M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, contre la motion.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, dans un ouvrage remarquable de concision et de précision paru voilà vingt ans, intitulé Richesse et pauvreté des nations, l’historien anglophone David S. Landes avait remarquablement démontré – il n’était certes pas le premier – l’existence d’un lien quasi automatique entre l’innovation et la prospérité. (M. David Assouline s’exclame.)
Les nations qui ont dominé leur temps et leur monde ont presque toujours été celles qui ont maîtrisé la modernité, la technicité.
« Celui qui voit loin va loin », dit un vieux dicton picard. Aussi, nous le savons tous, la recherche doit être une priorité. Elle l’est souvent dans les discours, elle doit le devenir dans les actes. Ce projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 en donne l’occasion.
Dans sa motion tendant à opposer la question préalable, notre collègue Céline Brulin dénonce une « profonde inadéquation entre les ambitions nécessaires et l’insincérité manifeste du contenu de la loi de programmation ». À juste titre.
Les travaux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, saisie au fond, ainsi que des deux commissions, celles des affaires économiques et des finances, saisies pour avis, ont effectivement pointé un effort budgétaire insuffisant et une trajectoire peu crédible de ce projet de loi, malgré les effets d’annonce du Gouvernement.
La trajectoire budgétaire prévue initialement s’étendait sur dix ans pour atteindre, à terme, un supplément annuel de 5 milliards d’euros, mais nos rapporteurs ont relevé qu’elle ne tenait pas compte de l’inflation. La commission des finances – je salue la brillante démonstration de mon ami nordiste Jean-François Rapin – a établi qu’en euros constants, c’est-à-dire une fois neutralisés les effets de l’inflation, la hausse prévue à l’horizon 2030 par la loi de programmation serait environ quatre à cinq fois inférieure à ce qui était annoncé. Cela revenait seulement à stabiliser la part des dépenses de recherche dans le PIB.
Par ailleurs, il n’y a jamais eu précédemment de trajectoire fixée sur dix ans. Cette durée inhabituellement longue, comme l’a souligné le Conseil d’État, l’exposait à des aléas aussi bien politiques qu’économiques, et faisait reposer la plus grande part de l’effort budgétaire sur l’après-quinquennat.
Le tour de passe-passe est très grossier ! Céline Brulin a parlé de « malhonnêteté intellectuelle » ; je n’irai pas aussi loin, mais tout de même…
Dans ces conditions, l’effort budgétaire proposé ne pouvait permettre d’atteindre l’objectif de Lisbonne de 1 % du PIB en faveur de la recherche publique, ce qui a été confirmé par les projections des plus grandes instances scientifiques de ce pays.
Notre groupe partage donc le constat figurant dans la motion sur le manque de crédibilité de la programmation proposée par le Gouvernement.
Cependant, ce n’est pas ce texte que nous examinons aujourd’hui.
La commission de la culture, ainsi que les deux commissions saisies pour avis, ont modifié la trajectoire budgétaire prévue. Elles ont limité sa durée à sept ans et concentré l’effort sur les premières années.
Ainsi, elles ont prévu pour 2021 et 2022 des marches successives de 1,1 milliard d’euros à destination des programmes de recherche, soit un abondement de 3,3 milliards d’euros sur deux ans. Le projet initial prévoyait, quant à lui, une hausse moyenne de 450 millions d’euros sur les deux premières années.
Ce coup d’accélérateur est indispensable : nous sommes passés en matière de recherche et développement de la quatrième à la douzième place des pays de l’OCDE entre le début des années 1990 et aujourd’hui. Nous ne saurions en être fiers !
Notre effort public de recherche est passé, dans le même temps, de près de 1 % du PIB à moins de 0,8 %. Or de nombreux pays européens ont déjà atteint l’objectif de Lisbonne. La bataille économique se joue, aujourd’hui plus que jamais, sur le terrain scientifique et technologique. Faire de la recherche l’une des variables d’ajustement budgétaire est un non-sens, et même une faute politique !
