Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet d’accord entre la France et l’Inde que nous examinons cette après-midi a pour objet de lutter contre la consommation et le trafic de stupéfiants.
En pratique, cet accord favorisera l’échange d’informations entre la France et l’Inde. Compte tenu de la croissance des trafics illicites de stupéfiants et de la position stratégique de l’Inde, l’objectif peut se comprendre, même si des accords multilatéraux existent en la matière.
Si le groupe écologiste a demandé le retour à la procédure normale pour l’examen de ce projet de loi, c’est parce que ce dispositif nous inquiète : de fait, nous trouvons pour le moins curieux qu’il ne fasse pas plus débat… L’absence de toute mention relative à la peine de mort dans un projet d’accord avec un pays qui applique encore la peine capitale en matière de trafic de stupéfiants est incompréhensible !
J’entends l’argument du rapporteur : cette mention n’est pas obligatoire dans un accord qui ne prévoit pas d’extraditions.
Je le conteste néanmoins, car l’arrêt Fidan rendu par le Conseil d’État le 27 février 1987 n’a pas cette portée : il n’énonce nullement qu’une mention ne serait exigée que pour les accords relatifs à la remise des personnes. Cette décision exclut l’extradition d’une personne vers un pays où la peine de mort est prononcée, dès lors qu’aucune convention ne vient l’exclure ; aucune autre question de droit ne lui était posée.
En l’occurrence, ne pas prévoir que la remise de renseignements puisse permettre de condamner une personne à la peine de mort entraîne la violation par la France de ses obligations positives à l’égard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
De plus, il n’est pas compréhensible que, politiquement, il ne soit pas possible d’exiger une telle garantie de l’Inde, alors que la France l’a exigée des États-Unis pour ratifier le traité d’extradition du 23 avril 1996.
Les organisations de défense des droits humains, au premier rang desquelles la Ligue des droits de l’homme, ont réussi à alerter le Sénat.
À la suite de cette interpellation, monsieur le rapporteur, vous évoquez deux garde-fous, aux paragraphes 3 des articles 2 et 5. Ils reviennent à faire prévaloir l’ordre public français sur l’accord et à nous permettre de refuser d’appliquer la convention au regard des engagements internationaux de la France ou du droit de l’Union européenne.
Il est à ce titre curieux, monsieur le secrétaire d’État, que dans l’étude d’impact, ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne soient mentionnés parmi les engagements internationaux que la France doit respecter.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, on ne saisit pas, concrètement, selon quelles modalités le service chargé de l’enquête policière pourra apprécier, en répondant à une demande de renseignements émanant des autorités indiennes, si la personne concernée risque ou non la peine de mort, avant éventuellement de refuser de donner un renseignement.
Le dossier entier n’est bien sûr pas envoyé et se poserait alors un problème de traduction. Il est évident que cela ne se fera jamais.
L’examen au cas par cas, pour envisager si la peine de mort pourrait être prononcée pour chaque renseignement demandé, et le blocage en conséquence de la transmission d’informations sont totalement illusoires. S’en remettre aux exécutants pour faire respecter l’interdiction de la peine de mort revient à démissionner ou à se voiler la face.
L’argument du faible nombre de condamnations à mort pour trafic de stupéfiants en Inde, invoqué par la rapporteure à l’Assemblée nationale et par vous-même, monsieur le rapporteur, n’est pas recevable. L’abolition de la peine de mort est un principe qui ne saurait souffrir aucune exception.
Compte tenu des inquiétudes que suscite ce texte, monsieur le secrétaire d’État, je conclus mon propos en vous demandant de renégocier cet accord. La République de l’Inde doit s’engager à ne pas prononcer de condamnation à mort dès lors que la France a contribué de quelque manière que ce soit à la résolution d’une affaire. Cela doit figurer noir sur blanc.
En l’état, sans garantie de cette nature, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra pas voter ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera ce projet de loi des deux mains.
