Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Esther Benbassa, Marie Mercier.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
gestion de la crise sanitaire (i)
Mme Laurence Harribey ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Laurence Harribey.
M. Christian Bilhac ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Daniel Salmon ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
petits commerces pendant la crise sanitaire
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Jean Castex, Premier ministre.
Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Jean Castex, Premier ministre ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
ouvertures des petits commerces durant le confinement
Mme Françoise Férat ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
fermeture des commerces de proximité au profit des géants du numérique, dont amazon
M. Éric Bocquet ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
rôle des sous-préfets à la relance
Mme Nicole Duranton ; Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques.
gestion de la crise sanitaire (II)
Mme Catherine Deroche ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Catherine Deroche.
contrats courts dans le contexte de la crise sanitaire
Mme Monique Lubin ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail ; Mme Monique Lubin.
gestion de la crise sanitaire (III)
M. Laurent Duplomb ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Laurent Duplomb.
Mme Valérie Létard ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Valérie Létard.
situation des commerces de proximité
M. Vincent Segouin ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Vincent Segouin.
M. Rémi Féraud ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Rémi Féraud.
souveraineté de l’industrie de défense
M. Pascal Allizard ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Pascal Allizard.
collectes de sang insuffisantes
Mme Élisabeth Doineau ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
3. Modifications de l’ordre du jour
4. Candidatures à une commission mixte paritaire
5. Mise au point au sujet d’un vote
6. Accords avec le Qatar et la Chine portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire. – Adoption en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
7. Accord avec l’Inde relatif aux stupéfiants. – Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Clément Beaune, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.
8. Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Discussion générale :
Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
M. Julien Denormandie, ministre
Adoption définitive, par scrutin public n° 15, du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
Suspension et reprise de la séance
9. Inclusion dans l’emploi par l’activité économique. – Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
10. Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture
Mme Roselyne Bachelot, ministre
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’ensemble de l’article et de son annexe.
Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’ensemble de l’article et de son annexe.
Amendement n° 6 de Mme Claudine Lepage. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 1 rectifié ter de M. Max Brisson. – Rectification.
Amendement n° 1 rectifié quater de M. Max Brisson. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure
Mme Roselyne Bachelot, ministre
11. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous à observer, au cours de nos échanges, l’une des valeurs essentielles de notre institution : le respect, celui des uns et des autres, celui du temps de parole et celui des gestes barrières, au sujet desquels les questeurs et moi-même vous avons adressé un courrier voilà quelques jours.
gestion de la crise sanitaire (i)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Oui, la situation sanitaire est grave. Oui, des dispositions contraignantes devaient être prises, comme dans tous les pays européens. Oui, il faut freiner la circulation du virus pour permettre aux soignants de tenir. Oui, nous devons faire preuve de responsabilité, comme nous l’avons fait en votant la déclaration du Gouvernement.
Toutefois, encore faut-il que les décisions soient logiques et équitables ! Comment justifier la fermeture des petits commerces, qui appliquent les protocoles sanitaires, au prétexte qu’ils ne seraient pas « essentiels » ? Comment justifier qu’acheter un fer à repasser dans une grande enseigne soit plus « essentiel » qu’acheter un livre en librairie ? Comment justifier que monter dans un bus pour aller travailler soit plus sûr que faire une balade en forêt à plus d’un kilomètre de chez soi ?
Aussi, ma question est simple : où est la logique ? Quelle en est l’efficacité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. (Vives exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le Premier ministre est pourtant là !
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord excuser Bruno Le Maire et Alain Griset, qui mènent actuellement une réunion avec l’ensemble des organisations syndicales et des fédérations de commerçants, en cette période difficile.
Vous évoquez, madame la sénatrice, la situation sanitaire. Et, à juste titre, vous cherchez à déceler la logique des prises de décisions du Gouvernement.
En ce qui concerne la situation sanitaire,…
Mme Laurence Harribey. Ce n’est pas ma question !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … je rappelle que nous devons faire en sorte de réduire le taux de reproduction du virus, le fameux « R0 », de 1,6 à 0,8. Il faut donc diviser par deux les interactions sociales des Français.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas la question !
M. Cédric O, secrétaire d’État. C’est pourquoi nous avons dû prendre des décisions extrêmement difficiles pour réduire ces interactions sociales par le confinement. Nous avons pris également la décision difficile de garder les écoles ouvertes…
M. David Assouline. On veut savoir la logique de tout cela !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … et de laisser le travail possible, dès lors qu’il ne pouvait y avoir de télétravail. En effet, la solution inverse aurait été pire que le mal.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Où est la logique ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Si nous avions accédé à la demande que vous formulez aujourd’hui, madame la sénatrice, et laissé l’ensemble des commerces ouverts, le confinement serait alors revenu exactement à fermer les seuls bars et restaurants.
C’est avec une extrême difficulté, mais aussi un grand sens de la responsabilité, que nous avons pris cette décision consistant à limiter les déplacements des Français, qui voient et côtoient d’autres personnes dans les commerces. Rouvrir ces derniers signifierait mécaniquement que le confinement équivaudrait à fermer uniquement les bars et les restaurants. (M. François Patriat applaudit.)
M. David Assouline. Allez voir dans le métro s’il y a un confinement !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez l’art de déformer les propos. Et le fait que ce soit vous qui répondiez est tout à fait significatif de votre respect du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, UC et Les Républicains.)
L’important n’est pas de comprendre les frustrations des uns et des autres ; c’est que les décisions soient acceptées. Or, pour qu’elles soient acceptables, il faut qu’elles soient compréhensibles.
Et si cette acceptabilité passait par un changement de méthode ? Voici quelques propositions : changer la logique en privilégiant les protocoles sanitaires, plutôt qu’en raisonnant par « produits essentiels » ou par type de commerce ; faire contribuer ceux qui tirent parti de la crise, comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), à un fonds de soutien au commerce de proximité ; faire confiance aux élus locaux, car les innovations viennent des territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Laurence Harribey. Enfin, parce qu’il est impossible d’aller d’état d’urgence en état d’urgence sans concertation, modifiez la gouvernance de cette crise en vous appuyant sur le Parlement, plutôt qu’en lui donnant la leçon, comme hier soir, à l’Assemblée nationale. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, UC et Les Républicains.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Laurence Harribey. Pour que la responsabilité soit partagée, encore faut-il que la décision le soit aussi. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
commerces de proximité
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le ministre de l’économie, la deuxième vague de l’épidémie de covid-19 frappe notre pays de plein fouet. Le nombre des personnes infectées dépasse les chiffres du mois de mars dernier, et les indicateurs sont au rouge.
Face à la gravité de la situation, le Gouvernement a décidé par décret, le 29 octobre dernier, et selon des critères bien flous, de fermer les commerces dits « non essentiels », parmi lesquels nombre de petits commerces de proximité.
Cette décision soulève une incompréhension doublée d’un sentiment d’injustice pour des professionnels qui avaient mis en place des mesures garantissant la sécurité sanitaire de leurs salariés et de leurs clients : flacons de gel hydroalcoolique, port du masque obligatoire, nombre limité de clients dans les locaux…
Je redoute que cette fermeture ne représente le coup de grâce pour l’économie locale. Alors que les mastodontes du commerce en ligne et de la grande distribution restent ouverts, cette différence de traitement introduit une discrimination. Or faire ses courses dans un hypermarché comporte plus de risques de promiscuité qu’acheter un livre dans une librairie limitant la présence des clients en boutique.
Dans la commune de Peret, de 1 000 habitants, dont j’ai été longtemps maire, il y a un seul salon de coiffure. Il lui serait possible d’accueillir un client à la fois en appliquant des règles sanitaires strictes, sans pour autant contribuer à propager le virus.
Ailleurs, des maires ont pris, en toute illégalité, des arrêtés pour rouvrir ces commerces, tandis que l’Association des maires de France demande, dans un communiqué, le réexamen de la notion de commerce de première nécessité. Pour répondre à la grogne, vous avez annoncé dimanche un fonds de 100 millions d’euros d’aides pour accélérer la digitalisation et mettre en place un service de click and collect, accompagné d’incitations financières.
Afin de leur donner une chance de survivre à ce nouveau confinement, et parce qu’ils assurent un service indispensable à la vie sociale et économique de nos communes et de nos territoires, le groupe RDSE et moi-même vous demandons, monsieur le ministre, d’autoriser l’ouverture des petits commerces de proximité par dérogation accordée par le préfet, à la demande des maires.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Christian Bilhac. La mise en place de ce système dérogatoire remettra au cœur du dispositif le couple maire-préfet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. (Exclamations sur les travées des groupes RDSE, SER, UC et Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Y a-t-il un Premier ministre ?…
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à rappeler à la Haute Assemblée que la Constitution, dont nous nous réclamons tous, dispose que n’importe quel ministre du Gouvernement…
M. Philippe Bas. C’est bien le cas !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … est habilité à représenter l’ensemble de celui-ci et à répondre à sa place. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Bruno Le Maire et Alain Griset devant en ce moment même mener la concertation sur ces mesures, comme vous nous invitez à le faire, il se trouve que c’est moi qui vous réponds.
M. Thani Mohamed Soilihi. Très bien !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Concentrez-vous plutôt sur StopCovid ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cela me permet, monsieur le sénateur, de revenir sur l’engagement exceptionnel du Gouvernement en soutien des petits commerces pris dans cette situation difficile.
Grâce à l’extension du fonds de solidarité, tout d’abord, un commerce réalisant aujourd’hui moins de 10 000 euros de chiffre d’affaires – c’est probablement le cas de la majorité des petits commerces –, qui, en novembre 2019, faisait 6 000 euros ou 7000 euros de chiffre d’affaires, verra son chiffre d’affaires intégralement compensé jusqu’à 10 000 euros.
Mieux, le fait même que le click and collect ne soit pas intégré au chiffre d’affaires signifie qu’un commerce n’ayant pas atteint ce seuil en novembre 2019 pourrait, en novembre 2020, réaliser un chiffre d’affaires plus important qu’en 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
M. Jean-Raymond Hugonet. Quelle honte !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Vérifiez, mesdames, messieurs les sénateurs : c’est la réalité vécue par nos petits commerces.
Une partie d’entre eux a d’ailleurs préféré la fermeture à une réouverture assortie de protocoles sanitaires beaucoup trop contraignants, car la réalité économique fait qu’il n’y a pas d’intérêt à rouvrir pour accueillir un client par salon de coiffure.
Il y a un engagement très fort de l’État sur le fonds de solidarité – 15 milliards d’euros par mois –, sur les cotisations sociales et sur le prêt garanti par l’État, qui a été prolongé jusqu’au 30 juin 2021. La situation est difficile, mais l’État est aux côtés des petits commerces. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
amazon et commerce en ligne
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Daniel Salmon. Le confinement est devenu indispensable pour la sécurité sanitaire, mais les petits commerçants payent un lourd tribut. Pour la seconde fois, ils sont obligés de fermer boutique et vivent une situation dramatique.
De plus, les mesures mises en place introduisent une inégalité de traitement avec les grandes et moyennes surfaces, d’une part, et avec les géants du numérique, d’autre part. C’est une inégalité insoutenable. Comment accepter cette situation invraisemblable : nos petits commerces sont obligés de fermer, et, en parallèle, des entrepôts d’Amazon s’implantent un peu partout sur notre territoire ?
Ce modèle économique n’est pas durable. Il est à l’origine de dizaines de milliers de destructions d’emplois dans les commerces traditionnels. Il participe à la dévitalisation de nos centres-villes, il bétonne nos terres agricoles et il a un bilan carbone catastrophique.
J’en appelle à la responsabilité de toutes et tous ici, notamment à celle de mes collègues assis à droite de cet hémicycle. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Demander la relocalisation de nos productions et appeler à plus de souveraineté, c’est bien. Mais il ne faut pas pleurer la mort des petits commerces de proximité et, en parallèle, autoriser des implantations et des extensions de grandes surfaces et accepter la construction de vingt nouveaux entrepôts géants d’Amazon un peu partout en France !
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Très bien !
M. Daniel Salmon. En effet, il relève bien de la responsabilité des élus locaux d’accepter, ou non, l’implantation de ces sites sur leur commune.
C’est le cas à Belin-Béliet, en Gironde, où le géant chinois Alibaba va implanter 71 000 mètres carrés d’entrepôts logistiques en plein parc naturel régional, mais aussi à Ensisheim, dans le Haut-Rhin, ou encore à Montbert, en Loire Atlantique. La liste est longue !
Je pourrais également parler des conditions sanitaires des salariés dans la vente en ligne. Monsieur le ministre, pour enfin trouver le chemin d’un modèle économique juste et résilient, soyons efficaces sans attendre. À quand un gel des implantations d’entrepôts de vente en ligne, comme le demande la Convention citoyenne pour le climat, et un moratoire sur leurs ouvertures ?
M. David Assouline. Oui, à quand ?
M. Daniel Salmon. À quand une contribution exceptionnelle d’Amazon et des grandes surfaces en faveur des commerçants et artisans obligés de fermer ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Salmon, je vous remercie de votre question, qui me permet de remettre en perspective la réalité de ce que représente Amazon dans notre pays.
Oui, il s’agit évidemment d’accompagner les petits commerces – nous avons eu l’occasion d’en parler, et nous en parlerons sûrement de nouveau dans la suite de la discussion.
Je souhaite toutefois rappeler les chiffres du e-commerce. En effet, il existe aujourd’hui autour d’Amazon une psychose française qui n’a pas beaucoup de sens. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Le e-commerce représente 10 % du commerce en France, et Amazon 20 % de ce e-commerce.
M. Fabien Gay. Mais pour combien de milliards d’euros ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il n’y a pas un pays européen où la part d’Amazon soit plus basse qu’en France.
M. Pascal Savoldelli. Vous avez l’air de le regretter !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Lorsque les Français augmentent leurs achats de e-commerce, 60 % de ce surcroît revient aux e-commerçants français, aux entrepreneurs français, aux salariés français, aux entrepôts français.
Chez la sénatrice Harribey, Cdiscount représente 2 000 emplois (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains.)
M. Jean-Claude Tissot. Vous dites n’importe quoi !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Grâce au confinement et au click and collect, cela représente plus d’emplois, plus d’entrepôts et plus de salariés en France.
M. Éric Bocquet. Et moins d’impôts en France !
M. Cédric O, secrétaire d’État. La psychose française sur Amazon n’a donc absolument aucun sens. (Mêmes mouvements.) Si Amazon doublait sa part de marché, cette entreprise serait à 4 %.
M. David Assouline. Êtes-vous responsable de la communication d’Amazon ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le sujet de fond sur lequel nous travaillons, d’ailleurs en lien avec les collectivités territoriales – pour chaque commune, la Banque des territoires finance des places de marché local à hauteur de 20 000 euros –, c’est la numérisation des petits commerces. Seuls 30 % des petits commerces sont numérisés en France, contre 72 % en Allemagne. C’est là qu’est le fond du problème !
Je rappelle que 60 % du e-commerce sont captés par des entreprises françaises comme la Fnac, Cdiscount ou ManoMano. Si nous ne sommes capables ni d’amener les petits commerces à se numériser, ni de doubler le nombre de TPE-PME numérisées, comme en Italie, alors, inexorablement, les petits commerces connaîtront des difficultés dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
petits commerces pendant la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Il n’y a pas des élus qui sont responsables et d’autres qui ne le sont pas.
Dans cet hémicycle, nous savons que gouverner dans la période actuelle n’est pas facile. Et nous réaffirmons que, aujourd’hui, la santé publique, celle des Français, est une priorité absolue.
Le Président de la République a annoncé la semaine dernière un reconfinement, que nous pouvons qualifier de partiel. Les écoles, les collèges et les lycées sont ouverts ; certains commerces, les grandes surfaces, les GAFA et les grands groupes qui livrent les foyers travaillent, tandis que d’autres sont fermés.
Nous le constatons, cela crée, dans le pays, de nombreuses incompréhensions, qui sont légitimes. Voici donc mon conseil : sortez de cette notion de « produits de première nécessité ». Si vous mettez le doigt là-dedans, vous n’en sortirez jamais ! Tous les jours apparaîtront de nouveaux produits de première nécessité, forts d’arguments tenant la route.
La boussole, ce doit être la sécurité sanitaire. On peut rouvrir si la sécurité sanitaire est respectée. On ne le peut pas si elle est impossible. On rouvre partiellement dans d’autres cas de figure. Certains commerces rouvriront, d’autres fonctionneront seulement à la marge, d’autres encore feront des livraisons.
Vous avez le devoir d’apporter à ces commerçants et indépendants la visibilité, le soutien, la confiance et l’accompagnement qu’ils méritent et que nous leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Marques de satisfaction sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Verzelen, je souhaite intervenir à ce stade de la séance pour préciser de nouveau la stratégie du Gouvernement, bien que je l’aie déjà fait, ici même, jeudi dernier. Et je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous nous écoutions les uns les autres – la situation, par sa gravité, le mérite.
Je me suis rendu hier soir, avec le ministre de la santé (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), au Centre hospitalier sud francilien, à Corbeil-Essonnes, que beaucoup d’entre vous connaissent.
Mme Laurence Rossignol. Nous y allons aussi !
M. Jean Castex, Premier ministre. Je vous assure que ce que j’y ai vu et entendu de la bouche des soignants témoigne de la gravité de la situation sanitaire.
Mme Laurence Rossignol. Cela fait trois semaines qu’ils vous le disent !
M. Jean Castex, Premier ministre. La prise en compte de cette situation est le préalable à toutes les décisions et à tous les débats que ces dernières suscitent légitimement.
Hier encore, plus de 430 personnes sont mortes en France. Cette maladie touche toutes les tranches d’âge, et personne n’est à l’abri.
Mme Laurence Rossignol. Nous savons tout cela !
M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai vu, hier, en réanimation, deux patients âgés l’un de 27 ans et l’autre de 33 ans. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Je l’ai expliqué et réexpliqué, on doit naviguer à vue dans tous les pays, et partout le déconfinement a conduit à des mesures de freinage très lourdes, voire à des reconfinements.
Au-delà des polémiques politiciennes, la vérité est que la deuxième vague de l’épidémie est là et qu’elle est arrivée beaucoup plus vite et beaucoup plus fortement que ce quiconque pouvait imaginer. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est ce constat qui nous conduit à amplifier les mesures que nous avons prises en instaurant un reconfinement.
Je vous en rappelle la logique. Au contraire du déconfinement, qui signifie que l’on est libre de sortir, tous les lieux où l’on peut se rendre étant entourés de protocoles sanitaires, le confinement vise à maintenir le maximum de gens chez eux, pour éviter les flux et interactions propices à la propagation épidémique.
Oui, il s’agit, comme vous l’avez dit, d’un reconfinement adapté. Nous vous avons écouté ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons tiré les conséquences du premier confinement.
Je vous rappelle que, lors du premier confinement, l’on pouvait déjà aller travailler et prendre les transports en commun pour cela ; il n’y a rien de nouveau ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Nous avions alors fermé tous les établissements scolaires.
Or cette décision a emporté des conséquences extrêmement préjudiciables, notamment pour nos enfants. Des études scientifiques, à commencer par celle de la très sérieuse Société française de pédiatrie, nous ont conseillé de ne surtout pas reconfiner les enfants, et nous les avons suivies. Nous avons donc moins confiné que lors de la première étape.
Une autre exception au précédent confinement était la possibilité de sortir le soir pour se procurer des produits de première nécessité et pour manger. Nous l’avons maintenue, car l’on nous a dit que cette question avait peu émergé lors de la première phase. Toutes les grandes surfaces et tous leurs rayons étaient alors restés ouverts. C’était déjà inégalitaire ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. Laurent Duplomb. C’est sûr !
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous en avons tiré des conséquences adaptées et cohérentes, car, en fermant des rayons dans les grandes surfaces, nous allons limiter les flux et les occasions de sortie. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je le répète : le confinement consiste à rester chez soi le plus possible.
Doit-on accompagner tous ces secteurs que nous fermons, qui n’y peuvent rien et qui ne demandent qu’à travailler ? Oui ! C’est un crève-cœur, et nous devons les indemniser.
M. Laurent Duplomb. Avec quelle dette ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Vous l’avez d’ailleurs reconnu : y a-t-il un pays, en Europe, qui soutient mieux son économie que la France ?
M. Jean Castex, Premier ministre. Y a-t-il un pays qui accompagne mieux les secteurs qui sont fermés par nécessité sanitaire ?
M. André Gattolin. Non !
M. Jean Castex, Premier ministre. Ce matin, le conseil des ministres a adopté un quatrième projet de loi de finances rectificative, qui comportera toutes les mesures de soutien que Cédric O a décrites. J’espère que vous le voterez.
Nous recevons ces commerçants et nous préparons l’échéance du 12 novembre, mais celle-ci ne pourra être tenue que si la situation sanitaire est meilleure. Vous le savez, cette décision est prise non pas contre eux, mais pour la santé des Français. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
lutte contre le terrorisme
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. « Dites à mes enfants que je les aime » : tels sont les derniers mots prononcés par Simone, lâchement assassinée, comme Nadine et Vincent, en plein cœur de la basilique Notre-Dame de Nice par ce terroriste immigré tunisien, islamiste radical.
La France veut aujourd’hui déclarer la guerre à l’islamisme politique, qui entend détruire nos valeurs, nos libertés et notre civilisation. Mais la France se donne-t-elle vraiment les moyens de mener cette guerre ?
L’immigration n’est pas la cause première du terrorisme, mais les trois derniers attentats que nous venons de vivre nous confirment qu’elle en est l’une des conditions. Il est temps de mettre un terme au désordre migratoire.
M. Philippe Pemezec. Tout à fait !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Chaque année, 300 000 personnes, essentiellement issues des pays musulmans, entrent légalement en France, auxquelles il faut ajouter 150 000 demandeurs d’asile.
Aussi, je vous le demande solennellement, monsieur le Premier ministre : êtes-vous prêt à revoir les critères d’obtention du droit d’asile, si souvent détourné ?
Êtes-vous prêt à réduire au maximum le regroupement familial, que votre gouvernement a souhaité étendre aux mineurs étrangers isolés ?
M. Philippe Pemezec. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Êtes-vous prêt à remettre à plat, totalement, le droit des étrangers, pour que nous nous donnions vraiment les moyens d’expulser ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
Mme Laurence Harribey. Nous voyons cela !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il ne répond qu’à la droite !
M. Jean Castex, Premier ministre. … compte tenu de la gravité du sujet et de votre terre d’élection, où je me rendrai samedi prochain.
J’ai, avec vous tous, une pensée pour les victimes odieusement et lâchement assassinées à Nice. Ces trois victimes, hélas, font suite à d’autres, trop nombreuses !
Vous m’interrogez légitimement sur la politique que le Gouvernement conduit face à cet ennemi qui, permettez-moi de vous rectifier, nous a déclarés la guerre, à nous. Je le répète devant la Haute Assemblée, il faut clairement identifier cet ennemi. C’est la première condition pour gagner une guerre, ce que nous ferons.
Cet ennemi a un nom. Il s’agit non pas de tous les étrangers, comme vous l’avez vous-même reconnu, ni de tous les musulmans, mais des tenants de l’islamisme radical, qui ont des connexions à l’étranger et des relais en France, y compris parmi des citoyens de nationalité française. Nous devons traquer ces personnes, quelles qu’elles soient.
J’entends, d’ailleurs depuis de nombreuses années, qu’il faut pour cela modifier la loi, voire davantage. Je ne ferai pas l’injure au Sénat, ou au Parlement en général, de dénombrer le nombre de textes législatifs qui sont intervenus en la matière, toutes majorités politiques confondues.
Notre rôle, madame la sénatrice, est de veiller à l’effectivité et à l’application des lois existantes ; et je puis vous dire que c’est ce que nous faisons. Bien sûr, le corpus législatif mérite d’être adapté, notamment s’agissant des réseaux sociaux, ce support dont se servent les ennemis de la République pour la frapper.
En la matière, vous avez tout à fait raison, il faut revoir la réglementation. Mais il faudra surtout l’appliquer. Il faudra renforcer les moyens de suivi des réseaux sociaux et ceux du renseignement, ce que nous avons très largement fait et que nous allons continuer à faire.
Vous le savez, d’ailleurs, bien avant l’odieux attentat de Conflans-Sainte-Honorine, le Président de la République avait annoncé un projet de loi qui, vous le verrez, sera très ambitieux pour renforcer nos outils de lutte contre cet ennemi.
M. Philippe Pemezec. Des actes !
M. Jean Castex, Premier ministre. Voyez, monsieur le sénateur : aujourd’hui encore, nous avons dissous une association ! Nous faisons de même tous les mercredis. Un par un, nous débusquerons ces lâches, parce que ce sont des lâches, qui se servent de fausses associations et qui s’introduisent dans des mosquées où des imams radicaux prêchent, non pas la religion, mais la haine. Un par un, nous les traquerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le Premier ministre, je regrette que vous n’ayez absolument pas répondu aux trois questions que je vous ai posées concernant les flux migratoires massifs.
Aujourd’hui, cette immigration massive fragilise notre pays. Si nous voulons relever ensemble le défi commun de la lutte contre le terrorisme – nous sommes tous unis autour de cet objectif, parce que, tous, nous voulons défendre la France –, alors, il faut aussi réguler ces flux.
C’est ainsi, également, que nous parviendrons à relever le défi de l’intégration et à refaire communauté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Gatel et Valérie Létard applaudissent également.)
ouvertures des petits commerces durant le confinement
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour le groupe Union Centriste.
Mme Françoise Férat. Voici encore une question liée à la fermeture des petits commerces, mais, comme tout le monde l’aura remarqué, il y a là une inquiétude, qui est partagée sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Les mesures sanitaires sont primordiales, n’y revenons pas, mais la fermeture des petits commerces est difficilement compréhensible. Elle va entraîner un drame économique, car ces petits commerces sont à bout de souffle. Malgré les aides, nombre d’entre eux n’y survivront pas. Leur interdire d’ouvrir, c’est encore creuser la dette et alourdir l’addition du chômage partiel.
Cette fermeture est aussi un drame humain. Ce sont eux qui, surtout en zone rurale, tissent le lien social. Lorsque l’on sait que 13 millions de Français ne sont pas connectés, le dispositif de click and collect n’apparaît en rien comme un substitut.
Je vous ai bien entendu, monsieur le Premier ministre, mais aucune étude n’a encore démontré que librairies, coiffeurs ou auto-écoles étaient des clusters, d’autant moins que les commerçants ont investi pour s’adapter à la situation, pour que la distanciation sociale et les gestes barrières y soient toujours respectés.
Aujourd’hui, nous avons un débat absurde sur les produits essentiels et non essentiels. La pâte à tartiner est essentielle, pas les livres !
À côté de cela, les sites internet sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour vendre des produits non essentiels. Cela enrichit les GAFA, déjà milliardaires et non contributeurs fiscaux, laissant mourir ceux qui font la vie des centres-bourgs et des centres-villes.
Lors de l’examen du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a fait adopter à l’unanimité un amendement pour que le préfet puisse autoriser l’ouverture des commerces de vente au détail.
Ne peut-on pas être un peu plus créatif et éviter une interdiction uniforme ? Ne peut-on pas autoriser les ouvertures des petits commerces en fonction des situations locales ? Ne peut-on pas autoriser les ouvertures selon des mesures plus fines, avec, par exemple, des prises de rendez-vous ou la limitation de la fréquentation à un ou deux clients par boutique ?
N’est-ce pas cela répondre à l’urgence sanitaire, tout en ménageant l’urgence économique ? Et si le Gouvernement faisait un peu confiance aux territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Ayant eu l’occasion d’apporter précédemment de premiers éléments de réponse, je vais me concentrer sur les mesures d’aide, qui me semblent encore insuffisamment connues, y compris par les petits commerçants. En effet, il est indispensable que nous puissions informer, notamment grâce à votre appui, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les dispositifs proposés aux petits commerçants.
S’agissant du fonds de solidarité, toutes les entreprises de moins de 50 salariés fermées administrativement bénéficieront, sans exception, d’une aide mensuelle allant jusqu’à 10 000 euros.
Les entreprises de moins de 50 salariés des secteurs du tourisme, de l’hôtellerie-restauration, de l’événementiel, de la culture, du sport et des secteurs liés, qui ne sont pas fermés administrativement, mais qui enregistrent une baisse de chiffre d’affaires de plus de 50 %, bénéficieront également de cette indemnisation mensuelle, pouvant aller jusqu’à 10 000 euros.
Toutes les autres entreprises de moins de 50 salariés subissant une perte de chiffre d’affaires de plus de 50 % bénéficieront d’une aide pouvant aller jusqu’à 1 500 euros par mois.
J’ai évoqué le fait que l’activité liée au click and collect ne serait pas prise en compte dans l’évaluation du chiffre d’affaires. On peut donc dégager du bénéfice supplémentaire.
Je tiens également à mentionner la suppression des cotisations sociales. Toutes les entreprises de moins de 50 salariés fermées administrativement bénéficieront d’une suppression totale de leurs cotisations sociales.
Toutes les PME du tourisme, de l’événementiel, de la culture, du sport et des secteurs liés, qui restent ouverts, mais qui enregistrent une perte de 50 % de leur chiffre d’affaires, auront droit à cette même suppression de leurs cotisations sociales, patronales et salariales.
Pour tous les travailleurs indépendants, les prélèvements sont automatiquement suspendus, sans aucune démarche à faire, et les travailleurs indépendants fermés administrativement bénéficieront d’une exonération totale de leurs charges sociales.
Je rappelle que le prêt garanti par l’État, le PGE, peut désormais être contracté jusqu’au 30 juin 2021, au lieu du 31 décembre 2020, et que l’État pourra accorder des prêts directs si certaines entreprises ne trouvent aucune solution de financement.
Enfin, sur la question des loyers, tout bailleur qui, sur les trois mois d’octobre, novembre et décembre, accepte de renoncer à au moins un mois de loyer, pourra bénéficier d’un crédit d’impôt de 30 % du montant des loyers abandonnés.
C’est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, une mobilisation massive de 15 milliards d’euros par mois que nous mettons en œuvre pour accompagner le petit commerce en difficulté.
fermeture des commerces de proximité au profit des géants du numérique, dont amazon
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Éric Bocquet. À l’évidence, mesdames, messieurs les ministres, la pandémie du covid-19 n’a pas les mêmes conséquences économiques pour les multinationales du numérique et les petits commerces de proximité, comme le montre le cas du géant Amazon. (Exclamations.)
De fait, jamais l’écart entre les petits commerces et ces géants technologiques n’aura été aussi grand.
Permettez-moi d’ajouter quelques chiffres à ceux qui ont été déjà cités : les records de valorisation s’enchaînent à Wall Street, qui connaît des hausses de 10, 20 et 50 milliards de dollars ; à la Bourse, depuis le 1er janvier 2020, la valeur d’Amazon a crû de 73,6 %, pour atteindre le chiffre astronomique de 1 650 milliards de dollars, l’équivalent du produit intérieur brut de la Russie – excusez du peu !
La fermeture imposée aux commerces de proximité va encore aggraver une situation de concurrence déloyale. Mais l’autre scandale réside dans les pratiques fiscales d’Amazon, qui ont été décrites comme les plus agressives des entreprises du numérique.
Grâce à des montages savants illégaux, accordés par nos amis du Luxembourg, près des trois quarts des bénéfices d’Amazon ne subissent aucune imposition. Cette situation est tout à fait inacceptable, plus encore au moment où les États manquent de moyens financiers pour faire face aux conséquences dramatiques de la pandémie.
Il est urgent de mener une bataille au plan international, pour, enfin, taxer de manière effective les GAFA.
Au premier trimestre de cette année, les rentes d’Amazon ont augmenté de 26 %. Nous proposons qu’une disposition soit adoptée, dès le budget pour 2021 – texte actuellement en discussion au Parlement –, visant à instituer une taxe exceptionnelle sur les bénéfices d’Amazon. Les fonds ainsi récoltés viendraient alimenter un plan d’aide d’urgence aux commerces touchés, notamment aux librairies indépendantes.
Je conclurai mon propos avec cette citation de Victor Hugo : « La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Nous nous rejoignons absolument sur un point, monsieur le sénateur Bocquet : la nécessité d’une juste taxation des entreprises du numérique.
C’est pourquoi, vous le savez, la France s’est trouvée à l’origine des discussions sur le sujet au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Elle est leader sur la question de la taxation des entreprises du numérique à l’échelle européenne et elle a, par ailleurs, introduit elle-même sa propre taxe sur les services numériques.
Le recouvrement de cette taxe avait été décalé, pour donner une chance aux négociations internationales ; celles-ci n’ayant pas abouti, je vous confirme que le recouvrement pour 2020 aura bien lieu.
Néanmoins, nous devons continuer à pousser ce sujet au niveau européen, parce que c’est le bon niveau.
À ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux me réjouir avec vous de l’annonce faite par l’Union européenne, voilà quelques semaines : face à l’échec des négociations au niveau de l’OCDE, elle a annoncé vouloir reprendre cette question de la taxation du numérique à son niveau, afin que ces entreprises paient une juste taxation et contribuent ainsi à la solidarité nationale. (Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent.)
rôle des sous-préfets à la relance
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Madame la ministre de la transformation et de la fonction publiques, le 13 octobre dernier, vous annonciez avec le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, un appel à candidatures pour recruter trente « sous-préfets à la relance », afin d’accompagner les citoyens, les élus et les entreprises dans le cadre du plan de relance national pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Sur ce total, neuf sous-préfets seront affectés dans les régions, dix-huit dans les départements et trois outre-mer. Il est prévu qu’ils prennent leur fonction en ce mois de novembre et deviennent pleinement opérationnels au début du mois de janvier prochain.
Alors que nous entamons l’examen des crédits du projet de loi de finances pour 2021, je tiens à saluer cette initiative, visant à mieux piloter l’ensemble des dispositifs mis en œuvre par le Gouvernement. Vous décriviez ainsi l’objectif de cette mission prioritaire : « Faire remonter tous les blocages administratifs, de procédures, de dispositifs très compliqués » qui seraient rencontrés sur le territoire.
Le plan France Relance comporte trois grands volets : 30 milliards d’euros pour la transition écologique, 34 milliards d’euros pour la compétitivité et la souveraineté économique et 36 milliards d’euros pour la cohésion sociale et territoriale.
Ces hauts fonctionnaires s’assureront que ce plan de relance, de 100 milliards d’euros sur deux ans, se concrétise bien sur le terrain, c’est-à-dire permette de reconstruire le tissu économique local, l’attractivité de nos territoires et le maillage territorial de l’État.
Il s’agit de renforcer l’efficacité de l’État dans les territoires et d’accompagner au mieux les élus et les acteurs territoriaux œuvrant déjà au quotidien pour mettre en place ces mesures de relance. Loin d’une conception jacobine de l’État, les collectivités territoriales sont placées au cœur de ce plan.
En effet, il faut réarmer nos territoires pour que l’État soit un acteur de proximité, qui répond au mieux aux problématiques de nos concitoyens.
Madame la ministre, quels indicateurs ont été mis en place pour choisir les départements dans lesquels seront déployés les sous-préfets à la relance ? Quels sont les critères de réussite de leurs missions ? Où en est-on de leur déploiement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vous remercie de cette question, madame la sénatrice Duranton. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. Question téléphonée !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Effectivement, il n’y a pas de relance sans simplification, et il ne peut y avoir de simplification si nous ne partons pas du terrain. Nous ne ferons pas la relance depuis Paris, à coups de milliards d’euros ; nous la ferons au plus près des besoins des Français, là où ils vivent.
C’est pourquoi le Premier ministre a souhaité que chaque département dispose d’un « chef de projet » dans ce domaine, un sous-préfet à la relance.
Pourquoi un sous-préfet ? Vous savez très bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que les sous-préfets réunissent chaque jour les élus, les chefs d’entreprise et tous les acteurs de terrain. Bref, ils prennent des décisions au bon niveau et nous aident à avancer.
À l’heure du second confinement, nous n’avons pas le droit à l’erreur, et l’État, dans tous les territoires, a besoin de renfort.
L’ouverture de ces trente candidatures a été faite sur la demande des préfets de région et des préfets de département, pour appuyer les territoires qui en ont le plus besoin. Il s’agit pour nous de mettre en place, partout dans le pays, des interlocuteurs de confiance, qui doivent associer les parlementaires, les élus, les acteurs de terrain.
Avec le ministre de l’intérieur, j’ai donc lancé cet appel à candidatures pour trente postes à pourvoir. Les personnes nommées viendront s’ajouter aux sous-préfets existants, qui, dans les départements non concernés par la mesure, deviendront eux-mêmes sous-préfets à la relance. Il y en aura bien sûr dans votre département de l’Eure, madame la sénatrice Duranton ; il y en aura dans tout le pays, et vous pourrez, mesdames, messieurs les sénateurs, les rencontrer et travailler avec eux.
Nous avons reçu deux cents candidatures de très bon niveau de hauts fonctionnaires de l’État, mais aussi de hauts fonctionnaires territoriaux et – c’est nouveau – de salariés du secteur privé. Ces postes seront déployés opérationnellement en janvier prochain. J’en prends l’engagement devant vous, aucun territoire ne sera oublié.
La mise en place de ces sous-préfets témoigne, plus largement, de la volonté que nous avons, le Premier ministre et moi-même, de réarmer les territoires.
Tous ces postes, opérationnels en 2021, seront donc créés dans les territoires, et non à Paris, et ce en respectant la stabilité générale du schéma d’emplois. Notre priorité, c’est que ce soit bien dans le dernier kilomètre, au plus près du terrain, partout en France, que les milliards d’euros que vous votez deviennent une réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
gestion de la crise sanitaire (ii)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Ma question s’adressait au ministre Olivier Véran et concernait les déprogrammations chirurgicales.
Lors de la première vague, le plan blanc national a entraîné des pertes de chance, en raison de retards de diagnostic et de prise en charge thérapeutique – je pense notamment à des pathologies comme le cancer ou les pathologies cardio-vasculaires.
À l’heure où ces déprogrammations reprennent, je voudrais connaître la stratégie du ministère. Qui décide de quoi ? Qui décide du caractère non urgent des interventions ? Quelle est la place de l’équipe médicale dans la décision ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous donner la capacité actuelle des lits opérationnels, à la fois dans les hôpitaux privés et dans les établissements publics, qui justifierait ces déprogrammations ? Les patients, comme les médecins, sont très inquiets de cette situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Je vous prie tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, d’excuser l’absence d’Olivier Véran, qui se trouve devant vos collègues députés (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), pour répondre à la commission d’enquête liée à la gestion de la crise du covid-19.
Votre question sur la déprogrammation d’interventions chirurgicales, madame la sénatrice Deroche, renvoie évidemment à cet impératif, pour notre système de santé, de continuer à assurer les soins en réanimation pour les patients, qu’ils soient atteints du covid-19 ou pas.
Dès le 28 octobre, le ministre Olivier Véran a défini la stratégie sur laquelle vous souhaitez des précisions et que je vais maintenant vous détailler.
La déprogrammation d’un certain nombre de soins à l’hôpital, notamment d’interventions chirurgicales non urgentes, est l’un des leviers mobilisés pour garantir la continuité de prise en charge, en laissant plus de places aux prises en charge en réanimation.
Comme je l’indiquais, les détails de cette méthode ont été fixés, par le ministre, dans un courrier datant du 28 octobre dernier. La méthode a été généralisée à l’ensemble du territoire, avec le déclenchement des premiers paliers de déprogrammation et du plan blanc pour libérer des lits.
Dans les régions les plus en tension, toutes les activités chirurgicales, y compris ambulatoires, et médicales pouvant l’être doivent être déprogrammées, dès lors qu’elles mobilisent des ressources humaines pouvant être mobilisées dans les services dédiés au covid-19. Par ailleurs, l’hospitalisation à domicile, les sorties précoces et le télésuivi doivent être favorisés par les différents services.
Dans tous les cas, comme de coutume, les déprogrammations restent des décisions collégiales, soutenues par des analyses bénéfices-risques de chaque situation.
Quand elles sont décidées, elles le sont tout en garantissant que les patients atteints d’un certain nombre de pathologies définies comme « prioritaires » par le ministre – cancers, patients en attente de greffe, patients suivis pour maladies chroniques et requérant des soins urgents, ou encore patients pris en charge en santé mentale, je me permets d’insister sur ce point – puissent être soignés dans les meilleures conditions possible.
Tels sont, madame la sénatrice Deroche, les principes guidant les décisions de déprogrammations que vous évoquez.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Vous avez décrit la stratégie, monsieur le secrétaire d’État, mais vous n’avez pas vraiment expliqué comment se prenait la décision : décision administrative de l’Agence régionale de santé, l’ARS, ou décision de l’équipe médicale. Mais ma question appelait peut-être une réponse trop précise…
Ce qui est clair, c’est que les associations de patients sont inquiètes. Des déprogrammations ont déjà eu lieu en début d’année. On a fait naître un espoir à un moment donné, en évoquant des retours d’expérience de la première vague et une certaine préparation – en expliquant presque qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir… Certes, l’épidémie repart – loin de moi l’idée de la minimiser, et l’on ne peut qu’espérer que tout se passe bien –, mais, pour certains patients, c’est la douche froide !
N’oublions pas que de nombreuses interventions connexes en matière de cancer – prises en compte de la fertilité, examens diagnostics, etc. –, ne seront pas considérées comme ayant un caractère d’urgence, mais auront des conséquences non négligeables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
contrats courts dans le contexte de la crise sanitaire
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Des milliers de Français vont être plongés dans la pauvreté dans les semaines à venir. Nous savons que l’État fournit un effort considérable pour accompagner nombre d’entre eux, et certaines professions arrivent aujourd’hui à se faire entendre.
Toutefois, demeurent ceux que j’appelle « les invisibles ». Je pense aux extras, aux « permittents », aux bénéficiaires de contrats à durée déterminée d’usage. Je parle des guides-conférenciers, des maîtres d’hôtel, des cuisiniers, des livreurs, des serveurs, des hôtesses, des chauffeurs, des agents d’entretien et de sécurité, et de tous ceux que je ne peux pas citer.
Ce sont près de 1 200 000 salariés, typiquement ceux qui étaient menacés par la réforme de l’assurance chômage : pour certains, ils ont été abandonnés depuis mars 2019, et, pour d’autres, ils vivent sous la menace de cette réforme.
Le Gouvernement a reporté l’entrée en vigueur de ces mesures pour ceux qui sont privés d’emploi depuis le 1er août. Mais la spécificité du travail de certains saisonniers fait qu’ils n’ont pu reprendre leur activité à cause du premier confinement. Ils n’ont donc pas pu recharger leurs droits, du fait de cette réforme, et se trouvent sans solution, si ce n’est celle des minima sociaux.
Quant aux autres, ils subiront forcément de plein fouet les effets de ces dispositions : comme ils sont dans l’impossibilité de travailler actuellement, ils n’auront donc aucun droit à recharger.
Monsieur le secrétaire d’État Pietraszewski, je viens de le dire, nous parlons là de plus d’un million de personnes, qui appellent au secours et que personne n’entend.
Je vous pose donc deux questions. Allez-vous consentir à travailler sur une solution de type « année blanche », comme pour les intermittents du spectacle, qui permettrait d’attribuer à ces extras et permittents un revenu de substitution ? Allez-vous, enfin, annoncer la suppression de votre réforme de l’assurance chômage ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Je vous remercie tout d’abord, madame la sénatrice Lubin, d’avoir reconnu le travail et l’engagement du Gouvernement pour protéger les plus vulnérables et les plus modestes de notre société face à la crise sanitaire.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas la question !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Vous avez raison, cette crise sanitaire, suivie d’une crise économique et sociale, a un impact sur les plus précaires. Vous en avez cité un certain nombre, appartenant, notamment, aux secteurs de l’hôtellerie-restauration ou du commerce, dans lesquels, d’ailleurs, nos compatriotes trouvent souvent leurs premiers emplois.
On constate effectivement une progression du nombre de chômeurs de catégorie A – 367 000 personnes – entre le début de la crise sanitaire et la date d’aujourd’hui, même si le rythme soutenu de l’activité économique, notamment au troisième trimestre, a permis un certain « dégonflement » de ce chiffre, qui atteint un niveau problématique.
Le Gouvernement, je voudrais tout de même le rappeler, a mis en œuvre un certain nombre de mesures, dont l’annonce par le Premier ministre remonte au 4 octobre dernier, dans le cadre du Plan pauvreté.
Je ne vais pas énumérer ces mesures – je crois que vous les connaissez bien –, mais seulement souligner que c’est un budget de plus de 8 milliards d’euros qui est consacré à la lutte contre la pauvreté et que les dispositions annoncées le 24 octobre mobilisent une enveloppe de plus de 1,8 milliard d’euros.
Sur le fond, vous m’interrogez sur la réforme de l’assurance chômage et sur la façon dont chacun pourra acquérir des droits.
