PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Prorogation de l’état d’urgence sanitaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (projet n° 74, texte de la commission n° 79, rapport n° 78).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que les candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente devant vous, alors que vous venez de vous prononcer sur la déclaration que le Premier ministre a faite au nom du Gouvernement concernant l’évolution de la situation sanitaire, dans un contexte que je sais particulier.
Je ne saurais commencer mon propos sans avoir une pensée émue, alors que trois de nos compatriotes ont été assassinés, aujourd’hui, et que notre pays a été une fois encore victime d’attaques terroristes islamistes. Ces actes terroristes ont pris pour cibles, sur notre territoire, certains de nos concitoyens qui souhaitaient exercer librement leur culte, dans une ville déjà meurtrie par un attentat ; ils ont également porté contre un vigile qui assurait la protection de notre représentation consulaire à Jeddah, en Arabie Saoudite. Les Français et la France sont clairement attaqués.
Le Président de la République l’a dit, à Nice, il y a quelques heures : cet attentat ignoble, cette attaque aussi lâche que barbare, endeuille notre nation tout entière et appelle une réponse ferme et implacable du Gouvernement. Immédiatement, le plan Vigipirate a été relevé au niveau « alerte attentat ». L’opération Sentinelle déploiera quatre mille militaires supplémentaires sur l’ensemble du territoire dans les prochains jours. Un conseil de défense se réunira, demain, pour prendre toutes les mesures qui s’imposent.
La France fait donc face à une menace sécuritaire réelle, avérée et malheureusement à nouveau réalisée. S’y ajoute une autre menace, sanitaire, qui me conduit précisément devant vous, cet après-midi. Elle n’est pas idéologique. Elle appelle une réponse non seulement de l’État, mais aussi de chacun d’entre nous. C’est pourquoi, pour la deuxième fois depuis le début de l’année 2020, un confinement a été décidé face à un virus qui circule à nouveau de manière trop active, et qui nous fait craindre le pire.
La Nation tout entière est appelée une fois encore à faire bloc pour protéger les plus vulnérables, dont nos aînés, bien sûr, mais aussi tout un chacun, car ce virus peut également frapper les plus jeunes ; pour protéger les soignants aussi, parce que, malgré la fatigue accumulée ces derniers mois, vous savez qu’ils sont pleinement mobilisés.
Ce deuxième confinement ne saurait être comparé au premier. Il s’en distingue par bien des aspects. À titre d’exemple, le choix de ne pas fermer nos crèches, nos écoles, nos collèges et nos lycées traduit l’équilibre si fragile et si précieux que nous devons chercher à atteindre. Les efforts demandés aux Français sont très importants : le Gouvernement en a conscience et mesure les sacrifices individuels et collectifs auxquels nous nous préparons : ils sont indispensables pour sauver des vies.
La situation est peu commune. Il y a deux semaines, le Gouvernement vous présentait un texte visant à prolonger les mesures dérogatoires pour accompagner la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Ce texte n’aura pas atteint le terme de son parcours, interrompu après que le Président de la République a pris un décret en conseil des ministres pour instaurer à nouveau l’état d’urgence sanitaire dans notre pays.
Il n’aura échappé à personne que, depuis le mois d’août, l’Europe est confrontée à une recrudescence du nombre des contaminations à la covid-19. Particulièrement meurtrière, l’épidémie a déjà causé le décès de plus de 250 000 personnes, dont près de 35 000 dans notre pays.
Conformément à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois nécessite une autorisation du législateur : c’est l’objet principal du projet de loi que je vous présente aujourd’hui.
En effet, l’évolution de la situation sanitaire et les effets différés de la circulation du virus sur le système de santé rendent indispensable une prorogation au-delà du 17 novembre. Une divergence existe sur la date, puisque la commission des lois du Sénat a privilégié celle du 31 janvier là où le Gouvernement avait inscrit le 16 février.
Autre désaccord, le projet de loi prévoit, à l’article 2, de proroger le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021, en vue de disposer de facultés d’intervention lorsque l’état d’urgence sera levé. La commission des lois n’a pas retenu cet article et le Gouvernement le regrette.
