Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Aide publique au développement » vont connaître une nouvelle progression en 2021. En particulier, les crédits de paiement attribués à l’Agence française de développement, l’AFD, augmenteront de 154 millions d’euros, soit de 26 %.
Sur cette toile de fond plutôt positive, j’évoquerai néanmoins deux préoccupations importantes de notre commission.
Premièrement, comme l’a confirmé la Cour des comptes au début de l’année, l’AFD souffre d’un défaut de pilotage. L’Agence s’est trop autonomisée, devenant une sorte de « super-banque » tournée vers les grands émergents. Sa puissance de frappe, de l’ordre de 14 milliards d’euros, explique en partie cette évolution, face à une tutelle qui, elle, a dû au contraire se serrer la ceinture.
Pour y remédier, il conviendrait, selon nous, de nommer un membre du Gouvernement, à vos côtés, monsieur le ministre, spécifiquement en charge de la politique d’aide publique au développement. Cela permettrait de mieux incarner ladite politique parmi l’ensemble des politiques publiques.
Il faut également simplifier l’empilement d’instances qui prétendent encadrer l’AFD et renforcer les capacités de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, afin que celle-ci exerce une vraie tutelle.
Surtout, une double étape doit désormais être rapidement franchie pour consolider cette reprise en main, en commençant par la présentation du nouveau contrat d’objectifs et de moyens aux deux assemblées – je rappelle que le précédent contrat avait pour terme 2019.
Il faudra examiner, ensuite, le futur projet de loi d’orientation relatif à la politique de solidarité internationale, que nous attendons depuis deux années. Cette loi aura pour ambition, nous l’espérons, une réforme de la politique d’aide au développement ; elle doit notamment prévoir la mise en place d’une commission d’évaluation véritablement indépendante – nous y veillerons.
M. Christian Cambon. Excellent !
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. Deuxième préoccupation : l’AFD, avec son modèle fondé essentiellement sur les prêts, est désormais en difficulté.
D’une part, la crise a fait baisser drastiquement son résultat financier. Elle ne peut donc plus le capitaliser pour accroître ses fonds propres. Nous souhaitons, du reste, que toute éventuelle mesure de recapitalisation fasse l’objet de contreparties importantes de la part de l’Agence : maîtrise des charges, voire désengagement partiel des grands pays émergents, tels que la Chine ou la Turquie. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire où en est la réflexion sur un tel projet de recapitalisation ?
D’autre part, la majorité des pays africains frôlent le surendettement. L’Agence ne pourra bientôt plus leur prêter. Au total, il sera donc nécessaire d’apporter de profonds changements au fonctionnement de l’AFD.
Nous avons, vous l’avez compris, des réserves importantes sur ce budget : un quart seulement de notre aide publique au développement bénéficie aujourd’hui aux pays les moins avancés ; un renforcement du pilotage de l’AFD est en cours, mais nous attendons des résultats ; quant à la loi d’orientation, elle ne nous a toujours pas été présentée.
Compte tenu de l’augmentation des moyens alloués et eu égard aux perspectives que la future loi pourrait dessiner, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a cependant émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.
Toutefois, monsieur le ministre, nous considérons que l’année 2021 sera pour l’AFD une année de probation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l’aide publique au développement est en augmentation, ce qui nous permet de reprendre progressivement notre rang en la matière ; il nous faut nous en féliciter.
Je formulerai quelques remarques, cependant.
Tout d’abord, j’évoquerai de nouveau la question de l’affectation de la taxe sur les transactions financières, ou TTF. Celle-ci a été créée explicitement dans l’objectif d’alimenter l’aide publique au développement, l’idée étant d’y faire contribuer les gagnants de la mondialisation. Or un tiers seulement de son produit, qui est de 1,6 milliard d’euros en 2020, est fléché vers l’APD.
Parallèlement, nous assistons à l’effondrement du produit de la taxe sur les billets d’avion. Ne serait-il pas cohérent de compenser cet effondrement par une augmentation de la part de TTF ? J’ai déposé un amendement d’appel en ce sens, mais j’ai eu le regret de constater que M. le ministre délégué aux comptes publics n’a pas souhaité ou n’a pas pu en débattre. Quelle est donc, monsieur le ministre, votre position sur cette proposition ?