Le texte issu des travaux de nos commissions renoue donc avec l’ambition légitime qu’aurait dû avoir ce projet de loi. Tout d’abord sur le plan financier, comme je viens de l’indiquer, mais également par diverses dispositions visant à améliorer notre système de recherche. Car, si ce texte est dépourvu de grandes mesures structurelles, il aborde des questions concernant directement les chercheurs et les enseignants-chercheurs, telles que leur recrutement, le fonctionnement des organismes de recherche ou les relations avec le secteur privé.
Sur chacun de ces thèmes, la commission de la culture, dont la position était très attendue par la communauté scientifique – nous avons en effet tous reçu un nombre impressionnant de méls –, a proposé diverses avancées par rapport au texte initial. Je tiens, à cet égard, à saluer notre rapporteure Laure Darcos de la qualité de son travail, son écoute constante et son enthousiasme souriant.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Olivier Paccaud. La commission s’est attachée à apporter davantage de protection aux doctorants et postdoctorants, afin que les nouveaux contrats créés par le projet de loi soient réellement attractifs – on peut toujours faire mieux, il est vrai…
Elle a amélioré la situation des chercheuses – je fais ici un clin d’œil à mon ami Stéphane Piednoir –, consolidé l’évaluation de la recherche, introduit un volet territorial afin que nos collectivités puissent être associées aux problématiques de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce sont des enjeux importants, et seule la poursuite de l’examen de ce projet de loi permettra leur concrétisation.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de rejeter le texte insuffisant, inabouti, du Gouvernement. Je ne veux surtout pas être trop critique ou cruel envers vous, madame la ministre, car nous connaissons tous votre attachement à la recherche et votre volonté de bien faire. Vous faites de votre mieux dans le cadre imposé par Bercy, et nous le savons. Il s’agit de consolider le texte issu de nos travaux en prévision d’une lecture commune avec les députés.
Ainsi, parce que ce projet de loi fixe une trajectoire budgétaire plus ambitieuse et encadre des initiatives favorables au développement de la recherche, nous voterons contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laure Darcos, rapporteure. Les auteurs de cette motion relèvent à juste titre les faiblesses du projet de loi : un calendrier d’examen accéléré, une présentation budgétaire difficilement lisible, une trajectoire manquant de sincérité. Cependant, le caractère quelque peu exagéré et sans nuance du constat dressé doit aussi être souligné.
L’engagement budgétaire contenu dans ce projet de loi mérite d’être salué, en ce qu’il rompt avec deux décennies de sous-investissement public chronique dans la recherche. Il constitue en cela un changement de cap important.
La commission a toutefois décidé de ramener la durée de la programmation à sept ans, au lieu des dix ans retenus par le Gouvernement, pour construire une trajectoire budgétaire plus crédible et plus efficace. Ce faisant, il s’agit d’envoyer un signal fort à la communauté de la recherche, en attendant une véritable ambition pour ce secteur.
Il y a donc tout lieu d’entamer la discussion de ce projet de loi ainsi modifié par la commission. Si nous adoptions la motion, en revanche, nous pourrions tous rentrer chez nous et nous confiner. (Sourires.)
J’émets donc un avis défavorable sur la motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Notre groupe ne votera pas cette motion tendant à opposer la question préalable, non parce que nous ne partageons pas son contenu – bien au contraire, comme vous le verrez lors de la discussion générale et au travers de nos différents amendements ! Mais sur ce sujet majeur de la recherche, notre commission a beaucoup travaillé, et nous voulons faire évoluer et progresser ce texte. Nous avons besoin d’un débat et il nous faut interroger la ministre afin qu’elle nous éclaire sur les amendements.
Pour ces raisons, je le répète, nous ne voterons pas cette motion, tout en partageant l’essentiel de son contenu.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, nous devrions avoir un débat plein de souffle et d’ambition, qui mobilise la Nation, l’opinion publique et les forces vives du pays. Qu’y a-t-il en effet de plus important aujourd’hui que de préparer l’avenir et de rattraper le niveau d’excellence de la recherche française, qui s’est dégradé depuis des années ? Nous en avons d’autant plus besoin que, dans la période actuelle, le doute scientifique et l’appétence à développer les connaissances et le savoir sont souvent bafoués par celles et ceux qui privilégient l’obscurantisme, ou bien croient que c’est par le retour en arrière que l’on pourra assurer l’avenir de notre société et du monde.
