M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bonne initiative !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cette disposition, qui résulte d’un ajout du Sénat accepté en commission mixte paritaire, institue en effet un dispositif efficace et cohérent.
Sur le plan civil, on doit prendre en compte les conséquences dévastatrices des violences commises au sein du couple à l’égard de la victime, mais aussi de la famille.
Concernant l’obligation alimentaire, les enfants, victimes indirectes, n’auront plus à soutenir financièrement celui qui a été condamné. C’est bien la moindre des choses.
S’agissant de l’indignité successorale, le conjoint ne sera plus légitime à hériter lorsqu’il a commis des violences graves envers le défunt. Là encore, c’est la moindre des choses.
Enfin, le port du bracelet anti-rapprochement, communément appelé BAR, déployé comme indiqué à partir de septembre 2020, pourra désormais être ordonné également par un juge civil dans le cadre de l’ordonnance de protection interdisant au conjoint violent de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance. Nous ne pouvons que saluer l’importance et l’utilité des dispositions de cette proposition de loi, dont j’espère qu’elle fera l’objet, comme la loi du 28 décembre 2019, d’une adoption unanime ce jour par votre assemblée, à l’instar de son adoption par l’Assemblée nationale la semaine dernière.
Je puis vous assurer, pour ma part, que je poursuivrai de façon efficace et déterminée les actions entreprises par ma prédécesseure pour renforcer la prévention et la répression des violences au sein du couple ou sur les mineurs, notamment pour appliquer au mieux et le plus rapidement possible les dispositions de ce nouveau texte.
Lors de la passation de pouvoir, j’ai indiqué que le ministère de la justice était celui des libertés. Il est aussi, bien entendu, celui de la protection, à commencer par celle que l’on doit aux femmes qui sont au contact de conjoints ou de compagnons violents. C’est aussi celle, indispensable, de leurs enfants, qui sont les victimes directes ou indirectes de ces violences.
En tant qu’avocat, j’ai connu le chagrin de victimes dévastées et j’aurai à cœur que toutes les victimes, notamment celles de violences conjugales, bénéficient de la meilleure protection que nous pouvons leur accorder. Nos voisins, les Espagnols notamment, nous ont montré que les violences conjugales sont non pas une fatalité sociale, mais une criminalité qui doit pouvoir être combattue, comme toutes les autres, grâce à des politiques publiques volontaires.
Conformément aux engagements du Président de la République, cette loi renforcera notre arsenal législatif. Je serai heureux et fier de la voir adoptée aujourd’hui par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dans notre démocratie, il doit y avoir des combats qui nous rassemblent, des combats qui transcendent les clivages partisans. C’est ce qu’ont démontré une fois de plus l’Assemblée nationale et le Sénat lors de l’examen de cette proposition de loi.
Je me réjouis que nos deux assemblées aient trouvé un accord en commission mixte paritaire. Il est, je le crois, à la hauteur de l’enjeu qui nous rassemble aujourd’hui, celui de la lutte contre les violences conjugales.
Je tiens à saluer le travail de la rapporteure, Marie Mercier, et, plus largement, l’esprit avec lequel le Sénat a su s’emparer de cette proposition de loi. Je sais également le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont vous faites partie. Le rapport réalisé sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants durant le confinement en témoigne.
Je suis ravie que cette proposition de loi arrive aujourd’hui au terme de son parcours législatif.
Parce que la vie humaine est notre bien le plus précieux, nous avons bâti au fil du temps un arsenal juridique qui protège les victimes de violences conjugales. Nous continuons de le renforcer ; c’est cela qui nous réunit aujourd’hui et je vous félicite d’y avoir consacré tant de travail.
Parce que les violences intrafamiliales ne sont malheureusement pas en voie d’extinction, parce qu’elles touchent toutes les classes sociales et toutes les générations, parce qu’elles sont multiformes, nous sommes, nous, membres du Gouvernement, parlementaires, acteurs publics en général, confrontés à une double obligation d’action et de résultat.
