M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Laure Darcos, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est pour moi un grand honneur d’ouvrir cette discussion au Sénat sur le projet de loi de programmation de la recherche. Au milieu des tumultes d’une actualité quotidienne peu réjouissante, il est essentiel pour nous tous de continuer à construire, brique par brique, le futur de nos enfants et de notre pays. Dans cette perspective, le sujet de la recherche est structurant.
Nous le savons, en effet : nous sommes entrés, sans y être toujours bien préparés, dans une ère où la puissance d’une nation ne se mesure plus à sa capacité à produire, mais à sa capacité à anticiper, et donc à miser sur les techniques innovantes dans tous les domaines : systèmes numérisés, nanotechnologies, nouvelles énergies, biologie, santé. Programmer le financement et le fonctionnement de la recherche, valoriser le statut de celles et ceux qui s’y consacrent, c’est donc tracer la route de notre destin collectif.
Le projet de loi que nous allons examiner n’est pas un document de plus, perdu dans l’abondante production législative de notre pays. Ce texte devrait servir de ligne d’horizon à la plupart de nos décisions. Il dépasse les enjeux d’opinion et les postures. Nous allons en débattre sans jamais perdre de vue qu’il doit dessiner notre avenir partagé.
La commission, dans des conditions rendues difficiles par la proximité du renouvellement sénatorial, sans même évoquer la modification de l’ordre du jour dont nous avons été informés hier, a mené un travail approfondi et serein. Je veux ici saluer mes collègues de tous les groupes qui ont participé aux très nombreuses auditions que nous avons menées.
Un premier élément nous a, me semble-t-il, tous frappés : c’est l’attente très forte parmi la communauté des chercheurs non seulement de moyens budgétaires – nous allons y revenir –, mais aussi, et surtout, d’une vraie reconnaissance de leur rôle éminent dans notre société fragilisée par l’épidémie de covid-19 et fracturée par les fausses informations.
Nous devons en avoir conscience, mes chers collègues : de très nombreux chercheurs auront aujourd’hui les yeux braqués sur cet hémicycle et attendent un débat à la hauteur des enjeux. Ce débat, nous le leur devons.
Dès lors, posons-nous la question de manière « scientifique » les promesses portées par ce texte sont-elles tenues ?
Je vais hélas ! devoir apporter une réponse mesurée et nuancée, et cela, tout d’abord, parce que les attentes étaient à la hauteur de la situation très difficile dans laquelle doit vivre, parfois survivre, notre recherche.
Je veux rappeler quelques données : avec un niveau de financement de la recherche publique et privée qui stagne autour de 2,2 % du PIB depuis plus de vingt ans, la France a accumulé un retard excessif, abandonnant à d’autres pays européens le leadership en matière de recherche et d’innovation.
Illustration terrible de cette situation pour notre fierté nationale – vous l’avez évoquée, madame la ministre –, Emmanuelle Charpentier, jeune prix Nobel de chimie cette année, a expliqué qu’elle n’aurait jamais pu mener ses recherches pionnières et majeures en France.
Ce cas ne relève pas de la simple anecdote : quand un chercheur de ce niveau fait le choix de poursuivre ses recherches à l’étranger, il emporte avec lui son aura, ses financements, ses compétences ; il ne fera pas bénéficier les jeunes chercheurs français de ses connaissances.
La facture du manque d’engagement de ces dernières années, c’est maintenant que nous la payons. Évitons à nos enfants de vivre, dans vingt ans, dans un pays déclassé, alors même que tout concourt à notre excellence.
Je veux mettre à votre crédit, madame la ministre, votre grande connaissance du milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur, dont vous êtes issue, ainsi que votre volontarisme, qui a permis, dans un contexte où tout invite à se concentrer sur l’urgence, d’inscrire à l’ordre du jour un projet de loi préparant justement l’avenir. C’était nécessaire et courageux.
Mais quel est le souffle de ce texte ? Quelle est son ambition ? Si nous devions porter une appréciation sur la copie, nous serions nombreux, me semble-t-il, à écrire : « Peut mieux faire ».
Car le meilleur baromètre de l’attention que porte une nation à sa recherche, ce sont les moyens qui lui sont consacrés.