Nous en avons besoin pour le rayonnement de la France : pas simplement pour son rayonnement économique, même si c’est très important, mais aussi pour notre capacité d’innovation. Tous les orateurs ont expliqué que la France avait reculé dans le classement mondial en termes de compétences scientifiques, de publications et d’investissements collectifs dans les domaines de la recherche et de l’innovation.
Nous pourrions nous dire que ce texte représente une petite avancée. Or on ne peut soutenir cette thèse, pour deux raisons.
Premièrement, l’étroitesse du champ de ce projet de loi de programmation nous empêche d’obtenir la bonne articulation, pourtant indispensable, entre la recherche publique et la recherche privée, entre la recherche fondamentale et l’innovation.
Elle empêche aussi, au sein même de la recherche, la bonne articulation avec les universités, le secteur spatial, le secteur agronomique et agricole, avec l’entièreté de ce qui permet une vision à long terme du rôle de la recherche.
Deuxièmement, on pourrait considérer que le texte améliorera au moins la situation des chercheurs… Mais voilà qui est typique de ce gouvernement, et il n’est hélas ! pas le seul : il nous a parlé de l’hôpital, sans tenir compte de l’alerte lancée par les médecins, les personnels hospitaliers, les infirmières, car ils étaient tous « nuls » et les hauts technocrates savaient mieux qu’eux ce qu’il fallait faire… On voit où l’on en est !
Des réformes de l’école ont été faites contre le corps enseignant, lequel était « corporatiste et n’avait rien compris »,…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … et il nous dit aujourd’hui qu’il faut soutenir le corps enseignant !
De la même manière, vous êtes en train de faire une réforme sur la recherche contre les chercheurs. C’est un drame pour notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Mon groupe votera évidemment contre cette motion.
Dans sa structure et son ambition, ce projet de loi de programmation est inédit. Il y a déjà eu des lois sur la recherche, mais, pour la première fois, nous avons un texte qui couvre une longue période tout en étant précis sur les financements.
Par ailleurs, du point de vue de son contenu, le projet de loi prévoit des avancées en termes d’amélioration des carrières, d’attractivité de la recherche, de simplification des mesures et de rénovation des outils de financement. Tous ces éléments méritent un débat.
Des questions se posent sur la façon d’articuler la recherche publique avec le secteur privé, sur les choix en termes de carrière. Celles et ceux qui estiment que ce projet de loi va dans le mauvais sens et dessert les chercheurs devraient souhaiter un tel débat.
Ces deux grandes raisons – une loi inédite quant à son ambition et complète dans son contenu – justifient que nous débattions.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.
Mme Monique de Marco. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires partage le constat qui vient d’être fait par Mme Brulin. Nous préférons toutefois participer au débat, en espérant obtenir des avancées.
Pour cette raison, nous nous abstiendrons.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 101, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la fin des années 1990, le virologue Hubert Laude, seul spécialiste français des coronavirus, internationalement reconnu, a dû se résoudre à arrêter ses recherches, car son laboratoire du CHU de Caen fermait, faute d’intérêt et de vision prospective quant aux travaux qu’il menait depuis vingt ans.
Outre le caractère amèrement piquant de ce rappel, les conditions des découvertes de l’équipe d’Hubert Laude sont particulièrement instructives. Comme le souligne l’un des membres de son équipe, « tous les résultats ont été obtenus sans financement spécifique, juste avec l’argent de fonctionnement du laboratoire ». Et le virologue de conclure : « La recherche est comme un arbre qui pousse lentement. Il faut du temps. Pendant trois, quatre ans, nous n’avons rien publié. »
Le temps se révèle donc une nécessité, une permanence. Nous le constatons encore aujourd’hui au travers de la recherche d’un vaccin contre la covid-19, et ce malgré les formidables progrès technologiques et les investissements massifs opérés par les États et les laboratoires. Le processus qui conduit à la découverte est bien davantage assimilable au feu qui prend lentement qu’à l’étincelle qui crépite soudainement.
