M. Éric Bocquet. Le numérique est un sujet inépuisable !
On le sait, les grands groupes du numérique jouent sur la notion d’établissement stable dans un pays pour s’acquitter de l’impôt. La notion est tellement floue qu’avec l’armée de juristes et d’avocats brillants dont ils disposent, ils sont toujours gagnants devant les tribunaux.
Nous proposons d’avoir des critères chiffrés très simples : fourniture de service supérieure à 7 millions d’euros par an ; nombre d’utilisateurs supérieur à 100 000 ; nombre de contrats commerciaux supérieur à 3 000.
Nous savons que les discussions au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour un impôt mondial de 12 % à 13 % sur les bénéfices des multinationales sont à l’ordre du jour. Une telle taxation pourrait rapporter 80 milliards d’euros au minimum. Or c’est un échec : les négociations n’avancent pas.
M. Le Maire lui-même se montre sceptique : « […] il n’y aura pas d’accord en février, non plus qu’en mars ou en avril. Même en cas de changement à la présidence des États-Unis, il ne faut pas se faire d’illusions sur un changement radical de la position américaine. » J’ai tendance à partager cette analyse.
M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, a assuré que, à défaut d’une taxe mondiale, il y en aurait une à l’échelle de l’Union européenne. Selon lui, le dispositif d’optimisation fiscale utilisé notamment par les géants américains de la tech, les fameux Gafam, est légal, mais est une anomalie qui doit être rectifiée.
À mon sens, le Sénat pourrait contribuer à cette rectification, dans l’intérêt général.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je suppose que vous parlez bien du Sénat français, mon cher collègue ! (Sourires.)
L’avis est défavorable. Mais il est inopérant de vouloir consacrer l’établissement stable virtuel en droit national si l’on ne renégocie pas les conventions fiscales internationales avec nos partenaires. Vous l’avez évoqué, cela relève de négociations au sein de l’OCDE.
On peut nourrir un espoir pour l’année prochaine, avec le changement de présidence aux États-Unis. Ce ne sera, certes, pas aussi rapide, mais comme tout était très fermé auparavant, je ne doute pas que votre influence au pays de l’Oncle Sam aidera le Sénat français ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je ne sais si l’on peut compter sur l’influence de M. Bocquet aux États-Unis. (Nouveaux sourires.) Mais gageons que la mobilisation de tous sera utile pour déboucher sur un accord au sein de l’OCDE.
Vous l’avez dit, les discussions y sont difficiles. C’est ce qui nous a amenés à annoncer que, après avoir suspendu l’acompte de janvier sur la taxe spécifique mise en place par la France sur les Gafam, nous en percevrions la totalité, comme en 2019, à hauteur de 350 millions d’euros.
Ce chiffre est, certes, loin de vos objectifs. Je sais que vous préféreriez une taxe au sein de l’OCDE ou a minima, à l’échelon européen. Mais, dans l’attente, la France a mis en place ce dispositif précurseur.
L’avis est donc défavorable, pour les raisons évoquées par M. le rapporteur général. Toutefois, je voulais de nouveau souligner, après Cédric O, que cette taxe sera de nouveau perçue, comme en 2019, à l’échelle nationale, pour 350 millions d’euros.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je vais soutenir cet amendement. À force de lutter, nous avons fini par obtenir une liste française des territoires non coopératifs, alors que ce n’était pas possible. On ne pouvait pas l’avoir, c’était seulement au plan européen, c’était demain, ce n’était jamais le bon texte, jamais le bon moment, jamais le bon amendement…
Le Gouvernement a tout de même fini par décréter une liste française des « territoires non coopératifs », c’est-à-dire des paradis fiscaux.
Je ne vois donc pas pourquoi nous ne pourrions pas faire un peu de patriotisme légal en essayant de trouver une définition de l’établissement stable, que nous pourrions ensuite transposer à l’échelon européen.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Féraud, Kanner et Raynal, Mme Briquet, MM. Cozic et Éblé, Mme Espagnac, MM. Jeansannetas, P. Joly, Lurel et J. Bigot, Mmes Bonnefoy et Harribey, MM. Marie, Mérillou et Montaugé, Mme S. Robert, MM. Temal, Tissot et Antiste, Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la section 0I du chapitre III du titre Ier de la première partie du code général des impôts est insérée une section ainsi rédigée :
« Section…
« Contribution exceptionnelle des grandes et moyennes surfaces et des acteurs du commerce électronique
« Art. …. – I. – Les établissements de stockage et de logistique servant à la vente de biens à distance fermés au public ainsi que les établissements dont la surface de vente excède 400 mètres carrés sont assujetties à une contribution exceptionnelle au titre de tout exercice au cours duquel un état d’urgence sanitaire a reçu application sur tout ou partie du territoire de la République lorsque, sur cet exercice, leur résultat d’exploitation a augmenté par rapport à la moyenne des trois derniers exercices clos. Le taux de cette contribution est fixé à 80 % du montant de cette augmentation.