Je souhaite rendre hommage à Mme Schiappa et Mme Belloubet, Mme Couillard et M. Gouffier-Cha pour le travail qu’ils ont effectué, et je remercie M. le garde des sceaux de son soutien.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et nous ? (Sourires.)
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Bien évidemment, je n’oublie pas toutes les personnes qui ont contribué à ce travail ! (Nouveaux sourires.)
M. Yvon Collin. Il fallait le dire !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On a failli se vexer ! (Mêmes mouvements.)
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Quant à moi, j’y mettrai toute ma détermination.
Ces violences sont trop souvent enveloppées d’un épais silence. Le règne du déni et la loi du « non-dit » contribuent à en minorer la gravité, voire, parfois, à les rendre invisibles. Elles sont pourtant une réalité du quotidien, une réalité malheureusement trop concrète.
Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. En 2018, 121 femmes et 28 hommes sont morts sous les coups de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie et 21 enfants mineurs ont été tués dans un contexte de violences par l’un de leurs parents. Cette impunité doit maintenant cesser. C’est l’esprit qui anime cette proposition de loi et que la commission mixte paritaire a rendu possible.
Le texte d’aujourd’hui contient de véritables avancées. Il permet de mieux repérer, de mieux protéger et de mieux sanctionner.
Mieux repérer, en permettant, par exemple, aux médecins de déroger au secret médical lorsqu’ils suspectent un danger immédiat pour leur patiente. Je salue, à ce titre, le travail réalisé avec le Sénat sur la rédaction de cette disposition.
Mieux protéger, en modifiant les dispositions relatives au régime de l’aide juridictionnelle provisoire, afin que les victimes puissent bénéficier au plus tôt de l’assistance d’un avocat.
Mieux sanctionner, en reconnaissant la notion d’emprise, ce que l’on appelle communément le « suicide forcé ». Cela passe notamment par une aggravation des peines en cas de harcèlement moral ayant poussé la victime au suicide – jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Je salue également, sur l’initiative du Sénat, la création d’une circonstance aggravante pour le délit d’envoi de messages malveillants lorsqu’il est commis par un conjoint ou un ex-conjoint.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je voudrais réaffirmer devant vous que les victimes de violences intrafamiliales n’ont pas été oubliées durant le confinement. Les services de l’État, mais aussi les collectivités locales, notre formidable tissu associatif, les forces de l’ordre et les entreprises se sont mobilisés.
Dans ces circonstances exceptionnelles, des mesures inédites ont ainsi été instaurées, qu’il s’agisse de la mise en place de points d’accueil éphémères dans les supermarchés ou les centres commerciaux pour permettre aux femmes victimes de violences de se signaler et de s’informer en sécurité, de la mise en place du dispositif de signalement des violences dans les pharmacies, du financement exceptionnel de 20 000 nuitées d’hôtel, ou encore de la création d’un numéro d’écoute dédié aux auteurs de violences afin de prévenir le passage à l’acte ou la récidive.
Bien entendu, nous devrons tirer toutes les conséquences du confinement et aller plus loin dans les mesures de prévention et de lutte, à l’image du numéro d’appel pour les victimes de violences, le 3919, qui doit encore être renforcé.
Cette proposition de loi est en tout cas une étape supplémentaire vers la protection et la libération des victimes, une étape supplémentaire pour mettre un terme à l’impunité. À nous désormais de la mettre en œuvre pour renforcer la lutte contre ces violences inacceptables ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC, Les Républicains et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, permettez-moi tout d’abord de vous saluer et de vous présenter tous mes vœux de réussite, en particulier dans le domaine qui nous réunit aujourd’hui, où, comme vous l’avez dit, les clivages politiques s’effacent pour le bien commun, comme en témoigne la réussite de la commission mixte paritaire. Vous le verrez rapidement si vous travaillez avec nous, le Sénat, plus particulièrement la délégation aux droits des femmes, est force de proposition en la matière.
Mais revenons, madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au sujet des violences conjugales. Une loi de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes, c’est une victoire de plus pour ce combat national.