En ce sens, l’exercice de la programmation pluriannuelle sied parfaitement au domaine de la recherche. Les moyen et long termes lui sont constitutifs, et les chercheurs ont besoin de ce temps précieux, de cette visibilité pour avancer sereinement.
Avoir du temps ne signifie en aucun cas avancer lentement. Au contraire, des conditions de recherche apaisées sont un gage de réussite.
C’est sous cet angle que nous aborderons le projet de loi que vous nous soumettez, madame la ministre : offre-t-il des conditions satisfaisantes et ouvre-t-il des perspectives favorables à la recherche de demain ? Disons-le d’emblée, la réponse tend clairement vers la négative. Si nous nous réjouissions d’examiner ce texte tant attendu, étant tout à fait conscients du sous-financement chronique de la recherche depuis des années, nos motifs de satisfaction s’arrêtent ici.
Tout d’abord, un hiatus entre la présentation de l’effort budgétaire qui serait réalisé par l’État sur la période 2021-2030 et la réalité des chiffres est important. Autrement dit, l’écart entre votre communication gouvernementale et les actes concrets pour la recherche est pour le moins étonnant.
Je n’épiloguerai pas, mais cette loi de programmation manque doublement de sincérité et de crédibilité : d’abord, sur les montants déployés, qui ont été présentés avantageusement, mais qui restent – nombre de mes collègues l’ont dit – en deçà des enjeux actuels ; ensuite, sur la période retenue, presque une décennie, durée jugée anormalement longue par le Conseil d’État, mais qui permet de reporter les investissements à plus tard, rendant par là même ceux-ci hypothétiques.
Heureusement, notre commission est revenue, à la quasi-unanimité, à une forme de raison, en raccourcissant la période de programmation, dont le terme est désormais 2027, et en intensifiant l’effort budgétaire sur les premières années afin de répondre aux besoins urgents du monde de la recherche.
Si vous tenez tant à relancer la recherche, comme vous le soutenez, portez réellement cette ambition et acceptez d’endosser maintenant la majeure partie de cet investissement, plutôt que de le renvoyer à un futur incertain ! Au fond, c’est une affaire de crédibilité.
Or cette crédibilité est fortement mise à mal, comme en attestent les pétitions innombrables dont nous avons été destinataires, en provenance de tous les territoires, de toutes les disciplines, de tous les types d’établissements, qu’ils relèvent de l’enseignement supérieur ou de la recherche. La déception et le rejet sont à la mesure de l’attente de la communauté.
À l’image des votes du Cneser – je ne parle pas du vote final –, très majoritairement contre les dispositifs créés par ce projet de loi, des diverses motions votées dans les laboratoires et les universités, la communauté des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des vacataires et de l’enseignement supérieur ne vous suit pas.
Votre communauté, madame la ministre, ne vous suit pas dans l’orientation de votre programmation. Avez-vous conscience de l’intensité du rejet que provoque votre texte ?
Ce rejet n’est pas dogmatique ; il est étayé, argumenté. Notre groupe partage deux préoccupations fondamentales largement exprimées par cette communauté : l’accentuation de la précarisation et le déséquilibre de notre modèle de recherche, qui devient trop axé sur la recherche sur projets.
Sur le premier point, nous ne nous opposerons pas, par principe, à tous les contrats nouvellement établis. Le contrat postdoctoral comble un vide juridique et répond à une problématique précise d’inadéquation entre les contrats de travail existants et le recrutement des postdoctorants. Il constitue donc une avancée.
Néanmoins, pour qu’il s’agisse d’une avancée, encore faut-il que cette batterie de contrats soit conforme à votre promesse, qui est aussi la nôtre, de lutter contre la précarité croissante attachée aux contrats des doctorants-chercheurs, et de leur garantir une rémunération à la hauteur du niveau de leur qualification et de leur engagement.