En effet, ce texte vise à lutter contre le trafic de différents types de drogues. L’Inde se situe au carrefour des trafics de drogues dures telles que l’opium, la cocaïne ou l’héroïne. On parle là non pas de la consommation d’une petite cigarette de cannabis de temps en temps, mais de choses autrement plus sérieuses !
De plus, l’industrie pharmaceutique indienne, qui est championne du monde en matière de contrefaçon, fabrique toute une série de produits pharmaceutiques qui sont exportés vers l’Europe et vers les États-Unis, où ils sont consommés comme substituts à des drogues.
Le renforcement de la coopération technique avec l’Inde est donc nécessaire. La lutte contre ce fléau nécessite une coopération très étroite reposant sur l’échange d’expertises, l’échange d’informations et la formation d’agents spécialisés.
L’accord contribue aussi à la lutte contre le financement du terrorisme. Nous savons que, de manière générale, le trafic de drogue et de contrefaçons contribue au financement du terrorisme. L’étude d’impact annexée au projet de loi évoque le lien entre un médicament fréquemment détourné de son usage, le Tramadol, et le financement des groupes terroristes en Afrique et dans d’autres pays du monde.
Par ailleurs, cet accord est susceptible d’ouvrir la voie à un renforcement de la lutte contre la contrefaçon de médicaments. Il pourrait nous donner l’occasion d’encourager l’Inde à signer et à ratifier la convention dite Médicrime, premier instrument international relatif aux contrefaçons de produits médicaux juridiquement contraignant dans le domaine du droit pénal.
Comme notre collègue vient de le souligner, la loi indienne relative aux stupéfiants et aux psychotropes prévoit la possibilité de condamner à mort une personne pour trafic de stupéfiants. Il faut toutefois espérer que le moratoire instauré en 2012 continuera à être appliqué.
Si l’architecture des accords, qu’ont décrite le secrétaire d’État et le rapporteur, n’est pas de nature à entraîner l’extradition d’une personne menacée de la peine de mort, la France doit continuer à appeler l’Inde à observer ce moratoire en vue de l’abolition définitive de la peine de mort.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons la ratification est le fruit d’un travail et d’une négociation commencés en 2013, et nous nous réjouissons qu’ils touchent à leur terme. Il participe du dynamisme de la relation et de la coopération renforcée entre l’Inde et la France.
Le groupe du RDSE y est particulièrement sensible. Permettez-moi de saluer le travail de notre ancien collègue Yvon Collin, qui présida le groupe d’amitié France-Inde jusqu’au mois de septembre dernier.
L’accord que nous devons approuver aujourd’hui porte sur la prévention et la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques. Le sujet est grave et mérite notre attention.
Les chiffres sont inquiétants : la consommation mondiale de drogue augmente. Cette augmentation n’épargne ni la France ni l’Inde.
L’essor de la toxicomanie est notamment lié à l’accroissement des réseaux criminels qui s’adonnent au trafic de stupéfiants. Derrière chaque trafic local, derrière chaque consommateur isolé se trouve au départ un réseau international. Combattre le fléau de la drogue implique donc de s’attaquer à chacun de ses maillages.
Si l’Inde n’est pas l’un des pays les plus stratégiques dans la lutte contre le trafic de stupéfiants – elle n’est pas identifiée comme la source immédiate et directe de trafics en France –, il n’en demeure pas moins que, par sa taille et son important bassin de population, elle est fortement touchée par la consommation de stupéfiants. Plus encore, par son positionnement géographique, elle est un point de passage, dans la région, entre les réseaux du croissant d’or – Afghanistan, Iran et Pakistan – et du triangle d’or au confluent du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande.
De ce point de vue, l’Inde joue un rôle actif dans la lutte internationale contre les drogues, l’efficacité de son action étant l’une des conditions d’une meilleure répression du trafic. Cette action doit viser aussi bien les stupéfiants les plus traditionnels que le détournement des médicaments ou des molécules servant de matière première à la production de drogues.
Un tel combat sera d’autant plus bénéfique que le trafic de stupéfiants est le plus souvent associé à d’autres formes de criminalité dont nos sociétés souffrent. Nous savons ainsi que le financement du terrorisme provient en grande partie de tels trafics.
