Mme Sophie Primas. En février dernier, nous avons déjà eu l’occasion de débattre très longuement du sujet lors de l’examen de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Je ne m’attarderai donc pas sur le fond et rappellerai simplement que ce texte a pour objet d’éviter la domination excessive de quelques plateformes structurantes et la restriction de la liberté de choix des consommateurs qui en résulte.
Monsieur le ministre, madame la ministre, je souhaite insister sur l’urgence à agir sans attendre qu’un accord soit conclu au niveau européen. Bien sûr, la Commission européenne avance sur ces questions puisque, au début du mois dernier, elle a lancé une consultation sur un projet de régulation des géants du numérique – ses propositions rejoignent d’ailleurs très largement les orientations définies dans notre proposition de loi –, mais ce n’est que le début d’un processus législatif européen qui, par nature, sera très long.
Le Gouvernement sait bien qu’il existe des divergences entre les États membres sur le sujet et que l’adoption définitive d’un texte en la matière prendra du temps, nous entraînant au moins jusqu’en 2022. L’adoption de dispositions au niveau national constituerait donc un indéniable levier dans les négociations européennes.
Je rappelle que les mesures concernant la neutralité des terminaux, l’interopérabilité des plateformes, la lutte contre les acquisitions prédatrices et l’encadrement des interfaces trompeuses ont été adoptées à l’unanimité par le Sénat.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, nous ne pouvons plus nous permettre d’entendre des arguments tendant à remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui. L’épisode récent de l’application StopCovid l’a bien montré.
Nous le voyons avec le présent projet de loi, le Gouvernement tarde trop souvent à transposer les textes européens ; nous vous proposons ici d’anticiper.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Dès lors que le droit français peut inspirer le droit européen, je ne vois pas pourquoi nous ne l’encouragerions pas. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Griset, ministre délégué. Le Gouvernement partage le constat de la nécessité d’une régulation renforcée du numérique, sur lequel repose le présent amendement. Il estime en revanche que ce constat appelle une autre réponse que celle qui est proposée.
La nouvelle Commission européenne vient de prendre deux initiatives fortes et importantes. Tout d’abord, il y a le Digital Services Act piloté par le commissaire Thierry Breton ; ensuite, il y a le nouvel outil en matière de concurrence piloté par la commissaire Margrethe Vestager.
La France a beaucoup plaidé et agi pour que l’Union européenne se dote de nouveaux instruments à la hauteur des enjeux et des défis de l’économie numérique. Elle continuera à travailler très étroitement avec ses partenaires européens, afin que cet objectif soit atteint aussi rapidement que possible.
Nous avons besoin d’une Europe plus forte pour protéger les consommateurs et garantir le bon fonctionnement du marché face aux grands acteurs mondiaux du numérique. Les autorités nationales auront leur rôle à jouer dans le nouveau cadre que nous appelons de nos vœux, mais il est impératif que, face à ces acteurs mondiaux, les principes et l’architecture de la nouvelle régulation soient définis au niveau européen.
Des initiatives nationales en ordre dispersé seraient de notre point de vue inefficaces : cela permettrait aux grands acteurs du numérique de jouer les États les uns contre les autres. Ce qu’il faut, c’est un marché intérieur européen renforcé et plus protecteur.
Les mesures figurant dans le présent amendement interfèrent directement avec les travaux qui viennent d’être lancés au plan européen, notamment à l’instigation de la France. Le Gouvernement y est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.
Mme Viviane Artigalas. Cet amendement a été déposé à la suite d’une proposition de loi cosignée par de nombreux sénateurs socialistes. Il soulève la question de la régulation économique du numérique et de la liberté de choix des utilisateurs d’internet en tant que consommateurs et citoyens.
Comme vient de le dire Sophie Primas, la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par le Sénat en février dernier. Comme elle l’avait indiqué en présentant ce texte à la presse, et comme elle le rappelle aujourd’hui, « les mesures proposées ont vocation à constituer un dispositif pilote dans les négociations internationales et européennes sur ces sujets ».
Encore une fois, monsieur le ministre, on ne peut pas attendre indéfiniment que l’Europe prenne position. Nous proposons – nous sommes unanimes à ce sujet – un dispositif pilote dans le cadre des négociations avec l’Europe. Il est important d’agir vite et de montrer notre détermination. Vous nous opposez les mêmes arguments que ceux qui avaient été présentés en février dernier alors que, vous devez le comprendre, il faut désormais avancer vite.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, vous venez de nous dire que ce que nous souhaitons voter ici – encore une fois à l’unanimité, à mon avis – risquerait d’encourager les opérateurs à mettre en concurrence les États les uns contre les autres. Or c’est exactement ce qui s’est passé avec l’application StopCovid ! (Mme Sophie Primas opine.) Au détour d’un petit jeu scandaleux mettant en concurrence les États les uns contre les autres, Apple et Google ont réussi à faire en sorte que vous ne puissiez pas télécharger l’application sur leurs terminaux. Ce que l’on vous propose justement, et c’est fondamental, c’est une arme, un moyen pour éviter que les États soient prisonniers des Gafam.