Or c’est précisément à cet endroit que le bât blesse. Pour plusieurs d’entre eux, notamment les contrats doctoraux de droit public et de droit privé, ni durée ni rémunération minimales ne sont garanties ; et s’agissant du CDI de mission scientifique, nous sommes dans un « no man’s land juridique ». Reconnaissez, madame la ministre, qu’en termes de protection des doctorants-chercheurs, nous pouvons faire mieux.
C’est pourquoi, à défaut d’obtenir la suppression de ces contrats attentatoires aux droits des doctorants-chercheurs, nous avions proposé de les encadrer davantage. Mais l’article 40 de la Constitution en a décidé autrement, et nos amendements sur les contrats de droit public – et non de droit privé – ont été jugés irrecevables.
Car l’enjeu est bien celui-ci : comment voulez-vous que notre recherche prospère quand les principaux concernés ont des contrats d’un an et doivent, au bout de six mois, se mettre à chercher un autre poste, une autre mission ? C’est impossible ! La stabilité est une condition sine qua non du succès de notre recherche, pour l’unique et bonne raison invoquée dans mon introduction : le temps en la matière est indispensable. Il s’agit non pas de parti pris, mais simplement de bon sens.
De manière analogue, la précarisation des doctorants chercheurs fait écho à la précarisation de notre modèle de recherche, résultant de la part excessive que représente la recherche sur projets.
Nous ne disons pas qu’il faut mettre fin à la recherche sur projets. Nous estimons simplement qu’il convient de rééquilibrer notre modèle de recherche publique au profit du financement récurrent des laboratoires.
Cette assertion est encore davantage vérifiée par le faible taux de succès des appels à projets de l’ANR ou de ceux qui sont émis aux niveaux européen et international. Au-delà de la perte d’énergie et de sens que représentent des formulaires à remplir, le temps consacré à la recherche diminue mécaniquement. D’ailleurs, rien ne prouve que la mise en concurrence à outrance par le truchement des appels à projets nourrisse véritablement la recherche fondamentale et les innovations de rupture, bien au contraire…
Enfin, j’aimerais aborder un « silence » de ce projet de loi qui, dans une certaine mesure, illustre la vision qui sous-tend cette loi de programmation : il s’agit de l’absence de continuum entre l’enseignement supérieur et la recherche ou, énoncé autrement, de l’absence d’une vision territorialisée de la recherche dans une logique d’aménagement du territoire.
Historiquement, l’enseignement supérieur et la recherche ont fait partie intégrante de la réflexion et du processus d’aménagement des territoires. Or le postulat qui fonde cette loi de programmation, à savoir le déclassement de la recherche et de l’université françaises sur le plan international, accréditerait pour certains la thèse selon laquelle il est impératif d’avoir des établissements de taille critique pour rivaliser au niveau mondial. Dans cette perspective, il s’avérerait pertinent de concentrer l’essentiel des ressources sur quelques établissements.
Cependant, si le fait d’avoir des pôles d’excellence peut être bénéfique, bien sûr, et utile, sûrement, la concentration excessive des moyens sur quelques-uns se révèle pernicieuse à un triple titre.
Premièrement, le rapport entre concentration des moyens dévolus à la recherche et production scientifique n’est pas solidement démontré à ce jour. Il s’agit davantage d’une position théorique que d’un constat ancré.
Deuxièmement, ce modèle tend à effacer les logiques de coopération au seul profit des logiques de compétition, oubliant que la recherche a beaucoup progressé grâce aux activités menées en commun.
Enfin, il ne prend aucunement en considération la problématique de l’organisation spatiale et, partant, celle du développement équilibré et dynamique de nos territoires.
En d’autres termes, ce modèle va à l’encontre du mouvement de décentralisation et d’une attention accrue portée aux territoires. À cet égard, il est révélateur que ce soit notre commission qui ait corrigé cet oubli, en replaçant les collectivités territoriales au cœur du processus.