De ce point de vue, et même si nous aurons un débat technique à l’article 2, convenons que la durée de la programmation, jamais vue sous la Ve République, démontre moins un engagement au long cours qu’une volonté de décaler les échéances budgétaires…
Sur la période de dix ans que vous proposez, l’effort est en réalité bien plus limité que celui qui est affiché, si l’on tient compte de l’inflation.
Certes, on pourrait à raison objecter qu’un engagement de plus de 25 milliards d’euros en cumulé constitue déjà un changement de cap majeur par rapport au sous-investissement chronique que la recherche subit depuis plusieurs décennies.
Cependant – nous le savons –, une loi de programmation de cette durée, c’est hélas ! plus du sable que du marbre.
Je résume : crédits insuffisants pour rattraper notre retard, d’une part, faible garantie sur leur réelle disponibilité, d’autre part. Comment susciter la confiance à grande échelle dont nous avons besoin et que la communauté appelle de ses vœux ?
Je ne doute pas, madame la ministre, de votre mobilisation ; j’imagine que les débats internes au sein d’un gouvernement peinant à établir ses priorités ont dû être intenses et que, peut-être, l’accord obtenu sur la loi de programmation examinée à partir d’aujourd’hui constitue un point d’équilibre… Permettez-nous cependant de trouver cet équilibre encore insatisfaisant.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a cherché à donner un peu plus d’ampleur à votre texte, suivant quatre axes.
Le premier axe, que nous avons proposé conjointement avec les commissions des finances et des affaires économiques, consiste à ramener, à enveloppe constante, la durée de la programmation à sept ans.
Pourquoi sept ans ? Parce que cette durée, plus conforme à celle qui est habituellement choisie pour les lois de programmation, permet de limiter les conséquences des aléas politiques et économiques sur la trajectoire initiale, d’aligner la recherche française sur le calendrier du programme-cadre européen et d’accroître l’intensité de chaque marche budgétaire annuelle, un effort particulier étant consenti les deux premières années.
C’est bien une trajectoire plus crédible, plus rapide et plus efficace que nous proposons pour provoquer le sursaut budgétaire dont notre recherche a besoin.
Deuxième axe : offrir des garanties aux chercheurs et veiller à la place des femmes.
La commission a globalement accueilli avec intérêt les nouveaux dispositifs de recrutement contenus dans le projet de loi. Elle a cependant tenu à apporter des garanties à leurs bénéficiaires, en instaurant une durée minimale pour le contrat de mission scientifique, en veillant à ne pas allonger de manière excessive le contrat postdoctoral, et en prévoyant la possibilité de prolonger les contrats doctoraux et postdoctoraux en cas de congé maternité, de congé paternité, de congé maladie ou de congé pour accident du travail.
Concernant les chaires de professeur junior, qui suscitent des inquiétudes légitimes au sein de la communauté scientifique, la commission a abaissé à 15 % le pourcentage limite de recrutement annuel autorisé afin de mieux traduire le caractère très spécifique de ce dispositif, qui n’a pas vocation à se substituer aux voies de recrutement traditionnelles.
La commission a aussi souhaité valoriser, dans la carrière des chercheurs et enseignants-chercheurs, les actions que ceux-ci mènent en direction des citoyens pour favoriser la diffusion des connaissances.
Elle a par ailleurs soulevé la question des inégalités entre les femmes et les hommes dans l’accès à certaines disciplines, à certaines responsabilités et à certaines formes de financement.
Si la traduction de cette préoccupation en mesures législatives, et non seulement déclaratives, est parfois malaisée, la commission est convaincue que l’égalité entre les femmes et les hommes doit constituer, pour le monde de la recherche, une priorité structurante dans les prochaines années.
Troisième axe, dont nous aurons à débattre dans cet hémicycle : l’affirmation de l’intégrité scientifique et des libertés académiques dans la loi.
Ces deux sujets, distincts mais intimement liés, ont donné lieu à un travail transpartisan qui, je le crois, honore notre assemblée et montre notre capacité à élever nos convictions au niveau des enjeux.
Ne nous y trompons pas : intégrité scientifique et libertés académiques ne sont pas, pour les chercheurs, de vains mots. Elles définissent rigoureusement un espace de liberté, mais également de principes à suivre.