J’ajoute, comme nous l’avons rappelé plusieurs fois lors de l’examen de la proposition de loi Avia – je salue au passage la décision courageuse du Conseil constitutionnel de ne pas avoir censuré le titre de cette loi, qui est tout ce qu’il en reste –, qu’il est absolument primordial d’utiliser l’interopérabilité pour obliger les plateformes à respecter un certain nombre de modes de régulation.
Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises. Je n’ai jamais entendu le Gouvernement dire, dans cet hémicycle, qu’il était favorable à l’interopérabilité. Je veux bien comprendre que, tactiquement, le Sénat ne soit pas le lieu pour en parler et pour négocier et qu’il vaut mieux traiter ce sujet à l’échelon européen, mais dites-nous au moins une fois, au nom du Gouvernement, que vous êtes favorable à l’interopérabilité. Cela permettrait de faire un peu avancer le débat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des finances. En général, l’Europe légifère à son rythme. En d’autres termes, elle légifère lentement ; elle donne souvent les bonnes réponses, mais le temps de l’Europe, c’est le temps long.
Dans un cas de figure comme celui-ci, si un État – en l’occurrence, la France – ayant une certaine pertinence pour réfléchir à ce type de questions peut faire des propositions, il est dans son droit d’initiative. Cette démarche n’est pas forcément commune, mais je soutiens cet amendement. Il existe d’ailleurs un certain parallélisme avec ce qui a été fait au niveau national sur la taxation des GAFA à la suite des « recommandations » de l’OCDE. À partir du moment où nous ne sommes pas parvenus à obtenir un ensemble cohérent, nous avons avancé à quelques États.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Cosignataire comme beaucoup de mes collègues de cet amendement, j’ai envie d’intervenir pour vous convaincre, monsieur le ministre, d’émettre un avis favorable.
Vous allez découvrir les travaux du Sénat – j’en profite pour vous féliciter de votre nomination. De longue date, nous travaillons sur les questions de souveraineté numérique, du pouvoir incommensurable des plateformes, qui se sont constituées en oligopoles qui empêchent tout développement à terme de notre économie, voire la menacent très fortement.
On sait bien que c’est au niveau européen qu’il faut légiférer. Je vous renvoie au rapport fait de longue date par la commission des affaires européennes et aux propositions de résolutions européennes sur ces sujets. On a du mal à être entendu ; alors, chaque fois que nous en avons l’occasion, nous avons pris le parti, nous, parlementaires, d’anticiper et de proposer.
L’un de nos collègues, David Assouline, a par exemple déposé une proposition de loi sur les droits d’auteur et les droits voisins. Cette initiative est aujourd’hui concomitante avec la législation européenne, mais si l’on n’anticipe pas et si l’on n’est pas force de proposition, cela ne bouge pas assez vite ! Les entreprises ont le temps de naître, de vivre et de mourir avant de pouvoir bénéficier des règles de concurrence loyale. À l’heure actuelle, ces règles ne le sont pas !
Nous insistons vivement pour envoyer des signes positifs, qui puissent aiguillonner nos députés européens et notre commissaire européen, Thierry Breton, à défendre ces sujets. On voit que les choses bougent un peu, mais on est encore très loin du compte.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je ne suis pas forcément un grand spécialiste du numérique, mais j’ai cosigné l’amendement que vient de nous présenter Sophie Primas et qui, je le signale, fait neuf pages, ce qui prouve son importance.
Il est essentiel de protéger le libre choix des consommateurs dans un système qui évolue constamment et qui est particulièrement complexe.
Certains collègues dans cet hémicycle connaissent cette question mieux que moi et y ont bien travaillé – on l’a perçu dans les interventions des orateurs qui se sont exprimés. Cet amendement, que beaucoup d’entre eux ont cosigné, va dans le bon sens. C’est pourquoi je le soutiens.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Ne procrastinons pas sur la régulation des plateformes. On peut le faire dès maintenant. D’ailleurs, le ministre de l’économie l’a déjà fait sur le plan fiscal.
L’article 7 du projet de loi prévoit de transposer le règlement Platform to Business, qui entrera en vigueur le 12 juillet prochain. Vous voyez bien que la loi ne sera pas promulguée à temps. On est toujours en retard en ce qui concerne la transposition des actes européens.
Par ailleurs, j’irai dans le sens de notre ami Pierre Ouzoulias en disant que StopCovid est effectivement un bon exemple : on a été incapable de faire face aux deux géants du numérique et d’imposer un certain nombre de petites entreprises françaises extrêmement innovantes, qui avaient des solutions à proposer. Je crois qu’il est temps aujourd’hui de sortir de cet état d’attente.