Il est pourtant indispensable de proroger ce régime dérogatoire et transitoire, si l’on veut éviter toute rupture brutale des mesures barrières en sortie d’état d’urgence sanitaire. À défaut, et sauf à ce que l’épidémie présente une gravité telle qu’elle justifie de prolonger encore l’état d’urgence, nous ne disposerons d’aucun moyen d’action, dès lors que ce régime expirera, c’est-à-dire demain, vendredi 30 octobre 2020, conformément à l’article 1er de la loi du 9 juillet dernier.
La date du 1er avril 2021 nous paraît, en outre, cohérente avec la clause de caducité que le Parlement a lui-même voulue pour le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire. Cette échéance permettra de consacrer la future réforme relative à la mise en place d’un dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire, sans que le débat de fond soit suspendu par la nécessité d’une nouvelle prorogation des mesures transitoires.
Parce que nous disposons de systèmes d’information importants pour suivre et gérer efficacement l’évolution de la situation sanitaire, l’article 3 autorisera la mise en œuvre de systèmes dédiés à l’épidémie de la covid-19 pour une durée correspondant à la période de l’état d’urgence sanitaire et du régime transitoire.
À ce sujet, je salue le travail mené par le Sénat dans le cadre de l’examen du précédent projet de loi. En effet, la finalité d’accompagnement social mentionnée dès le texte initial pour reconnaître juridiquement l’action des organismes qui assurent une importante mission d’accompagnement social des personnes touchées par l’épidémie, comme les centres communaux d’action sociale, est un atout majeur issu d’une des propositions des sénateurs.
Enfin, à l’article 4, le projet de loi prévoyait plusieurs habilitations pour rétablir ou prolonger les dispositions de certaines ordonnances prises sur le fondement des lois du 23 mars et du 17 juin 2020, ou sur celui de dispositions législatives récentes, précisément identifiées.
Cet article tire les conséquences du débat parlementaire qui s’est ouvert lors de la première lecture du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Plusieurs sénateurs avaient alors déposé des amendements visant à proroger les mesures d’incitation et de protection de la population. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, dans le présent texte, de proposer au Parlement de proroger un ensemble de dispositifs, à l’instar de ce que vous aviez accepté au moment de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire. Cette habilitation permettra, en tant que de besoin – j’insiste sur cette modération –, de rétablir et d’adapter à l’état de la situation sanitaire du moment ainsi qu’aux règles de police sanitaire, les mesures d’accompagnement qui avaient été conçues à partir de mars dernier.
En commission, les députés ont adopté un amendement tendant à réduire le délai pour prendre les ordonnances au 16 février, date de la fin d’état d’urgence sanitaire et non pas, comme l’avait prévu le Gouvernement, au 1er avril, date de la fin du régime transitoire. En séance, un amendement de compromis a été trouvé sur les consultations obligatoires. Pour pouvoir intervenir rapidement et en toute sécurité juridique, nous avons proposé de maintenir l’absence de consultation obligatoire en amont des ordonnances, au moins pour celles qui interviendront dans les premières semaines d’application de la loi.
En séance, samedi dernier, le Gouvernement a proposé de compléter ces mesures d’accompagnement transitoire qui nous paraissent indispensables pour limiter les conséquences de la reprise de l’épidémie.
Nous prenons acte des modifications qui sont intervenues lors de l’examen du texte par la commission des lois. Certaines d’entre elles posent des questions techniques ; d’autres, plus politiques. Si nous pouvons partager l’esprit de certaines initiatives, d’autres soulèvent de vraies difficultés. En tout état de cause, le Gouvernement considère que ces modifications ponctuelles ne justifient pas de supprimer ou de restreindre significativement les dispositions de l’article 4, telles que les a adoptées l’Assemblée nationale, dès lors que l’évolution très rapide de la situation et le renforcement des mesures de police sanitaire vont appeler la réactivation d’autres mesures d’accompagnement, dans les prochaines semaines.