La position à laquelle nous sommes parvenus ne répond pas seulement à l’actualité, même si cette dernière, tragique, est présente à nos esprits. Elle vise bel et bien à bâtir un corpus de droits et de devoirs qui fonde l’exercice professionnel des chercheurs et des enseignants-chercheurs.
Quatrième axe structurant pour notre travail : la nécessaire implication des collectivités territoriales, grandes absentes du texte initial. Pour pallier ce manque regrettable, la commission a ajouté un volet territorial aux contrats de site conclus entre l’État et les établissements partenaires d’un même site universitaire.
Vous l’avez compris : nous avons, sur ce projet de loi, réellement travaillé au plus près des préoccupations très nombreuses dont nous avons été saisis. Ce que nous regrettons, au fond, c’est le défaut d’ampleur de ce texte, qui aurait pu et dû porter des moyens et une vision plus affirmés pour les prochaines années.
De cette ambition limitée et de ce débat que nous avons dans des conditions si étranges, il ressort l’impression d’une forme d’inachevé.
Je vais cependant m’efforcer de demeurer résolument optimiste : comme je le disais dès mes premiers mots, malgré son aspect technique, parfois aride, et en dépit de la diversité des propositions qu’il contient, touchant notamment à la simplification des procédures, ce projet de loi est un New Deal, une ligne de conduite pour notre pays, qui doit rester compétitif dans un secteur qui conditionne tous les autres : celui de la recherche et de l’innovation, lesquelles relèvent toutes deux de la longue durée. Il n’est guère d’autre domaine qui nécessite à ce point une vision programmatique.
J’espère que nos travaux nous aideront à affronter les défis du futur. C’est là l’essentiel. Et c’est ce que la Nation attend de nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Merci, madame la rapporteure, pour la précision avec laquelle vous avez respecté votre temps de parole, ce qui permettra de laisser du temps au débat.
La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a d’abord regretté que ce projet de loi, et en particulier la trajectoire budgétaire qui y est présentée, soit centré sur la recherche publique rattachée au ministère de la recherche.
En choisissant – je suppose que c’est par facilité – de ne faire porter ce projet de loi que par un seul ministère, le Gouvernement a, me semble-t-il, manqué ici une occasion de lancer un grand chantier pour en finir avec le morcellement des politiques de recherche et développement et d’innovation.
J’en viens directement à ce que contient ce projet de loi.
Je ne rappellerai pas ce que nous savons tous déjà, à savoir que la situation de la recherche française est grave et mérite d’être redressée par le biais de moyens qui soient à la hauteur de nos ambitions.
Pour cette raison, la commission des affaires économiques a voté, avec la commission de la culture et avec la commission des finances, le raccourcissement de la durée de la trajectoire, son échéance étant avancée à 2027, avec deux premières « marches budgétaires » de 1 milliard d’euros les deux prochaines années.
Madame la ministre, puisqu’il s’agit de redonner des moyens aux opérateurs de recherche, je me permets d’insister sur un point que nous avions déjà évoqué lors de votre audition par la commission de la culture : les opérateurs de recherche sont contraints d’appliquer une norme comptable inadaptée, qui les oblige à garder en trésorerie des centaines de millions d’euros ! C’est autant d’argent qui n’est pas fléché vers les laboratoires. Il faut faire évoluer les choses, et il faut, si vous le pouvez, le faire rapidement !
Ce projet de loi traite par ailleurs d’une thématique importante pour la commission des affaires économiques, à savoir le resserrement des liens entre la recherche publique et les entreprises ; c’est opportun.
Concernant la réintroduction du dispositif de congé d’enseignement ou de recherche, dont le principe est assurément bienvenu, notre commission a estimé qu’il fallait laisser plus de place à la négociation collective et éviter de faire peser des charges excessives sur les petites entreprises, compte tenu du contexte.
Sur ce sujet des liens avec les entreprises, je me permettrai une remarque : le Gouvernement envoie deux messages contradictoires. D’un côté, avec ce texte, on souhaite inciter les laboratoires à développer des relations avec les entreprises. De l’autre, avec le projet de loi de finances pour 2021, on ôte le principal outil d’incitation des entreprises à se tourner vers la recherche publique, à savoir le doublement de l’assiette du crédit d’impôt recherche en cas de recours à un laboratoire public.