Nous avançons depuis plusieurs années, morceau de loi par morceau de loi, lentement mais sûrement. Je sais que, pour nombre d’entre nous, un grand texte aurait été préférable à une accumulation de petits textes. Je me satisfais pour ma part que l’on fasse entrer dans la loi des éléments, qui, pris indépendamment, n’ont pas l’air de révolutionner nos codes, mais qui, mis bout à bout, font avancer la cause. Il faut les faire entrer dans le droit dès que la société est prête à les intégrer.
N’attendons pas que tout soit validé ; adoptons pas à pas, petit à petit, chaque possibilité de protéger une femme ou un enfant.
Notre société était prête pour l’utilisation des bracelets anti-rapprochement, elle est aujourd’hui prête à reconnaître la notion d’emprise. C’est d’ailleurs, pour moi, l’élément le plus important de ce texte. Enfin, cette notion est consacrée dans la loi.
Depuis toujours, l’emprise existe. C’est pourquoi beaucoup de femmes n’osent pas déposer plainte ou retirent leurs plaintes lorsqu’elles sont victimes d’un homme violent. Ce n’est pas amoindrir les femmes que de le reconnaître, c’est au contraire savoir venir en aide à des victimes et sauver des vies.
La confiscation des armes des conjoints violents, la suspension du droit de visite en cas de suspicion de violences, le cyberharcèlement entre conjoints, le renforcement de la lutte contre la pédocriminalité ou encore l’incrimination en cas de suicide d’une victime de violences sont autant d’avancées qui étaient également nécessaires pour lutter contre ce fléau. Je n’oublie pas non plus, chère Marie Mercier, l’inscription au Fijais des personnes mises en examen pour suspicion de crime.
Je profite d’ailleurs de cette tribune pour remercier, outre notre rapporteur, l’auteure du texte, Bérangère Couillard, ainsi que Philippe Bas, président de la commission des lois, dont le travail a permis d’aboutir à un texte commun lors de la CMP.
Mais il reste encore beaucoup à faire, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux.
Beaucoup à faire sur la formation des acteurs – policiers, gendarmes, médecins, enseignants, etc. –, pour permettre de détecter le plus en amont possible les violences et mieux recueillir la parole des victimes…
Beaucoup à faire sur les moyens, pour pallier le manque criant de psychologues dans les commissariats ou les gendarmeries, le manque d’infirmières scolaires ou la baisse des aides aux associations…
Beaucoup à faire, aussi, sur la présence des femmes dans notre société.
J’ai rendu, avec ma collègue Marta de Cidrac, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, un rapport sur la présence des femmes dans l’audiovisuel. Nous avons constaté qu’elles étaient sous-représentées dans l’ensemble des métiers de l’audiovisuel et que la crise de la covid avait amplifié le phénomène, en les faisant tout bonnement disparaître des écrans !
Il est temps d’exiger le respect de la parité. On en parle depuis maintenant trente ans… Le projet de loi sur l’audiovisuel sera l’occasion d’en débattre et, je l’espère, de régler cette question.
Si ce sujet semble a priori éloigné des violences conjugales, l’image qu’une société a et renvoie des femmes conditionne assurément la façon dont elles sont traitées, y compris dans leur foyer.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera le texte de la proposition de loi sur les violences conjugales issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur des travées des groupes RDSE et SOCR, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. - Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, pour votre première présence au banc, vous aurez compris, me semble-t-il, que notre assemblée était très engagée sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Élue depuis trois ans, c’est le troisième texte que je suis amenée à examiner en la matière. Nous sommes à fois vigilants et très investis, et nous serons aux côtés du Gouvernement lorsque la situation le justifiera.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé de 120 personnes décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. J’ai écouté l’intégralité de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale – quand on aime, on ne compte pas ! –, et j’ai compris que, parfois, vous étiez surpris par les chiffres… (M. le garde des sceaux fait signe que non.) Je vous taquine ! Du reste, ce sont non pas 120, mais 150 vies anéanties chaque année ! Cela justifie que nous légiférions, même si nous n’avons toujours pas le droit d’avoir un texte global et ambitieux, qui, seul, en appréhendant l’ensemble des champs, permettrait l’efficacité.