Comme vous l’avez indiqué, cette transformation structurelle de notre système d’indemnisation chômage a été repoussée. Une concertation est actuellement menée par Mme la ministre du travail, afin, entre autres, de couvrir au mieux l’ensemble des salariés de la « permittence » que vous avez évoqués. Cette question entre dans les sujets qui sont travaillés, le Gouvernement étant particulièrement attentif à la situation de ces Françaises et de ces Français.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Votre réponse est globale, monsieur le secrétaire d’État. Je le répète, personne ne s’intéresse à ceux que j’ai volontairement nommés, personne ne parle jamais d’eux. Nous attendons donc une réponse concrète ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
gestion de la crise sanitaire (iii)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. « Quoi qu’il en coûte », monsieur le Premier ministre, vous avez fondé la totalité de la gestion de cette crise sur un seul critère : éviter la saturation des hôpitaux. (M. le Premier ministre le conteste.)
En mars 2020, la France disposait de 5 000 lits de réanimation que je qualifierai de « standards », car, au plus fort de la première vague, ce sont, au total, 7 800 lits de réanimation qui ont été ouverts, grâce à l’ajout de lieux supplémentaires.
Dès lors que vous avez choisi comme seul paramètre de gestion de cette épidémie l’engorgement des hôpitaux, pourquoi les leçons de la première vague ne vous ont-elles pas servi ? Pourquoi des lits de réanimation n’ont-ils pas été ouverts en nombre suffisant depuis le premier confinement ?
Durant l’été, lors de son audition au Sénat, le ministre de la santé annonçait plus de 12 000 lits opérationnels pour une éventuelle deuxième vague. Aussi, quelle a été ma surprise – et sûrement celle des Français –, lorsque vous avez annoncé, voilà quelques jours, monsieur le Premier ministre, que le nombre de lits avait certes augmenté, mais pour atteindre seulement 5 800 !
Monsieur le Premier ministre, où sont les 6 200 lits manquants pour parvenir au total de 12 000 lits ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le Premier ministre manifeste son agacement.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Duplomb, votre question m’offre l’occasion de clarifier certains éléments que, semble-t-il, vous n’auriez pas perçus ou, peut-être, que vous auriez fait semblant de ne pas percevoir…
Elle est en tout cas l’occasion de faire le point sur la situation des services de réanimation, qui sont fortement mobilisés dans la gestion de cette crise. À cet égard, je me permets de saluer, moi aussi, l’engagement de ces équipes.
M. Laurent Duplomb. Cela n’a rien à voir !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Hier, le nombre de nos concitoyens patients covid pris en charge en réanimation atteignait 3 878. Cela représente d’ores et déjà 76,5 % de nos capacités initiales de prise en charge en réanimation, soit les 5 100 lits que vous évoquiez au début de votre intervention. À titre de comparaison, sachez que ce niveau équivaut à celui de la dernière semaine de mars.
Il est donc impératif, vous le comprenez bien, que nous puissions continuer à prendre en charge les besoins en réanimation, qu’ils soient covid ou non. Pour ce faire, nous agissons sur deux leviers : la déprogrammation, qui a été évoquée à l’occasion de la question de la sénatrice Catherine Deroche, et la mobilisation d’autres lits.
À ce titre, je ne puis que m’élever en faux contre les propos que vous avez tenus. Dès l’été, nous avons effectivement porté à 5 800 – c’est le chiffre que vous avez donné – le nombre de lits en réanimation. Mais, la semaine dernière, nous avons atteint un niveau de 6 400 lits et visons, pour la fin de semaine prochaine, un palier à 7 700 lits.
M. Max Brisson. Il en manque encore !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le prochain palier que nous sommes en mesure d’atteindre, monsieur le sénateur Duplomb, est fixé à 10 500 lits en réanimation.
Sachez par ailleurs que les ARS soutiennent les coopérations entre établissements et les transferts vers d’autres régions – on le sait, la situation sera plus difficile à gérer au cours de cette seconde vague, l’ensemble du territoire national étant touché de la même façon –, mais aussi vers des pays étrangers.
Enfin, comme vous le savez, les lits ou le matériel ne suffisent pas ; il faut aussi des hommes !
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Depuis le début de la crise, nous avons formé 7 000 professionnels de santé pour qu’ils puissent agir dans les services de réanimation, et je veux ici saluer leur engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.
M. Laurent Duplomb. La vérité, c’est que le Gouvernement a échoué !
Vous avez échoué à créer ces lits, préférant vous réfugier derrière une administration française engluée dans ses certitudes et sa technocratie et pour laquelle tout est impossible !
Où sont les 10 000 respirateurs commandés, qui, pour moitié, se sont d’ailleurs révélés inopérants ? Où sont les 7 000 personnels soignants supplémentaires que vous venez de mentionner et qui ont également été annoncés par le Président de la République, mercredi dernier ? Pourquoi aucun lien n’est noué entre les hôpitaux publics et les cliniques privées ? (M. le Premier ministre proteste.)
La vérité, monsieur le Premier ministre, c’est que, si vous aviez bien géré l’après-première vague, nous n’aurions pas à connaître un deuxième confinement ! Et je ne peux accepter que, à cause de votre entêtement, nous en connaissions, croyez-moi, un troisième, un quatrième et, peut-être, un cinquième ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
menaces sur action logement
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le Premier ministre, notre pays vit des heures graves. En même temps que les attentats et la pandémie, c’est la crise économique et sociale qu’il nous faut combattre. La pauvreté progresse ; un nombre croissant de Français bascule dans la précarité.
Après le travail, c’est la perte du logement qui inquiète. Pourrais-je payer mon loyer ? Pourrais-je loger ma famille et mes enfants ? Voilà les questions qui nous sont posées, à nous parlementaires de terrain. Dans ce domaine, aussi, nos compatriotes ont besoin d’être rassurés et protégés.
Monsieur le Premier ministre, comme la sécurité sociale, le logement, particulièrement le 1 % Logement, devenu Action Logement, fait partie du pacte social que nous avons hérité de la Résistance et de l’après-guerre.
Cet héritage est le fruit d’une triple volonté : garantir et sanctuariser, chaque année, des moyens financiers au logement, y compris dans les périodes difficiles ; gérer ces sommes de manière paritaire, entre patrons et salariés ; mener des actions complémentaires à celles de l’État, dans un esprit de responsabilité sociale pour tous les Français, à commencer par les plus modestes.
Ce modèle, ce n’est pas quelque chose du passé qui, sous des prétextes techniques, devrait être abandonné. C’est un modèle pour aujourd’hui, un modèle d’union nationale pour une France qui donne ses chances à chacun.
Dans le moment historique que nous vivons, monsieur le Premier ministre, quelles sont les intentions de votre gouvernement en matière de logement, en particulier à l’égard du pilier de notre modèle social que constitue Action Logement ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, Action Logement est un partenaire essentiel du Gouvernement dans la mise en œuvre des politiques du logement ; il s’agit notamment du principal financeur de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, et ses filiales assurent 40 % de la production annuelle de logements sociaux.
Le partenariat entre l’État et Action Logement est essentiel, comme l’a montré la récente extension aux salariés modestes de l’aide aux impayés de loyer. Le Gouvernement n’a donc aucunement l’intention de déstabiliser cet organisme ou de diminuer sa capacité de soutien au secteur du logement. (Brouhaha.)
Pour autant, il paraît important de moderniser le fonctionnement et la gouvernance de ce groupe, tout en maintenant sa gestion paritaire. La réforme engagée en 2016 n’a pas été menée à son terme : demeurent d’importants dysfonctionnements d’organisation et d’exécution.
Cette réforme permettra également de clarifier la répartition des rôles entre l’État et Action Logement, tout en améliorant la lisibilité et l’efficience des interventions déployées en faveur des citoyens et des entreprises.
Vous le savez, le Gouvernement privilégie la concertation avec les partenaires sociaux pour définir des évolutions, les mettre en œuvre et les contractualiser. Cette concertation a d’ores et déjà commencé. D’ailleurs, l’ensemble des partenaires sociaux seront reçus, dès demain, par Élisabeth Borne, Emmanuelle Wargon et Olivier Dussopt.
Ces discussions ont vocation à aboutir au printemps de 2021. Elles doivent permettre d’améliorer la gouvernance d’Action Logement et de contractualiser une trajectoire quinquennale ambitieuse, qu’il s’agisse des interventions ou des investissements.
Si la trésorerie d’Action Logement est structurellement bénéficiaire, c’est bien l’utilisation optimale de la participation de l’employeur à l’effort de construction que nous visons ; cette ressource doit bénéficier le mieux possible à la politique du logement et aux salariés.
Dans les prochains jours, le Gouvernement déposera un amendement au projet de loi de finances, afin d’assurer, par voie d’ordonnance, les modifications législatives qu’appelleront les conclusions de la concertation. Vous pouvez être assurée de la pérennité de cette structure ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour la réplique.
Mme Valérie Létard. Je le rappelle à chacun : Action Logement est pour ainsi dire l’unique financeur du logement en France. Il ne s’agit donc pas d’une petite affaire !
Aujourd’hui, nous devons assurer la relance du bâtiment, qu’il s’agisse de la construction ou de la rénovation. Nous devons être au rendez-vous de la mobilité des salariés. Nous devons être là pour faire face aux impayés de loyer, qui menacent plus d’un million de Français, frappés par les difficultés économiques.
Dans un tel contexte, peut-on objectivement remettre en question Action Logement, imposer un délai de trois ans pour mettre la machine en route sous prétexte de la réformer ? Bien au contraire, il faut accélérer la machine ; nous devons être au côté d’Action Logement pour lui permettre d’être efficace, tous ensemble !
Monsieur le Premier ministre, je connais l’intérêt que vous portez à ce sujet. Nous comptons sur vous pour éviter tout passage en force. Il faut assurer une coopération avec les acteurs du logement, le Parlement et les élus locaux, car il s’agit d’une affaire collective.
Nous devons gagner la bataille du logement : ne préemptons pas cet argent pour le verser au pot commun, au moment où – on le sait bien – ce sujet va être majeur ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE, GEST, SER et CRCE.)
situation des commerces de proximité
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, la question que je vais poser n’est pas la mienne, mais celle de centaines de personnes – élus locaux, commerçants ou indépendants – à qui j’ai eu l’occasion de parler au téléphone ces derniers jours.
Tous ces professionnels, je dis bien tous, sont dans une situation désespérée : ils n’attendent rien de bon pour leur activité, et leur existence vire parfois au drame. Plusieurs maires m’ont ainsi parlé de cas de détresse psychologique chez les commerçants de leur commune.
Je pense notamment à ce restaurateur de 62 ans, qui, à la veille d’une retraite qu’il espérait paisible, a dû réinjecter l’épargne de toute une vie dans son entreprise. Il n’a plus rien, et son entreprise va être mise en liquidation, car il est incapable d’honorer ses engagements. En pleine détresse psychologique, ce restaurateur a dû être interné in extremis par le maire de sa commune.
Bien sûr, je suis conscient de la gravité de la crise sanitaire, mais on ne peut opposer les morts du covid aux morts économiques. Vous imposez ce confinement à des commerçants qui n’ont fait que respecter les mesures que vous leur aviez imposées. Rien ne prouve que ces commerces abritent des clusters.
Aussi, ma question est simple : qu’allez-vous faire – enfin ! – pour que nos entreprises puissent reprendre leur activité au plus vite ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je tiens à revenir un peu plus en détail sur les éléments que vous mentionnez et à exposer quelques considérations.
Tout d’abord, face à la situation dramatique que vous évoquez, le Gouvernement déploie un ensemble d’aides que j’ai précédemment détaillé.
Ensuite – je le souligne également –, nous assumons le primat du sanitaire dans la gestion de cette crise. Cela étant, le Premier ministre, comme il l’a lui-même rappelé, a fait en sorte avec Bruno Le Maire que certaines activités proscrites pendant le premier confinement soient désormais autorisées, afin que l’on puisse continuer à produire et à vivre.
Évidemment, les décisions prises ont de terribles effets de périmètre. Par exemple, certains commerces vendent en même temps de la nourriture et des articles d’habillement. À cet égard, le Premier ministre et Bruno Le Maire ont annoncé la fermeture d’un certain nombre de rayons dans les hypermarchés.
Nous sommes face à une alternative : continuer à prendre des décisions difficiles, en dentelles – vous aurez noté que ces fermetures de rayons ont de graves conséquences sur l’emploi –, ou opter pour un nivellement des normes par le bas. Par capillarité, un tel choix conduirait à rouvrir tous les commerces et, mécaniquement, à augmenter nos interactions sociales en accroissant le nombre de personnes circulant dans les rues.
On peut soutenir cette stratégie, mais elle me paraît assez éloignée de la réalité sanitaire de notre pays. Je vous le rappelle, un Français est contaminé par le covid toutes les deux secondes ; un Français en meurt toutes les quatre minutes… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Face à la réalité sanitaire, il nous faut toujours suivre une ligne de crête, entre la nécessité de faire respecter le confinement au maximum et le soutien au petit commerce ! (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.
M. Vincent Segouin. Monsieur le secrétaire d’État, je vous le dis clairement : les mesures prises par ce gouvernement ne sont à la hauteur ni des attentes ni de la situation.
Vous promettez 10 000 euros par entreprise, mais peu auront cette somme. Vous souhaitez étendre le click and collect aux petits commerces, alors que c’est contraire à leur ADN. Vous annoncez des suppressions de charges sociales : ce ne sont que des reports. Vous n’avez aucune stratégie. Vous recourez sans cesse à la dette, mais cette dernière est un poison. Comme l’a dit le Président de la République, la dette, c’est de l’impôt au carré !
Plus je vous écoute, plus votre manque de cohérence me désespère.
On laisse les grandes surfaces ouvertes, mais, en même temps, on ferme les petits commerces, qui pourtant respectent les mesures sanitaires.
On ferme nos restaurants, mais, en même temps, on laisse ouverts des restaurants d’entreprise et des cantines à grande fréquentation.
On empêche les gens d’aller chez le libraire, mais, en même temps, on les laisse se masser dans les transports en commun. (M. le Premier ministre manifeste son exaspération.)
On interdit les coiffeurs à domicile, mais, en même temps, on autorise les livraisons ou les travaux à domicile.
On laisse les gens passer les frontières de notre pays sans aucun contrôle, mais, en même temps, on enferme les Français chez eux en leur imposant de justifier leurs moindres faits et gestes.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Vincent Segouin. Je comprends les Français qui n’acceptent plus vos injonctions. Ils demandent simplement de l’écoute et de la concertation.
Les mesures sont acceptées…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Vincent Segouin. … quand elles sont comprises et cohérentes. Vous n’avez plus la confiance du Sénat ; vous n’avez plus la confiance des maires sur le terrain. (Marques d’impatience sur les travées du groupe RDPI.)
L’agressivité du ministre de la santé envers les députés, hier encore, ou ses propos à l’encontre des maires ne font qu’aggraver cette perte de confiance ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
situation dans le caucase
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Alors que le terrorisme djihadiste frappe de nouveau notre pays et l’Europe, le président Erdogan multiplie les menaces contre la France, comme il l’avait d’ailleurs fait ces derniers mois contre le gouvernement autrichien.
M. Richard Yung. Tout à fait !
M. Rémi Féraud. Sa politique impérialiste se manifeste en Méditerranée, en Libye, en Syrie, en Irak et, désormais, dans le Caucase, où il soutient concrètement l’offensive de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie.
Nous soutenons la position claire et ferme du Président de la République, non pas contre le peuple turc, à qui nous exprimons notre solidarité après le tremblement de terre d’Izmir, mais contre un pouvoir autoritaire, qui menace la stabilité de la région et la sécurité de l’Europe,…
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Rémi Féraud. … alors même qu’il est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.
Monsieur le ministre, il faut maintenant que les actes soient à la hauteur des paroles. La France va-t-elle vraiment demander des sanctions financières contre la Turquie ? Alors que son processus d’adhésion à l’Union européenne est au point mort, ce pays perçoit-il encore des fonds de préadhésion ?
Le boycott des produits français est décrété en violation de l’union douanière entre l’Europe et la Turquie. S’il perdurait, seriez-vous prêt à demander sa suspension ?
En septembre dernier, un rapport de l’ONU a dévoilé les exactions très graves commises à l’encontre des Kurdes de Syrie : quelles suites envisagez-vous d’y donner ? Comptez-vous saisir le Conseil de sécurité des Nations unies ? Pouvez-vous d’ailleurs nous garantir que la France a mis un terme à toute vente de matériel militaire à la Turquie ?
Enfin, après la nécessaire dissolution de l’organisation extrémiste des Loups gris, comptez-vous agir résolument contre l’influence du régime turc sur le territoire national ? (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE et RDPI.)
M. Julien Bargeton. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vos questions sont légitimes et totalement pertinentes. (Exclamations sur des travées du groupe SER.)
Une longue liste de désaccords très sérieux nous oppose à Ankara. Nous attendons tout d’abord de la Turquie qu’elle cesse d’avoir un comportement belliqueux dans le voisinage européen. Ses actions unilatérales en Méditerranée orientale, sa politique agressive en Libye et ses manœuvres dans le Haut-Karabakh sont autant de ferments de déstabilisation majeurs. Mais, ces dernières semaines, nous avons franchi dans nos relations avec la Turquie un palier inadmissible entre pays alliés.
Les insultes, les calomnies, la volonté d’instiller une campagne de haine contre la France et l’Europe sont de nature totalement différente : ce sont des menaces. Nous attendons que le président turc et son gouvernement y mettent un terme immédiat. Nous ne tolérerons pas non plus que cette haine et cette violence soient exportées sur le territoire français ; les groupuscules qui les relaient ne doivent pas avoir droit de cité.
En Europe, les réactions de solidarité sont unanimes. Elles le démontrent : il ne s’agit pas d’un simple contentieux franco-turc, mais d’attaques contre l’Europe, ses valeurs et son modèle, fondé sur les libertés fondamentales et l’État de droit.
M. Philippe Pemezec. Alors, pourquoi vouloir laisser la Turquie entrer ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le Conseil européen a fixé un rendez-vous le mois dernier, avant même l’escalade à laquelle nous avons assisté. Si la Turquie ne modifie pas fondamentalement et concrètement sa posture avant le Conseil européen de décembre prochain, nous prendrons, à l’échelle européenne, les mesures nécessaires à l’encontre des autorités turques.
Vous avez proposé une liste de sanctions, et je vous assure que, dans cette perspective, toutes les options sont sur la table ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour la réplique.
M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, lors de l’invasion d’Afrine, dans le nord de la Syrie, nous avions alerté quant aux risques d’être faible face aux entreprises du président Erdogan ; la suite a montré que nous avions raison.
Qu’il s’agisse des mots ou des actes, nous veillerons à la fermeté de votre gouvernement ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Julien Bargeton et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
souveraineté de l’industrie de défense
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, ces dernières années, les désordres géopolitiques mondiaux, puis la crise sanitaire, ont replacé au cœur du débat public le concept de souveraineté, qu’elle soit nationale ou européenne.
Contrairement à d’autres secteurs largement délocalisés, les industries de défense françaises continuent à produire en France et pèsent dans notre économie. Engagées au service de la sécurité collective, elles représentent un vivier de compétences rares et d’emplois dans les territoires.
Cette excellence permet à nos armées de disposer de la meilleure technologie possible pour conserver la supériorité sur le terrain. Elle bénéficie également au commerce extérieur, en permettant de rivaliser à l’export avec les pays à bas coûts.
Pour autant, le secteur de la défense n’est pas exempt de fragilités et les confinements de l’année 2020 vont laisser des traces. Vous le savez, les entreprises françaises de technologies sensibles suscitent déjà les convoitises. Certaines d’entre elles sont passées sous contrôle étranger. J’ai également évoqué le cas de Photonis, l’un des leaders mondiaux de la vision nocturne, qui, après maintes péripéties et interventions de l’État, serait sur le point d’être racheté par un groupe américain.
Alors que le Gouvernement brandit partout le concept de souveraineté, comment comptez-vous mieux protéger les entreprises de notre base industrielle et technologique de défense, ou BITD, et leur permettre de se financer pour assurer leur développement ?
Une solution française pour Photonis semble en train d’émerger : le Gouvernement sera-t-il au rendez-vous pour la faire aboutir ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, vous évoquez l’entreprise Teledyne et son projet de racheter la société Photonis.
À cette fin, Teledyne a bien présenté une demande d’autorisation au début de l’année 2020. Cette requête a été soumise au processus de contrôle des investissements étrangers en France, les IEF. Photonis – vous l’avez dit également – fournit des entreprises du secteur de la défense française et dispose de technologies de pointe, notamment pour ce qui concerne la vision nocturne.
Comme la loi le prévoit, dans le cadre de la procédure de contrôle des IEF, le Gouvernement a instruit, par l’intermédiaire de Bercy, l’offre de Teledyne. Il a posé un certain nombre de conditions à une éventuelle autorisation de cet investissement.
À cet égard, notre position a toujours été claire : il faut protéger nos entreprises stratégiques et leur technologie, mais il faut aussi rendre possibles des investissements nécessaires au développement des entreprises en question, notamment pour qu’elles puissent rester à la pointe de leur secteur. Tel est l’objectif que nous nous sommes assignés pour l’opération Photonis.
À la suite de nos échanges, l’entreprise Teledyne a fait le choix de retirer son offre de rachat de Photonis. Un certain nombre de solutions existent, mais si Teledyne devait soumettre une nouvelle demande d’autorisation de rachat de Photonis au titre du contrôle des IEF, l’État l’analyserait à la lumière des conditions fixées lors de la première négociation et avec le même objectif : concilier la défense de notre souveraineté technologique et le nécessaire développement de notre industrie de défense.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Monsieur le secrétaire d’État, malgré les éléments que vous mentionnez, Photonis sera racheté par un groupe américain. En outre, cette entreprise a joué des exigences françaises, que vous avez rappelées, pour revoir son prix d’acquisition à la baisse, du moins si l’on en croit la communication tonique de l’acquéreur Teledyne.
Plus que de la communication ou du coup par coup, nous attendons des actes forts pour notre souveraineté ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé. J’y associe mon collègue Claude Kern, qui a été le premier à m’alerter à ce sujet.
Notre pays est face à un risque de pénurie de sang, dû tout autant aux difficultés actuelles de collecte qu’à la non-revalorisation des personnels de l’Établissement français du sang, l’EFS.
Nous avons besoin de 10 000 dons par jour pour satisfaire aux soins de 1 million de malades chaque année. Or la crise sanitaire entrave considérablement la collecte : il y a moins de dons de la part des étudiants, qui figurent parmi les populations les plus généreuses en la matière, et moins de personnel dans les entreprises, où ont lieu nombre de collectes. En parallèle, les professionnels de l’EFS sont eux aussi touchés par le virus et nombre de bénévoles sont empêchés pour cause de vulnérabilité.
L’engorgement des hôpitaux, dû à la covid, n’arrange rien : il impose des déprogrammations et des reprogrammations d’opérations qui augmentent les besoins.
Dans ces conditions, l’EFS tire la sonnette d’alarme. Le stock est en grande tension.
Ce problème entre en résonance avec les difficultés du personnel de l’EFS. Alors que le Gouvernement annonce l’accélération de la revalorisation, dans le secteur public, des salaires des professionnels de santé des hôpitaux et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, pourquoi avoir exclu du Ségur les professionnels de santé qui travaillent au sein de l’Établissement français du sang ?
Au total, 1 000 médecins, 1 500 à 2 000 infirmières et infirmiers ainsi que de nombreux techniciens de laboratoire sont concernés. Aujourd’hui, ils ressentent un profond sentiment d’injustice. Eux aussi sont au front, depuis longtemps, et plus encore depuis la crise sanitaire.
Monsieur le ministre, allez-vous revaloriser le statut des personnels de l’EFS ? Comment comptez-vous agir et réagir pour répondre aux besoins en poches de sang et assurer la gestion de ces stocks ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, à la suite de Mme Deroche, vous rappelez très justement que, en cette période de crise sanitaire, les opérations indispensables qui ne relèvent pas de l’épidémie doivent se poursuivre : bien entendu, c’est le cas des interventions qui supposent des transfusions sanguines et, dès lors, reposent sur le don régulier de sang, de plaquettes ou de plasma.
Je pense notamment à la prise en charge des effets de certaines pathologies de longue durée, comme les cancers ou les maladies du sang.
Vous l’avez dit, la reprise du confinement a pu susciter un certain nombre d’inquiétudes. La limitation des déplacements au strict nécessaire a effectivement un impact sur la mobilisation en faveur des dons.
Depuis toujours, 80 % des dons reçus par l’EFS proviennent de la collecte mobile, en particulier dans les entreprises, dans les écoles et sur les campus.
Or, depuis le mois de mars dernier, ces lieux accueillent beaucoup moins de collectes. L’EFS s’est efforcé de pallier ces difficultés en élargissant ses plages horaires. Néanmoins – vous l’avez rappelé –, à la fin du mois de septembre, les réserves de poches de globules rouges sont tombées à leur plus bas niveau depuis dix ans.
C’est la raison pour laquelle nous avons lancé un appel aux dons, qui a été fortement relayé. À ce titre, je vous communique le point de situation suivant.
L’appel aux dons a porté ses fruits. Au 3 novembre dernier, les stocks de concentrés de globules rouges, ou CGR, sont bons. Nous en dénombrons 113 000 unités, ce qui, d’après les données prévisionnelles, représente dix-huit jours de réserves. Par ailleurs, on ne répertorie pas de difficulté pour ce qui concerne le groupe O -, celui des donneurs universels.
Le prélèvement est à la baisse par rapport aux trois semaines précédentes, mais il reste conforme aux prévisions que nous avions élaborées. Le besoin est en net recul au cours de la semaine écoulée – cette baisse avoisine les 11 %. Enfin, les stocks de plaquettes sont bons : hier, en fin de matinée, on comptait plus de 1 500 concentrés de plaquettes.
Je tiens donc à vous rassurer et à rassurer la représentation nationale tout entière : à ce jour, ces stocks ne sont pas source d’inquiétude. Néanmoins, nous devons tous rester mobilisés.
Monsieur le président, si vous me le permettez, je conclurai cette séance de questions d’actualité au Gouvernement en lançant un appel à nos concitoyens : prendre une heure pour sauver son sang, c’est sauver trois vies. Il faut donc continuer à donner son sang pour les Français !
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, nous nous associons à cet appel !
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 12 novembre 2020, à quinze heures.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Modifications de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l’examen en nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire se poursuive le jeudi 5 novembre au soir.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions fixer le début de la discussion générale sur ce texte demain à dix-neuf heures. La commission se réunirait pour examiner les amendements de séance durant la suspension de séance, et nous entamerions l’examen des articles à la reprise du soir. Enfin, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé à l’ouverture de la discussion générale.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, par courrier en date du mardi 3 novembre, M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et territoires, demande l’inscription à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 19 novembre de deux débats intitulés : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux » et « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même ».
Acte est donné de cette demande.
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ont été affichées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat.
Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 8 sur l’ensemble du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, ma collègue Annick Petrus a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait voter contre.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Accords avec le Qatar et la Chine portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire
Adoption en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen d’un projet de loi tendant à autoriser l’approbation de deux conventions internationales.
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc le mettre aux voix.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de l’état du qatar et de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république populaire de chine
Article 1er
Est autorisée l’approbation de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar (ensemble quatre annexes), signé à Paris le 6 juillet 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article 2
Est autorisée l’approbation de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine (ensemble quatre annexes), signé à Paris le 23 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar et de l’accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine (projet n° 717 [2019-2020], texte de la commission n° 86, rapport n° 85).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
7
Accord avec l’Inde relatif aux stupéfiants
Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes (projet n° 485 [2019-2020], texte de la commission n° 88, rapport n° 87).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les crises sanitaire et sécuritaire que nous traversons ont démontré l’importance de répondre avec la plus grande détermination au problème mondial de la drogue.
En effet, la pandémie de covid-19 a mis en lumière l’extrême résilience des réseaux de trafiquants, qui ont diversifié et adapté leurs itinéraires et leurs modes de transport au gré des restrictions aux déplacements. Par ailleurs, cette pandémie a accru la vulnérabilité des usagers, qui ont connu des difficultés pour accéder au dispositif de soins ou, parfois, se sont tournés vers des substances ou des modes de consommation plus nocifs.
La fin de la crise sanitaire, quel que soit son horizon, ne résoudra pas ces difficultés, bien au contraire, avec la circulation des stocks de drogue surnuméraires n’ayant pu être écoulés et l’existence de publics encore plus fragilisés.
Alors que les trafics de stupéfiants ne cessent de s’étendre à l’échelle mondiale, notre réponse doit, aujourd’hui plus encore, passer par une action coordonnée à l’échelle internationale.
De fait, ces trafics constituent un phénomène véritablement mondial, qui se joue entre pays de production, de transit et de destination. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres pour agir à la fois en amont, afin d’éviter que nos populations, en particulier les personnes les plus vulnérables, ne tombent dans l’addiction, et en aval, pour offrir une voie de sortie de la dépendance à ceux qui le souhaitent, suivant une approche respectueuse des droits humains.
Pour faire face à ce défi, l’Inde est un partenaire incontournable.
Elle l’est, tout d’abord, en tant qu’alliée majeure de la France dans de multiples domaines. Notre pays et l’Inde sont liés depuis 1998 par un partenariat stratégique, dans le cadre duquel se sont développées des coopérations ambitieuses dans les domaines de la défense, de l’espace, de la sécurité ou encore du climat.
L’accord intergouvernemental relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes, signé à l’occasion de la visite du Président de la République à New Delhi, le 10 mars 2018, et soumis cette après-midi à l’approbation de votre assemblée, s’inscrit dans cette dynamique : il vise à structurer et renforcer la coopération franco-indienne dans un domaine qui représente, pour nos deux pays, l’enjeu essentiel de santé publique et de sécurité que j’ai décrit.
Elle l’est, ensuite, en tant qu’acteur constructif de la scène internationale en matière de lutte contre les produits stupéfiants et en tant que soutien de notre approche équilibrée faisant droit aussi bien aux impératifs de la lutte contre les trafics qu’à la nécessité de mener des politiques de prévention.
L’Inde doit être associée à cette lutte. Face à la double pression exercée par les pays les plus laxistes, désireux notamment de légaliser largement l’usage des drogues, et les plus fermés, promoteurs d’une réponse exclusivement répressive, donc incomplète, l’Inde est un soutien essentiel pour la préservation de ce cadre international.
Elle l’est, enfin, sur le plan sécuritaire, en tant que pays central du point de vue de la problématique de la circulation des drogues aux échelles régionale et mondiale. L’Inde doit être associée aussi à notre approche.
Un renforcement de notre coopération bilatérale est nécessaire, pour mieux appréhender les menaces que peut faire peser sur notre sécurité nationale la situation spécifique de ce pays de plus de 1,3 milliard d’habitants, qui est à la fois une zone de transit, de production et de consommation de stupéfiants. Située à l’interface de plusieurs zones majeures de production, l’Inde est un pays de transit de ces produits vers le monde entier, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Afrique, de l’Amérique du Nord ou même de l’Asie du Sud-Est.
Ce renforcement de notre coopération est d’autant plus nécessaire que la question des drogues, je le rappelle, a partie liée avec le terrorisme. De fait, le trafic de stupéfiants constitue, toujours plus, l’une des premières sources de revenus des réseaux terroristes islamistes mondiaux opérant notamment dans le sous-continent indien, en particulier en Afghanistan.
Par ailleurs, l’Inde est devenue un lieu de production de différents stupéfiants et précurseurs chimiques, exportés vers des marchés étrangers où leur consommation provoque, vous le savez, des difficultés sanitaires majeures au sein des populations de nos pays.
Enfin, la croissance de la consommation de drogues en Inde doit nous alerter, compte tenu de ses conséquences sur la santé publique dans ce pays, comme sur le développement accru de réseaux criminels.
L’accord soumis à votre approbation, le premier engagement juridiquement contraignant conclu avec l’Inde en matière de coopération policière et judiciaire, constitue un jalon essentiel pour nous permettre d’atteindre l’ensemble de ces objectifs.
Il a été élaboré et négocié dans le respect de l’approche équilibrée prônée par la France, et sa mise en œuvre en attestera l’efficacité et la pertinence. En effet, les champs de coopération renforcée qu’il ouvre permettront à la fois une montée en puissance de notre action commune en matière de lutte contre la consommation et le trafic de stupéfiants et une meilleure prise en compte dans nos échanges de l’ensemble des enjeux sanitaires et sociaux.
Ainsi, cet accord permettra d’encourager le développement d’actions de coopération visant à réduire effectivement la production de stupéfiants, notamment de précurseurs chimiques, ainsi que leur éventuel trafic entre nos deux pays et au-delà.
Il nous donnera également les moyens d’agir sur la demande, en promouvant auprès de nos partenaires indiens notre approche en matière de prévention de la consommation de drogues. Là aussi, cela passera par la conduite nouvelle d’actions conjointes d’éducation et de sensibilisation des publics les plus vulnérables.
À cette fin, la coopération opérationnelle et technique entre les services spécialisés de nos deux pays sera renforcée, au travers d’échanges d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques. Cet accord bilatéral prévoit également des formations, ainsi que la fourniture d’une assistance technique et scientifique, à destination des services indiens.
Ainsi qu’il ressort des articles 6 et 7 de l’accord, ces échanges ont fait l’objet, dès le début de la négociation en 2013, de la plus grande attention de la part des autorités françaises, afin que toutes les garanties nécessaires soient prévues en matière de protection des données à caractère personnel. Il s’agit d’un enjeu essentiel, sur lequel la France, de manière générale, est particulièrement engagée.
Ainsi, nous nous sommes assurés que ces échanges ne puissent avoir lieu que dans le strict respect de la législation nationale de chaque partie – en ce qui nous concerne, une législation européenne.
L’accord garantit donc à nos ressortissants et à nos services un niveau adéquat de protection de la vie privée, en fixant un socle d’obligations et de garanties fondamentales précises en matière de protection des données personnelles, en deçà duquel aucune opération de traitement ou de transfert de données ne pourra être effectuée.
Cette vigilance, nous en avons fait preuve à plus forte raison pour nous assurer que la mise en œuvre de l’accord ne puisse servir dans le cadre de procédures susceptibles d’aboutir à des condamnations à la peine de mort, à laquelle la France, au demeurant engagée par des accords internationaux, est évidemment opposée en tout lieu et en toutes circonstances.
Les restrictions imposées par la Cour suprême indienne au recours à la peine capitale la rendent en pratique tout à fait exceptionnelle – et même, dans les affaires de trafic de drogue, théorique. Néanmoins, son application reste en principe possible.
C’est la raison pour laquelle la France a insisté pour que des références explicites et précises au respect de nos engagements internationaux en matière de refus de la peine capitale soient inscrites dans l’accord. Figurant aux paragraphes 3 des articles 2 et 5, ces garanties permettront à nos services opérationnels, dans tous les domaines et dans tous les cas, de s’opposer à une demande de coopération susceptible de conduire à l’application de la peine de mort.
La mise en œuvre de cet accord, pour l’application duquel l’Inde a d’ores et déjà mené à bien les procédures internes nécessaires, revêtira pour notre pays une importance double, si bien sûr votre assemblée approuve définitivement ce texte.
Tout d’abord, elle servira utilement la conduite de notre stratégie internationale en matière de lutte contre les drogues et les produits stupéfiants. Ensuite, elle viendra, de manière plus générale, conforter la dynamique, voulue par le Président de la République, de renforcement de notre relation bilatérale avec l’Inde, notamment sur les questions stratégiques et de sécurité.
Dans le contexte actuel, il est nécessaire de renforcer encore la coopération internationale pour lutter contre les menaces, qui ne connaissent pas de frontières. Nous l’avons vu en ce qui concerne la pandémie de la covid-19 ; nous le voyons aussi dans la lutte sans merci que nous menons contre le terrorisme et la diffusion de l’idéologie extrémiste. Nous devons agir de même contre d’autres fléaux internationaux, qui d’ailleurs renforcent souvent ces dynamiques, en particulier contre les trafics de drogue et tous les mécanismes qui les alimentent ou les facilitent.
Aujourd’hui plus que jamais, le renforcement de notre action bilatérale comme de notre engagement multilatéral est indispensable !
Telles sont, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle cet accord du 10 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde, relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes. (MM. André Gattolin et Richard Yung applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France entretient avec l’Inde une relation bilatérale ancienne, fondée sur la confiance et le partage de valeurs communes. Cette relation s’est enrichie ces dernières années, avec la multiplication de rencontres de haut niveau.
En 1998, l’Inde et la France ont conclu un partenariat stratégique global, qui a mis en place une coopération étroite dans les secteurs de la diplomatie de la défense. Il s’est traduit par la conclusion, en 2016, d’un contrat d’acquisition de trente-six avions de combat Rafale, dont le premier a été livré en octobre 2019.
Notre coopération est intense dans les domaines de la sécurité, du nucléaire civil et de l’énergie. Un dialogue stratégique réunit les deux parties au plus haut niveau deux fois par an. L’Inde occupe une place importante dans la stratégie de défense française en Indopacifique.
S’agissant de la lutte contre les trafics de drogue, l’Inde y prend une part active, notamment en participant aux travaux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ainsi qu’à l’initiative du Pacte de Paris, lancée en 2003 pour lutter contre le trafic d’opiacés en provenance d’Afghanistan.
Compte tenu de son poids démographique et de son positionnement géographique, l’Inde est un acteur régional majeur de la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants, dont elle est à la fois un pays de consommation, de transit et de production.
Comme en France, on y observe une augmentation de la consommation de drogues, qu’il s’agisse d’héroïne, d’opioïdes détournés de leur usage médical ou encore de cannabis.
De par sa situation à proximité du Triangle d’or et surtout du Croissant d’or, zone de production d’opium la plus importante au monde, l’Inde est l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne à destination de la Chine et de l’Asie du Sud-Est, mais aussi de l’Australie et de l’Amérique du Nord. L’Inde se situe aussi sur la route sud par laquelle transiteraient environ 10 % des opiacés à destination de l’Europe et de la France.
Enfin, l’Inde, deuxième leader mondial des médicaments génériques derrière la Chine, avec 20 milliards de dollars d’exportations annuelles cette année, connaît de nombreux détournements de médicaments par des organisations criminelles. Sont concernés notamment l’éphédrine et certains antalgiques, comme le Tramadol, qui sont consommés comme drogues, sans parler des médicaments contrefaits par des entreprises installées sur le territoire indien.
Cet accord bilatéral est le premier engagement juridiquement contraignant conclu avec l’Inde en matière de coopération policière. Il s’agit d’un accord sectoriel, portant exclusivement sur la prévention de la consommation illicite et la réduction du trafic illicite de stupéfiants.
Il sera mis en œuvre en parfaite cohérence avec les engagements bilatéraux liant nos deux États dans le domaine de l’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition : la convention bilatérale d’entraide judiciaire pénale du 25 janvier 1988 et la convention bilatérale d’extradition du 24 janvier 2003.
La commission s’est naturellement penchée avec la plus grande attention sur l’applicabilité de la peine de mort, proscrite par notre Constitution, mais encore en vigueur en Inde.
La convention d’extradition de 2003 permet déjà expressément à la France de refuser la remise d’un individu demandée par l’Inde en l’absence de garantie que la peine de mort ne sera pas prononcée, a fortiori exécutée.
Comme l’accord d’entraide judiciaire de 1988, l’accord que nous examinons aujourd’hui contient des dispositions supplémentaires permettant, comme M. le secrétaire d’État l’a expliqué, d’opposer un refus aux demandes de coopération si elles devaient aboutir à l’exécution de la peine capitale par l’Inde.
Au demeurant, en l’absence même de toute clause expresse, l’ordre public français et les engagements internationaux de la France s’opposent à ce que notre pays puisse apporter son aide en matière pénale aux États dans lesquels une personne mise en cause est exposée à la peine capitale ou à des traitements inhumains ou dégradants.
Quant aux stipulations relatives à la protection des données personnelles, elles apportent un haut niveau de garantie, dans la mesure où la communication de ces données aura lieu dans le strict respect de la législation nationale et des procédures définies par le droit interne.
En outre, les échanges d’informations prévus par le présent accord ne seront pas, par nature, liés à une enquête spécifique en cours ou à un dossier relatif à une personne en particulier, mais porteront davantage, s’agissant de la coopération opérationnelle, sur la structure d’une organisation criminelle, son mode opératoire ou les techniques de blanchiment d’argent.
Cet accord de coopération nous a semblé un instrument utile dans la lutte contre le trafic de drogue. Son approbation est attendue par les services des ministères des affaires étrangères, de l’intérieur et de la justice.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la seule consommation des drogues a causé la mort de 585 000 personnes en 2017, d’après un rapport des Nations unies réalisé en 2019.
Si les produits stupéfiants sont dangereux pour la santé de ceux qui les consomment, leurs trafics sont néfastes, plus généralement, pour l’ensemble de la société. En effet, ces produits font l’objet d’un commerce lucratif dont les fonds viennent alimenter d’autres activités criminelles, au premier rang desquelles le terrorisme.
Ainsi, les liens entre la culture afghane du pavot et le financement des talibans ne sont plus à démontrer – non plus que ceux qui unissent les productions du Triangle d’or aux mafias et guérillas de cette région.
Parce que le trafic de drogue ne connaît pas de frontières, parce qu’il participe au financement d’actions de déstabilisation contre les États, ces derniers ont intérêt à unir leurs moyens dans leur combat contre la drogue, comme M. le secrétaire d’État l’a rappelé.
Or l’Inde, en raison notamment de sa situation géographique, qui la place au carrefour de nombreux trafics, est d’ores et déjà un des acteurs incontournables de la lutte antidrogue. L’accord soumis à notre approbation cet après-midi vise à améliorer la coopération policière entre nos deux pays dans ce domaine.
Je fais partie des voix qui se sont élevées pour alerter sur le risque potentiel que comporterait cet accord. De fait, l’Inde applique la peine de mort à l’encontre des auteurs de certaines infractions relatives aux stupéfiants. La France n’enfreindrait-elle pas ses engagements abolitionnistes en coopérant avec un pays qui, sur la base de cette coopération, pourrait condamner des individus à mort ?
À cet égard, en plus de nos engagements internationaux, l’article 66-1 de notre Constitution dispose : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
La question que nous nous posons en ce qui concerne les stupéfiants pourrait se poser aussi dans d’autres domaines, singulièrement celui du terrorisme : faut-il coopérer avec des pays qui continuent de condamner à mort ? Si nous y renoncions, nous fermerions la porte à cinquante-cinq pays qui nous aident à lutter contre le fléau du terrorisme, ce qui limiterait notre capacité à nous prémunir contre des attentats mettant en danger la vie de nos concitoyens.
Chaque État est souverain : il décide donc souverainement des règles qu’il souhaite établir. Il n’appartient à personne de dire à l’Inde, État souverain et démocratie de plus de 1,353 milliard de personnes, ce qu’elle devrait ou ne devrait pas faire.
L’Inde et la France luttent toutes deux contre le trafic de drogue et peuvent envisager de coopérer dans ce domaine, dans le respect de la souveraineté de nos deux pays.
Toutefois, nous devons analyser cet accord en nous assurant qu’il ne contribue pas à faire concourir la France, par ce canal, à l’exécution de peines capitales. En effet, les engagements de notre pays l’obligent à abandonner une coopération lorsque la peine de mort est envisagée à l’encontre de personnes mises en cause. Ce principe est inscrit dans les accords relatifs à la coopération judiciaire et l’extradition.
À la lumière de ce constat et sous réserve du respect strict et contrôlé de la mise en œuvre de cette coopération, nous pouvons approuver l’accord qui nous est soumis.
En effet, comme le secrétaire d’État et le rapporteur l’ont souligné, il ne vise que la coopération technique et opérationnelle en matière policière ; il ne concerne ni la coopération judiciaire ni l’extradition. Il n’est donc pas question que la France participe directement à la condamnation à mort d’un individu.
Aussi, compte tenu des réponses qui nous ont été apportées et qui ont dissipé notre inquiétude et en raison de la nécessité d’optimiser nos actions de lutte contre tout trafic, le groupe Les Indépendants votera unanimement le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet d’accord entre la France et l’Inde que nous examinons cette après-midi a pour objet de lutter contre la consommation et le trafic de stupéfiants.
En pratique, cet accord favorisera l’échange d’informations entre la France et l’Inde. Compte tenu de la croissance des trafics illicites de stupéfiants et de la position stratégique de l’Inde, l’objectif peut se comprendre, même si des accords multilatéraux existent en la matière.
Si le groupe écologiste a demandé le retour à la procédure normale pour l’examen de ce projet de loi, c’est parce que ce dispositif nous inquiète : de fait, nous trouvons pour le moins curieux qu’il ne fasse pas plus débat… L’absence de toute mention relative à la peine de mort dans un projet d’accord avec un pays qui applique encore la peine capitale en matière de trafic de stupéfiants est incompréhensible !
J’entends l’argument du rapporteur : cette mention n’est pas obligatoire dans un accord qui ne prévoit pas d’extraditions.
