M. Jean-Pierre Sueur. Elle est simplement républicaine !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. J’ai peut-être, en déformant la réalité historique, tant et tant admiré ceux qui se sont battus pour permettre à nos pères, puis à nos mères de s’exprimer par le suffrage universel pour former cette volonté générale que le Parlement doit incarner que j’ai vraiment du mal à mettre à jour mes conceptions démocratiques et que je n’arrive pas à entrevoir la valeur démocratique du tirage au sort.
Qui plus est, le tirage au sort que l’on a mis en œuvre à travers ce qu’on a appelé de manière si prétentieuse la Convention citoyenne n’est pas un tirage au sort dont les effets seraient naturels.
Premièrement, parce que l’on a mêlé au tirage au sort les techniques des enquêtes d’opinion, c’est-à-dire la constitution d’échantillons représentatifs. Par conséquent, ce tirage au sort n’était pas totalement, comme pour les jurés d’assises, le fruit du hasard.
Deuxièmement, parce que les personnes tirées au sort se sont, dans leur écrasante majorité, récusées, ce qui fait que, en quelque sorte – pardonnez-moi cette expression triviale –, il n’y a que le fond du panier qui soit resté et qui ait pu participer au travail organisé au sein de cette instance.
Troisièmement, il faut tout de même rappeler que les personnes tirées au sort – 150 sur 66 millions d’habitants – représentent 1/440 000 de la population française et n’ont reçu aucun mandat de personne. Par conséquent, il n’est pas démocratique, disons-le haut et fort, de postuler par avance que le fruit de leurs travaux devrait être repris par l’exécutif ou le Parlement ou soumis au suffrage universel par la voie du référendum pour une sorte de validation par oui ou par non sans délibération.
À ce stade de notre débat sur le Conseil économique, social et environnemental, il est donc important d’exprimer les plus expresses réserves sur l’utilisation de l’outil du tirage au sort, qui peut aussi apparaître comme une sorte de gadget. Il ne faudrait pas mettre sous le couvert de l’innovation démocratique ce qui ne serait en réalité qu’une grave régression.
Dans ces conditions, pourquoi la commission des lois a-t-elle accepté d’entrer dans ce débat ? Tout simplement, parce que c’est notre rôle. Nous sommes prêts à discuter !
Si nous votions contre ce texte qui prolonge le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental et que le Parlement décidait de diminuer le nombre de membres de cette institution, cette diminution n’interviendrait qu’après le renouvellement, par conséquent à l’issue seulement du nouveau mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental. Elle interviendrait donc bien après l’élection présidentielle et les élections législatives, alors que les autorités démocratiques pourraient avoir changé d’avis depuis longtemps. Cela ne serait pas raisonnable.
Ainsi, indépendamment de la question du tirage au sort – ma position sur ce sujet est définitive, et je n’en changerai pas –, je ne veux pas priver le Gouvernement, s’il le souhaite vraiment, de la possibilité de faire aboutir l’idée de baisser l’effectif du Conseil économique, social et environnemental.
J’ajoute que je trouve très déplaisant à l’égard des Présidents de la République et Premiers ministres de considérer que les nominations de personnalités qualifiées qu’ils ont décidées depuis le début de la Ve République ont eu pour seuls objectifs de recaser des battus du suffrage universel ou de faire plaisir à tel ou tel proche du pouvoir. C’est désobligeant, et je crois que ce n’est pas exact. D’une certaine manière, adresser ce reproche aux Présidents de la République et aux Premiers ministres revient aussi à l’adresser aux responsables des organisations syndicales et patronales, qui pourraient également être tentés de procéder à de tels reclassements. Il faudra aussi être attentif à ce point ; la présence d’experts au Conseil économique, social et environnemental n’est peut-être pas une si mauvaise idée.
Madame la présidente, j’ai abusé de mon temps de parole, mais je voulais donner l’éclairage du président de la commission des lois sur ce débat. Approuver le report de la fin du mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental ne signifie pas la signature d’un chèque en blanc sur la réforme de ce Conseil. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et Les Indépendants. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du conseil économique, social et environnemental
Article 1er
Le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental est prorogé jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental et, au plus tard, jusqu’au 1er juin 2021.