J’aurais pu me féliciter de l’introduction de la notion d’intégrité scientifique – nous allons en parler – et dénoncer le recours aux ordonnances sur des sujets majeurs. Vous l’aurez compris, madame la ministre, il faudrait un grand miracle pour que nous puissions voter votre loi de programmation. Néanmoins, comme aiment à le raconter certains chercheurs, les découvertes sont parfois le fruit du hasard. Alors, sait-on jamais ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias et Mme Monique de Marco applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « la science n’est pas fille du seul étonnement et du désir de savoir » écrivait Jacques Blamont. Elle dépend aussi de la volonté des autorités et de l’environnement propice des institutions.
Le Gouvernement a pris la mesure du déclin de la France en matière de recherche, et nous saluons cette initiative opportune ; celle-ci arrive après un long silence de près de quinze ans, durant lequel la France n’a bénéficié d’aucune loi de programmation pour la recherche.
La valorisation des rémunérations et la mobilité des carrières sont des facteurs essentiels pour accroître l’attractivité des métiers à l’égard non seulement des talents étrangers, mais également de nos propres talents, de plus en plus tentés de quitter la France pour démarrer leur vie professionnelle dans de meilleures conditions.
Dans de nombreux domaines tels que l’intelligence artificielle, la pénurie de compétences compromet nos perspectives industrielles et représente un handicap compétitif certain face aux champions mondiaux que sont les États-Unis, la Chine ou encore le Royaume-Uni.
La cybersécurité fait aussi face à des pénuries constantes de talents, et nos entreprises, nos collectivités, nos administrations sont touchées de plein fouet par des attaques recrudescentes. Je pourrais également prendre l’exemple de la recherche biologique et médicale, bureaucratisée à l’excès et dévalorisée.
Les meilleurs chercheurs émigrent pour rejoindre Harvard, Princeton ou Dallas, tandis qu’un désert scientifique se dessine peu à peu en France, au gré d’une lente dérive du financement de la recherche.
Nous soutenons le raccourcissement de la durée de la loi de programmation à sept ans, comme l’ont acté conjointement la commission de la culture et la commission des finances. La dernière loi de programmation date de 2006 et n’a jamais été appliquée. La recherche française n’a plus le temps d’attendre.
Nous devons aussi répondre au désarroi de milliers de jeunes chercheurs au déroulement de carrière indigne, privés de reconnaissance. J’aimerais insister sur l’impérieuse nécessité de redonner à la recherche fondamentale des moyens à la hauteur de ses besoins.
Nous devons aussi nous méfier de l’hypercentralisation des infrastructures et des équipes.
Il ne faudrait pas que la réforme du préciput, prévue à l’article 12, renforce les déséquilibres entre les territoires. Dans ce domaine plus que dans tout autre, les logiques de proximité, de mise en réseau et de coopération sont les plus fertiles. Il nous faut reconnaître la valeur des petites équipes, des petites formations, des jeunes chercheurs, qui ont beaucoup à proposer.
La science procède souvent par rupture dogmatique avec les anciens. Elle se nourrit d’audace et d’idées nouvelles. Toute logique de reproduction du cadre dogmatique majoritaire l’étouffe, comme le décrit avec une grande lucidité Alexandre Grothendieck, génie des mathématiques, dans son autobiographie Récoltes et semailles.
Avec une immense générosité, il a soulevé des pans entiers d’une nouvelle connaissance jusque-là invisible, laissant derrière lui une œuvre de 60 000 travaux, aujourd’hui supports d’intenses recherches.
Il suffit parfois d’une personne, d’un regard nouveau posé sur des phénomènes anciens, pour renverser tout ce que nous savons ou croyons savoir. La recherche est avant tout l’art des humbles, de ceux qui n’ont pas peur de l’erreur, pour ne jamais dépendre des anciennes vérités dressées comme des dogmes contre une connaissance sans cesse renouvelée.
François Jacob n’aurait sans doute pas révolutionné la génétique sans l’Institut Pasteur. Un cadre et des moyens sont nécessaires pour permettre aux 300 000 chercheurs de France d’aller au-devant des découvertes, avec toutes les incertitudes, les fulgurances, les reculs, les réveils, la persévérance que demande ce travail de l’ombre.