Cette mesure risque d’anéantir les efforts du Gouvernement en la matière. Je sais que l’on ne peut pas faire autrement, car une plainte, que nous aimerions, d’ailleurs, pouvoir consulter, a été déposée auprès de la Commission européenne. Mais si nous n’avons vraiment pas le choix, il faut, a minima, prévoir des compensations. Madame la ministre, toute la communauté est inquiète à ce sujet !
J’en viens maintenant aux ordonnances portant sur des secteurs relevant des compétences de notre commission, à savoir l’agriculture et le spatial.
Nous avons retenu une ligne de conduite : là où les marges de manœuvre du législateur sont limitées par des textes ou des jurisprudences, et dans la mesure où il s’agit de sujets techniques, nous n’avons rien trouvé à y redire.
En revanche, lorsqu’il s’agit de sujets importants, dont nous estimons qu’ils méritent un vrai débat parlementaire, nous avons proposé la suppression des habilitations à légiférer par ordonnance.
C’est le cas pour deux de ces habilitations, qui donnent de véritables blancs-seings au Gouvernement. Il s’agit des ordonnances relatives, d’une part, à la redéfinition des procédures d’édiction d’avis relatifs aux biotechnologies, et, d’autre part, à la refonte de la loi relative aux opérations spatiales de 2008.
En conclusion, la commission des affaires économiques considère que ce projet de loi va dans le bon sens, mais qu’il mérite d’être musclé, ce qui a été fait par nos trois commissions. Je souhaite d’ailleurs remercier de nouveau Mme la rapporteure de la commission de la culture de son écoute et de la qualité de son travail, ainsi que M. le rapporteur pour avis de la commission des finances de l’éclairage financier qu’il a su donner sur ce texte. Je remercie également l’ensemble des membres des trois commissions. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir repoussé à plusieurs reprises sa présentation, le Gouvernement a finalement déposé le 22 juillet dernier un projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre : il s’agit de donner de la visibilité aux acteurs de la recherche, en dessinant une trajectoire à même de porter nos dépenses de recherche à 3 % du PIB à l’horizon 2030.
En effet, notre pays est confronté à un risque bien réel de décrochage par rapport aux autres pays qui sont à la pointe de la recherche. Tandis que nos principaux concurrents consacrent une part croissante de leur richesse nationale à cet effort, nos dépenses publiques de recherche stagnent depuis une dizaine d’années, avec une croissance en volume de l’ordre de 1,3 % entre 2008 et 2018. La dépense de recherche des administrations a même reculé de 2,2 % entre 2015 et 2018…
Faisons-nous encore partie des grands pays de la recherche ? Il me semble que oui. Pourrons-nous en dire de même dans dix ans ? Si nous ne nous décidons pas à inverser la tendance et à investir massivement dès aujourd’hui dans notre recherche, rien n’est moins sûr.
Vous l’avez compris, madame la ministre : un sursaut est nécessaire ; tel est l’objet du présent texte.
J’en partage, dans les grandes lignes, les orientations.
Il s’agit, en premier lieu, de revaloriser les métiers de la recherche, pour attirer les plus grands talents, mais surtout pour retenir nos chercheurs les plus prometteurs. À cet égard, l’exemple récent d’Emmanuelle Charpentier, lauréate française du prix Nobel de chimie 2020 ayant effectué l’intégralité de ses travaux à l’étranger, illustre tristement la fuite des cerveaux à laquelle nous sommes confrontés.
Le projet de loi prévoit également d’augmenter de 1 milliard d’euros les moyens de l’Agence nationale de la recherche, afin de doubler le taux de succès des appels à projets à l’horizon 2027. En tant que rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » au sein de la commission des finances, je plaide depuis trois ans – vous le savez, madame la ministre – pour cette hausse de crédits ; je ne peux donc que m’en féliciter.
Si le renflouement de l’ANR était donc indispensable, il ne doit pas avoir pour corollaire une attrition des moyens récurrents dont disposent les laboratoires. Il doit également s’accompagner d’une simplification des procédures, afin de faciliter le quotidien de nos chercheurs, qui sont trop souvent confrontés à de véritables parcours du combattant quand ils candidatent auprès des différentes agences.
Pour conclure sur les grandes orientations de ce texte, je regrette que certains pans de la politique de recherche soient passés sous silence. Je pense notamment au devenir du crédit d’impôt recherche, à l’articulation avec les échelons infranationaux et supranationaux, ou encore à la participation française aux appels à projets européens.
J’en viens maintenant à la programmation budgétaire. Si je partage les grandes orientations définies par le Gouvernement, je suis en revanche nettement plus dubitatif quant à la traduction budgétaire de ces orientations.
En effet, sur le papier, si j’ose dire, la trajectoire pourrait à première vue paraître satisfaisante. Mais, en réalité, madame la ministre, certains de vos choix programmatiques jettent un doute sérieux sur la crédibilité et la sincérité de cette trajectoire.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait.
M. Jean-François Rapin, rapporteur pour avis. En premier lieu, j’attire votre attention sur le fait que la programmation ne tient pas compte des effets de l’inflation. Vous soutenez que la trajectoire prévue va se traduire par une augmentation de 5 milliards d’euros du budget annuel de la recherche à l’horizon 2030. Mais, en euros constants, c’est-à-dire une fois neutralisés les effets de l’inflation, cette hausse ne représente plus que 1 milliard d’euros, soit cinq fois moins que ce que le Gouvernement annonce !
Je tiens donc à lever toute ambiguïté : en cumulé sur la période 2021-2030, la recherche publique ne bénéficiera pas de 25 milliards d’euros, mais de 7,2 milliards d’euros supplémentaires, c’est-à-dire un quart de l’effort annoncé !
Je suis bien conscient de l’imprévisibilité qui caractérise la conjoncture économique actuelle ; cependant, j’estime que les projections réalisées mettent en lumière le caractère très incertain de la trajectoire que vous nous présentez aujourd’hui.
De toute évidence, madame la ministre, il vous faut admettre que cette trajectoire ne permettra pas de porter les dépenses de recherche des administrations à 1 % du PIB – c’est impossible. En réalité, elle se bornera à stabiliser la part des dépenses de recherche dans le PIB.
Dans ce contexte et à la lumière de ces éléments, le choix d’une programmation sur dix ans me paraît particulièrement inapproprié, car nuisant à la crédibilité de la trajectoire. Qui plus est, ce choix se traduit par des marches annuelles trop faibles pour provoquer le sursaut dont notre pays a besoin.
Par conséquent, notre commission a présenté, conjointement avec les commissions de la culture et des affaires économiques, un amendement visant à ramener la durée de cette trajectoire à sept ans, afin de concentrer l’effort budgétaire sur les deux prochaines années.
Madame la ministre, je suis conscient des contraintes budgétaires actuelles. J’estime néanmoins que les deux premières années de la programmation seront essentielles pour notre recherche, et qu’il faut à tout prix prévoir une accélération considérable de cette trajectoire. Dans ce contexte, je serais favorable à ce qu’une part supplémentaire des crédits dédiés à la relance vienne abonder la loi de programmation.
Je reprendrai à mon compte, pour conclure, une phrase de Marie Curie : « Rien n’est à craindre, tout est à comprendre. » Je ne crains pas votre loi de programmation de la recherche, madame la ministre ; j’aimerais simplement en comprendre les tenants et les aboutissants financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Brulin, MM. Ouzoulias, Bacchi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 63.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi de programmation, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant sur diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (n° 52, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Céline Brulin, pour la motion.
Mme Céline Brulin. « Un effort historique » : c’est par ces mots que le Président de la République et vous-même, madame la ministre, avez présenté ce projet de loi pour la recherche. Et il faudrait bien cela – c’est le moins que l’on puisse dire.
Mais on en est loin ! Les montants financiers affichés sont insatisfaisants ; ils frisent même l’insincérité – nos différents rapporteurs viennent de le montrer de manière tout à fait convaincante – puisque, exprimée en euros courants, votre programmation ne prend pas en compte l’inflation. La hausse annuelle ne correspond en définitive qu’à 1 milliard d’euros sur les 5 milliards annoncés au terme de cette programmation, c’est-à-dire en 2030.
Et nombre de nos collègues dénoncent à raison des effets d’annonces dépourvus de toute prise avec la réalité de la recherche et de l’enseignement supérieur.