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Leconte, au nom de la commission, est ainsi libellé :
1° Remplacer le mot :
relative
par les mots :
résultant de l’adoption du projet de loi organique relatif
2° Après la seconde occurrence du mot :
environnemental
insérer les mots :
délibéré en conseil des ministres le 7 juillet 2020
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Comme l’a indiqué notre collègue Christine Lavarde, un report de la fin du mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental a déjà été décidé en juillet 2009 pour mettre en œuvre la réforme qui a suivi la révision constitutionnelle de 2008. Pour éviter toute confusion entre les différents projets de loi passés et en cours, nous proposons d’ajouter les mots : « délibéré en conseil des ministres le 7 juillet 2020. » Il s’agit donc d’un amendement de précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est un amendement de clarification. Le Gouvernement y est favorable.
Mme la présidente. Je constate que l’amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
À la fin de l’intitulé de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, les mots : « et social » sont remplacés par les mots : « , social et environnemental ». – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 145 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 338 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes.
Mme la présidente. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à midi.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (texte de la commission n° 674, rapport n° 673).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, chère Catherine, je voudrais juste te dire que tu vas me manquer. Depuis que je siège ici – cela fait trois ans –, tu es un modèle pour moi.
Mme la présidente. Merci !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé ce matin à examiner les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie hier après-midi pour élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.
J’ai déjà insisté dans cet hémicycle, il y a seulement deux jours, sur l’utilité de ce texte. En effet, d’ici à 2022, plus de 150 terroristes sortiront de détention, alors que les pouvoirs publics ne sont pas dotés aujourd’hui des moyens juridiques suffisants pour assurer leur surveillance efficace. Il nous fallait donc agir avec célérité et efficacité : c’est l’ambition de cette proposition de loi.
En première lecture, députés et sénateurs ont travaillé dans un état d’esprit identique en vue d’un objectif commun. Cela explique que nous soyons parvenus à trouver sans difficulté un compromis sur les quelques points de divergence qui subsistaient entre nous. Sur ce sujet majeur pour la sécurité de notre pays, il était d’ailleurs essentiel que l’Assemblée nationale et le Sénat affichent leur unité, comme ils l’ont toujours fait jusqu’à présent en matière de lutte contre le terrorisme. Il me semble que le contraire aurait été difficilement concevable pour nos concitoyens.
Au terme de cette commission mixte paritaire, nous avons confirmé notre préoccupation commune d’introduire un dispositif efficace tout en restant protecteurs des libertés. L’exercice n’était pas aisé, mais je suis convaincue que nous sommes parvenus, ensemble, à un texte équilibré.
La commission mixte paritaire s’est tout d’abord accordée sur une série de garanties visant à assurer la conformité à la Constitution de la mesure de sûreté.
Parmi ces garanties, on relève en particulier la limitation du champ de la mesure aux personnes condamnées à des peines lourdes, supérieures à cinq ans d’emprisonnement, ou trois ans en cas de récidive, comme l’avait souhaité le Sénat. Il s’agit d’un élément essentiel, qui est de nature à renforcer la proportionnalité du dispositif.
S’agissant de la durée de la mesure, la commission mixte paritaire a également fait le choix de la sécurité juridique en revenant à la durée d’un an qui figurait dans la version initiale de la proposition de loi. Nous nous étions montrés favorables à une durée plus longue, de deux ans. Toutefois, les échanges que nous avons pu avoir avec les différents acteurs judiciaires ont permis de lever les craintes qui étaient apparues quant aux contraintes procédurales.
Au vu de ces éléments, la solution finalement adoptée me semble donc satisfaisante, dès lors qu’elle ne risque pas de nuire à l’applicabilité de la mesure, ce qui était ma principale préoccupation.
La commission mixte paritaire a également trouvé un compromis sur l’articulation de la mesure avec les dispositifs de suivi existants ; ce compromis garantit que la mesure ne sera prononcée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et adaptée au suivi de ces profils.
Enfin, l’ensemble des garanties procédurales introduites au cours des travaux parlementaires afin de garantir les droits de la défense comme le droit à un recours juridictionnel effectif ont été conservées. S’agissant plus particulièrement de la modification des obligations en cours d’exécution de la mesure, une rédaction de compromis a été trouvée, qui maintient une collégialité pour les modifications importantes tout en conférant une capacité d’adaptation au juge de l’application des peines.
La commission mixte paritaire a également été guidée par le souci d’élaborer un texte opérationnel.
Elle a tout d’abord retenu la définition de la dangerosité que le Sénat avait adoptée.
En ce qui concerne le contenu de la mesure de sûreté, la commission mixte paritaire a conforté notre volonté de renforcer – c’est important – le volet d’accompagnement à la réinsertion, qui était absent du texte initial. Les obligations nouvelles introduites par le Sénat ont donc été conservées.
De la même manière, l’intervention du service pénitentiaire d’insertion et de probation a été maintenue. Il s’agit d’un apport auquel j’étais personnellement très attachée et qui est essentiel, à mes yeux, si nous voulons gérer efficacement ces profils et prévenir la récidive.
Sur ce point, je voudrais également préciser que la commission mixte paritaire a réservé la compétence du suivi des mesures au juge de l’application des peines spécialisé en matière de lutte antiterroriste plutôt qu’au juge territorialement compétent. Il s’agit d’un choix de cohérence et d’efficacité qui permettra un suivi spécialisé et adapté aux profils concernés.
Sur l’obligation de placement sous surveillance électronique mobile, la commission mixte paritaire a retenu, pour l’essentiel, la rédaction du Sénat, à laquelle elle a reconnu une plus grande opérationnalité. Elle a en revanche rétabli la possibilité d’un cumul avec une obligation de pointage par semaine. Votre amendement, monsieur le garde des sceaux, a ainsi finalement connu le succès : vous voyez, tout peut changer ! (Sourires.) Vous le savez, la commission des lois du Sénat était initialement assez circonspecte quant à ce cumul : elle craignait qu’il n’entraîne une restriction disproportionnée de la liberté d’aller et venir. Nous nous sommes toutefois laissé convaincre par l’utilité du pointage, qui permet d’assurer un suivi qualitatif et régulier de la personne.
Enfin, la commission mixte paritaire a conservé l’article 1er bis, introduit par le Sénat, qui prévoit l’inscription des obligations au fichier des personnes recherchées afin de faciliter leur contrôle par les forces de sécurité.
Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. L’Assemblée nationale et le Sénat ont su, une fois encore, faire preuve de responsabilité en adoptant, dans un délai très court, ce texte essentiel. Je crois que nous pouvons collectivement nous en féliciter.
Bien entendu, ce texte ne résoudra pas toutes les difficultés. Il ne pourra – je me tourne vers vous, monsieur le garde des sceaux – se substituer aux réformes encore nécessaires pour renforcer l’efficacité des programmes de prise en charge de la radicalisation, en détention comme en milieu ouvert. Il a toutefois le mérite d’apporter un cadre nécessaire pour faciliter la prise en charge de profils encore dangereux. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Arnaud de Belenet, M. Yves Détraigne et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, non, non et non, je n’ai pas été pris soudain d’une folie liberticide ! Je n’ai pas du tout le sentiment de m’être renié !
Si cette proposition de loi avait consisté à maintenir en détention des condamnés après qu’ils ont purgé leur peine, alors, à l’évidence, je ne l’aurais pas portée.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Moi non plus !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais il est ici question de tout autre chose, n’en déplaise à quelques esprits chagrins. Le condamné a purgé sa peine, il sort de détention, mais un certain nombre d’obligations lui sont imposées par un magistrat de l’ordre judiciaire : il doit les respecter ; sinon, il sera à nouveau incarcéré.
La remise en liberté de détenus condamnés et potentiellement toujours radicalisés, en dépit du travail réalisé, nous met collectivement face à un problème qu’il serait dangereux d’ignorer.
Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir la sûreté de nos concitoyens tout en maintenant le pacte républicain, qui repose sur nos libertés fondamentales et inaliénables.
Si je reviens parmi vous aujourd’hui, alors que nous étions déjà ensemble avant-hier, c’est bien parce que le Parlement, tout comme le Gouvernement, a pris la mesure de cet impératif ; cela doit être salué. En effet, la célérité de la commission mixte paritaire et le fait qu’elle soit parvenue, hier après-midi, à un accord solide témoignent de l’engagement du législateur et, en particulier, de la détermination des rapporteures des deux assemblées, Mme la sénatrice Eustache-Brinio et Mme Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, à faire aboutir ce texte dans les plus brefs délais. Qu’elles en soient ici remerciées !
À l’issue du travail de chacune des deux chambres, qui s’est appuyé sur un avis très étayé du Conseil d’État, il me semble qu’une solution d’équilibre a été trouvée.
L’article 1er de la proposition de loi introduit dans le code de procédure pénale un dispositif permettant au juge judiciaire d’imposer des mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme qui ont purgé leur peine d’emprisonnement.
Vous vous êtes attachés à encadrer scrupuleusement ce nouveau dispositif par des garanties qui me paraissent indispensables.
