M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous vous aurions volontiers cédé quelques articles…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Franchement, monsieur le ministre, je serais tenté de vous demander assez directement : que vous faut-il ? Pourquoi cette obstination à ne pas repasser devant le Parlement en matière sociale ?
Ce caractère facultatif pose un réel problème, notamment quand des milliards d’euros de dépenses supplémentaires, non assurantielles, sont mises à la charge de la sécurité sociale par simple arrêté ministériel ; je songe, par exemple, aux masques et aux tests. Nous aurons, je pense, l’occasion d’en reparler rapidement.
Notre seconde proposition se fonde sur un regret : celui d’apprendre que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 comprendra la mission « Santé ». Notre commission plaide pour la disparition de cette mission, qui n’a plus aucune cohérence. Nous souhaitons l’intégration de l’aide médicale de l’État dans la mission « Solidarité, intégration et égalité des chances » et appelons de nos vœux la rebudgétisation, au sein de cette même mission, du financement des différentes agences sanitaires financées par la sécurité sociale, à commencer par l’Agence nationale de santé publique. Monsieur le ministre, nous attendons une évolution de la maquette budgétaire sur ce point ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, le débat que nous tenons aujourd’hui, en application de l’article 48 de la LOLF, a pour objet de préparer l’examen du projet de loi de finances ; il s’appuie sur les informations délivrées par le Gouvernement à cet effet.
Il ne porte toutefois pas sur le seul budget de l’État, mais, ainsi que M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales vient de le signaler, sur l’ensemble de nos finances publiques, y compris les finances sociales et locales. De ce point de vue, ce débat prépare aussi l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans un contexte où l’on peut regretter, en effet, que la loi de financement de la sécurité sociale pour cette année n’ait fait l’objet d’aucune révision, alors même que les finances sociales sont très durement affectées par la crise.
Le débat sur l’orientation des finances publiques est le seul moment, très elliptique, d’un débat consolidé sur nos finances publiques, alors que l’on voit très clairement, en prenant les seuls exemples du chômage partiel, des exonérations de charges ou du Ségur de la santé, que les problématiques sont partagées. Il en va de même pour les relations financières de l’État avec les collectivités territoriales.
Cette année est particulière, en ce qu’elle marque plutôt une désorientation qu’une orientation de nos finances publiques – pardonnez-moi ce mot d’esprit…
Le Gouvernement, en septembre dernier, donc par temps calme, avait préféré reporter l’actualisation de la loi de programmation 2018-2022, pourtant déjà largement obsolète, au motif des incertitudes liées au contexte macroéconomique et à la réforme des retraites. Le voilà désormais rattrapé par des incertitudes plus grandes encore, qui rendent fragile, sinon illusoire, tout exercice de programmation.
De fait, à l’instar du programme de stabilité présenté à la Commission européenne en avril dernier, le rapport qui nous est soumis se borne, pour l’essentiel, à estimer la récession pour 2020 – à 11,5 % du PIB – et ses conséquences sur nos finances publiques – un déficit de 11,4 % et une dette de 121 % du PIB. Je me souviens de l’époque où nous regardions le seuil des 100 % avec effroi…
Nous avons déjà largement mentionné ces chiffres, ainsi que les mesures prises pour remédier à la crise économique et financière, dans nos débats sur le PLFR 3. J’insisterai donc davantage sur les éléments de débat spécifiques à la préparation du budget pour 2021, figurant à la toute fin du rapport du Gouvernement et dans le « tiré à part » sur les missions budgétaires, lequel comme notre rapporteur général l’a souligné, nous a été communiqué seulement ce matin même – les conditions de travail du Parlement sont assez malmenées, et chacun devrait en prendre la mesure pour changer ce qui doit l’être.
Tout d’abord, le Gouvernement nous annonce « un rebond économique fort en 2021 », soit une croissance de 8 %, « hors effet du plan de relance à venir ». Le déficit serait ramené à 5,5 % du PIB. Nous ne pouvons qu’espérer un tel rebond, mais, comme le Gouvernement lui-même l’indique dans son rapport, « un haut niveau d’incertitudes ainsi qu’un environnement international peu favorable » incitent à rester prudent. Bref, les prévisions ne valent que pour ceux qui les présentent… Je pense en particulier aux risques sanitaires, toujours présents, et aux tensions commerciales et internationales. Par ailleurs, malgré ce rebond, le PIB demeurerait en 2021 inférieur d’environ 4 % à son niveau de 2019.
Le Gouvernement compte s’appuyer en 2021 sur le plan de relance européen pour financer une grande partie des mesures qu’il présentera cet automne.
L’accord trouvé en début de semaine au Conseil européen doit, bien sûr, être salué, même s’il est moins ambitieux qu’envisagé, puisque les subventions sont ramenées de 500 milliards à 390 milliards d’euros. Sans compter qu’il s’est fait au prix de coupes dans certaines politiques de l’Union européenne, comme la recherche et la défense, et de l’augmentation des rabais de certains de nos partenaires, une mesure à laquelle le Sénat s’était opposé dans sa résolution européenne du 22 juin dernier, adoptée sur le rapport de Jean-François Rapin.
La France obtiendrait 40 milliards d’euros, dont une part importante serait versée en 2021 et 2022. Il importera que les procédures d’évaluation par la Commission européenne et d’approbation par les États membres soient suffisamment souples et efficaces pour que ces moyens supplémentaires, qu’il faudra rembourser plus tard selon des modalités restant particulièrement floues, soient décaissés rapidement.
Nous ne disposons, à ce stade, que d’indications vagues sur ce que pourrait contenir le plan de 100 milliards d’euros sur deux ans annoncé par le Gouvernement. Certes, une communication aura lieu en conseil des ministres le 24 août prochain, et un comité de suivi est d’ores et déjà annoncé, mais les dispositions concrètes figureront dans le projet de loi de finances, présenté à la fin de septembre.
Pour le moment, la plus importante des mesures annoncées est une baisse des impôts de production à hauteur de 10 milliards d’euros en 2021 : elle interroge quant aux priorités du Gouvernement au sujet d’une relance verte.
Au-delà de la communication prévue, nous serons vigilants sur la réalité des moyens mobilisés pour la transformation de notre économie, mais aussi pour le soutien aux ménages, qui seront durement touchés par la crise et les licenciements.
Enfin, je ne puis pas conclure sans souligner le changement de cap à 180 degrés du Gouvernement en matière d’effectifs publics. Alors qu’une baisse de 50 000 emplois au sein de l’État et de ses opérateurs était annoncée dans la loi de programmation des finances publiques, sur la période 2018-2019 le résultat s’établit plus modestement à 7 148 équivalents temps plein de moins ; et, désormais, le Gouvernement annonce, sans en donner le nombre, des créations d’emploi en 2021, affectées, sauf exceptions justifiées, dans les services départementaux de l’État.
Ce matin, Bruno Le Maire a évoqué une « maîtrise de l’évolution de l’emploi public », avec des augmentations d’emplois dans la police, la justice et la santé, mais aussi des réductions d’effectifs dans les secteurs où cela est possible – il a cité le ministère des finances.
La crise sanitaire et économique que nous vivons aura le mérite de faire découvrir au Gouvernement l’importance de nos services publics de proximité et de la solidarité nationale… Encore faudra-t-il, plutôt que d’annoncer de nouvelles baisses d’impôts, s’interroger sur les moyens de financer ces services publics, notamment en faisant contribuer ceux qui en ont les moyens. Nous en reparlerons à l’automne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je ne vais pas vous abreuver de chiffres et de prévisions, tous aussi aléatoires, dépassés ou provisoires ; je m’en tiendrai à un propos plus général.