Je voudrais ensuite saluer les efforts français en matière de lutte contre le changement climatique. La France a massivement contribué au Fonds vert pour le climat créé en 2015, sa contribution s’élevant à 774 millions d’euros sur la période 2015-2018.
À l’occasion du G7 de Biarritz, en août 2019, le Président de la République a annoncé que la France doublerait sa contribution, ce qui est une bonne chose.
Or, si le Fonds vert a levé au total 10,3 milliards de dollars de ressources, la part américaine de 2 milliards d’euros n’a toujours pas été versée. Espérons que le président élu Joe Biden y pourvoira, en cohérence avec l’annonce du retour des États-Unis dans l’accord de Paris de 2015.
En outre, la France devrait coprésider le Fonds vert en 2021. À cette occasion, notre pays devrait travailler à ce que la part visant à l’adaptation au changement climatique soit rééquilibrée par rapport à la part visant à l’atténuation dudit changement. En effet, 25 % seulement des projets visent l’adaptation, ce qui pénalise – vous en conviendrez – les pays les plus pauvres. Quelle est, là encore, votre position sur ce point, monsieur le ministre ?
Je souhaite évoquer également un sujet qui a suscité un débat, pour ne pas dire plus, au sein de notre commission. Il s’agit du nouveau siège de l’AFD. Les chiffres ne sont pas loin de donner le vertige : 50 000 mètres carrés sont prévus, pour un total de 836 millions d’euros…
En cette période de crise, et compte tenu de l’état des finances de l’AFD – Hugues Saury en a parlé –, cela ne peut que nous interroger. Le projet avait d’ailleurs été défini sur la base d’une croissance des effectifs, hypothèse devenue peu réaliste : en la matière, c’est plutôt un effort qui va être demandé à l’AFD. Le projet compte ainsi 10 000 mètres carrés de trop, selon l’Agence elle-même.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des informations sur cette opération en général, sur son financement et sur le devenir de ces mètres carrés excédentaires ?
Pour conclure, comme mon collègue, je souhaite vous interroger sur la date à laquelle le nouveau projet de loi d’orientation et de programmation sera présenté en conseil des ministres. Nous voudrions que ce texte, tant de fois annoncé, jamais arrivé, cesse de jouer l’Arlésienne.
Quant au vote des crédits de cette mission, nous y sommes bien sûr favorables. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nathalie Delattre et M. Claude Nougein applaudissent également.)
Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame le président, monsieur le ministre, chers collègues, un pays qui n’aide plus, qui n’a plus les moyens d’aider, c’est le signal d’un pays qui va mal.
La France est l’un des principaux acteurs en matière d’aide publique au développement. En 2019, elle conservait son cinquième rang mondial avec 12,2 milliards de dollars en volume, derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.
Aujourd’hui, l’enjeu pour la France est de tenir son rang face aux autres puissances européennes et mondiales. Après cinq ans de baisse entre 2010 et 2015, l’aide publique au développement (APD) est la politique publique qui enregistre la plus forte hausse relative pour l’année 2021 : plus 17 %.
C’est un effort sans précédent en faveur de la solidarité internationale. Certes, cet effort pourrait être considéré comme peu prioritaire face à la somme de nos problèmes nationaux, mais n’oublions pas que toutes les économies sont aujourd’hui liées entre elles, dans un contexte où les dettes publiques s’alourdissent considérablement.
Je tiens à saluer le travail de mes collègues Hugues Saury et Rachid Temal, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur les programmes 110 et 209, ainsi que celui de Michel Canevet et de Jean-Claude Requier, dont les rapports spéciaux incluent le compte de concours financiers dédié.
Monsieur le ministre, vous nous présentez un budget tout à fait conforme aux orientations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement de 2018. On dénombre ainsi dix-neuf pays prioritaires, principalement sur le continent africain. Sont prévus 2 millions d’euros pour l’Institut Pasteur et plus de 10 millions d’euros en faveur du Fonds français Muskoka ; 2 millions d’euros sont réservés au Forum Génération Égalité, qui se tiendra à Paris en 2021 – c’est un symbole fort pour les droits des femmes. Des fonds dédiés à l’aide humanitaire sont en hausse, avec 330 millions d’euros ; des efforts pour renforcer la part des dons sont maintenus. Enfin, dans ce contexte de pandémie, 60 millions d’euros sont consacrés au secteur de la santé dans le programme 110.
