M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une République laïque, la loi passe devant la foi. Cette phrase prend tout son sens après la terreur et l’horreur que nous avons vécues à Éragny, dans le Val-d’Oise, vendredi dernier. Vous me permettrez d’avoir une pensée pour Samuel Paty, sa famille, ses collègues, ses élèves, le maire de cette ville, Thibault Humbert, et ses habitants qui ont vécu ce qu’aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer.
Depuis l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, tous les citoyens français sont également placés sous l’égide de la loi, seule norme dont ils puissent se prévaloir dans leurs rapports avec l’État. En 1905, en proclamant la République française laïque, le Parlement a affirmé le principe central de notre système républicain selon lequel l’État n’est pas fondé à intervenir dans le domaine de la foi, mais doit se borner à garantir les droits et libertés de chacun, quelles que soient nos croyances.
Cette révolution fut douloureuse à admettre pour l’Église catholique, dont l’implication dans l’exercice du pouvoir politique en France remontait à la nuit des temps. Mais la loi ne lui a pas laissé le choix : l’Église s’est donc soumise à l’autorité de la République. Le rêve de Victor Hugo – l’État chez lui et l’Église chez elle – devenait une réalité.
Depuis quelques années, la République doit faire face à la menace inédite du séparatisme islamiste, qui remet en cause un à un ses principes fondateurs et tend à éloigner certains de nos concitoyens de nos valeurs communes. En voulant fragmenter notre unité, l’islam politique constitue un danger pour l’égalité de tous les Français – hommes, femmes, croyants et non-croyants – et utilise toutes les forces et faiblesses de la philosophie des droits de l’homme.
L’émergence sur notre sol de cet islam radical déstabilise les pouvoirs publics et a trop souvent conduit à de nombreux renoncements. Qu’il s’agisse du fonctionnement des services publics, des hôpitaux, des établissements scolaires, des clubs sportifs et des entreprises, des revendications politico-religieuses tendent inéluctablement à remettre en cause les valeurs de notre République et le principe de laïcité.
En parallèle, des militants de cet islam radical investissent la vie politique locale et nationale, le plus souvent pour un projet qui n’est pas commun, s’adressant à tous leurs concitoyens, mais qui vise uniquement les membres de leur communauté religieuse.
Je tiens donc à saluer très chaleureusement la courageuse initiative prise par Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille qui ont soumis à notre assemblée cette proposition de loi constitutionnelle. Oui, il est de notre responsabilité de garantir la prééminence des lois de la République sans laquelle les Français ne pourraient pas vivre ensemble. Toute faiblesse dans l’accomplissement de notre devoir serait historiquement coupable. Il est donc grand temps d’inscrire sans ambiguïté dans la Constitution du 4 octobre 1958 le principe selon lequel nul groupe, nul individu, ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune.
En affirmant et en réaffirmant le principe de laïcité qui nous guide chaque jour, ce texte imprime une volonté politique que beaucoup de nos concitoyens attendent. La laïcité protège, elle ne s’adjective pas ; elle a donné beaucoup d’espoirs à de nombreux citoyens d’origine étrangère qui sont venus vivre en France pour la laïcité, pour la liberté de conscience, pour la liberté d’expression qui les faisaient rêver.
Ce texte permet de lutter contre la remise en cause permanente du droit au blasphème dont l’affaire de la jeune Mila est l’illustration la plus dramatique. Comme le dit souvent la courageuse républicaine Zineb El Rhazoui, la laïcité est la bête noire des salafistes et des Frères musulmans. Quand Zineb El Rhazoui s’exprime haut et fort, chacun d’entre nous sait combien elle est menacée et combien elle doit être protégée.
Il est grand temps également de réarmer la République contre la remise en cause de la liberté d’expression et de sanctuariser l’espace le plus formateur de l’émancipation qu’est l’école. Car, en effet, dans cette école de la République, nul n’est fondé à se revendiquer de ses croyances pour s’émanciper de l’enseignement de la laïcité et de l’exercice de la liberté de conscience.
En votant cette proposition de loi, nous lutterons contre tous ceux qui tentent d’imposer une tutelle religieuse à la liberté de conscience, pour laquelle des générations d’immigrés ont choisi de devenir Français. Nous permettrons la dissolution de formations politiques remettant en cause le principe de séparation de l’Église et de l’État. Nous mettrons un terme au financement public des partis communautaristes et de leurs candidats. Nous donnerons, entre autres, aux pouvoirs publics et aux chefs d’entreprise, confrontés à une situation de revendication religieuse, une base solide et indiscutable pour faire appliquer la loi de la même façon pour tous et partout.
Ainsi, aucun citoyen ne pourra, au motif que sa foi l’y oblige, se soustraire à la règle commune ou déroger à tout règlement. La République française ne saurait se résumer à la transmission non héréditaire du pouvoir politique. Elle est, en effet, ce grand acte de confiance dont parlait Jaurès, l’instrument de l’émancipation individuelle et collective de millions d’hommes et de femmes par lequel la communauté nationale concilie elle-même la liberté et la loi.
Cet héritage que nous avons reçu en partage, il nous appartient de le transmettre à nos enfants. Nous devons donc enfin cesser de reculer sur les valeurs qui ont forgé la nation française : la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité des droits de tous les citoyens et le primat de la raison universelle sur toutes les théologies. Oui, résolument, adopter cette proposition de loi, c’est protéger la République. Les générations futures nous jugeront, les Français nous regardent, sachons, mes chers collègues, nous montrer dignes du mandat qu’ils nous ont confié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons évidemment des préoccupations communes. Personne n’a le monopole de la République et de ses valeurs, fort heureusement. J’entends ce que vous dites les uns et les autres, mais il me semble simplement que le vecteur que vous avez choisi n’est pas approprié.
Monsieur Retailleau, je sais que nous ne sommes pas ici au café du commerce ! Je voudrais d’ailleurs vous faire remarquer que l’un des amendements qui seront examinés dans quelques instants évoque la situation particulière de l’Alsace-Moselle.
En réalité, et je voudrais respectueusement attirer votre attention sur ce point, si cette proposition de loi constitutionnelle devait intégrer notre Constitution, alors les dérogations ne seraient plus possibles. Les exemples que j’ai cités, je les ai tirés non pas de je ne sais quelle démagogie ou je ne sais quel populisme, mais de notre droit positif. Oui, cela pose un problème en Alsace-Moselle, et cela peut poser un problème dans les territoires d’outre-mer.
Je pense à la question de la liberté de conscience des médecins. (Signe de dénégation de M. Bruno Retailleau.) Il y a là une dérogation, car ces questions de conscience trouvent souvent leur fondement dans des considérations religieuses.
M. Bruno Retailleau. Confusion !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je voudrais également dire deux mots à M. Ravier. Monsieur le sénateur, votre fonds de commerce est définitivement la haine et la peur. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.) Au fond, vous ne faites rien, vous ne proposez rien, mais quand un crime odieux survient, vous sortez du bois, avec vos bonnes vieilles recettes : la peine de mort. C’est toujours la même rengaine, et cela dure depuis je ne sais combien d’années, qu’il s’agisse du Rassemblement ou du Front national, le premier étant la version dédiabolisée de l’autre.
Nous avons entendu vos propos, qui relèvent toujours d’une rhétorique guerrière. Après les attentats terribles de Toulouse en 2012, il y avait eu une trêve du monde politique, et celle-ci avait beaucoup d’allure.
M. Stéphane Ravier. Le temps n’est pas à la trêve, mais au combat !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Kanner, comme vous m’avez interpellé, je veux vous répondre, mais – je rassure tout le monde – brièvement. J’entends le discours, parfois simple, voire quelque peu simpliste, qui consiste à dire que rien – mais alors rien ! – n’a été fait. En trois ans ont été fermées 15 mosquées, 4 écoles, 13 associations proches des mouvements salafistes ; plusieurs millions d’euros ont été saisis ; 200 débits de boissons ont été également fermés, et 1 190 détenus ont été suivis pour radicalisation. La coordination des services a permis de déjouer – pardonnez-moi de le relever – 32 attentats…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. On connaît tout ça !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Alors, certes, un attentat, c’est évidemment un échec, mais un attentat déjoué peut tout de même être mis au moins au crédit des services de renseignement, si vous ne voulez pas le mettre au crédit du Président de la République.
Pour terminer, madame Goulet, vos préoccupations sont légitimes. Mais, après avoir entendu l’ensemble des orateurs – et je partage un certain nombre de propos qui ont été tenus –, pensez-vous qu’il suffit de dire ce texte de façon incantatoire et de le décliner pour que l’islamisme radical soit définitivement éradiqué ? Franchement, je ne le pense pas. Je n’ose pas croire, parce que je connais la gravité de la situation, qu’il y ait quelque arrière-pensée politicienne dans cette démarche.
Je vous tends la main, messieurs Retailleau et Bas. Nous allons prochainement examiner un projet de loi sur le séparatisme. Vous aurez toute votre place dans ce débat. (Signe d’approbation de M. Bruno Retailleau.) Je le dis, parce que ce n’est pas une honte : à la lumière des événements récents, nous y avons de nouveau réfléchi, notamment sur le terrain méthodologique. Nous avons repris tous les éléments qui nous ont été communiqués pour voir si nous aurions pu judiciariser plus tôt. Si vous le souhaitez, nous pouvons discuter de tout cela. Ce n’est pas de la rodomontade ou de l’arrogance de ma part : même si son intention est plus que louable, votre texte ne pourra résoudre quoi que ce soit.
Voilà, monsieur Retailleau, ce que je voulais expliquer, moi aussi avec conviction.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, à mon sens, vous avez un peu trop mis l’accent sur les régimes d’exception d’Alsace-Moselle et de Guyane. Force est de constater que soit vous n’avez pas lu mon rapport, soit vos services n’ont pas fait leur travail.
M. Philippe Bas. Tout à fait !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Alors, permettez-moi de vous offrir mon rapport, ce qui vous donnera enfin l’occasion de le lire. (M. le rapporteur s’approche du banc du Gouvernement et tend un exemplaire du rapport à M. le garde des sceaux, qui refuse de s’en saisir.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vous remercie, mais je l’ai lu. (M. le garde des sceaux repousse le document. – M. le rapporteur insiste.) Monsieur le rapporteur, ne soyez pas désobligeant !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je ne suis pas désobligeant, monsieur le garde des sceaux. C’est vous qui l’avez été à plusieurs reprises à l’égard des travaux de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur rejoint le banc des commissions.) Vous ne vous êtes pas donné la peine de lire sept lignes de la page 21 du rapport sur les régimes de l’Alsace-Moselle et de la Guyane.
Je vous en donne donc lecture : « De même, la proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause le droit applicable en Alsace-Moselle (loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes) et en Guyane (l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828). »
« Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, le Constituant n’a jamais souhaité supprimer ces régimes antérieurs à la loi du 9 décembre 1905, qui font consensus dans les territoires concernés. »
La lecture de mon rapport vous aurait évité de remettre en cause, par deux reprises, la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la république
Article 1er
Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, sur l’article.
M. Alain Marc. Depuis quelques décennies, nous constatons une lente déliquescence de notre démocratie française. Celle-ci, qui était vivace et assurait à ses enfants une éducation de qualité, constituait un véritable ascenseur social.
Cette démocratie, à l’image de son école qui subit des attaques de plus en plus nombreuses, est aujourd’hui pâlotte et même rabougrie. On va de lâcheté en lâcheté, de réponses molles aux attentats de l’islamisme radical en discours lénifiants, pour ne pas évoquer les attaques contre nos forces de l’ordre, tout cela afin de ne pas heurter la bien-pensance qui habite la sphère médiatique et parfois même notre Parlement, ce qui conduit à affaiblir notre société et notre démocratie.
Nous nous devons de réagir, non pas seulement par des hommages ou des marques de compassion adressées à un malheureux professeur dont l’assassinat nous a tous émus, mais par des actes forts. Il faut sortir de cette démocratie indolente et satisfaite d’elle-même, pour retrouver un État puissant que rien ne saurait affaiblir, ni communautarisme ni voyous qui s’en prennent aux forces de l’ordre.
Monsieur le ministre, cette proposition de loi n’est peut-être pas loin du pléonasme ; elle a au moins le mérite de poser le débat au lendemain d’un grave attentat. Je me réjouis de pouvoir la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, sur l’article.
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je devais prendre la parole en réponse à la motion que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait déposée sur ce texte. Celle-ci a été retirée, mais dans la discussion générale nos collègues ont repris les mêmes arguments que ceux qui la justifiaient, de sorte que je peux leur répondre.
Tout d’abord, je ne trouve pas de différence de fond entre ce que nous prévoyons dans la proposition de loi et la position qu’ils soutiennent. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les lois de la République doivent conserver leur prééminence sur celles de la religion.
Autre argument que les auteurs de la motion continuent de nous opposer : nous aurions choisi d’inscrire l’islam à notre agenda politique. En réalité, voilà fort longtemps que l’islam décide de l’agenda…
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas l’islam, c’est l’islamisme politique !
Mme Muriel Jourda. Il le fait depuis 2012, au moins, sans grandes difficultés, malgré tous les efforts qui ont été évoqués.
Il faut être clair et dire la vérité : aucune loi de la République ne s’oppose à nos compatriotes musulmans, mais une frange de l’islam s’oppose aux lois de la République.
Dans la discussion générale, nous avons largement évoqué le drame qui s’est déroulé ce week-end : je n’y reviendrai pas. Il y a eu des larmes, beaucoup de larmes ; les seules que l’on ne peut accepter, ce sont les larmes de l’impuissance. En effet, nous devons agir et faire front, ensemble.
C’est la raison pour laquelle je « tends la main » aux groupes de gauche, du moins ceux qui sont restés dans l’hémicycle. Nous devons nous rejoindre, comme cela a déjà pu arriver dans le passé, pour rappeler que si les lois de la République défendent l’expression de toutes les religions, la religion ne doit pas faire la loi, en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Madame Jourda, ce n’est pas l’islam qui fait l’agenda ; c’est le terrorisme islamiste.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. Voilà ce contre quoi nous devons réagir.
Cette proposition de loi constitutionnelle vise à insérer dans l’article 1er de la Constitution une phrase : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »
Parce que, en vertu de ce même article 1er, la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », nul ne peut invoquer aujourd’hui sa religion pour se soustraire aux lois de la République. Parce que la France est un État de droit, nul ne peut se soustraire aux lois de la République. Tel est l’état actuel du droit.
Cette proposition de loi qui pourrait sembler neutre est en réalité dangereuse. En convoquant la Constitution, elle ne peut qu’affaiblir la force de la loi. Quel terrible aveu de faiblesse du législateur que d’avoir besoin d’une garantie de niveau constitutionnel !
Autre écueil qui n’a pas encore été mentionné, le texte introduit la notion de groupe dans l’article 1er de la Constitution. Les communautaristes apprécieront cette ouverture nouvelle dans notre texte fondamental, totalement en contradiction avec ce que nous voulons tous, dans cet hémicycle.
Enfin, certains d’entre vous considèrent qu’il faut trancher le débat opposant liberté religieuse et prééminence de la loi. La difficulté vient de ce qu’il dure depuis cent quinze ans ; il a été ouvert en 1905, lorsqu’Aristide Briand était rapporteur du texte qui fait encore référence. Ce processus républicain est une spécificité française. L’équilibre qui en a découlé fait la force de notre laïcité, malgré la tourmente actuelle. Loin d’être une faille, c’est une garantie de pérennité et d’adaptabilité.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Philippe Pemezec. Quel donneur de leçon !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, je ne comprends pas pourquoi vous vous ingéniez à opposer notre texte et le projet de loi en préparation : les deux initiatives ne portent pas sur le même sujet.
Le Président de la République veut encadrer l’islam, faire en sorte que les associations cultuelles soient mieux contrôlées, surveiller la formation des imams, ou bien encore éviter que, dans la République, des enfants soient déscolarisés pour n’être pris en charge que par des écoles coraniques. Tous ces sujets touchent à la religion.
L’initiative que nous avons prise est totalement différente, car elle porte sur les règles de la vie en société. Il s’agit d’empêcher que, à l’école de la République, on récuse un enseignement de biologie de la reproduction, parce que cela ne convient pas aux islamistes ; que, dans un atelier, on demande une pause pour la prière ; qu’à l’hôpital, on exige que ce soit une femme qui examine une autre femme. Loin de concerner la religion, ces sujets relèvent tous du savoir-vivre.
Par conséquent, nos deux initiatives pourraient fort bien être jugées complémentaires si vous ne vous ingéniiez pas à exclure la nôtre pour des raisons que je ne veux pas croire politiciennes, au même titre que vous ne voulez pas croire politiciennes les motivations de notre entreprise.
Certains arguments ne sont pas à la hauteur du débat. Les auteurs de la Déclaration de 1789 n’ont pas fait de juridisme ; ils ont posé des principes généraux pour la vie en société, sous le régime desquels nous continuons de vivre.
Aujourd’hui, on ne trouve écrite nulle part dans la Constitution la règle selon laquelle « nul ne peut se prévaloir de sa religion ou de ses origines pour s’exonérer du respect de la loi commune. »
M. Philippe Bas. Il serait simple de l’y inscrire. Tous les Français, quels que soient leur âge ou leur fonction, pourraient ainsi la connaître. D’autant que nous voulons qu’ils se prononcent par référendum sur cette inscription constitutionnelle.
Si vous me répondez que nous n’avons pas besoin de cette règle, alors c’est que vous ne connaissez pas la société française ; vous ignorez la multiplication des revendications communautaristes qui mettent dans l’embarras les décideurs publics et privés, ceux des entreprises, ceux des associations ceux des communes, ceux enfin, des hôpitaux et des établissements d’enseignement. Ils ont besoin de notre aide : ne la refusez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mots ont un poids.
Monsieur le ministre, ce qui vous pose problème, c’est surtout le calendrier. Ce texte arrive avant la loi sur les séparatismes préparée par le Gouvernement. Elle ne sera examinée en conseil des ministres qu’en décembre prochain : c’est un peu tard pour les Français.
Dans votre réponse à M. Retailleau, vous n’avez pas hésité à employer le mot « honte ». Il n’y a pourtant aucune honte à ce que le Sénat soit en avance sur le Gouvernement.
Enfin, à la tribune, vous avez dit : « Le peuple se réveille ; les consciences se rassemblent. » Monsieur le ministre, rassemblons nos consciences ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
L’article 4 de la Constitution est ainsi modifié :
1° À la fin de la dernière phrase du premier alinéa, les mots : « et de la démocratie » sont remplacés par les mots : « , de la démocratie et de la laïcité » ;
2° Au deuxième alinéa, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier ».
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je souhaiterais préciser les intentions de la commission sur l’article 2.
Nous assumons de vouloir lutter contre l’émergence des partis communautaires, qui défient la République en prônant la supériorité des préceptes religieux sur les règles communes. L’argent public ne doit pas servir à financer directement ou indirectement ce type de parti, y compris lorsqu’il présente des candidats aux élections locales et nationales.
Le sujet est complexe, mais important. On cite souvent – certains d’entre nous viennent encore de le faire – l’Union des démocrates musulmans français, l’UDMF. Or, il existe aussi le Parti égalité et justice, branche de l’AKP turc que le Parti communiste a été l’un des premiers à condamner en France.
Aux dernières élections européennes, l’UDMF n’a obtenu que 0,13 % des voix, mais elle a toutefois réuni 28 395 électeurs et réussi à se classer à la dix-neuvième place sur les trente-quatre listes. On constate des pics dans certaines communes, avec des taux de 4,04 % à Trappes, de 7,43 % à Garges-lès-Gonesse et de 6,77 % à Mantes-la-Jolie, dont 16,7 % des voix obtenues dans le seul quartier du Val Fourré. Aux dernières élections municipales, l’UDMF a rassemblé 2,5 % des voix à Nanterre et 3,15 % à Clichy-la-Garenne.
Le parti s’implante. Sa page Facebook compte aujourd’hui 41 500 abonnés. Je vous invite à consulter la publication du 13 octobre dernier : l’UDMF y dénonce « une purge contre le séparatisme musulman ». Dans le texte, l’expression est bien entendu entourée de guillemets pour éviter toute poursuite pénale. En préambule figure le célèbre poème « Quand ils sont venus me chercher » écrit par le pasteur Martin Niemöller, depuis le camp de concentration de Dachau. En guise d’illustration, une photo où l’on distingue des barbelés fait clairement allusion aux camps de concentration.
Inutile d’en dire plus pour justifier notre détermination face à ce type d’organisation.
M. le président. Les amendements nos 2 et 3 ne sont pas soutenus.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution est ainsi rédigée : « Un référendum portant sur n’importe quelle disposition législative peut être organisé à l’initiative de 500 000 Français inscrits sur les listes électorales. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Notre pays traverse un temps de crise sans précédent. La crise est sanitaire ; elle est aussi économique, aggravée par des décisions gouvernementales absurdes ; elle est sécuritaire, identitaire et civilisationnelle, comme l’atteste la recrudescence des crimes barbares, puisque 267 personnes sont tombées sous les balles ou les lames des islamistes, depuis 2012. S’y ajoute une crise démocratique profonde, dont l’abstention massive aux élections n’est que l’un des symptômes. Le mouvement des « gilets jaunes » en fut un autre, lorsque des milliers de Français, honnêtes et travailleurs, niaient au Gouvernement sa légitimité issue des urnes. Nos concitoyens sont d’ailleurs de moins en moins nombreux à reconnaître les résultats électoraux.
Comment rester insensible à cette crise, alors que depuis des décennies, des millions de Français votent pour un parti devenu le premier de France, et pour un programme largement copié par d’autres le temps des élections ? Or par de basses manœuvres politiciennes et des modes de scrutin injustes, il se retrouve exclu de toutes les responsabilités et si peu représenté au Parlement.
Avant que le mouvement ne soit gangrené par des casseurs d’extrême gauche, ces « gilets jaunes » portaient une revendication : le référendum d’initiative citoyenne, ou RIC. Cette mesure, juste et simple, a fait ses preuves dans de nombreux pays. En plus de renouer le lien entre le peuple français et sa démocratie, elle contribuerait aussi à recentrer le débat public sur des sujets que les responsables politiques préféreraient laisser sous le tapis du politiquement correct.
Le référendum d’initiative partagée, le RIP, défini dans l’article 11 de la Constitution est presque impossible à concrétiser. J’en veux pour preuve la pétition contre la privatisation d’Aéroports de Paris que des millions de personnes ont signée, sans que rien ne change.
Hier, le président du parti Les Républicains proposait un RIP sur le rétablissement de la double peine. Quelle belle idée ! Il n’est jamais trop tard pour se rendre compte de ses erreurs et choisir le bon chemin. D’autant que Nicolas Sarkozy s’était dit fier d’avoir supprimé cette double peine !
Membre de l’opposition parlementaire, je souhaite me montrer constructif. Il me tient à cœur d’aider Christian Jacob à accomplir sa mission, de l’encourager, de lui faciliter la tâche. Si la double peine est rétablie, je serai le premier à m’en réjouir : qu’importe celui à qui on le devra !
C’est pourquoi, je vous propose dans cet amendement de créer un RIC à partir de la signature de 500 000 électeurs.