Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays se trouve très certainement à un moment décisif de son histoire.
Alors que l’urgence climatique n’a jamais paru plus pressante, notre économie est au plus mal. Le temps nous est compté pour pousser à fond la transition écologique, mais il nous est aussi compté pour engager notre pays sur la voie du désendettement.
Tel est le double défi qui nous attend. Je dis double, car il serait bien irresponsable de vouloir traiter l’un puis l’autre de ces deux aspects : sans prospérité économique, pas de transition écologique ambitieuse ; sans priorité écologique, pas de résilience économique et financière. Je le dis au nom de mon groupe : dette publique, dette écologique, même combat ! Il n’y a pas d’alternative.
Tel est l’esprit dans lequel nous abordons ce débat d’orientation des finances publiques. Il faudra bâtir la stratégie pour les années à venir, afin de répondre à cet impératif majeur : réduire cette double dette que nous avons laissé enfler durant tant d’années à cause de notre insouciance.
Alors que le Parlement s’apprête à adopter définitivement le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, nous avons d’ores et déjà engagé des sommes colossales pour préserver notre tissu économique. Pareilles mesures s’imposent à nous, dès lors qu’elles ne contredisent pas l’impératif écologique. Nous aurons besoin de toutes nos entreprises pour entamer la relance, de même que pour accélérer la transition écologique. Il s’agit de préserver autant que possible notre tissu économique en attendant les jours meilleurs.
La décision prise par le Gouvernement de ne pas augmenter les impôts va dans le bon sens. Nous aurons besoin de capitaux pour innover et inventer les modèles économiques de demain. Nous devons donc continuer à encourager les investissements, que ce soit dans le domaine public ou dans le secteur privé.
Mais cet arbitrage fiscal, pour rationnel et stratégique qu’il paraisse, nous oblige. Il nous oblige à réduire de manière draconienne la dépense publique, aujourd’hui supérieure à 60 % de notre PIB et largement au-dessus de la moyenne de la zone euro, sans quoi le rétablissement de l’équilibre budgétaire et a fortiori la réduction de notre dette publique, sont inenvisageables à moyen terme. Voilà donc le véritable défi sur le plan budgétaire pour les années qui viennent.
Bien sûr, nous ne relèverons pas un tel défi en nous contentant d’une approche comptable. Il faudra investir dans une relance qui combine intelligemment écologie et économie, en misant sur une croissance verte.
Mais une dette publique au-delà de 120 % de notre PIB n’est pas seulement une réalité comptable. C’est d’abord une réalité qui pèse sur notre souveraineté nationale et compromet notre liberté collective. C’est un fardeau que nous laissons à nos enfants et à nos petits-enfants, alors que nous leur laissons déjà une dette écologique.
Il nous appartiendra donc, dans les prochaines années, de leur montrer que nous n’avons pas renoncé à corriger le tir. C’est pourquoi, monsieur le ministre, notre groupe souhaite connaître les grandes orientations que le Gouvernement compte donner à la politique économique, afin de maîtriser la dette publique. Certes, la relance ne fait que commencer, mais il n’est pas envisageable de laisser l’argent public couler à flots, en espérant que la croissance ainsi relancée ne finisse par renflouer les caisses.
Il faut prévoir une trajectoire des finances publiques qui soit à la fois raisonnable en termes de discipline budgétaire et ambitieuse en termes de relance économique. Tel doit être l’objectif du Gouvernement, et le Parlement devra le soutenir dans cette démarche de responsabilité. Il s’agit de ramener au plus vite notre pays sur un chemin qui l’expose moins à la volatilité des marchés financiers. Voilà le défi qui nous attend, mes chers collègues.