Je dirai tout d’abord un mot de la genèse de cette proposition de loi. Elle comporte certes quelques progrès, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un texte de consolation. Alors que se tenait le Grenelle, notre collègue député LR Aurélien Pradié a présenté une proposition de loi extrêmement ambitieuse, qui, dans une vision transpartisane assez originale, et en tout cas peu fréquente, a permis d’améliorer considérablement le mécanisme de l’ordonnance de protection.
La République En Marche en était fort chagrinée et a donc déposé la présente proposition de loi, dont une partie a dû être supprimée en cours d’examen. Au final, quelques dispositions supplémentaires permettent d’améliorer encore le sujet, et certains amendements du groupe socialiste, qui avaient été rejetés lors du précédent texte, ont finalement été acceptés lors de ce nouvel examen. L’essentiel est d’avancer.
Comme notre collègue Dominique Vérien l’a signalé, l’un des vrais progrès de ce texte, c’est l’introduction de la notion d’emprise dans nos codes. Cette évolution est délicate à faire accepter, mais fondamentale.
Les dispositions relatives à l’exposition des mineurs à la pornographie en ligne, introduites sur l’initiative de Marie Mercier, sont également très importantes.
Ce texte fut aussi l’occasion de remédier à une situation ubuesque : après l’introduction du délai de six jours pour délivrer l’ordonnance de protection, un décret de votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, a fixé des modalités de convocation et de signification qui rendaient la procédure totalement impossible pour la demanderesse – ne soyons pas hypocrites, il s’agit en effet de femmes.
Les associations s’en sont émues, nous aussi, et le décret a finalement été modifié. La situation est désormais acceptable, sans être parfaite non plus. Le délai n’est plus imposé à peine de caducité de la requête et, lorsqu’il n’y a pas d’avocat, la procédure est lancée sur l’initiative du juge.
Les associations jouent en effet un rôle capital de vigie dans ce combat. Nous essayons de le relayer, de l’accompagner, mais c’est à elles que je pense à ce moment, et je veux les saluer.
Mon groupe votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, même s’il n’est pas idéal. Il introduit des dispositions sur le secret médical qui ont pu interpeller, et sur lesquelles les médecins spécialistes de ces questions sont partagés. Nous l’étions également, et nous verrons à l’usage si nous avons eu raison de les inclure. À l’inverse, d’autres sujets n’ont pas été retenus, comme la question du conjoint violent dans le domicile conjugal ou l’information systématique du parquet lors de la délivrance de l’ordonnance de protection.
Toutefois, chaque pas étant important, nous allons voter en faveur de ce texte, non pas parce que nous devrions par principe être tous d’accord sur ce sujet important – je m’inscris en faux contre un tel raisonnement –, mais parce que les progrès sont réels, même s’ils ne sont pas suffisants.
Madame la ministre, vous avez indiqué il y a quelques jours vouloir faire passer le nombre de féminicides de 170 à 10, ajoutant joliment que vous pourriez ainsi mourir tranquille. Je salue cette ambition : sur ce point, le groupe socialiste et l’ensemble du Sénat seront à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, RDSE, LaREM et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour vous, madame la ministre : je veux simplement vous dire que le combat ne fait que commencer !
La délégation aux droits des femmes, à laquelle j’appartiens, apporte toute sa contribution à ce combat ; quelques hommes en font partie et je peux, en tout état de cause, vous assurer que l’ensemble de mes collègues est concerné par ce fléau.
C’est aussi en tant qu’Ultramarin que je me suis engagé personnellement dans ce combat, parce que ce fléau a pris une trop grande importance dans les sociétés d’outre-mer.
Comme notre collègue Françoise Laborde a déjà eu l’occasion de le dire lors de l’examen de la proposition de loi devant le Sénat le 9 juin dernier, le tabou des violences conjugales est bel et bien en train d’être brisé, à la fois dans notre société, mais aussi dans notre législation grâce à l’adoption ces dernières années d’une série de textes renforçant la prévention et la répression de ces violences très spécifiques qui surviennent dans le secret du huis clos familial.