Je le conteste néanmoins, car l’arrêt Fidan rendu par le Conseil d’État le 27 février 1987 n’a pas cette portée : il n’énonce nullement qu’une mention ne serait exigée que pour les accords relatifs à la remise des personnes. Cette décision exclut l’extradition d’une personne vers un pays où la peine de mort est prononcée, dès lors qu’aucune convention ne vient l’exclure ; aucune autre question de droit ne lui était posée.
En l’occurrence, ne pas prévoir que la remise de renseignements puisse permettre de condamner une personne à la peine de mort entraîne la violation par la France de ses obligations positives à l’égard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
De plus, il n’est pas compréhensible que, politiquement, il ne soit pas possible d’exiger une telle garantie de l’Inde, alors que la France l’a exigée des États-Unis pour ratifier le traité d’extradition du 23 avril 1996.
Les organisations de défense des droits humains, au premier rang desquelles la Ligue des droits de l’homme, ont réussi à alerter le Sénat.
À la suite de cette interpellation, monsieur le rapporteur, vous évoquez deux garde-fous, aux paragraphes 3 des articles 2 et 5. Ils reviennent à faire prévaloir l’ordre public français sur l’accord et à nous permettre de refuser d’appliquer la convention au regard des engagements internationaux de la France ou du droit de l’Union européenne.
Il est à ce titre curieux, monsieur le secrétaire d’État, que dans l’étude d’impact, ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne soient mentionnés parmi les engagements internationaux que la France doit respecter.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, on ne saisit pas, concrètement, selon quelles modalités le service chargé de l’enquête policière pourra apprécier, en répondant à une demande de renseignements émanant des autorités indiennes, si la personne concernée risque ou non la peine de mort, avant éventuellement de refuser de donner un renseignement.
Le dossier entier n’est bien sûr pas envoyé et se poserait alors un problème de traduction. Il est évident que cela ne se fera jamais.
L’examen au cas par cas, pour envisager si la peine de mort pourrait être prononcée pour chaque renseignement demandé, et le blocage en conséquence de la transmission d’informations sont totalement illusoires. S’en remettre aux exécutants pour faire respecter l’interdiction de la peine de mort revient à démissionner ou à se voiler la face.
L’argument du faible nombre de condamnations à mort pour trafic de stupéfiants en Inde, invoqué par la rapporteure à l’Assemblée nationale et par vous-même, monsieur le rapporteur, n’est pas recevable. L’abolition de la peine de mort est un principe qui ne saurait souffrir aucune exception.
Compte tenu des inquiétudes que suscite ce texte, monsieur le secrétaire d’État, je conclus mon propos en vous demandant de renégocier cet accord. La République de l’Inde doit s’engager à ne pas prononcer de condamnation à mort dès lors que la France a contribué de quelque manière que ce soit à la résolution d’une affaire. Cela doit figurer noir sur blanc.
En l’état, sans garantie de cette nature, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra pas voter ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera ce projet de loi des deux mains.
En effet, ce texte vise à lutter contre le trafic de différents types de drogues. L’Inde se situe au carrefour des trafics de drogues dures telles que l’opium, la cocaïne ou l’héroïne. On parle là non pas de la consommation d’une petite cigarette de cannabis de temps en temps, mais de choses autrement plus sérieuses !
De plus, l’industrie pharmaceutique indienne, qui est championne du monde en matière de contrefaçon, fabrique toute une série de produits pharmaceutiques qui sont exportés vers l’Europe et vers les États-Unis, où ils sont consommés comme substituts à des drogues.
Le renforcement de la coopération technique avec l’Inde est donc nécessaire. La lutte contre ce fléau nécessite une coopération très étroite reposant sur l’échange d’expertises, l’échange d’informations et la formation d’agents spécialisés.
L’accord contribue aussi à la lutte contre le financement du terrorisme. Nous savons que, de manière générale, le trafic de drogue et de contrefaçons contribue au financement du terrorisme. L’étude d’impact annexée au projet de loi évoque le lien entre un médicament fréquemment détourné de son usage, le Tramadol, et le financement des groupes terroristes en Afrique et dans d’autres pays du monde.
Par ailleurs, cet accord est susceptible d’ouvrir la voie à un renforcement de la lutte contre la contrefaçon de médicaments. Il pourrait nous donner l’occasion d’encourager l’Inde à signer et à ratifier la convention dite Médicrime, premier instrument international relatif aux contrefaçons de produits médicaux juridiquement contraignant dans le domaine du droit pénal.
Comme notre collègue vient de le souligner, la loi indienne relative aux stupéfiants et aux psychotropes prévoit la possibilité de condamner à mort une personne pour trafic de stupéfiants. Il faut toutefois espérer que le moratoire instauré en 2012 continuera à être appliqué.
Si l’architecture des accords, qu’ont décrite le secrétaire d’État et le rapporteur, n’est pas de nature à entraîner l’extradition d’une personne menacée de la peine de mort, la France doit continuer à appeler l’Inde à observer ce moratoire en vue de l’abolition définitive de la peine de mort.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons la ratification est le fruit d’un travail et d’une négociation commencés en 2013, et nous nous réjouissons qu’ils touchent à leur terme. Il participe du dynamisme de la relation et de la coopération renforcée entre l’Inde et la France.
Le groupe du RDSE y est particulièrement sensible. Permettez-moi de saluer le travail de notre ancien collègue Yvon Collin, qui présida le groupe d’amitié France-Inde jusqu’au mois de septembre dernier.
L’accord que nous devons approuver aujourd’hui porte sur la prévention et la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques. Le sujet est grave et mérite notre attention.
Les chiffres sont inquiétants : la consommation mondiale de drogue augmente. Cette augmentation n’épargne ni la France ni l’Inde.
L’essor de la toxicomanie est notamment lié à l’accroissement des réseaux criminels qui s’adonnent au trafic de stupéfiants. Derrière chaque trafic local, derrière chaque consommateur isolé se trouve au départ un réseau international. Combattre le fléau de la drogue implique donc de s’attaquer à chacun de ses maillages.
Si l’Inde n’est pas l’un des pays les plus stratégiques dans la lutte contre le trafic de stupéfiants – elle n’est pas identifiée comme la source immédiate et directe de trafics en France –, il n’en demeure pas moins que, par sa taille et son important bassin de population, elle est fortement touchée par la consommation de stupéfiants. Plus encore, par son positionnement géographique, elle est un point de passage, dans la région, entre les réseaux du croissant d’or – Afghanistan, Iran et Pakistan – et du triangle d’or au confluent du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande.
De ce point de vue, l’Inde joue un rôle actif dans la lutte internationale contre les drogues, l’efficacité de son action étant l’une des conditions d’une meilleure répression du trafic. Cette action doit viser aussi bien les stupéfiants les plus traditionnels que le détournement des médicaments ou des molécules servant de matière première à la production de drogues.
Un tel combat sera d’autant plus bénéfique que le trafic de stupéfiants est le plus souvent associé à d’autres formes de criminalité dont nos sociétés souffrent. Nous savons ainsi que le financement du terrorisme provient en grande partie de tels trafics.
À ce titre, le Gouvernement présentait à Marseille le 17 septembre 2019 un Plan national de lutte contre les stupéfiants, qui fixait une liste de six objectifs, dont le développement de la coopération internationale.
L’accord discuté aujourd’hui y participe pleinement, en élargissant les modalités de coopération technique et opérationnelle entre l’Inde et la France.
Dans un premier temps, s’agissant de la coopération technique, cet accord contribuera indéniablement à permettre une meilleure compréhension des réseaux de trafiquants, laquelle constitue la première étape de la lutte contre ce phénomène. Si nous voulons réussir, rien ne doit être opaque.
Il faut impérativement favoriser la transmission, tant par l’Inde que par la France, des études, recherches et analyses. Il faut faciliter les échanges juridiques, les formations et les échanges d’expertise.
Toutefois, l’information ne suffit pas. Dans un second temps, il faut agir et se donner les moyens de l’action. C’est pourquoi il faut souligner les apports de cet accord en matière de coopération opérationnelle : l’encadrement des échanges d’informations, y compris – c’est un point essentiel – des données à caractère personnel et la mise à disposition d’équipements.
Dans ces conditions, le groupe du RDSE votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord entre la France et l’Inde qui nous est soumis doit être examiné d’un double point de vue : d’une part, celui de la pertinence de mesures de coopération renforcée pour lutter contre le trafic de stupéfiants, d’autre part, celui des conditions concrètes de cette coopération avec le régime politique actuel de ce pays, un régime extrémiste hindouiste raciste, foulant aux pieds les droits fondamentaux, notamment ceux des citoyens indiens musulmans et chrétiens.
Au nom de sa stratégie indopacifique, la France intensifie ses relations avec l’Inde dans le domaine diplomatique et dans celui de la défense, en passant le plus souvent sous silence – comme c’est le cas aujourd’hui – la nature détestable de ce régime. C’est l’une des raisons de notre inquiétude sur les possibles conséquences en matière de droits humains de l’application de cette convention.
L’objet de ce texte est de se donner de nouveaux moyens de lutte contre le trafic de produits stupéfiants, fléau indéniable et de grande ampleur. Or l’Inde est bien l’une des plaques tournantes du trafic mondial d’opiacés. Elle est par ailleurs le premier producteur mondial de médicaments génériques – la France est d’ailleurs une très bonne cliente de l’Inde, notre pays ne produisant que 5 % de la consommation médicinale nationale. Or, comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé, on estime qu’un médicament générique sur dix est falsifié, cette proportion étant d’un sur deux pour les médicaments achetés sur internet.
L’Inde est aussi le théâtre d’un véritable trafic d’éphédrine et de Tramadol.
Enfin, il faut souligner les liens structurels – ils sont de plus en plus documentés – entre tous les types de trafics transnationaux, par exemple ceux de produits stupéfiants, les réseaux de blanchiment et les réseaux criminels de toute nature, notamment terroristes.
Les raisons d’agir sont donc multiples, d’autant que l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies estimait, dans son rapport de 2016, que les Européens dépensaient au moins 24 milliards d’euros par an en drogues et produits stupéfiants.
La convention pourrait donc renforcer un indispensable effort de coordination et de coopération dans la lutte contre ces trafics, dans l’esprit des travaux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et du pacte de Paris de 2003.
La coopération avec l’Inde appelle toutefois de lourdes remarques, au moment où le régime de Modi foule aux pieds l’État de droit au nom de théories ouvertement racistes, où les milices armées d’extrême droite hindouiste perpètrent des massacres dans ce pays et où la destination financière des trafics visés par la convention doit être interrogée, y compris dans les rangs du régime de New Delhi.
Pouvons-nous fermer les yeux sur l’état du système judiciaire et policier de ce pays et sur le possible recours par ce régime à la peine de mort, contraire aux conventions internationales dont la France est signataire ? Notre vote contre en commission tendait à alerter sur ces enjeux essentiels.
Nous avons entendu les réponses du Gouvernement : la convention devant servir à échanger des informations structurelles sur les réseaux, et non sur les personnes, les risques d’une condamnation à mort d’une personne poursuivie du fait de la transmission d’informations françaises seraient limités. Quand bien même cela arriverait, ces informations tomberaient sous le coup de la convention d’extradition de 2005, qui contient une clause obligeant l’Inde à renoncer à une exécution.
Si l’accord ne contient pas une clause de non-application de la peine de mort, ce qui est à nos yeux profondément regrettable, il instaure, nous dit-on, des garde-fous aux articles 2 et 5 permettant à la France de se soustraire à la coopération lorsqu’elle pressent une entorse possible à ses engagements internationaux.
Malheureusement, ces garanties restent largement conditionnelles et leur impact est très fragile selon nous. Monsieur le rapporteur, le débat de la semaine dernière en commission a permis de lever certains doutes sans toutefois nous rassurer totalement. C’est pourquoi, après réflexion, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste optera pour une abstention pleine de vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes. Cet accord s’inscrit dans une relation bilatérale avec l’Inde, relation qui s’est enrichie ces dernières années par la multiplication de rencontres de haut niveau. De partenaire naturel théorique, l’Inde est devenue l’un des axes déterminants de la stratégie française en Indopacifique.
Depuis 2005, la France soutient activement la candidature de l’Inde au titre de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
En matière de défense, la France a conclu en 2016 un contrat d’acquisition de trente-six Rafale, dont le premier a été livré au mois d’octobre 2019. Dans le secteur énergétique, un accord de coopération a été signé entre EDF et Nuclear Power Corporation of India Limited, prévoyant notamment l’implantation de six réacteurs de type EPR.
L’Inde est aussi un pays allié et ami qui se tient aux côtés de la France. La chaleur du communiqué de condoléances et de soutien que nous a adressé l’ambassade d’Inde à la suite de l’attentat horrible contre le professeur Samuel Paty et des attaques personnelles inacceptables contre le Président de la République a tranché avec le silence pesant de l’ambassade de Chine.
Compte tenu de son poids démographique de 1,3 milliard d’habitants et de son positionnement géographique, l’Inde est un acteur régional majeur de la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants et de faux médicaments.
Sa situation la place à proximité du triangle d’or – Laos, Birmanie, Thaïlande – et surtout du croissant d’or – Iran, Afghanistan, Pakistan –, zone de production d’opium la plus importante au monde.
L’Inde est l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne, la route dite Sud par laquelle transiteraient environ 10 % des opiacés à destination de l’Europe et de la France.
Les flux illicites de stupéfiants produits en Inde vers la France consistent essentiellement en drogues de synthèse. Avec 20 milliards de dollars d’exportations en 2020, l’Inde est également le deuxième leader mondial de médicaments génériques, derrière la Chine, et connaît de nombreux détournements de médicaments par des organisations criminelles – c’est le cas de l’éphédrine et de certains antalgiques, comme le Tramadol, qui sont consommés comme drogues, sans parler des médicaments contrefaits par des entreprises installées sur le territoire indien.
Comme l’a rappelé notre collègue Hugues Saury en commission lors de l’examen du rapport de ce texte, ce phénomène se traduit par des centaines de milliers de morts chaque année, principalement en Afrique. Ces victimes sont le plus souvent des enfants.
Non seulement les médicaments de qualité inférieure ou falsifiés ont un impact tragique pour les malades et leurs familles, mais ils représentent aussi une menace en termes de résistance aux antimicrobiens.
Cet accord est nécessaire, parce qu’il constitue une occasion de promouvoir les actions de prévention et de traitement auprès de notre partenaire indien et parce qu’il permettra de combattre de véritables fléaux, notamment sur notre territoire national – le trafic de drogue, les problèmes de santé publique ou même le terrorisme. Comme l’a souligné le secrétaire d’État, il ne faut pas oublier le lien qui existe entre le trafic de drogue dans ces régions et le financement du terrorisme.
Notre collègue du groupe écologiste a formulé le reproche selon lequel cet accord n’opposerait pas suffisamment de garde-fous à l’application éventuelle de la peine de mort, toujours en vigueur en Inde. Il est vrai qu’aucune clause expresse ne figure dans cet accord, mais ce type de clause est traditionnellement réservé aux accords d’extradition et aux accords d’entraide judiciaire en matière pénale. L’accord d’extradition qui nous lie avec l’Inde comporte une telle clause, le Conseil d’État y a veillé.
L’application de la peine de mort est donc exclue par ces autres accords internationaux déjà ratifiés et entrés en vigueur, M. le secrétaire d’État et le rapporteur Gilbert Bouchet l’ont rappelé.
En tant que fervent abolitionniste de la peine de mort, je souhaite rappeler que, à la différence de son voisin chinois qui exécute environ un millier de personnes chaque année, la Cour suprême de l’Inde a estimé que la peine capitale ne saurait plus être prononcée qu’à titre exceptionnel. On dénombre vingt-six exécutions depuis 1991, sachant qu’un moratoire a été mis en place depuis 2015. Ces exécutions étant d’ailleurs sans lien avec le trafic de drogue ou de substances psychotropes, il nous apparaît qu’elles ne sauraient être un argument pour ne pas voter ce texte susceptible de contribuer à sauver de nombreuses vies.
En conséquence, le groupe Union Centriste votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre relation avec l’Inde est devenue l’un des piliers majeurs de notre stratégie dans l’aire indopacifique. C’est parce que l’Inde est une grande puissance internationale qui s’inscrit dans le multilatéralisme que la France souhaite renforcer depuis plusieurs années un partenariat stratégique. De leur côté, les autorités indiennes sont de plus en plus favorables à un partenariat solide et durable avec la France.
Comme Ladislas Poniatowski, que je tiens à saluer, et moi-même le précisions dans le rapport d’information intitulé L’Inde, un partenaire stratégique, ce pays est une zone de rivalité entre la Chine et les États-Unis, mais aussi un détroit stratégique de passage, notamment de stupéfiants et de médicaments, dont l’impact se mesure partout dans le monde.
La France a souhaité maintenir un rôle de puissance d’équilibre dans cette zone indopacifique ; c’est une bonne chose. Nous avons également construit un partenariat stratégique avec l’Inde en matière militaire. Ces résultats positifs sont le fruit du travail engagé lors du précédent quinquennat.
En matière de politique environnementale, compte tenu de ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, la création de l’Alliance internationale solaire, mais surtout la signature par l’Inde de l’accord de Paris méritent d’être rappelées.
C’est à l’aune de cette stratégie et de ce partenariat que nous devons étudier le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Celui-ci prévoit le renforcement de la coopération entre la France et l’Inde en matière de lutte contre les stupéfiants et leur consommation illicite dans le cadre de la réduction de ces trafics.
Ce projet de loi prévoit à la fois la conduite d’actions de prévention et de lutte contre le trafic de drogue et de précurseurs chimiques, le contrôle et la surveillance de la production de ces précurseurs, la prévention de la consommation de drogue grâce à des campagnes de sensibilisation et la mise en place de politiques publiques, sanitaires et sociales auprès des personnes concernées.
C’est d’autant plus important que l’Inde est aujourd’hui une plaque tournante dans la production et le transit de drogue et de faux médicaments, avec de lourdes conséquences en termes de santé publique.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez raison de rappeler toute l’importance que nous avons accordée au traitement des données personnelles. Cet accord autorise des échanges de données personnelles dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’Inde n’ayant pas à ce jour de législation en la matière.
J’en viens à la question sur laquelle le débat s’est focalisé en commission comme dans l’hémicycle : la peine de mort. Celle-ci est toujours théoriquement autorisée dans la législation indienne, même si, comme vous l’avez là encore rappelé, monsieur le secrétaire d’État, son application n’est de fait pas fréquente. Il reste que ce n’est pas sans nous interroger.
Si, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, la partie française peut refuser d’accéder totalement ou partiellement à la demande d’informations des autorités indiennes, notamment au nom de nos engagements internationaux relatifs à la peine de mort, force est de constater que la partie indienne peut continuer à l’appliquer – rien ne l’en empêche. Concrètement, l’accord ne prévoit pas explicitement l’engagement de l’Inde à ne pas recourir à l’application de la peine de mort contre l’un de ses ressortissants, y compris dans le cas d’un renseignement délivré par la France.
Nous aurions souhaité que la partie française précise dans le texte son refus que ces échanges d’informations puissent entraîner une quelconque condamnation à la peine de mort. Il faudra y veiller au quotidien.
Cela est d’autant plus vrai que nous devons réaffirmer collectivement chaque jour davantage la volonté de la France de supprimer de toute législation la peine de mort, conformément à l’engagement pris par le candidat socialiste François Mitterrand, pour répondre à l’impérieuse nécessité de garantir le respect des droits fondamentaux de chaque individu et lui permettre de se prévaloir des droits énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est pourquoi, sur ce texte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra. Permettez-moi de dire un mot sur le sens de cette prise de position afin d’éviter toute méprise : il ne s’agit en aucun cas d’une forme de fébrilité. Que ce soit clair, nous n’avons pas la main tremblante quand il s’agit de lutter contre toutes sortes de trafics – drogues ou médicaments frelatés –, et ce d’autant moins que nous connaissons les liens qui existent entre le trafic de drogue et le financement du terrorisme.
Par notre abstention, nous prenons une position politique : nous permettons l’adoption de cette convention tout en réaffirmant notre opposition formelle à la peine de mort et notre regret que le texte n’en fasse pas état. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on s’exprime en dernier, beaucoup a déjà été dit ; je m’efforcerai toutefois de ne pas être redondante.
Permettez-moi d’aborder l’examen de ce projet de loi en appelant votre attention sur l’importance du contexte dans lequel il s’inscrit, à savoir la poursuite d’un dialogue entre la France et l’Inde permettant un partenariat stratégique qui touche plusieurs domaines.
Cet accord de prévention de la consommation illicite en vue de la réduction du trafic illicite de stupéfiants s’inscrit en cohérence avec l’initiative du pacte de Paris de 2003, lancée par la France et la Russie pour lutter contre le trafic d’opiacés en provenance d’Afghanistan à l’époque du conflit.
Nous savons tous que les produits stupéfiants sont l’une des principales sources de financement des groupes terroristes armés islamistes. Ces derniers ont de gros besoins financiers pour leur entreprise de déstabilisation des États-nations.
Comme la France, l’Inde fait face aux attentats. Elle doit aussi combattre le séparatisme au nord-est et gérer la rébellion de l’armée naxalite au centre.
Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer la progression de la radicalisation à l’échelle régionale. Les attentats de 2016 au Bangladesh et de 2019 au Sri Lanka ainsi que la situation aux Maldives en sont la tragique démonstration.
Il est donc primordial d’évaluer à leur juste mesure les articulations entre trafic de drogue, criminalité internationale et terrorisme. Cette porosité entre criminalité et terrorisme doit véritablement être prise en compte. Je rappelle d’ailleurs que la France et l’Inde ont signé en 2003 la convention de Palerme contre la criminalité transnationale.
L’accord que nous examinons répond également à une stratégie internationale de lutte contre la drogue et les criminalités qui y sont liées. Il dépasse donc le seul prisme bilatéral franco-indien.
L’Inde est une plateforme de transit pour le trafic de drogue de la région et une voisine directe du triangle d’or – Laos, Birmanie, Thaïlande – et du croissant d’or – Iran, Afghanistan, Pakistan –, qui est la zone de production d’opium la plus importante au monde.
Le sous-continent indien est donc l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne vers la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Australie et l’Amérique du Nord, route qui se termine en Europe et en France.
En Inde, l’usage récréatif du cannabis est interdit depuis 1985, mais certaines régions, comme le Madhya Pradesh, produisent des volumes atteignant 240 tonnes par an. L’autre problème tient au taux de tétrahydrocannabinol, ou THC, très élevé de ce type de chanvre : les effets sur les consommateurs sont très graves.
De plus, dans le contexte actuel où le risque pandémique est quotidien, notre collaboration avec l’Inde dans la lutte contre les produits illicites est primordiale, car ce pays est le second producteur mondial de médicaments génériques. Lutter contre le trafic de produits illicites qui servent de base aux médicaments est un défi pour la santé publique mondiale.
En effet, ces produits font l’objet non seulement de trafics, mais aussi de contrefaçons dont les ressorts sont tentaculaires. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm), le trafic de médicaments et de produits les composants est vingt fois plus lucratif que le trafic d’héroïne.
En 2013, en Chine, le trafic de médicaments représentait près de 73 milliards de dollars.
Pour 10 000 dollars investis, la contrefaçon de médicaments rapporte entre 200 000 dollars et 450 000 dollars. Ces sommes sont à terme blanchies et réinjectées dans l’économie légale. Ainsi, les trafiquants réussissent à pénétrer des circuits légaux via le reconditionnement de médicaments.
Alors que les États sont très en retard en termes de législation et que les trafiquants font preuve d’une adaptabilité hors norme, cet accord va dans le bon sens. Il représente une avancée significative pour essayer d’endiguer ces pratiques dont les conséquences sont dramatiques : en 2013, plus de 122 000 enfants africains sont décédés du fait des contrefaçons médicamenteuses.
Mes chers collègues, je tiens aussi à appeler votre attention sur les conséquences des trafics de produits servant à l’élaboration de drogues de synthèse. Ces nouveaux produits de synthèse (NPS) font des ravages chez les jeunes Français et, plus largement, chez les jeunes du monde entier. Des vies sont brisées à la suite de la prise de MDMA, de méthamphétamines, de kétamine… Cela représente un coût humain autant que financier pour le système français.
Par ailleurs, les concentrations de ces drogues sont d’autant plus problématiques que leur potentiel addictif est exponentiel.
J’en viens aux inquiétudes de mes collègues concernant les modalités de recours à la peine de mort en Inde. Il convient d’être rigoureux à l’égard de la législation indienne, notamment de l’article 31 A de la loi de 1985 relative aux stupéfiants et substances psychotropes. Cet article prévoit la possibilité de condamner à mort un individu pour trafic de stupéfiants dans certains cas particulièrement graves impliquant a minima une récidive. Néanmoins, depuis 2014, la législation indienne a évolué : le recours à cette mesure n’est pas automatique, contrairement à ce que l’on pourrait l’imaginer.
Les sollicitations de la Ligue des droits de l’homme sont des plus légitimes. Aussi, j’espère que ce débat et vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, permettront d’apporter des explications bienvenues.
Pour ma part, je rappelle qu’il a fallu cinq ans pour parvenir à une rédaction qui satisfasse les deux parties. C’est la preuve que la France a été exigeante et qu’elle n’a pas bradé ses idéaux et valeurs.
En outre, la convention bilatérale franco-indienne en matière d’extradition du 24 janvier 2003 est explicite sur le risque d’application de la peine de mort : c’est une raison suffisante pour motiver un refus de remise d’un individu par la partie française. Voilà qui peut rassurer certains de nos collègues.
En effet, l’article 8 de cette convention précise : « Si le fait en raison duquel l’extradition est demandée est puni de la peine capitale par la loi de l’État requérant et que, dans ce cas, cette peine n’est pas prévue par la législation de l’État requis ou n’y est généralement pas exécutée, l’extradition peut n’être accordée qu’à la condition que l’État requérant donne des assurances jugées suffisantes par l’État requis que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu’elle ne sera pas exécutée. »
Je veux croire que cet accord représente un bon véhicule pour continuer les échanges constructifs entre nos deux pays et diffuser les valeurs que nous défendons.
Le groupe Les Républicains votera cet accord et restera mobilisé sur les sujets qui permettront de lutter contre le trafic de stupéfiants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Je souhaite apporter quelques précisions, notamment sur les points de vigilance ou d’inquiétude soulevés par M. Gontard.
D’abord, l’organisation au Sénat d’un débat sur une question aussi fondamentale afin de lever tout doute, s’il en demeure encore, me paraît une bonne chose, et j’en remercie le rapporteur et le président de la commission des affaires étrangères.
Je veux être très précis : l’accord ne facilite en aucune façon l’application de la peine de mort pour des raisons liées aux stupéfiants en Inde. Je ne redonnerai pas lecture des articles 2 paragraphe 3 et 5 paragraphe 3, qui ont été cités à plusieurs reprises : ils sont extrêmement clairs sur le plein respect de l’intégralité de nos engagements internationaux, en particulier du protocole n° 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – dont nous célébrons d’ailleurs aujourd’hui même le soixante-dixième anniversaire –, auxquels nous portons un attachement plein et entier.
Aurions-nous dû mentionner explicitement ces engagements internationaux dans les articles 2 paragraphe 3 et 5 paragraphe 3 ? Nous pouvons en débattre, mais, très honnêtement, il n’y a aucun doute sur le fond. Cela vaut aussi, puisque M. Temal a abordé le sujet, pour nos engagements dans un domaine certes moins sensible, mais également très important, à savoir la protection des données et le respect du règlement général sur la protection des données.
L’étude d’impact, qui a été évoquée, aurait-elle dû être plus spécifique et précise sur ce point ? Je l’ai sous les yeux : elle mentionne uniquement le cadre de coopération bilatérale entre l’Inde et la France, dont, par définition, ne font pas partie les engagements relatifs à la peine de mort. Je prends néanmoins note de cette remarque pour les prochains cas. Il est possible d’être encore plus spécifique, mais je crois qu’il n’y a aucun doute sur l’applicabilité et le respect de nos engagements internationaux.
J’insiste, car je tiens à ce qu’il n’y ait aucun malentendu sur ce sujet : cet accord est essentiel, mais il s’agit exclusivement d’un accord de coopération policière, opérationnelle et technique. Il ne permet pas le transfert de données liées à des enquêtes, par exemple sur des individus, ou dans le domaine judiciaire.
Si une coopération judiciaire faisait suite à des procédures en matière policière permises par cet accord, elle tomberait sous le coup d’une autre convention internationale liant la France et l’Inde : la convention d’entraide judiciaire – vous pouvez vous y référer, mesdames, messieurs les sénateurs – qui, elle, prévoit explicitement, car en l’espèce il s’agit d’un point important, le respect de nos engagements internationaux en matière de non-application de la peine de mort. Il n’y a aucune ambiguïté, et nous continuerons d’ailleurs notre combat contre la peine capitale auprès de l’Inde comme auprès des plus de cinquante pays qui ne l’ont pas abolie. L’engagement de la France ne souffre aucune ambiguïté.
L’accord fait-il naître la moindre ambiguïté sur ce point ? Non. Améliore-t-il notre coopération avec l’Inde dans le domaine essentiel de la coopération en matière de lutte contre les stupéfiants, lesquels – plusieurs orateurs l’ont rappelé – alimentent le financement du terrorisme ? Oui.
Il s’agit, je le crois, d’un accord utile, qui ne fragilise en rien les combats internationaux de la France sur d’autres sujets, notamment la question de la peine capitale. Je tenais à rappeler ce point important, particulièrement en ce jour de célébration du soixante-dixième anniversaire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de l’inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes, signé à New Delhi le 10 mars 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Au terme de ce débat qui peut paraître inhabituel, puisqu’une part importante des accords internationaux soumis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est généralement approuvée par le Sénat selon la procédure simplifiée, je tiens à souligner l’intérêt d’une telle discussion et remercier les différents orateurs, le rapporteur Gilbert Bouchet, ainsi que M. le secrétaire d’État.
Ce débat illustre bien l’une des procédures originales du Sénat, qui, en application de l’article 47 de son règlement, peut, lorsque les accords internationaux visent des sujets importants, en débattre dans l’hémicycle, devant un nombre significatif de collègues, sur l’initiative d’un groupe ou, puisqu’elle en a maintenant la possibilité, de la commission.
En l’occurrence, l’accord qui est examiné aujourd’hui nous paraît très important.
D’abord, il porte sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, de psychotropes et de faux médicaments. Les différents orateurs ont souligné le drame que constitue ce genre de trafic pour la santé des populations très souvent en difficulté.
Ensuite, il porte sur un grand pays, l’Inde. Cet accord conclu par la France avec ce pays est assez original, d’autant que l’Inde est elle-même directement concernée et menacée.
Enfin, dans la mesure où l’idée même du recours à la peine de mort par un pays tiers fait évidemment l’objet chez nous d’une hostilité totale et d’une opposition absolue, réitérer cette affirmation a permis d’apporter des garanties aux groupes qui ont soulevé ce problème.
En tant que président de la commission des affaires étrangères et dans le cadre du travail que nous y menons, je me réjouis de la ratification de cet accord.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Il est heureux que nous ayons eu ce débat. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons pu, avec plusieurs de nos collègues, vous faire part de nos inquiétudes, que vous avez eu l’occasion d’apaiser sans toutefois parvenir à les lever complètement.
J’ai manqué de temps lors de mon intervention en discussion générale, mais le sujet mérite que l’on s’y attarde. Sur l’initiative de Jacques Chirac, la France a inscrit son opposition à la peine capitale dans la loi fondamentale. Depuis plusieurs décennies, notre pays s’engage pour l’abolition de la peine de mort partout dans le monde. À ce sujet, je me permets de rappeler à notre assemblée que la France a adhéré au deuxième protocole facultatif se rapportant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
Ce protocole prévoit notamment la compétence du Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies pour examiner la situation de chaque État concernant le respect de ses obligations. La question de la non-inclusion d’un engagement de l’Inde à ne pas respecter l’interdiction de la peine de mort dans le présent accord signé par la France sera examinée par ce comité. Il y va du rayonnement et de la crédibilité internationale de notre pays.
S’agissant de l’Inde, le problème est encore plus grave. En droit indien, la présomption d’innocence en matière de détention de stupéfiants est écartée au profit d’une présomption de culpabilité. C’est au suspect de démontrer qu’il n’a pas commis l’infraction dont on l’accuse. Or la présomption d’innocence fait partie des principes directeurs de la procédure pénale à valeur constitutionnelle, aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et conventionnelle, avec l’article 6 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Est également inclus le droit à un procès équitable.
Rappelons-le, il n’est pas loisible aux États contractants de conclure avec d’autres États des accords dont les dispositions sont en conflit avec leurs obligations au titre de la Convention.
Monsieur le secrétaire d’État, considérant le faible intérêt stratégique de cet accord pour la France – même si je ne nie pas vos propos –, la grave entorse aux droits humains qu’il implique pour notre République et vos réponses embarrassées, nous maintiendrons notre choix de voter contre cet accord en l’état.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Mes chers collègues, je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
8
Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (texte de la commission n° 94, rapport n° 93).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de présenter aujourd’hui au vote de notre assemblée le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire qui s’est tenue le 29 octobre dernier.
Après des débats animés sur ce texte difficile, les députés et sénateurs membres de la commission mixte paritaire sont, à une très large majorité, parvenus à s’accorder sur un texte consensuel. Cet accord est clairement imputable au travail de compromis rapidement engagé avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Grégory Besson-Moreau, et ses équipes et, bien entendu, à la volonté du ministre de faire aboutir ce texte, « quoiqu’il en coûte » en matière médiatique, si vous me permettez l’expression. (Sourires.) Cet état d’esprit qui a permis la coconstruction d’un texte était nécessaire, car la situation était urgente.
Il en résulte un texte très clair.
D’une part, les néonicotinoïdes demeurent interdits en France ; leur interdiction a d’ailleurs été consolidée juridiquement par le projet de loi. Seule la filière betterave sucrière pourra bénéficier, par arrêté des ministres de la transition écologique et de l’agriculture, de dérogations pour l’usage de semences jusqu’au 1er juillet 2023, soit pour trois campagnes.
D’autre part, des garanties essentielles pour l’équilibre du projet de loi ont été annoncées lors de la navette parlementaire. Je pense au plan national de recherche et d’innovation pour accélérer la recherche d’alternatives aux néonicotinoïdes, au plan de prévention proposé par la filière et au conseil de surveillance.
La commission mixte paritaire a également consolidé le rôle du conseil de surveillance, modifiant en cela le texte adopté par le Sénat sur quelques points.
Il s’agit, d’abord, de changer légèrement la composition du conseil de surveillance pour le rendre plus efficace. Ne seront ainsi mentionnés dans la loi que les acteurs concernés par la problématique de la culture, et le ministre de la santé y sera associé. Le Gouvernement pourra, s’il le souhaite, ajouter d’autres acteurs.
Dans le même esprit, les parlementaires siégeant au sein de cette instance seront nommés non plus par les commissions compétentes, mais par les présidents des assemblées, afin de garantir la présence de membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de membres de l’opposition.
Ensuite, la procédure de rédaction de l’arrêté de dérogation a été simplifiée pour répondre aux impératifs d’urgence.
Par ailleurs, considérant que la rédaction retenue posait des difficultés opérationnelles, notamment au regard du droit européen, la commission mixte paritaire a proposé de supprimer l’article 3, ajouté par le Sénat, qui prévoyait une étude d’impact sur l’ensemble des alternatives avant la décision de toute interdiction.
Enfin, le Sénat a adopté un amendement ayant un lien avec l’interdiction des néonicotinoïdes réaffirmée dans ce texte. Le principe d’une interdiction d’un produit phytopharmaceutique en raison de ses dangers pour l’environnement ou pour la santé ne doit pas pénaliser uniquement les agriculteurs français. Nous avons donc adopté à l’unanimité un amendement essentiel rappelant explicitement au ministre de l’agriculture, si besoin en était, qu’il dispose du pouvoir, en cas de danger sanitaire ou environnemental et en l’absence de mesure européenne, de suspendre les importations de denrées alimentaires ne respectant pas les normes européennes, notamment en raison de l’usage de produits phytopharmaceutiques interdits.
C’est une avancée en matière de lutte contre les importations déloyales et un signal fort envoyé par la France à l’Union européenne, notamment à l’heure où la politique agricole commune est en cours de renégociation. L’article 44 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, est donc renforcé, consolidé. La commission mixte paritaire a souhaité conserver cet article ; j’en remercie l’ensemble des groupes du Sénat et nos collègues députés.
Telles sont les grandes lignes du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. Si elles sont adoptées aujourd’hui, le travail ne s’arrête pas là pour autant, monsieur le ministre. Sur le sujet spécifique de la betterave et du sucre, outre la publication des textes réglementaires qui devront respecter des délais imposés par l’urgence, les betteraviers et – j’y insiste – les industriels attendent l’annonce d’un plan d’indemnisation pour les dissuader de ne pas planter l’année prochaine.
D’autres filières sont dans l’impasse technique. Le Sénat vous a signifié à plusieurs reprises son inquiétude sur les autres filières orphelines, monsieur le ministre. Le texte de la commission mixte paritaire permet de faire du conseil de surveillance une instance de suivi de toutes les filières ayant utilisé dans le passé des néonicotinoïdes. Sur invitation de son président, cette instance pourra ainsi étudier les avancées de la recherche sur les autres filières, comme la filière de la noisette, sans pour autant leur octroyer de dérogations. Ainsi les plus petites filières, moins puissantes mais tout aussi importantes pour la diversité de l’agriculture et la régionalisation de celle-ci, pourront-elles être entendues et suivies.
Enfin, vous le savez, monsieur le ministre, nous avons longuement insisté sur une véritable stratégie de recherche pour toutes les filières qui sont dans une impasse technique. Nous attendons des actes très concrets.
Toutes ces questions restent ouvertes et elles nourriront sans doute les débats à venir. Pour aujourd’hui, il me semble que le texte issu de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi est équilibré. Il apporte une réponse pragmatique et adaptée à la crise connue par la filière betteravière, tout en posant la question directement liée de la stratégie plus globale suivie par la France, notamment à l’égard des produits importés.
C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Frédéric Marchand applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis de nouveau devant vous cet après-midi pour évoquer le sujet de la pérennisation et de l’accompagnement dans la transition de la filière betterave sucrière.
Nous l’avons tous indiqué dans cet hémicycle : nous faisons preuve d’un engagement résolu en faveur de la transition agroécologique et d’une agriculture moins dépendante de l’ensemble des intrants.
Toutefois, s’agissant de la filière de la betterave sucrière, nous sommes aujourd’hui face à une situation exceptionnelle, dont nous avons largement débattu. Nous devons apporter une réponse rapide afin de permettre à cette filière d’excellence, qui représente près de 46 000 emplois dans notre pays, de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Je le dis une nouvelle fois clairement, il ne s’agit en aucune manière d’opposer économie et écologie. Ce dont il est question ici, c’est de notre souveraineté. Souhaitons-nous faire la transition agroécologique avec une filière betterave sucrière française ou acceptons-nous la disparition de cette dernière ? Préférons-nous n’avoir demain que du sucre importé sur les étals de nos magasins ?
Oui, la filière de la betterave sucrière est aujourd’hui en danger, par la faute de ce puceron vert dont nous avons tant parlé. Depuis nos précédents débats, les premières récoltes ont d’ailleurs montré à quel point notre crainte était fondée, parfois même dans des proportions encore plus fortes que nous ne l’avions estimé, puisque des parcelles ont été très lourdement touchées.
Cette conviction est, je crois, partagée sur l’ensemble de ces travées : nous sommes tous ici favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes et à la transition agroécologique. Les premiers à le souhaiter sont d’ailleurs les agriculteurs eux-mêmes. Cependant, cette transition est confrontée à ce qu’il y a de plus difficile dans la nature, comme d’ailleurs dans la sphère politique, à savoir le temps.
Je pose clairement la question : comment s’assurer que la transition agroécologique pourra se faire avec une filière française ? En aucun cas, cette transition ne peut consister à tuer une filière d’excellence française pour importer du sucre de pays qui sont parfois en retard de dix ans sur nous en matière environnementale. Il ne peut en être ainsi ! Ce projet de loi n’est en aucun cas un texte de renoncement. Bien au contraire, il s’agit d’un texte volontaire pour engager la transition avec la filière française.
Pour être plus précis, ce projet de loi réintroduit, comme c’est déjà le cas pour de nombreux États membres, et jusqu’en 2023 au maximum, la possibilité de recourir au fameux article 53 du règlement européen et de solliciter des dérogations si la situation le nécessite.
Je ne reviens pas sur le contenu exact du projet de loi, que vous connaissez parfaitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais j’appelle votre attention sur le fait qu’il s’insère dans un plan global, qui comprend notamment 7 millions d’euros supplémentaires mobilisés au travers d’un programme de recherche publique et privée visant à accélérer l’identification d’alternatives véritablement efficaces et leur déploiement en conditions réelles.
Ce plan comprend également des engagements pris par la filière au travers d’un plan d’action et de prévention. Le suivi de ces engagements, que ce soit sur le volet de la recherche ou sur celui du plan de prévention prévu par la filière, sera l’une des missions dévolues au conseil de surveillance, qui comptera des parlementaires et qui devra veiller avec une grande exigence à la mise en œuvre du plan global.
Nous avons eu également de larges échanges en séance publique sur l’intégration des termes « betterave sucrière » dans le projet de loi, non seulement dans son intitulé, mais également dans le corps même du texte. Le choix de limiter les dérogations à la betterave sucrière peut en effet poser question au regard du principe d’égalité.
Je le répète : des arguments solides peuvent aujourd’hui être avancés pour expliquer la différence de traitement instituée au profit de la filière betterave sucrière. Cette filière est en effet dans une situation particulière par rapport aux autres cultures au regard de l’objet de ce texte.
D’abord, l’impact sur les pollinisateurs de l’utilisation de semences enrobées est plus limité pour la culture de la betterave sucrière que pour d’autres cultures si celles-ci disposaient des mêmes dérogations. Cela signifie non pas que cet impact n’existe pas, mais qu’il est – j’y insiste – plus limité.
Ensuite et surtout, l’impact économique de l’interdiction des substances que nous évoquons aujourd’hui, à savoir les néonicotinoïdes, est particulièrement grave pour la filière de la betterave à sucre, car cette dernière est dépendante de l’outil de production que sont les sucreries. Aujourd’hui, faute d’alternative raisonnable, les pertes de rendement, qui sont très importantes et qui conduisent nos agriculteurs à faire le choix de ne plus planter des betteraves, auront comme conséquence de réduire les volumes à disposition des sucreries. Il suffira d’une à deux saisons pour que celles-ci soient mises à l’arrêt ou qu’elles voient leur rendement tellement chuter qu’elles finiront par cesser leur activité. (M. Fabien Gay s’exclame.)
À partir du moment où les sucreries fermeront, c’est toute la filière qui s’arrêtera. Nous aurons ainsi mis à bas en l’espace de quelques mois ou de quelques années une filière d’excellence, laquelle ne pourra pas s’engager dans la transition agroécologique, faute d’exister ! Cette écologie nous conduirait à importer du sucre de l’étranger.
Le projet de loi a fait l’objet de nombreux échanges tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté la semaine dernière trois évolutions améliorant grandement le caractère opérationnel du futur texte. Je pense à l’élargissement du conseil de surveillance, à l’encadrement du délai dans lequel il doit rendre son avis et à l’avancée de l’entrée en vigueur de la loi au 15 décembre prochain.
La commission mixte paritaire, qui s’est tenue jeudi dernier, a battu tous les records en termes de durée pour parvenir in fine à un accord. Je remercie très sincèrement le rapporteur ainsi que les équipes qui l’entourent du travail accompli.
M. Laurent Duplomb. Excellent travail !
M. Julien Denormandie, ministre. C’est l’intelligence collective entre les deux chambres qui a permis de faire aboutir la commission mixte paritaire. Celle-ci a su concilier les positions des deux assemblées pour proposer des évolutions visant à clarifier encore davantage la mise en œuvre de la future loi.
Je souscris aux précisions apportées à la composition du conseil de surveillance : elles permettront notamment une nomination de ses membres explicitée et sécurisée. Je prends également acte de l’ajout d’un article rappelant la faculté pour le ministre de l’agriculture, mais aussi pour son collègue de la consommation, de prendre des mesures conservatoires afin de suspendre l’introduction, l’importation et la mise en marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles ou de fixer des conditions particulières avant de les autoriser. Je connais l’attachement de la Haute Assemblée à ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est soumis à votre vote cet après-midi est un texte difficile, mais extrêmement important. Il ne tend aucunement à opposer économie et écologie, il vise à la souveraineté agroalimentaire et agricole de notre pays. Vous m’avez souvent entendu l’affirmer : à mon sens, s’il est un seul objectif qui doit être ardemment défendu au sein du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, c’est celui de la souveraineté.
Notre pays perd en souveraineté agroalimentaire, alors même que la période que nous vivons montre à quel point celle-ci est impérieuse ! Toute notre action doit être tournée vers cet objectif, car il n’y a jamais eu dans l’histoire – et il n’y aura probablement jamais dans le futur – de pays fort et de civilisation forte sans une agriculture forte.
