M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. La problématique évoquée ici, M. Sueur vient de le rappeler, pourrait en rester à une simple question de mathématiques et d’appréciation de seuils.
Mais, depuis maintenant quelques années – disons-le, depuis le vote de la loi NOTRe –, chacune et chacun de nous se trouve confronté, dans son département, à l’existence d’intercommunalités n’ayant pas été souhaitées par l’ensemble de leurs communes membres ou ayant atteint de telles tailles qu’elles se retrouvent aujourd’hui en difficulté, indépendamment, d’ailleurs, de celui ou celle qui est à leur tête.
Le nombre des membres de ces intercommunalités XXL est si important qu’elles peinent à faire corps. Le vécu des habitants de chacune de leurs communes membres est si différent qu’elles manquent de cohérence. D’ailleurs, on trouve chez certaines d’entre elles plusieurs bassins de vie au sens où l’Insee les définit, mais je ne vais pas ouvrir le débat sur la définition des bassins de vie…
Ainsi, effectivement, nous en arrivons, comme nous l’avons fait à l’automne et l’hiver derniers, à vouloir, les uns et les autres, par un biais ou par un autre, corriger les irritants de la loi NOTRe.
Je ne suis pas en train de dire que tout irait bien dans le pays, qu’il n’y aurait aucun problème si cette loi n’avait pas été votée. Mais je crois tout de même que nous devons nous interroger.
Le problème de la représentation des communes, des élus, de leur appropriation des politiques intercommunales et, donc, des politiques menées au service des populations habitant au sein de ces intercommunalités constitue un vrai défi. Ce n’est pas avec tel ou tel amendement, je le crains, que nous le résoudrons. Il faudra bien, à un moment donné, prendre le temps de remettre les choses à plat, examiner les conséquences de cette loi NOTRe et nous poser la question de la représentativité.
Certainement comme vous, mes chers collègues, je suis juste scandalisée quand, au sein d’une intercommunalité de mon département, je constate que 2 communes sur 53 – certes, elles regroupent la moitié de la population – disposent de la moitié des voix et décident à elles seules de l’avenir de l’ensemble de ces 53 communes et de leurs 400 000 habitants. Cela pose tout de même un problème démocratique dans notre pays. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je voudrais, d’un mot, compléter le propos de Mme Cécile Cukierman, qui est parfaitement justifié.
Prenant en compte les effets négatifs de ces intercommunalités extrêmement étendues, qui, d’ailleurs, ne sont pas le fruit de la seule loi NOTRe puisqu’elles dépassent en général de très loin les seuils de population imposés par cette dernière – c’est donc bien que d’autres les ont voulues et, en partie, approuvées –, la loi Engagement et proximité a rétabli une disposition exclue par la législation antérieure. Il s’agit de la possibilité offerte aux communes membres d’une intercommunalité de se scinder, à condition que chacune des fractions respecte le seuil de population fixé.
Je voudrais aussi pousser plus loin la remarque de Jean-Pierre Sueur à propos de la limitation des écarts de représentation.
Il est inexact de dire qu’aujourd’hui nous sommes strictement contraints par un écart de population de 1 à 1,5 – entre 80 % et 120 % de la moyenne. En effet, comme le rappelait Jean-Pierre Sueur, des adaptations ont été adoptées à la suite de la décision relative à la commune de Salbris.
Notons d’abord que toute commune dispose d’un représentant, même quand sa population est 100 fois inférieure au seuil de population fixé pour cela.
Par ailleurs, les communes ayant droit à un élu sur le fondement du quotient démographique peuvent être représentées par un second élu car nous avons fait valoir, et le Conseil constitutionnel l’a approuvé, qu’il y avait là un motif d’intérêt général qui est d’améliorer la capacité des représentants à travailler au sein de l’intercommunalité.
Pour la même raison, nous avons instauré la désignation d’un suppléant au sein des communes n’ayant qu’un seul représentant, car au-dessous du quotient démographique, et suivant les pratiques adoptées dans les communautés de communes, ces suppléants peuvent avoir accès aux débats. Ils ne votent pas, mais contribuent à la représentation de la commune.