Par conséquent, nous avons souhaité déposer des amendements sur les seuls éléments que nous considérons comme des lignes de crête pour garantir l’équilibre de ce projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de la pandémie, le Sénat a su se montrer exigeant et responsable pour relever ce défi historique. Le virus n’épargne aucun territoire : dans l’Hexagone comme en outre-mer, tous nos concitoyens sont menacés. Nous nous préparons à un choc très important dans les jours qui viennent. Il faut le dire, et le Président de la République a été très clair dans son discours, hier soir. Nos soignants sont déjà sur le front et le pays tout entier doit être à nouveau à leurs côtés. De l’exigence, de la responsabilité, aucun élu n’en a manqué et tous seront au rendez-vous. Ce texte est aussi l’occasion de le rappeler.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la gravité de la situation épidémique dans notre pays, justifie à l’évidence que nous ayons ce débat sur les moyens qui doivent être mobilisés pour faire face au défi de la propagation du covid-19.
À l’évidence aussi, nous avons du mal à suivre les événements. Il y a quinze jours, nous discutions, ici, d’un projet de loi relatif à la prorogation du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Ce texte a vu sa discussion interrompue, car dans le même temps l’épidémie galopait et le Gouvernement décidait de rétablir l’état d’urgence sanitaire, et non plus le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Il assortissait sa décision de la mise en œuvre, notamment, de couvre-feux territorialisés, qui n’ont cessé depuis lors de s’étendre. Le Président de la République a annoncé hier qu’il était de nouveau dépassé par la dynamique des contaminations et il a décidé que cet état d’urgence sanitaire, dont la prorogation était inscrite à l’ordre du jour du Parlement, soit lui-même accentué très fortement par le rétablissement du confinement, même si le confinement mis en œuvre n’est pas le même que celui de mars dernier.
Pour ne prendre qu’un exemple, les professeurs et les élèves des écoles continueront respectivement à assurer la mission d’enseignement et à assister à cet enseignement. Il n’en reste pas moins vrai que, de la prorogation avortée du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire au confinement, nous avons vu en quelques semaines les pouvoirs publics condamnés à surenchérir dans les restrictions apportées aux libertés, compte tenu de cette inflation des cas de covid-19. Rarement on aura vu en quinze jours un assaillant faire reculer à ce point les limites de l’action publique.
Nous sommes donc revenus, en quelque sorte, à la situation du 15 mars 2020, mais, à cette date, chacun pouvait constater que le confinement était la sanction de l’impréparation de la France au risque épidémique, puisqu’il n’y avait pas d’autre moyen de lutter contre le covid-19 que d’en venir à cette mesure extrême pour les libertés individuelles et pour les libertés publiques : ni masques, ni tests de dépistage, ni accès généralisé aux gels hydroalcooliques, ni apprentissage par nos concitoyens – et nous-mêmes ! – des distances physiques nécessaires pour se protéger, ni organisation du travail, ni télétravail, ni adaptation des transports publics et, surtout, aucun système d’information nationale permettant, à partir des dépistages, d’identifier les personnes en contact avec des personnes dépistées positives, et donc porteuses du virus.
Le confinement généralisé était donc la sanction de cette impréparation de notre pays. Je ne le dis pas pour accabler les pouvoirs publics ; je le dis parce que c’est un constat de fait. Même si nous n’avons pas le monopole de cette impréparation, il faut bien reconnaître que c’est une situation de fait à laquelle il a fallu faire face : nous n’avons pas marchandé au Gouvernement, à ce moment-là, les moyens d’action qu’il nous réclamait. Madame la ministre, mes chers collègues, si le confinement était la sanction de cette impréparation, on peut se demander de quoi le reconfinement est la sanction.
Le reconfinement est la sanction d’un échec, dont je veux bien admettre la dimension collective, mais c’est aussi nécessairement l’échec du Gouvernement et des autorités sanitaires de notre pays.
