Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accélération et la simplification de l’action publique constituent une attente forte régulièrement exprimée par nos concitoyens et nos élus. C’est un axe fort de notre politique depuis le début du quinquennat, avec des lois importantes : loi Essoc (loi pour un État au service d’une société de confiance), loi ÉLAN (loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises).
Quelle est l’origine de ce nouveau texte ? Ce projet de loi ASAP s’appuie sur trois axes. Sur la simplification de l’administration, ce texte est né des travaux menés par Olivier Dussopt et il en constitue l’aboutissement législatif. Sur la simplification du quotidien des Français, ce texte vise à répondre aux préoccupations des Français, qui se sont notamment exprimées pendant le grand débat national. Sur la simplification des entreprises, ce texte rassemble les propositions de la mission Kasbarian réalisée pour le groupe de travail Industrie dans le cadre de la préparation du Pacte productif.
Ce texte a été conçu avant le covid et voté au début du mois de mars dernier au Sénat. La crise que nous traversons nous a montré que nous pouvions aller plus loin et nous engager plus avant dans cette simplification. Le texte a ainsi été enrichi par un travail interministériel conduisant à identifier deux types de simplifications additionnelles : d’une part, la pérennisation de mesures d’urgence votées depuis le mois de mars 2020, qui ont montré leur intérêt et dont l’impact a pu être évalué ; d’autre part, des mesures de simplification additionnelles pouvant aider à la relance de notre pays.
Les deux premiers titres de ce projet de loi traduisent les engagements pris par le Gouvernement en matière d’organisation administrative.
Le premier de ces engagements, c’est celui d’une organisation administrative plus simple et plus réactive. Vous le savez, le comité interministériel de la transformation publique prévoyait de supprimer 86 commissions consultatives sur les 394 existantes. Certaines ont une accroche législative et seront supprimées par cette loi. Cette simplification vise à fluidifier de manière significative le processus de la décision publique, bien souvent perçu comme trop lent et complexe par nos concitoyens, nos élus locaux et nos entreprises.
En même temps, nous avons écouté les considérations des parlementaires et maintenu les commissions qui paraissaient essentielles. Ainsi, à la demande du Sénat, la commission mixte paritaire a maintenu la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF).
Le second engagement du Gouvernement consiste à rendre les administrations plus proches et plus accessibles. Notre objectif consiste à approcher un taux de 99 % de décisions individuelles prises à l’échelon local. Une administration plus proche et plus à l’écoute de nos concitoyens, ce n’est pas qu’un impératif d’efficacité, c’est également un impératif démocratique. Les deux chambres se sont retrouvées sur ce sujet, qui a été adopté de manière consensuelle en commission mixte paritaire.
Les titres III à V du projet de loi visent des simplifications pour le quotidien des Français et des entreprises. Leur objectif est de faire gagner du temps à nos concitoyens et à nos administrations, pour que ces dernières se concentrent sur les sujets ayant la plus grande importance pour les Français.
Ce texte permet de simplifier les démarches administratives : faciliter la délivrance de différents documents comme les papiers d’identité ou le permis de conduire ; simplifier des démarches qui concernent nos jeunes concitoyens, que ce soit pour passer le permis de conduire ou la pratique du sport ; simplifier les ouvertures de livret d’épargne populaire pour nos concitoyens aux revenus les plus modestes. Nous assumons cette diversité de mesures, car ce sont précisément celles qu’attendent nos concitoyens. Cela ne fait peut-être pas la une des journaux, mais, en tout état de cause, cela facilitera leur quotidien.
Par ailleurs, les travaux des deux chambres ont permis d’enrichir le texte de nouveaux axes de simplification pour protéger les Français : simplification et accélération de la procédure administrative d’expulsion en cas d’occupation illicite du domicile et renforcement des sanctions pénales anti-squat ; extension de l’utilisation des chèques énergie aux hébergements pour personnes âgées.
Le projet de loi vise également à simplifier la vie de toutes les entreprises.
Le premier axe concerne les procédures des implantations et extensions industrielles que le Gouvernement souhaite accélérer sans modifier de normes d’urbanisme, d’archéologie ou d’environnement. Les délais pour une décision d’autorisation sont deux fois plus longs en France qu’en Suède. Pourtant, le droit suédois est au moins aussi exigeant que le nôtre en matière d’environnement.
D’abord, il s’agit de ne pas faire recommencer de zéro les porteurs de projets à chaque changement réglementaire. Ces derniers devront bien entendu se mettre en conformité, dans les délais contraints des installations déjà existantes.
Ensuite, nous souhaitons faciliter l’instruction des dossiers et adapter les procédures aux réalités du terrain en permettant aux préfets d’accélérer les délais au cas par cas, pour les projets ne nécessitant pas une évaluation environnementale. C’est une demande assez largement partagée au sein de cette assemblée.
Pour raccourcir les délais tout en maintenant nos exigences en matière environnementale, culturelle et de droit de l’urbanisme, des « sites clés en main » ont été identifiés, pour lesquels toutes ces procédures administratives ont été menées en amont. Un projet industriel pourra ainsi démarrer sa production en quelques mois seulement. Il s’agit de créer de l’emploi sur notre territoire national.
Le deuxième axe consiste à anticiper et faciliter les procédures pour accélérer le déploiement de la relance. C’est un point qui est cher au ministère de l’économie, des finances et de la relance, en particulier à Bruno Le Maire et à moi-même.
Le projet de loi ASAP permet d’aller plus loin dans le partage de la valeur. Des dispositions sont prévues pour faciliter les négociations en matière d’épargne salariale et d’accord d’intéressement. Nous tirons là les enseignements de la mise en œuvre de la loi Pacte.
Le projet de loi ASAP permet également d’aller plus loin pour faciliter la commande publique, en pérennisant certains dispositifs pris pendant l’état d’urgence sanitaire et en augmentant le seuil de la commande publique sans formalité pour les travaux à 100 000 euros pendant les deux ans de la relance. Ce faisant, nous nous rapprochons de la moyenne européenne.
Le projet de loi ASAP permet enfin de construire plus avant l’expérimentation Égalim, du nom de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, tout en tirant les enseignements de sa mise en œuvre sur les produits saisonniers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez le constater : ce texte est utile et concret. Je veux ici saluer le travail de concertation et de coconstruction qui a rendu possible son adoption rapide. Cela a été dit, ce projet de loi a été peu à peu enrichi par vos apports et le débat parlementaire.
Je tiens à cet égard à souligner le travail accompli par les deux chambres, plus particulièrement en ce jour par le Sénat. Votre esprit d’exigence et de dialogue a permis de faire avancer ce texte, afin qu’il réponde aux attentes formulées par nos concitoyens. Vous avez intensément travaillé ces derniers jours à revoir la rédaction d’un grand nombre d’articles et à trouver des solutions, ce dont je veux vous remercier.
La commission mixte paritaire a ainsi réalisé un travail exemplaire en prenant en compte les souhaits et expertises des deux chambres. Même si les rédactions ont pu évoluer, les simplifications de l’administration et celles pour les implantations industrielles se sont révélées consensuelles. C’est la preuve que ces mesures ont du sens pour nous tous, pour favoriser la localisation d’activités et d’emplois dans nos territoires sans en rabattre sur nos standards environnementaux.
J’en viens maintenant aux sujets de fond qui ont fait couler beaucoup d’encre, en particulier les sujets relatifs à l’agriculture.
Nous avons écouté les demandes du Sénat sur la réforme des chambres d’agriculture de région, qui ne pourra se faire qu’après accord de deux tiers des chambres infrarégionales.
Nous avons pris en compte la demande du Sénat d’inscrire en dur les ordonnances Égalim et de faire une exception pour les produits festifs dès que le texte entrera en vigueur ; ce sera, je pense, apprécié par les professionnels alors qu’approchent les fêtes de fin d’année. Enfin, nous mettrons à disposition des parlementaires plusieurs rapports, notamment un rapport des économistes en 2021 fondé sur l’exercice 2020 et le rapport de la mission Papin, qui permettra d’évaluer l’expérimentation du seuil de revente à perte (SRP), prolongée jusqu’au mois d’avril 2023, de manière à permettre à chacun de reprendre la main sur ce texte sur la base de constats réels.
In fine, c’est un texte fourni, je le reconnais volontiers, qui garde la cohérence de ses trois axes initiaux : simplification de l’administration, simplification du quotidien des Français, simplification de la vie des entreprises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la démarche de simplification que nous prônons est concrète et doit s’inscrire dans la durée. Elle doit servir à la relance de notre pays que nous engageons en cette période de crise. Ce projet de loi, qui reflète le travail de coconstruction, contribuera à nous en donner les moyens. C’est pourquoi je vous invite à le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quoi de plus normal qu’un examen accéléré pour ce projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique ? Cela pourrait porter à plaisanterie, si ce n’était pas devenu habituel dans cet hémicycle.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
Mme Maryse Carrère. Une fois de plus, nous ne pouvons que regretter que l’exception devienne la norme.
M. Jean-Pierre Sueur. Encore hélas !
Mme Maryse Carrère. C’est d’autant plus regrettable qu’au vu du nombre d’articles ajoutés – 81 – il eût été intéressant de permettre un réexamen plus classique afin d’être pleinement au fait des dispositions que nous nous apprêtons à voter.
Avoir un propos clair et synthétique sur un texte si varié n’est donc pas chose aisée. Il est difficile d’être opposé sur le principe à la simplification annoncée par ce texte. Nous tous, dans notre quotidien, nous aspirons à cela, que ce soit dans nos relations avec l’administration, pour des travaux ou pour une simple demande de renouvellement de carte d’identité.
La simplification doit être l’un des moyens permettant de redonner confiance en l’administration.
Plus globalement, au regard de la période que nous traversons, je suis intimement convaincue que la relance économique, si l’on veut qu’elle soit la plus effective possible, doit être accompagnée par une simplification. Cela ne doit néanmoins pas se faire à tout prix.
Si l’objectif initial de ce texte était de simplifier la vie des particuliers, la mouture finale nous donne une réalité tout autre avec une majorité de dispositions qui viennent davantage faciliter la vie des entreprises. Je pense notamment aux règles en matière de commande publique qui permettent la passation d’un marché public sans appel d’offre, quel que soit le montant, pour un motif d’intérêt général qu’il sera toujours bien difficile de qualifier.
Si le relèvement des seuils de passation d’un marché public de 40 000 euros à 100 000 euros peut être bienvenu, il n’est pas une fin en soi. J’ai longtemps été maire et, chaque année, j’ai vu ce seuil être modifié pendant que nous complexifiions la commande publique en laissant les élus démunis face au contentieux que cela génère.
Dans la période actuelle, notre économie aura besoin de la commande publique pour se relever et il faut noter l’intéressante disposition relative à l’accès à la commande publique pour les entreprises en redressement judiciaire introduite dans le texte.
On notera aussi le passage de quinze jours à un mois du délai d’information des maires concernant les projets éoliens. C’est aussi une bonne mesure.
Globalement, je suis favorable à l’ensemble des mesures venant raccourcir les délais des travaux tant que celles-ci ne viennent pas fragiliser la commande publique et sa sécurité juridique.
Le constat est que, au fil du temps et de l’empilement législatif et réglementaire, le temps du papier est devenu souvent plus long que le temps du chantier. L’article 25 bis B ajouté par nos collègues de l’Assemblée nationale, qui supprime la soumission systématique à autorisation environnementale du plan de gestion des cours d’eau, représente en ce sens une véritable avancée en termes de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) pour les collectivités. Il permettra également d’accélérer les délais d’instruction des demandes d’autorisation environnementale pour les travaux en cas de situation d’urgence. Sur ces sujets, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin dans l’accélération et la simplification, mais j’espère que nous y reviendrons, notamment lors des travaux relatifs à la proposition de loi d’Henri Leroy.
Au même titre, à l’article 27 quater, l’articulation de la procédure d’autorisation environnementale avec la procédure de dérogation concernant la directive-cadre sur l’eau nous satisfait pleinement. Néanmoins, là encore, nous faisons face à un manque de sécurité juridique concernant l’inscription de ces dérogations aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux.
Le risque, c’est que ces nouveaux projets ne voient pas le jour faute d’inscription dans les schémas qui sont en train d’être revus et qui ne pourront être modifiés qu’à l’horizon 2027.
Pour conclure, si ce texte apporte nombre de simplifications avec lesquelles nous sommes d’accord sur le fond, nous regrettons que de nombreuses dispositions n’aient pas fait l’objet d’une étude d’impact. Malgré cette réserve, dans sa grande majorité, le groupe RDSE votera favorablement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes parvenus au bout de la navette parlementaire sur ce projet de loi dit d’accélération et de simplification de l’action publique, un projet de loi particulièrement fourre-tout, sans cohérence globale, si ce n’est la volonté de libérer l’initiative privée et de sécuriser les porteurs de projets, bref de déréguler encore et toujours au nom de l’efficacité.
Comprenant initialement 50 articles, ce projet de loi est passé à 86 articles à la suite de son passage au Sénat et plus de 160 articles restaient en débat à la suite à son passage à l’Assemblée nationale. L’examen en commission mixte paritaire aura d’ailleurs largement conservé le texte issu de l’Assemblée nationale : sur ces 160 articles en discussion, seulement 2 ont été retenus dans les termes proposés par le Sénat, situation que vous me permettrez de juger particulièrement déséquilibrée.
Notons encore que le texte de l’Assemblée nationale s’est essentiellement étoffé à la suite de l’adoption d’amendements gouvernementaux n’ayant fait l’objet ni d’étude d’impact ni d’avis du Conseil d’État, pratique que nous jugeons particulièrement douteuse, voire inconstitutionnelle.
Lors de la première lecture, nous avions voté contre ce projet de loi. Deux éléments nous paraissaient particulièrement inacceptables : la privatisation rampante de l’Office national des forêts et la régression du droit de l’environnement, notamment concernant les installations industrielles.
Nous continuons de penser que, ce projet de loi ayant été déposé avant l’accident de Lubrizol, le Gouvernement aurait dû revoir sa copie, en tenant compte du résultat des enquêtes, des attentes des élus et de la population pour que plus jamais un tel accident ne puisse se reproduire. Il n’en est rien.
Dans le même esprit, la seconde délibération imposée à l’Assemblée nationale à la suite de la suppression de l’article 25 portant sur les modalités de consultation du public concernant ces installations apparaît comme un véritable coup de force, pour ne pas dire un déni de démocratie.
Au final, le contenu de ce projet de loi a été aggravé, notamment concernant les procédures publiques et le secret des affaires. Ce texte permet ainsi l’augmentation du nombre de marchés publics conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables, en reconnaissant une nouvelle hypothèse de dérogation lorsque « l’intérêt général » le justifie, concept bien flou à nos yeux. Nous considérons ainsi que l’intérêt général commande bien au contraire le respect des procédures afin d’éviter les conflits d’intérêts et les délits de favoritisme.
Le seuil de mise en concurrence préalable et de publicité a, par ailleurs, été relevé à 100 000 euros. C’est un niveau très élevé, notamment pour les plus petites collectivités. Ces évolutions renforceront à l’évidence la défiance de nos concitoyens face aux pouvoirs publics et face aux élus.
Nous estimons tout aussi inacceptable la pénalisation plus importante des squatteurs, alors qu’il y aurait tant à faire pour garantir plus efficacement le droit au logement. Comme d’habitude, vous vous attaquez aux conséquences plutôt qu’aux maux, aux faibles plutôt qu’aux puissants.
L’accélération attendue par nos concitoyens n’est pas cette fuite en avant libérale, c’est celle des investissements dans les communs, alors que leur pouvoir d’achat a été grandement affecté par la crise du covid et que les bases républicaines vacillent.
Nos concitoyens attendent du concret pour les mécanismes d’assurance collective, la protection de nos jeunes. Ils attendent des investissements pour l’hôpital public, pour l’école, pour la police et pour l’ensemble des services publics.
Ce projet de loi, qui s’inscrit pourtant dans la démarche du grand débat national, ne répond à nos yeux en rien à ces urgences consacrant l’impuissance de l’État et la primauté des intérêts économiques sur les autres impératifs, qu’ils soient sociaux ou environnementaux.
Pour ces raisons, nous confirmons notre vote défavorable sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous le fameux adage selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. Cette fiction juridique a conduit le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1999, à créer un nouvel objectif de valeur constitutionnelle : l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi.
C’est avec cette même ambition qu’ont été menés les travaux de la commission spéciale que j’ai eu l’honneur de présider. À cet égard, je tiens à remercier les trente-huit membres de cette commission, ses deux rapporteurs, ainsi que l’ensemble des fonctionnaires du travail de qualité qu’ils ont collectivement réalisé, dans les conditions pour le moins confuses que nous connaissons.
Si j’évoque ce fameux adage, c’est parce que le texte qui nous est soumis, qualifié à maintes reprises de projet de loi fourre-tout, contient des mesures très disparates, son examen au Parlement ayant entraîné une inflation législative. Le Sénat a ainsi ajouté 36 articles au texte, qui en contenait initialement 50. L’Assemblée nationale, pour sa part, en a ajouté 81 de plus.
Ce texte, qui prolonge la politique de modernisation de l’administration, a pour ambition de parvenir à une administration à la fois plus simple, plus proche, plus efficace et plus rapide.
Si les mesures de simplification à destination des particuliers sont relativement consensuelles, si celles qui concernent les entreprises sont les bienvenues – notre collègue député Guillaume Kasbarian les avait proposées dans le rapport qu’il a remis en septembre dernier au Premier ministre –, diverses mesures du projet de loi initial n’ont qu’un lointain rapport avec la simplification de l’action publique. Ce texte constitue donc en réalité un véhicule législatif commode alors que l’agenda législatif est surchargé.
Ce projet de loi, s’il ne constitue pas le grand soir annoncé lors du lancement de CAP 2022 voilà trois ans, vise néanmoins à répondre aux attentes des Français, telles qu’elles sont ressorties du grand débat national, en matière de transformation de l’action publique, de simplification de leurs relations avec l’administration et d’accompagnement de leurs projets.
La crise sanitaire et la volonté de faciliter la reprise économique rendent ces objectifs plus cruciaux encore.
Les travaux de notre commission spéciale ont permis d’adopter des avancées concrètes, attendues par nos concitoyens et par les entreprises, afin de simplifier nos règles, tout en préservant les équilibres de notre droit, en particulier en matière de droit de l’environnement.
Quelles sont ces avancées ?
Je me félicite du renforcement de l’information des élus locaux, grâce à la saisine des communes et des EPCI concernés par les opérations d’aménagement du Grand Paris.
Je salue, comme le rapporteur, le retour à la version du texte adoptée par le Sénat concernant l’assurance emprunteur, car cela clarifie les modalités d’application du droit de résiliation annuel en renforçant les obligations d’information des prêteurs et des assureurs. Une telle mesure concerne, mes chers collègues, près de 6 millions de particuliers, dont 80 % ignorent leur droit de changer d’assurance.
Enfin, sur la thématique des squatteurs, qui a, malgré elle, donné de la visibilité à un texte qui en manquait jusqu’alors, nous avons, dans un esprit transpartisan, renforcé la procédure d’expulsion des squatteurs afin de protéger les propriétaires et les locataires victimes de tels délits.
À l’issue d’un travail parlementaire entamé en février dernier, je tiens à saluer la volonté des deux commissions spéciales, de leurs rapporteurs et de nos deux assemblées de faire prévaloir une attitude constructive, dans le respect des apports de chacune d’elles.
La convergence de vue sur la nécessité de simplifier le quotidien de nos concitoyens et de nos entreprises a permis – merci, monsieur le rapporteur – de parvenir à un bon compromis entre la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale.
Je tiens également à louer le travail considérable et remarquable des rapporteurs, ainsi que des administrateurs qui les ont assistés. Je remercie d’abord Patricia Morhet-Richaud de la qualité de son rapport, ainsi que Daniel Gremillet, qui lui a succédé, de son efficacité et de son écoute. Partageant avec nos collègues de l’Assemblée nationale la volonté d’améliorer la fabrique de la loi, je remercie ensuite sincèrement les députés Duvergé et Kasbarian de leur disponibilité et de leur sérieux.
« Que serait, mes chers collègues, notre démocratie sans le bicamérisme ? », se demandait ici même, le 1er octobre dernier, le président Larcher. À cette question, je réponds que le Parlement, lors de l’examen de ce texte, a fait preuve d’un sens du dialogue exemplaire et a démontré que le bicamérisme était indispensable à la vitalité de notre démocratie. Sans ce dialogue, rien n’était possible, car, s’il est un sujet compliqué, mes chers collègues, c’est bien la simplification. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention comprendra deux points.
Premier point : nous n’allons pas voter ce texte, car, en dépit d’avancées positives, il comporte de nombreuses dispositions négatives, voire des reculs, surtout après son examen à l’Assemblée nationale.
Je commencerai par les quelques avancées positives.
Positive, l’information des maires sur l’implantation d’éoliennes. Positive, la résiliation annuelle des contrats d’assurance emprunteur. Positives, les mesures concernant les pharmacies afin d’éviter certaines dérives sur internet. Positif, le maintien de la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires.
Cependant, le texte contient, hélas ! de nombreuses mesures négatives : la suppression de la Commission de suivi de la détention provisoire, du Conseil national de l’aide aux victimes, de l’Observatoire de la récidive, de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, du Conseil supérieur de la mutualité – beaucoup de nos concitoyens sont pourtant attachés à la mutualité, à juste titre –, l’absorption du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les restrictions en matière d’enquêtes publiques, de politique du logement, l’habilitation à légiférer par ordonnances pour modifier certaines règles applicables à l’Office national des forêts et aux chambres d’agriculture, les dispositions concernant l’accueil des jeunes enfants, les dérogations aux règles relatives à la commande publique, lesquelles, madame la ministre, peuvent poser problème.
J’en viens maintenant au second point de mon intervention.
Je proteste avec force et vigueur contre la procédure qui nous est imposée. Mes chers collègues, une fois de plus, le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée sur ce projet de loi. Madame la ministre, vous connaissez très bien la Constitution et vous savez qu’elle prévoit un recours exceptionnel à cette procédure. Dès lors, comment expliquez-vous que le Gouvernement auquel vous appartenez, tout comme le précédent, et comme d’autres auparavant d’ailleurs, tende à généraliser le recours à la procédure accélérée ? De tous les textes qui nous ont été soumis depuis 2017, un seul a échappé à cette procédure, le projet de loi relatif à la bioéthique. Je ne comprends pas cela.
J’ai longtemps été député, je suis sénateur depuis longtemps – hélas ! me direz-vous ! –, et j’ai le souvenir qu’il y a dix, vingt ou trente ans, la procédure accélérée était l’exception. Pourquoi est-elle devenue la règle ?
L’effet de ce système est le suivant : le projet de loi qui nous est présenté – je rends hommage aux qualités du rapporteur – comprend aujourd’hui 167 articles, quand il n’en comptait que 86 au sortir du Sénat. Si je fais une soustraction, je vois, mes chers collègues, que 81 articles ont été examinés par l’Assemblée nationale et dont le Sénat n’a pas eu à connaître.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’avons jamais entendu parler, ici, en séance publique de ces articles, dont nous avons pris connaissance lors de la réunion de la commission mixte paritaire ! Nous ne pouvons pas accepter un tel dispositif.
Je me souviens que, lorsque François Hollande était Président de la République, et alors que cette même tendance s’observait déjà – comme vous le voyez, je suis très clair sur ce point –, nous avions adopté les nouvelles modalités du divorce au terme de la réunion d’une commission mixte paritaire, alors que le sujet avait été examiné dans une assemblée, mais pas du tout dans l’autre.
Je dis que cela n’est pas acceptable. Je l’ai dit hier, je le dis aujourd’hui.
Le Conseil constitutionnel nous précise – il l’a encore fait dans un récent rapport – que les cavaliers sont inacceptables, car ils n’ont rien à voir avec le texte. Mais qu’est-ce que le présent texte sinon un troupeau de cavaliers ? Ce texte parle de tout, son centre est partout et sa circonférence nulle part. Pourquoi cela est-il licite ? Pourquoi les amendements que nous déposons quelquefois sont-ils considérés comme des cavaliers, au motif qu’ils n’auraient pas de rapport direct avec le texte, alors même que la Constitution prévoit que les amendements peuvent avoir avec lui un rapport indirect ? Je vous laisse méditer sur ces questions.
En conclusion, j’indique que notre groupe ne votera pas ce texte, car il est en désaccord avec certaines de ses mesures, mais plus encore avec la procédure utilisée, qui n’est absolument pas respectueuse du Parlement. En outre, elle ne permet pas la bonne écriture de la loi, laquelle suppose que l’on regarde de très près en première lecture, en deuxième lecture et en nouvelle lecture, chaque mot, chaque ligne de la loi qui, souvent pendant des décennies, s’appliquera à l’ensemble du peuple français. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)