Il existe donc déjà une souplesse non négligeable dans la représentation au sein des intercommunalités, et je ne vois vraiment aucun motif, d’opportunité ou de justice, à s’orienter vers un écart de 1 à 3 en termes de population représentée.
M. le président. La parole est à Mme le corapporteur.
Mme Françoise Gatel, corapporteur. En écho aux observations des uns et des autres, j’indiquerai que nous ne sommes pas ici pour faire le procès de la loi NOTRe. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Toutefois, constatons-le, on entend sans arrêt une sorte de complainte. Celle-ci est relativement justifiée (M. Loïc Hervé approuve.) puisque l’on a cru possible, à un moment, de définir la vie, l’histoire et la culture des territoires par des seuils et des tailles XXL. Chaque fois, on se heurte à des difficultés parce que l’on a préféré la norme à l’intelligence territoriale, qui fonctionnait plutôt de bonne manière quand des accords locaux étaient possibles.
Aujourd’hui, donc, on essaie de se sortir de cette affaire et je conçois que ce soit quelque peu complexe.
Votre amendement, monsieur Kerrouche, ne concernerait pas seulement les collectivités ; il affecterait aussi des élections nationales, comme les élections sénatoriales. En référence aux propos de notre collègue Alain Richard, j’ajouterai que c’est justement parce que le Conseil constitutionnel permet qu’il y ait deux représentants que votre amendement est difficile à accepter : son adoption supprimerait cette possibilité !
Enfin, je rappelle que nous fixons un plafond d’écart de 33 %, ou 50 % pour les intercommunalités. Le législateur aura la possibilité, dans la loi ordinaire, d’établir un autre écart dans cette limite.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Kerrouche, Mme Harribey, M. Lurel, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi, Kanner, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Je voudrais revenir sur les propos précédemment tenus. D’une certaine façon, cela servira la défense du présent amendement.
Il n’est absolument pas question de la loi NOTRe ici. Absolument pas ! Celle-ci n’empêchait effectivement pas que des accords locaux soient scellés, permettant une surreprésentation de certaines communes, et l’on sait très bien que des accords avaient été trouvés en certains endroits et qu’ils s’éloignaient des seuils démographiques.
La vraie difficulté, c’est la jurisprudence Salbris du Conseil constitutionnel. C’est elle qui, depuis qu’elle a été énoncée, oblige à jouer les équilibristes et à tenter des corrections qui n’auraient pas lieu d’être sans cela.
Je signale simplement que le Conseil constitutionnel, pour défendre le tunnel de 20 %, s’appuie sur une réflexion constante, reposant sur les limites que le législateur s’était données en 1986 et en 2009 pour procéder à la délimitation des circonscriptions électorales et qui concernent essentiellement les députés d’un même département. Or, là, nous parlons d’entités de nature différente, puisque les EPCI sont des circonscriptions globales fondées sur des cellules communales.
Cela étant, s’il faut bien entendu corriger les difficultés engendrées par la jurisprudence Salbris, il nous semble tout aussi évident de ne pas tomber dans l’excès inverse. Un tunnel de 33 % permet déjà qu’un élu en représente deux ; en le passant à 50 %, on ferait en sorte qu’un conseiller communautaire en représente trois. Cela nous semble manifestement disproportionné et va à l’encontre de ce qui est recherché par les corapporteurs.
D’où la nécessité de rabaisser le tunnel en ce qui concerne les EPCI pour le caper à 33 %. Cela nous permettra, je l’espère, de corriger les effets de la jurisprudence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, corapporteur. Sans doute me suis-je mal exprimée précédemment… La loi NOTRe a eu pour effet, parallèlement à la baisse des dotations, d’encourager la création d’intercommunalités XXL, qui rendent encore plus nécessaire l’obtention d’un accord local.
Nous souhaitons porter l’écart à un niveau maximal de 50 % – encore une fois, je répète qu’il s’agit d’un plafond que le législateur pourra limiter par ailleurs – pour les seules intercommunalités.
Il y a, je le rappelle, une très grande différence entre collectivités territoriales et EPCI. Ces derniers ne sont pas des collectivités territoriales ; il s’agit de groupements de communes, exactement comme des syndicats.
M. Éric Kerrouche. Et alors ?
Mme Françoise Gatel, corapporteur. J’y viens ! Ma pensée, et je suis assez convaincue par ce que je vais dire, est que l’on ne peut assimiler un EPCI à une collectivité. (M. Philippe Bas approuve.) Dès lors qu’il s’agit de regroupements de communes, il y a aussi de fortes notions de territoire, d’histoire et de culture qui entrent en jeu, pouvant nécessiter de donner des marges de manœuvre pour des accords locaux. Il me semble nécessaire, au vu des difficultés rencontrées et des remontées de toutes les associations d’élus, de faire confiance aux élus locaux pour organiser, au sein de leur intercommunalité, une représentation qui leur convienne.
Nous souhaitons donc maintenir, pour les seuls EPCI, et non pour d’autres groupements comme les syndicats, un plafond d’écart à 50 %.
C’est donc une demande de retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’avis est également défavorable.
Naturellement, madame Gatel, tout le monde regrette les accords locaux. Mais, comme l’a bien expliqué M. Éric Kerrouche, le problème vient du fait qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été posée, parce que les élus d’une intercommunalité n’avaient pas été très sages – cela arrive ! À cette QPC, le Conseil constitutionnel a répondu et l’on se retrouve, aujourd’hui, avec ce tunnel de plus ou moins 20 %.
Je profite de cette intervention pour indiquer que les explications fournies par Alain Richard sont compilées dans une excellente circulaire établie par la direction générale des collectivités locales, recensant toutes les possibilités qui existent dans le système actuel. Je tiens, bien sûr, ce document à la disposition de tous ceux qui m’en feraient la demande.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais je ne suis pas très sensible à la casuistique de la corapporteure…
Si je comprends bien, il existe une différence, non pas de nature, mais de degré, entre collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale. Ces derniers s’inscrivant dans le cadre d’une coopération, il faudrait pouvoir déroger plus pour mieux représenter, alors même, je vous le rappelle tout de même, que les EPCI exercent des compétences déléguées par les communes. Donc, le raisonnement n’est pas très clair à mes yeux.
Pour aller au fond, ce qui me gêne, c’est que nous n’avons aucune simulation pour la proposition qui nous est faite aujourd’hui. Nous avons tous, en tout cas la plupart d’entre nous, été élus locaux – nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale. Je rappelle une fois encore que, en permettant cette asymétrie de situations, avec un élu qui pourra représenter jusqu’à trois autres élus, on risque de renouer avec des négociations difficiles au moment de l’élaboration des accords locaux.
Certes, il faut retrouver de la flexibilité. Pour autant, veillons à ne pas reproduire, avec la meilleure volonté, les mêmes erreurs, mais pour d’autres raisons, que celles que nous avons commises par le passé.
C’est tout l’objet de cet amendement. Ni plus ni moins !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je voudrais indiquer à M. Kerrouche que je partage entièrement la position de notre corapporteur. Le sujet de l’intercommunalité, ce n’est pas l’habitant, c’est la commune ! Les délégués communautaires représentent la commune !
Il y a donc une différence, non pas de degré, mais de nature entre une collectivité territoriale et une intercommunalité, chargée, sur la base d’un accord entre communes, de gérer les affaires qui sont mieux gérées à son niveau qu’au niveau communal.
Cela signifie, tout simplement, que nous devons créer de la souplesse. Précisément, madame la ministre, parce que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, nous ne pouvons pas le faire autrement que par une révision de la Constitution. Cette souplesse, le législateur devra s’en emparer, du moins si cette révision est menée à son terme, de sorte que l’accord qui pourrait être conclu entre les communes d’une intercommunalité assure sa légitimité à l’égard de ses membres.
Si vous voulez réellement renforcer l’intercommunalité, mes chers collègues, vous avez intérêt à souscrire à cette disposition.
Car c’est l’expérience que j’ai faite, comme, j’en suis sûr, beaucoup d’entre vous : aujourd’hui, la légitimité de l’intercommunalité est battue en brèche parce que de nombreuses communes ont le sentiment d’être la cinquième roue du carrosse au sein du conseil communautaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDSE.)
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
Mme Françoise Gatel, corapporteur. Absolument !
M. Philippe Bas. Elles ont besoin d’être mieux représentées : l’intercommunalité fonctionnera mieux si la disposition est adoptée !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Après l’article 72 de la Constitution, il est inséré un article 72-1 A ainsi rédigé :
« Art. 72-1 A. – Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. »
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, sur l’article.
Mme Anne Ventalon. C’est la première fois que je prends la parole devant la Haute Assemblée et la disposition proposée par l’article 4 du texte a, pour moi, valeur de symbole.
Pour la moitié d’entre nous, cette campagne sénatoriale a été l’occasion de partir ou repartir à la rencontre des conseils municipaux, qui nous ont ouvert leurs portes. Chaque fois, nous y avons entendu parler de projets et avons constaté intacte cette volonté d’agir, de peser sur la vie quotidienne et l’avenir de la commune. Je l’ai moi-même constaté dans les 335 communes ardéchoises.
Ces communes, elles sont le lieu de rencontre entre les modes de vie partagés, les liens humains tissés au fil des générations et la volonté d’écrire un destin commun. Elles constituent souvent le bel exercice de la démocratie, car elles permettent d’apprécier, dans la vie de chacun, les décisions prises par les élus.
Sans cesse, les maires et leurs équipes doivent imaginer de nouvelles solutions et satisfaire des attentes de plus en plus impatientes. La plupart du temps, ils sont les premiers à devoir régler les problèmes du quotidien, répondre à la demande de solidarité, mais aussi réagir face aux situations de crise, qu’il s’agisse d’épidémies ou de catastrophes naturelles.
Droit à l’instruction, solidarité, accès à la culture, aux loisirs, à la sécurité, à un cadre de vie agréable… : les maires sont des ministères de la proximité et de l’imprévu, à qui il revient chaque jour d’accomplir la promesse républicaine.
Pour protéger leur capacité d’agir de la fièvre recentralisatrice qui parfois s’empare des gouvernements, il m’apparaît indispensable de la sanctuariser dans notre Constitution. Voilà pourquoi je voterai avec enthousiasme l’article 4, qui, je le constate, fait consensus ici puisqu’il n’a fait l’objet d’aucun dépôt d’amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 4
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Bazin et Courtial, Mme Eustache-Brinio, MM. Reichardt, Daubresse et Cuypers, Mme L. Darcos, MM. Bonne, Saury, Mouiller, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Joseph, Borchio Fontimp, Richer et Noël, MM. Belin et Brisson, Mme Raimond-Pavero, M. Laménie, Mme Deromedi, MM. Pemezec, Savary, Charon et Le Gleut, Mme Chain-Larché, MM. Rapin et Paccaud, Mme F. Gerbaud et MM. Calvet et Chatillon, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 72 de la Constitution, il est inséré un article 72-… ainsi rédigé :
« Art. 72-…. – Le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département. »
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Cet amendement vise à réintroduire la clause de compétence générale au profit des départements, afin de leur donner plus de liberté d’action pour répondre à l’intérêt général de l’ensemble de leur population sur leur territoire.
On l’a bien vu avec la crise sanitaire, les départements ont besoin de retrouver de la liberté pour répondre aux besoins de leurs habitants. Ils ont montré qu’ils étaient le bon échelon de gestion pour distribuer les masques et les équipements de protection individuelle, gérer les services départementaux d’incendie et de secours, mener une action publique de proximité.
Comme l’a révélé le rapport de la mission d’information sur le rôle, la place et les compétences des départements dans les grandes régions – excellent rapport établi par Cécile Cukierman et approuvé par l’ensemble des membres de la mission d’information –, la crise sanitaire a démontré la rigidité excessive de la répartition des compétences économiques, l’urgence et, dans certains cas, les insuffisances de l’État ayant conduit certains départements ou certaines régions à prendre des mesures aux marges de leurs domaines d’attribution. Comme indiqué dans la synthèse du rapport, « face à de telles situations, on ne saurait se contenter d’une application des textes à géométrie variable ».
C’est la raison pour laquelle il convient de rétablir la clause de compétence générale pour les départements, déjà reconnue en cas de catastrophe naturelle. C’est la proposition n° 16 du rapport de la mission d’information, et c’est aussi ce que demande l’Assemblée des départements de France.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié bis, présenté par MM. Bazin et Courtial, Mme Eustache-Brinio, MM. Reichardt, Daubresse et Cuypers, Mme L. Darcos, MM. Bonne, Saury, Mouiller, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Joseph, Borchio Fontimp, Richer et Noël, MM. Belin, Brisson, Lefèvre et Bascher, Mmes Raimond-Pavero et Deromedi, MM. Pemezec, Savary, Charon, Le Gleut et Milon, Mme de Cidrac, M. Laménie, Mme Berthet, M. Chatillon, Mme Chain-Larché, MM. Rapin et Paccaud, Mmes Imbert, Thomas, F. Gerbaud et Canayer et MM. Sido, Calvet, Segouin, H. Leroy et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 72 de la Constitution, il est inséré un article 72 … ainsi rédigé :
« Art. 72-…. – En cas de catastrophe naturelle, de crise sanitaire ou économique, le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département. »
La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Cet amendement de repli, au champ évidemment beaucoup plus restreint que le précédent, vise à rétablir cette compétence générale en cas de catastrophe naturelle, de crise sanitaire ou économique, celle-ci lui étant reconnue à ce jour seulement en cas de catastrophe naturelle.
Nos départements ont eu besoin d’intervenir notamment auprès des artisans, des très petites entreprises, qui sont bien éloignés de ces régions géantes et fusionnées.
L’amendement n° 7 rectifié a bien sûr notre préférence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Mathieu Darnaud, corapporteur. Je comprends pleinement les raisons qui ont motivé Arnaud Bazin à déposer cet amendement, raisons qui ont d’ailleurs été exposées dans le rapport qu’il a rédigé avec Cécile Cukierman. Simplement, au terme de la réflexion que nous avons menée, nous entendons vraiment, au travers de ce texte constitutionnel, adopter des dispositions permettant de sanctuariser la clause de compétence générale de la commune, ce qui n’empêche pas que le département dispose lui-même de cette propre clause, sans qu’il faille pour autant inscrire celle-ci dans la Constitution.
Aussi, l’objectif de notre collègue Arnaud Bazin n’est pas du tout antinomique avec notre volonté de sanctuariser la commune et de faire de celle-ci, comme cela a été explicité dans la discussion générale et comme Philippe Bas et moi-même l’avons rappelé, une collectivité tout à fait singulière en conférant un rang constitutionnel à sa clause de compétence générale, pour lui donner cette agilité et cette capacité à intervenir et en faire l’échelon de proximité par définition.
Cela n’exclut pas que le législateur permette au département de disposer de nouveau d’une clause de compétence générale. D’ailleurs, comme vous l’avez souligné, la loi Engagement et proximité répond partiellement à ce souhait en lui conférant une capacité d’intervention en cas de catastrophe naturelle.
C’est pourquoi, nous demandons le retrait de ces deux amendements ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’avis est bien sûr défavorable.
Premièrement, tout le monde le sait, la commune dispose d’une clause de compétence générale, et le Gouvernement n’a aucunement l’intention d’y toucher.
Deuxièmement, on peut reconnaître un mérite à la loi NOTRe tant décriée – et je siégeais dans cet hémicycle quand elle a été votée –, point sur lequel s’accordent un certain nombre d’élus : avoir clarifié les compétences entre les différents niveaux de collectivité territoriale.
J’entends votre demande, monsieur le sénateur, mais, puisque vous avez cité la compétence économique, vous devez savoir que les autres niveaux de collectivité territoriale ne sont pas du tout favorables à ce qu’on revienne sur cette partition.
Troisièmement, comme vient de le rappeler Mathieu Darnaud, la loi Engagement et proximité contient déjà des dispositions permettant au département d’intervenir notamment en cas de catastrophe naturelle.
J’ajoute, puisque j’ai entendu que l’État ne jouerait pas toujours son rôle en de pareilles circonstances, que celui-ci est bien présent chaque fois que survient une catastrophe naturelle, qu’il soutient au moyen d’importantes dotations les communes sinistrées.
Par ailleurs, je rappelle que, pour faire face à la crise consécutive à l’épidémie de covid-19, nous avons créé un fonds de soutien aux milieux économiques d’un montant de 6 milliards d’euros, lequel fonds, exceptionnellement et à titre dérogatoire, a été ouvert à toutes les collectivités territoriales souhaitant en bénéficier.
De fait, nous savons faire preuve de souplesse quand il le faut.
En outre, nos concitoyens doivent savoir qui fait quoi. Rappelez-vous, voilà quelques années, cette demande était formulée comme un leitmotiv.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je voudrais réagir à vos propos, madame la ministre.
Les derniers mots que vous avez prononcés illustrent le fossé qui nous sépare. Alors que nous examinons un texte relatif aux libertés locales, vous nous dites : « Ne vous inquiétez pas, en période de crise, le Gouvernement saura introduire de la souplesse là où il faut ! »
Mais est-ce bien au Gouvernement de décider, à un moment donné, d’introduire de la souplesse – et je ne dis pas que vous ne l’avez pas fait au cours des différents épisodes de crise que nous venons de traverser – quand il estime que c’est justifié ? Ou bien ne faudrait-il pas plutôt que l’organisation territoriale de notre République offre la souplesse nécessaire pour que, à chaque instant, les élus locaux, quand ils sont interpellés par leurs concitoyennes et leurs concitoyens dès lors que surviennent des catastrophes quelles qu’elles soient, puissent leur répondre prioritairement et en urgence et puissent faire vivre les politiques publiques au plus près d’eux, ce qui est leur mission première ?
Ce n’est pas qu’une question de formulation. Savoir s’il revient au Gouvernement d’introduire de la souplesse en temps de crise ou s’il faut plutôt garantir celle-ci de manière pérenne pour une plus grande efficacité, ce n’est pas qu’une question byzantine sur le sexe des anges.
Bien évidemment, avec les membres de mon groupe CRCE, je voterai l’amendement de notre collègue Arnaud Bazin. Ce qui ressort de façon exacerbée de la mission que nous avons menée conjointement, au cœur de la gestion de cette crise sanitaire, c’est bien sûr une demande de clarification et de simplification. Mais, au-delà, nous avons toutes et tous conscience que, à un moment donné, trop de spécialisation est un frein, est source de difficulté et, parfois même, d’inégalité. S’agissant du plan de relance, d’un département à l’autre, d’une préfecture à l’autre devrais-je plutôt dire, nous nous rendons compte que, dans le cadre du contrôle de légalité, les interprétations varient sur ce qu’il est possible de faire ou non au regard de la volonté de souplesse du Gouvernement.
M. Loïc Hervé. C’est vrai.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.
M. Patrice Joly. J’interviens pour soutenir cet amendement présenté par notre collègue Arnaud Bazin.
Donner la compétence générale au département, c’est une nécessité. Revenir sur cette possibilité est utile pour tenir compte des caractéristiques de chaque territoire, qui doit pouvoir agir selon ses caractéristiques dans les secteurs qu’il juge le plus utiles à la fois pour lui et pour sa population, en particulier, je veux le souligner, dans le domaine économique, car c’est en proximité que l’on peut intervenir pour valoriser les ressources locales, les spécificités territoriales.
J’ai toujours eu, en tant que président du conseil départemental de 2011 à 2017, d’excellentes relations avec les différents présidents de région. Sur des projets de développement économique local, j’ai toujours eu une écoute bienveillante et généralement trouvé des solutions pour que la région accompagne ses projets de développement économique. Mais jamais le président ou la présidente de la région n’est venu me dire que, sur tel ou tel sujet, nous pourrions travailler et avancer au motif qu’il serait possible de créer de la valeur. Effectivement, ce n’est qu’en proximité qu’on est en mesure de tirer parti des caractéristiques propres d’un territoire, que l’on est en mesure de soutenir de manière spécifique les entreprises du territoire au regard de ce qu’elles représentent et donc de ce qui les constitue.
Je voudrais dire aujourd’hui : « N’ayez pas peur des départements ! » Nos concitoyens n’en ont pas peur ; ils se désolent d’ailleurs qu’on leur ait, d’une certaine manière, coupé les ailes, particulièrement dans les territoires ruraux. Les départements sont des collectivités d’avenir : permettez-leur d’agir en leur rendant cette compétence générale.