Cette situation est pour nous un constat qui appelle, dans notre réaction, l’exigence d’un esprit de responsabilité. Notre responsabilité n’est pas de faire votre procès : il y a pour cela des commissions d’enquête qui continuent leur travail.
M. Bernard Jomier. Nous faisons une enquête, pas un procès !
M. Philippe Bas, rapporteur. Non, notre responsabilité, c’est de vous attribuer les pouvoirs nécessaires pour faire face à ce regain de la crise sanitaire, ici et maintenant, quel que soit l’enchaînement des causes et des effets qui a produit cette situation dramatique pour notre pays.
Il appartient maintenant au Gouvernement, si nous lui consentons ces nouveaux pouvoirs, de les utiliser efficacement, et sans doute davantage que cela n’a été le cas pour la mobilisation de tous les instruments qui ont été développés depuis la fin du premier confinement.
Pour autant, si je vous propose de donner au Gouvernement les moyens d’action dont il a besoin, nous ne pouvons lui accorder un blanc-seing, et nous le pouvons moins encore qu’au mois de mars dernier, compte tenu de ce que nous avons vécu, de ce que les Français ont vécu au cours de ces dix derniers mois. C’est la raison pour laquelle il me semble que cet esprit de responsabilité, dont nous pourrons faire preuve une fois encore – sans vouloir préjuger votre vote, mes chers collègues –, doit avoir pour corollaire un esprit de vigilance.
Premièrement, le Parlement doit resserrer son contrôle. Nous n’admettons pas que vous puissiez, jusqu’au 1er avril prochain, user de pouvoirs spéciaux sans jamais avoir besoin de revenir devant le Parlement.
À partir du moment où on en est arrivé à franchir ce palier, que tout le monde voulait éviter, le Président de la République le premier, à savoir le reconfinement, et donc la mise entre parenthèses des libertés les plus fondamentales de nos concitoyens, le contrôle du Parlement doit être simultanément renforcé. Plus les droits des Français sont mis en cause, plus le Parlement doit être présent pour contrôler les pouvoirs qui sont mis en œuvre par le Gouvernement. Donc non, il n’est pas question de vous laisser ces pouvoirs jusqu’au 1er avril prochain sans que le Parlement se prononce.
Nous allons vous proposer de ramener au 31 janvier la durée de l’état d’urgence sanitaire qui pourra être mis en œuvre sans vote du Parlement. Nous allons vous proposer aussi, puisque confinement il y a, ce qui n’était pas le cas lorsque nous avons examiné le texte du projet de loi en commission, de modifier le régime de l’état d’urgence sanitaire pour dire : oui, il y a état d’urgence sanitaire, mais, en plus, il y a confinement et, sur ce point particulier, nous voulons que le Gouvernement revienne devant le Parlement d’ici au 8 décembre s’il devait décider une prolongation. En effet, il n’est pas concevable que les Français puissent être confinés pendant les fêtes de fin d’année sans que la représentation nationale, c’est-à-dire la représentation de tous les Français dans leur diversité, ait été amenée à prendre ses responsabilités. C’est trop grave !
Deuxièmement, nous ne voulons pas vous donner non plus un blanc-seing en multipliant les ordonnances par des habilitations législatives, qui plus est d’un flou sans précédent. Nous ne pouvons pas accepter cela ! Par conséquent, sur les 70 habilitations proposées par le Gouvernement, nous avons réussi à n’en retenir que 30, tout en les restreignant. Dans certains cas, nous les avons écartées purement et simplement ; dans d’autres cas, nous avons inscrit dans la loi les règles que le Gouvernement voulait édicter seul ; dans le reste des cas, nous prévoyons de lui consentir ces habilitations.
Voilà ce qu’est la vigilance ; voilà ce qu’est la responsabilité. C’est ainsi que j’ai abordé ce travail de rapporteur, et que je vous propose d’aborder ce débat ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, savez-vous pourquoi on évoque une deuxième vague de l’épidémie ? Parce qu’il y en a eu une première, pardi ! Une première, et vous n’en avez rien appris : neuf mois et 35 785 morts plus tard, vous nous imposez une nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire, piétinant allègrement le Parlement, l’État de droit et les libertés économiques et individuelles des Français. Votre mode de gouvernement, c’est la réaction plutôt que l’anticipation. Tel le hamster dans sa roue, vous ne cessez de courir derrière un virus que, décidément, vous n’arrivez jamais à rattraper. Vous courez, mais ce sont les Français qui sont fatigués, et ce sont les Français que vous mettez en cage.