La chambre haute, réputée pour sa sagesse, préconise d’ailleurs quasi unanimement de ramener la durée d’engagement de dix à sept ans, d’une part, parce que cela serait plus conforme aux autres programmations, d’autre part, parce qu’il y a, là encore, une forme de malhonnêteté intellectuelle à faire supporter par les majorités à venir l’essentiel de l’effort budgétaire, tout particulièrement dans le contexte que nous connaissons actuellement.
Au contraire, parce que les retards pris confinent au décrochage, il est nécessaire d’enclencher dès maintenant une trajectoire volontariste et ambitieuse, un « choc », comme on dit maintenant, pour que les investissements de la France dans sa politique de recherche atteignent 3 % de son PIB.
Car le désengagement a des conséquences bien réelles sur le quotidien de celles et ceux qui font vivre la recherche dans notre pays, mais aussi sur les capacités de notre pays et de notre société à se hisser au niveau des enjeux de notre époque.
Depuis des années, les chercheurs alertent sur les initiatives nationales et internationales auxquelles ils doivent renoncer, malgré l’intérêt et l’apport scientifiques de celles-ci. Ils alertent sur le sous-financement chronique de leurs travaux et l’impossibilité, parfois, de les poursuivre.
Je ne citerai pas de nouveau les mots forts tenus par la nouvelle lauréate du prix Nobel, Emmanuelle Charpentier, Mme la rapporteure l’ayant déjà et très bien fait.
Comment comprendre que David Veesler ait finalement fait le choix de partir pour Washington afin de poursuivre ses travaux sur les maladies infectieuses et les coronavirus ?
Mes chers collègues, les chercheurs l’ont dit durant les auditions, à l’instar de Christophe d’Enfert : ils manquent de moyens et de visibilité, et sont contraints de se disperser dans des procédures longues et peu productives pour obtenir des financements souvent insuffisants.
C’est à cette réalité que ne s’attaque pas cette loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). À cet égard, le projet de loi de finances pour 2021, également examiné en ce moment même, montre la fragilité des promesses financières. Ainsi, les dépenses d’investissement devraient baisser cette année de près de 17 %.
Quant à la désignation du directeur du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), qui s’est déroulée dans les conditions que l’on sait, elle montre que tout est fait à l’envers.
Cela a été dit ici même et en commission, dans ce projet de loi le recours aux ordonnances est beaucoup trop important, et ce pour des sujets pourtant loin d’être anodins, tandis que nul caractère d’urgence ne justifie que le Parlement, et à travers lui la représentation nationale, soit ainsi écarté. Il est en effet question de la recherche sur les OGM, de la recherche spatiale ou encore de l’intégration des licences professionnelles dans Parcoursup, autant de sujets qui suscitent objectivement le débat. Un débat qu’il faut mener démocratiquement et au grand jour.
Dans le contexte sanitaire actuel, à quelques heures de nouvelles annonces qui impacteront profondément la vie sociale de nos concitoyens, l’économie de la France et même notre démocratie, le rôle de la recherche n’aura jamais été aussi crucial.
Je pense bien entendu à la recherche publique, pour laquelle l’État n’assume pas son rôle. Le projet de loi de finances en discussion à l’Assemblée nationale est édifiant de ce point de vue.
En pleine crise sanitaire, alors même que les enjeux de transition écologique sont si forts, la recherche en santé et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) bénéficient d’un investissement plus faible que l’inflation…
Je pourrais aussi citer l’exemple de l’équipe du virologue Bruno Canard. Depuis combien d’années les travaux lancés par cette équipe sur les coronavirus sont-ils bloqués par l’absence d’un cryo-microscope électronique ? Le microscope dont ils disposent actuellement n’est pas adapté à la nature des recherches en cours, faute d’une résolution suffisante.
Oui, la période que nous traversons nécessite un traitement de choc en matière de recherche. C’est également vrai en matière de recherche privée.
Reconquérir une industrie digne de ce nom en France, relocaliser des productions, retrouver notre souveraineté dans des domaines stratégiques, cela implique d’impulser, voire de se contraindre à un plus grand effort aussi en matière de recherche privée.
Comment accepter, par exemple, que telle industrie pétrochimique abandonne une unité de recherche travaillant sur le caoutchouc, laquelle était en mesure d’inventer les matériaux de demain permettant d’alléger le poids des véhicules, quand, parallèlement, la puissance publique décide de pénaliser financièrement les modèles les plus lourds afin de diminuer la pollution ?