M. Daniel Gueret. Bravo !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour que notre pays soit fort, nous avons besoin d’une agriculture forte, permise par ces femmes et ces hommes qui, en cette période si particulière et à l’heure d’un nouveau confinement, continuent à travailler ardemment. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toute la chaîne alimentaire de notre pays a tenu pendant le premier confinement. Elle tiendra pendant ce nouveau confinement, grâce à celles et ceux qui se lèvent très tôt le matin et se couchent très tard le soir pour la faire vivre. Je me permets de vous associer, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’hommage que je tiens une nouvelle fois à leur rendre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grandeur de la démocratie réside dans le débat contradictoire. Sans surprise, nous allons une fois de plus réaffirmer notre opposition à ce texte. À l’issue des débats, nous restons plus que jamais convaincus que la solution aux difficultés économiques rencontrées par la filière de la betterave sucrière ne peut, en aucun cas, consister à réautoriser l’usage préventif de poisons, sur plus de 400 000 hectares.
Alors que la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été votée voilà déjà quatre ans, ni l’État ni les filières n’ont pris leurs responsabilités pour amorcer la transition nécessaire à son application.
Même dans une situation d’urgence, des alternatives restaient possibles. En effet, le Gouvernement aurait pu davantage étudier la piste des mécanismes de compensation ou de mutualisation, auxquels par exemple l’Italie a eu recours.
De même, la France aurait pu combattre avec force, à l’échelle européenne, le principe de dérogations pour autoriser l’utilisation de certains produits phytopharmaceutiques, puisque, je le rappelle, la Commission européenne a estimé que ces dérogations restaient problématiques.
Par ailleurs, nous regrettons que le débat ait été tronqué à la suite d’une erreur de vote, ce qui nous a empêchés de présenter nos amendements. Nous considérons notamment qu’il aurait été nécessaire de préserver a minima les zones Natura 2000 ainsi que les parcs et réserves naturels de l’usage de ces dérogations. Nous aurions souhaité que la Haute Assemblée puisse se prononcer sur la protection minimale et essentielle de ces zones par un vote.
Encore une fois, nous restons convaincus que, face à des difficultés économiques réelles, il était possible de faire autrement. Ce texte ne fait qu’étendre la trop longue liste des renoncements aux ambitions fortes que nous devrions nourrir pour être à la hauteur de l’urgence écologique qui menace.
En effet, nos débats interviennent deux ans après la promulgation de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, dont le bilan est tellement amer qu’hier, mardi 3 novembre, pour l’anniversaire de cette loi, trente syndicats et associations rendaient publique une analyse consacrant l’échec du texte à atteindre ses objectifs. Qu’il s’agisse du revenu des agriculteurs, de la relocalisation de l’alimentation, de la sortie des pesticides, nos réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Nos débats interviennent également alors qu’au fil des négociations la réforme de la politique agricole commune (PAC) s’annonce décevante : son chapitre environnemental reste d’autant plus flou que rien ne garantit, à ce stade, que la réforme soit compatible avec le pacte vert européen.
Enfin, l’examen du projet de loi de finances pour 2021 laisse envisager, encore une fois, un manque criant de moyens pour le développement de l’agriculture biologique et de l’agroécologie, en particulier dans le domaine de la recherche.
Face à l’urgence du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, le temps presse. Des solutions existent, qui devraient être étudiées.
Ainsi, dans son rapport de 2018, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a montré qu’une Europe entièrement agroécologique, qui serait affranchie des intrants de synthèse et qui reposerait sur la polyculture, l’élevage et le déploiement de prairies naturelles, pourrait nourrir durablement 530 millions d’Européens en 2050.
Par conséquent, le débat sur les néonicotinoïdes est étroitement lié au choix de notre modèle agricole. Certains défendent le modèle actuel d’industrialisation de l’agriculture, ce qui reste parfaitement légitime. D’autres, de plus en plus nombreux, n’y croient plus et prônent, contre les excès du modèle actuel, un modèle agroécologique basé sur l’agriculture paysanne, pourvoyeuse d’emplois et capable de redynamiser les territoires ruraux.
En guise de conclusion, je précise que la fin de mon intervention précédente, la semaine dernière, dans cet hémicycle, était inspirée de Georges Brassens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie, jeudi dernier, pour débattre du texte relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques, en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Nous nous félicitons qu’elle soit parvenue à un accord.
Les parlementaires ont su faire preuve de consensus face à l’importance des enjeux liés à la dérogation accordée à la filière betteravière sucrière. Ils ont également mesuré l’importance qu’il y avait à agir sans tarder non seulement pour sauver la filière, mais aussi pour sauvegarder notre souveraineté alimentaire nationale.
En effet, le choix que nous avons fait, dans cet hémicycle, le 27 octobre dernier, d’autoriser la possibilité de dérogations répond aux deux impératifs de la préservation de notre souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique.
Encore une fois, puisque la pédagogie est l’art de la répétition, il ne s’agit en aucun cas de réintroduire les néonicotinoïdes, dont 92 % des usages préalables resteront interdits.
Il ne s’agit pas non plus d’une porte ouverte vers davantage de dérogations, puisque le texte les circonscrit aux seules betteraves sucrières. Il précise, en outre, clairement que les dérogations d’utilisation de produits phytopharmaceutiques ne seront possibles que sur décision commune des ministères de l’agriculture et de la transition écologique. Le comité d’évaluation des avancées de la filière aura un rôle essentiel : la dérogation sera circonscrite à la seule betterave sucrière et limitée dans le temps, jusqu’en 2023. Seul l’enrobage des semences sera possible, à l’exclusion de toute pulvérisation. Les semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs seront temporairement interdits après l’emploi de ces semences.
Ces derniers jours, nous avons entendu des propos qui minimisaient l’impact de la jaunisse sur les cultures betteravières et traitaient avec légèreté la perte des exploitants. Pourtant, au moment où le pays se reconfine, la préservation de nos richesses et champions nationaux est d’autant plus essentielle.
Au 20 octobre dernier, par exemple, selon les chiffres issus des délégués interministériels de la filière betterave-sucre-alcool, certaines pertes pouvaient atteindre de 70 % à 80 % de la production. J’entends déjà s’élever les contestations sur ces chiffres. S’il est vrai que la situation n’est pas homogène dans l’ensemble du territoire, devons-nous pour autant envisager le problème du côté du moins grave ?
Afin de préserver nos producteurs de la concurrence des pays extérieurs à l’Union européenne et des normes qui y sont applicables, la commission mixte paritaire a conservé l’article proposé par Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques, habilitant le pouvoir exécutif à suspendre ou à fixer les conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché, en France, de denrées alimentaires ou de produits agricoles qui contiennent des substances interdites sur notre sol. Dans la droite ligne de l’article 44 de la loi Égalim, il interdit l’importation, la circulation et la vente des produits qui ne respectent pas les normes de production françaises.
En effet, nos concitoyens ont des exigences nouvelles au sujet des produits qu’ils consomment. Cependant, les agriculteurs utilisent les produits phytosanitaires, non par plaisir, mais pour protéger leur production, dont le coût doit leur permettre de faire face à la concurrence. Il n’est donc pas possible, à moins de renoncer à toute forme de concurrence libre et non faussée, de leur imposer de nouvelles normes sans interdire la commercialisation des produits qui ne respectent pas scrupuleusement ces normes.
Par conséquent, l’article 44 de la loi Égalim doit s’appliquer à l’échelon européen et doit devenir la règle incontournable de l’ensemble des négociations commerciales internationales, grâce aux contrôles très stricts qui seront mis en place.
Cette garantie est essentielle pour les agriculteurs : il faut harmoniser les normes de production à l’échelle européenne. Le récent accord que vous avez obtenu dans la négociation de la politique agricole commune, s’inscrit tout à fait dans cette exigence, monsieur le ministre.
C’est donc pour assurer la nécessaire préservation de notre souveraineté agricole et alimentaire et pour accompagner les agriculteurs dans la transition écologique, sans en rester au stade de l’incantation, que le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, dans sa majorité, votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai indiqué la semaine dernière, je regrette d’abord la méthode employée par le Gouvernement, car il est incompréhensible pour nos concitoyens que l’on revienne sur une loi. Cela n’arriverait pas si des études d’impact solides étaient menées.
M. Fabien Gay. C’est clair !
M. Henri Cabanel. Quel message adresse-t-on à nos concitoyens ? À l’heure où la défiance envers les gouvernants n’a jamais été aussi profonde, où l’Europe s’engage dans une PAC plus verte, où les débats sur le réchauffement climatique sont forts, où l’opinion publique souhaite que nous favorisions une agriculture plus vertueuse, ce texte ne peut apparaître que comme un mauvais signe, en complet décalage avec les attentes de la société.
Je regrette ensuite que le débat n’ait pas davantage porté sur l’enjeu fondamental que représente la place de la filière sucrière française dans un contexte mondial très concurrentiel.
Je regrette enfin que les acteurs de cette filière, qui savaient pourtant que la situation deviendrait de plus en plus difficile, n’aient pas montré, depuis 2016, leur volonté de changer de paradigme, pour développer une stratégie plus ambitieuse et différente de leurs concurrents. À terme, personne ne l’ignore, les betteraviers ne pourront pas tenir face à une compétitivité agressive et à une production de plus en plus intensive et à bas coût.
Si nous avions eu ce débat de fond, nous aurions pu coconstruire des propositions pour pérenniser la filière. Au contraire, le texte prévoit une dérogation qui ne servira qu’à poursuivre la stratégie actuelle. Alors que l’enjeu était de préserver nos usines sucrières et leurs emplois, nous risquons de voir la filière finir dans le mur, si nous poursuivons dans cette voie.
Monsieur le ministre, vous semblez craindre qu’en 2021 les agriculteurs ne sèment pas de betteraves et cassent la chaîne de la production. Or ils ne font que demander une garantie pour obtenir les rendements nécessaires à une certaine rentabilité. Pensez-vous vraiment que cette dérogation leur permettra d’être plus compétitifs à moyen et long termes ?
En France, les agriculteurs cèdent au choix de la facilité, qui consiste à traiter tous les hectares de manière préventive. De fait, face à une attaque sanitaire, il faut agir comme face à un incendie : on ne le maîtrise que si on l’attaque aux premières fumées ; si on le laisse prendre de l’ampleur, il se transforme en catastrophe écologique.
M. Jean-Claude Tissot. C’est sûr !
M. Henri Cabanel. L’Allemagne a, elle, dès le départ, privilégié la lutte ciblée par pulvérisation.
Je vous entends, monsieur le ministre, et je ne doute pas de votre volonté de faire au mieux, mais je crois que vous vous trompez. Vous vous laissez entraîner par des considérations économiques à court terme, au détriment d’enjeux écologiques et de santé publique de plus long terme. En outre, votre décision est inévitablement injuste pour les filières qui se trouvent dans la même impasse, même si leur importance économique est moindre, qu’il s’agisse des cerises ou des noisettes, attaquées par des parasites, ou bien encore des vignes ou d’autres filières qui n’ont pas véritablement d’alternatives.
La seule solution, c’est de produire autrement, de s’inscrire dans l’agroécologie, vous l’avez dit, monsieur le ministre, de viser un marché de qualité et de changer de mode de production. Pour autant, nous risquons d’être les grands perdants de l’économie mondiale, car nos modes de production intensive seront toujours moindres que d’autres qui vendront toujours à prix plus bas. Voilà pourquoi il faut prendre en compte ce critère si l’on veut aider la filière à passer le cap de la transition écologique et à construire un avenir pérenne.
Je reste convaincu que cette dérogation n’est pas la bonne solution, mais la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, de sorte qu’il faut désormais envisager l’avenir.
Monsieur le ministre, il est essentiel que la filière s’attache à élaborer un plan stratégique solide, pour qu’à la fin de cette autorisation ponctuelle les producteurs n’aient plus besoin d’avoir recours aux néonicotinoïdes, ni à aucune autre dérogation.
Nous sommes prêts à travailler à vos côtés afin de construire ensemble la stratégie de demain et de poursuivre une réflexion positive dans l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une majorité du Parlement vient de réautoriser, en commission mixte paritaire, l’usage des néonicotinoïdes dans la filière betteravière, pour une durée de trois ans. Nous nous y étions opposés en première lecture, aucun parmi vous ne s’étonnera donc que nous votions contre les conclusions de cette commission mixte paritaire.
Personne n’a remis en cause la toxicité des néonicotinoïdes. Pas même vous, monsieur le ministre ! Nous allons pourtant réautoriser, après l’avoir interdit, un produit toxique non seulement pour la santé, notamment celle des agriculteurs, mais aussi pour la biodiversité, en particulier pour les abeilles – je vous ai alerté sur ce sujet en première lecture : il vous faudrait rassurer les 54 000 apiculteurs que la mesure inquiète fortement –, et pour nos sols, en vérité, pour l’ensemble de la planète !
Pour la première fois, nous allons réautoriser un produit toxique. Tout d’abord, cela contrevient à la Charte de l’environnement et au principe de non-régression, que l’on peut considérer comme un « conquis » du droit environnemental.
Ensuite – et l’argument est sans doute très dur à entendre pour nous, pour vous et, à dire le vrai, pour l’ensemble du personnel politique –, cette mesure revient sur une parole publique et politique qui a été donnée dans un autre texte. Comment comprendre, en effet, que Mme Barbara Pompili, qui a été l’une des chevilles ouvrières de la loi de 2016, lorsqu’elle était députée, cautionne désormais, en tant que ministre, ce texte ? Monsieur le ministre, laissez-moi vous redire qu’elle aurait dû être à vos côtés, au banc des ministres, lors de la première lecture, pour assumer avec vous cette réautorisation. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Fabien Gay. Quelle transition écologique voulons-nous ? De ce point de vue, cette réautorisation est un échec. Trois ans suffiront-ils pour proposer aux agriculteurs une alternative viable, alors que rien n’a été fait depuis quatre ans ? Tout dépendra des moyens qui seront investis pour réussir la transition écologique. Or les 50 millions d’euros que le Gouvernement prévoit de consacrer aux haies – alternative sur laquelle je ne reviens pas, pour en avoir beaucoup parlé en première lecture – dans le prochain plan de relance risquent de ne pas être suffisants. Quelles garanties pour permettre la transition écologique ?
En outre, monsieur le ministre, cela pose un problème constitutionnel sur lequel vous n’êtes pas parvenu à lever le doute. Éliane Assassi a déposé en première lecture une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, s’appuyant notamment sur le principe d’équité. Que répondrez-vous aux acteurs des autres filières – noix, noisettes, lentilles…
M. Laurent Duplomb. Vertes du Puy !
M. Fabien Gay. … ou maïs – qui vous demanderont les mêmes autorisations ?
Pour conclure, monsieur le ministre, je regrette que le débat n’ait fait qu’effleurer ce qui constitue l’enjeu central pour la filière betterave, à savoir la libéralisation du marché. Certes, il n’y a là rien de votre fait, hormis que, depuis 2017, la fin des quotas sucriers a entraîné la suppression du prix plancher et que la baisse des prix s’est répercutée sur le revenu des agriculteurs.
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Fabien Gay. Voilà bien un échec de la libéralisation.
Le groupe CRCE continuera de proposer des solutions pour garantir un revenu décent aux agriculteurs tout en favorisant une agriculture qui respecte l’environnement et les êtres humains. Par conséquent, il votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord de sagesse sur un texte qui a pour enjeu la survie de la filière betterave. Doit-on conserver, en France, une production de sucre, alors que la concurrence mondiale est exacerbée et que des virus menacent les cultures ?
Le débat nous a permis d’aboutir à une solution de sagesse et d’introduire un certain nombre de précautions qui devraient satisfaire nos collègues, notamment M. Labbé. Nous avons ainsi veillé à ce que tous les acteurs soient représentés au sein du conseil de surveillance, élus ou membres de la profession, afin que cette instance puisse apporter des garanties efficaces quant à la durée de la dérogation et à son périmètre, strictement limité aux besoins d’une culture en péril.
La France ne peut pas se passer d’une agriculture suffisamment solide pour tenir son rang dans la concurrence internationale. Certains rêveraient d’une production complètement protégée, à l’abri du reste du monde. Or la France fait partie de l’Union européenne, qui a signé des accords commerciaux avec des pays tiers, de sorte que son agriculture est forcément soumise à la concurrence.
La difficulté dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui vient de ce que la suppression des néonicotinoïdes a été introduite par voie d’amendement dans un texte précédent, sans véritable étude d’impact pour justifier la mesure et pour envisager les possibilités de produits ou de méthodes de substitution.
Par conséquent, à défaut d’avoir pu trouver des moyens alternatifs, nous n’avons pas réussi à maintenir la suppression des néonicotinoïdes. Il s’agit là d’un échec, mais la législation ne peut pas ne pas tenir compte des réalités techniques.
En revanche, ce texte est un succès en ce qu’il conforte l’article 44 de la loi Égalim et interdit l’importation de produits alimentaires utilisant des composants interdits en Europe. Le scandale de la graine de sésame importée en Europe avec une teneur en pesticide mille fois supérieure à ce que les normes sanitaires européennes admettent est à ce titre un exemple flagrant.
Il n’est pas tolérable que des produits puissent ainsi entrer en France et en Europe, au mépris des normes et des interdictions. De telles méthodes signeraient la mort de l’agriculture française. Les exemples ne manquent pas : on importe ainsi 40 % du poulet qui est consommé en France, alors même que les conditions dans lesquelles il est produit ne correspondent pas aux normes sanitaires qui prévalent dans notre pays. (M. le ministre acquiesce.)
Par-delà les interdictions, ne pas fixer de règles du jeu à même de protéger l’agriculture française reviendrait à condamner cette dernière.
Il faut aller de l’avant ! Toute l’agriculture est concernée, qu’elle soit conventionnelle, de conservation, voire biologique, car même les agriculteurs bio sont parfois contraints d’utiliser des insecticides. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
Bien sûr que si ! En France, la réglementation de l’agriculture bio autorise deux insecticides et l’un d’entre eux détruit tout, même s’il n’a pas de rémanence.
M. Jean-Claude Tissot. Non !
M. Pierre Louault. Relisez vos classiques !
Les agriculteurs bio utilisent le cuivre et le soufre, notamment pour les fruits et la vigne.
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Pierre Louault. Ils consomment du plastique en quantité industrielle : plus aucun maraîcher bio ne peut se passer des serres en plastique ou des filets de protection contre les insectes.
Plutôt que de nous opposer sur des doctrines dépassées, il est temps de travailler ensemble, en bonne intelligence, pour développer une agriculture qui préservera l’environnement et confortera la qualité des produits. À défaut, la France n’aura plus d’agriculture.
Dans mon territoire, nous avons déployé un site Natura 2000, sur 20 000 hectares, grâce à l’action conjointe de tous les acteurs qui se sont réunis autour d’une table, que ce soit la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les écologistes ou les agriculteurs. Cette zone est aujourd’hui une réussite exemplaire pour la protection des oiseaux, qui n’aurait pas vu le jour sans cette réflexion commune sur la préservation de l’environnement, la place de l’agriculture et les besoins des Français.
Nous ne ferons pas avancer le schmilblick en racontant des choses fausses ! (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.) Il est urgent de développer la recherche pour que des gens compétents accompagnent davantage les agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur Louault, le fait que nous ne soyons pas d’accord ne signifie pas forcément que je dis des choses fausses !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord. Même si le Parlement doit faire face à une actualité chargée, entre l’urgence sanitaire et les exigences du calendrier budgétaire, ce texte ne doit pas pour autant être traité avec légèreté. Avant de l’adopter, nous devons mesurer l’étendue de la brèche qu’il ouvre dans notre législation.
De très nombreux acteurs agricoles et économiques ont, malgré leurs réticences, appliqué l’interdiction des néonicotinoïdes. Ils se sont saisis des quatre années de transition pour revoir leurs pratiques et rechercher des alternatives. Quel message leur envoyons-nous : qu’en s’abstenant de tels efforts, ils auraient pu obtenir de pouvoir déroger à la loi ?
Plus largement, un tel retour en arrière est un précédent redoutable pour toutes nos prochaines législations environnementales.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement ne tourne pas seulement le dos au long processus qui a conduit à la loi de 2016 sur la biodiversité, il enterre aussi un principe fort, inscrit depuis 2005 dans notre loi fondamentale, au sein de la Charte de l’environnement : « Les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. »
Je ne reviens pas sur les éléments scientifiques qui montrent à quel point les néonicotinoïdes compromettent la biodiversité. Depuis leur introduction dans notre pays, 300 000 ruches sont anéanties chaque année, 85 % des populations d’insectes et un tiers des oiseaux des champs ont disparu.
Certes, on ne saurait nier les « besoins du présent » auxquels ce texte prétend répondre. Il convient d’aider, sans délai, une filière qui craint une baisse de 15 % de son volume de production en 2020, en raison de la crise de la jaunisse de la betterave. Pour autant, la réponse à ce besoin immédiat ne peut évidemment pas être l’utilisation de produits qui n’auront d’effet que sur la prochaine récolte.
Comme pour d’autres filières confrontées à des catastrophes, la création d’un fonds de solidarité destiné à compenser les pertes serait bien plus adaptée. Nous le chiffrons à environ 100 millions d’euros.
Il faudra également soutenir cette filière à moyen et long termes, car elle connaît de lourdes difficultés depuis quatre ans, qui sont les conséquences de la suppression des quotas sucriers et du prix minimum garanti.
Les premières fermetures d’usine et suppressions d’emploi ont eu lieu alors que les néonicotinoïdes étaient encore utilisés par les betteraviers. Comment croire alors que leur réintroduction sera une réponse à des difficultés d’ordre structurel ?
Selon nous, une réponse à la hauteur des enjeux consisterait plutôt à accompagner la filière vers une montée en gamme de la production sucrière, une véritable structuration et la mise en œuvre de pratiques agriculturales adaptées pour faire face aux ravageurs.
Ainsi, même au prix d’une régression environnementale qui fera précédent, ce projet de loi ne répond ni aux besoins immédiats ni aux besoins profonds de la filière betterave-sucre.
La Constitution prévoit que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Or ce texte ne fait que consacrer l’environnement comme une simple variable d’ajustement de problématiques économiques.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à une exception, votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis élu du département de l’Aisne, premier département producteur de betteraves sucrières en France. Pour aggraver mon cas, je précise que mon père est agriculteur… et betteravier ! (Sourires.)
Je peux donc témoigner de ce qu’il s’est passé cette année, en comparaison avec les années précédentes. Il y a deux ans, le tracteur sortait une seule fois pour semer ; cette année, il est sorti quatre fois, une fois pour semer et trois fois pour traiter avec des pesticides et des insecticides. Je ne suis donc pas du tout convaincu que la biodiversité ait été mieux préservée qu’auparavant. En revanche, je suis certain que le bilan carbone est pire que les années précédentes !
La profession agricole a conscience de la nocivité des résidus : elle connaît bien cette difficulté. Néanmoins, il n’y a pas d’autre solution sur la table aujourd’hui et la réalité, c’est celle que je viens de vous décrire.
Il faut également prendre en compte la dimension économique. Imaginons que l’on continue sans les néonicotinoïdes : comme on n’a pas d’autre solution, la production, loin de seulement baisser, s’effondrera dans certains territoires ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Par conséquent, les agriculteurs, les sucreries et la filière économique en général ne seront plus en mesure de produire pour que les Français consomment et, comme ceux-ci n’arrêteront pas de consommer du sucre, nous importerons, très tranquillement, la production de nos pays voisins et de nos concurrents, qui utiliseront les néonicotinoïdes. Cela n’a pas de sens !
Nous trouvons donc cette décision responsable. C’est une solution transitoire et équilibrée.
M. Frédéric Marchand. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. Je souhaite maintenant dire un mot sur la recherche, monsieur le ministre. Il est important de mettre, à l’échelle tant nationale qu’européenne, la pression sur les industriels et les semenciers et sur leurs services de recherche, afin qu’ils n’aient pas en tête que nous allons aller de dérogation en dérogation : qu’ils sachent qu’un jour viendra où tout cela s’arrêtera. Il faut leur demander de travailler, de s’investir sur le sujet, c’est extrêmement important.
L’article 4 du projet de loi permet de fixer les conditions permettant de suspendre l’importation et la commercialisation de produits lorsque les critères sanitaires appliqués en Europe et en France ne sont pas respectés. La réalité juridique est beaucoup plus compliquée, je le sais. Néanmoins, on a mis un pied dans la porte et il ne faut pas la laisser se refermer, parce que cette mesure est pleine de bon sens. C’est un sujet majeur, certains l’ont indiqué, pour que l’agriculture réussisse dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (M. Jean-Raymond Hugonet applaudit.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire, comme il a voté le projet de loi la semaine dernière.
Je commence mon intervention par « bien entendu », parce que cette expression contient « entendu », qui est, selon moi, le mot le plus important de ce projet de loi. En effet, pendant trop d’années, l’agriculture n’a pas été entendue, en proie à des oppositions que les agriculteurs ne pouvaient pas comprendre.
Vous l’avez souligné, monsieur le ministre : comment expliquer à un agriculteur qui, quatre-vingts heures par semaine, travaille dur que tout ce qu’il fait depuis des années ne correspond finalement pas à ce que l’on voudrait qu’il fasse ? Le forcer à faire ce qui lui semble contraire au bon sens, lui qui sait pertinemment qu’en s’engageant dans cette voie il disparaîtra, suscite chez lui de l’incompréhension, un sentiment d’injustice et l’impression de subir des mauvais traitements, qui vont au-delà de tout ce que l’on peut dire sur le bien-être animal ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Laurent Duplomb. Je le ressens tous les jours ! Et vous ne pouvez pas dire le contraire, monsieur Tissot ! L’agribashing n’a pas de corps, parce qu’il n’a rien d’opposable, rien. J’en veux pour preuve cette problématique des néonicotinoïdes : elle est partie d’un amendement qui s’est glissé dans une loi, on a poussé une idée, mais, au bout du compte, on est obligé de revenir dessus.
Du reste, ne l’oublions pas : nous revenons dessus non pas parce que nous avons envie d’utiliser des néonicotinoïdes, mais parce que nous constatons la réalité sur le terrain, tout simplement. Je vous remercie d’ailleurs de vous être déplacé, monsieur le ministre, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques, pour pouvoir montrer à ceux qui ne le vivent pas, qui ne sont pas dans ce métier, qui n’ont pas l’habitude d’être chaque jour dans les champs, combien cela est insupportable.
Nous sommes des entrepreneurs. Notre profession fait ce que peu d’autres professions font. Chaque année, nous semons sans jamais être sûrs de récolter, à cause de phénomènes indépendants de notre volonté – le climat ou d’autres événements qui s’imposent à nous.
Comment dire à un agriculteur, qui connaît les produits à utiliser et qui, depuis des années, fait tout pour en diminuer l’usage afin de répondre aux attentes sociétales parfois légitimes, qu’il ne pourra plus les utiliser et qu’il devra les regarder sans y toucher, tout en voyant ses voisins, dans les autres pays, y recourir et le concurrencer sur ses marchés ? Qui accepterait cela ? Quelle profession ? Personne ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Jean-Claude Tissot. C’est un raccourci !
M. Laurent Duplomb. Et la seule solution de rechange qu’on lui propose pour remplacer certains produits – je ne citerai pas de nom pour ne pas relancer le débat –, c’est de revenir à la pioche… C’est insupportable !
M. Jean-Claude Tissot. Il ne s’agit pas de cela !
M. Laurent Duplomb. Si vous voulez rentrer dans le débat, prenons l’exemple du glyphosate. Pour certaines cultures, on le sait – ce n’est pas moi qui le dis, c’est un rapport de l’Assemblée nationale rédigé par des députés issus de plusieurs bords politiques –, quand on veut traiter certaines adventices sans glyphosate, on est dans l’impasse totale ; la seule option qui reste, c’est le retour à la pioche ! (M. François Bonhomme s’exclame.)
Monsieur Tissot, vous le savez, pour le chardon, par exemple, la réalité, c’est le binage à la main ! (M. Jean-Claude Tissot s’exclame.)
Pourquoi n’arrivons-nous pas, dans cet hémicycle, nous qui sommes pourtant des gens de bon sens, nous qui ne sommes pas des diplômés de grandes écoles parisiennes n’ayant pas vécu la réalité du terrain, à poser sereinement le débat, comme Pierre Louault l’a dit, non pas en laissant les idéologies s’affronter, mais en considérant les choses de façon pragmatique ?
M. Jean-Claude Tissot. Parce que nous ne sommes pas d’accord !
M. Laurent Duplomb. La question n’est pas d’être d’accord ou non ! La réalité s’impose à tout le monde ! Qui peut prétendre que la filière betteravière peut subsister si l’on continue dans la même logique ? (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Non, elle ne subsistera pas, le ministre et tous ceux qui connaissent cette filière l’ont indiqué : si nous poursuivons dans la logique imposée depuis deux ans, la filière betteravière française disparaîtra ! (Mêmes mouvements.)
M. François Bonhomme. Et la noisette ?
M. Laurent Duplomb. C’est la réalité ! On peut s’enfermer dans les incantations tant qu’on veut, mais c’est la réalité !
Par conséquent, ne pourrait-on pas se dire que, à partir de ce projet de loi, on revient à un débat posé, raisonné et raisonnable ? Ne peut-on enfin avoir une vision plus juste des agriculteurs, plus proche de la réalité ? Voilà ce que je défends sans cesse… Qu’on arrête les procès d’intention ! Un agriculteur n’utilise pas ces produits pour le plaisir : à la fin du mois, il gagne à peine sa vie ! (M. Joël Labbé s’exclame.)
J’entendais Henri Cabanel nous dire que la France n’était plus compétitive, mais c’est totalement faux ! (M. Henri Cabanel s’exclame.) Sinon vous n’exporteriez pas votre vin, mon cher collègue, et l’on n’exporterait pas de lait ! Si l’on peut exporter du lait, c’est grâce à notre compétitivité par rapport aux pays moins capables de produire, grâce à notre savoir-faire.
À force de critiquer notre propre agriculture, quelle image envoie-t-on à l’étranger, à tous les pays qui rêveraient d’avoir notre agriculture, à tous les consommateurs qui rêveraient de manger les mêmes produits que nous ? C’est que nous sommes des enfants tellement gâtés que nous estimons que ce que nous mangeons, ce que notre agriculture produit, est plus dégueulasse que dans n’importe quel autre pays du monde ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Ce n’est pas admissible !
Qui taperait sur son porte-monnaie, qui taperait sur sa fierté, qui taperait sur une profession qui ne compte pas ses heures, comme nous sommes en train de le faire ? Voilà l’enjeu de ce projet de loi, au-delà des néonicotinoïdes et de la betterave !
D’ailleurs, c’est pareil pour toutes les cultures : l’arboriculture, la pomme ou la cerise !
M. François Bonhomme. Les noisettes !
M. Laurent Duplomb. On ne mange plus aujourd’hui de cerises françaises : il n’y en a plus ! On a supprimé tous les moyens de lutte, on n’a plus rien pour combattre les araignées et autres nuisibles qui s’attaquent aux cerisiers. Celui qui veut manger des cerises mange des cerises turques, qui sont bourrées de tout ce que l’on a interdit chez nous…
M. François Bonhomme. Exactement ! Et c’est pareil pour les noisettes turques !
M. Laurent Duplomb. Si nous étions intelligents et si nous cessions ce débat, que ferions-nous ? Nous instaurerions ce principe : il faut utiliser les produits de la façon la plus raisonnée possible. C’est d’ailleurs ce que l’on fait déjà sur une partie de nos produits. Mon beau-père versait sur son maïs quatre litres d’atrazine à l’hectare.
M. Jean-Claude Tissot. On n’en met plus !
M. Laurent Duplomb. On n’en met plus, en effet. C’est bien qu’on a su évoluer !
Donner du temps aux agriculteurs, faire en sorte qu’ils soient entendus et un peu plus respectés, c’est aussi leur donner les moyens d’évoluer.
M. Jean-Claude Tissot. Cela fait quatre ans que c’est interdit !
M. Laurent Duplomb. Oui, mais il faut tenir compte de la nature et de notre travail. Si quatre ans ne suffisent pas, faut-il maintenir dogmatiquement cette durée ? Sachons évoluer, c’est le principe d’une dérogation.
M. Jean-Claude Tissot. Pourquoi serait-on meilleur dans trois ans ?
M. Laurent Duplomb. Ce ne sera pas forcément meilleur (Ah ! sur les travées des groupes GEST et SER), mais peut-être que, dans trois ans, vous aurez évolué et que l’on pourra trouver des solutions (Exclamations sur les mêmes travées) permettant d’utiliser certains produits dans des quantités infimes.
Ce qui nous oppose, c’est que beaucoup d’entre vous voudraient la suppression totale et l’interdiction de ces produits. Nous ne voulons pas en mettre des quantités importantes, nous voulons laisser la possibilité de les utiliser quand il y en a besoin, dans des situations définies le plus précisément possible, de façon la plus fine possible et dans des quantités les plus faibles possible.
M. Jean-Claude Tissot. Nous sommes en désaccord ! (MM. Guillaume Gontard et Joël Labbé applaudissent.)
M. Laurent Duplomb. Voilà comment nous devons évoluer et c’est dans cette direction que nous devons aller, avec les nouvelles technologies et l’intelligence embarquée.
Au-delà des dispositions qu’il contient, ce projet de loi montre que l’on a enfin entendu le cri d’alarme de tout le secteur agricole. On ne peut plus taper, comme nous l’avons fait pendant des années, sur des gens qui ont continué de faire vivre la France – vous l’avez dit, monsieur le ministre – pendant le premier confinement et qui le font encore pendant le deuxième, sur des gens qui sont sans cesse dans le labeur. Non seulement ils sont fiers de leur métier, mais ils en sont passionnés. À force de les critiquer sans arrêt, nous trouverons plus difficilement encore que ça ne l’est aujourd’hui les générations nécessaires pour les remplacer.
Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier une fois encore : ce texte permet de revenir sur des débats fondamentaux, que nous devons avoir dans la plus grande objectivité. Rien n’est pire qu’un politique qui cède à la tentation du populisme.
Si l’on veut élever le débat, nous devons au contraire relever le niveau de tous ceux qui ne connaissent pas la question mais qui sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser dans les villes, leur fournir des explications et des éléments d’éclairage, afin d’arrêter de prendre des décisions à l’emporte-pièce. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Angèle Préville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « c’est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas », écrivait Victor Hugo.
Ce projet de loi est une défaite magistrale ; c’est une défaite sanitaire et environnementale. Ainsi, nous n’honorerons pas la promesse faite en 2016 de commencer à réparer le monde, à changer les pratiques agricoles en abandonnant les insecticides systémiques et en explorant d’autres voies, l’agroécologie par exemple, celles qui parient sur la diversité du vivant, en laissant opérer les petits artisans minuscules que la nature nous offre dans les écosystèmes, où tout est en interaction et en interdépendance et dont nous n’avons pas fini de découvrir la complexité et la richesse.
M. François Bonhomme. C’est un sermon ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Angèle Préville. C’est avec regret, monsieur le ministre, que je repense à votre souhait de voir se concrétiser une « écologie de l’action et du réel ». Une « écologie de l’action et du réel » ne consiste pas à revenir sur des avancées réelles, indispensables, en matière de droit de l’environnement. Une « écologie de l’action et du réel », c’est un changement ambitieux des pratiques, qui ne s’affranchit pas des recommandations sanitaires et qui sait écouter : écouter la nature, écouter les véritables besoins des agriculteurs, mais aussi écouter la communauté scientifique, qui est, sur ce point, unanime.
Le danger des semences enrobées de néonicotinoïdes est établi, avéré. Une étude récente de chercheurs du CNRS montre que l’imidaclopride est un produit toxique qui se diffuse largement hors des parcelles traitées. C’est un constat grave. Ces néonicotinoïdes se retrouvent à des taux très élevés, notamment dans les vers de terre, pourtant artisans essentiels de nos écosystèmes. On imagine facilement les effets délétères non seulement pour ces organismes, mais encore pour leurs prédateurs occasionnels que sont les oiseaux.
Vous vous apprêtez ainsi à acter la contamination généralisée des sols, censés être exempts de substances de synthèse. Sous les assauts répétés et corrosifs des néonicotinoïdes, les sols ne sont tout simplement plus vivants. Autoriser de nouveau ces produits revient à acter une baisse inévitable de la biodiversité.
Nous nous interrogeons aussi sur la portée politique de vos actes. Nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés par la santé, la leur comme celle de l’environnement puisqu’elles sont liées. Quant aux scientifiques, ils s’inquiètent du peu de cas que nous, les politiques, faisons de ce qu’ils nous disent, notamment sur les impacts que peuvent avoir nos décisions sur la santé humaine.
Si nous n’avons pas le monopole de l’écologie, vous n’avez pas le don de la clairvoyance. Voter ce texte, c’est participer au déclin écologique et à une certaine forme de résignation économique. Vous faites le choix d’une solution court-termiste et de facilité. Nous n’entérinerons pas la réintroduction d’un poison dans le sol, pour la simple et bonne raison qu’il est une menace pour la chaîne du vivant.
Je finirai en citant Jean-Marie Pelt et Gilles-Éric Séralini qui disent, à propos de l’édifice compliqué du vivant : « nous sommes en train d’[…] ôter les briques les unes après les autres en ignorant les conséquences de ce démontage à l’aveuglette, qui brise un à un les liens unissant la chaîne des êtres vivants. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Article 1er
I. – L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le II est ainsi rédigé :
« II. – L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.
« Jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l’utilisation est interdite en application du droit de l’Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.
« Dans des conditions définies par les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du présent II, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs sont temporairement interdits après l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II. » ;
2° Après le même II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Il est créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. Ce conseil comprend quatre députés, dont au moins un député membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et un député membre d’un groupe d’opposition, et quatre sénateurs, dont au moins un sénateur membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et un sénateur membre d’un groupe d’opposition, nommés respectivement par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, notamment, des représentants des ministères chargés de l’environnement, de la santé et de l’agriculture, du Conseil économique, social et environnemental, d’associations de protection de l’environnement, des organisations syndicales à vocation générale d’exploitants agricoles, de l’interprofession apicole, de l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation, de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, des établissements publics de recherche et, sur désignation du président du conseil, en fonction de l’ordre du jour, des représentants de la production et de la transformation et de l’Institut technique de la filière concernée et, le cas échéant, le délégué interministériel pour la filière. Les membres de ce conseil exercent leurs fonctions à titre gratuit. Sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par décret.
« Le conseil mentionné au premier alinéa du présent II bis se réunit trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées et de l’efficacité des tests en matière de recherche et de mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, ainsi que la conformité de ces avancées au plan de recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes de la filière concernée par un arrêté de dérogation mentionné au deuxième alinéa du II. Dans le cadre de la procédure de dérogation prévue au même deuxième alinéa, il émet un avis sur les dérogations, dans le respect d’un délai déterminé par décret, et assure le suivi et l’évaluation de leurs conséquences, notamment sur l’environnement, et de leur incidence économique sur la situation de la filière. Le conseil émet un avis et suit l’état d’avancement du plan de prévention proposé par la filière concernée, en veillant à ce que soient prévues les modalités de déploiement des solutions alternatives existantes en conditions réelles d’exploitation.
« Ce conseil publie un rapport annuel, remis chaque année avant le 15 octobre au Gouvernement et au Parlement. »
II. – Le 1° du I entre en vigueur à une date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, et au plus tard le 15 décembre 2020.
Article 2
La section 6 du chapitre III du titre V du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 253-8-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 253-8-3. – Les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du II de l’article L. 253-8 ne peuvent autoriser que l’emploi de semences de betteraves sucrières. »
Article 3
(Supprimé)
Article 4
L’article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les ministres chargés de l’agriculture et de la consommation peuvent, dans le respect des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l’introduction, l’importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles mentionnés au premier alinéa du présent article. »
Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Je ne reviens pas sur les risques constitutionnels de ce texte. Je m’attarderai en revanche sur la régression environnementale que cela représente et qui aura des conséquences lourdes et attestées pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la récolte de miel de cette année avait été bonne. Reste qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. La récolte a été bonne, mais à quel prix ? Les abeilles meurent, on doit sans cesse trouver de nouvelles reines – je suis apiculteur amateur, je sais de quoi je parle – et, peu à peu, elles disparaissent.
Décidément, la défense de la biodiversité et la santé des agriculteurs et des consommateurs ne font pas le poids face à quelques tonnes de betteraves à l’hectare. C’est une reculade lourde de sens et de conséquences… Mes chers collègues, nous vous aurons alertés. La boîte à dérogations est ouverte.
Demain, grâce à l’agriculture hyperconnectée, vous enverrez vos drones polliniser les cerisiers, monsieur le ministre. Il s’agit d’une nouvelle illustration de vos choix politiques : vous êtes parfaitement conscient de la nocivité du produit, mais vous le réintroduisez malgré tout. Pourquoi ? Pour conforter la filière française dans une course sans fin à la compétitivité ? Pour privilégier le rendement maximal et le court terme ? Votre responsabilité devrait consister à vous attaquer aux racines du problème avant d’en gérer les conséquences.
Deux ans après l’adoption de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, et les états généraux de l’alimentation, je note que les principales ambitions de votre mandat pour la transition sociale et écologique du système agroalimentaire sont à la dérive, monsieur le ministre. Là où nous attendions des amorces de transition, nous constatons, au mieux, des statu quo, au pire, de nouveaux reculs, comme aujourd’hui avec les néonicotinoïdes.
Vous affirmez qu’il n’y a pas d’alternative. Bien sûr que si ! Des solutions existent, monsieur le ministre, mais c’est l’ensemble du paradigme qu’il faut changer. Votre monde est, au mieux, un monde désenchanté, au pire, un monde sans le vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je ne suis pas là pour faire des procès ni distribuer des satisfecit définitifs. Je rappellerai simplement à M. le ministre et aux collègues qui l’ignoreraient que la filière de la noisette est une filière d’avenir, notamment du point de vue nutritionnel.
Nos collègues Verts mettent en cause le sucre. Tout le monde connaît bien le débat sanitaire qui existe sur ce sujet, mais là n’est pas la question. Il s’agit d’une filière de 45 000 salariés qui était fragilisée. On ne se plaçait donc pas sur ce plan.
Une question se pose pour ce qui concerne la noisette. Nous importons chaque année près de 25 000 tonnes de noisettes, notamment des noisettes turques et des noisettes italiennes, lesquelles bénéficient d’une homologation européenne relative à l’usage de l’acétamipride, interdit pour les producteurs français depuis le 1er juillet dernier.
M. Laurent Duplomb. Bien sûr !
M. François Bonhomme. Nous allons donc nous réveiller, dans quelques mois, au mois de février prochain ou un peu plus tard, avec une fragilisation de cette filière équivalente à celle qui a touché la filière betteravière.
Par conséquent, si l’on n’introduit pas un peu de cohérence, 3 500 producteurs seront frappés de plein fouet. Je prends donc date avec ceux qui ont des certitudes absolues en matière de biodiversité. J’espère que l’on n’en arrivera pas là ; en tout cas, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Au terme de ce débat, je souhaite remercier l’ensemble des collègues, très nombreux, qui sont mobilisés sur ce texte, lequel a – Laurent Duplomb l’a excellemment souligné – une portée évidemment bien supérieure aux seuls articles sur lesquels nous allons maintenant nous prononcer. Je salue cette mobilisation et l’expression de ces convictions, même si nous ne sommes pas toujours d’accord. Cela fait partie du débat démocratique et c’est bien dans ce cadre qu’il faut rester.
Je remercie également les services du Sénat de leur implication et nos collègues de l’Assemblée nationale, avec lesquels nous avons bien travaillé.
Monsieur le ministre, je tiens à saluer votre écoute, comme celle de votre cabinet, qui a été constante dans la coconstruction de ce texte. Si tout en allait tout le temps ainsi entre le Parlement et le Gouvernement, avec cette écoute mutuelle, ce serait un bonheur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. En guise de conclusion, au moment où le débat sur ce texte se termine, je tiens à m’associer aux remerciements de Mme la rapporteure.
Nous avons eu des débats de qualité sur des sujets compliqués. Ils ont permis de confronter des visions : c’est le propre d’une démocratie, nous n’étions pas tous d’accord sur tout, mais je crois que nous avons réussi à le faire en gardant un respect mutuel et en débattant sur le fond, ce qui correspond bien à l’image de la Haute Assemblée.
De tout cela, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je profite également de ce moment pour m’adresser à tous les agriculteurs de France. Au moment où la République est parfois mise en cause, où les défis de notre société sont énormes, les agriculteurs font partie du ciment de la République : ils constituent le lien permettant à l’ensemble des Français et à la République de tenir, en dépit de toutes les difficultés.
Songez-y, il n’y a pas un agriculteur – pas un ! – qui s’est posé la question, au début de ce nouveau confinement, de savoir s’il devait ou non, le lendemain, retourner aux champs, travailler et récolter. Toutes ces femmes, tous ces hommes forment le ciment de la République ; il ne faut surtout pas l’oublier, il faut leur rendre hommage.