Pourtant, l’an dernier, des doutes avaient été exprimés dans cet hémicycle sur le pilotage et la transparence de l’APD.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous avez fait de la recherche d’un meilleur pilotage politique une priorité. Nous notons avec satisfaction le renforcement du rôle de l’administration centrale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour mieux encadrer la diplomatie du développement, et la réactivation du conseil d’orientation stratégique de l’Agence française de développement, l’AFD.
Le programme 365 vise à renforcer les fonds propres de l’AFD pour pérenniser les ressources et reboucler le circuit financier. De nouveau, l’APD ne doit pas être une politique isolée. La réforme des modèles économiques des acteurs du secteur pour intégrer les financements croisés de l’Union européenne et de la Banque mondiale va dans le bon sens.
Depuis l’an dernier, le projet d’une taxe sur les transactions financières européennes poursuit son développement et, nous l’espérons vivement, permettra demain d’abonder l’APD.
Depuis toujours, les restructurations et annulations de dette s’étalent sur plusieurs années, sans dommage majeur pour notre propre balance budgétaire. Surtout, elles sont nécessaires pour éviter que des pays ne soient en faillite, en pleine crise du covid, ce qui endommagerait leur capacité ultérieure à rembourser qui que ce soit.
Tous les rapports ont été adoptés dans les différentes commissions sans modification. Bien sûr, le projet de relocalisation du siège social de l’AFD mérite notre attention et appelle notre vigilance. Toutefois, j’espère que ces garanties sauront apporter une réponse aux doutes exprimés l’an dernier sur ce budget.
Au vu du caractère vital de l’aide publique au développement et de la responsabilité que nous avons en tant que nation, le groupe RDPI votera favorablement les crédits de cette mission.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois encore, nous allons adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » sans le cadrage maintes fois promis – ce sera peut-être encore le cas ce soir –, mais toujours pas mis en œuvre, d’une loi de programmation pluriannuelle de l’aide publique au développement.
C’est d’autant plus problématique qu’aux enjeux structurels sur l’absence d’un ministre dédié, sur les montants de cette aide publique, sur sa conception, sur ses critères et sur la transparence de sa mise en œuvre s’ajoutent désormais les effets durables, structurants et aggravants en termes d’inégalités de la pandémie sur des pays destinataires déjà bien fragiles.
C’était donc, à l’heure de toutes les urgences, le moment de présenter cette loi de programmation. Or nous n’y sommes toujours pas. Cela en dit long sur les retards pris et sur la sous-estimation des enjeux !
Quoi qu’en disent les chiffres annoncés, nous sommes très loin d’être au niveau, en termes tant de montants que de réorientation stratégique de cette aide publique.
Pour cette année encore, les prêts représentent l’écrasante majorité de l’activité de l’AFD : comparés aux 16 % en moyenne des autres pays du Comité d’aide au développement, c’est peu de dire que nous devons poursuivre et accélérer une profonde réorientation.
La domination des prêts a des conséquences fortes. Elle oriente une part importante de nos aides vers les pays les plus solvables, au détriment des plus fragiles qui devraient avoir la priorité, alors même que, pour la première fois en vingt ans, l’extrême pauvreté reprend sa progression dans le monde.
Le Sahel, pourtant région considérée comme prioritaire et où nous sommes engagés militairement, ne reçoit qu’à peine 5 % de l’aide française, alors que nous ne cessons d’affirmer que la solution ne sera pas militaire, mais qu’elle résidera dans la reconstruction d’un développement pérenne et endogène. Où est la logique ?
De surcroît, pour les pays emprunteurs, le recours prioritaire à l’endettement les enfonce à long terme et nuit à leur capacité d’investissement.
La perpétuation de ce modèle est l’un des aspects majeurs de l’inadéquation de notre aide publique, au même titre que l’amplification d’un continuum entre développement et sécurité, l’intégration dans l’APD des questions migratoires ou la récurrence de l’aide conditionnée, dont les critères sont tous centrés sur une prétendue et discutable « défense de nos intérêts » et non sur les véritables enjeux du développement tels qu’ils sont définis par l’ONU.