Cette particularité leur confère une grande complexité. D’abord, parce que ces violences ont des incidences sur les enfants qui en sont malheureusement, la plupart du temps, les premiers témoins, quand ils n’en sont pas aussi les victimes. Ensuite, parce que toute action de prévention et de lutte contre les violences conjugales nécessite des réponses transversales, à la fois sur le plan social, judiciaire, éducatif et législatif.
Le constat ne serait pas complet, si j’omettais d’évoquer le rôle central que tiennent les lanceurs d’alerte par leur vigilance active pour identifier les faits et y mettre fin. Nous avons pu le constater pendant la période récente de confinement qui a été un véritable révélateur de l’ampleur de l’effort à fournir pour gagner cette bataille.
Notre arsenal juridique doit être encore renforcé, car le fléau n’est toujours pas endigué. Les statistiques annuelles de mortalité le prouvent – elles sont toujours aussi cruelles –, mais je ne reviendrai pas ici sur ces données chiffrées, déjà très largement commentées tout au long de l’examen du texte et à l’occasion des travaux de la délégation aux droits des femmes.
Avec les sénatrices et sénateurs de mon groupe, le RDSE, je salue les nouvelles dispositions prévues par la commission mixte paritaire, tout en regrettant néanmoins que le Grenelle contre les violences conjugales ait abouti non pas à une loi-cadre, mais plutôt à une succession de propositions de loi partielles. L’ampleur de ce fléau aurait pourtant nécessité, de notre point de vue, de recourir à une loi-cadre qui aurait été à la mesure de la concertation engagée lors du Grenelle et des espoirs qu’il a suscités, mais également à la mesure des freins qui perdurent, au niveau tant sociétal que judiciaire. Une loi-cadre aurait pu traduire une véritable prise de conscience collective, politique et institutionnelle à la mesure du fléau.
Néanmoins, la commission mixte paritaire réunie le 9 juillet dernier est parvenue à un compromis. Je tiens à souligner tout particulièrement que les apports du Sénat y ont été déterminants, notamment sur les sujets les plus sensibles. Je pense à la restriction de l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales ou à la limitation du recours à la médiation, conformément à l’avis des experts que nous avons auditionnés tout au long des travaux de la délégation aux droits des femmes.
Si nous les votons aujourd’hui, d’autres mesures seront les bienvenues, comme le fait de décharger de l’obligation alimentaire les descendants ou ascendants des victimes envers les parents auteurs de violences conjugales dans des cas précis comme le meurtre, l’empoisonnement, les violences ayant entraîné la mort ou toute tentative de l’un de ces crimes.
La levée du secret médical sera aussi une mesure déterminante – je dirais même, historique. Tout médecin ou soignant sera désormais en droit d’informer les autorités des faits de violences conjugales sans l’accord des victimes.
Plusieurs articles, dont l’article 1er B, portant sur les modalités de délivrance des ordonnances de protection, ont été supprimés lors de la commission mixte paritaire, mais ils ont été satisfaits à la suite de la publication récente d’un décret venu corriger les effets délétères de celui du 27 mai dernier. Il n’était pas acceptable, en effet, que la procédure administrative de contestation repose sur la responsabilité de la victime, lui imposant des délais de signification intenables de vingt-quatre heures. Sur ce point, nous avons abouti rapidement malgré la période de confinement et grâce à une très forte mobilisation des associations de terrain et des parlementaires membres des délégations.
Le renforcement, avec l’article 1er E, du maintien à domicile de la victime par le droit à l’éviction du conjoint violent est aussi particulièrement notable – c’est une avancée très attendue.
La diminution du délai de préavis imposé au locataire avant de quitter son logement – il passe de trois à un mois – en cas de poursuite ou de prononcé d’une ordonnance de protection pour violences conjugales a donné lieu à discussion.
Même si des inquiétudes persistent, notamment en ce qui concerne le respect du délai de six jours pour délivrer une ordonnance de protection – ce délai ne nous semble pas réaliste –, les principales avancées de ce texte seront des mesures très utiles sur le terrain.