Comment se résigner au plan social en cours chez Boiron, que la direction du groupe justifie par le déremboursement progressif de l’homéopathie, alors qu’il y aurait besoin de rapatrier des productions pharmaceutiques dans notre pays ?
Chacun de ces exemples – on pourrait en citer d’autres – montre que les renoncements du secteur privé en matière de recherche sont en cause. Ces renoncements sont d’autant plus importants que la puissance publique délaisse elle-même son propre rôle.
Une nouvelle fois, la question du crédit d’impôt recherche est posée, et vous ne serez pas surpris que nous y revenions.
Sans chercheurs, il n’y a pas de recherche. À ce titre, la baisse constante du nombre de doctorants ne peut que nous inquiéter.
De la même manière, l’appui administratif fait aujourd’hui fortement défaut aux équipes de recherche, notamment dans le cadre des recherches de financement. Là encore, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une baisse des dépenses de personnel de plus de 12 %.
Le Conseil d’État et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont parfaitement illustré la chose. En multipliant la création des contrats précaires, de chaires de professeur junior en CDI de mission, en passant par le contrat doctoral privé, vous optez pour une recherche de court terme et non pour des programmes ambitieux. Et vous ignorez totalement, au passage, la Cour des comptes, qui pointait la surreprésentation des contractuels au sein de votre ministère.
En matière de personnels, vous avez renvoyé aux universités, et ce à plusieurs reprises, la responsabilité des postes non pourvus, malgré des plafonds d’emplois relevés depuis 2018. C’est oublier un peu vite que, si les universités utilisent allègrement le mécanisme de « fongibilité asymétrique », c’est pour faire face au sous-financement chronique des établissements et compenser, notamment, le renoncement de l’État à financer le glissement vieillesse technicité (GVT).
Et que dire de la rémunération de nos chercheurs, moins payés que chez nos voisins ? Un protocole d’accord sur les rémunérations et les carrières vient d’être signé, mais les crédits qui devraient permettre sa concrétisation ne sont inscrits nulle part…
Je conclurai mon propos sur le fonctionnement de l’Agence nationale de la recherche. Cette dernière, malmenée par des baisses récurrentes de crédits, reste encore largement contre-productive. Malgré votre volonté d’en améliorer le fonctionnement, nous doutons que l’outil soit véritablement pertinent.
En effet, cette agence participe pleinement à l’écosystème de l’enseignement supérieur concurrentiel et tourné vers le classement de Shanghai. Or, comme on le voit avec les initiatives d’excellence (IDEX) et le programme d’investissements d’avenir (PIA), notamment, cette stratégie de pôles d’excellence dévoie le modèle de service public national d’enseignement supérieur.
Je m’inquiète à ce titre de la survie, à moyen terme, des universités de taille plus réduite. On constate d’ores et déjà la concentration des financements d’avenir dans les métropoles et de grandes inégalités de financement entre domaines d’études, au détriment notamment des sciences humaines et sociales.
Pourtant, c’est bien ce modèle concurrentiel que le projet de loi alimente et poursuit. Beaucoup d’entre vous en êtes conscients, mes chers collègues, comme en témoignent les nombreuses réactions sur la nécessité de prendre en compte les enjeux d’aménagement du territoire, eux aussi trop absents de ce projet de loi de programmation.
Ce texte suscite, depuis sa parution, de nombreuses oppositions de la part d’enseignants, de chercheurs, de maîtres de conférences. Vous l’avez sûrement constaté, mes chers collègues, au vu de la vague de méls que vous avez reçus.
Adoption de motions lors d’assemblées générales d’unités de recherche ou du Comité national de la recherche scientifique, 814 directeurs de laboratoire prêts à démissionner de leurs responsabilités administratives, avis plus que réservé du CESE, du Conseil d’État, du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), je n’en jette pas davantage. Écoutons les premiers concernés par ce texte : ils nous disent, unanimement, leur profond désaccord quant à l’avenir proposé pour notre recherche.
Par cette motion, nous vous proposons de suivre l’avis de tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, en indiquant que ce projet de loi est au mieux insuffisant et au pire délétère. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)