d’euros. Il est à noter que les collectivités ont la possibilité de se refinancer en percevant des redevances d’utilisation.

La question que nous devons nous poser est de savoir si ce modèle est efficient. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il va permettre d’atteindre les objectifs de la couverture intégrale, soit plus de 40 millions de logements et de locaux à raccorder d’ici à 2025. Nous pouvons constater que le rythme des déploiements est soutenu, de l’ordre de 4,8 millions de prises en 2019 ; quasiment le même nombre est attendu en 2020, malgré la crise sanitaire. Les acteurs privés du secteur investissent de l’ordre de 10 milliards d’euros par an, soit plus de 50 milliards d’euros depuis six ans.

Concernant les zones moins denses, nous partageons l’idée que l’État doit, plus que jamais, continuer d’apporter son soutien financier aux réseaux d’initiative publique portés par les collectivités, afin de sécuriser le déploiement de la fibre dans les territoires isolés ou encore mal desservis.

Comme l’a souligné Jean-François Longeot, notre assemblée a pesé de tout son poids et les crédits complémentaires disponibles s’élèveront à 550 millions d’euros, dont 240 millions issus du plan de relance, ce qui offre enfin une visibilité aux vingt et un départements n’ayant pas complété à ce jour leur plan de financement. Certes, quelques incertitudes demeurent sur le futur cahier des charges, sur les raccordements complexes, mais l’horizon semble dégagé.

Une des particularités du plan de 2013 est d’avoir renforcé l’action du régulateur. Le statut d’autorité indépendante de l’Arcep lui permettra d’exiger des opérateurs qu’ils respectent les engagements contraignants qu’ils ont pris et, le cas échéant, de prendre des sanctions.

À ce titre, le traitement des 43 retards au regard des 445 premiers sites du New Deal de la couverture ciblée sera un véritable test. L’Arcep a toujours su faire preuve de fermeté, si bien que les relations ont parfois été tendues avec les opérateurs. Citons, pour mémoire, la question prioritaire de constitutionnalité, qui démontre, à juste titre, qu’une réflexion sur un éventuel renforcement de ses pouvoirs peut être engagée, notamment sur les impacts environnementaux des réseaux, tout en veillant bien évidemment à l’équilibre des relations entre les acteurs.

De même, l’Arcep devra s’approprier de nouveaux sujets. Ainsi, dans les zones très denses où les déploiements sont sous la totale responsabilité de l’initiative privée, on constate des retards : c’est notamment le cas à Bobigny, à Lille et à Clermont-Ferrand. Ces retards sont-ils fortuits ou dus aux stratégies commerciales de certains opérateurs, qui ne veulent pas se départir d’abonnements souscrits en ADSL ? L’Autorité devra y répondre.

Enfin, la qualité des raccordements finaux et les malfaçons dues à une cascade de sous-traitants conduisent parfois à ce que l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel) appelle des « paquets de nouilles » et constituent un sujet de préoccupation qui risque de dégrader la performance de connexion.

Nous remercions donc le groupe CRCE de nous permettre de débattre de ce sujet, mais considérant qu’une partie des réponses aux questionnements posés par cette proposition de résolution est déjà apportée, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra.