M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les sujets traités dans le cadre de ce Conseil européen, j’évoquerai deux points qui sont complémentaires de l’intervention de mon collègue Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : les négociations entre Londres et Bruxelles et les évolutions dans la gestion de la crise sanitaire mondiale que nous vivons.
Depuis que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne, les pourparlers entre Londres et Bruxelles pour un accord de libre-échange qui entrerait en vigueur à la fin de la période de transition patinent, et l’échéance se rapproche dangereusement.
Je souhaite rappeler que, pour la pêche, une absence d’entente au 31 décembre prochain se traduirait par la fermeture immédiate des eaux britanniques aux pêcheurs de l’Union européenne, et réciproquement, par l’absence de quotas de pêche partagés et par le retour possible de nouveaux conflits d’usage entre les flottilles françaises, belges et néerlandaises dans la zone de pêche largement amputée au niveau de la Manche.
Très dépendante de la future négociation, la filière pêche française sera lourdement menacée par une absence de traité et d’accès réciproque dans les eaux territoriales. Entre 2011 et 2015, quelque 98 000 tonnes de poissons ont été pêchées chaque année dans les eaux territoriales britanniques, entraînant 171 millions d’euros de chiffre d’affaires et 2 566 emplois directs. Nous sommes en vision no deal : englober la pêche dans un accord global de libre-échange reste un réel contrepoids dans les négociations.
Quelque trente ports français sont concernés par cette dépendance. Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de prendre l’exemple de mon territoire, les Hauts-de-France, deuxième région la plus fortement touchée.
Le port de Boulogne-sur-Mer est le premier port de pêche français en termes de tonnage – 36 000 tonnes par an. On y traite 360 000 tonnes de produits de la mer chaque année. Sa logistique d’approvisionnement et de distribution et sa capacité frigorifique sont sans équivalent pour la filière. Boulogne-sur-Mer est une plateforme logistique agroalimentaire leader en France et en Europe.
Ne devrions-nous pas mieux anticiper la crise par plusieurs dispositifs, par exemple en assouplissant le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, afin de pouvoir l’utiliser comme un fonds d’urgence de soutien du secteur, ou en mettant en place un plan stratégique pour l’avenir de la pêche européenne, afin de nous préparer à la recherche de marchés de substitution en cas de barrières douanières trop importantes avec le Royaume-Uni ?
J’en viens au sujet des échanges. Le port de Calais assure chaque année le transport de 10 millions de voyageurs, mais aussi de 44 millions de tonnes de marchandises sur la ligne de ferry Calais-Douvres. C’est un poumon économique pour notre territoire.
L’Union européenne doit se doter d’un accord de libre-échange ambitieux. S’il souhaite maintenir des relations commerciales sans quotas ni droits de douane, le Royaume-Uni doit s’engager à actualiser ses règles en matière de concurrence, de normes de travail et de protection environnementale, afin d’éviter tout risque de dumping social et fiscal aux portes de l’Europe.
Permettez-moi à présent d’aborder un dossier tout particulier : la concession franco-britannique Eurotunnel, filiale de Getlink, qui assure 26 % des échanges entre le Royaume-Uni et le continent européen, soit un peu plus de 138 milliards d’euros de marchandises et 21 millions de passagers par an.
L’Union européenne a encouragé la France à négocier un avenant au traité de Canterbury, pour faire en sorte que le tunnel reste sous l’égide du droit européen et de la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne en cas de litige. Qu’en est-il de cette concertation, monsieur le secrétaire d’État ?
Je souhaite terminer par un point positif en rapport avec la crise sanitaire.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Fournier. Je termine, monsieur le président.
Nous ne pouvons que nous féliciter des progrès réalisés jusqu’à présent en ce qui concerne la coordination générale au niveau de l’Union européenne, y compris la recommandation relative à une approche coordonnée de la restriction de la libre circulation. Cette coordination doit être poursuivie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le constat du réchauffement climatique et de la destruction des espaces naturels est réel. Les citoyens européens nous interpellent, nous, les élus, sur la nécessité d’agir pour la planète, pour l’humanité et pour les générations à venir.
L’Union européenne a compris la nécessité de bâtir un modèle économique viable en tenant compte de l’urgence climatique.
Pourtant, l’action européenne en faveur du climat a été évoquée au Conseil européen des 15 et 16 octobre sans que soit arrêtée de position concernant la révision de l’objectif de réduction des gaz à effet de serre à l’horizon de 2030, objectif qui s’intègre dans la stratégie de l’Union européenne en vue d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050. Ce n’est pas une surprise, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous aviez indiqué lors du débat préalable au Conseil que ce point ne serait pas tranché avant le Conseil européen de décembre.
Les conclusions des 15 et 16 octobre confirment bien la volonté de convenir lors du Conseil européen de décembre, à la fois d’un nouvel objectif de réduction des émissions pour 2030 plus ambitieux, mais aussi de l’actualisation de la contribution déterminée au niveau national de l’Union européenne, actualisation qui sera adressée aux parties à la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique.
Bien que la cible finale pour l’horizon 2030 ne soit pas précisée, les conclusions se réfèrent à la proposition présentée par la Commission européenne de réduire d’au moins 55 % les réductions d’émissions d’ici à 2030. Ma première question est donc la suivante, monsieur le secrétaire d’État : cela signifie-t-il que, dès aujourd’hui, la position adoptée par le Parlement européen le 6 octobre à une courte majorité de relever cet objectif à 60 % est jugée hors de portée, donc exclue pour le Conseil européen ?
Ce nouvel objectif pour 2030 sera atteint collectivement par l’Union européenne, ce qui implique des différences et une solidarité entre les États dans une logique d’équité et de maîtrise des coûts. Cette nouvelle ambition va nécessiter des investissements importants ; comme le souligne l’étude d’impact de la Commission européenne, elle aura des impacts sectoriels significatifs et représentera des enjeux d’ampleur variable suivant les États membres.
Il est donc nécessaire de fixer un cap, mais également d’accompagner les économies des États membres dans cette transformation profonde, afin que les citoyens européens n’en soient pas victimes in fine. Le Conseil européen – je souhaite saluer cette décision – a appelé la Commission à mener des consultations approfondies avec les États membres, afin d’évaluer les situations spécifiques et de fournir davantage d’informations sur les répercussions de ce nouvel objectif à l’échelon des États membres.
À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur l’état des réflexions et des rapports de force au sein du Conseil européen, à la fois sur l’ambition révisée, mais aussi sur le niveau acceptable ou souhaitable de solidarité entre les États pour y parvenir. Compte tenu des premiers échanges intervenus avec la Commission, pouvez-vous également d’ores et déjà nous éclairer sur l’impact prévisionnel d’un tel rehaussement pour la France ?
Enfin, les conclusions du Conseil des 15 et 16 octobre évoquent la nécessité de prévenir le risque de fuite carbone – vous l’avez évoqué. C’est un sujet auquel le Sénat est particulièrement sensible.
Il est essentiel de mettre en place rapidement un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, afin de préserver des conditions équitables de concurrence entre les entreprises européennes et les autres, mais aussi de répondre à cet enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui a une portée mondiale.
L’Europe ne doit pas se montrer naïve en la matière. Ces débats prouvent bien, comme l’avait affirmé le Sénat dans son avis motivé relatif à la loi européenne sur le climat, que la définition de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas un élément technique ni mécanique : elle revêt un caractère éminemment politique et doit être pleinement acceptée par les États membres pour être mise en œuvre avec succès.
Les enjeux d’une telle décision sont lourds en termes économiques et sociaux, technologiques et industriels, mais aussi en termes d’aménagement du territoire dans chacun des États membres ; il ne faut pas se le cacher.
Je me félicite donc de ce que la dernière position de compromis sur la loi européenne sur le climat, présentée par la présidence allemande en vue du Conseil « Environnement » du 23 octobre, écarte la voie du recours aux actes délégués entre 2030 et 2050 et retienne en contrepartie le principe d’un objectif intermédiaire à l’horizon de 2040. Tel était le point dur de l’avis motivé du Sénat.
L’urgence est toutefois de parvenir à mettre en œuvre de manière concrète et efficace les instruments du cadre financier pluriannuel et du plan de relance, notamment en vue d’accompagner les défis économiques, sociaux et territoriaux de la lutte contre le changement climatique dans un contexte économique profondément dégradé par la crise de la covid-19.
La lutte contre le changement climatique est l’une des matrices structurantes de ce nouveau cadre financier pluriannuel et du plan de relance. Plus l’Europe prend du retard dans leur mise en œuvre, plus il lui sera difficile d’atteindre un objectif rehaussé de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions satisfaisantes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite moi aussi évoquer le thème du changement climatique abordé à l’occasion du dernier Conseil européen.
Dans le contexte actuel, la question qui me semble la plus fondamentale est la suivante : comment faire de l’Union européenne un outil stratégique pour écrire la prochaine page de la mondialisation ? L’Europe peut saisir cette opportunité pour redonner un sens à la mondialisation.
Le Sénat a fait des propositions, monsieur le secrétaire d’État. Au début de l’année 2020 – vous n’étiez pas encore au Gouvernement –, le Sénat a adopté une résolution demandant au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières. Ce projet vise un double objectif : économique, par la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de nos agriculteurs soumis à des normes beaucoup plus exigeantes que leurs partenaires commerciaux ; et écologique, par la taxation des produits provenant des pays s’affranchissant de toute réglementation environnementale.
Je crois à l’échange, à la force de nos entreprises, à la compétence de nos salariés et de nos agriculteurs et à l’excellence de leur savoir-faire. Mais, pour que cette liberté d’échanger ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous et que nous remettions de l’équité et de la réciprocité dans les échanges internationaux.
Pour que l’écologie et la lutte contre le dérèglement climatique soient non pas dogmatiques, mais pragmatiques et durables, pour qu’elles protègent nos emplois, la mise en place de cette barrière écologique semble essentielle.
Nous avons besoin d’actes réels. Trop souvent, les politiques publiques environnementales peuvent sembler inconsistantes. C’est d’autant plus vrai lorsqu’elles sont européennes : les objectifs sont soit fixés à très long terme et ne nous engagent pas réellement, soit fixés à court terme et irréalistes, discréditant ainsi la parole publique. En matière de climat et d’énergie, nos objectifs doivent être réalisables et ils doivent respecter une règle simple : arrêtons de créer des usines à gaz trop sophistiquées.
Conformément aux objectifs de l’accord de Paris, l’Europe – tout le monde en est d’accord – doit s’engager sur un objectif de neutralité carbone ou neutralité climatique à l’horizon 2050. La Commission a estimé qu’il fallait rehausser les objectifs climatiques européens pour 2030, car les politiques actuelles ne permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre que de 60 % d’ici 2050. Mais quelle ambition et quelles mesures concrètes ?
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite également évoquer le sujet de l’agriculture, si stratégique pour l’Europe, en particulier pour la France.
La stratégie « De la ferme à la table » présentée par la Commission porte sur l’ensemble des stades de la chaîne alimentaire. Elle comporte notamment des mesures législatives pour une diminution de l’utilisation des pesticides, des mesures favorisant l’augmentation des surfaces consacrées à l’agriculture biologique et des actions visant à aider les consommateurs à opter pour une alimentation saine et durable.
Notre agriculture, ne l’oublions pas, est toutefois l’une des plus vertueuses au regard des normes et des standards. Nous avons la chance d’avoir une agriculture forte : elle doit le rester.
La PAC doit évoluer pour simplifier la vie de nos agriculteurs. Vous avez annoncé dans votre propos liminaire que le niveau de la PAC sera stabilisé, notamment le premier pilier, et que des écorégimes seraient créés, afin d’éviter les distorsions de concurrence pour nos agriculteurs.
Sachez que nous serons particulièrement vigilants sur ce point, car nous avons besoin de l’agriculture pour l’écologie : les agriculteurs concourent largement à la diversité biologique par l’élevage, par la variété des cultures et par l’entretien de nos paysages. Nos agriculteurs ont besoin du soutien de l’Europe, monsieur le secrétaire d’État.
Enfin, dans tous les pays européens nous devons bâtir des approches territoriales et proposer une adaptation des politiques publiques à la lutte contre le changement climatique. Il faut donc passer à l’action dans les territoires et faciliter le dialogue entre l’État, les corps intermédiaires et les élus locaux. Cela suppose que l’Europe soit moins technocratique et plus proche des citoyens. Sur ce point aussi, monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de féliciter le président Rapin – nous sommes tous deux, pour cet échange européen, dans une configuration inédite –, ainsi que le président Bizet, dont je salue le travail accompli pendant de longues années en tant que président de la commission des affaires européennes. Il se trouve que dans une autre vie européenne, le président Bizet et moi-même avons échangé très régulièrement et, j’ose le dire, très amicalement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’efforcerai de répondre aux diverses questions que vous m’avez posées, en espérant n’oublier aucun des points que vous avez soulignés.
Monsieur Pascal Allizard, la question de la sécurité et de la défense avec le Royaume-Uni est éminemment importante. Nous allons fêter les dix ans des accords de Lancaster House au début du mois de novembre prochain ; vous l’avez rappelé. Le maintien d’un cadre de coopération bilatérale de sécurité et de défense prioritaire est impératif pour la France, comme, je le crois, pour le Royaume-Uni.
Comme vous l’avez rappelé, le Royaume-Uni est encore à bien des égards notre premier partenaire de défense en Europe et au-delà. Le Brexit ne doit pas abîmer ce partenariat : il y a un peu plus de trois ans, le Président de la République l’affirmait déjà dans le discours de la Sorbonne.
Nous avons mis en place avec plus de dix pays un cadre ad hoc souple, l’initiative européenne d’intervention, qui, au-delà d’une relation bilatérale, est un cadre européen informel permettant de travailler avec le Royaume-Uni indépendamment du Brexit.
Cette initiative européenne d’intervention se poursuivra quoi qu’il arrive, deal ou no deal, et, dans l’hypothèse où un accord serait trouvé avec le Royaume-Uni dans les années qui viennent, quel que soit le contenu de ce dernier. C’est une instance, très souple et extrêmement utile, de planification stratégique, d’analyse commune de la menace et de planification de nos équipements. L’idée qui avait présidé à sa création était de nous doter d’un forum permettant une discussion continue avec le Royaume-Uni.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre relation avec la Turquie et l’attitude de ce pays ont fait l’objet de plusieurs questions, posées sous différents angles. Ce sujet est extrêmement important. Nous le savons, nous ne vivons pas seulement un moment de tension temporaire et ciblée, comme celle que nous observons aujourd’hui, par exemple, en Méditerranée orientale, un sujet qui a été évoqué notamment lors du Conseil européen des 1er et 2 octobre dernier.
Nous sommes confrontés avec la Turquie, qui a sans doute une approche d’ensemble, à une multitude de foyers de tension en Méditerranée orientale, en Asie centrale – je reviendrai sur la question du Haut-Karabakh – et sur les scènes de plusieurs conflits régionaux – en Syrie, en Libye, dans les Balkans –, mais aussi à nos portes et parfois même, via différents relais – associatifs, réseaux sociaux, etc. –, dans nos sociétés, dans nos pays.
Nous devons défendre notre modèle de valeurs sans aucune naïveté à l’égard de la Turquie. Je pourrais multiplier les exemples récents montrant que, au cours des six derniers mois, le Président de la République a fait évoluer la posture de l’Union européenne vers plus de fermeté vis-à-vis de la Turquie. Cela ne passe pas simplement par des discussions autour de possibles sanctions ; il s’agit aussi d’adopter, au cas par cas, les postures les plus adaptées, les plus concrètes et les plus fermes.
Par exemple, cet été, le Président de la République a décidé d’organiser un exercice de présence navale militaire conjoint avec l’Italie, Chypre et la Grèce, quand une présence navale turque s’est manifestée en Méditerranée orientale dans les eaux chypriotes et grecques. Il était nécessaire d’envoyer ce signal à la Turquie, et cela n’aurait pas été fait dans le passé. Nous devons disposer d’une palette de réponses signalant notre fermeté.
Malgré les faiblesses que vous trouvez au pacte sur la migration et l’asile – un sujet sur lequel je reviendrai tout à l’heure –, monsieur Leconte, celui-ci permet de réduire notre dépendance à l’égard de la Turquie.
En effet, déléguer à la Turquie la question migratoire revient à mettre entre ses mains la gestion de grands sujets comme l’énergie, l’immigration, voire un certain nombre de sujets économiques et la gestion de crises régionales. Nous sommes parfaitement en ligne quant à l’attitude de fermeté que vous appelez de vos vœux. Nous avons d’ailleurs réussi à faire bouger la position européenne, car, il y a encore quelques mois, cette fermeté à l’égard de la Turquie n’était pas consensuelle.
Le sommet des 1er et 2 octobre fut à cet égard très important, mais nous devons continuer dans cette voie. La Turquie avait alors envoyé quelques signaux positifs de dialogue. Si cela se confirme, nous poursuivrons la discussion, mais si les provocations venaient à reprendre et un climat de tension généralisée à se réinstaller, toutes les mesures, y compris des mesures dites « de restriction » ou « de sanction » seront envisagées.
Monsieur Husson, vous l’avez dit, le Brexit est une sorte de partie d’échecs interminable. Je partage la frustration exprimée par nombre d’entre vous. Vous m’avez posé des questions très précises sur les effets macroéconomiques du Brexit ; ce thème était par ailleurs sous-jacent dans nombre d’interventions.
Il faut prendre ces estimations avec la prudence nécessaire, mais nous pensons que, s’il n’y avait pas d’accord à court terme, l’impact pour le PIB français serait l’année prochaine de moins de 0,1 point. Pour le PIB du Royaume-Uni, en revanche, il serait dix fois supérieur, du fait de la forte asymétrie de la relation commerciale entre ce pays et la France ou l’Union européenne. En effet, moins de 10 % des exportations de l’Union européenne vont vers le Royaume-Uni, quand près de 50 % les exportations du Royaume-Uni se dirigent vers l’Union européenne.
Vous avez également évoqué la question climatique, ainsi que certaines ressources propres en matière climatique, notamment ce qu’on appelle parfois le « mécanisme d’inclusion carbone » et que je préfère pour ma part désigner, de manière simplifiée et peut-être plus pédagogique, comme une forme de taxe carbone aux frontières de l’Europe.
La Commission européenne estime le rendement annuel d’une telle taxe entre 5 et 14 milliards d’euros selon le périmètre auquel serait appliqué le mécanisme. Il faut toutefois prendre ces estimations avec une certaine prudence, là encore.
Apparemment, il est plus facile de mesurer le coût du carbone et de le comparer d’un producteur à l’autre au niveau international dans des secteurs tels que le ciment ou l’acier. Nous pourrions donc commencer par leur appliquer le mécanisme, avant de l’étendre à l’ensemble des secteurs concernés. Le rendement approcherait alors les 15 milliards d’euros par an.
En tout état de cause, on voit que les chiffres ne sont pas du tout anecdotiques. Sachez que la mise en place d’une seule de ces nouvelles ressources propres que nombre d’entre vous ont mentionnées dans leurs interventions permettrait de couvrir autour de 10 % du budget européen.
Je rappelle, à titre pédagogique, que le coût annuel du Brexit est d’environ 10 milliards d’euros. Grâce à une ou deux ressources de ce type, la facture du Brexit, qui est pour l’instant prise en charge collectivement, puisque nous n’avons pas voulu réduire nos ambitions en termes de dépenses – c’était légitime –, serait ainsi absorbée. J’aurais pu prendre d’autres comparaisons, mais je crois que mon exemple donne une idée des ordres de grandeur en question.
Monsieur le président Rapin, vous avez soulevé un certain nombre de questions concernant la pêche et le Brexit. J’en profite pour essayer d’apporter quelques précisions, pour autant qu’on puisse le faire alors que la négociation relative à ce secteur est encore en cours.
Tout d’abord, par-delà toutes les sensibilités politiques, je veux souligner à quel point ce secteur est prioritaire pour nous. Dans ces derniers moments, nous maintenons une pression très forte : ce dossier constitue une priorité dans la négociation, en espérant que celle-ci reprenne. Mais la discussion ne reprendra évidemment pas au prix de concessions déraisonnables et d’un changement d’approche. Il n’en est pas question, même si les Britanniques l’ont parfois affirmé.
Il existe une zone très sensible pour notre modèle de pêche artisanale et pour certaines régions, que le sénateur Allizard, notamment, connaît bien : c’est la bande des 6 à 12 milles marins, qui est tout à fait prioritaire pour les Britanniques, mais – cela tombe bien ! – pour nous aussi.
Vous l’avez rappelé directement ou indirectement : notre modèle de pêche, qui repose souvent sur un ou deux bateaux – on compte souvent un bateau pour une famille ou un pêcheur – et qui n’est pas un modèle industriel, comme c’est le cas par exemple chez nos partenaires néerlandais, nous oblige à nous montrer encore plus fermes dans la défense des intérêts de pêcheurs qui en dépendent directement. Je rappelle que, au total, sur la façade nord-est du pays, ce sont entre 25 % et 30 % de la pêche qui s’effectuent directement dans les eaux britanniques aujourd’hui.
Vous l’avez dit à plusieurs reprises, nous ne devons pas nous considérer comme demandeurs, parce qu’il est évident, si vous examinez l’ensemble de la négociation économique – j’ai rappelé les chiffres –, que l’intérêt des Britanniques à trouver un accord est beaucoup plus grand que le nôtre.
Si l’on prend la filière halieutique au sens large, en y incluant la transformation, il y a un besoin britannique presque vital, notamment à court terme, d’accéder à notre industrie : près des trois quarts de la transformation des produits de la pêche britannique se font sur le continent, en France prioritairement, notamment dans les Hauts-de-France. C’est donc extrêmement important, et il s’agit évidemment d’un levier de discussion, ne serait-ce que pour la filière de la pêche.
En ce qui concerne la question climatique, je vais tâcher de répondre aux questions du président Rapin, mais aussi de nombre d’intervenants.
Je crois qu’il faut garder l’équilibre que j’essaie de décrire : l’Europe a dans son modèle – je crois que c’est désormais presque identitaire – une sensibilité à la question climatique. Nous sommes exemplaires en matière climatique – je parle de l’Europe.
Vous avez évoqué la question du respect des engagements français, mais je crois que cela légitime encore davantage le respect de cet équilibre.
On nous dit parfois qu’il faut aller le plus loin possible, sans s’arrêter aux objectifs atteints aujourd’hui ou à ceux que nous serons capables d’atteindre à l’horizon de 2030, c’est-à-dire demain, en fait. On pourrait donc afficher des objectifs encore plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au-delà de 55 %, en se disant que l’on verra bien si l’on sera capable ou non de les atteindre. Je crois qu’une telle démarche ne serait ni sérieuse ni crédible.
Il ne faudrait pas que cette nouvelle soit en quelque sorte digérée comme s’il s’agissait d’une évidence : pour la première fois, la semaine dernière, le Président de la République a soutenu au nom de la France, avec onze autres pays, l’ambition d’une réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Je rappelle que la cible est aujourd’hui fixée à 40 % : il s’agit donc d’un effort important.
Comme vous l’avez souligné, je prends aussi cet objectif comme une incitation à faire plus. Il est déjà difficile de tenir les engagements pris collectivement ; tendre vers 55 % de réduction est donc une ambition réellement très forte.
Respecter cet équilibre en matière climatique répond aussi à la nécessité de ne pas nous en tenir à une sorte d’exemplarité naïve, au sens où nos objectifs doivent être à la fois crédibles et partagés le plus possible par nos concurrents commerciaux. À cet égard, je crois que l’activisme climatique ou la diplomatie climatique européenne a été efficace, puisque la Chine, par exemple, vient d’endosser une cible en matière de neutralité carbone, qui n’est certes pas l’échéance de 2050, mais qui est 2060, ce qui n’est pas neutre ou anodin.
D’ici à 2030, il faudra nous doter d’un certain nombre d’outils pour garantir cette équité.
Tout d’abord, à l’intérieur de l’Union européenne, se posera la question de la solidarité. Cette dernière est légitime : il faut aider les pays pour lesquels il est le plus difficile d’atteindre cet objectif. C’est l’objet d’un nouvel outil créé cet été, le Fonds pour une transition juste, doté de près de 20 milliards d’euros aux termes du plan de relance qui a été adopté. Il bénéficiera assez significativement à nos collègues polonais, notamment.
Cette solidarité est légitime, à condition que nos partenaires prennent pleinement part à l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 et, je l’espère, au mois de décembre, l’objectif intermédiaire d’au moins 55 % de réduction des gaz à effet de serre en 2030. Sinon, la solidarité ne fonctionnera pas : on peut légitimement aider des pays qui ont un mix énergétique plus défavorable, quand c’est le fruit de l’Histoire et non leur faute, mais ils doivent prendre des engagements. Il ne faudrait pas que l’on ait à payer deux fois !
Monsieur le président Rapin, vous m’avez également questionné sur l’existence d’une étude d’impact. Il y en a une au niveau macro, si je puis dire, au niveau de l’Union européenne dans son ensemble. Elle a été publiée par la Commission européenne, ce qui correspondait à l’une des exigences que nous avions définies avant de nous engager à atteindre cette cible de 55 %.
Comme l’a souligné Marta de Cidrac, me semble-t-il, le Conseil européen a demandé à la Commission européenne de détailler cette étude d’impact pays par pays et secteur par secteur, pour que nous puissions prendre nos décisions de la manière la plus éclairée possible au mois de décembre prochain.
À ceux qui trouvent que tout cela est encore empreint d’incertitudes – je puis le comprendre, car, après le dernier conseil européen, il faut bien reconnaître que les Européens n’ont pas encore atteint l’objectif fixé ou défini de cible commune pour 2030 –, je leur répondrai de regarder la vitesse à laquelle les choses se sont déroulées depuis un an et demi.
Au printemps de 2019, seuls quatre pays, dont la France, défendaient l’objectif de neutralité carbone en 2050 – on ne parlait même pas de 2030. Ensuite, on est parvenu à mettre en place une coalition de neuf ou dix pays, et, en décembre dernier, donc en huit mois seulement, l’objectif de 2050 a été adopté, certes avec un codicille polonais, mais celui-ci sera progressivement levé.
Aujourd’hui, on parle même d’un rehaussement massif de nos objectifs pour 2030, afin de tenir la trajectoire de neutralité carbone de 2050 de manière crédible. Même certains pays qui étaient réticents face à ces deux ambitions, comme la République tchèque par exemple, ont déjà donné un signe tangible d’approbation – sous un certain nombre de conditions à ce stade – de l’objectif de 2030 rehaussé. Tout cela pour vous dire que les choses avancent rapidement.
En réponse à M. Verzelen, j’ai déjà parlé du « retard à l’allumage » de l’Union européenne en matière de gestion sanitaire de la crise. Comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, on voit bien ce qu’il est nécessaire de compléter : il faut une coordination des critères et des mesures. Dans les prochaines semaines, il faudra aussi mener un combat pragmatique, celui de la reconnaissance mutuelle des tests, notamment des tests antigéniques, qui vont se développer.
Enfin, un travail commun sur les vaccins est indispensable. Je sais que le Parlement, ainsi que le Parlement européen d’ailleurs, demande davantage d’information sur les contrats que la Commission européenne signe en notre nom à tous sur les vaccins. J’essaierai de vous apporter le plus de précisions possible dans les prochaines semaines.
Ces contrats comportent évidemment une part de confidentialité. À ce stade, je puis simplement dire que trois d’entre eux sont déjà signés et que trois autres sont encore en cours d’élaboration. Chacun représente entre 200 et 400 millions de doses sécurisées : ce ne sont donc pas, là non plus, des actions secondaires ou anecdotiques, puisque cela pourrait permettre de couvrir une large partie de la population européenne dès la première vague de vaccination.
Monsieur Fernique, j’espère avoir répondu à l’essentiel de vos questions. Il faut en effet s’interroger sur la manière d’atteindre nos objectifs.
Se pose la question de l’équité internationale – j’ai évoqué la solidarité interne, mais cela vaut aussi pour l’extérieur –, avec le mécanisme d’inclusion carbone ou la taxe carbone aux frontières, selon l’appellation que vous préférez.
Toutefois, il existe aussi parmi les instruments économiques que l’on met en place au niveau européen des outils qui ont vocation à accompagner les États pour qu’ils atteignent ces objectifs. Je pense aux plans de relance : la France a défendu et obtenu que l’objectif en matière de dépenses climatiques soit désormais fixé à 37 % dans les plans de relance européens.
Pour l’ensemble du budget européen, nous avons porté et obtenu une cible de 30 % de dépenses favorables au climat, avec, de surcroît, un principe général intitulé « ne pas nuire », ou, en anglais, « do no harm », qui consiste à ne pas faire financer par le budget européen des dépenses contraires à l’ambition climatique, que l’on appelle parfois « brunes ».
J’en profite d’ailleurs pour évoquer le sujet de la politique agricole commune, puisqu’il a été évoqué à deux reprises : nous n’atteindrons pas nos cibles écologiques et ce fameux objectif de 30 % sans une politique agricole commune bien financée au niveau européen. En effet, celle-ci contribuera très largement à l’accomplissement de cette ambition, a fortiori dans les conditions de verdissement que j’évoquais dans mon intervention liminaire, à savoir les « écorégimes » obligatoires négociés par Julien Denormandie, qui, je l’espère, seront confirmés, voire renforcés dans les prochains jours dans le cadre des trilogues avec le Parlement européen.
De façon générale, je rappelle que, dans l’accord du 21 juillet sur le mécanisme d’inclusion carbone, comme pour d’autres accords, comme celui sur la taxe numérique, il y a un accord de principe – ce n’est que la première fois : le combat n’est pas fini ! – sur la mise en place de nouvelles ressources propres qui permettront de prendre en charge tout ou partie – j’espère que ce sera la totalité – de la facture et du remboursement du plan de relance après 2027, et, plus globalement, d’alléger les contributions nationales directes.
C’est très important, parce qu’aucune ressource propre n’a été créée et affectée au budget européen depuis les années 1970. Il existe une contribution nationale fondée sur le revenu national brut, le RNB, mais les ressources propres, notamment les droits de douane, existaient dès les premières politiques communes, dont la PAC : elles n’ont jamais véritablement été complétées. Il s’agit donc d’un changement de modèle tout à fait significatif. Il faudra ensuite adopter le cadre législatif précis dans lequel s’inscriront ces ressources au niveau européen ; autant dire que cela n’est pas gagné d’avance.
Je précise aussi que la Haute Assemblée, comme l’Assemblée nationale, aura à connaître de la décision relative aux ressources propres de l’Union européenne, puisque celle-ci doit faire l’objet d’une ratification nationale et d’une autorisation par chaque parlement national dans les prochaines semaines.
Madame Havet, vous m’avez questionné sur les accords bilatéraux que conclurait le Royaume-Uni. Celui-ci a effectivement annoncé un accord avec la Norvège : je crois qu’il faut être prudent, parce que, pour l’instant, cela s’apparente davantage à une opération de communication qu’à un véritable accord en bonne et due forme. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.) Cela étant, il faut être vigilant, car, évidemment, cela pourrait avoir un impact sur nos propres quotas et sur l’échange que nous effectuons chaque année avec la Norvège.
Concernant la pêche, tout comme vous, nous ne voulons pas d’un accord au rabais. Celui-ci nous soumettrait à la loi de l’annualité : il y aurait une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos pêcheurs, qui nous obligerait à renégocier chaque année les autorisations d’accès et les quotas avec les Britanniques. Il est évident qu’un tel dispositif annuel est inacceptable et qu’il fait partie des points dont nous avons dit et répété que nous ne pourrions les admettre, car il est incertain et manque donc de visibilité.
Je le redis à M. Cabanel, l’accès à notre marché est évidemment un besoin essentiel pour les Britanniques. Vous avez soulevé la question de l’étiquetage des produits, monsieur le sénateur : ce point a été de nouveau abordé par la Commission européenne dans les propositions du Green Deal il y a quelques mois.
Ce sujet, sur lequel la France avait mené une expérimentation pour certains produits, a pris un peu de retard : on ne dispose pas encore d’un cadre européen pour l’étiquetage nutritionnel et pour l’origine des produits, notamment en ce qui concerne les plats préparés. C’est un combat que nous devons encore mener, tout comme nous devons maintenir la pression sur la Commission.
Monsieur le sénateur Bacchi, sur la question du Haut-Karabakh, je serai prudent, parce que vous en connaissez la sensibilité. Notre objectif aujourd’hui est de maintenir un lien entre les parties, dans l’intérêt que vous avez légitimement défendu. En effet, l’enjeu, la priorité à court terme, notamment pour l’Arménie, est que les hostilités cessent.
En tant que coprésidente du groupe de Minsk – le Président de la République s’est entretenu à plusieurs reprises avec le président Trump et le président Poutine, qui assurent la coprésidence de ce groupe avec nous –, la France s’est engagée à obtenir une cessation des hostilités. C’était le message du Conseil européen des 1er et 2 octobre dernier – vous évoquiez le rôle insuffisamment clair de l’Union européenne dans cette crise –, mais pas, il est vrai, celui des 15 et 16 octobre.
La France est en situation de conduire des initiatives sur ce dossier : nous avons par deux fois obtenu le principe d’une cessation des hostilités, même si, chaque fois, l’accord est fragile et risque d’être violé. Aujourd’hui, il faut essayer de consolider le principe de cessation des combats et, surtout, insister pour une reprise des discussions entre les deux parties. À ce stade, faire des gestes qui vont au-delà, même si je peux en comprendre la logique, fragiliserait les efforts diplomatiques et les efforts de paix.
Je l’ai rappelé, à l’évidence, cette crise s’inscrit dans le cadre de la politique qui est menée par la Turquie dans l’ensemble de la région et qui consiste à alimenter les tensions. La France a dénoncé cette politique avec fermeté, en faisant là aussi bouger ses partenaires européens.
Monsieur Jean-François Longeot, j’espère avoir répondu à l’essentiel de vos interrogations sur la manière de combiner l’ambition climatique avec le réalisme des objectifs et sur les outils pour atteindre ces derniers. Reste la question du calendrier. On savait que le Conseil européen des 15 et 16 octobre était un point d’étape, mais, j’y insiste, nous avons beaucoup accéléré sur ce volet. Je l’ai mentionné, certains pays hostiles à des efforts supplémentaires, tels la République tchèque, bougent d’ores et déjà.
Notre objectif est bien d’obtenir un accord d’ici à la fin de l’année, pour que, avant la prochaine Conférence des parties sur le changement climatique – nous célébrons cette année les cinq ans de l’accord de Paris ! –, la COP26, qui a été reportée pour cause de covid-19, mais qui se tiendra l’an prochain au Royaume-Uni, l’Union européenne puisse déposer une nouvelle contribution, ce que l’on appelle une NDC, ou Nationally Determined Contribution, c’est-à-dire une contribution aux accords de Paris, pour rehausser à 55 % au moins l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici à 2030. Tel est notre engagement politique et international.
Monsieur Leconte, j’ai dit un mot du pacte migratoire : ce sujet pourrait déclencher une discussion nous menant très tard dans la nuit… Je vous propose qu’on y revienne une autre fois.
En ce qui concerne la question climatique, vous avez parlé du risque des fuites de carbone : il est identifié, et c’est exactement pour cela que nous nous battons pour le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières. L’Union européenne, je le rappelle, représente moins de 10 % des émissions mondiales de CO2. Si nous ne pouvons compter que sur nos propres efforts, nous n’y arriverons pas, d’où l’importance de ces « écluses environnementales », comme on les appelle parfois. Le risque de fuites de carbone est spécifiquement mentionné dans les conclusions du Conseil européen.
Je n’ai pas encore répondu à la question qui a été soulevée à deux ou trois reprises de la réforme du mécanisme ETS – Emissions Trading Schemes –, qui peut aussi faire partie de cette boîte à outils.
Pour être très précis, le système ETS couvre aujourd’hui l’essentiel des secteurs, mais pas la totalité : en est exclue une partie du secteur agricole, du secteur des transports et du secteur du bâtiment. Il faut faire preuve de prudence à ce stade quant aux effets d’une extension du mécanisme.
Cette extension paraîtrait naturelle et sympathique sur le principe, mais le prix du carbone n’est pas soutenable au même niveau pour tous les secteurs. Il ne faudrait pas qu’elle tire le prix du carbone vers le bas pour l’ensemble de nos entreprises et de nos secteurs, ou, à l’inverse, que ce prix atteigne un niveau totalement irréaliste pour certains secteurs.
Pour ce qui concerne le secteur du transport maritime, en tout cas, nous avons dit à la Commission que nous n’y étions pas hostiles. Cependant, il faut examiner le mécanisme dans le détail : il existe certains secteurs pour lesquels il n’est pas illégitime d’avoir un dispositif spécifique, ce qui est le cas aujourd’hui du transport aérien.
Comment faire respecter les engagements adoptés dans le cadre du Brexit ? Plusieurs d’entre vous ont évoqué directement ou indirectement la question du respect de l’accord de retrait, dans lequel les Britanniques ont donné un certain nombre de coups de canif.
Nous avons engagé une procédure de mise en demeure – là encore, c’est une preuve de la force de l’Europe que de l’avoir fait vite –, dès lors que le texte a été voté à la Chambre des communes. Plus important encore, le Parlement européen a brandi une menace réelle et crédible, en affirmant qu’il ne voterait pas – en cas d’accord, son vote sur la relation future doit être acquis – si les Britanniques ne retiraient pas le projet de loi sur le premier chapitre, qui est l’accord de retrait. Pour être tout à fait honnête, il s’agit là du principal levier sur lequel l’Europe peut s’appuyer. Il faut que nous soyons sûrs que l’accord de retrait n’a pas été remis en cause par les Britanniques : c’est la condition d’avoir un deal à la fin.
Cela renvoie plus largement à la question de la gouvernance : si nous ne disposons pas de mécanismes unilatéraux de rétorsion, nous ne serons pas crédibles vis-à-vis de nos partenaires, ni assurés du respect des engagements adoptés.
Je crois avoir répondu aux questions du sénateur Mandelli sur le climat, en parlant du principe « ne pas nuire », ainsi que sur le transport maritime.
Madame la sénatrice Fournier, vous avez eu raison d’aborder la question du tunnel sous la Manche : c’est une préoccupation absolument vitale, parce qu’il est hors de question de ne pas assurer la continuité du trafic.
Nous avons pris différentes mesures. Ainsi, depuis hier, l’Union européenne nous a donné une habilitation à discuter de manière bilatérale, mais en son nom, avec le Royaume-Uni au sujet du cadre juridique post-Brexit relatif au tunnel sous la Manche. En effet, le traité de Canterbury ne suffit pas : certaines règles en matière de sécurité ou les licences des conducteurs de train dépendent directement des règlements ferroviaires européens. Il faut donc trouver un équivalent, que la France va négocier avec le Royaume-Uni.
Si nous n’aboutissions pas à un accord, soit en raison d’un désaccord avec le Royaume-Uni, soit faute de temps, d’ici le 31 décembre, nous avons aussi la possibilité – votre assemblée l’a autorisé par habilitation – de prendre des mesures de contingence unilatérales et symétriques, pour garantir que, en tout état de cause, le tunnel fonctionne dans des conditions de sécurité communes et respectées.
Je crois avoir répondu aux questions de Mme de Cidrac sur le climat. J’ajouterai un dernier point au sujet des outils d’accompagnement de la transition écologique : en plus du plan de relance et de la cible des 30 %, il existe un outil européen que l’on ne mentionne pas assez et que la France ambitionne aussi de transformer, c’est la Banque européenne d’investissement, la BEI, dont le budget a été renfloué pour soutenir la relance dans le cadre des discussions ayant eu lieu ces derniers mois.
La BEI devient progressivement une sorte de banque européenne du climat, avec une cible de 50 % de dépenses consacrées au soutien, notamment des collectivités locales, pour des projets climatiques, de transition écologique et de rénovation thermique d’ici à 2025.
Enfin, pour répondre au sénateur Chevrollier, il faut évidemment une équité des échanges sur le plan climatique. C’est notamment la question du mécanisme d’ajustement aux frontières – je n’y reviens pas –, mais c’est vrai aussi pour notre politique commerciale.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle – c’est la même chose que pour les écorégimes en interne pour la politique agricole – on ne peut pas commercer et signer des accords commerciaux avec de grands partenaires internationaux qui ne respectent pas nos exigences minimales en matière sanitaire et environnementale.
Je pense évidemment, vous l’aurez compris, à l’accord sur le Mercosur, qui a justifié une position de rejet et de fermeté de la France. J’ai également rappelé l’importance de la PAC pour nous permettre d’atteindre ces objectifs environnementaux. C’est absolument essentiel, et l’accord conclu hier y contribue.
Pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’ai été long, mais je voulais être, si ce n’est exhaustif, du moins le plus complet possible dans mes réponses aux différentes interventions, même en cette heure avancée de la soirée et malgré le couvre-feu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Conclusion du débat