Ainsi, le nouveau dispositif ne peut s’appliquer qu’aux personnes ayant déjà été condamnées pour des actes de terrorisme. Il sera limité aux personnes condamnées à une peine privative de liberté supérieure ou égale à cinq ans, ou trois ans en cas de récidive. Cet ajout constitue un élément supplémentaire de proportionnalité du dispositif.
La durée initiale de la mesure est fixée à un an. La réévaluation régulière des mesures de sûreté constitue à mon sens une garantie importante pour assurer une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire ; je me réjouis de la décision de la commission mixte paritaire en ce sens.
Il est indispensable de rappeler que c’est l’autorité judiciaire, et elle seule, qui sera compétente pour prononcer, le cas échéant, ces mesures de sûreté. En ce sens, cette loi est un progrès.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En effet, nul n’ignore que les condamnés pour infractions terroristes feraient sans doute l’objet d’un suivi par nos services de renseignements, qui pourrait s’opérer, pour sa part, sans aucune intervention ni aucun contrôle du juge.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce texte va au contraire permettre au juge de rendre une décision qui interviendra à l’issue d’un débat contradictoire. Les parties auront ainsi l’opportunité de présenter leurs observations. Le condamné sera assisté d’un avocat et pourra faire appel devant la juridiction compétente.
Vous avez retravaillé le dispositif permettant au condamné de solliciter, à tout moment, la modification ou la mainlevée de ces mesures de sûreté. Le texte prévoit ainsi que le juge de l’application des peines spécialisé en matière terroriste pourra à tout moment adapter les obligations.
Dans son œuvre normative, le législateur a toujours cherché à articuler la spécificité de la criminalité terroriste et les valeurs qui sont les nôtres. C’est également le travail auquel vous vous êtes livrés lors de l’examen de cette proposition de loi.
Je tiens ici à redire qu’il sera essentiel de réaliser une évaluation des dispositifs de prévention de la récidive terroriste dans leur ensemble.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La complexité actuelle peut en effet nuire à l’efficacité de l’action de l’État. Il est nécessaire de proposer une remise à plat des dispositifs existants afin que l’empilement actuel retrouve une cohérence et une lisibilité d’ensemble. C’est au prix d’une telle évaluation que l’action de l’État trouvera sa pleine efficacité, son sens et sa cohérence dans une matière qui n’appelle aucune hésitation : la protection de nos concitoyens.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi en conclusion d’appeler votre attention sur un point. Ceux-là mêmes qui semblent ne pas vouloir admettre l’équilibre auquel vous êtes parvenus dans ce texte sont ceux qui critiqueront demain votre effroyable laxisme lorsqu’un condamné, par malheur, récidivera. Mais n’oubliez pas non plus qu’ils sont aussi ceux que l’on n’entendra plus lorsque cette loi portera pleinement ses effets, à savoir protéger les Français tout en préservant notre modèle de société, les libertés fondamentales et l’État de droit qui le fondent. C’est pourquoi j’apporte ici, comme je le ferai lundi à l’Assemblée nationale, mon soutien le plus entier et le plus clair aux conclusions de vos travaux. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi avant tout de saluer le travail de notre présidente, Mme Catherine Troendlé, avec qui nous avons partagé beaucoup de moments importants et inoubliables au cours des dernières années. Je pense en particulier au groupe d’amitié France-Allemagne, que Mme Troendlé a animé avec beaucoup de diplomatie et de passion.
Les deux chambres du Parlement se sont accordées sur une version commune du présent texte. Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que nous partageons pleinement l’objectif de cette proposition de loi, qui vise à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Le terrorisme est une menace qu’il nous faut combattre. Nous avons néanmoins toujours quelques réserves quant aux moyens prévus pour ce faire.
La plus emblématique des mesures de sûreté dont il est question est le port du bracelet électronique, qui n’est en rien une géolocalisation. Cette mesure pourra être ordonnée seulement si la personne concernée y consent. Les autres mesures proposées figurent déjà dans d’autres dispositifs et ne nous paraissent pas suffisantes pour garantir une absence de récidive.
Le gain de sécurité pour les Français nous paraît trop mineur pour justifier le coût juridique de ces mesures. Ce texte a en effet soulevé de nombreuses critiques, notamment de la part des avocats et des magistrats. Ils dénoncent ainsi la contradiction entre ce texte et plusieurs principes juridiques fondamentaux, comme le principe non bis in idem, ou encore celui de non-rétroactivité de la loi pénale.
Dans son avis, le Conseil d’État a qualifié les dispositions envisagées de mesures de sûreté, et non de peines, même s’il reconnaît que, en raison de l’empilement des dispositifs en la matière, la frontière entre peine et mesure de sûreté n’est « pas toujours nette ».
Comme ses mesures sont seulement restrictives, et non privatives de liberté, le Conseil d’État ne voit pas d’obstacle à leur application rétroactive. Il est cependant problématique de relever, dans le même avis, que ces mesures ont vocation à remplir la fonction du suivi socio-judiciaire pour les personnes détenues pour terrorisme qui n’y auraient pas été condamnées. C’est problématique, parce que le suivi socio-judiciaire est une peine complémentaire ; comme toute peine, son application ne devrait pas être rétroactive.
Enfin, l’arsenal juridique permettant de lutter contre le terrorisme a été rendu trop complexe par un empilement de mesures éparses, comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux. Cette complexité nuit à l’efficacité de l’action de l’État, comme le rappelle le Conseil d’État.
Nous ne souhaitons pas ajouter aujourd’hui une nouvelle mesure exceptionnelle à un arsenal qui souffre déjà d’une trop grande complexité.
Le sujet de la lutte contre le terrorisme mérite toute notre attention et un travail approfondi. Nous souhaitons que les dispositifs existants fassent l’objet d’une évaluation et qu’ils soient, le cas échéant, harmonisés pour être rendus plus efficaces. Nous voulons également davantage de moyens matériels et humains pour la justice et pour les services d’enquête. C’est ainsi que nous pourrons combattre efficacement la menace terroriste.
Plus généralement, il faudra réfléchir, à terme, aux moyens de renforcer l’efficacité de la réinsertion des personnes condamnées. La récidive est l’un des défis les plus importants pour notre politique pénale. Nous devons nous assurer que la sanction pénale concourt à la diminution de la criminalité en permettant la réhabilitation du citoyen.
La présente proposition de loi nous semble être en contradiction avec des principes essentiels de notre droit sans pour autant apporter les solutions nécessaires à la sécurité des Français. Le groupe Les Indépendants s’abstiendra donc majoritairement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je n’utiliserai pas les six minutes de temps de parole qui me sont offertes, car il me suffit d’une minute pour saluer le travail de la commission mixte paritaire et les apports du Sénat et pour vous dire que le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte.
Cela étant, je vais me livrer un peu au même exercice que notre ami Sueur, même si je ne serai pas aussi brillante que lui.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous en seriez capable !
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, monsieur le président de la commission, pour le crédit que vous accordez à mon talent d’orateur.
Monsieur le garde des sceaux, vous l’avez vous-même indiqué, ces dispositifs devront être évalués. Or la culture de l’évaluation est quelque chose que nous n’avons pas et qui, jusqu’à présent, fait défaut à votre ministère. J’avais insisté avant-hier sur ce sujet ; je vois que vous l’avez repris, ainsi que plusieurs de nos collègues. Tant mieux ! L’évaluation est effectivement essentielle en ces matières. Vous avez parlé de mauvaises habitudes : je crois que le défaut d’évaluation en fait partie.
Vous nous trouverez évidemment à vos côtés sur l’ensemble de ces sujets de sécurité, comme l’a rappelé Mme la rapporteure. Le Sénat a toujours été extrêmement solidaire du Gouvernement, dans les moments difficiles que nous avons traversés, sur les questions de terrorisme, sur l’état d’urgence et sur beaucoup d’autres sujets de ce type.
Permettez-moi d’évoquer brièvement un point qui ne figure pas dans ce texte, mais lui est connexe : le Brexit. Que va-t-il se passer vis-à-vis de ces dispositifs ? Le mandat d’arrêt européen va poser un certain nombre de problèmes, tout comme Europol. Toute la politique de sécurité qu’on renforce n’aura de sens que si on l’exerce à l’échelle européenne. Or, de ce point de vue, le Brexit risque de nous poser des difficultés. Il faut donc y penser et avoir ce problème en ligne de mire : tous ces dispositifs ne fonctionnent qu’à l’échelle européenne, ne serait-ce que du fait de l’existence des questions frontalières.
Monsieur le garde des sceaux, nous nous retrouverons lors de l’examen du prochain projet de loi de finances : nous serons évidemment très attentifs au budget de votre ministère, qui conditionnera la mise en pratique des mesures que nous allons adopter aujourd’hui. (Mme la rapporteure et M. Yves Détraigne applaudissent.)