Le pré-projet de loi de programmation, rédigé bien avant que n’explosent les besoins liés la crise sanitaire, tablait sur une mission « Aide publique au développement » pour 2021 entre 3,9 milliards et 4 milliards d’euros, auxquels il fallait ajouter 838 millions d’euros alors prévus d’affectation de taxes. Nous sommes, il est vrai, aujourd’hui au-dessus de ces montants, avec un total de 5,55 milliards d’euros programmés, dont 655 millions d’euros d’affectation de taxes, malgré un écroulement des recettes de la taxe sur les billets d’avion, la TSBA.
La France, cinquième puissance économique du monde, prévoit de participer à hauteur de 1 % à l’aide d’urgence demandée par les Nations unies pour les pays les plus pauvres, qui subissent de plein fouet toutes les crises. La coordination des ONG estime, quant à elle, que la France pourrait d’ores et déjà mobiliser des sommes beaucoup plus importantes, soit près de 15 milliards d’euros de plus, notamment grâce à une autre politique de gestion de la dette et surtout à une augmentation plus audacieuse des taxes et ressources dédiées à l’APD.
De ce point de vue, le refus d’augmenter le rendement de la taxe sur les transactions financières, réitéré dans la discussion budgétaire, est un crime contre le développement solidaire de l’humanité dans cette situation alarmante d’inégalité dans le monde. Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement maintient-il sa position d’un plafonnement de l’affectation de la taxe sur les transactions financières, la TTF, au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) ?
Malgré la crise sanitaire, qui a eu un léger impact sur la TTF, son produit pour 2020 et 2021 est estimé respectivement à 1,22 milliard d’euros et à 1,04 milliard d’euros, dont moins de la moitié est redirigée vers la solidarité internationale, qui est à l’origine de sa création.
Le Président de la République a annoncé à plusieurs reprises que le développement était une priorité et que nous étions « en guerre » face au coronavirus. Nous constatons toutefois chaque jour que la guerre contre la pauvreté se mène, elle, avec toujours aussi peu de moyens.
Notre vote contre les crédits de cette mission exprimera cette exigence et l’impatience de notre groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’incroyable bouleversement qu’a connu le monde en 2020 rend plus central encore le sujet de l’aide publique au développement.
Comme de nombreux autres pays, la France est elle-même sinistrée. Avec la pandémie, son économie – notre économie – a été durement touchée : le chômage repart à la hausse, des entreprises ont mis la clé sous la porte et la pauvreté augmente sur notre territoire. Cependant, nous examinons aujourd’hui les crédits destinés à aider d’autres pays à se développer, en leur faisant moins de prêts et plus de dons.
Alors que la situation économique de notre pays est historiquement mauvaise, certains pourraient avoir du mal à comprendre que la France cherche cette année encore à atteindre ses objectifs en matière d’aide au développement. La formule des années 1960 « La Corrèze avant le Zambèze » pourrait ainsi revenir au goût du jour… (Sourires.)
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires considère cependant que la poursuite de l’action de la France en la matière est primordiale. À deux principaux égards, l’aide publique au développement est un outil précieux dans les relations internationales.
D’une part, l’interdépendance des économies nationales n’est plus à démontrer. Un pays qui se développe grâce à la France est un partenaire économique. En renforçant ses infrastructures et en améliorant le niveau de vie de sa population, ce pays développe des conditions d’échanges propices au renforcement des liens institutionnels et aux opportunités entrepreneuriales avec la France. Dans une économie mondialisée, aider au développement des autres, c’est indirectement favoriser son pays.
D’autre part – et cet aspect majeur est probablement plus important que le premier –, l’aide au développement constitue également un moyen efficace pour lutter contre l’insécurité mondiale. Les zones les plus instables sont souvent celles où le développement est le plus faible, en particulier lorsque l’État n’a pas les moyens de mettre en place une instruction publique. En Afrique, plus particulièrement au Burkina Faso, près de 2 300 établissements ont fermé à cause du terrorisme. C’est dans un tel contexte que l’aide au développement est primordiale afin de lutter contre le risque d’embrigadement des enfants dans des écoles du terrorisme.
Pour éviter la création de zones de non-droit dans des États qui connaissent une certaine instabilité, il est essentiel de les accompagner dans un développement homogène de leur territoire. Le développement contribue ainsi à la résolution politique de conflits qui nous concernent. C’est notamment le cas des pays de la bande sahélo-saharienne.
Pour avoir le meilleur effet, l’aide doit être concentrée sur les pays qui en ont le plus besoin. À cet égard, nous comprenons et nous soutenons le changement de logique consistant à privilégier les subventions et les dons plutôt que les prêts. L’aide est souvent plus cruellement nécessaire aux pays qui n’ont pas la capacité de rembourser.
La France avait jusqu’à présent préféré accorder une aide sous forme de prêts pour des raisons évidentes d’allégement des coûts. Cela a néanmoins conduit à diriger des aides vers des pays qui ne semblent pas être les plus prioritaires. Si le remboursement des prêts que la France accorde à la Chine paie le salaire du directeur de l’Agence française de développement, il n’en est pas moins difficile de justifier que Pékin, capitale de la deuxième puissance mondiale, puisse avoir besoin de l’aide de Paris. Nous devons nous assurer que l’argent consacré à l’aide publique parvient effectivement aux projets choisis par la France.
Dirigée vers les pays qui en ont le plus besoin, majoritairement sous forme de subventions, l’aide publique au développement devra en outre faire l’objet de contrôles d’autant plus étroits.
L’aide au développement est avant tout un défi que l’humanité doit relever. Elle implique des frais de siège, de structure et d’encadrement nécessaires au contrôle et à la conduite de projets. Dans un climat national où la pauvreté sera de plus en plus apparente, nous devons être très vigilants sur toute dépense ostentatoire. (M. Jérôme Bascher renchérit.)
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Joël Guerriau. Il convient que ces charges de fonctionnement soient les plus faibles possible afin que chaque euro dépensé contribue avant tout à lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde.
Nous attendons avec impatience le projet de loi destiné à définir le cadre de l’aide publique française.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Joël Guerriau. La France, cinquième pourvoyeur mondial d’aide publique, doit poursuivre son action en la matière,…
Mme le président. Je vous demande maintenant de conclure, cher collègue !
M. Joël Guerriau. … en s’assurant que les fonds versés concourent bien à la réalisation des objectifs qu’elle se fixe.
Sous ces conditions, le groupe Les Indépendants – République et Territoires approuvera ces crédits.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, confirmant la trajectoire engagée en 2018 et les promesses présidentielles, la mission « Aide publique au développement » est en hausse de près de 50 % pour atteindre 4,9 milliards d’euros en crédits de paiement.
Cette augmentation s’explique toutefois en très grande partie par un nouveau programme de recapitalisation de l’Agence française de développement, qui vise principalement à se conformer aux nouvelles règles prudentielles européennes.
Il n’en reste pas moins que c’est une hausse que je tiens à saluer, d’autant qu’elle permet de se rapprocher de l’objectif de 0,55 % du RNB dédié à l’aide publique au développement à l’horizon de 2022.
Toutefois, ne nous méprenons pas, cette hausse n’est en réalité qu’un rattrapage. En 2010, 0,5 % du RNB était consacré à l’aide publique au développement. Aussi, la France est toujours loin de l’objectif de 0,7 % auquel elle s’est engagée dans une résolution de l’ONU, en 1970.
L’augmentation des budgets n’est pas encore suffisante pour que l’aide au développement de la France joue le rôle qui doit être le sien. Un récent rapport d’Oxfam intitulé « 50 ans de promesses non tenues » chiffre à 5 000 milliards d’euros sur cinquante ans les sommes non versées.
La pandémie accentue par ailleurs les besoins en termes de financement. Alors que plus de 100 millions de personnes risquent de tomber dans l’extrême pauvreté, l’ONU évalue à 500 milliards d’euros les besoins supplémentaires pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et économique. Pour la France, au regard de son poids dans l’économie mondiale, cela représenterait 14,5 milliards d’euros supplémentaires. Nous n’y sommes pas encore…
Au-delà de la recapitalisation de l’AFD – j’exprime au passage ma circonspection sur l’opération immobilière à plus de 800 millions d’euros prévue par l’AFD pour son nouveau siège et évoquée par plusieurs de mes collègues –, les crédits des deux programmes utiles passent, quant à eux, de 3,27 milliards d’euros à 3,95 milliards d’euros.
Lorsque l’on examine les chiffres dans le détail, la répartition des crédits de la mission soulève plusieurs interrogations.