Ensuite, et je fais miens les propos qui ont été tenus : les agriculteurs ont un métier ô combien compliqué, ils travaillent ardemment et ce sont des entrepreneurs du vivant, qui nourrissent le peuple français. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Pierre Cuypers. Très bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Or être un entrepreneur du vivant, c’est ce qu’il y a de plus difficile.
En effet, le sénateur Duplomb l’a rappelé, en tant qu’entrepreneur, on prend beaucoup de risques, mais on les accepte et on essaie de les minimiser. Il y a des risques auxquels on est inévitablement confronté – le temps qu’il fait – et des risques que l’on tâche de minimiser – le travail du sol, car le sol est un trésor, un actif. En même temps, un entrepreneur du vivant a, face à lui, le vivant. Or le vivant, c’est la temporalité, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus compliqué.
Ces entrepreneurs du vivant, qui ont la plus belle des missions, celle de nourrir le peuple français, ont chevillé au corps le fait d’être pétris de convictions sans jamais être pétris de certitudes. Être pétri de convictions, c’est désirer cette transition agroécologique et vouloir avancer ; ne jamais être pétri de certitudes, c’est considérer que l’on peut parfois être confronté à des impasses, que le temps dont on dispose n’est pas celui de l’émotion et des réseaux sociaux. La certitude empêche de se remettre en question, quand la conviction fait avancer, au travers de questionnements permanents.
Que ces entrepreneurs du vivant, pétris de convictions et qui nourrissent le peuple français, soient honorés cet après-midi devant la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 130 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Inclusion dans l’emploi par l’activité économique
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » (texte de la commission n° 90, rapport n° 89).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 28 octobre dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un texte commun sur la proposition de loi relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Cet accord, qui est le fruit d’échanges nourris avec notre collègue députée Marie-Christine Verdier-Jouclas, auteure et rapporteure du texte pour l’Assemblée nationale, et avec le Gouvernement, devrait nous conduire à adopter, une dernière fois en ce qui nous concerne, cette proposition de loi.
Malgré l’effet de loupe médiatique qui a fait porter l’essentiel des débats sur son titre II, relatif à la prolongation et à l’extension de l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée », le titre Ier, qui vise à appliquer certaines mesures du pacte d’ambition pour l’insertion pour l’activité économique, et le titre III, qui contient diverses mesures d’ordre social, ne sont pas moins importants à mes yeux.
Les apports du Sénat tendant à préciser le cadre de l’expérimentation de l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée » et à renforcer les exigences liées à son évaluation ont été conservés.
Le Sénat s’était opposé à ce que la participation des départements au financement de l’expérimentation soit obligatoire et fixée par décret. Ce point s’est révélé la divergence la plus difficile à surmonter, l’Assemblée nationale souhaitant laisser au Gouvernement la possibilité d’imposer par décret le montant de la participation exigée des départements.
De notre côté, il ne nous avait pas paru acceptable que les départements puissent être tenus de participer financièrement, à hauteur d’un montant encore inconnu, à une expérimentation créée par l’État et résultant de la volonté de territoires. Le compromis auquel nous sommes parvenus consiste à accepter que la participation financière des départements soit déterminée par décret, mais à faire de l’accord du président du conseil départemental un prérequis pour qu’un territoire soit candidat à l’expérimentation.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Sur proposition de l’Assemblée nationale, nous avons plafonné le montant maximal que le décret pourra imposer. Ce plafond est particulièrement élevé, puisqu’il s’établit au niveau du revenu de solidarité active (RSA) pour chaque personne embauchée, qu’elle ait précédemment été allocataire du RSA ou non. Il n’apparaît donc pas à mes yeux comme une garantie et il reviendra à chaque département d’apprécier si la participation à cette expérimentation est cohérente avec sa politique en matière d’insertion.
Par ailleurs, le texte de la commission mixte paritaire permet au Gouvernement de déroger par décret au nombre maximal de territoires pouvant être habilités.
J’ai eu l’occasion de dire que le nombre de soixante territoires était bien plus élevé que le nombre maximal de territoires devant être envisagés par la proposition de loi que préconisait le comité scientifique. Je rappelle que, pour celui-ci, l’entrée dans le dispositif de trente nouveaux territoires constituait un maximum.
J’espère que, si le nombre de soixante territoires expérimentateurs est un jour atteint, les demandes de dérogation qui pourront être adressées au Gouvernement seront examinées avec rigueur s’agissant du respect du principe de non-concurrence entre les entreprises à but d’emploi (EBE) et les entreprises locales, notamment celles de l’économie sociale et solidaire, et que le travail d’évaluation continuera à se poursuivre avec attention et objectivité.
J’en viens au volet relatif à l’insertion par l’activité économique (IAE). Le Sénat, tout en approuvant globalement les mesures pragmatiques proposées par le texte, a apporté des améliorations visant à répondre aux interrogations des acteurs de terrain. Le texte de la commission mixte paritaire reprend l’ensemble de ces apports.
Ainsi, le texte prévoit la possibilité, rétablie par le Sénat, de déroger, à titre exceptionnel, pour les salariés seniors rencontrant des difficultés particulières, à la durée maximale de vingt-quatre mois de renouvellement des CDD au-delà de l’âge de 57 ans, en complément de la faculté de conclure un « CDI inclusion senior », dans les entreprises d’insertion, les ateliers et chantiers d’insertion et les associations intermédiaires. Sur ce point de divergence, nos discussions avec l’Assemblée nationale nous ont permis de rapprocher nos points de vue.
Les précisions apportées à la procédure du « Pass IAE », à l’article 1er, figurent à l’identique dans le texte de la commission mixte paritaire, comme l’équilibre trouvé par le Sénat à l’article 2 ter concernant la possibilité pour le préfet d’accorder des dérogations au plafond de 480 heures de mise à disposition applicable aux associations intermédiaires. À l’article 3 bis, le texte reprend les garde-fous apportés par le Sénat au cadre de l’expérimentation du « contrat passerelle », qui n’était pas accueillie favorablement par les réseaux de l’IAE. Nous avons introduit une condition d’ancienneté de quatre mois dans un parcours d’IAE pour les bénéficiaires, limité la durée de la mise à disposition à trois mois renouvelables et prévu de dispenser de période d’essai le salarié en cas d’embauche par l’entreprise utilisatrice, ce qui semble avoir rassuré les acteurs.
En complément de ce « contrat passerelle » et dans le même objectif de créer des ponts entre la structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) et l’entreprise de droit commun, la commission des affaires sociales avait introduit, à l’article 3 ter A, un dispositif de « temps cumulé » visant à permettre une transition progressive entre un contrat d’insertion et un CDI ou un CDD à temps partiel. Ce dispositif a également été retenu par la commission mixte paritaire.
L’ensemble de ces mesures doit être envisagé en lien avec l’effort financier important consenti en faveur de l’IAE dans le cadre du plan de relance et de la « stratégie pauvreté » et devrait contribuer à soutenir les initiatives de terrain et à ouvrir le champ des possibles dans ce secteur. Nous saluons ces avancées, notamment sur le plan budgétaire.
J’en viens au titre III et à l’article 7, relatif à l’articulation avec les allégements généraux de cotisations sociales du « bonus-malus » de contributions d’assurance chômage portant sur les contrats courts. Je rappelle que la commission des affaires sociales avait supprimé cet article afin de réaffirmer son opposition au bonus-malus et de tenir compte de la concertation en cours sur la réforme de l’assurance chômage.
Ce dispositif étant déjà inscrit dans le droit et étant prêt pour une entrée en vigueur au début de l’année 2021, il a cependant paru préférable de rétablir l’ajustement proposé, faute de quoi l’application du bonus-malus serait préjudiciable aux entreprises, notamment les plus vertueuses. Cet article prévoit également d’exonérer les contrats d’insertion du bonus-malus, ce qui semble raisonnable.
Il est entendu que cela ne vaut pas approbation du principe du bonus-malus et je demeure convaincue, sur le fond, que ce n’est pas la solution appropriée pour lutter contre les abus du recours aux contrats courts.
À l’article 9 quater, l’expérimentation d’un contrat de professionnalisation « sur mesure », créée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, sera bien prolongée de deux ans, comme l’a proposé le Sénat, pour permettre son appropriation par les SIAE.
Enfin, à l’article 9 quinquies, le Sénat avait introduit, sur l’initiative du Gouvernement, une expérience visant, en complément des initiatives existant déjà dans certaines branches, à encourager le dialogue social au sein des SIAE et à permettre une meilleure représentation des salariés en parcours d’insertion. La commission mixte paritaire a retenu une nouvelle rédaction de cet article, qui tend à prévoir, au lieu d’une instance de dialogue social ad hoc, la création d’une commission « insertion » au sein du comité social et économique (CSE), ce qui répond davantage aux attentes des partenaires sociaux. Ce dispositif aura l’avantage d’être moins lourd pour l’employeur, tout en remplissant les mêmes objectifs.
Enfin, je souligne qu’il appartient désormais au Gouvernement de mettre en œuvre rapidement les mesures que nous adoptons aujourd’hui.
Permettez-moi, madame la ministre, de terminer par un petit clin d’œil : en première lecture, j’avais débuté mon intervention, en demandant où en était la rédaction du décret d’application de la loi permettant d’offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de covid-19, que le Gouvernement nous avait demandé d’adopter en urgence l’été dernier.
M. Michel Savin. Eh oui !
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Force est de constater que cette loi n’a pas été mise en œuvre dans les délais utiles et que nous avons travaillé en vain.
Je suis persuadée qu’il n’en sera pas de même sur ce texte ! Dans cette attente, mes chers collègues, je vous invite aujourd’hui, au nom de la commission mixte paritaire, à adopter cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargée de l’insertion. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi d’exprimer à la représentation nationale la solidarité du Gouvernement dans cette nouvelle phase de confinement.
Comme l’a dit le Premier ministre, nous devons redoubler d’attention pour les publics les plus fragiles et les plus éloignés de l’emploi. Pour eux, la solidarité nationale doit continuer à se déployer pleinement. Je pense tout d’abord aux jeunes, mais aussi aux demandeurs d’emploi de longue durée et aux personnes fragiles.
Dans ce nouveau contexte, les deux dispositifs renforcés par cette proposition de loi trouvent plus que jamais leur utilité.
Tout au long du processus parlementaire, un travail constructif a été mené par les députés et les sénateurs de tous les groupes : chacun a pu apporter sa pierre à l’édifice d’ensemble.
Je salue le travail remarquable de Mme le rapporteur de cette proposition de loi au Sénat, Frédérique Puissat, qui a permis un enrichissement très net du texte.
Je sais, madame le rapporteur, combien cette journée est, pour vous, importante à plus d’un titre, et je profite de l’occasion pour vous souhaiter un très bel anniversaire. (Sourires.)
Je note que le texte de la commission mixte paritaire reprend l’ensemble des apports du Sénat.
À son tour, la commission mixte paritaire a travaillé à l’équilibre définitif du texte, pour aboutir à une version qui respecte à la fois le « pacte d’ambition pour l’IAE » et l’esprit des fondateurs de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Les deux chambres ont su aboutir à un texte pragmatique, nécessaire, utile, émanant des acteurs de terrain. Je remercie donc la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 28 octobre dernier d’être parvenue à cet accord.
Nous avons abouti à un texte adapté aux circonstances. Aujourd’hui, son adoption finale est dans l’intérêt de tous et de tous les territoires.
Ce texte est, en effet, un bel objet en faveur de l’emploi pour tous et de l’égalité des chances. Vous le savez, il renforce deux très beaux outils, qui appliquent des méthodes complémentaires pour insérer dans l’emploi les personnes qui en sont les plus éloignées.
Le titre Ier est consacré au renforcement du secteur de l’insertion par l’activité économique. Les structures d’insertion par l’activité économique vont ainsi voir leurs règles de recrutement simplifiées, grâce à la suppression de l’agrément préalable délivré par Pôle emploi, ce qui leur permettra d’embaucher plus rapidement.
Le titre II a pour objet de prolonger et d’étendre l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Cette expérimentation se déploiera désormais dans soixante territoires, cinquante nouveaux venant s’ajouter aux dix premiers, qui sont reconduits.
Je salue le travail et la persévérance de Laurent Grandguillaume, président de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée, de Michel de Virville et Patrick Valentin, qui en sont les vice-présidents, ainsi que le travail de Louis Gallois, président du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.
Le titre III est quant à lui un titre de coordination et de mise à jour.
Pour chacun des trois titres de cette proposition de loi, la commission mixte paritaire a su apporter des avancées majeures.
Au titre Ier, consacré à l’insertion par l’activité économique, le texte issu de la commission mixte paritaire maintient le « CDI inclusion » destiné aux seniors, lequel apporte une sécurisation du travail de ces personnes jusqu’à leur retraite. Tout salarié d’une structure d’insertion par l’activité économique âgé de plus de 57 ans au moment du renouvellement de son parcours pourra se voir proposer un CDI, si sa situation ne lui permet pas de retrouver un emploi dans le secteur de droit commun.
Conformément à la volonté du Sénat, ce nouveau contrat coexistera avec les contrats à durée déterminée insertion, qu’il est possible de renouveler par dérogation à partir de 50 ans.
Au titre Ier encore, députés et sénateurs ont également su s’accorder pour doser l’encadrement de l’expérimentation du « contrat passerelle ». L’objectif est de permettre une transition progressive entre un contrat d’insertion et un CDI ou un CDD à temps partiel.
Sur ce sujet, nous saluons le travail d’écoute de Mme le rapporteur, qui a su aménager le « contrat passerelle » et introduire un dispositif complémentaire de « temps cumulé », afin de laisser aux acteurs le libre choix des outils.
Concernant le titre II et l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », la commission mixte paritaire a permis plusieurs apports décisifs.
Premièrement, la commission mixte paritaire a rétabli le caractère obligatoire du financement des départements, en revenant au texte de l’Assemblée nationale, mais en ajoutant deux points : la fixation par décret du niveau de cette participation et le plafonnement de celle-ci.
Nous entendons, bien sûr, les inquiétudes sur le niveau de dépenses que devront supporter les départements, raison pour laquelle nous travaillerons avec l’Assemblée des départements de France à la meilleure rédaction possible du décret.
Deuxièmement, la commission mixte paritaire précise que l’accord du président du conseil départemental est requis pour qu’un territoire se porte candidat à l’expérimentation.
Nous saluons l’accord et l’équilibre trouvés. Ils ont d’ailleurs été salués par l’association Territoires zéro chômeur de longue durée elle-même.
Cette solution préserve à la fois l’esprit même du texte et la compétence des départements en tant que chefs de file de la politique d’insertion dans les territoires. D’une part, nul ne pourra imposer aux départements de participer financièrement à une expérimentation qui serait incohérente avec la politique qu’ils définissent librement en matière d’insertion. D’autre part, conformément à leur compétence en matière d’insertion, il est cohérent que les départements participent au financement des expérimentations qui ont lieu sur leur territoire.
Respect de la compétence des départements et engagement de tous les acteurs de l’insertion dans les projets territoriaux : c’est tout l’équilibre qui a été trouvé en commission mixte paritaire, et que je salue.
Troisièmement, une augmentation dérogatoire du nombre de territoires, au-delà des soixante territoires prévus pour la prolongation et l’extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », est désormais possible par décret en Conseil d’État.
Conjointement avec le Gouvernement, la commission mixte paritaire est finalement parvenue à trouver une solution juridiquement satisfaisante, en permettant d’élargir le nombre de territoires au-delà de soixante si cela était nécessaire, comme Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, Élisabeth Borne, s’y était fermement engagée à l’Assemblée nationale.
Au titre III a été introduite une avancée majeure pour l’insertion par l’activité économique, à travers la mise en place d’un dialogue social pour les salariés en insertion, sous la forme d’une expérimentation de trois ans.
Les structures d’insertion par l’activité économique pourront mettre en place, au sein du CSE, une commission « insertion », qui débattra des conditions de travail des salariés en insertion et de la qualité des parcours proposés par les structures.
Les salariés en insertion pourront, enfin, prendre part à un véritable dialogue social, avec tous les intérêts que comporte un engagement syndical en termes de reconnaissance et d’émancipation pour la suite de leur parcours professionnel.
Je salue ici l’engagement de Mme le rapporteur Frédérique Puissat, qui a soutenu cette expérimentation lors des discussions en séance publique au Sénat, puis en a amélioré le contenu lors de la commission mixte paritaire.
Ce texte prouve la volonté du Gouvernement d’agir en faveur de l’emploi pour tous. Il s’inscrit dans une ambition plus large, visant à développer des solutions d’insertion dans l’emploi pour les personnes plus fragiles.
Dans le cadre de « France Relance » est prévue la priorisation de 35 000 places dans l’insertion par l’activité économique au bénéfice des jeunes.
En outre, conformément aux annonces récentes du Premier ministre sur les mesures de prévention et de lutte contre la bascule dans la pauvreté, en date du 24 octobre dernier, est également prévue l’ouverture de 30 000 places supplémentaires dans l’IAE.
Cette volonté politique sans précédent en faveur de l’insertion par l’activité économique est parfaitement complémentaire de cette proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez l’opportunité de voter des outils concrets et adaptés aux circonstances de la crise que traverse la France. Nous nous attacherons à prendre les textes d’application nécessaires.
Au nom du Gouvernement, je renouvelle nos remerciements à l’ensemble des parlementaires et à Mme le rapporteur pour leur travail d’enrichissement du texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, afin d’œuvrer à ce que la relance de notre économie soit la plus inclusive possible, je vous demande une adoption définitive de cette proposition de loi la plus large possible.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’inclusion n’est « pas l’affaire des exclus : elle est l’affaire de tous, pour redonner à ceux qui sont devenus des “invisibles” une place à part entière dans la société. » Je reprends ces mots du président du Conseil de l’inclusion dans l’emploi pour introduire mon propos, car j’ai le sentiment qu’ils reflètent parfaitement l’esprit de cette proposition de loi et de l’accord que nous avons trouvé en commission mixte paritaire.
Alors que 4,2 millions de personnes se trouvent éloignées de l’emploi, dont 2,7 millions depuis plus d’un an, la proposition de loi vient apporter une réponse concrète, ambitieuse et innovante dans la lutte contre le chômage de longue durée, véritable fléau de notre société. Elle s’inscrit dans la logique du plan de relance et dans la volonté du Président de la République d’intégrer 140 000 personnes supplémentaires dans les parcours d’insertion et les entreprises adaptées. Elle vient aussi compléter le dispositif de 300 millions d’euros en faveur des structures d’insertion que vous avez annoncé, madame la ministre.
L’insertion par l’activité économique constitue, en effet, une riposte efficace, qui concilie à la fois l’économie, le social et le territorial.
Nous saluons le compromis trouvé, qui préserve l’esprit même du texte en réintégrant notamment l’obligation de financement des départements concernés par l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » et l’absence du préfet dans son copilotage, démontrant ainsi la confiance que nous souhaitons donner aux territoires et aux acteurs locaux.
La lutte contre le chômage de longue durée nécessite de faire preuve de créativité et d’innovation, en s’appuyant sur les territoires et en associant l’ensemble des acteurs : je pense aux entreprises, aux associations et aux collectivités territoriales.
Grâce à ce compromis, nous concrétisons des avancées notables pour lutter contre l’isolement des personnes privées d’emploi en instaurant le « CDI inclusion senior » à destination des personnes de plus de 57 ans.
Au moment où le marché de l’emploi est durement frappé par la crise sanitaire, il est nécessaire de renforcer les dispositifs existants pour favoriser le retour à l’emploi des personnes qui en sont le plus éloignées. Je pense, bien sûr, aux chômeurs de longue durée, mais aussi aux bénéficiaires des minima sociaux, aux personnes en situation de handicap et aux parents isolés.
Les dispositions de cette proposition de loi, telles que l’extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » à cinquante nouveaux territoires, le développement des structures d’insertion par l’activité économique, grâce à la suppression de l’agrément préalable délivré par Pôle emploi, et l’expérimentation du « contrat passerelle », constituent des réponses fortes dans la lutte contre le chômage de longue durée.
Par ailleurs, en permettant à de nouveaux territoires qui souhaitent bénéficier de l’expérimentation d’être habilités par décret, la clause de revoyure constitue, à nos yeux, une avancée notable.
Le groupe RDPI sera attentif aux conclusions du rapport demandé en commission mixte paritaire sur le financement des comités locaux. Ces derniers constituent, en effet, la pierre angulaire du projet sur le territoire et requièrent, à cet égard, des moyens nécessaires à la bonne conduite de leurs missions.
Enfin, nous nous réjouissons de voir aboutir cette proposition de loi et saluons le travail des rapporteurs en vue de la recherche d’un compromis ambitieux.
Nous formons le vœu que cette expérimentation puisse être généralisée sur le long terme, afin de permettre une meilleure insertion à ceux qui demeurent éloignés de l’emploi, grâce au travail des associations, des collectivités et de tous les acteurs de terrain mobilisés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous connaissons depuis le printemps dernier s’accompagne d’une crise économique et sociale chaque jour plus prégnante.
Selon les associations caritatives, cette crise a fait basculer dans la pauvreté 1 million de Français, qui rejoignent ainsi les 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire augmente dramatiquement : au mois de septembre dernier, ils étaient 8 millions, contre seulement – si j’ose dire – 5,5 millions en 2019.
Dans ce contexte, s’il est un sujet qui doit faire consensus, c’est bien la lutte contre le chômage ! Notre groupe est convaincu que ce texte apportera les outils nécessaires pour aider les personnes les plus éloignées du monde du travail à retrouver un emploi.
C’est pourquoi nous nous félicitons de ce que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord et nous saluons le compromis ainsi trouvé.
Nous approuvons notamment le maintien du dispositif de « temps cumulé », qui facilitera la transition de l’insertion par l’activité économique vers le secteur marchand. Nous accueillons également très favorablement la mise en place d’une expérimentation visant à encourager le dialogue social au sein des structures d’insertion par l’activité économique.
Nous nous félicitons surtout de ce que la commission mixte paritaire ait ouvert la voie à une augmentation dérogatoire par décret du nombre de territoires concernés par l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous étions très nombreux, dans cet hémicycle, à le réclamer. Nous pensons, en effet, qu’aucun territoire remplissant les conditions pour en bénéficier ne doit être laissé sur le bord du chemin.
Certes, plusieurs études ont pointé du doigt le coût de ce dispositif, mais, comme je l’ai rappelé en première lecture, celui-ci ne doit pas seulement se résumer à son aspect financier.
En permettant à des personnes particulièrement éloignées du monde du travail de retrouver un emploi, cette expérimentation leur permet aussi et surtout de retrouver leur dignité, de reprendre confiance en elles. N’oublions pas que ces personnes sont très souvent « cassées » par des années de chômage, des carrières brisées, des fractures de vie.
En adoptant cette proposition de loi, nous réunissons les conditions nécessaires à la réussite de cette expérimentation, qui repose sur l’implication de chacun et les compétences de tous.
Cette seconde phase va pouvoir s’appuyer sur les dix territoires déjà engagés, qui ont eu un véritable rôle de laboratoires, mettant en lumière les améliorations à apporter : locaux adaptés aux besoins, nécessité de mettre l’accent sur la formation ou encore renforcement des conditions d’habilitation des territoires pour ne laisser partir que les territoires prêts qui se sont donné les moyens de réussir. Les territoires qui postulent pour la seconde phase de l’expérimentation auront été préparés grâce à l’expérience qu’ils auront tirée de la première phase.
Cette proposition de loi intervient dans une période où nous avons plus que jamais besoin d’ouvrir la porte à des méthodes novatrices.
Certains qualifient toujours d’utopique l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée ». Je leur rappelle simplement ces quelques mots du président radical Édouard Herriot, « Une utopie est une réalité en puissance », et j’en profite pour saluer mon collègue lyonnais Bernard Fialaire. (Sourires.)
C’est dans cet esprit que le groupe du RDSE apportera naturellement son soutien au texte élaboré par la commission mixte paritaire. (M. Bernard Fialaire applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier ma collègue Laurence Cohen de m’avoir remplacée au pied levé lors de la première lecture de cette proposition de loi, alors que les symptômes de la covid-19 m’ont bloquée pendant plusieurs semaines chez moi. Ce texte me tient à cœur et je suis heureuse de pouvoir prendre part à nos débats aujourd’hui.
Dans mon territoire, particulièrement touché par la désindustrialisation, les acteurs de l’activité économique sont demandeurs de ce type d’expérimentation pour essayer d’agir sur les freins du retour à l’emploi. Je pense ainsi au projet récent d’expérimentation mené sur la commune de Frévent, dans le Pas-de-Calais.
À ce titre, je me félicite de ce que la commission mixte paritaire ait abouti à un accord pour étendre à cinquante nouveaux bassins le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », lancé en 2017 dans dix territoires.
Cependant, ces propositions consensuelles ne doivent pas masquer les nombreux reculs qui ont conduit le groupe CRCE à s’abstenir en première lecture. Je pense notamment aux mesures d’insertion par l’activité économique dénaturées par le Gouvernement et par la droite sénatoriale.
Le Gouvernement a ajouté le renforcement du contrôle des chômeurs par les agents de Pôle emploi avec l’instrument des carnets de bord. Il a également transféré la responsabilité de la formation professionnelle aux salariés eux-mêmes, en leur demandant d’utiliser leurs crédits du compte personnel de formation avant toute demande de prise en charge financière par les régions ou Pôle emploi.
La droite sénatoriale a obtenu le maintien de la possibilité de déroger, à titre exceptionnel, à la durée maximale de vingt-quatre mois pour le renouvellement des CDD des salariés seniors. Votre « contrat passerelle » est un cache-misère des politiques qui ont supprimé les départs en retraite anticipée et des décotes imposées aux départs sans carrière complète.
En réalité, vous allez affaiblir les plus fragiles, et particulièrement les femmes seniors, comme si nous ne connaissions pas une grave crise économique avec la covid-19 et comme si les 800 000 personnes supplémentaires au chômage n’allaient pas renforcer les rangs des 2 millions de femmes et d’hommes déjà éloignés de l’emploi avant la crise sanitaire !
Ces 2 millions de personnes éloignées de l’emploi, ce sont des chômeuses et des chômeurs de longue durée, mais également des gens en situation de handicap, des bénéficiaires des minimas sociaux ou encore des parents isolés. Nous ne sommes pas dupes : l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ne résoudra pas la crise sociale rencontrée dans nos territoires.
Ces initiatives locales servent à redonner de l’espérance à celles et ceux qui ont le sentiment que les services publics ont abandonné, mais ne peuvent remplacer une politique publique de l’emploi à l’échelon national qui garantisse à chacun de pouvoir évoluer dans sa vie professionnelle selon ses aspirations, sans perte de revenu et sans jamais passer par la case « chômage ».
La sécurité d’emploi et de formation permettrait de changer radicalement de logique. Dans le cadre d’un nouveau service public de l’emploi et de la formation, chaque personne ayant terminé sa scolarité pourrait alterner périodes de travail salarié et périodes de formation rémunérées, à la faveur d’une réduction générale du temps de travail permise par les gains de productivité qu’apportent les nouvelles technologies.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous réitérons notre soutien aux projets d’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous refusons les nouveaux reculs et nous maintenons notre abstention sur ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE – M. Patrice Joly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par les temps qui courent, nous avons peu d’opportunités de nous réjouir, profitons donc de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui. Dans la période que nous traversons, chaque avancée, chaque victoire, est appréciée encore plus intensément.
J’ai eu la chance de participer à la commission mixte paritaire qui a permis d’aboutir à ce texte commun. Dans la continuité de l’esprit de dialogue entre le terrain et la représentation nationale qui émane de cette proposition de loi, je me félicite que le Parlement se soit entendu sur une version partagée. Je tiens à saluer tout particulièrement Frédérique Puissat, notre rapporteur, pour son travail actif, mené de concert avec son homologue de l’Assemblée nationale.
C’est un grand pas dans la lutte contre l’éloignement de l’emploi. L’extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ouvre ainsi la possibilité de réaliser un travail sur mesure, au plus près du terrain, tout en posant des jalons nécessaires dans la refondation de la politique de l’emploi.
Parmi les modifications notables apportées par la commission mixte paritaire figure la possibilité d’augmenter de manière dérogatoire, par décret, le nombre de territoires concernés par l’expérimentation. Dans l’attente du rapport final du comité scientifique, il s’agit de la solution la plus opportune et sans doute la plus sécurisante. La jauge de soixante territoires en expérimentation était vue comme injuste vis-à-vis des cent vingt candidats déjà déclarés. L’augmentation dérogatoire permettra de continuer de répondre aux besoins identifiés localement et partagés collectivement.
Le texte prévoit que le montant de la participation financière des départements au financement des emplois créés dans le cadre de l’expérimentation puisse être fixé par un décret et fait de l’accord du président du conseil départemental une condition requise pour qu’un territoire se porte candidat. C’est un compromis qui peut nous satisfaire – je m’en contenterai donc (Sourires) –, le département conservant ainsi sa liberté d’apprécier si l’expérimentation est cohérente ou non avec sa politique d’insertion.
Je veux rappeler que la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active (RSA) et réformant les politiques d’insertion affirmait déjà le rôle de chef de file du conseil départemental en matière de politiques d’insertion. À ce titre, il peut signer – ce qu’il fait la plupart du temps – avec des partenaires institutionnels un pacte territorial d’insertion pour définir, animer et coordonner les politiques d’insertion du département. C’est un véritable outil d’insertion coconstruit avec une pluralité d’acteurs autour d’un projet commun qui a fait ses preuves. Selon moi, ce pacte territorial d’insertion peut inclure une démarche « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Ainsi n’était-il pas opportun d’apporter par la loi des obligations supplémentaires aux collectivités territoriales. En tant que représentants des territoires, c’est à nous de leur faire confiance. Aussi, je me réjouis que le Parlement ait su respecter cet équilibre.
En ce qui concerne le détail des articles, il me semble que le Sénat, par la voix de son rapporteur, a apporté des améliorations visant à répondre aux interrogations des acteurs de terrain.
Au sein du titre Ier, les mesures du Sénat visant à assouplir les dispositifs d’insertion par l’activité économique pour les salariés âgés de plus de 57 ans ou à permettre de cumuler contrat de travail de droit commun et contrat d’insertion ont été conservées.
À l’article 3 bis, le cadre de l’expérimentation du « contrat passerelle » a notamment été précisé pour répondre aux nombreuses oppositions émanant des réseaux de l’IAE. En complément de ce contrat, la Haute Assemblée a introduit un dispositif de « temps cumulé » afin de permettre une transition progressive entre contrat d’insertion et CDI ou CDD à temps partiel. Ce dispositif facilitera le rapprochement entre l’IAE et le secteur marchand.
Enfin, le Sénat a introduit, à l’article 9 quinquies, une expérimentation visant à encourager le dialogue social au sein des structures de l’IAE et à permettre la représentation des salariés en parcours d’insertion. Ainsi est créée une commission « insertion » au sein du comité social et économique (CSE), plutôt qu’une instance de dialogue social ad hoc.
Opposé au bonus-malus, le Sénat a supprimé l’article 7 relatif à l’articulation avec les allégements généraux de cotisations sociales du bonus-malus de contributions d’assurance chômage portant sur des contrats courts. Pour aboutir à ce texte de compromis, la commission mixte paritaire a réintroduit l’article. L’ajustement proposé vise à ne pas pénaliser les entreprises, notamment les plus vertueuses.
Pour conclure, face aux conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire, cette proposition de loi est une bouffée d’espoir. En mettant en œuvre certaines mesures du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique et le deuxième volet de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », elle participe à améliorer notre politique de l’emploi, notamment vers les personnes les plus fragiles.
Aussi, le groupe Union Centriste votera favorablement les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis du débat très intéressant que nous avons eu au sein de cet hémicycle et en commission mixte paritaire à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur le renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Ce débat a en effet permis de mettre en lumière des dispositifs encore relativement méconnus, qui permettent à certains de nos concitoyens, marginalisés et éloignés du marché du travail depuis très longtemps, de ne pas sombrer complètement.
L’adoption de ce texte nous paraît opportune et nécessaire. Nous nous sommes abstenus en première lecture, car nous étions en désaccord avec certaines des propositions de Mme la rapporteure. Cependant, des avancées notables sont intervenues dans le cadre de la commission mixte paritaire et les verrous qui nous avaient conduits à nous abstenir ont sauté sous l’effort des négociations menées entre le Gouvernement et Mme la rapporteure, dont je salue le travail.
Ces avancées concernent notamment la confiance renouvelée aux acteurs de l’insertion par l’activité économique au sein du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », la mise en place d’une clause de revoyure et l’instauration d’un financement par les départements sous certaines conditions, une fois acquise pour le territoire la possibilité de se lancer dans l’expérimentation. Nous avons donc décidé de voter ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.
En ce qui concerne l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », les points de blocage les plus importants ont pu être levés. Ainsi, pour ce qui est du nombre de territoires participant à cette expérimentation, la clause de revoyure permettra de ne pas laisser au bord du chemin les territoires investis dans la démarche d’intégration au sein de l’expérimentation.
Nous sommes également satisfaits que la question du concours financier des départements – encore une fois, sous certaines conditions – ait été tranchée positivement.
Nous avons cependant quelques regrets, notamment l’absence de financement des comités locaux pour l’emploi par le fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée. La question des moyens alloués à ces comités locaux pour l’emploi était pourtant essentielle : ils sont la véritable pierre angulaire de la dynamique territoriale que génère le projet. Il aurait fallu prévoir les moyens nécessaires à la bonne conduite de leurs missions et permettre au fonds d’expérimentation de financer une partie, et seulement une partie, de leurs charges de personnel. Nous pensons qu’il faudra combler cette lacune.
Nous avons un autre regret : l’évaluation du dispositif ne va pas peut-être pas jusqu’au bout de la démarche. Si nous saluons la prise en compte des externalités positives du projet, nous regrettons que le comité scientifique ait tendance à se focaliser sur la question des seuls coûts et qu’il ne les compare pas à ceux qu’entraîne le chômage de longue durée.
Ces réserves ne nous empêchent pas de saluer l’adoption à venir de ce texte dont les enjeux sont plus que jamais d’actualité. Avec les difficultés qui se profilent pour des millions de Français dans le sillage de la crise sanitaire, nous avons plus que jamais besoin que se déploient les solutions innovantes de l’économie sociale et solidaire, ainsi que les initiatives comme « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Toutefois, madame la ministre, nous craignons que le Gouvernement n’avance d’un pas aujourd’hui pour reculer de deux demain.
L’année dernière, dans cette même enceinte, emmené par Joël Bigot, notre groupe a bataillé, avec d’autres, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, pour la création d’un fonds spécifique pour le réemploi solidaire. Il s’agissait de répondre à une demande forte du secteur associatif et de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce fonds a été créé dans un élan unanime au Sénat, preuve s’il en est qu’il répondait à une nécessité.
Les objectifs du texte que nous examinions alors rejoignent indiscutablement ceux de la présente proposition de loi. De la création de ce fonds au texte d’aujourd’hui, il y a une forte cohérence. Nous comprenons assez peu que le Gouvernement mette en péril l’efficacité de ce fonds en projetant de ne plus réserver l’intégralité de ses financements à l’économie sociale et solidaire, mais d’en sanctuariser 50 % pour la sphère marchande, hors ESS. L’effort qui devait se concentrer sur cette dernière en serait très largement amoindri. Or l’ESS, prometteuse et nécessaire, intensive en emplois, mais sujette à des difficultés que ne rencontre pas la sphère marchande, a besoin de leviers importants.
Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de remarquer, avec un peu de malice, que les contrats aidés sont rentrés dans les bonnes grâces du Gouvernement, alors qu’on ne leur trouvait plus aucune vertu en 2017. Cependant, le temps est à l’efficacité et non plus à la malice ; je ferai donc part de notre satisfaction de voir aboutir toute mesure susceptible d’aider les plus précaires. Si nous saluons les avancées de la présente proposition de loi, nous nous devons aussi d’en appeler au Gouvernement pour qu’il garde à l’esprit la nécessité de maintenir un souci de cohérence dans le cadre des politiques qu’il choisit de mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la crise sanitaire fait basculer nombre de Français dans la précarité, il est plus que jamais urgent de trouver des solutions qui permettent de favoriser l’inclusion dans l’emploi et ainsi aider les populations fragilisées à retrouver leur autonomie et leur dignité par le travail.
La proposition de loi déposée par notre collègue députée Marie-Christine Verdier-Jouclas constitue une réponse intéressante, qui contribuera à enrichir les dispositifs en direction des personnes les plus éloignées de l’emploi à travers deux leviers : d’une part, l’insertion par l’activité économique, d’autre part, l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », dont la prolongation est sans nul doute une décision dont nous devons nous féliciter.
En effet, cette initiative issue de la société civile permet de fournir un emploi durable à tous les demandeurs d’emploi qui en feraient la demande. La contribution financière des départements à ce dispositif constituait un sujet de désaccord entre les deux assemblées. La solution retenue, solution de compromis, est une obligation de participation financière associée à un accord préalable du département pour qu’un territoire puisse se porter candidat.
Il sera également possible d’augmenter le nombre de territoires concernés par l’expérimentation, ce qui est aussi une bonne chose. En effet, seuls dix territoires étaient concernés par le premier volet de l’expérimentation. Le texte adopté prévoit d’accroître à soixante le nombre de territoires bénéficiaires, mais nous savons qu’une centaine de volontaires seraient prêts pour le deuxième volet. Aussi, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, cette nouvelle rédaction offre le plus de souplesse possible pour ne laisser aucun territoire de côté.
En ce qui concerne le titre Ier consacré aux dispositifs d’insertion par l’activité économique, nous nous félicitons que les contributions du Sénat aient été reprises. Le dispositif de temps cumulé permettra de sécuriser la transition entre un contrat d’insertion et un emploi classique. Comme je l’ai indiqué lors de l’examen du texte en séance, ce dispositif se rapproche de celui qu’a proposé Claude Malhuret dans la proposition de loi qu’il a déposée le 13 octobre dernier et que je vous invite à cosigner, mes chers collègues. Il s’agit d’une demande d’expérimentation exprimée par les départements qui permettrait aux allocataires du RSA d’effectuer quinze heures de travail hebdomadaires pendant un an dans une entreprise, sans perdre le bénéfice du RSA, afin de sécuriser les démarches de retour à l’emploi et de les favoriser.
Dans le contexte difficile que nous connaissons, toutes les initiatives comptent pour permettre aux personnes placées en situation de vulnérabilité économique de retrouver un revenu d’activité. Le 24 octobre dernier, le Premier ministre a annoncé les mesures de l’acte II du plan contre la pauvreté dans un contexte social particulièrement préoccupant. La crise sanitaire a fait basculer un million de Français dans la pauvreté, alors que la situation était déjà préoccupante, avec près de 15 % de nos concitoyens sous le seuil de pauvreté en 2018, selon l’Insee. La Banque de France confirme un taux de chômage supérieur à 10 % en 2020. Nous devons donc prendre la mesure de la situation et permettre à l’ensemble des acteurs de bonne volonté de se mobiliser sur le terrain, au plus près des besoins, pour lutter contre la précarité.
Cette loi sera un très bon outil. Je salue tous les efforts mis en œuvre pour parvenir à un compromis satisfaisant pour tous. Je vous remercie de votre travail, madame le rapporteur.
Bien évidemment, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons à l’unisson que la commission mixte paritaire ait pu trouver un accord sur la proposition de loi permettant le prolongement de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Ce texte était attendu depuis bien longtemps. Permettre à ce dispositif d’entrer dans cette nouvelle étape, surtout à un moment où la crise économique et sociale s’aggrave et où les mesures pour lutter contre la crise sanitaire se durcissent, est une bonne chose. L’extension de cette expérimentation est plus que jamais nécessaire. Il était temps !
Parce qu’il est novateur, ambitieux, dynamique, ce dispositif mérite tout notre soutien. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires l’avait d’ailleurs défendu en première lecture. Il nous semble particulièrement important d’inclure dans l’emploi des chômeurs de longue durée non par des contrats précaires ou aidés, mais bien par des contrats à durée indéterminée, ce qui génère une dynamique très positive pour eux et, au-delà, pour leur territoire, pour tout l’écosystème local.
Nous avions très fortement regretté que le Sénat ait sensiblement modifié le dispositif. Pour autant, le travail réalisé par la commission mixte paritaire nous satisfait.
Il faut saluer la réintroduction du caractère obligatoire de la participation financière des départements à l’expérimentation. Nous avions fait des propositions pour qu’il soit préservé.
Il en est de même de la suppression du copilotage des préfets avec les comités locaux, de la suppression de la tutelle de Pôle emploi sur le choix des personnes qui pourront être recrutées dans une entreprise à but d’emploi (EBE) et de la suppression de la tutelle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) sur le choix des activités développées par ces mêmes entreprises. Ces tutelles étaient trop lourdes par rapport à ce qui fait tout l’intérêt de ce dispositif, à savoir sa capacité à rassembler des dynamiques locales. Il est très important que les territoires puissent rester à la manœuvre sur ces projets. La confiance dans l’intelligence territoriale est une dimension importante de ce projet, c’est même l’une de ses caractéristiques.
Le maintien des dispositions concernant la prise en compte des spécificités de la Corse dans l’élaboration du cahier des charges de l’expérimentation nous semble également positif.
Enfin, la possibilité d’habiliter des territoires supplémentaires par décret en Conseil d’État est pour nous une très belle victoire. Cette clause de revoyure permettra d’éviter le blocage auquel nous avions assisté : beaucoup de territoires prêts, dans les starting-blocks, mais dans l’incapacité de passer le cap, parce que la nouvelle loi d’expérimentation n’était pas encore arrivée. Avec ce texte, nous permettrons au dispositif de continuer à se déployer au fur et à mesure de la mobilisation des territoires.
Toutefois, il faudra rester vigilant sur les moyens accordés au fonctionnement du fonds d’expérimentation. Dans le projet de loi de finances pour 2021, les crédits nous semblent un peu légers au regard de l’importance de la mise en route de ces nouveaux territoires.
Nous nous interrogeons également sur la possibilité de recourir aux contrats passerelles qui permettent de mettre à disposition un salarié en insertion auprès d’entreprises de droit commun en vue de leur éventuelle embauche. Nous avions défendu la suppression de cette disposition, en accord avec les professionnels du secteur de l’insertion. Le dispositif proposé ne nous convient pas en ce qu’il ne remplit pas l’objectif de sécurisation des parcours et qu’il ne permettra pas de sortir les personnes concernées de la précarité.
Toutefois, je crois que nous pouvons toutes et tous, in fine, nous féliciter de l’accord trouvé en commission mixte paritaire et de cette mobilisation parlementaire qui était attendue après celle, très large et très forte, de nombreux territoires autour de cette expérimentation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de cette proposition de loi, à la suite d’un accord en commission mixte paritaire.
Je tiens tout d’abord à saluer le travail de notre rapporteur, Frédérique Puissat, qui s’est fortement engagée dans l’examen de ce texte. Elle a su trouver une position équilibrée qui a retenu l’approbation du groupe Les Républicains.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Philippe Mouiller. Lors de nos débats, j’ai pu témoigner de la réussite du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », cette expérimentation étant menée dans un département dont je suis l’élu, les Deux-Sèvres. La commune de Mauléon fait partie des trois projets – sur dix – qui ont atteint l’objectif fixé, c’est-à-dire l’exhaustivité : un emploi a pu être proposé à tous les volontaires du territoire qui avaient été durablement privés d’emploi.
Au-delà de ce cas particulier, il nous appartenait, en tant que parlementaires, de tirer les enseignements de presque cinq années de mise en œuvre du dispositif, l’objectif étant d’organiser, si les retours étaient positifs, sa prolongation et son extension.
Le Sénat s’est attaché à une étude objective des premiers éléments communiqués, sans s’arrêter à l’engouement suscité par le côté novateur de l’expérience. Il a ainsi analysé son efficacité sous deux aspects : le nombre d’emplois créés et le coût pour les pouvoirs publics.
Cependant, l’essentiel n’est peut-être pas là. L’expérimentation, sans être le seul remède miracle au chômage de longue durée, a suscité une mobilisation collective dans des territoires parfois sinistrés économiquement et a permis de proposer un travail à des personnes en situation d’exclusion durable, avec toutes les conséquences financières et psychologiques que cela implique. Ces personnes ont retrouvé une place dans la société. Je peux en témoigner, notamment après l’expérience conduite à Mauléon.
À la suite de ce constat, le Sénat a décidé la prolongation de l’expérimentation en lui apportant plusieurs aménagements.
Nous avons confié un rôle de suivi au fonds d’expérimentation qui remettra un rapport annuel retraçant le profil des personnes embauchées et les économies réalisées en termes de prestations sociales. Nous avons également précisé les objectifs de l’évaluation à charge du comité scientifique.