À ce titre, le Gouvernement présentait à Marseille le 17 septembre 2019 un Plan national de lutte contre les stupéfiants, qui fixait une liste de six objectifs, dont le développement de la coopération internationale.
L’accord discuté aujourd’hui y participe pleinement, en élargissant les modalités de coopération technique et opérationnelle entre l’Inde et la France.
Dans un premier temps, s’agissant de la coopération technique, cet accord contribuera indéniablement à permettre une meilleure compréhension des réseaux de trafiquants, laquelle constitue la première étape de la lutte contre ce phénomène. Si nous voulons réussir, rien ne doit être opaque.
Il faut impérativement favoriser la transmission, tant par l’Inde que par la France, des études, recherches et analyses. Il faut faciliter les échanges juridiques, les formations et les échanges d’expertise.
Toutefois, l’information ne suffit pas. Dans un second temps, il faut agir et se donner les moyens de l’action. C’est pourquoi il faut souligner les apports de cet accord en matière de coopération opérationnelle : l’encadrement des échanges d’informations, y compris – c’est un point essentiel – des données à caractère personnel et la mise à disposition d’équipements.
Dans ces conditions, le groupe du RDSE votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord entre la France et l’Inde qui nous est soumis doit être examiné d’un double point de vue : d’une part, celui de la pertinence de mesures de coopération renforcée pour lutter contre le trafic de stupéfiants, d’autre part, celui des conditions concrètes de cette coopération avec le régime politique actuel de ce pays, un régime extrémiste hindouiste raciste, foulant aux pieds les droits fondamentaux, notamment ceux des citoyens indiens musulmans et chrétiens.
Au nom de sa stratégie indopacifique, la France intensifie ses relations avec l’Inde dans le domaine diplomatique et dans celui de la défense, en passant le plus souvent sous silence – comme c’est le cas aujourd’hui – la nature détestable de ce régime. C’est l’une des raisons de notre inquiétude sur les possibles conséquences en matière de droits humains de l’application de cette convention.
L’objet de ce texte est de se donner de nouveaux moyens de lutte contre le trafic de produits stupéfiants, fléau indéniable et de grande ampleur. Or l’Inde est bien l’une des plaques tournantes du trafic mondial d’opiacés. Elle est par ailleurs le premier producteur mondial de médicaments génériques – la France est d’ailleurs une très bonne cliente de l’Inde, notre pays ne produisant que 5 % de la consommation médicinale nationale. Or, comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé, on estime qu’un médicament générique sur dix est falsifié, cette proportion étant d’un sur deux pour les médicaments achetés sur internet.
L’Inde est aussi le théâtre d’un véritable trafic d’éphédrine et de Tramadol.
Enfin, il faut souligner les liens structurels – ils sont de plus en plus documentés – entre tous les types de trafics transnationaux, par exemple ceux de produits stupéfiants, les réseaux de blanchiment et les réseaux criminels de toute nature, notamment terroristes.
Les raisons d’agir sont donc multiples, d’autant que l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies estimait, dans son rapport de 2016, que les Européens dépensaient au moins 24 milliards d’euros par an en drogues et produits stupéfiants.
La convention pourrait donc renforcer un indispensable effort de coordination et de coopération dans la lutte contre ces trafics, dans l’esprit des travaux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et du pacte de Paris de 2003.
La coopération avec l’Inde appelle toutefois de lourdes remarques, au moment où le régime de Modi foule aux pieds l’État de droit au nom de théories ouvertement racistes, où les milices armées d’extrême droite hindouiste perpètrent des massacres dans ce pays et où la destination financière des trafics visés par la convention doit être interrogée, y compris dans les rangs du régime de New Delhi.
Pouvons-nous fermer les yeux sur l’état du système judiciaire et policier de ce pays et sur le possible recours par ce régime à la peine de mort, contraire aux conventions internationales dont la France est signataire ? Notre vote contre en commission tendait à alerter sur ces enjeux essentiels.
Nous avons entendu les réponses du Gouvernement : la convention devant servir à échanger des informations structurelles sur les réseaux, et non sur les personnes, les risques d’une condamnation à mort d’une personne poursuivie du fait de la transmission d’informations françaises seraient limités. Quand bien même cela arriverait, ces informations tomberaient sous le coup de la convention d’extradition de 2005, qui contient une clause obligeant l’Inde à renoncer à une exécution.
Si l’accord ne contient pas une clause de non-application de la peine de mort, ce qui est à nos yeux profondément regrettable, il instaure, nous dit-on, des garde-fous aux articles 2 et 5 permettant à la France de se soustraire à la coopération lorsqu’elle pressent une entorse possible à ses engagements internationaux.
Malheureusement, ces garanties restent largement conditionnelles et leur impact est très fragile selon nous. Monsieur le rapporteur, le débat de la semaine dernière en commission a permis de lever certains doutes sans toutefois nous rassurer totalement. C’est pourquoi, après réflexion, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste optera pour une abstention pleine de vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes. Cet accord s’inscrit dans une relation bilatérale avec l’Inde, relation qui s’est enrichie ces dernières années par la multiplication de rencontres de haut niveau. De partenaire naturel théorique, l’Inde est devenue l’un des axes déterminants de la stratégie française en Indopacifique.
Depuis 2005, la France soutient activement la candidature de l’Inde au titre de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
En matière de défense, la France a conclu en 2016 un contrat d’acquisition de trente-six Rafale, dont le premier a été livré au mois d’octobre 2019. Dans le secteur énergétique, un accord de coopération a été signé entre EDF et Nuclear Power Corporation of India Limited, prévoyant notamment l’implantation de six réacteurs de type EPR.
L’Inde est aussi un pays allié et ami qui se tient aux côtés de la France. La chaleur du communiqué de condoléances et de soutien que nous a adressé l’ambassade d’Inde à la suite de l’attentat horrible contre le professeur Samuel Paty et des attaques personnelles inacceptables contre le Président de la République a tranché avec le silence pesant de l’ambassade de Chine.
Compte tenu de son poids démographique de 1,3 milliard d’habitants et de son positionnement géographique, l’Inde est un acteur régional majeur de la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants et de faux médicaments.
Sa situation la place à proximité du triangle d’or – Laos, Birmanie, Thaïlande – et surtout du croissant d’or – Iran, Afghanistan, Pakistan –, zone de production d’opium la plus importante au monde.
L’Inde est l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne, la route dite Sud par laquelle transiteraient environ 10 % des opiacés à destination de l’Europe et de la France.
Les flux illicites de stupéfiants produits en Inde vers la France consistent essentiellement en drogues de synthèse. Avec 20 milliards de dollars d’exportations en 2020, l’Inde est également le deuxième leader mondial de médicaments génériques, derrière la Chine, et connaît de nombreux détournements de médicaments par des organisations criminelles – c’est le cas de l’éphédrine et de certains antalgiques, comme le Tramadol, qui sont consommés comme drogues, sans parler des médicaments contrefaits par des entreprises installées sur le territoire indien.
Comme l’a rappelé notre collègue Hugues Saury en commission lors de l’examen du rapport de ce texte, ce phénomène se traduit par des centaines de milliers de morts chaque année, principalement en Afrique. Ces victimes sont le plus souvent des enfants.
Non seulement les médicaments de qualité inférieure ou falsifiés ont un impact tragique pour les malades et leurs familles, mais ils représentent aussi une menace en termes de résistance aux antimicrobiens.
Cet accord est nécessaire, parce qu’il constitue une occasion de promouvoir les actions de prévention et de traitement auprès de notre partenaire indien et parce qu’il permettra de combattre de véritables fléaux, notamment sur notre territoire national – le trafic de drogue, les problèmes de santé publique ou même le terrorisme. Comme l’a souligné le secrétaire d’État, il ne faut pas oublier le lien qui existe entre le trafic de drogue dans ces régions et le financement du terrorisme.
Notre collègue du groupe écologiste a formulé le reproche selon lequel cet accord n’opposerait pas suffisamment de garde-fous à l’application éventuelle de la peine de mort, toujours en vigueur en Inde. Il est vrai qu’aucune clause expresse ne figure dans cet accord, mais ce type de clause est traditionnellement réservé aux accords d’extradition et aux accords d’entraide judiciaire en matière pénale. L’accord d’extradition qui nous lie avec l’Inde comporte une telle clause, le Conseil d’État y a veillé.
L’application de la peine de mort est donc exclue par ces autres accords internationaux déjà ratifiés et entrés en vigueur, M. le secrétaire d’État et le rapporteur Gilbert Bouchet l’ont rappelé.
En tant que fervent abolitionniste de la peine de mort, je souhaite rappeler que, à la différence de son voisin chinois qui exécute environ un millier de personnes chaque année, la Cour suprême de l’Inde a estimé que la peine capitale ne saurait plus être prononcée qu’à titre exceptionnel. On dénombre vingt-six exécutions depuis 1991, sachant qu’un moratoire a été mis en place depuis 2015. Ces exécutions étant d’ailleurs sans lien avec le trafic de drogue ou de substances psychotropes, il nous apparaît qu’elles ne sauraient être un argument pour ne pas voter ce texte susceptible de contribuer à sauver de nombreuses vies.
En conséquence, le groupe Union Centriste votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre relation avec l’Inde est devenue l’un des piliers majeurs de notre stratégie dans l’aire indopacifique. C’est parce que l’Inde est une grande puissance internationale qui s’inscrit dans le multilatéralisme que la France souhaite renforcer depuis plusieurs années un partenariat stratégique. De leur côté, les autorités indiennes sont de plus en plus favorables à un partenariat solide et durable avec la France.
Comme Ladislas Poniatowski, que je tiens à saluer, et moi-même le précisions dans le rapport d’information intitulé L’Inde, un partenaire stratégique, ce pays est une zone de rivalité entre la Chine et les États-Unis, mais aussi un détroit stratégique de passage, notamment de stupéfiants et de médicaments, dont l’impact se mesure partout dans le monde.
La France a souhaité maintenir un rôle de puissance d’équilibre dans cette zone indopacifique ; c’est une bonne chose. Nous avons également construit un partenariat stratégique avec l’Inde en matière militaire. Ces résultats positifs sont le fruit du travail engagé lors du précédent quinquennat.
En matière de politique environnementale, compte tenu de ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, la création de l’Alliance internationale solaire, mais surtout la signature par l’Inde de l’accord de Paris méritent d’être rappelées.
C’est à l’aune de cette stratégie et de ce partenariat que nous devons étudier le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Celui-ci prévoit le renforcement de la coopération entre la France et l’Inde en matière de lutte contre les stupéfiants et leur consommation illicite dans le cadre de la réduction de ces trafics.
Ce projet de loi prévoit à la fois la conduite d’actions de prévention et de lutte contre le trafic de drogue et de précurseurs chimiques, le contrôle et la surveillance de la production de ces précurseurs, la prévention de la consommation de drogue grâce à des campagnes de sensibilisation et la mise en place de politiques publiques, sanitaires et sociales auprès des personnes concernées.
C’est d’autant plus important que l’Inde est aujourd’hui une plaque tournante dans la production et le transit de drogue et de faux médicaments, avec de lourdes conséquences en termes de santé publique.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez raison de rappeler toute l’importance que nous avons accordée au traitement des données personnelles. Cet accord autorise des échanges de données personnelles dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’Inde n’ayant pas à ce jour de législation en la matière.
J’en viens à la question sur laquelle le débat s’est focalisé en commission comme dans l’hémicycle : la peine de mort. Celle-ci est toujours théoriquement autorisée dans la législation indienne, même si, comme vous l’avez là encore rappelé, monsieur le secrétaire d’État, son application n’est de fait pas fréquente. Il reste que ce n’est pas sans nous interroger.
Si, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, la partie française peut refuser d’accéder totalement ou partiellement à la demande d’informations des autorités indiennes, notamment au nom de nos engagements internationaux relatifs à la peine de mort, force est de constater que la partie indienne peut continuer à l’appliquer – rien ne l’en empêche. Concrètement, l’accord ne prévoit pas explicitement l’engagement de l’Inde à ne pas recourir à l’application de la peine de mort contre l’un de ses ressortissants, y compris dans le cas d’un renseignement délivré par la France.
Nous aurions souhaité que la partie française précise dans le texte son refus que ces échanges d’informations puissent entraîner une quelconque condamnation à la peine de mort. Il faudra y veiller au quotidien.
Cela est d’autant plus vrai que nous devons réaffirmer collectivement chaque jour davantage la volonté de la France de supprimer de toute législation la peine de mort, conformément à l’engagement pris par le candidat socialiste François Mitterrand, pour répondre à l’impérieuse nécessité de garantir le respect des droits fondamentaux de chaque individu et lui permettre de se prévaloir des droits énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est pourquoi, sur ce texte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra. Permettez-moi de dire un mot sur le sens de cette prise de position afin d’éviter toute méprise : il ne s’agit en aucun cas d’une forme de fébrilité. Que ce soit clair, nous n’avons pas la main tremblante quand il s’agit de lutter contre toutes sortes de trafics – drogues ou médicaments frelatés –, et ce d’autant moins que nous connaissons les liens qui existent entre le trafic de drogue et le financement du terrorisme.
Par notre abstention, nous prenons une position politique : nous permettons l’adoption de cette convention tout en réaffirmant notre opposition formelle à la peine de mort et notre regret que le texte n’en fasse pas état. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on s’exprime en dernier, beaucoup a déjà été dit ; je m’efforcerai toutefois de ne pas être redondante.
Permettez-moi d’aborder l’examen de ce projet de loi en appelant votre attention sur l’importance du contexte dans lequel il s’inscrit, à savoir la poursuite d’un dialogue entre la France et l’Inde permettant un partenariat stratégique qui touche plusieurs domaines.
Cet accord de prévention de la consommation illicite en vue de la réduction du trafic illicite de stupéfiants s’inscrit en cohérence avec l’initiative du pacte de Paris de 2003, lancée par la France et la Russie pour lutter contre le trafic d’opiacés en provenance d’Afghanistan à l’époque du conflit.
Nous savons tous que les produits stupéfiants sont l’une des principales sources de financement des groupes terroristes armés islamistes. Ces derniers ont de gros besoins financiers pour leur entreprise de déstabilisation des États-nations.
Comme la France, l’Inde fait face aux attentats. Elle doit aussi combattre le séparatisme au nord-est et gérer la rébellion de l’armée naxalite au centre.
Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer la progression de la radicalisation à l’échelle régionale. Les attentats de 2016 au Bangladesh et de 2019 au Sri Lanka ainsi que la situation aux Maldives en sont la tragique démonstration.
Il est donc primordial d’évaluer à leur juste mesure les articulations entre trafic de drogue, criminalité internationale et terrorisme. Cette porosité entre criminalité et terrorisme doit véritablement être prise en compte. Je rappelle d’ailleurs que la France et l’Inde ont signé en 2003 la convention de Palerme contre la criminalité transnationale.
L’accord que nous examinons répond également à une stratégie internationale de lutte contre la drogue et les criminalités qui y sont liées. Il dépasse donc le seul prisme bilatéral franco-indien.
L’Inde est une plateforme de transit pour le trafic de drogue de la région et une voisine directe du triangle d’or – Laos, Birmanie, Thaïlande – et du croissant d’or – Iran, Afghanistan, Pakistan –, qui est la zone de production d’opium la plus importante au monde.
Le sous-continent indien est donc l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne vers la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Australie et l’Amérique du Nord, route qui se termine en Europe et en France.
En Inde, l’usage récréatif du cannabis est interdit depuis 1985, mais certaines régions, comme le Madhya Pradesh, produisent des volumes atteignant 240 tonnes par an. L’autre problème tient au taux de tétrahydrocannabinol, ou THC, très élevé de ce type de chanvre : les effets sur les consommateurs sont très graves.
De plus, dans le contexte actuel où le risque pandémique est quotidien, notre collaboration avec l’Inde dans la lutte contre les produits illicites est primordiale, car ce pays est le second producteur mondial de médicaments génériques. Lutter contre le trafic de produits illicites qui servent de base aux médicaments est un défi pour la santé publique mondiale.
En effet, ces produits font l’objet non seulement de trafics, mais aussi de contrefaçons dont les ressorts sont tentaculaires. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm), le trafic de médicaments et de produits les composants est vingt fois plus lucratif que le trafic d’héroïne.
En 2013, en Chine, le trafic de médicaments représentait près de 73 milliards de dollars.
Pour 10 000 dollars investis, la contrefaçon de médicaments rapporte entre 200 000 dollars et 450 000 dollars. Ces sommes sont à terme blanchies et réinjectées dans l’économie légale. Ainsi, les trafiquants réussissent à pénétrer des circuits légaux via le reconditionnement de médicaments.
Alors que les États sont très en retard en termes de législation et que les trafiquants font preuve d’une adaptabilité hors norme, cet accord va dans le bon sens. Il représente une avancée significative pour essayer d’endiguer ces pratiques dont les conséquences sont dramatiques : en 2013, plus de 122 000 enfants africains sont décédés du fait des contrefaçons médicamenteuses.
Mes chers collègues, je tiens aussi à appeler votre attention sur les conséquences des trafics de produits servant à l’élaboration de drogues de synthèse. Ces nouveaux produits de synthèse (NPS) font des ravages chez les jeunes Français et, plus largement, chez les jeunes du monde entier. Des vies sont brisées à la suite de la prise de MDMA, de méthamphétamines, de kétamine… Cela représente un coût humain autant que financier pour le système français.
Par ailleurs, les concentrations de ces drogues sont d’autant plus problématiques que leur potentiel addictif est exponentiel.
J’en viens aux inquiétudes de mes collègues concernant les modalités de recours à la peine de mort en Inde. Il convient d’être rigoureux à l’égard de la législation indienne, notamment de l’article 31 A de la loi de 1985 relative aux stupéfiants et substances psychotropes. Cet article prévoit la possibilité de condamner à mort un individu pour trafic de stupéfiants dans certains cas particulièrement graves impliquant a minima une récidive. Néanmoins, depuis 2014, la législation indienne a évolué : le recours à cette mesure n’est pas automatique, contrairement à ce que l’on pourrait l’imaginer.
Les sollicitations de la Ligue des droits de l’homme sont des plus légitimes. Aussi, j’espère que ce débat et vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, permettront d’apporter des explications bienvenues.
Pour ma part, je rappelle qu’il a fallu cinq ans pour parvenir à une rédaction qui satisfasse les deux parties. C’est la preuve que la France a été exigeante et qu’elle n’a pas bradé ses idéaux et valeurs.
En outre, la convention bilatérale franco-indienne en matière d’extradition du 24 janvier 2003 est explicite sur le risque d’application de la peine de mort : c’est une raison suffisante pour motiver un refus de remise d’un individu par la partie française. Voilà qui peut rassurer certains de nos collègues.
En effet, l’article 8 de cette convention précise : « Si le fait en raison duquel l’extradition est demandée est puni de la peine capitale par la loi de l’État requérant et que, dans ce cas, cette peine n’est pas prévue par la législation de l’État requis ou n’y est généralement pas exécutée, l’extradition peut n’être accordée qu’à la condition que l’État requérant donne des assurances jugées suffisantes par l’État requis que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu’elle ne sera pas exécutée. »
Je veux croire que cet accord représente un bon véhicule pour continuer les échanges constructifs entre nos deux pays et diffuser les valeurs que nous défendons.
Le groupe Les Républicains votera cet accord et restera mobilisé sur les sujets qui permettront de lutter contre le trafic de stupéfiants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)