Nous, sénateurs, députés, ministres, nous ne pouvons que créer les conditions propices à ces découvertes qui feront la France de demain.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce moment de crise sanitaire et climatique nous révèle au grand jour à quel point il est indispensable de donner les moyens nécessaires à la recherche publique. Ce n’est qu’avec des moyens ambitieux que notre pays pourra rester à la pointe de la recherche mondiale et contribuer à répondre à ces enjeux. C’est l’essence même de ce projet de loi qui affiche, du moins en théorie, le souhait de retrouver l’ambition de notre pays pour son système de recherche publique et de mieux accueillir la nouvelle génération de jeunes scientifiques, qui aura vocation à porter l’avenir de la recherche publique française.
La communauté des chercheurs attendait énormément de ce projet de loi. L’enseignement supérieur souffre d’un manque criant d’investissements : l’effort de recherche publique n’a cessé de baisser depuis les années 1990. Alors que le nombre d’étudiants est en constante d’augmentation, de 14 % entre 2010 et 2017, le nombre d’enseignants, lui, est resté constant.
Le personnel de l’enseignement supérieur connaît une forte précarisation : toujours plus de vacataires et de contractuels, toujours moins d’ouvertures de poste de titulaire, toujours moins de perspectives professionnelles pour les jeunes chercheurs. Cette précarisation est également due au manque de revalorisation des salaires des enseignants et des chercheurs, très au-dessous de la moyenne des pays développés.
À cette précarisation s’ajoute l’insécurité permanente des financements, avec une proportion croissante des financements par appels à projets, par rapport aux crédits récurrents, c’est-à-dire les financements pérennes.
Les chercheurs nous alertent en masse sur ce point : les appels à projets sont un bon complément des financements récurrents, mais ne doivent en aucun cas les remplacer.
Aujourd’hui, nous en sommes arrivés au point absurde où nous payons nos meilleurs chercheurs essentiellement pour qu’ils remplissent des demandes de financement et des rapports d’activité.
Aussi, nous aurions espéré un projet ambitieux qui réponde à toutes ces attentes. Malheureusement, le projet de loi, en l’état, ne répond pas aux manques des universités et de la recherche publique française. Mes collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et moi-même regrettons son manque d’ambition financière, notamment sur les premières années. Malgré l’adoption en commission d’une programmation financière resserrée sur sept ans, le budget reste trop faible. Avec les projections d’inflation, il ne permettra pas d’atteindre l’objectif de la France d’investir un minimum de 3 % de sa richesse nationale dans la recherche. Nous sommes bien loin du minimum vital qui donnerait les moyens d’assurer un fonctionnement digne du service public de l’université.
Pis encore, au lieu de pallier la précarisation que connaissent déjà les personnels de l’enseignement supérieur, ce projet de loi pour la recherche l’accentue avec la création des chaires de professeur junior et des CDI de mission scientifique, mais aussi avec l’absence de revalorisation salariale concrète et d’ouvertures suffisantes de postes.
La philosophie de ce projet de loi est fondamentalement problématique, car il promeut un esprit de compétition entre les universités, notamment en valorisant encore davantage la logique des appels à projets pour l’obtention des financements. Cela a pour conséquence – nous l’avons vu – d’accentuer les inégalités entre structures et entre territoires, de favoriser les grandes universités, de gâcher des talents, de manquer des opportunités, et de plonger les personnels dans l’insécurité et le découragement.
Il n’est donc pas étonnant que ce projet de loi, en complet décalage avec les attentes des acteurs concernés, ait suscité un rejet profond depuis plusieurs mois. Nous soutenons pleinement les revendications portées dans la pétition en faveur d’une autre loi pour la recherche, qui a déjà rassemblé plus de 20 000 signatures.
Ce texte mérite d’être véritablement revu, pour proposer une loi de programmation de la recherche digne de ce nom, qui réponde aux attentes et prévoie des financements à la hauteur des enjeux.
Investir dans la recherche est une décision politique, courageuse, essentielle.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oppose donc à ce projet de loi en l’état actuel et dénonce son manque d’ambition. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)