La commission mixte paritaire a par ailleurs décidé que des territoires supplémentaires pourront être habilités, à titre dérogatoire et par décret en Conseil d’État, une fois atteint le seuil des soixante territoires d’expérimentation. Nous répondons ainsi à une demande forte qui a donné lieu à de longs débats avec le Gouvernement. De nombreux territoires sont en attente : il ne faut pas briser cette dynamique.
En ce qui concerne le financement du dispositif, le Gouvernement souhaitait rendre obligatoire la participation des départements. En tant que représentant des territoires, le Sénat ne pouvait valider une telle proposition en l’état.
Lors de l’examen du texte adopté en 2016, j’avais fait préciser que le dispositif serait principalement financé par l’État et que les collectivités territoriales pourraient participer, mais de manière volontaire. En effet, il ne peut être question d’imposer de nouvelles charges financières aux collectivités territoriales engagées dans le processus. La baisse des dotations de l’État et le surcroît de dépenses occasionné par la montée en charge des dépenses sociales ne laissent aucune marge de manœuvre financière aux départements.
Aussi la commission mixte paritaire a-t-elle proposé une solution de compromis : le département conserve son libre choix, mais, s’il accepte la candidature, il s’engage à participer au financement de l’expérimentation. En effet, comme l’a souligné notre rapporteur, on ne peut imposer au département de participer financièrement à une expérimentation qui ne serait pas cohérente avec la politique qu’il définit librement en matière d’insertion.
Je tiens, à cet égard, à saluer les travaux et l’écoute de notre rapporteur qui lui ont permis de nous proposer des dispositions réellement adaptées aux réalités du terrain.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Philippe Mouiller. C’est le cas non seulement de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », mais aussi de la partie du texte consacrée aux mesures issues du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique.
Le contexte est aujourd’hui particulier. Le secteur de l’insertion par l’activité économique est en effet lourdement affecté par la crise sanitaire qui a provoqué la fermeture de nombreuses structures et la baisse de leurs résultats. Les mesures de simplification, les assouplissements et les nouveaux contrats prévus par la proposition de loi sont donc particulièrement bienvenus.
Ici encore, le Sénat a apporté sa valeur ajoutée au texte en répondant aux préoccupations des acteurs. Il a non seulement encadré les dispositifs prévus – je pense au « contrat passerelle » ou aux seniors –, mais aussi introduit des mesures nouvelles, par exemple le dispositif de « temps cumulé » entre un contrat d’insertion et un CDI ou CDD à temps partiel que notre rapporteur a présenté et qui facilitera le rapprochement entre l’IAE et le secteur marchand. L’objectif est un retour durable à l’emploi, il me semble important de toujours le préciser.
Le groupe Les Républicains va donc soutenir cette proposition de loi ainsi amendée.
En matière de chômage de longue durée, beaucoup de choses restent à faire, ce que confirment les chiffres relatifs à la situation antérieure à la crise sanitaire, avec 2,6 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an.
Il est avant tout urgent de relancer l’économie, de soutenir nos PME, nos TPE, nos artisans, nos commerçants, qui sont les véritables créateurs d’emplois, et ce dans le contexte de la crise sanitaire, qui perturbe profondément notre système économique.
Ainsi précisée, la présente proposition de loi aura le soutien de notre groupe. En effet, si nous regrettons l’absence d’une réforme d’ampleur de la part du Gouvernement, nous approuvons toute initiative rassemblant les énergies au niveau local et destinée à permettre aux chômeurs connaissant le plus de difficultés de renouer avec une vie normale, c’est-à-dire une vie avec un emploi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée »
TITRE IER
RENFORCEMENT DE L’INSERTION PAR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
Article 1er
I. – Le chapitre II du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° A Au dernier alinéa de l’article L. 5132-2, le mot : « général » est remplacé par le mot : « départemental » ;
1° L’article L. 5132-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-3. – Seules les embauches de personnes éligibles à un parcours d’insertion par l’activité économique ouvrent droit aux aides financières aux entreprises d’insertion, aux entreprises de travail temporaire d’insertion, aux associations intermédiaires ainsi qu’aux ateliers et chantiers d’insertion mentionnées au premier alinéa de l’article L. 5132-2.
« L’éligibilité des personnes à un parcours d’insertion par l’activité économique est appréciée soit par un prescripteur dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de l’emploi, soit par une structure d’insertion par l’activité économique mentionnée à l’article L. 5132-4.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, notamment :
« 1° Les modalités de bénéfice des aides de l’État mentionnées au premier alinéa du présent article ;
« 2° Les modalités spécifiques d’accueil et d’accompagnement ;
« 3° Les modalités de collecte, de traitement et d’échange des informations et des données à caractère personnel, parmi lesquelles le numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques, nécessaires à la détermination de l’éligibilité d’une personne à un parcours d’insertion par l’activité économique, ainsi qu’au suivi de ces parcours et des aides financières afférentes ;
« 4° Les modalités d’appréciation de l’éligibilité d’une personne à un parcours d’insertion par l’activité économique et de contrôle par l’administration ;
« 4° bis Les conditions dans lesquelles peut être limitée, suspendue ou retirée à une structure d’insertion par l’activité économique la capacité de prescrire un parcours d’insertion en cas de non-respect des règles prévues au présent article ;
« 5° (Supprimé)
1° bis Au troisième alinéa de l’article L. 5132-3-1, le mot : « général » est remplacé par le mot : « départemental » ;
2° À la seconde phrase du sixième alinéa de l’article L. 5132-5, les mots : « l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 » sont remplacés par les mots : « un prescripteur mentionné à l’article L. 5132-3 ou, en cas de recrutement direct, par une entreprise d’insertion, » ;
2° bis Au premier alinéa de l’article L. 5132-8, les mots : « l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 » sont remplacés par les mots : « l’un des prescripteurs mentionnés à l’article L. 5132-3 » ;
2° ter L’article L. 5132-9 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, au début, le mot : « Seules » est supprimé et les mots : « qui ont conclu une convention de coopération avec l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 » sont supprimés ;
b) Après le mot : « disposition », la fin du 1° est ainsi rédigée : « n’est autorisée que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire ; »
2° quater Le sixième alinéa de l’article L. 5132-11-1 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« À titre exceptionnel, ce contrat de travail peut être prolongé par un prescripteur tel que mentionné à l’article L. 5132-3, au-delà de la durée maximale prévue, après examen de la situation du salarié au regard de l’emploi, de la capacité contributive de l’employeur et des actions d’accompagnement et de formation conduites dans le cadre de la durée initialement prévue du contrat :
« a) Lorsque des salariés âgés de cinquante ans et plus ou des personnes reconnues travailleurs handicapés rencontrent des difficultés particulières qui font obstacle à leur insertion durable dans l’emploi, quel que soit leur statut juridique ;
« b) Lorsque des salariés rencontrent des difficultés particulièrement importantes dont l’absence de prise en charge ferait obstacle à leur insertion professionnelle, par décisions successives d’un an au plus, dans la limite de soixante mois. » ;
2° quinquies (Supprimé)
3° Au sixième alinéa de l’article L. 5132-15-1, les mots : « Pôle emploi, » sont remplacés par les mots : « un prescripteur mentionné à l’article L. 5132-3 ou, en cas de recrutement direct, par un atelier et chantier d’insertion » ;
3° bis À l’avant-dernier alinéa du même article L. 5132-15-1, la référence : « septième alinéa » est remplacée par la référence : « neuvième alinéa du présent article » ;
4° L’article L. 5132-16 est ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-16. – Sous réserve des dispositions de l’article L. 5132-17, un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent chapitre, notamment les conditions d’exécution, de suivi, de renouvellement et de contrôle des conventions conclues avec l’État ainsi que les modalités de leur suspension ou de leur dénonciation. »
II. – Au IV de l’article 83 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les mots : « agréées par Pôle emploi » sont remplacés par les mots : « éligibles à un parcours d’insertion par le travail indépendant dans les conditions fixées par l’article L. 5132-3 du code du travail ».
III. – Les I et II entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard six mois après la publication de la présente loi.
Article 2
La section 3 du chapitre II du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° A (Supprimé)
1° La sous-section 2 est complétée par un article L. 5132-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-5-1. – Les entreprises d’insertion peuvent conclure des contrats à durée indéterminée avec des personnes âgées d’au moins cinquante-sept ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, selon des modalités définies par décret. » ;
1° bis La première phrase du dernier alinéa de l’article L. 5132-6 est complétée par les mots : « , à l’exclusion de la section 4 bis » ;
2° La sous-section 3 est complétée par un article L. 5132-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-6-1. – Par dérogation aux dispositions de l’article L. 5132-6, les entreprises de travail temporaire d’insertion peuvent conclure des contrats à durée indéterminée, tels que mentionnés à l’article L. 1251-58-1, avec des personnes âgées d’au moins cinquante-sept ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, selon des modalités définies par décret. Dans ce cadre, la durée totale d’une mission ne peut excéder trente-six mois. » ;
3° La sous-section 4 est complétée par un article L. 5132-14-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-14-1. – Les associations intermédiaires peuvent conclure des contrats à durée indéterminée avec des personnes âgées d’au moins cinquante-sept ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, selon des modalités définies par décret. » ;
4° La sous-section 5 est complétée par un article L. 5132-15-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5132-15-1-1. – Les ateliers et chantiers d’insertion peuvent conclure des contrats à durée indéterminée avec des personnes âgées d’au moins cinquante-sept ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, selon des modalités définies par décret. »
Article 2 bis
Le premier alinéa de l’article L. 5132-6 du code du travail est ainsi modifié :
1° Après le mot : « temporaire », sont insérés les mots : « d’insertion » ;
2° Les mots : « sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières » sont remplacés par les mots : « éligibles à un parcours d’insertion tel que défini à l’article L. 5132-3 et qui consacrent l’intégralité de leurs moyens humains et matériels à cette fin » ;
3° (Supprimé)
Article 2 ter
La seconde phrase du 2° de l’article L. 5132-9 du code du travail est ainsi rédigée : « Dans des conditions définies par décret, le représentant de l’État dans le département peut autoriser une association intermédiaire à déroger à ce plafond, pour une durée maximale de trois ans renouvelable, en tenant compte des activités exercées par les entreprises de travail temporaire d’insertion installées dans le département et à condition que la qualité des parcours d’insertion soit garantie. »
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Article 3 bis
Pour une durée de trois ans à compter de la publication de la présente loi, est mise en place une expérimentation visant à faciliter le recrutement par les entreprises de droit commun de personnes en fin de parcours d’insertion. Cette expérimentation permet à un ou plusieurs salariés engagés dans un parcours d’insertion par l’activité économique depuis au moins quatre mois dans une entreprise d’insertion ou un atelier et chantier d’insertion d’être mis à disposition d’une entreprise utilisatrice, autre que celles mentionnées aux articles L. 5132-4 et L. 5213-13 du code du travail, pour une durée de trois mois renouvelable une fois, dans les conditions prévues à l’article L. 8241-2 du même code. Lorsque le salarié est embauché à l’issue de la période de mise à disposition par l’entreprise utilisatrice, dans un emploi en correspondance avec les activités qui lui avaient été confiées, il est dispensé de toute période d’essai. L’expérimentation fait l’objet d’une évaluation au plus tard six mois avant son terme afin de déterminer notamment les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation.
Un décret précise les modalités de mise en œuvre et d’évaluation de cette expérimentation.
Article 3 ter A
I. – Après le 3° de l’article L. 3123-7 du code du travail, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Aux contrats de travail à durée indéterminée conclus dans le cadre d’un cumul avec l’un des contrats prévus aux articles L. 5132-5, L. 5132-11-1 ou L. 5132-15-1, afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée à l’article L. 3123-27. »
II. – La section 3 du chapitre II du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° La première phrase du septième alinéa des articles L. 5132-5 et L. 5132-11-1 est complétée par les mots : « , sauf en cas de cumul avec un autre contrat de travail à temps partiel, afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée à l’article L. 3123-27 » ;
1° bis L’article L. 5132-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret définit les conditions dans lesquelles la dérogation à la durée hebdomadaire de travail minimale prévue au septième alinéa du présent article peut être accordée. » ;
1° ter L’article L. 5132-11-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret définit les conditions dans lesquelles la dérogation à la durée hebdomadaire de travail minimale prévue au neuvième alinéa du présent article peut être accordée. » ;
2° La première phrase du neuvième alinéa de l’article L. 5132-15-1 est complétée par les mots : « ou en cas de cumul avec un autre contrat de travail à temps partiel, afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée à l’article L. 3123-27 ».
Article 3 ter B
L’article L. 5135-2 du code du travail est ainsi modifié :
1° Après le 4°, sont insérés des 4° bis et 4° ter ainsi rédigés :
« 4° bis Le conseil départemental, par l’intermédiaire de son président ;
« 4° ter Les organismes mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 6313-6 ; »
2° Au dernier alinéa, après la référence : « 3° », sont insérés les mots : « et au 4° bis ».
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TITRE II
EXPÉRIMENTATION TERRITORIALE VISANT À SUPPRIMER LE CHÔMAGE DE LONGUE DURÉE
Article 4
I. – La loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée est abrogée.
II. – Pour une durée de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur du présent titre, est mise en place, dans soixante territoires, dont les dix territoires habilités dans le cadre de la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée dans sa rédaction antérieure à la présente loi, désignés dans les conditions définies à l’article 5 de la présente loi, couvrant chacun tout ou partie de la superficie d’une ou de plusieurs collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale ou groupes de collectivités territoriales volontaires, une expérimentation visant à mettre un terme à la privation durable d’emploi.
Lorsque le nombre maximal de territoires mentionné au premier alinéa du présent II a été atteint, des territoires supplémentaires peuvent être habilités, à titre dérogatoire, par décret en Conseil d’État.
Cette expérimentation permet aux personnes concernées d’être embauchées en contrat à durée indéterminée par des entreprises qui remplissent les conditions fixées aux articles 1er et 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, pour exercer des activités économiques non concurrentes de celles déjà présentes sur le territoire.
L’expérimentation est mise en place avec le concours financier de l’État et des départements concernés ainsi que des autres collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale volontaires mentionnés au premier alinéa du présent II et d’organismes publics et privés volontaires susceptibles de tirer un bénéfice financier de ces embauches.
III. – Au plus tard dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation, le fonds mentionné à l’article 5 dresse le bilan de l’expérimentation dans un rapport.
IV. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique réalise l’évaluation de l’expérimentation afin de déterminer les suites qu’il convient de lui donner. Cette évaluation s’attache notamment à identifier le coût du dispositif pour les finances publiques, les externalités positives constatées et ses résultats comparés à ceux des structures d’insertion par l’activité économique. Elle détermine le cas échéant les conditions dans lesquelles l’expérimentation peut être prolongée, élargie ou pérennisée, en identifiant les caractéristiques des territoires et des publics pour lesquels elle est susceptible de constituer une solution adaptée à la privation durable d’emploi.
V. – Les rapports mentionnés aux III et IV sont adressés au Parlement et au ministre chargé de l’emploi et rendus publics.
VI. – Dans le cadre de l’expérimentation, peuvent être embauchées par les entreprises de l’économie sociale et solidaire mentionnées au II les personnes volontaires privées durablement d’emploi depuis au moins un an malgré l’accomplissement d’actes positifs de recherche d’emploi et domiciliées depuis au moins six mois dans l’un des territoires participant à l’expérimentation.
VII. – Les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale ou les groupes de collectivités territoriales participant à l’expérimentation mettent en place un comité local, au sein duquel sont représentés les acteurs du service public de l’emploi, chargé du pilotage de l’expérimentation. Ce comité local définit un programme d’actions, approuvé par le fonds mentionné à l’article 5, qui :
1° A Identifie les activités économiques susceptibles d’être exercées par les entreprises de l’économie sociale et solidaire mentionnées au II du présent article ;
1° Apprécie l’éligibilité, au regard des conditions fixées au VI, des personnes dont l’embauche est envisagée par les entreprises conventionnées ;
2° Détermine les modalités d’information, de mobilisation et d’accompagnement des personnes mentionnées au même VI en lien avec les acteurs du service public de l’emploi ;
3° Promeut le conventionnement d’entreprises existantes ou, le cas échéant, la création d’entreprises conventionnées pour l’embauche des personnes mentionnées audit VI en veillant au caractère supplémentaire des emplois ainsi créés par rapport à ceux existant sur le territoire.
Les modalités de fonctionnement du comité local sont approuvées par le fonds mentionné à l’article 5.
Article 4 bis
(Supprimé)
Article 5
I. – Il est institué un fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, chargé de financer une fraction du montant de la rémunération des emplois supplémentaires créés par les entreprises de l’économie sociale et solidaire mentionnées au II de l’article 4 ainsi qu’une fraction du montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement lorsque celui-ci intervient dans les conditions prévues au V de l’article 6. Ce fonds peut financer le démarrage et le développement des entreprises conventionnées mentionnées au même article 6.
Le fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée veille au respect par les entreprises de l’économie sociale et solidaire mentionnées au II de l’article 4 des orientations de l’expérimentation prévue au même article 4. Il apporte à ces entreprises ainsi qu’aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale ou aux groupes de collectivités territoriales volontaires l’appui et l’accompagnement nécessaires.
II. – Sous réserve de satisfaire aux conditions d’habilitation définies dans un cahier des charges fixé par arrêté du ministre chargé de l’emploi et d’avoir recueilli l’accord du président du conseil départemental, les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale ou les groupes de collectivités territoriales volontaires peuvent se porter candidat à l’expérimentation prévue à l’article 4 pendant une durée de trois ans à compter de la date de l’entrée en vigueur du présent titre. Ce cahier des charges prend en compte les spécificités des outre-mer et de la Corse. Sur proposition du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, un arrêté du ministre chargé de l’emploi habilite les territoires retenus pour mener l’expérimentation.
Par dérogation au premier alinéa du présent II, les dix territoires mentionnés au II de l’article 4 sont habilités de droit à mener l’expérimentation. Ils veillent à prendre les mesures éventuellement nécessaires à leur conformité au cahier des charges mentionné au premier alinéa du présent II.
III. – (Supprimé)
IV. – La gestion du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée est confiée à une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Elle est administrée par un conseil d’administration dont la composition est définie par décret en Conseil d’État.
Les membres du conseil d’administration siègent à titre bénévole.
Le conseil d’administration peut déléguer certaines de ses compétences à son président et à un bureau constitué en son sein.
Le ministre chargé de l’emploi désigne un commissaire du Gouvernement auprès de cette association. Le commissaire du Gouvernement assiste de droit aux séances de toutes les instances de délibération et d’administration de l’association. Il est destinataire de toutes les délibérations du conseil d’administration et a communication de tous les documents relatifs à la gestion du fonds, de même que les présidents des organes exécutifs des collectivités territoriales et de leurs groupements engagés dans le dispositif.
Lorsque le commissaire du Gouvernement estime qu’une délibération du conseil d’administration ou qu’une décision prise par une autre instance de l’association gestionnaire du fonds est contraire aux dispositions régissant les missions et la gestion du fonds, il peut s’opposer, par décision motivée, à sa mise en œuvre.
Le fonds publie annuellement un rapport moral et financier retraçant notamment l’ensemble des financements perçus par les entreprises mentionnées au II de l’article 4 de la présente loi ainsi que les sommes ayant concouru à son financement ainsi qu’à celui des comités locaux. Ce rapport présente le nombre de personnes embauchées par ces entreprises ainsi que le montant des prestations diverses dont elles ont bénéficié l’année précédant leur embauche.
Article 6
I. – Le fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée signe, pour la durée de l’expérimentation mentionnée à l’article 4, des conventions avec les entreprises de l’économie sociale et solidaire mentionnées au II du même article 4 afin qu’elles concluent avec des personnes remplissant les conditions mentionnées au VI dudit article 4 des contrats de travail à durée indéterminée au moins rémunérés au moment du recrutement, au niveau du salaire minimum de croissance mentionné à l’article L. 3231-2 du code du travail.
Chaque convention fixe les conditions à respecter pour bénéficier du financement du fonds, notamment les engagements de l’entreprise sur sa trajectoire d’embauche prévue et son plan d’affaires, le contenu des postes proposés, les conditions d’accompagnement et les actions de formation envisagées pour les salariés, conformément aux objectifs du projet. La convention précise également la part de la rémunération prise en charge par le fonds, compte tenu de la durée de travail prévue dans le contrat et en fonction du prévisionnel et de la situation économique de l’entreprise. Elle prévoit en outre la fraction de l’indemnité de licenciement prise en charge par le fonds et due lorsque le licenciement intervient dans les conditions prévues au V du présent article.
Le président du conseil départemental est cosignataire de la convention.
II. – Le contrat de travail conclu dans le cadre de l’expérimentation mentionnée à l’article 4 peut être suspendu à la demande du salarié afin de lui permettre d’accomplir une période d’essai afférente à une offre d’emploi en contrat de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée au moins égale à six mois, ou bien en contrat à durée déterminée de moins de six mois.
En cas d’embauche à l’issue de cette période d’essai, le contrat est rompu sans préavis. L’aide attribuée pour cet emploi par le fonds dans le cadre de l’expérimentation n’est pas versée pendant la période de suspension du contrat de travail.
III. – Les conventions antérieurement conclues avec les entreprises à but d’emploi conventionnées dans le cadre de la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée sont automatiquement reconduites à l’entrée en vigueur du présent titre.
À compter de la date définie par le décret mentionné au premier alinéa du VII du présent article, et au plus tard à compter du 1er juillet 2021, le fonds mentionné au I de l’article 5 et l’association gestionnaire mentionnée au IV du même article 5 sont substitués au fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée et à l’association gestionnaire prévus par la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 précitée dans leurs droits et obligations de toute nature.
Le cas échéant, les transferts de biens, droits et obligations réalisés dans le cadre des dévolutions, à titre gratuit ou moyennant la seule prise en charge du passif ayant grevé l’acquisition des biens transférés au profit du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée mentionné au I de l’article 5 de la présente loi et de l’association gestionnaire mentionnée au IV du même article 5, ne donnent lieu au paiement d’aucun droit, taxe ou impôt de quelque nature que ce soit. Ils ne donnent pas non plus lieu au paiement de la contribution prévue à l’article 879 du code général des impôts.
Les contrats de travail conclus par les entreprises dans les territoires mentionnés au I de l’article 1er de la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 précitée se poursuivent dans les conditions prévues par la présente loi.
IV. – Le fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée est financé par l’État et les départements concernés ainsi que, de manière volontaire, par les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale, les groupes de collectivités territoriales, les organismes publics et privés mentionnés au II de l’article 4 de la présente loi et les fondations d’entreprise mentionnées à l’article 19 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat pour assurer son fonctionnement et permettre le versement des aides financières associées aux conventions mentionnées au I du présent article.
Le fonds signe avec chaque collectivité territoriale, établissement public de coopération intercommunale ou groupe de collectivités territoriales volontaire participant à l’expérimentation mentionnée à l’article 4 de la présente loi, une convention qui précise leur engagement à respecter le cahier des charges mentionné au II de l’article 5, fixe les conditions de leur participation volontaire au financement de l’expérimentation et définit l’affectation de cette participation. L’État, Pôle emploi ainsi que le président du conseil départemental sont également cosignataires de ces conventions.
Le fonds signe une convention avec l’État, les conseils départementaux et chacun des organismes publics et privés participant à l’expérimentation mentionnée à l’article 4 afin de fixer le montant de leur contribution à son financement et de définir l’affectation de cette contribution.
V. – Si l’expérimentation n’est pas reconduite au terme du délai mentionné à l’article 4 ou si elle est interrompue avant ce terme par une décision du fonds mentionné au I de l’article 5, les entreprises mentionnées au II de l’article 4 reçoivent une notification du fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée signifiant la fin de la prise en charge d’une fraction des rémunérations dans le cadre de l’expérimentation. Dans ce cas, ces entreprises peuvent rompre tout ou partie des contrats de travail mentionnés au I du présent article. Ce licenciement, qui repose sur un motif économique et sur une cause réelle et sérieuse, est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique. Le fonds verse à l’employeur la fraction du montant de l’indemnité de licenciement fixée par la convention mentionnée au I de l’article 5. Dans tous les autres cas, le licenciement intervient dans les conditions du droit commun.
VI. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application des articles 4 et 5 ainsi que du présent article, notamment la méthodologie de l’évaluation de l’expérimentation, les modalités de transmission au comité scientifique mentionné au IV de l’article 4 ainsi qu’au fonds mentionné au I de l’article 5 des données à caractère personnel, y compris le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, relatives aux personnes mentionnées au VI de l’article 4 et nécessaires à l’évaluation de l’expérimentation, les modalités de fonctionnement et de gestion des comités locaux et du fonds respectivement mentionnés au VII du même article 4 et à l’article 5, les modalités de financement du fonds par les départements, les modalités de passation des conventions conclues entre le fonds et les entreprises mentionnées à l’article 4 et celles conclues entre le fonds et les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale ou les groupes de collectivités territoriales participant à l’expérimentation mentionnée au même article 4 ainsi que les critères retenus pour fixer le montant de la fraction de la rémunération prise en charge par le fonds mentionné à l’article 5.
Le décret mentionné au premier alinéa du présent VI ne peut prévoir que le montant du concours financier obligatoire des départements excède, pour chaque salarié embauché à temps plein dans le cadre de l’expérimentation mentionnée à l’article 4, celui du montant forfaitaire mentionné à l’article L. 262-3 du code de l’action sociale et des familles.
Le concours obligatoire des départements fixé par le décret peut être complété par une contribution volontaire.
VII. – Les dispositions du présent titre entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2021.
VIII à X. – (Supprimés)
TITRE III
DIVERSES MESURES D’ORDRE SOCIAL
Article 7
I. – La section 4 du chapitre Ier du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale est ainsi modifiée :
1° Le cinquième alinéa du III de l’article L. 241-10 est complété par les mots : « , à hauteur d’un taux ne tenant pas compte de l’application des dispositions prévues aux deuxième à dernier alinéas de l’article L. 5422-12 du même code » ;
2° L’article L. 241-13 est ainsi modifié :
a) Le I est ainsi modifié :
– après le mot : « professionnelles », sont insérés les mots : « , à hauteur du taux fixé par l’arrêté mentionné à la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 241-5 » ;
– après la seconde occurrence du mot : « travail », sont insérés les mots : « , à hauteur d’un taux ne tenant pas compte de l’application des dispositions prévues aux deuxième à dernier alinéas de l’article L. 5422-12 du même code » ;
b) À la fin de la première phrase du troisième alinéa du III, les mots : « dans la limite de la somme des taux des cotisations et des contributions mentionnées au I du présent article, sous réserve de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 241-5 » sont remplacés par les mots : « , à hauteur des taux des cotisations et contributions incluses dans le périmètre de la réduction, tels qu’ils sont définis au I du présent article ».
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 5553-11 du code des transports, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’exonération de la contribution d’assurance contre le risque de privation d’emploi prévue au premier alinéa du présent article s’applique sur la base du taux de cette contribution ne tenant pas compte des dispositions prévues aux deuxième à dernier alinéas de l’article L. 5422-12 du code du travail. »
III. – Au 1° de l’article L. 5422-12 du code du travail, après le mot : « démissions », sont insérés les mots : « , des contrats de travail et des contrats de mise à disposition conclus avec une structure d’insertion par l’activité économique mentionnée à l’article L. 5132-4 » et les mots : « du même » sont remplacés par les mots : « de l’ ».
IV. – Le présent article est applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon.
V. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2021.
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Article 9 bis
L’article 115 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est ainsi modifié :
1° Au I et à la fin du V, l’année : « 2021 » est remplacée par l’année : « 2023 » ;
2° Le VI est ainsi rédigé :
« VI. – Au plus tard le 30 juin 2021, le Gouvernement remet au Parlement un rapport intermédiaire sur les conditions d’application de ce dispositif à la date de sa présentation.
« Au plus tard le 30 juin 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport final sur les conditions d’application de ce dispositif et sur son éventuelle pérennisation.
« Les rapports mentionnés aux deux alinéas précédents sont établis après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs et après avis de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle. »
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Article 9 quater
Au premier alinéa du VI de l’article 28 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».
Article 9 quinquies
À titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter de la publication de la présente loi, les comités sociaux et économiques des structures mentionnées à l’article L. 5132-4 du code du travail dont les effectifs représentent au moins onze salariés selon les modalités de calcul des effectifs prévues aux articles L. 1111-2 et L. 2301-1 du même code peuvent mettre en place une commission « insertion ».
Cette commission comprend :
1° Un représentant de l’employeur ;
2° Au moins un membre de la délégation du personnel et une délégation de salariés en parcours d’insertion désignés par le comité social et économique à la majorité des membres présents parmi les salariés volontaires, âgés de seize ans révolus, inscrits dans un parcours d’accompagnement dans la structure et ayant travaillé depuis un mois au moins au sein de celle-ci.
Un accord conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 du code du travail définit :
1° Le nombre de membres de la commission ;
2° La durée pour laquelle ils sont désignés ;
3° Les modalités de fonctionnement de la commission, notamment la fréquence des réunions et la limite dans laquelle le temps passé en réunion est considéré comme du temps de travail effectif ;
4° Les informations mises à la disposition des membres de la commission par l’employeur ainsi que les mesures d’accompagnement qu’il met en œuvre au titre de l’accompagnement social et professionnel des salariés en insertion membres de la commission ;
5° Le cas échéant, les moyens alloués à la commission.
En l’absence d’accord, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le règlement intérieur du comité social et économique définit les modalités mentionnées aux 1° à 5°. Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, elles sont définies par accord entre l’employeur et la délégation du personnel.
La commission est chargée de préparer les réunions et les délibérations du comité sur les questions d’insertion. Elle contribue également à promouvoir les dispositions légales et stipulations conventionnelles applicables aux salariés en parcours d’insertion. Elle débat sur les conditions de travail de ces salariés ainsi que sur la qualité des parcours proposés par la structure en matière d’insertion.
L’expérimentation prévue au présent article fait l’objet d’une évaluation chaque année jusqu’à son terme.
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Articles 10 bis à 10 quater
(Supprimés)
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Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je me félicite de l’adoption de ce texte et je salue, comme d’autres l’ont fait, le travail des rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, et en particulier de Frédérique Puissat, qui a travaillé cet été sur ce texte, un peu seule, pour nous fournir des éléments très importants qui, même s’ils n’ont pas été repris par la commission mixte paritaire, constituent de bons jalons dans la perspective de la poursuite de l’expérimentation.
Je remercie également Mme la ministre pour son regard bienveillant sur les transactions et les concessions qui ont été faites de part et d’autre. Merci vraiment, aussi, à tous nos collègues, ainsi qu’aux administrateurs de la commission.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée. Je remercie le Sénat du travail important réalisé sur ce texte, sous l’égide de Mme le rapporteur, que je tiens à saluer tout particulièrement.
C’est un texte important que vous venez d’adopter dans un contexte, hélas, de crise sanitaire et économique. Cette proposition de loi est un signe d’espoir et une réponse concrète pour les personnes éloignées de l’emploi, pour les personnes les plus fragiles. C’est un pas de plus pour ne laisser personne sur le bord du chemin, et je tiens à vous remercier pour son adoption très large. (Mmes Catherine Deroche, présidente de la commission, et Frédérique Puissat, rapporteur, applaudissent.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Pierre Laurent.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (projet n° 15, texte de la commission n° 92, rapport n° 91).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le texte aujourd’hui soumis à votre approbation est l’aboutissement d’un long travail, dont l’impulsion a été donnée par le Président de la République lors de son discours prononcé à Ouagadougou en novembre 2017 : il y avait exprimé sa volonté de réunir les conditions nécessaires à des restitutions d’œuvres relevant du patrimoine africain, dans le cadre du renouvellement et de l’approfondissement du partenariat entre la France et les pays du continent africain.
C’est un texte important, qui ouvre une nouvelle page dans nos relations culturelles avec le continent africain.
Il n’est pas question ici de repentance ou de réparation. C’est l’avenir qui nous intéresse, et il passe par la refondation du lien culturel qui unit la France à l’Afrique.
S’il est inédit par son ampleur et sa symbolique, le projet de restitution des vingt-six œuvres issues du « Trésor de Béhanzin » à la République du Bénin, ainsi que du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal, s’inscrit néanmoins dans le prolongement d’une politique de coopération culturelle déjà engagée avec ces deux pays.
Ce projet de loi s’inscrit également dans un contexte de réflexion sur le rôle et les missions des musées en Europe et dans le monde. Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy remis au Président de la République en 2018 a été l’occasion de passionnants échanges sur l’histoire des collections, notamment originaires du continent africain, et sur la nécessité de mieux en expliquer la provenance au grand public.
Les œuvres et les objets que nous souhaitons restituer au Bénin et au Sénégal sont exceptionnels à tous égards. Témoins d’un passé glorieux et tourmenté, leurs qualités esthétiques attestent le génie de leurs créateurs et leur valeur symbolique n’a cessé de s’accroître au cours du temps. Ils sont devenus de véritables « lieux de mémoire », au sens que l’historien Pierre Nora donne à cette expression, dépositaires d’une partie de l’identité des peuples sénégalais et béninois.
Le sabre attribué à El Hadj Omar Tall ainsi que son fourreau renvoient, dans l’imaginaire collectif, à la formidable épopée de la fondation et de l’extension de l’empire toucouleur, sous la conduite de ce chef militaire et religieux d’exception, qui a fini par se heurter aux forces françaises. Données au musée de l’Armée il y a plus d’un siècle par le général Louis Archinard, ces deux pièces sont actuellement exposées au musée des civilisations noires de Dakar dans le cadre d’une convention de prêt de longue durée.
Les œuvres du trésor des rois d’Abomey, quant à elles, constituaient la manifestation insigne de la continuité et de la grandeur de cette dynastie pluriséculaire, avant que le général Dodds ne s’en empare, par la force, en 1892. Ces vingt-six pièces sont les derniers témoins de l’esprit de résistance du roi Béhanzin, qui a préféré incendier son palais et les regalia inestimables qu’il contenait plutôt que de les abandonner aux mains des troupes françaises victorieuses.
La perte de ce trésor royal est progressivement devenue, pour le peuple béninois, le symbole d’une indépendance perdue. Conservées par différents musées français puis, à partir de sa création en 1999, par le musée du quai Branly-Jacques Chirac, ces œuvres ont suscité une émotion considérable lorsqu’elles ont été présentées sur le sol béninois, en 2006, dans le cadre d’une exposition temporaire. La République du Bénin a, en 2016, demandé à la République française de lui restituer les vingt-six œuvres du trésor royal d’Abomey.
En restituant ces objets d’exception au Bénin comme au Sénégal, nous donnerons à la jeunesse africaine accès à des éléments majeurs de son propre patrimoine et de son identité, conformément au souhait exprimé par le Président de la République.
Je souhaite à présent vous préciser le sens, la portée et les conséquences du texte qui vous est soumis.
Tout d’abord, il convient de rappeler que cette restitution de biens culturels par un État à un autre État n’a en soi rien d’inédit. Ce qui l’est davantage, c’est – je viens de le souligner – la qualité et la dimension symbolique des œuvres concernées pour le patrimoine africain comme pour le patrimoine mondial. Parmi les restitutions récentes consenties par la France figurent notamment celle, en 1981, d’une statue d’Amon-Min volée à l’Égypte, en application du jugement d’un tribunal français, celle de vingt et une têtes maories à la Nouvelle-Zélande, par le biais de la loi votée en 2010 sur l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, ou encore celle de trente-deux plaques d’or à la Chine, en application de la convention de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) pour la lutte contre le trafic illicite des biens culturels de 1970, ratifiée par la France en 1997.
Ces différents cas de figure illustrent la diversité des voies offertes par le droit français pour procéder à des restitutions.
Dans le cas présent, en l’absence de recours judiciaire du Bénin et du Sénégal, le législateur peut apporter une réponse aux demandes de ces deux pays sans craindre les effets d’une jurisprudence que la décision du juge aurait nécessairement fait naître.
Sans portée générale, ce projet de loi ne vaut que pour le cas spécifique de l’ensemble des objets qu’il énumère expressément. Il n’institue aucun « droit général à la restitution », en fonction de critères abstraits qui seraient définis a priori.
La voie législative s’impose à nous, par ailleurs, dans la mesure où la restitution des objets au Bénin et au Sénégal implique de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques, inscrit dans le code du patrimoine.
Mais si ce projet de loi tend à contrevenir ponctuellement à ce principe, il ne le remet nullement en cause, pas plus que ne l’ont fait les lois précédentes du même type, comme celle de 2010.
L’adoption de l’amendement de la députée Constance Le Grip lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale permet d’ailleurs de lever toute incertitude à cet égard, en inscrivant dans le texte la référence à ce principe et en désignant explicitement ces restitutions comme des dérogations.
À l’inverse, l’amendement adopté par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, ajoutant au projet de loi un article 3 instaurant un « Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales » me semble nous éloigner, au profit d’un dispositif-cadre, de cette logique « d’espèce », cette appréciation au cas par cas que le Gouvernement privilégie pour les raisons que je viens d’évoquer. C’est pourquoi j’en proposerai la suppression.
Au-delà des points juridiques, ces restitutions soulèvent des questions purement politiques, au sens le plus noble du mot, sur lesquelles je voudrais apporter un éclairage.
Le présent projet de loi n’est en aucun cas une remise en cause ou une critique du rôle joué par les institutions françaises qui ont assuré la conservation de ces œuvres depuis de nombreuses années, à savoir le musée du quai Branly-Jacques Chirac et le musée de l’Armée – tout au contraire. Ces deux établissements ont permis non seulement la conservation, mais aussi l’étude approfondie de ces œuvres, sans laquelle nous ne pourrions prendre la pleine mesure de leur valeur historique, symbolique et esthétique. Elles en ont également assuré la présentation au public, tant en France qu’à l’étranger, en particulier dans leurs pays d’origine, aujourd’hui concernés par ces restitutions, sous la forme de prêts. Nous devons leur en être reconnaissants.
Accepter ces restitutions, ce n’est pas davantage remettre en cause le modèle universaliste de nos musées, que nous devons plus que jamais défendre. Le contexte actuel, dans notre pays comme à l’étranger, nous rappelle de la façon la plus tragique à quelles extrémités monstrueuses les crispations identitaires et le mépris de la culture de l’autre peuvent conduire. La mission de la France, aujourd’hui plus encore qu’hier, est de favoriser, notamment grâce à la circulation des œuvres, le dialogue des cultures et l’échange des perceptions.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je veux vous le dire ce soir avec gravité : la fonction première de la culture est d’exprimer et d’explorer ce que notre condition humaine a d’universel. Cette conviction, qui est au fondement de notre ministère français de la culture, peut paraître aujourd’hui, hélas, de moins en moins partagée. Ce projet de loi est aussi une façon de rappeler que nous n’y renoncerons jamais.
C’est au nom d’une telle conviction, d’un tel idéal, que la France n’accepte de restituer des œuvres à d’autres États que si ces États s’engagent à ce que ces œuvres gardent leur vocation patrimoniale, c’est-à-dire continuent à être conservées et présentées au public dans des lieux consacrés à cette fonction. Dans le cas du Bénin et du Sénégal, ces garanties ont été données.
La France accompagne les initiatives de ces deux pays en faveur du patrimoine, bien au-delà des seules restitutions. Tel est le sens du programme de travail commun élaboré avec le Bénin ainsi que du partenariat culturel renforcé avec le Sénégal, qui visent tous deux à inscrire ces restitutions dans le cadre plus large d’une véritable coopération ambitieuse.
Nous soutenons ainsi des projets de développement de musées et des actions de formation, qui permettront de partager l’expertise des professionnels français du patrimoine et de mettre en place de véritables filières professionnelles dans ce domaine. Le patrimoine d’exception ainsi rendu sera de la sorte accessible, sur le long terme, au plus grand nombre, dans un cadre à la hauteur de sa valeur.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis n’est pas un acte de repentance – je le disais – ni une condamnation du modèle culturel français. C’est un acte d’amitié et de confiance envers le Bénin et le Sénégal, pays auxquels nous lient une longue histoire commune et des projets communs d’avenir.
Ce projet de loi permettra aux Béninois et aux Sénégalais de renouer plus directement avec leur passé et d’accéder à des éléments constitutifs de leur histoire, comme nos propres collections nous permettent de le faire. Ces objets symboliques leur permettront de penser un présent et de bâtir un futur qui leur soient propres, tout en faisant l’objet d’un partage avec les autres, avec tous ceux qui visiteront ces nouveaux musées.
C’est, pour la France, un honneur et une fierté de pouvoir jouer un rôle actif en la matière, et de contribuer à ce que notre histoire commune, riche sans jamais avoir été simple, ne cesse de nous nourrir les uns les autres et de nous amener à nous dépasser. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, comment ne pas être sensible à la démarche qui anime le Bénin et le Sénégal, visant à contribuer au désir de la jeunesse africaine de connaître et de s’approprier son histoire ? Comment ne pas être favorable à l’objectif de renforcer notre dialogue avec l’Afrique, ce continent ami, par le biais d’une coopération culturelle et patrimoniale accrue ?
Ce n’est en tout cas pas le Sénat qui pourrait contester ces deux points, lui qui a été à l’initiative tant des deux seules lois de restitution que notre pays ait jamais adoptées que de la consécration législative des droits culturels.
À la différence d’autres demandes, qui portent aujourd’hui sans discernement sur l’ensemble des biens conservés dans nos collections et originaires d’un pays d’un pays donné, quelles que soient leur importance ou la manière dont nos musées les ont acquis, les revendications du Bénin et du Sénégal portent sur des objets précis et limités en nombre, des biens qui revêtent pour eux une portée culturelle, symbolique et spirituelle, au-delà de la simple valeur artistique et historique qu’ils ont aussi en France.
La demande de leur retour est motivée par le besoin de ces pays de recouvrer une part de leur identité culturelle. Elle s’inscrit dans un vaste projet politique, muséal et touristique visant à faciliter l’accès de leurs populations à leur patrimoine. À cet égard – cet élément était pour nous essentiel –, des garanties ont été données quant aux modalités de conservation et de présentation au public de ces biens au cas où nous acceptions leur cession.
Le problème soulevé par ce projet de loi ne tient donc pas à sa démarche. Celle-ci est fondée d’un point de vue éthique et diplomatique ; elle témoigne de la volonté de la France de renouer avec l’esprit des Lumières et, non pas de se repentir, mais de se réapproprier conjointement, dans un cas avec le Bénin, dans l’autre avec le Sénégal, une part importante de notre histoire commune, cette réappropriation devant servir de base à une coopération culturelle renouvelée. Notre pays ne peut en sortir que grandi.
Ce qui est en cause, c’est la méthode qui préside à la politique menée en matière de restitution depuis le discours de Ouagadougou, dont ce projet de loi est l’un des volets.
Certains pourront trouver ce sujet anodin, mais il y va de collections nationales, c’est-à-dire de biens qui appartiennent au patrimoine de la Nation et qui, à ce titre, sont protégés par le principe d’inaliénabilité, au même titre que le reste du domaine public. C’est ce qui rend indispensable l’autorisation de la représentation nationale pour faire sortir des biens des collections publiques.
Notre pays a certes déjà, par le passé, adopté deux lois de restitution, mais le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui s’en distingue à la fois par la forme, puisqu’il s’agit d’une initiative gouvernementale et non parlementaire, et par le fond, dans la mesure où ce texte concerne le retour d’œuvres et d’objets, et non de restes humains, ces deux types de biens culturels ne pouvant pas être traités de la même manière.
Là où la loi de 2010 de restitution des têtes maories avait été précédée d’un vaste symposium international consacré à la question des restes humains dans les musées, organisé au musée du quai Branly en février 2008 à la demande de la ministre de la culture de l’époque, Christine Albanel, aucune initiative similaire, réunissant scientifiques, universitaires, juristes, parlementaires et décideurs, n’a cette fois-ci été prise pour permettre à tous de s’exprimer publiquement et faciliter la recherche d’un consensus. Je veux le rappeler ici : le fait que Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n’aient que faiblement associé les scientifiques à leurs travaux pèse pour beaucoup dans les critiques dont leur rapport fait l’objet.
Il est vrai que les conservateurs des musées concernés ont été consultés pour préparer ce projet de loi ; mais ont-ils pu être véritablement entendus, sachant que le Président de la République avait déjà annoncé publiquement le retour de ces objets ?
Le problème, dans cette affaire, est que la décision politique a précédé et prévalu sur toute autre forme de débat, historique, juridique, scientifique, philosophique, au mépris du principe d’inaliénabilité des collections, pourtant instauré pour empêcher le « fait du prince ».
Ainsi le débat au Parlement est-il faussé et s’apparente-t-il davantage au vote d’un projet de loi de ratification, dans la mesure où l’État a déjà engagé sa parole et où le sabre a déjà été, il y a un an, officiellement remis au Sénégal – je le regrette. J’en veux pour preuve, aussi, le manque de considération que m’a témoigné il y a quelques jours un membre de votre cabinet, madame la ministre, balayant d’un revers de main mes propositions d’amendement au motif que la question avait déjà été débattue et décidée à l’Assemblée nationale. J’ignorais que le Parlement était devenu monocaméral ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Il n’y a plus de Parlement !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Faut-il rappeler combien le Sénat a été loué pour la sagesse et la créativité de ses apports à l’occasion des discussions parlementaires sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite LCAP, et sur le projet de loi « Notre-Dame », qui ont permis de contrebalancer les excès que comportaient les projets initiaux ?