Plus de neuf mois après avoir été informés par vos prédécesseurs de l’arrivée en France de la covid-19, nos compatriotes sont aussi dépourvus en moyens qu’au début de l’année. Pendant ce temps, nos voisins italiens, dès le mois de mars, ont recruté 20 000 soignants, soit 5 000 médecins spécialisés, 10 000 infirmiers et 5 000 aides-soignantes. Ils ont même prévu de recruter leurs médecins à la retraite. Le nombre de lits en soins intensifs a été augmenté de 50 %. Comme quoi, c’est possible !
Qu’avez-vous prévu, vous, de structurel et de durable pour nos hôpitaux saturés ? Le rapport du général Lizurey sur le bilan de la gestion printanière répond à cette question, et c’est un implacable réquisitoire. Pour mémoire, et à toutes fins utiles, je rappelle qu’un certain Jean Castex a été le directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère des solidarités et de la cohésion sociale, de 2005 à 2006, et qu’à ce titre il est l’un des pères de la loi Hôpital, qui introduit la notion d’objectifs et de rentabilité dans la gestion hospitalière. Il est ensuite directeur de cabinet de Xavier Bertrand au ministère de la santé pendant deux ans, puis conseiller chargé des affaires sociales de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Il est donc l’un des principaux artisans de la politique hospitalière, ou plutôt anti-hospitalière, de 2005 à 2012. Résultat : les opérations sont déprogrammées et des patients mis en danger ; notre tissu économique se déchire ; les droits du Parlement reculent ; notre démocratie et nos libertés publiques sont menacées. N’en jetez plus, madame la ministre, la coupe est pleine, vraiment pleine !
Vous accorder tout pouvoir sans contrôle jusqu’au 1er avril est inacceptable. Je refuse quant à moi de cautionner votre coup de force, conséquence de votre état de faiblesse. Le Parlement, le Sénat en tout cas, n’est pas une chambre d’enregistrement des dérives autoritaires de l’exécutif.
Enfin, pour couronner le tout, le ministre de la justice, dans la situation explosive que nous subissons, demande des alternatives à l’incarcération pour faire face à la densité carcérale en contexte épidémique et, tel un vulgaire préfet de police de Paris, le président de l’Assemblée nationale culpabilise à son tour les Français, en les rendant d’ores et déjà responsables de leur possible contamination. M. Ferrand est non plus au perchoir, mais perché au sommet de l’indécence.
La coupe est vraiment pleine, madame la ministre !
Au bilan sanitaire désastreux qui est le vôtre est venue s’ajouter la perquisition du domicile du ministre de la santé dans le cadre d’une information judiciaire sur la gestion de la crise. Est-ce la raison qui explique son absence devant la représentation nationale, une absence qui s’apparente à un véritable mépris de notre assemblée ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Stéphane Ravier. Je conclus en une phrase : c’est non pas la prorogation de l’état d’urgence sanitaire que nous attendions du ministre de la santé, mais sa démission.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France et la vaste majorité des pays du monde font face à la crise sanitaire la plus importante de ce siècle. En mars dernier, le Gouvernement a pris la décision d’instaurer l’état d’urgence sanitaire. Le pays fut confiné, avec pour conséquence une détérioration de la condition sociale et économique de nos concitoyens. Après une brève accalmie, nous devons nous rendre à l’évidence : depuis le début du mois de septembre, la France est confrontée à une dégradation de sa situation épidémiologique ; la deuxième vague est là !