Le débat sur l’orientation des finances publiques pour 2021 aurait dû avoir pour cadre de référence la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022. Celle-ci reposait sur des bases réalistes et intégrait des hypothèses raisonnables sur des facteurs variables. À l’époque de son adoption, à la fin de 2017, nous avions bien noté que, face à des événements conjoncturels imprévus, la trajectoire retenue laisserait peu de marges de manœuvre pour des initiatives de relance. Personne alors n’avait anticipé le coût budgétaire du mouvement des « gilets jaunes », encore moins celui de la crise sanitaire majeure que nous connaissons…
Face à un choc économique massif, qui aurait sans doute pu être atténué si nous avions maintenu un taux d’activité plus élevé en mars et avril, la réponse du Gouvernement et du Parlement en termes de soutien à l’économie a été à la hauteur des enjeux pour préserver notre appareil productif et nos structures économiques. Au prix, bien entendu, d’un effort budgétaire sans précédent, de 136 milliards d’euros – sans compter les mesures prises au titre du prêt garanti par l’État.
Toutefois, la récession prévue pour 2020, de 11 % du PIB, est supérieure à celles prévues pour l’Allemagne, les Pays-Bas et même, de manière plus surprenante, l’Italie.
Si l’amortisseur public a joué massivement son rôle, nos équilibres financiers sont bouleversés, et, comme il a déjà été signalé, la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 est bien entendu caduque. Il conviendra de réviser cette programmation dans les mois à venir, afin de rétablir une certaine visibilité.
Dans ce contexte, il est particulièrement difficile d’établir des prévisions budgétaires pour 2021, année où nous subirons encore les conséquences de la crise actuelle en termes de dépenses comme de recettes ; en particulier, la répercussion de la crise sur le produit de l’impôt sur les sociétés sera sensible non cette année, mais l’année prochaine.
L’incertitude majeure concerne le niveau de croissance possible pour l’année prochaine, avec des ménages encore frileux en matière de consommation – un surplus d’épargne se constitue, prévu à hauteur de 100 milliards d’euros à la fin de l’année – et des entreprises dont le surcroît d’endettement limitera nécessairement les capacités d’investissement.
J’insiste sur ce dernier point, car il me paraît sous-estimé par un certain nombre de spécialistes et par le Gouvernement : intégrer dans la structure financière des entreprises l’endettement supplémentaire lié au prêt garanti par l’État – une mesure absolument indispensable et vitale pour nombre d’entreprises –, combiné à un étalement de charges sur six, douze, vingt-quatre ou trente-six mois, affaiblira nécessairement la situation financière de nombreuses entreprises, qui auront tendance à limiter leurs investissements dans les années à venir. Ce phénomène me paraît insuffisamment anticipé.
Il faut s’attendre aussi à voir les échanges internationaux ralentir, les plans sociaux et le chômage augmenter et les défaillances d’entreprise se multiplier d’ici à la fin de l’année ; ces tendances seront probablement beaucoup plus marquées à partir de septembre que ces derniers mois, au cours desquels un filet de sécurité assez complet a été déployé.
Sur ces derniers points, le plan de relance de l’automne aura un rôle majeur à jouer pour la capacité de notre économie à rebondir.
Face à ces grandes incertitudes, l’objectif raisonnable serait de stabiliser la situation en cantonnant le surplus d’endettement dû au covid-19, amortissable et finançable avec une sorte de « CRDS XXL », et de revenir aux équilibres initiaux, actualisés, du budget 2020, sans augmenter les dépenses, ni se priver de recettes, ni dégrader le niveau des prélèvements obligatoires, et en maintenant un niveau élevé d’investissements publics. Car, comme l’a expliqué plus tôt dans l’après-midi Roger Karoutchi, certains investissements publics sont des outils de relance en même temps qu’ils répondent à des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ; c’est le cas, en particulier, des investissements, dont notre pays a grand besoin, destinés à moderniser les infrastructures ferroviaires et fluviales.
Monsieur le ministre, l’équation, je le reconnais, est difficile à mettre en œuvre ; mais, à défaut d’être flamboyante, notre trajectoire doit rester à la fois prudente et rassurante !
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le débat sur l’orientation des finances publiques est un moment important pour la décision budgétaire : comme l’expliquait le doyen Hauriou, le budget est l’élément le plus important de la chose publique. Par ailleurs, ce débat s’inscrit dans le partage des compétences entre le Gouvernement et le Parlement.
Au reste, pour les élus locaux que nous sommes, ce qui a été perçu comme une innovation pour l’État et a été rendu obligatoire par la LOLF était un rendez-vous bien connu depuis la loi du 6 février 1992.
Ce débat d’orientation est, je crois, davantage une consultation du Parlement par le Gouvernement, même si ce dernier a le monopole de la préparation du projet de loi de finances. Je parle de consultation, parce que le Sénat est en prise avec la réalité des territoires, les préoccupations des Français, du fait de nos mandats d’élu local passés ou actuels, de notre présence partout sur le territoire et des missions d’information et déplacements qui sont au cœur du contrôle parlementaire.
Ce débat est l’occasion d’un bilan d’étape des mesures prises par le Gouvernement en ce qui concerne les grandes priorités du quinquennat : 1,7 milliard d’euros par an pour les armées, hausse des crédits des missions « Sécurité » et « Justice » et augmentation des crédits alloués à la transition écologique et aux transports, sans oublier, sur le plan social, le dédoublement des classes de CP et CE1 et la hausse de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés. À cela s’ajoutent le plan Jeunes et les aides à l’apprentissage.
Bref, quand j’ai entendu, il y a quelques instants, un collègue affirmer que le compte n’y était pas, les bras m’en sont un peu tombés… D’autant que la pression fiscale a baissé de près de 1 point de PIB, soit déjà 20 milliards d’euros d’impositions en moins pour les ménages depuis 2017.
Si la LOLF prévoyait déjà une avancée majeure, avec l’obligation de ce débat d’orientation budgétaire et les obligations de transparence faites au Gouvernement pour faciliter le contrôle du Parlement, le contexte social et politique de notre pays a changé. Cette année revêt un caractère particulier et montre la difficulté d’articuler programmation pluriannuelle, autorisation annuelle, et gestion infra-annuelle.
En trois lois de finances rectificatives, la croissance est passée de 1,3 % à -11 % du PIB pour 2020, le déficit de 2,2 % à 11,5 % du PIB… Circonstances exceptionnelles, pourra-t-on dire. Mais, nos débats l’ont montré, ces textes s’inscrivent dans une stratégie de plus long terme, y compris en ce qui concerne les marges de manœuvre dont notre pays peut disposer avant une crise. Souvenons-nous, humblement, de la loi dite TEPA (loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), financée par le déficit juste avant la crise de 2008.
Il y a sur ces travées des divergences quant à la programmation pluriannuelle : nombre d’entre nous n’y croient pas ou ne la souhaitent pas. Quitte à nager à contre-courant, je pense qu’elle est nécessaire et devrait être contraignante pour l’État comme pour le Parlement.
Je vois deux options : soit cette programmation s’inscrit dans un mandat politique, en début du quinquennat ; soit elle permet au contraire de sortir du cadre politique en s’inscrivant dans le temps long.
La première option nous permettrait de répondre au sentiment chez les Français d’impuissance du politique, qui se réveille notamment en ce moment, où les Français ont l’impression que, lorsque l’État veut, l’État peut, et les arguments budgétaires n’existent plus.
La seconde aurait l’avantage de sortir de la logique partisane de la Ve République, contestée par les Français, et permettrait de travailler à des consensus complexes, mais utiles pour le pays sur le long terme. Elle demanderait aux élus un plus gros effort, tant, nous le voyons sur ces travées, le passé et les quinquennats précédents sont fantasmés, loin de la réalité des chiffres et du vécu social de l’instant.
Le débat d’orientation des finances publiques doit aussi être le moment pour le Parlement de donner son opinion sur les choix à opérer pour le prochain budget.
Le budget pour 2021, celui de la relance, doit s’inscrire dans un temps long. Il doit répondre aux attentes des Français, aux enjeux du temps présent : transition écologique de l’industrie, transition écologique des transports, numérisation de l’économie et souveraineté.
Celle-ci se décline, d’abord, en souveraineté énergétique. En 2018, notre déficit commercial en énergie s’élevait à 46 milliards d’euros… Nous avons un modèle à inventer au niveau européen et nous devons investir massivement dans les interconnexions transfrontalières. La souveraineté est aussi numérique : nous avons besoin de systèmes d’exploitation européens.
Le Gouvernement a annoncé une série de mesures de relance de l’industrie. Un ministre est désormais spécialement chargé de cet enjeu, dont nous connaissons l’urgence : la part de l’industrie dans le PIB est passée de 24 % en 1980 à 14 % en 2007 et à environ 10 % aujourd’hui ; plusieurs millions d’emplois ont été perdus. Il est important que l’État soit au chevet de l’industrie pour éviter la fuite des compétences des territoires.
Si l’intervention publique directe peut être justifiée, notamment pour venir en aide à certains secteurs en difficulté, je crois que, là aussi, nous devons rester humbles, compte tenu des échecs passés, sur la capacité de l’État à prévoir les secteurs d’avenir : rappelons-nous le plan Calcul et l’échec de Bull…
À l’inverse, une politique horizontale paraît plus que jamais nécessaire : accroître les financements de l’enseignement supérieur et de la recherche, améliorer les liens entre recherche publique et recherche privée, cette dernière étant faible en France alors que notre pays se distingue en matière de recherche fondamentale, rendre la fiscalité plus incitative à la prise de risque, accroître la concurrence en renforçant l’intégration des marchés des biens et services et en réduisant les barrières à l’entrée sur les marchés réglementés.
Plus généralement, nous connaissons aussi les déterminants de la croissance : nous devons augmenter le taux d’emploi dans notre pays, notamment celui des seniors, ce qui aura un effet mécanique sur notre PIB potentiel.
Monsieur le ministre, chers collègues, sur les grands chantiers de la relance, nous faisons la proposition suivante : que chaque investissement fasse l’objet d’une étude de rentabilité socio-économique, menée par un organisme indépendant du Gouvernement. Notre pays devra investir massivement, mais surtout dans des projets qui auront un effet important sur le PIB potentiel de notre pays. Rendez-vous à la fin de l’été pour le plan de relance ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quoi qu’il en coûte » : c’est l’expression qu’a utilisée le Président de la République le 12 mars dernier pour évoquer la lutte de la France contre l’épidémie et la crise économique qui en est résultée.
Le même jour, Emmanuel Macron a tenu des mots forts, sur lesquels, étonnamment, nous pouvions nous accorder : « Il nous faudra, demain, tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, notre État-providence ne sont pas des charges, mais des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »
Quatre mois plus tard, alors que la Banque de France anticipe un chômage à 11,5 % l’année prochaine et une récession de 11 % cette année, avant une croissance de 7 % l’année prochaine, où en sommes-nous ?
Depuis le mois de mars, nous avons multiplié les dispositifs de soutien d’urgence et de défiscalisation. La situation, à bien des égards, l’exigeait ; c’est pourquoi notre groupe, en responsabilité, a voté ces exonérations de cotisations.
Toujours est-il que, comme l’a expliqué un de nos collègues samedi soir en s’opposant fermement à la multiplication des ouvertures de crédits, « l’argent gratuit est une illusion ». Dès lors, comment comprendre que le Gouvernement et les majorités parlementaires s’opposent depuis trois mois à ce que l’argent versé aux entreprises s’accompagne d’engagements sociaux et écologiques de ces dernières ?
L’exemple de Sanofi est symptomatique du déséquilibre progressif entre capital et travail. L’entreprise pharmaceutique qui, en période de pandémie, a évidemment son rôle à jouer, va supprimer un millier d’emplois en France, tout en continuant à toucher plusieurs centaines de millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche et en ayant versé – au passage – 4 milliards d’euros de dividendes, qui sont sortis de l’économie réelle il y a quelques semaines.
Au vu de la situation, vous comprendrez que nous ayons du mal à applaudir des deux mains le plan d’investissement de l’entreprise qui, en comparaison, s’élève à 610 millions d’euros pour deux laboratoires, qui se situent dans le département du Rhône et que l’État va par ailleurs accompagner financièrement.
L’autre point saillant de l’intervention du 12 mars concerne la prise de conscience de l’urgence d’un réinvestissement massif dans les services publics et les dispositifs de sécurité. Mais, une nouvelle fois, les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient.
Il est vrai que – nous l’avons encore vu ce week-end – le Gouvernement ouvre des crédits dans l’urgence. On ne peut pas nier ces mesures, mais il faut les comparer aux besoins. Ne prenons qu’un exemple, celui de la recherche. Actuellement, le Gouvernement propose un plan d’investissement, jugé « historique » par M. Emmanuel Macron et Mme la ministre Frédérique Vidal, qui s’élève à 5 milliards d’euros d’ici à 2030, dont un premier volet de 400 millions d’euros en 2021. Or cette hausse est plus faible que celle qui a été opérée en 2020.
Dans un autre domaine, la montagne du Ségur a accouché d’une souris avec une augmentation du revenu des soignants, qui maintient les personnels français sous la moyenne de l’OCDE et qui précarise encore davantage les conditions d’exercice de leurs métiers.
En matière d’éducation, la réussite exceptionnelle au baccalauréat cette année mettra les universités en difficulté : elles seront dans l’incapacité d’accueillir tout le monde.
Concernant la sécurité sociale, les mesures d’urgence prises pour les entreprises ont bien sûr aggravé le déficit. De plus, la création d’une nouvelle branche devrait coûter la bagatelle de 136 milliards d’euros à la Cades. Ce faisant, vous avez d’ailleurs opéré un véritable tour de passe-passe. Vous transférez aux hôpitaux la dette que vous étiez censé leur reprendre…
Faut-il en outre rappeler que la moitié de la dette sociale, que vous ne cessez de dénoncer, est la suite logique, la conséquence mécanique des 66 milliards d’euros d’allégements que vous avez accordés aux entreprises l’an dernier ? Je pense notamment au remplacement du CICE par la suppression des cotisations à la branche famille, les transformant en une cotisation quasiment symbolique.
Cette même dette, alimentée par les choix gouvernementaux, sert de justification à toutes les régressions sociales. Je pense par exemple à la réforme de l’assurance chômage ou à celle des retraites, qui revient sur le tapis. C’est cette même réforme qui indexe les pensions sur le niveau du PIB, alors même qu’on voit bien qu’une récession sévère pointe à l’horizon…
Tout l’édifice de la puissance publique de l’État et des collectivités territoriales est de plus en plus contraint.
Monsieur le ministre, reviendrez-vous sur la CAP 2022 ? Conduirez-vous une réforme ambitieuse permettant de reprendre la main sur des pans essentiels à la vie de nos concitoyens ? Où est la mobilisation exceptionnelle promise par le Président de la République ?
Bien entendu, lorsque l’on parle d’investissements publics, on nous renvoie à la dette. Mais c’est oublier rapidement que la dette se nourrit autant, si ce n’est plus, des investissements que du manque à gagner fiscal. C’est là un énorme chantier qui doit être mené, car la vérité est bien loin des caricatures qui sont faites d’une France mise à genou à cause de l’impôt.
La France se situe derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège, la Belgique, la Finlande, la Suède ou encore le Danemark en matière d’imposition sur le revenu. En matière d’imposition sur le travail, elle est quatrième derrière la Belgique, l’Allemagne et l’Italie. En matière d’imposition sur les sociétés, enfin, elle se situe même sous la moyenne de l’OCDE. Reste enfin la fiscalité des plus hauts revenus, qui ont vu leur taux d’imposition passer de 60 % à moins de 45 % en une cinquantaine d’années. Il existe en la matière des perspectives.
Je terminerai en évoquant la réponse européenne. En début de semaine, le plan finalement annoncé se veut bien moins ambitieux que prévu. Surtout, il s’appuie sur les mêmes recettes que celles qui ont affaibli les États : recours accru à l’endettement et engagements structurels via le MES.
Cette solution ne peut qu’aggraver la crise, priver les États de leurs capacités d’investissement et réduire la voilure des services publics sur le modèle des pays dits « frugaux » – mot à la mode ces temps-ci –, qui ont principalement constitué leur assise financière en devenant des paradis fiscaux au sein de l’Europe – je pense aux Pays-Bas – et en menant un dumping fiscal bien éloigné d’une construction européenne solidaire et rassembleuse. (M. Patrice Joly applaudit.)