C’est la même ambition qui a, une fois encore, animé notre commission. Le texte que nous avons adopté la semaine dernière n’a nullement remis en cause le principe du retour des objets. Aucun amendement n’avait même été déposé en ce sens.
En revanche, nous jugeons indispensable de garantir, dans le futur, un surcroît de méthode, celle-ci ayant partiellement fait défaut cette fois-ci.
Nous sentons tous que l’enjeu de ce projet de loi va bien au-delà de son simple objet. Certains seront déçus qu’il n’ait pas été l’occasion de poser un cadre général ; d’autres, au contraire, craignent l’effet d’entraînement qu’il pourrait avoir. Ces points de vue contradictoires révèlent toute la complexité du sujet. Ils démontrent aussi combien nous sommes conscients de l’ampleur que sont appelées à prendre les questions de restitution dans les années à venir, eu égard aux revendications toujours plus nombreuses que l’on observe dans le cadre de l’Unesco ou d’autres enceintes internationales.
En même temps, nos débats en commission ont révélé notre profond attachement au principe d’inaliénabilité des collections, véritable « colonne vertébrale » de nos musées. D’où la nécessité de définir une procédure qui permette à la fois de préserver ce principe et d’engager un nécessaire travail approfondi de connaissance des œuvres de nos collections, propre à les mettre en lumière dans toute la vérité de leur histoire. Il s’agit de combler le retard accumulé par notre pays en la matière et de lui permettre de sortir de son isolement.
La position défensive adoptée aujourd’hui par la France au niveau international lui est en effet de plus en plus préjudiciable – j’ai reçu de nombreux témoignages en ce sens de l’Unesco. Notre pays a trop à perdre à esquiver plus longtemps un débat que le Sénat l’avait pourtant invité à engager dès 2002, à l’occasion de l’examen de la loi Musées de et de la loi de restitution de la dépouille mortelle de la « Vénus hottentote », puis en 2010, lors de la discussion de la loi de restitution des têtes maories. Désormais, c’est le concept même de musée universel qui est contesté, sa mise en œuvre ayant échoué à donner des gages suffisants tant de réciprocité que de partage.
À nos yeux, la création d’un conseil national de réflexion sur le sujet permettrait de répondre à ce double enjeu.
Consulté sur les demandes de restitution présentées par des États étrangers avant qu’une réponse officielle y soit apportée, il permettrait, premièrement, de garantir qu’un temps soit réservé à l’examen scientifique des demandes, avant toute intervention politique et diplomatique. Le conseil agirait comme une protection face au risque que les intérêts politiques et activistes prennent le dessus sur toute autre forme de considération.
Cet outil protégerait du même coup les autorités politiques des pressions dont elles peuvent faire l’objet – on le comprend –, lesdites autorités ne prenant leur décision, désormais, qu’une fois cet éclairage scientifique recueilli.
Madame la ministre, nous ne pensons pas, bien au contraire, que le conseil soit incompatible avec un traitement au cas par cas des demandes : même si les membres du conseil ne seront pas toujours experts des biens qu’ils auront à examiner, ils auront tout loisir d’entendre des spécialistes avant de rendre leur avis, comme le font les commissions parlementaires. Un tel conseil pourrait en revanche garantir la formation progressive d’une doctrine scientifique en matière de restitution, susceptible de mettre un frein aux demandes tous azimuts. Sa mission ne pourra ainsi se résumer à observer s’il existe un intérêt public attaché à la conservation d’un bien dans les collections ; il s’agira plutôt de mettre en balance cet intérêt public avec l’intérêt scientifique, éthique et politique que présenterait le retour du bien dans son pays d’origine.
Le second intérêt de la création de ce conseil serait d’inciter le ministère de la culture, celui de la recherche et les scientifiques à engager vraiment, cette fois, une réflexion en matière de gestion éthique des collections et de permettre aux autorités françaises de reprendre la main sur le débat relatif aux restitutions. Il est indispensable de clarifier la position française, tant celle-ci est aujourd’hui brouillée par le rapport Sarr-Savoy, qui constitue à ce stade le seul document de référence que brandissent les États étrangers.
Je regrette que nous ayons perdu dix ans, car toutes ces missions auraient pu être menées à bien par la Commission scientifique nationale des collections (CSNC) si l’intention exprimée à l’unanimité par le législateur en 2010 avait été fidèlement et correctement traduite. Le Gouvernement a fait le choix de supprimer cette commission, en se gardant bien d’expliquer les raisons à l’origine de ses dysfonctionnements. Dont acte ; nous en tirons les leçons, et aussi le bilan – car bilan il y a ; nous aurons l’occasion d’en reparler –, en proposant la création de ce conseil national – le mot « conseil » est essentiel – spécifiquement consacré aux questions de restitution et de réflexion sur les collections.
Vous le voyez, madame la ministre : le Sénat attache beaucoup d’importance à ces questions de circulation et de retour des œuvres lorsque cela apparaît justifié. Il est soucieux, pour autant, de l’authenticité et de la rigueur de la démarche afférente.
C’est la raison pour laquelle notre commission est attachée à la création de cet outil garantissant une pérennité de la réflexion bien au-delà des gouvernements qui passent et des ministres qui changent. Enfin, cela permet d’engager enfin la réflexion vers l’avenir, ainsi que de l’élargir à d’autres continents. C’est l’auteure de la loi de restitution de têtes maories qui vous le dit : quoique nous soyons intimement liés au continent africain, nous avons bien d’autres liens et contacts à travers le monde avec nos anciennes colonies. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et l’oblige d’aimer ? » Ces vers de Lamartine illustrent parfaitement la charge affective pesant, pour des individus ou tout un peuple, sur certains objets.
Qu’est-ce qui arrache un objet à sa banalité pour le hisser au rang d’œuvre d’art ou de bien culturel ? Ce peut être sa dimension esthétique, sa matière, son origine, son secret de fabrication ou simplement son parcours historique l’ayant fait passer dans les mains de telle ou telle personne illustre.
Nous ne pouvons nier l’apport culturel de l’art africain dans l’élaboration de notre propre culture. Il a permis en retour de repérer, et parfois de sauver de la destruction, du vol ou du trafic, certains biens africains, leur conférant ainsi une dimension culturelle qu’ils n’auraient pas eue.
Ce retour participe au rayonnement universel de la culture française. Ce projet de loi concrétise un engagement fort du Président de la République formulé au Burkina Faso en novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou : restituer à l’Afrique des biens culturels appartenant à son patrimoine.
Cette démarche s’inscrit plus largement dans le cadre d’une refondation des relations avec nos homologues africains. La coopération culturelle en est un des piliers majeurs. Il s’agit de permettre aux peuples africains d’avoir accès, chez eux, aux œuvres issues de leurs propres cultures et de leur civilisation, alors que 90 % de leur patrimoine se situe aujourd’hui hors du continent africain, essentiellement dans les musées européens.
Cette nouvelle impulsion démontre la volonté de la France d’établir une amitié renouvelée avec ses partenaires africains. Ce projet de loi vise, en outre, à mettre le droit français en conformité avec une politique de restitution réfléchie dans cette perspective. Il entend également autoriser une dérogation limitée au principe général d’inaliénabilité applicable aux collections publiques françaises, afin de laisser sortir ces objets des collections nationales dans le cadre d’un transfert de propriété.
Cette démarche mérite d’être éclairée par un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-européennes.
Les précédents notables ont participé à l’affermissement de nos relations bilatérales, à l’instar des restitutions de la dépouille mortelle de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud en 2002 ou du transfert des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2010.
Pour autant, ce projet ne vise pas à remettre en question ce principe d’inaliénabilité, ni même la vocation universaliste des musées français. Il ne s’agit pas de vider nos collections ; ces restitutions sont limitées à certaines œuvres et doivent le rester. Elles répondent à des demandes précises des pays, et s’effectuent avec des garanties de bonne conservation. En effet, le Sénégal et le Bénin bénéficient d’ores et déjà d’une solide expertise et d’une volonté forte de valoriser leurs collections.
De plus, ces retours sont porteurs d’un message fort à destination de nos homologues africains. Il ne s’agit pas seulement d’un acte de diplomatie culturelle. Ce geste doit permettre de tourner la page de la Françafrique et participer à la construction d’un nouvel imaginaire, loin des souvenirs de nos conflits et de nos traumatismes.
En effet, nous restituons des objets soustraits à leurs pays d’origine sous la colonisation en l’absence de cadre juridique légal. Il est nécessaire de prendre conscience des enjeux mémoriels et d’accéder aux demandes légitimes des peuples africains de reconnexion avec leur patrimoine.
Car ces œuvres sont empreintes d’une forte charge symbolique, spirituelle et historique. Vingt-six œuvres du trésor royal d’Abomey, conservées par le musée du quai Branly-Jacques Chirac à la suite de leur don aux collections nationales par le général Alfred Dodds, seront restituées au Bénin. Elles constitueront les pièces maîtresses du futur complexe muséal d’Abomey, conçu en étroite collaboration avec l’Agence française de développement (AFD), qui viendra renforcer le développement touristique local.
Le sabre dit d’El Hadj Omar Tall, conservé par le musée de l’armée à la suite d’un don du général Louis Archinard, sera restitué au Sénégal. Actuellement prêté au musée des civilisations noires de Dakar, il en constitue déjà une des œuvres majeures.
Enfin, il s’agit d’un acte de confiance à destination de la jeunesse africaine, alors que 70 % de la population a moins de 30 ans. La France sera au rendez-vous pour aider le continent à relever les défis contemporains. Elle l’aidera ainsi à se réapproprier son histoire et à mettre fin à une forme de captation patrimoniale.
Les retours de biens culturels doivent ainsi s’intégrer dans une coopération patrimoniale et muséale étendue. Celle-ci pourrait passer par le déploiement de l’expertise de l’Agence France-Museums dans les pays africains ou le renforcement de la formation de leurs conservateurs et de leurs restaurateurs d’œuvres d’art.
Ce travail devra trouver un équilibre entre l’exigence de préservation du patrimoine présent dans les musées français et une circulation renforcée des œuvres par l’intermédiaire de restitutions, de retours ou de prêts, car les biens culturels universels n’ont pas de frontières puisqu’il s’agit du patrimoine commun de l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 thermidor de l’an VI de la République, sur le Champ de Mars à Paris, s’ébranla le long convoi des œuvres d’art spoliées par Napoléon lors de sa campagne d’Italie. Dans l’un des nombreux charriots se trouvaient les chevaux de cuivre de la basilique Saint-Marc de Venise. Ces statues auraient été fondues au IVe siècle avant notre ère, dans une île grecque du Dodécanèse, puis installées sur la spina de l’hippodrome de Constantinople et, enfin, disposées, en 1204, par les Vénitiens, sur la porte principale de la basilique Saint-Marc.
Après leur transport à Paris, Napoléon les plaça au sommet de l’arc de triomphe du Carrousel, mais elles furent rendues à Venise par l’Autriche après la chute de l’Empire. Avec elles, les chars transportaient aussi plus de cinq cents tableaux de maîtres. La moitié d’entre eux fut restituée, mais l’autre resta en France pour constituer le cœur des collections du Louvre.
Ainsi va la vie des œuvres, qui passent de main en main et de pays en pays au gré du pouvoir des princes, de la fortune de la guerre et des alliances des États.
M. François Bonhomme. En effet !
M. Pierre Ouzoulias. Celles qui font l’objet du présent projet de loi auraient pu s’inscrire dans cette histoire tumultueuse, mais les circonstances particulières de la conquête militaire de l’Afrique de l’Ouest font de cette restitution une péripétie supplémentaire de notre relation complexe avec notre histoire coloniale.
Par ailleurs, le choix de ces biens culturels, les formes de l’instruction des demandes par les services du ministère de la culture et du musée de l’Armée, les conditions de leur transport et de leur présentation au Bénin et au Sénégal posent de nombreuses questions. Enfin, nous ne comprenons pas comment ces dossiers ont pu, au plus haut niveau, être gérés dans l’ignorance presque totale de l’expérience acquise lors de la restitution des têtes maories et des initiatives fortes défendues par notre collègue la sénatrice Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture du Sénat.
Le 25 septembre 2007, à cette même tribune, à l’occasion du débat sur les accords passés entre la France et les Émirats arabes unis relatifs au musée universel d’Abou Dabi, Mme Rama Yade, alors secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, avait déclaré :…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas une référence !
M. Pierre Ouzoulias. … « Dans ce contexte de mondialisation, le Louvre Abou Dabi constitue un formidable vecteur de rayonnement de l’universalité de la culture et un défi que la France, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations, se devait de relever. »
Dans ce cadre, les musées français ont apporté leur expertise en matière de conception du bâtiment, de gestion des collections et prêté trois cents œuvres. La réussite actuelle de cette institution doit beaucoup à cet investissement majeur et à la qualité du partenariat entre les deux pays. Il est vrai que cet échange a été accompagné par une généreuse participation des Émirats arabes unis de presque un milliard d’euros. L’humanisme n’a pas de prix ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le 28 novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait rappelé que, pour lui, « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». (M. François Bonhomme s’exclame.) Partant de ce constat, il concluait à la nécessité de renouveler le dialogue franco-africain pas la construction d’un projet commun. Il considérait, à raison, que la culture devait en constituer un chapitre essentiel et souhaitait que les restitutions du patrimoine africain s’organisassent rapidement dans ce cadre. (Sourires.)
La forme juridique adaptée de ce partenariat aurait dû être, à l’imitation des accords pour le Louvre d’Abou Dabi, un traité international. Le Conseil d’État, dans son avis, a considéré que, dans le cadre de l’article 53 de la Constitution, le transfert de propriété aurait pu être organisé par un accord international.
Ce traité aurait eu l’avantage de préciser les engagements de la France, au titre de l’aide au développement, pour le financement du transport des œuvres, la construction des installations qui vont les accueillir et l’instauration des échanges indispensables entre les institutions patrimoniales des pays. Il aurait pu aussi organiser le prêt aux musées africains d’œuvres symboliques du patrimoine français.
Défendre l’universalité de l’art exige de notre pays des actions volontaires afin de faciliter la circulation des œuvres par un double processus de reconnaissance. Aimé Césaire disait : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’“universel”. Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. »
Je regrette vivement que les présentes restitutions n’aient pas porté cette double ambition. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que sénatrice des Français établis hors de France j’ai eu souvent l’occasion et la chance de me rendre en Afrique, notamment au Bénin et au Sénégal. La question de la restitution des biens culturels y a régulièrement été évoquée par mes interlocuteurs, notamment par Marie-Cécile Zinsou, qui a d’ailleurs été entendue dans le cadre de nos travaux préparatoires.
Si ces restitutions font suite à la volonté du Président de la République d’œuvrer au retour du patrimoine africain en Afrique et à son discours prononcé à Ouagadougou en 2017, elles trouvent également leur origine dans la volonté des États africains de voir revenir sur leur sol les biens culturels dont ils ont été dépossédés pendant la colonisation.
Cette demande est fortement appuyée par la société civile africaine et par de nombreuses associations. Ce projet de loi, au-delà du discours du Président de la République, est la réponse à une demande ancienne et forte dont je regrette qu’elle n’ait pas été entendue plus tôt.
Précisons d’emblée que cette demande ne concerne pas tous les biens culturels issus du patrimoine africain présents sur notre territoire, notamment au quai Branly, mais uniquement ceux provenant de prises de guerre.
Il s’agit plus précisément de vingt-six objets béninois, issus du palais des rois d’Abomey, qui ont été saisis en 1892 par le général Dodds, commandant des armées coloniales françaises, dans le cadre de la guerre du Dahomey, et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui aurait été confisqué par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.
Cette demande limitée n’est donc pas de nature à remettre en cause le caractère inaliénable des collections auquel nous sommes tous attachés.
L’Afrique est un continent jeune – on considère que 19 ans y est aujourd’hui l’âge médian –, qui connaîtra, dans les décennies à venir, une croissance démographique spectaculaire.
Ces restitutions peuvent jouer un rôle majeur pour permettre à cette jeunesse de retisser le lien avec son histoire et de renforcer son identité. Pour que ces futures générations construisent leur avenir, il est vital qu’elles puissent accéder à leur histoire et s’inspirer des générations précédentes. Car, comme le disait justement Aimé Césaire, « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».
Au-delà de l’aspect historique, n’oublions pas les enjeux de mémoire qui se jouent également ici et qui sont vitaux dans la construction et l’avenir de nos sociétés. Dans les discussions que j’ai pu avoir lors de mes déplacements en Afrique, il était souvent question de fierté ou de dignité retrouvée lorsqu’était évoqué le retour de biens culturels sur le sol africain.
Ces restitutions sont également rendues nécessaire par le fait que les collaborations, dépôts ou prêts entre musées, bien que précieux, ne sont aujourd’hui pas toujours suffisants, car ils ne répondent plus aux demandes de la société africaine. Il en était ainsi, en 2006, lors de l’exposition de la fondation Zinsou, à Cotonou, consacrée au roi Béhanzin et organisée à la demande du musée du quai Branly. Cette exposition avait attiré 275 000 personnes en trois mois, et nombre de Béninois n’avaient pas compris pourquoi les objets de leur patrimoine devaient retourner en France à la fin de l’exposition.
Outre son aspect éthique, à mes yeux, la restitution à ces pays de biens culturels – revêtant parfois une dimension spirituelle – dont ils ont été dépossédés contribuera à refonder notre relation et notre partenariat avec eux. Le retour des vingt-six pièces du trésor de Béhanzin, provenant du pillage du Palais d’Abomey en 1892, et du sabre d’El Hadj Omar Tall offre ainsi la possibilité d’ouvrir un nouveau chapitre de notre diplomatie culturelle avec l’Afrique. À l’inverse, une fin de non-recevoir aurait des conséquences désastreuses et nuirait fortement aux relations franco-africaines.
Les inquiétudes que l’on peut entendre concernant la conservation et la présentation au public de ces biens seront, je n’en doute pas, levées grâce au renforcement de la coopération culturelle franco-béninoise, à la coopération muséale, à la formation de conservateurs de musée, à l’échange d’experts et à un programme de travail commun. Il convient de tout entreprendre pour que ces biens continuent, à l’avenir, d’être présentés au public dans des lieux adaptés.
Un dernier point peu évoqué dans nos travaux est la nécessaire pédagogie que nous devons mener, notamment auprès de nos compatriotes, pour leur expliquer pourquoi ces objets qui étaient jusqu’à présent exposés dans nos musées sont restitués à des pays africains. Je crains que, sans explication et sans démarche historique accompagnant ces restitutions, ces dernières puissent être mal comprises par notre population fortement attachée à l’histoire et aux enjeux qu’elle peut représenter.
En conclusion, ce projet de loi, qui est un geste fort et symbolique, mais de portée limitée sur le plan législatif, pose naturellement la question de l’après. N’en doutons pas, mes chers collègues, d’autres États africains souhaiteront à l’avenir récupérer des biens culturels appartenant à leur histoire.
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement global qui affecte l’histoire et la mémoire. M. Emmanuel Kasarherou, président du musée du quai Branly-Jacques Chirac, l’indiquait justement devant notre commission : « La question des restitutions a mis au premier plan celle des provenances, un questionnement prégnant dans notre siècle, mais qui ne l’était pas dans le précédent : la façon dont les objets sont passés de main en main n’intéressait guère, c’est désormais une préoccupation importante. »
Quel procédé législatif devrons-nous adopter à l’avenir ? Devrons-nous, chaque fois, passer par un dispositif dérogatoire au droit commun ou, à l’inverse, disposerons-nous d’une loi-cadre qui permettrait, peut-être, une procédure plus claire et plus lisible et dans laquelle pourrait être indiqué que seuls des objets acquis par la violence et la contrainte peuvent être concernés par une éventuelle restitution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée amicale pour notre ancien collègue Alain Schmitz qui s’était impliqué, avec l’intelligence fine qu’on lui connaît, dans cette complexe question des restitutions.
Permettez-moi également de saluer la qualité des apports et des travaux de Catherine Morin-Desailly, notre rapporteure depuis plusieurs années, qui s’est forgée sur ce sujet sensible, un point de vue que je partage pleinement.
Avec raison, elle appelle depuis longtemps à fixer une méthode là où prévaut, jusqu’à ce jour, une approche trop strictement politique répondant aux seules exigences des relations diplomatiques du moment. Sur un dossier de cette nature, il aurait été bien utile que Catherine Morin-Desailly soit davantage entendue et que le Gouvernement esquisse une méthode fondée sur quelques principes.
Le premier d’entre eux serait d’appréhender la question en se départant d’une approche exclusivement morale, fondée sur une vision du bien et du mal dont on sait qu’elle est variable avec le temps et les peuples.
Ainsi, la restitution de vingt-six objets au Bénin que prévoit ce projet de loi peut, bien entendu, être saluée comme le retour du trésor d’Abomey dans l’ancien royaume du roi Béhanzin. Mais il aurait également pu être vu comme le retour des symboles de l’oppression de l’ethnie fon sur ses esclaves yorubas, après la chute et le pillage de Kétou en 1886. Je ne suis pas certain que les descendants des Yorubas soient si heureux que cela de les voir réinstaller dans le palais de leurs anciens maîtres. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »
Le deuxième principe serait de recueillir, avant toute décision politique, l’avis des experts, qu’ils soient conservateurs, archéologues, historiens ou ethnologues. Cela aurait évité, dans l’affaire qui nous préoccupe, d’attribuer à un sabre une valeur et une symbolique qu’il n’a peut-être pas et à celui qui est censé l’avoir porté, une aura qu’il ne mérite certainement pas. Les travaux de Francis Simonis ou Bertrand Goy sur le sabre d’El Hadj Omar Tall n’ont-ils pas montré que la légende de ce sabre fut surtout forgée par le général Louis Archinard pour glorifier son expédition ?
Le troisième principe consisterait à trouver le juste équilibre avant toute décision entre ce qui est moral aujourd’hui, ce qui était légal hier et ce qui répond à l’impératif permanent de contextualisation historique. En ce qui concerne la légalité, il y a matière à discussion puisqu’une grande partie des collections venues d’Afrique, exposées aujourd’hui dans nos musées, répond parfaitement à la légalité de l’époque. Comme chacun sait, la pratique des butins de guerre n’a été déclarée illégale qu’en 1899 par la convention de La Haye. Elle était jusqu’alors le fait des vainqueurs, et l’empire toucouleur y eut recours tout autant que les autres.
Soyons clairs : je souscris à la nécessité de renforcer la circulation des œuvres et l’accessibilité du patrimoine sur sa terre d’origine. Pour autant, j’en appelle à la définition d’une méthode devant répondre à quelques questions. Comment éclairer le politique, sur lequel repose aujourd’hui le processus de restitution, afin d’éviter qu’il ne s’apparente au fait du prince ? Comment faire en sorte que le ministère de la culture et les conservateurs jouent pleinement leur rôle dans ce processus pour éviter que des atteintes fondamentales ne puissent être portées aux principes mêmes qui sont au cœur de notre politique muséale ?
C’est important, car aujourd’hui ce sont les propositions du rapport Sarr-Savoy qui font foi pour nos interlocuteurs. C’est sur ses inventaires, en dépit de leurs inexactitudes, qu’ils s’appuient pour formuler leurs requêtes.
Si le dernier mot doit revenir au politique, cela ne doit être qu’en vertu d’une décision éclairée par des avis étayés et non pour répondre à je ne sais quelle tyrannie de l’instant, aux seules raisons d’une diplomatie du soft power ou pour donner des gages à telle ou telle approche mémorielle, pour ne pas dire communautaire.
Ce serait jeter par-dessus bord les principes multiséculaires forgés précisément pour que le patrimoine de la Nation ne soit jamais soumis aux humeurs du prince de l’instant. Tenons donc compte de ce sage précepte scellé sous le règne de Charles IX, sur l’initiative du chancelier Michel de L’Hospital.
Il est certes difficile d’élaborer une loi-cadre posant des critères précis qui ne soient ni trop larges, au risque d’être contraires à la Constitution, ni trop rigides, au risque d’empêcher des restitutions qui paraîtraient opportunes. Des solutions permettant de protéger l’inaliénabilité des collections publiques et la vision universaliste de nos musées, tout en ne fermant pas la porte à un dialogue des cultures, doivent pourtant être trouvées au plus vite, car le risque est grand que nous ne soyons de plus en plus fréquemment bousculés par des demandes de plus en plus nombreuses.
Or votre projet de loi n’esquisse aucune doctrine en matière de transferts de biens culturels, de circulation des collections et de leur monstration au public.
M. Max Brisson. Nous avons pourtant besoin d’une méthode et il nous faut l’inventer.
Oui, ce projet de loi aurait gagné à fixer une doctrine et sa méthode. Il se limite à l’exécution d’une décision présidentielle. Il n’en provoque pas moins un réel et profond malaise à plusieurs égards.
Tout d’abord, j’évoquerai la manière de procéder des auteurs du rapport Sarr-Savoy, qui n’ont pas jugé bon d’auditionner la présidente de la commission de la culture du Sénat, alors qu’ils ont pris le temps de rencontrer son homologue de l’Assemblée nationale. Permettez-moi donc de douter de la qualité de leur démarche, très certainement militante et assurément peu scientifique.
Deuxième cause de malaise, le sabre El Hadj Omar Tall est déjà au Sénégal, où il é été remis en grande pompe par l’ancien Premier ministre au président Macky Sall.
Ce malaise est renforcé par la mise en extinction de la Commission scientifique nationale des collections, chère à Philippe Richert et à Catherine Morin-Desailly. Notre pays avait pourtant là l’outil pour s’emparer du sujet et y réfléchir de manière scientifique. Hélas, rien n’a été fait pour faciliter le travail de cette commission. C’est ce qui nous conduit aujourd’hui à nous retrouver dans une position défensive.
Le malaise nous gagne encore davantage quand vous nous dites que le caractère inaliénable des collections est maintenu. Mais, madame la ministre, cette loi d’exception étant fondée, sinon sur le fait du prince, du moins sur la raison d’État, elle en appellera d’autres au rythme des demandes qui vont se multiplier !
La loi n’est pas encore votée que le président du Bénin, Patrice Talon, se dit « insatisfait ». Déjà cinq pays africains frappent à la porte et demandent le retour de 13 000 objets.
M. François Bonhomme. Oui, cela commence !
M. Max Brisson. Qu’en sera-t-il demain des demandes venues d’Asie et pourquoi pas d’Amérique latine et d’Océanie ?
M. François Bonhomme. De la Chine ! Des Grecs !
M. Max Brisson. Cette crainte est d’autant plus fondée que le chef de l’État, dans son discours de Ouagadougou, déclarait : « Le meilleur hommage que je peux rendre non seulement à ces artistes, mais à ces Africains ou ces Européens qui se sont battus pour sauvegarder ces œuvres, c’est de tout faire pour qu’elles reviennent. »
Votre projet de loi sera donc suivi d’autres, et comporte un risque sérieux d’atteinte à la cohérence des collections de nos musées, constituées au fil des siècles, et par là même à leur vision universaliste, fondée sur la mise en valeur du génie humain, d’où qu’il vienne.
Oui, madame la ministre, je crois primordial d’ancrer à nouveau le caractère inaliénable de nos collections comme principe fondateur de l’universalité de nos musées, sauf à ouvrir la porte à un engrenage dont on ne sait où il s’arrêtera. Après tout, le retrait de la collection Dodds, général africain de l’armée française, n’est-il pas déjà une damnatio memoriae ?
Dernière cause de malaise, l’utilisation du terme « restitution » laisse germer l’idée qu’il s’agit d’un retour de biens possédés indûment et, par là même, que la France s’est rendue coupable par la possession de ces œuvres. Or ce sont des artistes français, épris d’art moderne et sensibles au génie humain, qui, voilà un peu plus d’un siècle – presque un siècle et demi –, érigèrent ces objets, jusque-là objets cultuels ou de la vie quotidienne, en œuvres d’art pour ensuite les muséifier pour partie en Europe, mais aussi en Afrique.
Je vous encourage donc, mes chers collègues, à adopter l’amendement que j’ai déposé avec Bruno Retailleau pour changer l’intitulé de cette proposition de loi en l’expurgeant du mot « restitution », qui sous-entend que notre pays aurait à expier je ne sais quelle faute morale.
Mes chers collègues, j’entends bien la demande des pays africains, je ne la conteste pas. Mais je suis profondément mal à l’aise quant à la manière dont le Gouvernement entend y répondre, en cédant à une vision moralisatrice de notre histoire et en sacrifiant les principes qui participent de la grandeur de notre pays, au premier chef ceux de l’universalisme, fondateur même de notre conception de la citoyenneté.
J’aurais tellement préféré que nous restions fidèles à l’héritage du président Jacques Chirac. Il était l’artisan infatigable d’une politique culturelle moins ethnocentrée, le fondateur du musée du quai Branly, dont la raison d’être, comme cela est inscrit dans sa charte, est le dialogue des cultures. Et s’il a offert le sceau du dey d’Alger au peuple algérien, c’est en le faisant acquérir par la France lors d’une vente aux enchères, et non en le faisant disparaître de nos collections nationales. Il est bien dommage que la France ne se soit pas dotée, dans son sillage, d’une vraie politique d’échanges et de circulation et d’une solide réflexion sur le sujet.
Ce défaut de réflexion anticipée peut surprendre, tant la prégnance de la question est une évidence. Catherine Morin-Desailly nous a proposé, en commission, un amendement tendant à instaurer un conseil destiné à statuer sur les restitutions, une ébauche de régulation allant dans le bon sens. Elle esquisse une méthode, un cadre, une vision appelés par notre groupe.
C’est la raison pour laquelle nous suivrons les préconisations de la rapporteure. Le groupe Les Républicains soutiendra ce projet de loi parce qu’il a été amendé en commission et que, désormais, il fixe pour l’avenir des procédures indispensables à la protection de nos collections et à l’universalité de nos musées.
Nous voterons donc le texte issu de la commission, mais resterons très vigilants quant à la suite de la procédure parlementaire. Il y va de l’avenir de nos collections, de la préservation de notre patrimoine, de l’intégrité de notre histoire !
C’est aussi, madame la ministre, pour que nous restions fidèles à votre prestigieux prédécesseur, André Malraux qui, justement, nous rappelait : « L’œuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient œuvre d’art par ce qui lui échappe. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé voilà trois ans, lors de son discours à l’université de Ouagadougou, vouloir restituer de façon temporaire ou définitive les œuvres d’art africain des collections publiques françaises aux pays africains dont sont issues ces œuvres.
Dans cette perspective, il a confié à deux chercheurs, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, le soin de réaliser un rapport sur la restitution du patrimoine africain.
Ce rapport se présente comme un plaidoyer en faveur d’une restitution massive, au nom de la repentance politique, du patrimoine africain présent dans les collections publiques françaises. Sont visées les œuvres acquises « en l’absence de consentement des populations locales », par « la violence ou la ruse ou dans des conditions iniques ». Le rapport prévoit également la restitution des pièces saisies lors de conquêtes militaires, collectées lors de missions scientifiques ou par des agents de l’administration coloniale, ainsi que le retour des œuvres issues du trafic illégal après 1960.
La France détient près de 90 000 œuvres d’art africain dans ses collections publiques, dont les deux tiers au sein des collections du musée du quai Branly. La remise du rapport au Président de la République, le 23 novembre 2018, a été l’occasion pour ce dernier d’annoncer la restitution de vingt-six œuvres conservées actuellement au musée du quai Branly – statues de l’homme requin ou du roi Ghézo notamment – et réclamées depuis 2016 par la République du Bénin. Il s’agit du trésor de Béhanzin saisi comme butin de guerre en 1892, lors de la prise du palais d’Abomey par les troupes du général Dodds.
De la même façon, le 17 novembre 2019, Édouard Philippe s’est engagé à restituer au Sénégal le sabre d’El Hadj Omar, fondateur de l’empire toucouleur et guide spirituel de la plus grande confrérie soufie du Sénégal, tiré des collections du musée de l’Armée, mais déjà confié au musée de Dakar pour une durée de cinq ans.
Si le texte présenté replace sur le devant de la scène la difficile question de la restitution des œuvres d’art africain, de nombreux conservateurs dénoncent la position manichéenne des auteurs du rapport susmentionné, arguant que « les musées ne doivent pas être otages de l’histoire douloureuse du colonialisme ». Ils s’alarment du préjudice pour les collections publiques, vitrine de l’art africain en Europe.
Les risques liés à de mauvaises conditions de conservation sont bien réels, tout comme les risques de vol et de malversation dans des sociétés marquées par une forte corruption et une faible implication des autorités publiques dans les politiques patrimoniales.
L’artiste Romuald Hazoumè dénonçait en 2016 une « culture béninoise à l’abandon », le délabrement des musées de son pays, les nombreux vols subis. Il qualifiait la restitution du trésor royal de fausse bonne idée, dans la mesure où le pays n’aurait pas les moyens ni la volonté de protéger et valoriser ces œuvres.
À l’image du grand sabre sacré, volé en 2001 au sein même du palais royal d’Abomey, les vols, incendies et l’absence de qualification du personnel rendent les conditions d’accueil des œuvres actuellement conservées au musée du quai Branly difficiles. Le financement d’une autre structure, le musée de l’épopée des amazones et des rois du Dahomey, par un prêt de 12 millions d’euros de l’AFD devrait permettre de remédier à ce problème.
Pour autant, la dimension symbolique de réparation mémorielle et de réappropriation patrimoniale que revêtent ces restitutions est indéniable, sans oublier leur dimension économique d’attractivité touristique. Il apparaît légitime de favoriser l’accès au patrimoine historique et culturel de la jeunesse africaine, source d’inspiration pour la création et de compréhension de son héritage culturel.
Soutenant ce projet de loi, le groupe Les Indépendants considère aussi que de nouvelles formes de partenariat sont à imaginer. De nombreuses combinaisons sont possibles en matière d’engagements mutuels sur la formation des conservateurs, ou encore sur la valorisation et la protection d’œuvres d’art qui, bien qu’issues d’un pays, d’une région, d’un peuple, représentent une richesse culturelle au rayonnement plus vaste, à la résonance internationale, qui appartient à l’humanité dans son ensemble.
Les musées du monde entier témoignent de l’universalité de l’art, dont le propre est bien de dépasser les langues, les civilisations, les frontières, et de rapprocher les peuples.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est fondé sur un principe de justice, celui de rendre à deux pays, le Bénin et le Sénégal, des biens culturels appartenant pleinement à leur histoire.
Le trésor de Béhanzin, nommé d’après Béhanzin Ier, dernier roi du Dahomey, présente le dernier ensemble de pièces régaliennes de l’empire désormais disparu. Saisi en 1892 et rapporté en France par le général Alfred Amédée Dodds, ce trésor est un symbole important pour le Bénin, un vestige ultime d’une aire d’indépendance et de prospérité.
Le sabre d’Omar Seydou Tall, dit El Hadj Omar, est nommé d’après le nom de son propriétaire. Chef spirituel soufi, érudit musulman et fondateur de l’empire toucouleur, ce dernier régna sur des territoires situés aujourd’hui au Sénégal, en Guinée et au Mali, vers les années 1850. Saisi en avril 1893 par les troupes du colonel Louis Archinard, cet objet représente, lui aussi, l’un des vestiges du pouvoir en place avant l’établissement de l’Afrique occidentale française.
Ces deux objets sont donc des prises de guerre, des biens acquis dans la violence d’une époque de conquêtes coloniales qu’il nous faut aujourd’hui regarder avec lucidité.
Les demandes de restitution du Bénin et du Sénégal sont donc tout à fait légitimes, et c’est en se fondant sur cette légitimité que le Gouvernement nous propose ce projet de loi.
Celui-ci fait également écho à un engagement du Président de la République, pris le 28 novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, et qui a suscité de grands espoirs au sein de la jeunesse africaine.
Affirmons-le ici sans détour, notre groupe est favorable à ces restitutions, qui sont des témoignages de l’humanisme devant animer notre politique de coopération culturelle. En revanche, nous estimons qu’il faut sortir aujourd’hui de la logique de ces lois d’exception, obligeant le législateur à examiner chaque restitution dans un texte spécifique.
Cette législation au cas par cas s’explique, bien entendu, par le principe d’inaliénabilité, lequel affirme que les biens appartenant aux collections publiques françaises ne peuvent être vendus ou cédés, mais elle freine cette amorce de politique de coopération culturelle volontariste.
Les écologistes sont évidemment attachés au caractère inaliénable des collections publiques, qui garantit l’unité du patrimoine culturel au bénéfice de toute la Nation. C’est dans le respect de ce principe que nous souhaitons travailler à une évolution du cadre législatif.
D’où, mes chers collègues, l’amendement que nous souhaitions soumettre à votre vote, visant à confier au conseil national de réflexion créé par notre commission la tâche de réfléchir à un dispositif législatif durable pour sortir de cette politique d’exception permanente, dont personne ne peut se satisfaire. Malheureusement, cet amendement ne sera pas examiné, ayant été déclaré irrecevable.
Nous estimons toutefois que nous ne pourrons nous affranchir de cette réflexion essentielle. En effet, le Bénin et le Sénégal ne seront pas les seuls pays à avoir des demandes légitimes. Mali, Cameroun, Nigeria, Éthiopie, Tchad : plusieurs pays ont déjà fait des demandes, portant parfois sur des milliers d’objets ou de biens.
Avec une politique de coopération culturelle enrichie d’un cadre législatif pérenne, nous pourrons durablement regarder notre passé en face, avec honnêteté, et renforcer nos liens avec de nombreux pays. Il s’agit non pas de repentance, mais simplement de justice !
Nous sommes conscients de toutes les questions soulevées et, comme vous l’indiquiez ce matin, madame la rapporteure, nous sommes encore très loin d’y répondre. Mais, de nouveau, mes chers collègues, nous ne pouvons faire l’économie d’un cadre pérenne permettant de sortir de ces lois d’exception, qui contournent de façon hypocrite notre principe d’inaliénabilité des œuvres.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe écologiste votera ce projet de loi, qui va dans le bon sens, tout en appelant à une réflexion plus globale sur l’évolution de notre législation, pour plus d’efficacité et de justice dans notre politique de coopération culturelle. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi prévoit le retour au Bénin, leur terre d’origine, de vingt-six objets du palais de Béhanzin conservés au musée du quai Branly et la restitution au Sénégal d’un sabre et de son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, chef toucouleur.
Il fait suite à une demande expresse de ces deux États.
Il ne met pas fin au caractère inaliénable de nos collections publiques. Il témoigne d’une exigence de vérité, d’un souhait commun d’apaiser des conflits de mémoire, d’une confiance en un partenariat équilibré.
Il faut se réjouir de cette coopération !
Ce projet de loi concrétise un engagement fort du Président de la République, prononcé en novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou.
Plus de la moitié de la population africaine a aujourd’hui moins de 25 ans. Dans mon département d’outre-mer, entre côtes africaines et Madagascar, la croissance de la démographie est sept fois plus forte que la moyenne nationale et les moins de 18 ans sont majoritaires. C’est une grande chance, mais aussi un lourd défi, pour Mayotte comme pour l’Afrique. Et nous savons l’importance, pour la construction harmonieuse de tous ces jeunes, de la connaissance de leur propre histoire.
Peu de jeunes Sénégalais ou Béninois ont les moyens de voyager, de venir en France pour voir ces objets. Les restitutions – nous aurons le débat sur la question de savoir s’il faut maintenir ce terme ou lui préférer ceux de « retours » ou « transferts » – leur permettront d’accéder chez eux à des œuvres de leur culture, de leur civilisation et de se les approprier.
Ces œuvres ont une forte portée symbolique. Apportées en France lors de l’expansion coloniale comme des objets de curiosité exotique, elles avaient d’abord, pour la plupart, une fonction spirituelle. Témoins d’un passé prospère, elles participent à un sentiment de fierté, de confiance en soi de populations trop souvent dépouillées de leur histoire.
Il est donc important qu’elles soient exposées à tous – le Bénin et le Sénégal s’y sont engagés – et présentent des garanties de bonne conservation, dans le cadre d’une coopération repensée. La réalisation concrète du nouveau musée d’Abomey s’inscrira dans cette vision.
Ces biens, revenus à leur terre originelle, ne seront certes plus notre propriété, mais ils resteront toujours porteurs d’universel, parce qu’issus du génie humain.
Nous restons vraiment, avec ce texte, dans le domaine de l’exception. C’est pourquoi la création d’un comité chargé d’émettre un avis sur les restitutions, décidée par notre commission, ne me semble pas opportune. Nos musées nationaux resteront, avec leurs collections, des vecteurs de connaissance de l’autre et d’histoire partagée. Prêts et expositions temporaires doivent se multiplier afin de profiter au plus grand nombre.
Certes, on peut croire que des demandes de restitution, limitées jusqu’à présent, se feront plus nombreuses et pourront sembler tout aussi légitimes.
Mais ce sera à la France de décider, au cas par cas, en fonction d’ailleurs des terres de conflits, hélas propices aux destructions et aux pillages. Les équipes de scientifiques spécialistes des œuvres demandées éclaireront le choix du Gouvernement et il nous reviendra, à nous, parlementaires, la décision de l’approuver, ou non, au cas par cas.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté.
Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit ce jour vise à sortir des collections nationales vingt-sept biens culturels, afin d’ouvrir la voie à leur restitution à deux pays africains, le Bénin et le Sénégal.
Il concerne, en son article 1er, le trésor de Béhanzin, vingt-six œuvres conservées au musée du quai Branly-Jacques Chirac et revendiquées par la République du Bénin depuis septembre 2016 et, en son article 2, le sabre, attribué à El Hadj Omar Tall, inscrit à l’inventaire des collections du musée de l’Armée, officiellement réclamé par le Sénégal depuis juillet 2019 et exposé au musée des civilisations noires de Dakar depuis son inauguration en décembre 2018, dans le cadre d’une convention de dépôt entre la France et le Sénégal.
L’ensemble de ces œuvres constitue des prises de guerre. Les vingt-six objets béninois, issus du palais des rois d’Abomey, ont été emportés en 1892 par le général Dodds, commandant des armées coloniales françaises, dans le cadre de la guerre du Dahomey qui l’opposait au roi Béhanzin. Le sabre attribué à El Hadj Omar Tall aurait, quant à lui, été confisqué à Ahmadou Tall, son fils, par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.
Ce texte est une nouvelle étape au sein d’une réflexion de plus grande ampleur : d’une part, celle du Président de la République, Emmanuel Macron, relative au patrimoine africain présent en France et, d’autre part, celle qui est liée à l’universalisme culturel, voulant que les œuvres culturelles appartiennent, au-delà des frontières des pays d’origine ou d’accueil, au patrimoine de l’humanité.
Lors de la remise du rapport Savoy-Sarr en novembre 2018, le Président de la République a annoncé cette nouvelle étape, qui nous réunit aujourd’hui : la restitution au Bénin des vingt-six œuvres ayant appartenu aux rois d’Abomey et le sabre attribué à El Hadj Omar Tall au Sénégal.
Le retour de ces objets tend à atteindre un double objectif : le premier est de permettre à la jeunesse, mais aussi à l’ensemble de la population africaine d’avoir accès en Afrique à son propre patrimoine ; le second est de consolider le partenariat, ici dans sa dimension culturelle, entre la France et le continent africain – il s’agit donc d’un objectif diplomatique et de coopération.
Le groupe Union Centriste est favorable à ces motifs, mais cet accord de fond ne doit pas occulter les réserves sur la forme et la méthode que nous souhaitons émettre.
La première réserve est liée au fait que notre intervention ici, en tant que législateurs, est aujourd’hui moins démocratiquement souhaitée que juridiquement requise.
Les objets concernés sont des prises de guerre, non des biens volés. Ils n’entrent donc pas dans le champ d’application de la convention de l’Unesco de 1970. Dès lors, c’est le droit français qui s’applique.
Dans ce cadre, un principe prévaut : celui de l’inaliénabilité des collections publiques, consacré par la loi et s’opposant à ce que la propriété d’un bien conservé dans les collections publiques puisse être transférée. Le législateur doit donc intervenir pour poser des exceptions : c’est la raison de ce texte.
Le principe de la restitution des œuvres béninoises a été acté par le Président de la République en novembre 2018. Le sabre, lui, a d’ores et déjà été restitué au Sénégal, le prêt n’étant qu’une sorte d’étape transitoire « en attendant » que le Parlement français ne valide la décision gouvernementale.
Ainsi, ce projet de loi entérine une décision présidentielle, alors même que le principe législatif d’inaliénabilité est inscrit dans la loi pour éviter dans ce domaine le « fait du prince », même si, ici, je le souligne, les raisons sont tout à fait acceptables.