« II. – La contribution est recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions.
« Les établissements de stockage et de logistique servant à la vente de biens à distance fermés au public ainsi que les établissements dont la surface de vente excède 400 mètres carrés adressent à l’administration fiscale une déclaration, accompagnée des pièces justificatives, sur le calcul du montant de la contribution dont elle est redevable. Cette contribution est payée spontanément au comptable public compétent. »
La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Les commerces de proximité souffrent des mesures prises par le Gouvernement pour enrayer l’épidémie de covid-19. Cet amendement vise à créer en leur faveur une contribution exceptionnelle de la part des grandes surfaces et des plateformes de e-commerce, comme Amazon.
Ces établissements ont été moins touchés par la crise que les commerces de proximité ; ce n’est rien de le dire ! Les grandes et moyennes surfaces ont pu rester ouvertes malgré les confinements. Au moment du deuxième confinement, pendant que les commerces de proximité étaient fermés, elles ont pu bénéficier des atermoiements du Gouvernement sur la définition des produits de première nécessité.
Les plateformes de e-commerce peuvent être considérées comme les grandes gagnantes de la crise sanitaire. Alors que le pays était à l’arrêt entre mars et avril 2020, leur activité économique n’a pas cessé. Le commerce en ligne a généré 44,5 milliards d’euros sur les six premiers mois de l’année 2020, soit une hausse de 13 % par rapport au premier semestre de l’année 2019.
Nous proposons de mettre en œuvre une contribution exceptionnelle, afin de répondre à l’iniquité qui règne entre, d’une part, les commerces de proximité et, d’autre part, les grandes surfaces, ainsi que les plateformes de e-commerces.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame Briquet, je note tout d’abord le caractère inflationniste de votre proposition : je me souviens d’un candidat à l’élection présidentielle qui voulait instituer une taxe à 75 % ; vous, vous faites mieux, en proposant de taxer à 80 % !
Je suis défavorable à cet amendement, pour deux raisons. D’une part, le dispositif présente des risques juridiques, ainsi que des difficultés réelles de mise en œuvre en mêlant les surfaces de vente et de stockage. D’autre part, il appréhende indifféremment les entrepôts et les surfaces de vente, qui ne sont pas dans la même situation au regard de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom). Cela pourrait mener à une surabondance fiscale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Avis défavorable, pour les mêmes raisons : au regard de la jurisprudence, un taux de 80 % nous paraît confiscatoire.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Tout le monde voit bien que la situation d’Amazon n’est pas simplement celle d’une entreprise qui ferait des bénéfices. Outre que ces bénéfices sont excessifs, gigantesques, ils augmentent parce que d’autres sont en train de mourir. Vous savez bien qu’une contribution à 80 % ne mettra pas le groupe sur la paille. Il s’agit d’une mesure de justice.
C’est bien beau de signer des pétitions en faveur des libraires et des petits commerces, etc. Mais si nous voulons que le fonds de soutien puisse être abondé, il faut aller chercher l’argent là où nous savons que cela ne fera pas de mal à l’économie.
Les bénéfices d’Amazon ont explosé : 44 milliards d’euros ! Et c’est lié non seulement à la vente, mais aussi à la consultation de la plateforme. La publicité que les 49 millions d’euros de consultation permettent de capter est du même coup enlevée aux médias de proximité, qui sont en train de mourir.
Nous pouvons agir. Il arrive parfois que nous n’ayons pas de marges de manœuvre. Mais, en l’occurrence, nous en avons. Il serait de mauvaise politique de s’en priver.
Nous proposons de taxer non pas les Français, le commerce ou l’économie nationale, mais des entreprises qui, même soumises à un taux à vos yeux confiscatoire, continueront de dominer l’économie et de s’enrichir.
M. Vincent Éblé. Courage, fuyons !
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour de la suite éventuelle du projet de loi de finances rectificative pour 2020, mardi 17 novembre, le soir, après l’examen, en nouvelle lecture, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions d’ores et déjà ouvrir les séances de cette nuit et, éventuellement, de celle de demain pour l’examen de ce texte.
Enfin, dans le cas où nous n’aurions pas terminé l’examen du projet de loi de finances rectificative cette nuit, nous pourrions fixer l’heure de reprise de demain soir à vingt et une heures. Dans le cas contraire, nous reprendrions nos travaux à vingt et une heures trente pour l’examen du seul projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne.
Y-a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 23, mon collègue Jean Pierre Vogel souhaitait voter contre.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Loi de finances rectificative pour 2020
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020.
Nous poursuivons l’examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 1er.
Articles additionnels après l’article 1er (suite)
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié bis, présenté par M. Canevet, Mmes N. Goulet, Billon et Sollogoub, MM. Levi, Kern, Le Nay, Cigolotti, Delcros et Delahaye, Mme Létard et M. Duffourg, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 790 A du code général des impôts est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, sur option des donataires, les donations en pleine propriété de parts ou actions d’une société, si les conditions suivantes sont réunies :
« a) L’entreprise ou la société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ;
« b) La donation est consentie aux personnes titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis au moins deux ans et qui exercent leur fonction à temps plein ou d’un contrat d’apprentissage en cours au jour de la transmission, conclu avec l’entreprise dont les parts ou actions sont transmises ;
« c) Le donateur ne peut transmettre plus de 15 % du capital de l’entreprise ;
« d) Lorsqu’elles ont été acquises à titre onéreux, les parts ou actions mentionnées ci-dessus doivent avoir été détenues depuis plus de deux ans par le donateur ou la société ;
« e) Les donataires ne peuvent détenir plus de 10 % du capital de l’entreprise dont les parts ou actions sont transmises au moment de la réalisation de la donation. Les parts ou actions objet de la donation peuvent, le cas échéant, être versées par les donataires sur un plan d’épargne entreprise dans la limite de 7,5 % du plafond annuel de la sécurité sociale. »
II. –La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Cet amendement vise à étendre le régime de donations au personnel salarié d’une entreprise d’un fonds de commerce ou d’une clientèle aux donations de parts sociales ou d’actions de société aux salariés de l’entreprise.
Le donateur, actionnaire ou associé de l’entreprise, peut transmettre à titre gratuit les parts ou actions de l’entreprise qu’il détient aux salariés de l’entreprise grâce au dispositif suivant : dès lors que l’entreprise exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, la donation est consentie à l’ensemble des salariés si ces derniers ont au moins deux années d’ancienneté dans l’entreprise.
Le donateur ne peut transmettre plus de 15 % du capital de l’entreprise. Lorsqu’elles ont été acquises à titre onéreux, les parts ou actions mentionnées ci-dessus doivent avoir été détenues depuis plus de deux ans par le donateur ou la société. Les donataires ne peuvent pas détenir plus de 10 % du capital de l’entreprise dont les parts ou actions sont transmises au moment de la réalisation de la donation.
Les salariés ont la possibilité de verser les parts ou actions, objet de la donation, sur le plan d’épargne entreprise dans la limite de 7,5 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce sujet relève plus du projet de loi de finances (PLF) que du projet de loi de finances rectificative (PLFR).
Néanmoins, je voudrais préciser qu’une telle modification soulève plusieurs difficultés. Contrairement au dispositif existant pour les fonds de commerce et les entreprises individuelles, l’exonération n’est pas plafonnée à 300 000 euros. En outre, elle n’est subordonnée à aucune condition de poursuite de l’activité par les repreneurs.
Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Billon, l’amendement n° 134 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 30 rectifié bis est présenté par M. Delahaye, Mme Férat et les membres du groupe Union Centriste.
L’amendement n° 108 rectifié bis est présenté par M. Babary, Mme Thomas, MM. Klinger et Houpert, Mmes Demas, Renaud-Garabedian, Chauvin et Belrhiti, MM. J.M. Boyer, Bouloux, D. Laurent, Courtial et Burgoa, Mmes Deromedi et Joseph, M. Lefèvre, Mme Lassarade, M. Saury, Mmes Puissat et M. Mercier, MM. Allizard, Vogel et Gremillet, Mme Deroche, M. Brisson, Mme Dumont, M. Sido, Mme Raimond-Pavero, MM. E. Blanc, Charon et Genet, Mme Micouleau, MM. Mandelli et Pellevat, Mme Primas, MM. Rapin, Le Gleut, B. Fournier et Pointereau, Mme Bourrat, M. Chaize, Mme Di Folco, M. de Nicolaÿ, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Boré et Le Rudulier, Mme Imbert, M. Cuypers et Mme Garriaud-Maylam.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les personnes mentionnées aux 1° à 6° du B du I de l’article L. 612-2 du code monétaire et financier qui, au jour de la promulgation de la présente loi, exploitent une entreprise en France au sens du I de l’article 209 du code général des impôts, acquittent une taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation.
II. – Cette taxe est assise sur le montant, à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi, de la réserve de capitalisation que les personnes mentionnées au I ont constituée en application des dispositions législatives et réglementaires du code des assurances, du code de la mutualité ou du code de la sécurité sociale qui les régissent.
III. – Le taux de la taxe est de 10 %. Le montant de la taxe est plafonné à 10 % des fonds propres, y compris la réserve de capitalisation, des personnes mentionnées au I du présent article à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi.
IV. – La taxe n’est pas admise en déduction du résultat imposable à l’impôt sur les sociétés.
V. – La taxe est exigible à la clôture de l’exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi. Elle est déclarée et liquidée dans les quatre mois de son exigibilité sur une déclaration dont le modèle est fixé par l’administration.
VI. – La taxe est recouvrée et contrôlée selon les procédures et sous les mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l’amendement n° 30 rectifié bis.
M. Vincent Delahaye. Les mesures décidées par le Gouvernement pour faire face au covid ont créé – c’était prévisible – une situation économique catastrophique, avec de gros problèmes sociaux qui ne font que commencer.
De nombreux secteurs d’activité – je pense aux petits commerces, au tourisme et à beaucoup d’autres – souffrent énormément. Lors du PLFR 2, au printemps dernier, nous avions déposé le même amendement sur les assurances. Il s’agit d’une mesure qui avait été prise par Nicolas Sarkozy en 2011, pour taxer à hauteur de 10 % les réserves de capitalisation des sociétés d’assurance.
Notre amendement avait été adopté au printemps, mais n’avait malheureusement pas survécu à la commission mixte paritaire, comme cela arrive assez souvent aux amendements du Sénat.
Néanmoins, le rapporteur général et le ministre de l’époque – les titulaires de ces fonctions ont changé depuis – nous avaient donné rendez-vous à un autre PLFR pour réexaminer cette proposition. M. Darmanin avait indiqué que toute la Nation s’accordait pour dire que les assurances doivent contribuer davantage. Elles font en effet partie des secteurs ayant plutôt bénéficié de la crise.
Il est vrai que les assurances ont décidé de donner un « pourboire » de 400 millions d’euros. Ce n’est déjà pas mal, mais cela nous paraît totalement insuffisant par rapport à la contribution qui pourrait être la leur, au titre de la solidarité nationale, à l’égard des secteurs ayant le plus souffert.
Nous proposons de nouveau, pour ce PLFR 4, une telle contribution de 10 % sur les réserves de capitalisation, qui se montent à peu près à 20 milliards d’euros, soit une recette de 2 milliards d’euros. Nous pensons qu’il faut le faire dès 2020, et non en 2021.
Nous ferons l’année prochaine le bilan de l’opération pour les sociétés d’assurance, ce qui nous permettra peut-être d’ajuster leur contribution.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour présenter l’amendement n° 108 rectifié bis.
M. Cyril Pellevat. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je demande le retrait de tous les amendements tendant à instaurer une taxe sur le secteur assurantiel. Le débat aura lieu lors de l’examen du PLF pour 2021, et la commission des finances vous proposera alors un amendement en ce sens.
La Fédération française de l’assurance a porté la contribution du secteur assurantiel, qui était initialement de 200 millions d’euros, à 400 millions d’euros. Un certain nombre d’autres actions ont été menées, faisant monter l’ensemble de l’engagement du secteur des assurances entre 2,7 milliards d’euros et 3 milliards d’euros.
En outre, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de la semaine passée, le Sénat a voté une taxe sur les complémentaires santé, à hauteur de 1 milliard d’euros pour chacune des années 2020 et 2021. Dans l’amendement que je vous soumettrai lors de l’examen du PLF, je proposerai en outre une imposition sur les assurances dommages, à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires.
Il faut également prendre en comptes les signaux, d’où qu’ils viennent. Un rapport de la direction générale du Trésor a démontré qu’il y avait eu perception de primes sans contreparties de sinistres pour des montants importants. Cela me rappelle le débat que nous avons eu tout à l’heure à propos de la taxe sur ce que certains appellent la vente en ligne et que nous appelons la vente à distance.
Attention à ne pas nous tromper de cible. Les fonds de capitalisation et les réserves financières appartiennent aussi à la communauté des assurés. Il me semble donc un peu perfide de faire une ponction aussi tardivement et à l’insu des assurés, qui pourraient se retrouver spoliés.
C’est la raison pour laquelle je sollicite le retrait de ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Même avis.
Pour l’année 2020, le secteur des assurances participe à hauteur de 4 milliards d’euros, selon les comptes du Gouvernement : 400 millions d’euros au titre du fonds de solidarité – c’est d’ailleurs presque autant que les régions, qui ont participé à hauteur de 472 millions d’euros –, 1,5 milliard d’euros d’investissements dans les secteurs les plus protégés et enfin 2 milliards d’euros de gestes commerciaux par les différentes compagnies. Je pourrais aussi évoquer le prélèvement sur les assurances complémentaires, même si c’est un secteur à part.
Cela n’épuise pas le débat sur l’assurance de la perte d’exploitation, qui est apparu avec cette épidémie, mais ne justifie pas un prélèvement de 10 % sur les réserves.
Nous demandons donc le retrait de ces deux amendements identiques. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Ces réponses ne me satisfont absolument pas.
Le rapporteur général nous dit que c’est trop tardif ? Nous avions fait la même proposition au printemps, et on nous avait demandé de retirer notre amendement. Et maintenant, c’est trop tardif ? Il aurait peut-être fallu le faire le 15 août… Ce n’est pas un argument qui me convainc.
Les 1,5 milliard d’euros d’investissements qu’évoque le ministre sont bien des investissements, c’est-à-dire de prises de participation. Ce ne sont pas des dépenses.
Les assurés pourraient être un peu surpris, dites-vous ? Mais ils sont aussi contribuables ! Au demeurant, cela a déjà été fait en 2011. Nous ne cherchons pas à rétablir quelque chose qui aurait été une aberration. Nous proposons simplement de prendre une partie, puis de faire un bilan global. Le sujet ne sera pas épuisé si nous adoptons cet amendement aujourd’hui.
Il faut faire un bilan général pour calculer de combien les assurances font preuve de solidarité dans cette période très compliquée pour beaucoup d’activités et de secteurs en France, avec, bien entendu, des conséquences sociales et humaines très importantes. Le Sénat doit faire pression sur le secteur de l’assurance pour lui montrer qu’il doit participer de manière assez importante.
Le rapporteur général n’a pas donné l’évaluation de son amendement – on aura certainement l’occasion d’y revenir dans le PLF –, mais je pense que c’est plutôt de l’ordre de 500 millions d’euros que du milliard d’euros. Pour ma part, je trouve cela totalement insuffisant.
Je maintiens donc mon amendement, et j’appelle nos collègues à le voter.
M. Sebastien Pla. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Nous nous félicitons que Vincent Delahaye et son groupe maintiennent cet amendement très pertinent.
Effectivement, le débat sur la contribution nécessaire des assureurs avait déjà eu lieu au printemps. Le rapporteur général de l’époque avait avoué que c’était une vraie question.
Je le rappelle, les assureurs sont obligés de constituer des provisions techniques, qui permettent de régler les engagements à l’égard des assurés. Ces provisions comprennent notamment la réserve de capitalisation, qui appartient légalement aux assurés.
Les gestes commerciaux sont une chose. Mais la participation de 400 millions d’euros n’est pas à la hauteur des exigences du moment et des capacités des compagnies d’assurance. Une taxe exceptionnelle de 10 % non déductible de l’impôt sur les sociétés avait été appliquée après la crise de 2008 en loi de finances, afin que les assureurs participent au redressement des comptes publics. Elle avait rapporté pratiquement un milliard d’euros à l’époque. Dix ans plus tard, nous escomptons 2 milliards d’euros que nous souhaitons réinvestir dans le soutien aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME) les plus touchées. Le Gouvernement avait d’ailleurs soutenu cette démarche, Mme Pannier-Runacher ayant dit que les entreprises devaient prendre leur part et Bruno Le Maire que les assureurs devaient participer à l’effort de solidarité nationale.
Nous voterons donc cet amendement sans réserve.