Avec ce texte, le législateur rappellera qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon parent. Il traduira cette vérité dans la loi, en restreignant l’autorité parentale et le droit de visite ou de garde qui sont autant d’occasions de perpétuer l’emprise d’un parent violent sur la victime et sur l’enfant, autant de risques de surviolence. La reconnaissance de l’emprise comme violence psychologique sera aussi un changement de paradigme.
Avant de conclure, je souhaiterais m’assurer que, malgré le récent remaniement, la création du nouveau comité de pilotage national pour améliorer la mise en œuvre des ordonnances de protection reste bien à l’ordre du jour.
Madame la présidente, je vous prie de m’excuser de dépasser mon temps de parole. Je voudrais simplement ajouter en conclusion que, pour les membres du groupe du RDSE, le texte auquel a abouti la commission mixte paritaire devrait contribuer à bâtir une prévention plus efficace et une meilleure protection des victimes et de leurs enfants avec des répercussions concrètes. Ce faisant, il participera à ce que la peur change de camp et que la parole se libère. C’est donc unanimement que le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC. – Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
Mme la présidente. J’ai en effet fait preuve d’une grande générosité au regard de votre temps de parole, mon cher collègue. (Sourires.)
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme du parcours législatif de cette proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que nous espérons tous voir adopter très rapidement.
D’abord, parce que nous partageons sur toutes les travées de cette assemblée la volonté de lutter contre ces violences qui font, chaque année, plusieurs milliers de victimes et qui conduisent, dans les cas les plus dramatiques, au décès de centaines d’entre elles.
Ensuite, parce que ce texte, qui poursuit le travail législatif précédemment engagé, notamment par la loi Pradié adoptée en décembre dernier, transcrit des préconisations du Grenelle contre les violences conjugales et contient des avancées importantes en matière civile, pénale et de procédure pénale. Je pense à l’interdiction de la médiation en cas de violences conjugales, au renforcement des sanctions en cas de harcèlement, aux dispositifs protégeant la vie privée numérique des victimes ou encore à la levée du secret médical en cas de violences et d’emprise.
La présente proposition de loi contient également des dispositions visant la protection des mineurs, telles que la suspension du droit de visite et d’hébergement en cas de violences conjugales et la lutte contre l’exposition à la pornographie.
Enfin, parce que nous avons su, auteurs, parlementaires et Gouvernement, faire preuve de souplesse, en complétant ou en modifiant le texte qui nous était soumis dans l’esprit de concorde qui nous a animés tout au long de nos travaux. Je pense aux dispositions relatives à la déclaration d’indignité successorale en cas de condamnation pour torture et acte de barbarie, violence volontaire, viol ou agression sexuelle envers le défunt, ainsi qu’à la décharge de l’obligation alimentaire en cas de crime ou délit commis au sein de la famille.
À ce dernier titre, d’ailleurs, je me réjouis que plusieurs amendements que notre groupe avait déposés aient été conservés, dont celui qui réintroduit l’automaticité de cette décharge à l’ensemble des débiteurs d’aliments en cas de crime, tout en ménageant la faculté pour le juge de prendre une décision contraire.
La possibilité donnée au juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de rapprochement, dont le respect pourra être contrôlé grâce à un bracelet électronique, nous apparaissait également comme une bonne mesure.
Je salue en outre l’adoption le 3 juillet dernier, conformément à l’engagement pris en séance publique par votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, d’un décret relatif aux modalités de convocation du défendeur dans le cadre de la délivrance de l’ordonnance de protection. Celui-ci permettra d’assurer l’effectivité de la délivrance des ordonnances de protection, tout en respectant le principe du contradictoire.
Pour conclure, je soulignerai que c’est bien la conjugaison d’une prise de conscience généralisée, d’une évolution des mentalités, d’une volonté politique forte, d’un arsenal juridique solide accompagné de moyens importants qui nous permettra de faire reculer pour de bon ces violences. Le groupe La République En Marche votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)