Vous n’êtes pas sans savoir que le débat qui nous occupe aujourd’hui devait initialement se tenir il y a une semaine. Si je fais abstraction des considérations pratiques, je me réjouis que l’ordre du jour ait été ainsi chamboulé. Et pour cause, un événement majeur est survenu dans l’intervalle qui change radicalement les termes de notre débat. Je pense évidemment à l’accord obtenu par le Conseil européen après des négociations marathon. L’étape qui a été collectivement franchie par les Vingt-Sept constitue un moment historique. Nous savons tous le rôle déterminant que la France a joué dans l’obtention de cet accord – le crédit en revient assez largement au Président de la République.
La donne a donc changé. Notre pays, qui devrait obtenir près de 40 milliards d’euros de cet accord, a de quoi s’en satisfaire. Cela lui conférera des marges de manœuvre budgétaires adaptées à la gravité de la situation. Mais c’est surtout le projet européen qui y trouvera un nouveau souffle. Cet accord est le gage d’une intégration renforcée entre nos pays, déjà liés par des relations intenses et étroites. C’est un immense pari que nous faisons ensemble. Je suis persuadée que l’économie de l’Union, malgré toutes ses disparités, repartira de plus belle.
Je me permets toutefois d’apporter une touche de réalisme à ce tableau. Je crois qu’il serait dangereux de considérer que l’endettement, parce qu’il a changé d’échelle, a aussi changé de nature. La dette contractée par l’Union européenne devra être remboursée – chacun le sait. Le plan de relance européen est une immense opportunité pour la France, mais, comme toute opportunité, il comporte des risques. Le succès du plan de relance ne tiendra qu’à la possibilité d’une croissance retrouvée dans notre pays et chez nos partenaires.
Plus que jamais, les destins de nos nations sont liés par un engagement commun. (MM. Julien Bargeton et Jean-Marc Gabouty ainsi que M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Vos orientations sont-elles bonnes ? Telle est la seule question qui vaille, monsieur le ministre ! Pour ma part, je ne sais pas y répondre, parce que, comme le rapporteur général et le président de la commission des finances l’ont dit, vos documents sur l’orientation des finances publiques sont lacunaires. Ainsi, nous ne disposons pas des prévisions d’emplois. Par ailleurs, nous avons reçu les documents depuis peu, même si c’est moins récemment que l’Assemblée nationale, qui les a eus ce matin et qui a en débattu trois heures après. C’est un peu bizarre…
La trajectoire des finances publiques que vous nous proposez me semble aventureuse, car vous n’avez pas été un bon capitaine par temps calme. Comprenez que, par ces temps aventureux, on doute de votre cap et de vos capacités. Comme le rapporteur général vient de l’indiquer, il n’y a par exemple pas d’informations sur l’évolution des dépenses pilotables : c’est normal, vous ne pilotez plus rien !
Commençons par les comptes sociaux, pour faire plaisir à Jean-Marie Vanlerenberghe. Je cite le titre du rapport de la Cour des comptes : La sécurité sociale en 2019 : l’interruption d’une longue séquence de retour à l’équilibre. En effet, ce que vous avez mentionné, monsieur le ministre, comportait une petite inexactitude : en 2019, les comptes étaient encore proches de l’équilibre, mais se dégradaient un tout petit peu par rapport à 2018. C’est ce que relève la Cour des comptes.
Prenons maintenant le sous-titre : « Une dette durable fin 2019, avant même la crise sanitaire ». C’est là où le bât blesse et où rien ne va plus. Les chiffres évoqués sont faramineux : hier, il restait 115 milliards d’euros de dette à la Cades ; il faut désormais y ajouter environ 130 milliards d’euros – on verra les chiffres à la fin.
Il y a aussi la dette de l’Acoss, la dette permanente, la dette de court terme qu’il a fallu financer en urgence. J’y ai contribué en tant que parlementaire au travers des décisions prises par la Caisse des dépôts et consignations.
Et puis, il y a la dette permanente de la sécurité sociale, celle du régime général et du FSV, soit plus de 52 milliards d’euros, ainsi que la dette sous la ligne, celle des retraites. On nous promet une réforme depuis trois ans : René-Paul Savary vous attend l’arme au pied, mais il ne voit toujours rien venir, ce qui est tout à fait insupportable.