Je tiens tout d’abord, chers collègues, à appeler votre attention sur le grand paradoxe de l’aide publique au développement française : ce ne sont pas les dix-neuf pays considérés comme prioritaires qui bénéficient le plus de l’aide. Cette aberration est le résultat d’une politique d’aide au développement peu ambitieuse. Depuis des années, la France fait le choix des prêts plutôt que des dons.
M. Guillaume Gontard. De ce fait, ce sont les objectifs prudentiels qui s’imposent, et non les objectifs politiques. Plutôt que de contribuer financièrement à l’agrandissement des lignes de métro d’Istanbul, nous ferions mieux d’aider les pays prioritaires.
D’après Jorge Moreira da Silva, chargé de la direction de la coopération pour le développement à l’OCDE, « le financement du développement durable des pays en développement risque de s’effondrer ». Il faut donc passer outre les règles prudentielles et aider les pays qui n’ont pas les moyens d’assurer leur transition énergétique.
Sur les dix-neuf pays, dix-huit sont africains. Allouer les crédits destinés à la Chine à ces dix-huit pays permettrait d’aider ceux qui en ont le plus besoin. Telle devrait être la vocation première de cette mission budgétaire.
Enfin, il est essentiel de revenir sur la question des conditionnalités. Il serait inutile de conditionner l’aide publique au développement à des engagements en matière migratoire. Le but de l’aide publique au développement est que les pays bénéficiaires puissent s’ouvrir au monde de façon autonome. L’aide publique au développement ne doit pas devenir le pendant de la politique migratoire française. La prise en compte du taux de reconduite à la frontière n’aidera pas les pays bénéficiaires à relever les défis contemporains. Conditionner les aides à des clauses migratoires ne ferait que régler les manifestations du problème, et non ses causes.
En bref, nous examinons un budget habituel alors que nous sommes face à une crise exceptionnellement grave. Nous ne pouvons pas voter favorablement des crédits que même l’OCDE juge insuffisants. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde brutalement mis à l’arrêt par la pandémie de la covid-19, les aides tant privées que publiques en direction des pays pauvres sont fortement affectées : 700 milliards de dollars en moins selon une estimation de l’OCDE.
Dans ce contexte difficile, malgré la crise économique et la dégradation des finances publiques que connaît notre pays, je salue l’action du Gouvernement, qui entend viser l’objectif de hausse continue du budget de l’aide publique au développement établi à 0,55 % de notre revenu national brut d’ici à 2022.
Cet effort illustre l’attachement de la France à une politique qui est l’expression de ses valeurs de solidarité et d’humanisme. Je rappelle que notre pays est le cinquième pays pourvoyeur mondial d’aide publique au développement. Je rappelle également que la France a fortement appuyé l’initiative de suspension du service de la dette, l’ISSD, actée entre le Club de Paris et le G20 avant l’été.
Cette politique est en outre un levier important de notre rayonnement international, en particulier quand elle s’exerce à travers une coopération bilatérale, qui donne une visibilité plus directe de nos actions sur le terrain. Aussi, je me réjouis de constater la confirmation de cette orientation dans ce projet de loi de finances. Je pense notamment à l’augmentation des moyens de l’Agence française de développement au titre des dons-projets et des dons-ONG.
Je souligne enfin que la politique de développement est un instrument de diplomatie de la paix. Il est bien évident que la pauvreté nourrit l’instabilité et fait le lit des organisations criminelles ou terroristes. Mardi dernier, l’Union européenne s’est engagée à prêter 1,2 milliard d’euros à l’Afghanistan, tout en appelant les talibans à s’impliquer concrètement dans le processus de paix. À cet égard, il me semble que la conditionnalité des aides ne doit pas être un sujet tabou.
Au-delà de ces trois axes, qui doivent continuer de mobiliser notre politique d’aide au développement, je souhaite évoquer quelques-unes des priorités qui me paraissent essentielles et dont, je l’espère, nous pourrons bientôt débattre dans le cadre du projet de loi de programmation tant attendu.
En effet, les questionnements relatifs à l’orientation de l’aide publique au développement sont nombreux.
Sur sa nature, je crois qu’un large consensus existe pour privilégier une politique de dons et de subventions plutôt que de prêts, ces derniers étant moins accessibles aux pays les plus pauvres. Nos collèges rapporteurs pour avis, dont je salue l’excellent travail,…