On demande au Parlement de consacrer en droit ce qui est d’ores et déjà acté en fait. Ce n’est pas cela le rôle du Parlement !
La deuxième réserve que le groupe Union Centriste souhaite émettre s’inscrit dans une réflexion plus générale, qui aurait dû et doit être engagée à propos de ce patrimoine.
Lors de l’examen en 2009 de la proposition de loi, déposée par ma collègue Catherine Morin-Desailly, visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, le ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, s’était exprimé en ces termes au sujet de l’initiative parlementaire : « Elle marque surtout l’ouverture, trop longtemps retardée à mes yeux, d’un véritable débat de fond sur le recours au déclassement, en donnant aux collectivités publiques les moyens de disposer en la matière d’une doctrine définie en parfaite concertation. » Tout est dit !
Plus d’une décennie et deux mandatures présidentielles plus tard, d’aucuns pourront constater que ce véritable débat de fond sur la nécessité d’établir une doctrine a malheureusement peu avancé. Je dis « malheureusement », parce que, citant de nouveau le ministre en 2009, « la question qui nous est posée à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi est de celles qui attisent la controverse, les prises de position morales ». Cela aurait effectivement mérité que les gouvernements s’en saisissent alors.
C’est précisément pour éviter controverses et procès que la Commission scientifique nationale des collections a été créée en 2010. Elle devait permettre à la France d’engager une réflexion prospective.
Faute pour le ministère d’avoir donné à cet organe les moyens de réussir, la France se trouve désormais dans une démarche sujette à la critique, défensive et casuistique. Coup de grâce, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) l’a tout simplement supprimé.
En l’absence de doctrine et de critères au sujet du retour des œuvres, nous sommes en effet contraints de n’avancer que par lois spécifiques portant exception au principe d’inaliénabilité. Eu égard aux dizaines de milliers d’œuvres qui sont et seront réclamées par les États, et dans une démarche proactive que commande la restitution de biens mal acquis, nous ne pouvons raisonnablement pas considérer que les lois d’exception itératives soient satisfaisantes.
Madame la rapporteure a donc justement, et nous l’en remercions, présenté à la commission un amendement visant à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales.
Il aura pour objectif d’apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision en la matière ; d’encourager notre pays et, en particulier, le monde muséal à approfondir sa réflexion sur ces questions qui ont vocation à rebondir dans les années à venir, afin de ne pas prendre les décisions au fur et à mesure, et d’anticiper ; de contenir dans le futur le risque de décisions conjoncturelles, aussi versatiles que l’actualité et l’opinion de l’instant ou les orientations politiques du moment.
Enfin, ce conseil est tout à fait indispensable pour poser une doctrine en matière de retour et contenir ce risque de « fait du prince », non seulement par principe, mais aussi pour les conséquences que cela emporte pour les œuvres. On ne restitue ni ne conserve a priori : il doit y avoir une décision objective, qui s’appuie sur une argumentation posée et construite.
L’enjeu du débat autour des restitutions consiste à concilier ce qui était légal autrefois avec ce qui est moral aujourd’hui, pour reprendre les mots de ma collègue Catherine Morin-Desailly.
Prendre du recul, exprimer la ou les vérités, voilà les raisons pour lesquelles il faut que le conseil proposé par la rapporteure soit mis en place, avec les moyens de fonctionner. Son travail permettra de concilier la portée universaliste de nos musées avec les exigences tout à fait légitimes des pays africains, comme c’est ici le cas. Nos histoires sont mêlées et communes, chargées d’un héritage parfois lourd, mais rien n’est manichéen, et le danger serait de résumer ce parcours de l’humanité à un simplisme caricatural.
Ces œuvres ont une charge morale forte et symbolique, mais elles sont le témoin de la complexité de la construction de notre monde et de la place majeure qu’occupe la culture dans la construction de l’humanité. La culture de l’autre est un bien commun, notre bien commun. La culture de l’autre a changé notre culture.
Le groupe Union Centriste votera donc en faveur du texte, avec une vigilance accrue quant aux efforts réalisés par le Gouvernement pour qu’une doctrine sur la question des restitutions soit discutée et établie. Il y va autant de la qualité de nos relations avec un continent ami que de notre éthique artistique, culturelle et scientifique. À celle-ci, en particulier, nous devons vraiment cette réflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je veux d’abord vous féliciter et féliciter tous les intervenants pour la qualité et la profondeur du travail réalisé. Je pense tout particulièrement au vôtre, madame la rapporteure, sur ce sujet qui vous mobilise déjà depuis de longues années et sur lequel vous faites autorité.
La première question qui a été soulevée est celle de l’importance des travaux scientifiques sur ces sujets.
Ceux qui ont été menés ont été approfondis et continuent de l’être, avec, notamment, une journée d’étude sur les collections extra-occidentales, un séminaire de recherche « Parcours d’objets » organisé par la Direction générale des patrimoines et l’Institut national d’histoire de l’art, le renforcement des équipes au musée du quai Branly-Jacques Chirac grâce à des bourses de recherche spécifiques et un poste de recherche.
Je partage d’ailleurs l’avis exprimé sur plusieurs de ces travées quant aux inexactitudes ou, du moins, au parti pris dont témoigne parfois le rapport de Sarr-Savoy. Celui-ci ne pouvait être qu’un élément de réflexion ! Il n’est pas question de le mépriser ou de le rejeter ; il s’agit bien de lui donner sa juste place.
Ainsi, s’ils constituent un élément important de la réflexion, ces travaux n’ont pas suffisamment associé les spécialistes des musées et les historiens. Ils ont souvent minimisé la question de la provenance des œuvres ou adopté un parti pris sur celle-ci : par définition, dans le rapport, les œuvres sont systématiquement des œuvres volées ou indûment acquises, alors que la réalité est en fait beaucoup plus complexe et exige que l’on juge au cas par cas.
Ce parti pris est, de toute évidence, gravement dommageable dans une approche, qui, comme je viens de le rappeler, doit être scientifique.
Madame la rapporteure, il n’y avait nul mépris ni arrogance dans l’avis donné par le membre de mon cabinet. On a simplement porté à votre connaissance que l’Assemblée nationale avait voté ce projet de loi à l’unanimité, tous groupes confondus. Le débat est ouvert entre le Sénat et l’Assemblée nationale, sur ce texte comme sur beaucoup d’autres, et il se poursuivra en commission mixte paritaire : il ne faut pas surinterpréter cette considération purement factuelle.
Finalement, notre discussion prouve que, dans le conseil national de réflexion, chacun voit un peu ce qu’il veut. Pour certains, une telle instance pourrait limiter les procédures de restitution. D’autres, au contraire, y voient curieusement un outil méthodologique permettant de les faciliter. Cette différence conceptuelle montre bien la fragilité de la procédure.
Pour notre part, à travers ce projet de loi, nous établissons clairement notre doctrine : les œuvres détenues par les musées français sont inaliénables. Aucune procédure générale ne peut conduire à la restitution ou au don des œuvres. Il ne peut pas y avoir de doctrine plus claire et plus affirmée ! Toute autre procédure viendrait la battre en brèche et serait l’amorce de démarches extrêmement dangereuses. (MM. Bruno Retailleau et Max Brisson s’exclament.)
Je remercie les orateurs qui ont inscrit les deux restitutions dont il s’agit dans une perspective d’avenir et de développement. Bernard Fialaire l’a dit très justement et plusieurs d’entre vous ont placé cette coopération dans ce cadre extrêmement fécond.
Bien entendu, je n’éprouve pas pour autant les craintes que semblent traduire certains propos, mettant en doute les capacités des peuples africains à assurer la conservation de ces œuvres. Les chercheurs français, les présidents et directeurs d’institutions muséales mettent à disposition leur expertise, qui est remarquable, dans un esprit de coopération ; mais, dans ce domaine, il faut se garder de toute approche méprisante ou arrogante.
M. François Bonhomme. Certes !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Monsieur Ouzoulias, chacun connaît ici vos grandes qualités scientifiques et vos travaux ; vous êtes historien et archéologue, spécialiste des Gaules romaines. Vous avez dit une chose très importante : il faut que ces échanges soient à double sens. C’est une perspective dans laquelle nous pourrions tous nous retrouver.
On ne peut pas se contenter de la restitution d’œuvres. Notre horizon doit être plus large : peut-être les œuvres restituées reviendront-elles au musée du quai Branly pour une exposition temporaire ; peut-être organisera-t-on une exposition Matisse au Bénin ou une exposition Picasso au musée de Dakar. C’est vers cette logique qu’il faut aller. Une démarche à sens unique se révélerait, finalement, néocolonialiste. Elle serait dès lors parfaitement condamnable. À l’opposé, il faut défendre une vision universaliste de l’art : sur ce point, je vous rejoins tout à fait.
Madame Lepage, vous avez beaucoup insisté sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la jeunesse africaine exprime sa fierté, elle a besoin de dignité et veut se reconnaître dans son histoire, qui a été souvent méprisée. Le grand historien africain Joseph Ki-Zerbo déplorait que l’on ait souvent une vision anhistorique de l’Afrique. Évidemment, cette jeunesse doit pouvoir se retrouver dans son passé.
Néanmoins, on ne peut pas partir du principe que toute restitution suppose le pillage, donc la violence, notion juridiquement très difficile à établir : dans un contexte de colonisation, à quel moment commence la violence ? À quel moment achète-t-on les œuvres indûment ? À quel moment les paie-t-on à leur véritable valeur, quand le rapport de force est si déséquilibré ? Cette notion est éminemment contestable. Une méthodologie ne saurait en aucun cas se fonder sur elle.
Monsieur Brisson, vous avez évoqué la mémoire de Jacques Chirac : vous pensez si j’y souscris !
M. François Bonhomme. Il ne serait pas content !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Vous avez également cité André Malraux. Dieu sait si je m’y réfère ; mais les pillages du temple d’Angkor et des autres temples cambodgiens ne sont tout de même pas les épisodes les plus glorieux de sa vie…
M. Bruno Retailleau. Il s’en est expliqué !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Dans un tel débat, mieux vaut donc éviter d’évoquer sa mémoire ! Je vous le dis en toute amitié. (Sourires.)
Monsieur Decool – j’y insiste –, nous avons développé les capacités des musées africains et la coopération permettra d’assurer une parfaite conservation des œuvres.
Monsieur Dossus, vous nous invitez à sortir des lois d’exception ; mais, pour ma part, je m’y refuse ! C’est le sens même du texte que je vous propose. En définitive, tous les orateurs estiment qu’il faut traiter les dossiers au cas par cas, finement, en se penchant sur les origines des œuvres, en étudiant la manière dont elles ont été acquises. Pourquoi se ligoter par telle ou telle procédure ? Il faut s’en tenir à des dispositifs législatifs d’exception.
Monsieur Hassani, vous avez parfaitement décrit la manière dont nous voulons procéder : je vous remercie de votre propos, empreint d’une grande humanité.
Enfin, madame de La Provôté, je ne peux que vous le répéter : oui, nous avons une doctrine. Je la rappelle une fois de plus : ces sujets extrêmement délicats ne peuvent être jugés qu’au cas par cas, au terme d’un travail scientifique approfondi, fondé sur des recherches historiques minutieuses. Les œuvres sont inaliénables, mais la France est un pays de générosité qui examinera ces coopérations dans un esprit d’ouverture. Je remercie le Sénat de l’avoir compris ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal
Article 1er
Par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les vingt-six œuvres provenant d’Abomey conservées dans les collections nationales placées sous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac, dont la liste figure en annexe à la présente loi, cessent de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an au plus pour transférer ces œuvres à la République du Bénin.
Annexe 1 à l’article 1er
1. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.1 – Statue anthropomorphe du roi Ghézo ;
2. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.2 – Statue anthropomorphe du roi Glèlè ;
3. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.3 – Statue anthropomorphe du roi Béhanzin ;
4. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.4 – Porte du palais royal d’Abomey ;
5. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.5 – Porte du palais royal d’Abomey ;
6. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.6 – Porte du palais royal d’Abomey ;
7. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.7 – Porte du palais royal d’Abomey ;
8. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.8 – Siège royal ;
9. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.1 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
10. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.2 – Calebasses royales grattées et gravées d’Abomey, prise de guerre dans les palais royaux ;
11. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.3 – Autel portatif aseñ hotagati ;
12. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.4 – Autel portatif aseñ royal ante mortem du roi Béhanzin ;
13. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.5 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
14. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.6 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
15. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.7 – Trône du roi Glèlè ;
16. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.8 – Trône du roi Ghézo (longtemps dit « Trône du roi Béhanzin ») ;
17. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.9 – Autel portatif aseñ hotagati à la panthère, ancêtre des familles royales de Porto-Novo, d’Allada et d’Abomey ;
18. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.10 – Fuseau ;
19. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.11 – Métier à tisser ;
20. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.12 – Pantalon de soldat ;
21. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.13 – Siège tripode kataklè sur lequel le roi posait ses pieds ;
22. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.14 – Tunique ;
23. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.15 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
24. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.16 – Récade réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;
25. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.17 – Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;
26. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.18 – Sac en cuir.
M. le président. L’amendement n° 3 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 1er et de l’annexe 1.
(L’article 1er et l’annexe 1 sont adoptés.)
Article 2
Par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée de l’Armée, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an au plus pour transférer ce bien à la République du Sénégal.
Annexe 2 à l’article 2
Numéro d’inventaire du musée de l’Armée : 6995/Cd 526 – Sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall.
M. le président. L’amendement n° 4 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’ensemble constitué de l’article 2 et de l’annexe 2.
(L’article 2 et l’annexe 2 sont adoptés.)
Article 3 (nouveau)
Le titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales
« Art. L. 117-1. – Le Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales a pour missions :
« 1° De donner son avis, avant toute réponse officielle de la part des autorités françaises, sur les réclamations de biens culturels présentées par des États étrangers qui ne relèvent pas du chapitre II du présent titre. Il est saisi à cette fin par le ministère des affaires étrangères dès la réception d’une telle réclamation. Son avis est rendu public ;
« 2° De fournir aux pouvoirs publics des réflexions prospectives et des conseils en matière de circulation et de retour des œuvres d’art extra-occidentales. Il peut être consulté à cette fin par les ministres intéressés, ainsi que par les présidents des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
« Il peut consulter toute personne susceptible de l’éclairer dans l’accomplissement de ses missions.
« Art. L. 117-2. – Le Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales comprend un nombre maximal de douze membres, dont au moins :
« 1° Trois représentants des personnels mentionnés à l’article L. 442-8 ;
« 2° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’histoire ;
« 3° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’histoire de l’art ;
« 4° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière d’ethnologie ;
« 5° Une personnalité qualifiée nommée en raison de sa compétence en matière de droit du patrimoine culturel.
« Ses membres sont nommés conjointement par le ministre chargé de la culture et le ministre chargé de la recherche.
« Art. L. 117-3. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent chapitre. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Masson.
L’amendement n° 7 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 5 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Cet amendement tend à supprimer l’article 3, ajouté par le Sénat, qui crée un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d’œuvres d’art extra-occidentales.
Bien entendu, toute proposition de restitution doit faire l’objet d’un travail scientifique. Sur ce point, nous sommes parfaitement d’accord. D’ailleurs, en répondant aux orateurs et en vous répondant, madame la rapporteure, j’ai dit à quel point nous y avons veillé : ce projet de loi garantit la mise en œuvre des recherches historiques et des études d’impact. Une telle commission pourrait mener un travail intéressant, mais l’expertise scientifique est déjà parfaitement convoquée.
Surtout, je pense au danger que représenterait cette commission : elle vous imposerait inévitablement une position dogmatique. Ce faisant, elle contreviendrait au principe revendiqué par tous les orateurs, à une exception près, à savoir l’inaliénabilité. Ces œuvres font partie du patrimoine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce qui concerne la restitution des œuvres, ce conseil élaborerait une doctrine ou des procédures dont on ne pourrait s’échapper. Cette méthode me paraît receler des dangers majeurs : elle contrevient au principe que vous avez vous-mêmes retenu !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Madame la ministre, je me doutais que le Gouvernement proposerait la suppression de cet article important, introduit par la commission et voté à l’unanimité, tous groupes confondus.
Les membres de la commission se sont bien entendus quant à l’objet de ce conseil.
Tout d’abord, les mots ont leur importance : il s’agit, non pas d’une commission ou d’un comité – ces termes renvoient à des instances très formalisées, édictant des avis prescriptifs –, mais d’un conseil.
Vous avez évoqué la démarche scientifique engagée conjointement par vous-même, à la suite de votre prédécesseur, et par la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation – sur ce sujet, je suis néanmoins sans nouvelles de sa part… Les nombreux musées en dehors de Paris, dont nous n’avons pas parlé, sont en effet sous cette double tutelle.
J’ai bien compris qu’un travail scientifique avait été accompli pour procéder à la restitution de ces objets et que vous comptiez le prolonger. D’ailleurs, pour avoir également eu des échanges avec des représentants du ministère des affaires étrangères, j’ai cru comprendre que, sur cette question, un travail interministériel se dessinait pour l’avenir.
Mais, pour notre part, nous souhaitons une instance pérenne, qui survive aux gouvernements, aux changements de ministres, au renouvellement des assemblées parlementaires, et qui puisse enfin s’inscrire dans la durée.
Je travaille sur ces questions depuis dix ans et je ne le sais que trop : faute d’impulsion politique, les volontés s’étiolent au sein des ministères, qui plus est quand ces derniers ne disposent pas des moyens nécessaires. J’en veux pour preuve divers témoignages : le ministère de la culture n’avance pas très vite pour la restitution des biens spoliés – j’y insiste, faute de moyens –, alors que le sujet fait consensus.
Qu’il s’agisse du Parlement ou du Gouvernement, le politique doit donc disposer d’un tel conseil, qui sera un outil d’aide à la réflexion : chaque fois qu’une demande est émise, il doit être éclairé par les bonnes expertises. Les spécialistes de la question doivent s’exprimer, dans une variété d’approches : outre les directions des musées, il faut entendre les historiens de l’art, les anthropologues ou encore les juristes.
À ce titre, je vous renvoie à l’excellent rapport de Michel Van Praët et du groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, réuni au sein de la Commission scientifique nationale des collections.
Il ne s’agit en aucun cas de privilégier une approche dogmatique, mais de mener une réflexion très approfondie, fondée sur un faisceau d’appréciations, pour apporter une réponse simple à chaque demande de restitution d’œuvres patrimonialisées. On évitera ainsi les réponses tous azimuts, ne concernant pas véritablement ce qui doit être considéré comme pouvant et devant revenir au pays d’origine.
En créant cet outil, nous voulons tout simplement permettre un travail de fond en continu. Je le répète, je l’ai vécu – je connais la qualité du travail mené par les représentants de l’institution muséale, et ils me pardonneront de le souligner : il y a eu beaucoup de résistances pour s’engager dans cette voie. On s’est souvent voilé la face. Or le vaste mouvement de restitution est là, devant nous, dans tous les pays européens qui ont un passé colonial.
Il faut regarder les choses en face et faire un travail de fond tranquillement, sereinement, pour éclairer le politique tout en respectant le principe d’inaliénabilité. Il faut étudier ces questions au cas par cas. Étant donné leur place dans l’histoire et dans la culture des pays, certains objets très symboliques doivent peut-être faire l’objet d’une loi d’exception.
Il me semble donc que nous sommes complètement d’accord quant au but à atteindre ; mais, pour notre part, nous retenons une autre méthode. Il s’agit notamment de se prémunir contre la tentation du fait du prince.
Pour la signature d’un contrat avec une filiale d’Alstom, François Mitterrand était allé en Corée du Sud au début des années 1980. À cette occasion, il avait rendu l’un des 297 manuscrits coréens détenus par la Bibliothèque nationale de France : vous imaginez le tollé que cette restitution a provoqué à l’époque.
Par la suite, Nicolas Sarkozy s’est vu reprocher de semblables faits du prince. Aujourd’hui, c’est au tour d’Emmanuel Macron : de telles critiques peuvent donc toucher tous les Présidents de la République. En ce sens, l’éclairage pérenne du conseil national de réflexion serait extrêmement utile !
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, il s’agit non pas de créer ce conseil, mais de le restituer… (Sourires.) En effet, une telle instance existait déjà par le passé !
Ce conseil est essentiel pour permettre un débat contradictoire, transparent et public – ce sont là trois critères fondamentaux pour apporter un éclairage sur ces œuvres – en garantissant une distanciation historique et en assurant l’information du Parlement.
Nous venons de voter l’article 2 ; néanmoins, nous aurions pu palabrer sur le choix du sabre. Pour ce qui concerne l’origine de cet objet, l’étude d’impact et l’exposé des motifs se contredisent. Il apparaît que ce sabre n’a jamais appartenu à Omar Tall : il a été offert par Faidherbe à son fils avant d’être repris par un autre général. Sa lame est française – modèle Montmorency, 1820, fabriqué en Haute-Alsace –, il a été donné par un général français et repris par un général français !
Est-ce vraiment ce qu’aurait choisi le Sénégal ? Je n’en suis pas sûr. D’ailleurs, quand on reprend le rapport Sarr-Savoy, on s’aperçoit que la demande vient non de la République du Sénégal, mais de la famille d’Omar Tall. Or le même rapport précise que les restitutions doivent relever de relations d’État à État. Il s’agit d’une clause forte, qui, manifestement, n’a pas été respectée en l’occurrence.
Un débat contradictoire et public, fondé sur des pièces, est donc bel et bien nécessaire, faute de quoi l’on en arrive à de telles décisions. Nous avons voté cet article à l’unanimité. Je ne le regrette pas. Mais on sent que l’on nous a un peu forcé la main : si le Sénégal avait pu choisir, il aurait sans doute préféré la bibliothèque d’Omar Tall, que les armées françaises ont également prise à Ségou. Ses 518 volumes, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France, sont extrêmement importants pour toute la tradition soufie de la confrérie Tijaniyya, dont Oumar Tall était le représentant !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Finalement, en la matière, deux constances se font face.
D’un côté, le Sénat déplore la suppression, par le projet de loi ASAP, de la Commission scientifique nationale des collections : nous en avons débattu dans cet hémicycle et, avec de nombreux membres de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly a regretté que l’on ait tout fait pour empêcher le fonctionnement de la CSNC, notamment en la privant de moyens.
De l’autre, quel que soit le ministre en poste, le ministère de la culture ne souhaite pas que cette commission fonctionne.
Madame la ministre, nous sommes là au cœur de nos divergences. Personnellement, je ne sais pas comment l’on mobilise des expertises sans une méthode, sans un cadre, sans un minimum de rigueur. En procédant au cas par cas, on n’échappe pas au fait du prince. Ce que Pierre Ouzoulias a dit au sujet du sabre l’illustre parfaitement : un peu d’expertise aurait certainement permis d’aborder la question autrement.
Sans le cadre commun que nous vous proposons avec constance, vous ne pourrez pas éviter le fait du prince. Catherine Morin-Desailly l’a rappelé à juste titre : tous les chefs d’État, tous les présidents, tous les princes de l’instant peuvent avoir cette tentation. Le chancelier de L’Hospital nous observe. (L’orateur désigne la statue de Michel de L’Hospital.) Depuis l’édit de Moulins, le patrimoine national n’est plus à la disposition du prince : il s’agit là d’un principe fondateur de notre nation.
Il faut s’opposer au fait du prince : nous nous y opposons avec force et avec constance !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, notre groupe va effectivement voter contre l’amendement du Gouvernement.
Nous avons retenu le dispositif proposé par Catherine Morin-Desailly, et pour cause : c’est le seul que nous ayons trouvé pour entraver un tant soit peu l’action du prince. Nous ne voulons pas, à l’avenir, être placés de nouveau dans la situation de contrainte où nous nous trouvons aujourd’hui.
Le présent texte – je le relève à mon tour – est un projet de loi de ratification, voire de régularisation. On demande au Parlement d’entériner juridiquement ce qui a été promis, voire, pour le fameux sabre, ce qui a déjà été accompli dans les faits.
Bien entendu, nous tous ici sommes attachés au caractère inaliénable des œuvres : il s’agit du patrimoine de la Nation !
À cet égard, nos positions sont aux antipodes l’une de l’autre. Vous estimez qu’il faut recourir à des projets de loi d’exception : très bien ! D’ailleurs, nous reviendrons sur ce point en débattant de l’intitulé du texte. Vous ajoutez qu’il faut juger au cas par cas. Mais, de notre côté, nous voulons une procédure encadrant l’action du prince.
Avec ce texte d’exception, vous ouvrez un champ infini de précédents. Max Brisson l’a dit : le président du Bénin a déjà déclaré que cette démarche était insuffisante. Déjà, cinq ou six autres pays africains demandent la restitution d’au moins 13 000 objets. Où va-t-on s’arrêter ?
L’an dernier, le Parlement belge a voté une résolution tendant à engager un dialogue avec la France au sujet des quelque 200 œuvres – sculptures et peintures, notamment de l’école de Rubens – saisies comme prises de guerre lors de la Révolution et de la période napoléonienne. Y a-t-il de bons et de mauvais tributs de guerre ?
Nous voulons poser un cadre : souffrez simplement que nous cherchions une procédure nous protégeant, pour l’avenir, contre la prolifération des lois d’exception. Notre patrimoine appartient au peuple français et il faut garantir son caractère inaliénable.
En commission, la proposition de Catherine Morin-Desailly a rallié une très large majorité, bien au-delà de nos appartenances partisanes respectives !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Ce débat est très intéressant ! Pour Mme la rapporteure, le conseil national de réflexion a vocation à donner un avis scientifique éclairé. D’ailleurs, il serait composé presque exclusivement de personnalités qualifiées se prononçant sur la provenance et la qualité des œuvres.
Or, pour vous, monsieur Retailleau, le rôle de ce conseil est d’empêcher le fait du prince…
M. Bruno Retailleau. De l’encadrer !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Ces deux visions sont parfaitement contradictoires.
Soit c’est une démarche scientifique d’analyse des œuvres ; soit c’est une procédure qui, comme vous le souhaitez, contraint le pouvoir exécutif…
M. Bruno Retailleau. À la transparence !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je ne porte pas de jugement de valeur : vous avez bien dit que ce conseil doit empêcher le fait du prince ! On voit bien toute l’ambiguïté de cette démarche.
M. Max Brisson. Que proposez-vous ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Pour notre part – je l’ai dit –, nous réaffirmons le caractère inaliénable des biens détenus par les musées français. Il faut suivre, projet de loi après projet de loi, une procédure dérogatoire – je n’aime pas le terme « loi d’exception ». Dès lors, chaque sujet est examiné de manière spécifique, suivant une procédure scientifique parfaitement définie.
Monsieur Ouzoulias, en l’occurrence, nous n’avons pas eu besoin de ce conseil pour obtenir une parfaite description des œuvres : le travail scientifique a été fait. La provenance du sabre d’El Hadj Omar Tall a été parfaitement établie. Toute son histoire a été décrite. De même, on connaît en détail le pillage du palais d’Abomey, auquel le roi Béhanzin avait mis le feu. Sur le plan scientifique, tout le monde a été parfaitement éclairé.
M. Max Brisson. Fixez une méthode !
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Enfin, cette affaire présente un aspect diplomatique, qui est au moins aussi important. Or les diplomates seraient complètement absents de ce conseil scientifique, alors qu’une telle démarche ne peut pas les laisser de côté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes donc bien en pleine ambiguïté !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la ministre, nous avons un désaccord, d’ailleurs pas tant sur le fond de vos propos que, plus globalement, sur la manière d’aborder ces questions.
Je ne parlerai pas du fait du prince – la formule peut être quelque peu blessante. Je dirai plutôt que deux logiques coexistent au sein de l’État et peuvent entrer en confrontation.
D’un côté, il y a votre logique, celle de l’administration de la culture : une logique patrimoniale que nous partageons non seulement au sein de notre commission, mais, assez largement, au Sénat. De l’autre, il y a la logique diplomatique dont vous avez parlé : une logique qui parfois interfère et entre en opposition – qui joue, en tout cas, un jeu différent.
Nous savons bien que ces restitutions, celles dont nous parlons comme les autres, antérieures ou à venir, donnent lieu, à un moment donné, à une confrontation au sein de l’État entre ces deux logiques. L’intérêt de ce conseil est précisément de participer à l’élaboration d’une décision interministérielle, qui équilibre les deux logiques et permette la prise en compte de chaque dimension.
Nul n’ignore la dimension diplomatique de ces restitutions ;…
M. Max Brisson. C’est pour l’instant la seule !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. … nul n’ignore non plus qu’elle est particulièrement importante pour la France dans le cadre de son dialogue avec l’Afrique. Reste que le choix des œuvres doit obéir aussi à une logique culturelle et patrimoniale.
Vous avez fait remarquer, à juste titre, que nous n’avions pas intégré dans le conseil un représentant du Quai d’Orsay. S’il ne s’agit que de cela, nous pouvons très probablement le faire. Au reste, l’approche interministérielle que nous souhaitons promouvoir à travers ce conseil en sera renforcée.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 8 est présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéas 3, 4 et 8
Remplacer les mots :
d’œuvres d’art extra-occidentales
par les mots :
de biens culturels extra-européens
II. - Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
œuvres d’art extra-occidentales
par les mots :
biens culturels extra-européens
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement, très simple, vise à clarifier deux termes : d’une part, il s’agit d’introduire la notion de biens culturels, reconnue par le droit du patrimoine en France ; d’autre part, de lever l’ambiguïté associée au qualificatif « occidental » – la Nouvelle-Zélande peut être considérée comme un pays occidental – en privilégiant une acception géographique limitée.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Thomas Dossus. Il est défendu.
M. le président. Le sous-amendement n° 10, présenté par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Alinéa 5, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et ne portent pas sur des restes humains
II. – Compléter cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :
et compléter cette phrase par les mots :
, hors restes humains
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Les amendements identiques nos 2 et 8 et l’amendement n° 6, très proches sur le fond, vont dans le sens des discussions constructives que nous avons menées en commission autour du rôle et du périmètre de cette nouvelle instance. Je remercie chacune et chacun d’avoir bien contribué à éclairer et à approfondir le débat jusqu’à ce soir.
La commission a jugé tout à fait approprié d’élargir le périmètre du conseil national à l’ensemble des cas extra-européens, plutôt qu’extra-occidentaux, afin de lui permettre de se prononcer sur les demandes qui pourraient émaner d’autres pays eux aussi précédemment colonisés : je pense à l’Amérique du Nord, à l’Australie ou encore à la Nouvelle-Zélande – je suis bien placée pour le dire.
En revanche, pour ne pas alourdir excessivement l’appellation du conseil, il nous semble préférable de faire référence à la notion de biens extra-européens, prévue par les amendements identiques nos 2 et 8, plutôt qu’à celle de biens originaires d’un État non membre de l’Union européenne, prévue par l’amendement n° 6, que Mme Lepage présentera dans quelques instants.
Élargir le périmètre du conseil national à l’ensemble des biens culturels présente l’avantage de lui donner compétence pour les demandes relatives à des objets, au-delà des œuvres d’art – je le concède volontiers ; en revanche, cela présente l’inconvénient d’élargir son périmètre à la question des restes humains, alors qu’un travail de fond a déjà été mené en la matière, aboutissant à un consensus scientifique. De là mon sous-amendement n° 10, tendant à exclure les restes humains du champ de compétence du conseil national.
La commission est favorable aux amendements identiques nos 2 et 8, sous réserve de l’adoption du sous-amendement.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mme Lepage, MM. Antiste, Assouline, Lozach et Magner, Mmes Monier et S. Robert, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 3, 4 et 8
Remplacer les mots :
d’œuvres d’art extra-occidentales
par les mots :
de biens culturels originaires d’un État non membre de l’Union européenne
II. – Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
œuvres d’art extra-occidentales
par les mots :
biens culturels originaires d’un État non membre de l’Union européenne
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement vise aussi à remplacer la notion « d’œuvres d’art » par celle de « biens culturels », pour les raisons qui ont été expliquées. Je conçois, madame la rapporteure, que l’expression « biens culturels originaires d’un État non membre de l’Union européenne » soit un peu lourde dans le titre du conseil… Je me rallie à votre avis et aux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Les deux amendements identiques et le sous-amendement visent des modifications terminologiques qui n’apportent pas véritablement de différences conceptuelles, maintenant que vous avez entériné la création de ce conseil.
La notion de « biens culturels », plus large que celle d’« œuvres d’art » est, en effet, inscrite dans le code du patrimoine.
S’agissant du remplacement du terme « extra-occidental » par « extra-européen », mon ministère, s’appuyant sur l’avis des spécialistes des musées concernés, conserve une préférence pour la première formule, comme le montrent les journées professionnelles et les séminaires de recherche qu’il organise, avec des musées nationaux ou l’Institut national d’histoire de l’art, dont les intitulés mentionnent bien : collections extra-occidentales ou art extra-occidental.
Vous ayant livré ces réflexions, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 8, modifiés.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 6 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Intitulé du projet de loi
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Brisson, Retailleau, Bonne et Cuypers, Mmes Bourrat, Berthet, Drexler, Bonfanti-Dossat et M. Mercier, M. Bazin, Mmes Goy-Chavent, Micouleau, Dumas et Deromedi, M. Lefèvre, Mme Chain-Larché, MM. Savin, J.M. Boyer, Mouiller, Duplomb, Vogel et Rapin, Mme de Cidrac, M. Courtial, Mmes Gruny et Eustache-Brinio, MM. Genet, Cardoux et Hugonet, Mme Deroche, M. Calvet, Mme Imbert, M. Piednoir, Mmes Di Folco et L. Darcos, MM. Regnard et Savary, Mme Joseph, M. Karoutchi, Mme Belrhiti, MM. de Legge et Bascher, Mme Lavarde, MM. Sido, Longuet, J.B. Blanc, Milon, Anglars, Belin et Sautarel, Mmes Schalck et Ventalon, MM. C. Vial et Mandelli, Mme Lherbier, MM. B. Fournier et Chevrollier, Mme Lopez et MM. Bonhomme, Laménie, Segouin, Gremillet, Bouchet et Husson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Projet de loi d’exception portant sur le transfert de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Nombre de sénateurs du groupe Les Républicains tiennent à modifier l’intitulé du projet de loi.
Comme je l’ai souligné dans la discussion générale, la Haute Assemblée doit rappeler avec force le caractère inaliénable des collections nationales. C’est la raison pour laquelle les auteurs de l’amendement proposent de qualifier ce texte de projet de loi d’exception.
Par ailleurs, le terme restitution continue de poser problème de notre point de vue. En effet, si le verbe latin restituere signifie « remettre à sa place, replacer, rendre », il n’en demeure pas moins que, en français, restituer désigne bien le fait de rendre une chose que l’on possède indûment – après le Gaffiot, je me réfère au Larousse –, ce qui véhicule incontestablement l’idée d’une faute à réparer.
Voilà pourquoi nous proposons d’employer le mot, plus neutre, de « transfert », qui exclut que la France porte une quelconque culpabilité.
Comme je sais que Mme la rapporteure s’apprête à nous suggérer deux rectifications, j’annonce que nous sommes tout à fait disposés à y faire droit… (MM. Bruno Retailleau et Jean-Raymond Hugonet applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Cet amendement vise à apporter une double modification à l’intitulé du projet de loi.
D’une part, il est proposé de le qualifier de projet de loi d’exception.
En l’absence de cadre général pour les restitutions, ce type de texte est, de toute façon, un texte d’exception : la règle applicable à nos collections reste l’inaliénabilité. C’est la raison pour laquelle nous sommes saisis de ce projet de loi. Au reste, grâce à la députée Constance Le Grip, les articles 1er et 2 prévoient déjà clairement que la sortie des biens revendiqués par le Bénin et le Sénégal est dérogatoire au principe d’inaliénabilité des collections.
Dans ces conditions, je ne crois pas utile de faire référence à l’exception dans l’intitulé du projet de loi.
D’autre part, les auteurs de l’amendement entendent substituer à la notion de restitution celle de transfert.
L’intitulé actuel s’inscrit dans la droite ligne des textes antérieurs : loi de 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud et loi de 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections. J’y vois donc une forme de continuité. Toutefois, je conçois que la question des restes humains et celle des objets soient tout à fait différentes. Par ailleurs, il est exact que le verbe « restituer » comporte, dans sa définition précise, l’idée d’une propriété illégitime.
Je ne suis pas enthousiasmée par le mot « transfert », même si je l’ai fait introduire aux articles 1er et 2, par souci de précision par rapport au verbe « remettre ». En effet, c’est un terme assez technocratique et peu signifiant ; surtout, il risque de ne pas parler aux populations concernées, nos amis béninois et sénégalais.
Nous pourrions tomber d’accord sur la notion de retour : ce serait une bonne façon de marquer que ces objets reviennent dans leur pays d’origine, sans que soit contestée leur propriété juridique, reconnue par le droit français comme par le droit international.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Les questions de terminologie sont d’autant plus intéressantes qu’on peut en débattre à l’infini – ce qui, nuitamment, a toujours un certain charme…
Quelque amour que j’éprouve pour le grec, je ne convoquerai pas les langues anciennes ; je ne suis d’ailleurs pas sûre que le mot « restitution » ait une grande importance. Comme je l’ai souligné deux fois dans la discussion générale, après l’avoir fait dans les débats parlementaires précédents, il s’agit d’être clair sur l’objectif du texte, sans que celui-ci constitue un acte de repentance.
Avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. Monsieur Brisson, acceptez-vous la demande de rectification de Mme la rapporteure ?
M. Max Brisson. Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir compris le sens de notre amendement, d’en avoir précisé l’esprit est d’avoir confirmé que le mot « restitution » comporte bien une charge morale.
Je rappelle qu’un examen attentif de ce qui était légal dans le contexte de l’époque disqualifie ce terme, sauf à appréhender le passé selon non pas une démarche historique fondée, mais une stricte et exclusive vision mémorielle moralisatrice.
Je consens à retirer la référence à l’exception.
Quant au terme « retour », compris comme un retour des objets sur leurs terres d’origine, il me paraît plus acceptable que « restitution ». Le mot « transfert », qui avait notre préférence, a été introduit, sur votre initiative, aux articles 1er et 2, pour remplacer à juste titre le verbe « remettre » : nous aurions pu l’employer une troisième fois, mais j’entends vos arguments, madame la rapporteure, et je respecte votre belle expertise sur ces questions.
Monsieur le président, j’accepte donc de rectifier notre amendement dans le sens demandé.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 1 rectifié quater, ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur Brisson, vous m’avez privé de ma declamatio : vous saviez que j’allais répondre au Larousse par le Gaffiot !
Il est seulement dommage que vous n’ayez pas lu la définition du Gaffiot jusqu’au bout… Car vous auriez appris que restituo est employé par Cicéron pour rapporter que le Sénat de la République romaine avait replacé à son emplacement d’origine la statue de Minerve emportée par la tempête. Or, en droit latin, une statue possède un caractère inaliénable, qui la distingue d’une marchandise.
C’est très exactement ce qui se passe avec les statues d’Abomey : ce sont d’abord des œuvres religieuses. D’ailleurs, dans le document signé le 18 novembre 1892 au palais d’Abomey, le colonel Dodds déclare au nom de la France : « Rien ne sera changé dans les coutumes et les institutions du pays, dont les mœurs seront respectées. »
Manifestement, il y a eu, quelque part, un manquement à la parole donnée. C’est pourquoi je préfère le verbe « restituer ».
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.
Mme Claudine Lepage. Je n’entrerai pas dans cette joute entre personnes très cultivées… Je remercie simplement Max Brisson d’avoir rectifié son amendement, parce que, dans sa rédaction initiale, nous n’aurions pas pu le voter. Ne serait-ce que parce que ce projet de loi, s’il est certes dérogatoire, n’est pas un texte d’exception.
Notre collègue rejette le terme « restitution », qui, dans son esprit, s’accompagne d’une forme de repentance, ce qu’il refuse absolument. Je l’admets, mais il ne s’agit pas de nier l’histoire telle qu’elle s’est passée, seulement de reconnaître une juste part de responsabilité. Il convient non pas de regarder l’histoire d’hier avec les yeux d’aujourd’hui, mais de légiférer pour aujourd’hui et demain.
Puisque le terme « retour » met tout le monde d’accord, et la notion d’exception ayant été supprimée, je souscris tout à fait à l’amendement rectifié.
M. le président. Pas tout à fait tout le monde, puisque M. Ouzoulias préfère « restitution »…
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je ne crois pas que ce débat soit accessoire, même nuitamment… Le terme « restitution » est lourd de sous-entendus : il emporte même la notion de spoliation, avec tout ce que cela véhicule en termes d’idéologie de la repentance.
Dans la discussion générale, madame la ministre, vous avez pris des précautions infinies pour expliquer que ce texte n’est pas un acte de repentance. Précisément : cet amendement nous offre l’occasion, en parlant de transfert ou de retour – je ne sais pas s’il s’agit de termes technocratiques –, de neutraliser l’idéologie de la repentance dont le terme initial est porteur !
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Quand les frontières se ferment, il faut que les œuvres de l’esprit continuent de voyager pour donner du sens à notre humanité commune. L’universalisme que nous invoquons depuis le début de cette discussion nous oblige à rendre accessibles ces biens culturels à l’ensemble des pays qui nous les demandent, et pas seulement à ceux qui ont les moyens financiers de les accueillir.
Ce devoir est d’autant plus impérieux quand il s’agit de les offrir à la contemplation des sociétés qui les ont réalisés et que nous en avons privées.
Je regrette vivement que ce débat ait été enfermé dans les limites juridiques étroites d’un texte consistant en des transferts de propriété. Il eût été utile de nous interroger sur la validité, presque morale, d’un acte de propriété sur des œuvres qui n’ont cessé de passer de main en main et de traverser les frontières et les époques.
Pour reprendre l’exemple des chevaux de Saint-Marc, que valent les droits de leurs derniers propriétaires, alors qu’ils témoignent aussi du génie grec, de la capacité de la Renaissance constantinienne à fonder un nouvel empire sur les bases de l’Antiquité finissante et, finalement, du lien jeté entre l’Orient et l’Occident par la République de Venise ?
Les œuvres qui nous intéressent ce soir ont été juridiquement incorporées dans les collections nationales françaises, ce qui justifie notre débat sur ce texte. Néanmoins, elles participent surtout de l’expression du génie humain. À ce titre, la France n’en est que l’ultime dépositaire : ce statut lui donne sans doute des droits, mais lui confère aussi des devoirs envers celles et ceux qui n’y ont pas accès, en particulier les populations auxquelles nous les avons arrachées.
Si notre pays continue de défendre l’universalisme du patrimoine mondial et des musées, il ne peut continuer à opposer cette conception aux légitimes demandes de partage. Nous devons abandonner cette position strictement défensive et nous engager dans une politique qui favorise les échanges et la circulation de toutes les œuvres !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 16 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Je remercie l’ensemble des orateurs pour leur contribution à ce débat riche et complexe.
Six mois après le vote à l’unanimité, ici même, du projet de loi de restitution des têtes maories, puis son adoption définitive par l’Assemblée nationale, une très belle cérémonie s’est tenue au musée du quai Branly, en présence du ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, et de l’ensemble des parties prenantes, pour solenniser ce geste extrêmement fort et symbolique de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.
Un an plus tard, mes chers collègues, c’est le groupe d’amitié France-Nouvelle-Zélande du Sénat qui, à l’invitation du gouvernement néo-zélandais, a accompagné le retour des vingt et une têtes maories en terre maorie. Loin d’être la fin d’une aventure, ce déplacement a marqué le début d’un nouveau dialogue et d’une nouvelle coopération, aujourd’hui intenses et qui, bien au-delà de la diplomatie, ont considérablement renforcé les liens d’amitié entre les institutions des deux pays.
Avec le Sénégal et le Bénin, nous avons un travail formidable de coopération et de partage à mener, à partir des textes que nous avons votés. Tout commence ce soir ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je me réjouis que ce projet de loi, annoncé par le président Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou et destiné à renforcer nos liens de coopération avec les pays africains, spécialement le Sénégal et le Bénin, ait été voté à l’unanimité.
Ce texte compliqué a donné lieu à un débat riche sur la proposition d’un conseil. Mais le cœur du projet de loi, c’est la volonté politique forte d’entamer une nouvelle ère de coopération en rendant aux pays africains – en leur retournant, si vous préférez… – le sabre d’El Hadj Omar Tall et les vingt-six objets issus du sac du palais d’Abomey.
C’est pour moi une grande satisfaction que ce texte, qui a suscité bien des interrogations, ait été voté à l’unanimité par le Sénat, après l’avoir été par l’Assemblée nationale ! (Applaudissements.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 5 novembre 2020 :
À neuf heures trente :
Quarante-deux questions orales.
À dix-neuf heures :
Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3495), discussion générale.
Le soir :
Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3495), discussion des articles.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Laurent Lafon, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Jean-François Rapin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sylvie Robert et M. Julien Bargeton ;
Suppléants : MM. Max Brisson, Olivier Paccaud, Jean-Raymond Hugonet, Jean Hingray, Mme Claudine Lepage, MM. Bernard Fialaire et Pierre Ouzoulias.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER