COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Financement de la sécurité sociale pour 2021
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2021 (projet n° 101, rapport n° 107, avis n° 106).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre II de la quatrième partie, à l’examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 35.
QUATRIÈME PARTIE (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES AUX DÉPENSES ET À L’ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2021
Chapitre II (suite)
Allonger le congé de paternité et d’accueil de l’enfant et le rendre pour partie obligatoire
Articles additionnels après l’article 35
Mme le président. L’amendement n° 682 rectifié bis, présenté par Mme V. Boyer, MM. Boré, Le Rudulier et Frassa, Mme Micouleau, M. Daubresse, Mmes Dumas, Deromedi et Joseph, MM. B. Fournier et Bouchet, Mme Garriaud-Maylam, M. Houpert, Mme Thomas et MM. Cuypers, Sautarel, Segouin, Genet, Charon et Bouloux, est ainsi libellé :
Après l’article 35
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur les modes de gardes. Ce rapport porte sur le nombre de places de garde disponibles dans les différents modes de garde formels ; l’usage des différents modes de garde par les familles en incluant les congés prévus par la loi ; le coût complet pour l’État et les collectivités locales de chacun des modes de garde ; le profil des familles utilisant chacun des différents modes de garde.
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à obtenir une étude chiffrée du coût réel de l’ensemble des différents modes de garde pour les finances publiques.
Je sais que le Sénat n’aime pas les demandes de rapport, mais la réforme du congé parental en 2012 a durablement déstabilisé l’offre de garde en France, en conduisant à une réduction drastique du congé parental – 285 000 familles concernées en moins entre 2012 et 2019 –, tandis que moins de 65 000 places de crèches étaient créées sur la même période et qu’un nombre important d’assistantes maternelles prenaient leur retraite.
Cette politique a, en outre, eu l’inconvénient d’être très coûteuse pour les finances publiques, puisque les économies réalisées sur le congé parental se sont retrouvées neutralisées par les dépenses supplémentaires destinées à faire fonctionner les nouvelles places de crèches.
À l’heure où nous traversons une crise sanitaire, économique, sociale et psychologique sans précédent, qui pèse fortement sur les finances publiques, et où le Gouvernement envisage une refonte en profondeur des congés parentaux et des modes de garde, il est absolument nécessaire pour la représentation nationale d’avoir un état des lieux détaillé de l’offre de garde en France pour décider au mieux de l’allocation des deniers publics.
Il s’agira d’étudier quatre éléments essentiels : le nombre de places disponibles dans les différents modes de garde formels – établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE), assistantes maternelles, microcrèches, etc. ; l’usage des différents modes de garde par les familles – garde par les parents, assistantes maternelles, EAJE, congé parental, garde à domicile ; le coût complet pour l’État et les collectivités locales de chacun des modes de garde, y compris les crédits d’impôts et subventions diverses ; enfin, le profil des familles – revenus, nombre d’enfants, etc.
Ce rapport devra aussi évaluer l’impact réel de la diminution du quotient familial. Cette diminution constitue en effet une véritable source de préoccupation et un frein, notamment pour les femmes qui travaillent.
M. René-Paul Savary. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la famille. Je crois que nous sommes tous d’accord – nous en avons parlé hier soir –, il faut revoir l’ensemble des modes de garde. Le rapport de Boris Cyrulnik évoque d’ailleurs ce sujet. Pour autant, le rapport de la commission fournit tous les éléments nécessaires à la compréhension de cette question – je vous renvoie notamment à ses annexes très intéressantes. C’est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement qui demande un nouveau rapport.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Défavorable, madame la présidente.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 682 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme le président. L’amendement n° 759 rectifié, présenté par Mme Rossignol, M. Jomier, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou et Meunier, MM. Antiste, Bouad et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Durain et Gillé, Mme Harribey, M. P. Joly, Mme G. Jourda, M. Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Marie et Mérillou, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mme S. Robert, MM. Sueur, Temal et Tissot, Mmes Préville, Briquet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 35
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement relatif aux conditions d’accompagnement des assistantes maternelles dans le cadre de leur montée en compétences. Ce rapport porte notamment sur les conditions d’accès à la formation professionnelle des assistantes maternelles et à son contenu, sur leur accès à l’accompagnement en santé en tant que mode d’accueil individuel et sur leurs droits concernant l’arrêt maladie.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Les demandes de rapport permettent aussi d’ouvrir un débat au Parlement. C’est l’objet de cet amendement qui concerne le statut des assistantes maternelles.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que des travaux ont déjà été menés à ce sujet et que des négociations ont eu lieu avec les associations et les organisations représentatives. Si j’évoque cette question à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, c’est parce que vous avez choisi la voie des ordonnances pour mettre en œuvre ces avancées. En effet, vous avez prévu d’utiliser ce procédé dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), mais je rappelle que le Sénat s’est opposé à cette habilitation en première lecture, non pas sur le fond – nous ne sommes évidemment pas opposés à avancer sur la question du statut des assistantes maternelles –, mais parce que la technique de l’ordonnance dépossède le Parlement de sa légitimité et opacifie les politiques publiques.
Le rapport demandé par cet amendement vise justement à obtenir davantage de transparence, notamment sur les conditions d’accès des assistantes maternelles à la formation professionnelle et sur leur accès à l’accompagnement en santé. Ce sont des sujets de préoccupation pour les assistantes maternelles et il est important que le Parlement s’y investisse pleinement, alors même que nous avons été privés de ce débat du fait de l’utilisation de la technique des ordonnances par le Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, comment ces différentes questions vont être prises en compte dans les futures ordonnances ? Quelles nouvelles mesures entendez-vous prendre pour cette profession ?
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Cet amendement étant une demande de rapport, la commission y est défavorable. Pour autant, c’est une question importante et une préoccupation pour de nombreux intervenants de ce secteur, notamment les départements, qui rencontrent souvent des difficultés à recruter des assistants maternels. Par conséquent, je me tourne vers M. le secrétaire d’État pour qu’il nous apporte des réponses à ce sujet.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je voudrais d’abord apporter quelques éléments de réponse sur la question des modes d’accueil évoquée par Mme la sénatrice Valérie Boyer.
Nous avons déjà engagé des réflexions à ce sujet et nous allons les poursuivre, notamment dans la perspective de la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) – si je ne me trompe pas, elle couvrira la période 2023-2027. Pour cela, nous devrons tirer le bilan de la COG 2018-2022 qui est fortement perturbée par la crise actuelle – par exemple, l’étalement des élections municipales peut avoir eu un effet négatif sur le rythme des décisions prises par les communes. Nous devons mener ces réflexions de manière globale, en intégrant notamment l’évolution du congé parental dont nous avons discuté cette nuit.
En ce qui concerne votre amendement, madame Rossignol, un certain nombre de mesures concernant les modes d’accueil et les assistantes maternelles vont – enfin, ai-je envie de dire ! – pouvoir être adoptées grâce à l’article 36 du projet de loi ASAP, qui habilite le Gouvernement à procéder par ordonnances.
Ces mesures, très attendues, sont le fruit de deux ans de travaux et de huit mois de concertation avec l’ensemble des acteurs de ce secteur. Elles sont, dans leur quasi-totalité, consensuelles, une ou deux faisant encore l’objet de discussions. Elles permettront notamment de faciliter la création de places en accueil collectif et d’accorder aux assistantes maternelles un éventuel agrément supplémentaire ponctuel, non prévu initialement, ce qui dégagera du temps pour leurs collègues, par exemple pour s’accorder un répit ou pour se former. Vous le savez, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté prévoit un plan de formation pour 600 000 travailleurs de la petite enfance, dont les assistantes maternelles. Je peux d’ailleurs vous annoncer que ce plan commencera à être déployé – enfin, je le reconnais – à partir du 1er trimestre 2021.
Par ailleurs, sur la question de la santé, vous avez raison, madame la sénatrice, la situation actuelle ne peut plus durer et, grâce à cet article 36 dont nous venons de parler, les assistantes maternelles pourront bénéficier de la médecine du travail, c’est-à-dire finalement du droit commun. Cette mesure est très attendue par la profession.
Pour conclure, je comprends la position de principe du Sénat et du Parlement en général sur les ordonnances, mais, sur ce sujet, les travaux préparatoires ont duré deux ans et la concertation avec les organisations syndicales et professionnelles huit mois. Nous avions déjà inscrit une telle habilitation dans la loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc), mais nous avons laissé passer le délai. Il est temps que toutes ces mesures – je vous en ai cité quelques-unes – entrent en vigueur. Ce sera le cas très prochainement !
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 759 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 35 bis (nouveau)
Au dernier alinéa de l’article 373-2-2 du code civil, après le mot : « nécessaires, », sont insérés les mots : « incluant le cas échéant le fait que l’intermédiation est ordonnée dans le cas prévu au 1° du présent II, ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 35 bis
Mme le président. L’amendement n° 761 rectifié, présenté par Mme Rossignol, M. Jomier, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou et Meunier, MM. Antiste, Bouad et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Durain et Gillé, Mme Harribey, M. P. Joly, Mme G. Jourda, M. Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Marie et Mérillou, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mme S. Robert, MM. Sueur, Temal et Tissot, Mmes Préville, Briquet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 35 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au sixième alinéa du I de l’article L. 553-4 du code de la sécurité sociale, les mots : « avec son accord » sont supprimés.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à renforcer les droits du parent créancier lors de la mise en œuvre du recouvrement des impayés de pension alimentaire.
Je dois d’abord déplorer que le Gouvernement ait, pendant deux ans, négligé le dispositif de recouvrement mis en place en janvier 2017 et permettant de venir en aide aux parents qui ne perçoivent pas leur pension alimentaire.
Il a fallu la mobilisation des gilets jaunes pour que le Président de la République se rende compte qu’il existait une Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) et qu’il décide de renforcer ce dispositif – il était totalement opérationnel, mais je reconnais qu’il n’était pas parfait.
Je déplore évidemment ces deux années perdues, mais je me félicite de ce que le Gouvernement se soit finalement saisi du sujet et ait proposé certaines avancées. Cet amendement va dans ce sens, en supprimant la nécessité d’obtenir l’accord du parent débiteur, qui ne paye pas sa pension alimentaire, pour mobiliser les allocations familiales auxquelles il a droit.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Cet amendement prévoit de supprimer le recueil de l’accord du parent débiteur pour payer la pension alimentaire par retenue sur ses prestations familiales. Il me semble, ma chère collègue, que vous avez déjà déposé cet amendement l’année dernière et notre point de vue n’a pas changé.
La situation que vous visez est celle du paiement et du versement de la pension par l’intermédiaire de la caisse d’allocations familiales (CAF). Il ne s’agit pas, dans ce cas, d’un impayé de pension et il paraît normal que le parent débiteur donne son accord pour que le paiement de la pension soit effectué sous la forme d’une retenue sur ses prestations familiales. Cela n’empêche d’ailleurs pas les CAF de recouvrer des impayés de pension, en les récupérant sur des prestations auxquelles a droit le parent débiteur, et ce sans son accord.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées par Mme la rapporteure et parce qu’il nous semble satisfait.
J’ajoute que le Gouvernement a effectivement décidé de renforcer le dispositif de recouvrement des impayés de pension. Les nouvelles mesures se mettent en place progressivement ; elles seront pleinement opérationnelles au 1er janvier prochain.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, le groupe CRCE va soutenir les trois amendements déposés par Laurence Rossignol et le groupe socialiste sur ce sujet.
Mieux recouvrer les pensions alimentaires est un objectif très important. En effet, environ 30 % des pensions alimentaires ne sont pas payées ou le sont de manière irrégulière, ce qui pose évidemment de nombreux problèmes, notamment pour les familles monoparentales. Concrètement, ce sont souvent des mères qui se retrouvent alors dans une situation de précarité financière importante. Je vous rappelle que 700 000 familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, soit un million d’enfants pauvres.
L’an dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons voté une mesure en faveur d’une intermédiation financière par les CAF. Cette mesure, en place depuis peu, devrait répondre aux besoins de nombreuses familles.
Il me semble que les amendements de nos collègues socialistes sont complémentaires à ce dispositif et permettraient de le renforcer sans coût supplémentaire pour les finances publiques. C’est pour cette raison que nous soutiendrons les amendements nos 761 rectifié, 762 rectifié et 764 rectifié.
Mme le président. L’amendement n° 762 rectifié, présenté par Mme Rossignol, M. Jomier, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou et Meunier, MM. Antiste, Bouad et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Durain et Gillé, Mme Harribey, M. P. Joly, Mme G. Jourda, M. Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Marie et Mérillou, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mme S. Robert, MM. Sueur, Temal et Tissot, Mmes Préville, Briquet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 35 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa de l’article L. 581-8 du code de la sécurité sociale, les mots : « peut transmettre » sont remplacés par le mot : « transmet ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à renforcer les capacités du parent créancier à être informé de certaines informations pour être plus efficace dans la récupération des pensions alimentaires.
Lorsqu’on parle de parent débiteur, c’est une jolie façon de neutraliser le genre, de « dégenrer », si je peux me permettre cette expression, mais personne n’ignore que, dans 95 % des cas, il s’agit du père…
Et personne n’ignore non plus – nous le voyons dans nos permanences – que bon nombre de pères débiteurs organisent leur insolvabilité pour échapper au paiement de la pension alimentaire. Souvent, la mère, ainsi privée de cette ressource, ne dispose pas des informations qui lui permettraient de s’organiser pour obtenir une meilleure participation du père à l’entretien des enfants.
Il est vrai que l’article L. 581-8 du code de la sécurité sociale prévoit que la CAF peut transmettre au parent créancier des informations sur la solvabilité du parent défaillant, mais il s’agit uniquement d’une faculté ; nous proposons de rendre cette mesure obligatoire. En effet, nous savons bien que, lorsqu’il s’agit d’une option, l’administration a plutôt tendance à ne pas agir, non par malveillance, mais en raison de la surcharge de travail. C’est pourquoi nous pensons que la mère doit être informée de la situation financière du père débiteur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité de renforcer la lutte contre les impayés de pension alimentaire – je n’imagine personne penser le contraire !
Cependant, vous demandez, dans le cadre de cet amendement, de rompre avec la confidentialité des données personnelles. Le Sénat est un fervent défenseur des libertés individuelles ; la difficulté réside naturellement dans l’équilibre qu’il faut trouver entre la défense de ces libertés et la nécessité de lutter contre les impayés, notamment quand ceux-ci affectent des personnes vulnérables comme des femmes seules.
Je comprends donc bien l’objectif de cet amendement, mais je pense qu’il est préférable de laisser aux CAF une marge d’appréciation, comme le prévoit la loi aujourd’hui, afin qu’elles s’assurent de la nécessité de la transmission de ces informations, par exemple dans le cas où un huissier est mandaté pour le recouvrement.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il me semble, madame la sénatrice, que l’intention qui est la vôtre est satisfaite par le droit en vigueur, lorsque la situation le requiert. Systématiser cette transmission d’informations pourrait être contre-productif et alourdir fortement la gestion des procédures.
La transmission de ces informations n’est utile que dans l’hypothèse – je pense que vous serez d’accord avec moi – où la mise en place par l’Aripa du recouvrement des pensions alimentaires impayées n’a pas pu aboutir. Dans ce cas et à la demande du parent créancier, l’Aripa est autorisée à transmettre des données relatives à l’adresse et à la solvabilité du débiteur pour faciliter les démarches du parent créancier qui souhaiterait recourir à un huissier de justice.
Rendre obligatoire et systématiser la transmission de ces informations aux parents créanciers, dont la pension alimentaire est recouvrée par l’Aripa, n’est pas nécessaire dans les faits. Cela entraînerait en outre une charge de gestion très importante pour les caisses d’allocations familiales, sans que cela réponde à une nécessité, puisque dans la plupart des cas il n’y a pas de difficulté particulière.
Je le redis, je comprends votre intention, mais je pense qu’elle est satisfaite par le droit en vigueur. C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la rapporteure, vous m’avez répondu avec des arguments relatifs à la confidentialité et à la protection des données, mais cette question ne se pose pas, puisque la loi autorise déjà les CAF à transmettre de telles données. D’ailleurs, si on va dans votre sens, il serait préférable que ce soit la loi qui organise cette transmission d’informations plutôt qu’elle soit laissée à la liberté d’appréciation des CAF.
Je ne suis pas non plus convaincue par les arguments de M. le secrétaire d’État, en particulier lorsqu’il fait référence à la charge de gestion que cela impliquerait pour les organismes. Cette question financière était d’ailleurs l’une des motivations de mon amendement : si c’est une affaire de coût, je crains que cela se fasse au détriment des femmes !
Mme le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Une fois n’est pas coutume, je partage ce que vient de dire Laurence Rossignol ! À partir du moment où la loi autorise les CAF à transmettre ces données, la question de la confidentialité ne se pose pas.
Monsieur le secrétaire d’État, si cette disposition est satisfaite par le droit existant, dont acte ! Nous n’allons pas, une fois de plus, surcharger notre droit avec un doublon – nous le faisons déjà assez souvent !
Toutefois, je ne peux pas accepter votre argument sur les charges de gestion – ce n’est pas entendable ! (M. le secrétaire d’État s’exclame.) Il revient à l’État de mettre à la disposition des CAF les moyens pour qu’elles fassent leur travail.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement est intéressant et je rejoins les propos de Mme la présidente de la commission.
Il nous permet d’aborder d’ores et déjà la question de l’échange de données, sujet que nous évoquerons plus loin dans le texte, lorsque nous parlerons de la fraude. Si nous autorisons des échanges pour lutter contre la fraude, a fortiori si nous les favorisons, nous pouvons aussi le faire dans le cas présent.
Il me semble important que les CAF aient accès aux données contenues dans d’autres fichiers et qui peuvent être nécessaires à son action, par exemple le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba). C’est d’autant plus important que ce sont souvent les assurés qui sont amenés à déclarer l’évaluation de leurs biens et qu’il y a peu de contrôles.
C’est pourquoi je trouve que cet amendement a du sens. Je le voterai, en espérant que Laurence Rossignol votera en retour les amendements relatifs aux échanges de données que j’ai déposés à l’article 43 A…
Mme le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Je suis complètement d’accord avec les arguments de Mme la présidente et de Mme Rossignol. Je ne comprends pas qu’on puisse parler de charge financière, quand on parle de l’avenir d’un enfant, ou de liberté individuelle, quand il s’agit en fait pour des parents de ne pas assumer leurs responsabilités ! La liberté individuelle ne doit pas l’emporter sur les obligations liées au fait d’avoir un enfant. Il me semble tout à fait normal que l’institution joue pleinement son rôle, lorsqu’un parent n’assume pas ses responsabilités. (Mme Annie Delmont-Koropoulis applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Il me semble utile de revenir au texte même de cet amendement : rendre systématique la transmission de certaines informations. Est-il vraiment pertinent de transmettre ces informations en l’absence d’impayé ? Rappelons-nous qu’il y a déjà beaucoup de procédures administratives dans notre pays ! C’est pourquoi il me semble suffisant de laisser les organismes compétents juger de la situation.
Madame Goulet, cet amendement n’a pas de lien avec la fraude ; il concerne le versement des pensions alimentaires.
Monsieur Milon, je suis naturellement d’accord avec vous en ce qui concerne les libertés individuelles, la question étant uniquement celle de l’endroit, où nous plaçons le curseur.
Surtout, je le répète, il ne me semble pas utile, au risque d’en rajouter dans les procédures administratives, de prévoir une transmission systématique des informations, y compris lorsqu’il n’y a pas d’impayé.
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je suis désolé, mais sur un tel sujet je ne peux pas accepter que l’on déforme mes propos ! Je n’ai pas dit que c’était une question de charge financière ou d’impossibilité matérielle.
M. Philippe Mouiller. C’est ce que nous avons entendu !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Non ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Si vous avez prêté attention à mes propos, mon premier argument était celui qu’a développé à l’instant Mme la rapporteure : dans la plupart des cas, il n’est pas nécessaire de transmettre ces informations ; il n’est donc pas utile de systématiser cette disposition – en cas de problème, toutefois, cette possibilité existe bien. C’est la raison pour laquelle cette automaticité n’a pas de sens.
Si vous souhaitez quand même la mettre en place, il faudra en évaluer les implications. Il ne faudrait pas que nous nous rendions compte, dans quelques mois ou à l’occasion du prochain PLFSS, que le système est grippé…
Je le redis, l’intention qui motive cet amendement est satisfaite par le droit en vigueur. C’est essentiellement pour cette raison que le Gouvernement en demande le retrait.