Alors, vous avez trouvé la solution : c’est le paquet Cades, qui est l’inverse du paquet cadeau, c’est-à-dire que vous emballez le tout sauf que, à la fin, il faut payer ce qu’il y a dedans. Et c’est bien ça le problème ! Transférer des dettes à la Cades, c’est formidable, mais il y a bien quelqu’un qui devra payer. Et qui paiera ? Ce sont nos enfants, ce ne sont pas ceux qui ont profité des dépenses ! Nous finançons nos dépenses courantes grâce à la contribution de personnes qui n’existent pas encore. C’est quand même un peu embêtant.
Vous reportez la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage. Mais que trouve-t-on derrière cela ? C’est le report de la croissance potentielle ! C’est parce que nous n’avons pas assez d’emplois que notre croissance potentielle est aussi faible. C’est aussi parce que nous travaillons moins que la moyenne européenne, et vous le savez ! Ces réformes qui nous permettraient de retrouver la croissance, qui, elle-même, nous permettra de rembourser la dette demain, ne sont pas là.
Nous avons une énorme dette sociale. Énorme ! Il y a aussi la dette des collectivités, beaucoup plus vertueuse, car elle est soumise à la règle d’or. Il y a encore la dette de l’État, la plus colossale. Et puis, comme dirait Don Salluste dans La Folie des grandeurs, « il en manque une ! » : la dette européenne manquait au chapitre. En voilà une de plus ! Inventons encore une strate supplémentaire, cela nous permettra de faire de la dette et encore de la dette !
Évidemment, toute cette dette n’est pas soutenable, nous le savons tous. Nous attendons que, un jour, il y ait une vraie crise financière pour engager toutes les réformes. C’est, hélas, souvent ainsi dans ce pays, qui a renoncé.
Pour retrouver une trajectoire soutenable, certains ont appelé de leurs vœux une loi de programmation des finances publiques. Personnellement, je n’y crois pas, je n’y crois plus. Jean-Marc Gabouty l’a dit dans son intervention, il faut faire une telle loi en début de quinquennat. Simplement, cette loi n’a pas été respectée dès la première année ! Ces lois que vous créez pour vous-même, vous ne les respectez pas, et ce dès la première année ! Comme vous l’avez montré dans votre document, nous sommes totalement à côté de la plaque en 2020 par rapport à la trajectoire initiale. Ce n’est pas supportable.
Cette loi de programmation des finances publiques ne fonctionne pas. Il nous faut une vraie règle. Or la seule vraie règle, c’est la règle d’or, monsieur le ministre. Avec la commission des affaires sociales, nous sommes désolés que vous ne l’ayez pas acceptée. C’est d’ailleurs pourquoi nous n’avons pas abouti à un accord sur la Cades.
Il faut dorénavant une vraie règle d’or pour le budget de l’État : nous n’investissons plus dans ce pays et sommes dopés par des taux d’intérêt bas, qui nous aident en définitive à compenser la hausse de nos dépenses publiques : 2,5 % cette année selon les documents que vous nous avez transmis ce matin.
Oui, investir est l’autre solution pour accroître la croissance potentielle. Il faut investir pour plus d’emplois et investir vraiment dans l’avenir, dans la recherche, pas dans une salle des fêtes – quoique… On voit bien combien nos plans manquent de ces investissements : on a dû attendre les 40 milliards d’euros de subventions de l’Union européenne pour commencer à penser que cela pourrait servir au plan Hydrogène. Et pendant ce temps, les Allemands en mettent beaucoup plus sur la table !
Nous sommes donc en retard sur la croissance potentielle. Non, une règle d’or, ce n’est pas l’austérité : c’est retrouver la liberté et des marges de manœuvre. C’est reconquérir notre souveraineté. Ce n’est pas l’austérité, mais une volonté. Or, on le sait bien depuis le général de Gaulle, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». J’en reviens ainsi au cap initial : comme il n’y en a pas, nous sommes perdus !
Finalement, j’ai trouvé quel était votre manuel des finances publiques. C’est un grand sénateur, Victor Hugo, qui vous l’a fourni dans son poème Oceano Nox :
« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
« Dans ce morne horizon se sont évanouis ! »
Ce sont les perspectives des finances publiques ! (M. Marc Laménie et Mme Christine Lavarde applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’orientation des finances publiques pour 2021 dans un contexte grave, mouvant, exceptionnel, ce qui donne à ce débat une signification toute particulière. La pandémie de covid-19 et le confinement sanitaire engendrent en effet une crise économique d’importance, une récession sévère dans le monde et en France, qui équivaut pour notre pays à 10 % de son PIB.
Ainsi, le PIB de notre pays en 2020 reviendrait à peu près à son niveau de 2015. C’est une comparaison qui devrait d’ailleurs nous interpeller. Nous courons toujours après la croissance et la pleurons même quand elle est en recul, mais, en 2015, vivait-on réellement moins bien ?
Plus grave, le taux de chômage risque de dépasser les 11 % avec une augmentation de la précarité partout en France. Il faudra apporter des réponses rapides pour soutenir nos concitoyens les plus en difficulté. En effet, ce sont des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires qui vont être confrontés à la réforme de l’assurance chômage, qui a certes été repoussée pour l’instant, mais qui entrera en vigueur en 2021. Il faut rappeler que la baisse des indemnisations devait concerner au moins 650 000 demandeurs d’emploi et que le durcissement des conditions d’ouverture des droits devait entraîner la radiation de plus de 1,3 million de chômeurs.
De surcroît, de nombreuses entreprises, qui, hier, semblaient assurées d’un avenir, baissent aujourd’hui le rideau avec, à la clé, de plus en plus de licenciements.
Demain, sans doute, des reprises de dettes, des recapitalisations, des nationalisations seront nécessaires pour sauver les entreprises en difficulté à cause de la hausse prévisible de leur endettement.
Pour limiter la casse, le rapport préparatoire au débat sur l’orientation des finances publiques présenté par le Gouvernement fait état d’un budget de relance, dont on apprend qu’il sera dévoilé le 24 août prochain. C’est beaucoup trop tard !
Ce plan contiendrait plusieurs orientations.
Il est question de soutenir la reprise de l’activité. Mais de quelles activités parle-t-on ? Des activités polluantes ? Des activités qui soutiennent l’obsolescence programmée ?
Aussi, je m’étonne de la distribution massive d’argent public à certaines entreprises qui produisent seulement 17 % de leurs voitures en France ou d’autres, comme Air France, qui prévoit de supprimer plus de 7 500 postes.
Il est aussi question d’accompagner les plus fragiles. Nous avons écouté le Premier ministre et le ministre de l’économie annoncer un plan massif de soutien pour la jeunesse.
Soyons plus nuancés : vous avez fait des annonces pour les entreprises, afin de les inciter à recruter des jeunes ; en revanche, aucun filet de solidarité n’est mis en œuvre pour la jeunesse, qui ne peut bénéficier ni du RSA ni du chômage. À part les repas à 1 euro pour les Crous, il n’y a aucune aide.
Tout comme il n’y a aucune ligne budgétaire pour illustrer d’autres dispositifs annoncés. Dans ces conditions, comment y donner du crédit, surtout après la succession de mesures pénalisantes que vous avez mises en place depuis le début du quinquennat ?
J’évoque à titre d’exemple les bénéficiaires d’aides au logement pour lesquels une liste impressionnante de dispositions a été annoncée, mais pour lesquels la perte du pouvoir d’achat s’évalue à plus de 2 milliards d’euros. Vous l’avez compris, j’évoque la baisse générale de 5 euros par mois des APL en 2017,…
M. Julien Bargeton. On n’en est plus là !
M. Patrice Joly. … l’extinction de l’APL accession, le quasi-gel des APL depuis 2018 et, enfin, votre souhait de mettre en œuvre la contemporanéité des aides, heureusement repoussée, qui devait se traduire par une baisse de 1,3 milliard d’euros des APL en année pleine.
Au total, l’effet cumulé des mesures fiscales et sociales prises en 2018, 2019 et 2020 sur le revenu disponible en 2020 se résume en peu de mots : beaucoup pour les très riches et bien peu pour les plus pauvres.
Les gains sont modestes pour environ la moitié des ménages. En revanche, tous les gains se concentrent sur les 1 % des ménages les plus riches, allant même jusqu’à 23 000 euros pour les 0,1 % des plus riches, selon le rapport de l’Institut des politiques publiques.
Il est question de renforcer notre souveraineté. Va-t-on racheter la branche stratégique d’Alstom vendue à General Electric, par exemple ? L’État va-t-il prendre sa part dans la reprise de France Rail, ce producteur de rails, qui est le principal fournisseur de la SNCF ?
Enfin, il est question de favoriser la poursuite des transformations structurelles de l’action publique. Jusqu’où va-t-on aller dans le détricotage des services publics ? Nous avons pourtant vu combien nos services publics, notamment l’hôpital public, jouent un rôle essentiel dans notre pays.
À y regarder de plus près, vos orientations budgétaires n’offrent pas de grandes surprises. On se contente de colmater les brèches avec des reports de dépenses fiscales et sociales accordées aux entreprises, des facilités ou des garanties d’emprunt qui leur sont proposées. Est-ce suffisant ? Je ne le pense pas.
Pourtant, certains de nos partenaires européens se sont engagés dans des dynamiques nouvelles : l’Espagne vient de mettre en œuvre un revenu de base en moins d’un mois ; l’Allemagne a présenté son plan d’urgence le 3 juin et proposé un paquet conjoncturel de 130 milliards d’euros. Elle fait ainsi de la relance de la demande intérieure l’axe n° 1 de sa politique économique, à rebours de tout ce qu’elle faisait depuis cinquante ans. Vous y avez souvent fait allusion par le passé. C’est l’occasion ou jamais cette fois-ci de l’imiter.
Notre pays doit donc aller plus loin dans la mutation de son économie. Mais, pour ce faire, il faut arrêter de se crisper sur le niveau de la dette publique. L’important, ce n’est pas le niveau de la dette par rapport au PIB, mais son coût. Or la charge de la dette atteint – il faut le rappeler – moins de 2 % du PIB.
Mme Nathalie Goulet. Quand même !
M. Patrice Joly. Pour citer le prix Nobel d’économie Jean Tirole, « la dette souveraine, contractée par les États, et la dette privée, contractée par les banques, devraient en fait être considérées comme un tout ».
Depuis plusieurs mois, le gouverneur de la Banque de France sonne l’alarme, jugeant la croissance de la dette privée trop forte et en décalage avec nos voisins. L’endettement des ménages et des entreprises rapporté au PIB est désormais le plus élevé des grands pays d’Europe. La dette publique est nécessaire, car elle permet le développement de nos services publics et soutient nos politiques sociales, culturelles, sanitaires, mais aussi économiques.
Je rappelle que le Japon a une dette représentant 250 % de son PIB et ne voit cette réalité que comme un souci mineur, parce qu’elle est détenue en majorité par les Japonais.
C’est l’économiste Bruno Tinel qui écrivait que, « si l’on pense qu’il y a trop de dettes, il faut être cohérent, et dire aussi qu’il y a trop d’épargne ». L’épargne des Français est l’une des plus élevées au monde avec plus de 5 300 milliards d’euros. Ce montant est deux fois plus élevé que le montant de la dette publique. Or vous ne prévoyez aucun mécanisme innovant pour la mobiliser. Nous avons une proposition : il s’agirait d’orienter l’épargne des particuliers vers des obligations du Trésor grâce à une rémunération avantageuse et une défiscalisation, dès lors qu’elles seraient gardées sur le long terme.
Sur la dette publique toujours, de nombreux économistes, et pas des moindres, s’accordent sur l’effacement d’une partie de notre dette détenue par la BCE et les banques. On évalue cette éventualité à environ 400 milliards d’euros, soit 17 % du PIB que l’État pourrait d’emblée injecter dans l’économie et la santé, et qui permettrait surtout de prendre rapidement la bifurcation écologique et sociale sans laquelle les décennies à venir seront des périodes autrement plus dramatiques que ce que nous vivons.
Nous pourrions aussi réfléchir à atténuer la charge de la dette par le pilotage maîtrisé d’une inflation douce. Derrière toutes ces propositions se cache un vrai enjeu, celui du maintien de notre souveraineté nationale : celle-ci ne doit plus être soumise aux aléas du marché.
Garantir notre souveraineté, c’est aussi défendre notre économie au sens large, c’est défendre nos industries ; c’est défendre nos lieux de production ; c’est défendre nos produits ; c’est défendre nos emplois ; c’est défendre les territoires, et c’est ce qui nous permettrait d’être indépendants dans certains domaines majeurs comme les médicaments.
« Quoi qu’il en coûte », pour reprendre l’expression du Président de la République, nous devons repenser et dessiner une nouvelle politique industrielle. Le confinement a mis en lumière les enjeux liés à la relocalisation de la production, l’indispensable changement de nos manières de nous déplacer, de travailler, de consommer, mais surtout la nécessité d’une nouvelle stratégie industrielle et économique française.
« Quoi qu’il en coûte », nous devons soutenir par nos politiques sociales, nos concitoyens les plus précaires et les plus en difficulté. Pour un grand nombre de Français, ce confinement a aussi agi comme un révélateur des inégalités de logement et de la précarité de ceux qui exercent des métiers exposés au coronavirus et qui ont été nos premiers de tranchée.
« Quoi qu’il en coûte », la transition énergétique doit se faire à marche forcée. Depuis trop longtemps, on court après la croissance pour rééquilibrer les comptes et diminuer le chômage de masse. Mais pour quel résultat ? La dette publique et la dette privée explosent, et le chômage de masse ne disparaît pas.
Il faut faire sans croire à la croissance et sans souhaiter la décroissance, sauf une décroissance de l’empreinte écologique. Il nous faut cependant acter que nous sommes dans une économie en contraction, principalement à cause de la quantité d’énergie et de matières premières dont nous disposons qui s’amenuise ou que nous devons maîtriser. De cette manière, on peut concentrer le débat sur les stratégies à établir pour préparer un avenir commun, et non pour relancer le système tel qu’il était.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il ne s’agit pas ici d’ergoter sur telle mission ou tel programme. Nous avons le devoir d’agir vite en répondant aux trois urgences économique, sociale et écologique, parce que ce sont elles qui conditionnent notre avenir commun. Pour ce faire, nous devons nous extraire de nos croyances, des dogmes économiques que nous suivons depuis des décennies, pour construire un nouveau système économique, social et écologique en phase avec ce nouveau monde.
M. Yves Daudigny. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Sept orateurs étant déjà intervenus, tout a été dit, ou presque ! Je me contenterai donc de formuler quelques observations.
Le débat sur l’orientation des finances publiques, c’est un peu une victoire de l’optimisme sur l’expérience, puisque, en réalité, comme le disait Henri VIII à son huitième mariage, les choses ne se passent jamais comme on l’avait prévu ! (Sourires.) Il est difficile d’orienter les finances publiques, et les lois d’orientation sont toujours très approximatives.
L’application de l’article 48 de la LOLF nous donne l’occasion, monsieur le ministre, de vous dire à quel point il est urgent de réformer cette loi qu’Alain Lambert avait portée sur les fonts baptismaux. En effet, en matière d’obsolescence, on a atteint, à mon sens, le bout du bout… Chaque fois que nous examinons les crédits d’une mission, nous sommes contraints de déshabiller Pierre pour habiller Paul et de compléter les dispositifs par des documents transversaux, pour essayer de retrouver une vision complète des choses. À cet égard, le travail entamé à l’Assemblée nationale sur ce plan devrait être poursuivi –au Sénat aussi, d’ailleurs.
En tant que rapporteur des engagements financiers de l’État, je suis évidemment très attentive au « coûte que coûte ». Je rappelle que l’on a bien failli adopter la règle d’or dans cette maison, au moment de la réforme constitutionnelle. Pour avoir voté l’amendement qui avait été présenté par Alain Lambert sous la présidence de Christian Poncelet, je ne suis même pas sûre que le vote intervenu dans cet hémicycle ait été un vote de rejet !
Quoi qu’il en soit, après un long débat, la règle d’or n’a pas été incluse dans la réforme constitutionnelle de 2008, et c’est vraiment dommage. Il serait intéressant de pouvoir y revenir, si réforme constitutionnelle il y a.
Je voudrais évoquer une question qui me tient particulièrement à cœur, celle des fraudes.
Concernant l’argent que l’Europe va pouvoir nous prêter pour l’investir, nous avons vu, à l’occasion de l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative, que vous ne souhaitiez pas de mesures de contrôle a priori, pour ne pas prendre de retard. Je crois tout de même qu’il faudra y penser, notamment au regard de la fraude à la TVA, qui représente plus de 20 milliards d’euros en France et 137 milliards d’euros en Europe en 2017. La TVA, une des premières ressources de l’Union européenne, doit faire l’objet d’un contrôle. Je sais que votre ministère va déployer certains logiciels de détection précoce qui sont déjà utilisés dans plusieurs pays. C’est vraiment le moment de mettre en œuvre tous les outils d’intelligence artificielle et de data mining disponibles en matière de lutte contre la fraude à la TVA. Celle-ci, compte tenu du système en place depuis la crise sanitaire, doit en effet susciter des vocations : un fraudeur satisfait est un fraudeur qui recommence et, de ce point de vue, on n’a pas fini d’avoir des surprises ! Même si vos services ont déjà relevé plus de 1 000 infractions, le retour de l’argent fraudé dans le giron de nos finances publiques n’est pas pour demain.
Le dernier référé de la Cour des comptes, datant de novembre 2019, devait donner lieu à un débat dans cet hémicycle. Il n’a malheureusement pas pu se tenir à cause de la crise sanitaire. C’est extrêmement dommage. L’argent investi dans l’économie, dont le remboursement pèsera sur les générations futures, n’a d’efficacité réelle et sérieuse que si on lutte contre la fraude, que ce soit la fraude à la TVA ou la fraude fiscale.
Cela m’amène à évoquer la révision des conventions fiscales internationales. Un autre référé de la Cour des comptes, datant aussi de la fin de 2019, fixe comme priorité l’intérêt du contribuable. Il serait peut-être intéressant de passer en revue un certain nombre de conventions fiscales avec des pays étrangers qui, précisément, nuisent au contribuable national et au Trésor.
Je conclurai en revenant sur le rapport d’information relatif à la dette publique de Laurent Saint-Martin, le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, qui a eu l’obligeance de m’auditionner. Il serait extrêmement utile d’avoir, sous votre autorité, monsieur le ministre, et celle des présidents des commissions des finances des deux assemblées, un vrai débat sur la dette en début d’année budgétaire. Le montant de la dette française, l’identité des détenteurs de celle-ci et les marges de manœuvre dont nous disposons conditionneront évidemment tout le débat budgétaire à suivre. Jean Arthuis répétait à qui voulait bien l’entendre que le déficit annihile la liberté. Nous sommes, de ce point de vue, quelque peu menottés. Les marges de manœuvre sont vraiment faibles. Cela étant, nous sommes évidemment toujours à votre disposition pour travailler sur ces sujets hautement importants, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Julien Bargeton applaudit également.)