Madame la ministre, nous sommes pleinement conscients de la gravité de cette crise sanitaire et des difficultés qu’engendre sa gestion. Depuis plus de sept mois, les pouvoirs publics et les comités scientifiques naviguent à vue. Cette situation dramatique nous oblige, en tant qu’élus de la Nation, à l’humilité et à la responsabilité.
Pour autant, les réponses à cette crise sanitaire majeure ne doivent pas être fondées sur l’affaiblissement du Parlement et l’infantilisation de la population. Cette crise appelle, au contraire, à plus de clarté et de démocratie, à plus de cohésion sociale pour bénéficier d’un soutien permanent de nos concitoyens, déjà lourdement éprouvés par la situation du pays. Il y a bien sûr nécessité d’agir pour enrayer l’épidémie, mais l’état d’urgence sanitaire, tel qu’il a été voté le 23 mars dernier, n’est pas satisfaisant, et a conduit à une gestion de crise désordonnée et autoritaire.
Désordonnée, car la multiplication des mesures liberticides n’a pas été utile pour prévenir la deuxième vague. Autoritaire, puisque le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est lui-même inquiété d’un risque d’accoutumance au renouvellement sans fin des mesures de contrôle.
La nouvelle Défenseure des droits, Claire Hédon, a également exprimé son inquiétude face à ces nouvelles restrictions des libertés publiques.
M. Philippe Bas, rapporteur. Eh oui !
M. Guy Benarroche. En outre, la confusion qui ressortait des prises de parole de l’exécutif, notamment sur l’utilité du port du masque, mais pas seulement, a gravement nui à la compréhension des mesures. La confiance des Français à l’égard du pouvoir exécutif s’en est trouvée visiblement amoindrie.
Or vous nous demandez aujourd’hui de déposséder le Parlement de ses prérogatives afin que le Gouvernement puisse prononcer seul toutes les mesures liberticides qu’il juge utiles, et ce pour une durée de plusieurs mois. Nous ne pouvons tolérer que la représentation nationale soit ainsi écartée du processus décisionnel !
Sur le sujet si grave de la pandémie, l’unique recours aux ordonnances est inacceptable. Députés et sénateurs ont été pleinement mobilisés ces derniers mois et travaillent sans relâche pour apporter des réponses à cette crise. Les laisser de côté dans cette épreuve revient à affaiblir notre démocratie et à nier le principe de séparation des pouvoirs.
Enfin, des incertitudes demeurent quant aux choix de gestion de ces dernières semaines. Tandis que les milieux de la culture, de l’événementiel et de l’hôtellerie-restauration, ainsi que les commerçants et les artisans étaient durement touchés par les mesures de restriction, les centres commerciaux restaient très peu contraints face à l’impératif de santé publique.
Il importe d’amplifier le recours au télétravail, dont la pratique demeure marginale, alors que près d’un quart des foyers de contamination sont situés en milieu professionnel.
J’ajoute que le soutien est clairement lacunaire pour une frange de la population tombée dans une précarité absolue. Une étude de l’ONG Médecins sans frontières a révélé qu’une personne en grande précarité sur deux a été infectée par le covid-19 en Île-de-France.
Madame la ministre, l’exécutif ne doit pas rester sourd aux alertes du monde associatif. L’attention aux plus démunis doit être au centre de nos priorités. Sans intervention forte des pouvoirs publics, les nouvelles mesures de restriction ne feront que creuser les inégalités sociales. La crise sanitaire a déjà fait basculer un million de Français dans l’impécuniosité. Ces nouveaux pauvres s’ajoutent aux 9,3 millions de Français vivant au-dessous du seuil de pauvreté.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. Les parlementaires de l’opposition, depuis le début de la crise, demandent le renforcement des aides au logement, ainsi que la gratuité des masques : en vain !
Madame la ministre, nous ne prendrons jamais l’habitude des pandémies, mais nous devons prendre l’habitude de les traiter d’une façon plus transparente, plus collaborative, plus constructive, plus républicaine. Vivre avec le virus signifie…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Guy Benarroche. … appliquer, dans les situations difficiles, les principes démocratiques et républicains qui régissent notre modèle et les améliorer, non pas y renoncer.