Enfin, la France n’est pas seule : l’Allemagne est en train de légiférer sur les mêmes matières au niveau national et a d’ailleurs déposé un projet à peu près similaire au nôtre. Il faut manifester notre volonté et défendre des initiatives au niveau national. On peut y arriver ! Montrons la voie !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué. J’entends bien ce que l’ensemble des intervenants ont dit. La volonté du Gouvernement est de donner sa chance à une solution européenne, mais, vous avez raison, il ne faut pas traîner. C’est pourquoi je vous annonce que, si l’attente est trop longue, le Gouvernement reviendra sur sa position de façon à formuler des propositions permettant de résoudre le problème.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4.
Article 5
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le livre V du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 521-3, il est inséré un article L. 521-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 521-3-1. – Lorsque les agents habilités constatent, avec les pouvoirs du présent livre, une infraction ou un manquement à partir d’une interface en ligne et que l’auteur de la pratique ne peut être identifié ou qu’il n’a pas déféré à une injonction, prise en application des articles L. 521-1 et L. 521-2, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut :
« 1° Ordonner aux opérateurs de plateformes en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 ou aux personnes dont l’activité est d’offrir un accès à une interface en ligne l’affichage d’un message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu’ils accèdent au contenu manifestement illicite ;
« 2° Lorsque l’infraction constatée est passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans et est de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs :
« a) Notifier aux personnes relevant du I de l’article L. 111-7 les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu’elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ;
« b) Notifier aux opérateurs et personnes mentionnés au 1° les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites afin qu’ils prennent toute mesure utile destinée à en limiter l’accès ;
« c) Ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine, d’une durée maximale de trois mois renouvelable.
« Ces mesures sont mises en œuvre dans le délai, fixé par l’autorité administrative, qui ne peut être inférieur à 48 heures.
« Une interface en ligne s’entend de tout logiciel, y compris un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux utilisateurs finals d’accéder aux biens ou aux services qu’il propose. » ;
2° Au dernier alinéa de l’article L. 522-9-1, après les mots : « En l’absence d’accord », sont insérés les mots : « ou en cas de non-respect de celui-ci » ;
3° La section unique du chapitre II du titre III est complétée par une sous-section 3 ainsi rédigée :
« Sous-section 3
« Mesures spécifiques applicables aux contenus illicites en ligne
« Art. L. 532-5. – Le non-respect des mesures ordonnées en application de l’article L. 521-3-1 est puni des peines prévues au 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué. L’article 42 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire comporte, pour partie, les dispositions figurant initialement dans l’article 5 du présent projet de loi. Toutefois, cet article ne reprend pas les mesures permettant à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de lutter efficacement contre les contenus illicites en ligne, qui figuraient initialement dans l’article 5.
Il s’agit ici de lutter aussi bien contre les petits sites internet d’arnaques en tout genre, qui empoisonnent la vie de nos concitoyens, notamment ceux qui se font passer pour des sites de l’administration ou d’entreprises connues, que contre les places de marché qui laissent en ligne des produits représentant un danger pour la santé ou la sécurité alimentaire et non alimentaire des consommateurs.
Le présent amendement vise à reconnaître à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation le pouvoir d’ordonner aux opérateurs de plateformes en ligne, c’est-à-dire aux personnes qui exercent une activité de classement ou de référencement – les sites de comparateurs, les moteurs de recherche ou encore de mise en relation de plusieurs parties –, aux places de marché, mais aussi aux fournisseurs d’accès à internet ou à un navigateur l’affichage d’un message d’avertissement visant à informer les consommateurs du risque grave de préjudice pour leur intérêt que représente un contenu illicite en ligne.
Pour les infractions les plus graves, cet amendement reconnaît à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation la possibilité – pouvoir B1 de déréférencement – d’enjoindre aux opérateurs de plateformes en ligne le déréférencement des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites, ou d’enjoindre – pouvoir B2 de filtrage – aux différents acteurs précités, mais aussi aux simples hébergeurs d’en empêcher l’accès et – pouvoir B3 de blocage de noms de domaine – d’ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrement de domaines de prendre une mesure de blocage d’un nom de domaine.
Ces mesures sont proportionnées à l’objectif de protection des consommateurs, car elles sont graduées. Elles ne seront mises en œuvre que lorsqu’aucun autre moyen efficace n’est disponible pour faire cesser le manquement ou l’infraction, c’est-à-dire lorsque le responsable du contenu manifestement illicite ne peut être identifié ou qu’il n’a pas répondu à une injonction de cessation de la pratique en cause. Elles ne peuvent être mises en œuvre que lorsque la pratique est manifestement illicite.
Les pouvoirs B ne peuvent être mis en œuvre que pour les pratiques les plus graves, uniquement celles qui sont punies d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à deux années et dans les cas où il existe un risque de préjudice grave pour les intérêts, notamment sanitaires, des consommateurs.
Enfin, dans le cadre d’une procédure de transaction administrative, cet amendement a pour objet de permettre à l’administration de prononcer une sanction administrative à l’encontre d’un professionnel qui, ayant pourtant accepté l’amende transactionnelle, ne s’acquitte pas de son paiement auprès du Trésor.
M. le président. Le sous-amendement n° 36, présenté par M. Duplomb, est ainsi libellé :
Amendement n° 10
I. – Alinéa 4
Après les mots :
ou un manquement
insérer les mots :
aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 ainsi qu’aux règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits
II. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
ou aux personnes dont l’activité est d’offrir un accès à
par les mots :
, aux personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou à celles exploitant des logiciels permettant d’accéder à
III. – Alinéa 8
Après les mots :
mentionnés au 1°
insérer les mots :
du présent article ou au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
IV. – Alinéa 12
Remplacer les mots :
non-respect de celui-ci
par les mots :
non-versement au Trésor du montant prévu au deuxième alinéa du présent article
V. – Alinéa 16
Après le mot :
ordonnées
insérer les mots :
ou devant être appliquées aux adresses électroniques notifiées
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. L’amendement du Gouvernement permet de concilier à la fois l’efficacité de l’action de la DGCCRF pour lutter contre les infractions qu’elle repère sur les sites en ligne et le respect des droits et libertés publiques.
Dans la version initiale de l’article 5, le Gouvernement envisageait d’octroyer à la DGCCRF un pouvoir substantiel, qui était certes utile dans sa finalité, mais qui n’était assorti d’aucune garantie quant à l’atteinte au droit de propriété ou à la liberté du commerce et de l’industrie. Ce faisant, un tel dispositif présentait un risque majeur d’inconstitutionnalité. C’est la raison pour laquelle le Sénat avait adopté un amendement lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19, qui visait à ne lui octroyer que partiellement ces droits, en éliminant les atteintes manifestes aux libertés.
Dans son amendement n° 10, le Gouvernement a tenu compte des remarques du Sénat, ce dont je me félicite : il vise à mieux encadrer le nouveau pouvoir de la DGCCRF, qui sera gradué en fonction de la gravité des infractions commises et limité au contenu en ligne manifestement illicite, lorsque son auteur ne pourra être identifié ou qu’il n’aura pas déféré à une première injonction. Pour autant, il nous semble que la rédaction de cet amendement doit encore évoluer, afin de clarifier certaines incertitudes en ce qui concerne les types de manquements visés et les acteurs auxquels la DGCCRF pourra demander de réduire l’accès à des interfaces en ligne, dont les contenus sont manifestement illicites. Tel est l’objet du sous-amendement que je vous propose.
Ce sous-amendement vise à prévoir que les manquements et infractions concernés seront ceux qui enfreignent les règles relatives à la conformité et à la sécurité des produits, ainsi que ceux qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs. Il tend également à prévoir que les professionnels auxquels la DGCCRF pourra ordonner l’affichage d’un message d’avertissement seront les opérateurs de plateformes en ligne, les fournisseurs d’accès à internet, ainsi que les navigateurs. Ceux auxquels elle pourra notifier les adresses électroniques, afin qu’ils en limitent l’accès, seront les fournisseurs d’accès à internet, les navigateurs, les opérateurs de plateformes en ligne et les hébergeurs.
Enfin, le présent sous-amendement a pour objet de préciser que, dans le cadre d’une transaction administrative, la DGCCRF ne pourra reprendre la procédure de sanction classique que dans le cas où aucun accord n’aurait été conclu ou que l’accord ne prévoyait qu’un versement de sommes d’argent et que ce versement n’a pas eu lieu. Pour les autres cas de figure, c’est-à-dire lorsque l’accord comporte des engagements de la part de la personne incriminée ou en cause, un litige né de son inexécution devra être tranché par le juge administratif, conformément aux règles qui régissent les contrats administratifs.
La commission des affaires économiques émettra donc un avis favorable sur l’amendement du Gouvernement ainsi sous-amendé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. J’avoue être assez surprise par l’amendement du Gouvernement. Tout le monde l’a dit, ce texte a été peu ou prou repris du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19, qui a été examiné il y a quelques semaines. Les dispositions que nous examinons avaient été rejetées par le Sénat, suivi en cela par l’Assemblée nationale, puisque ce rejet avait été confirmé en commission mixte paritaire.
On comprend bien le but de ce dispositif : l’efficacité de l’action de la DGCCRF à l’égard du consommateur. L’efficacité de l’administration est un but que nous cherchons tous à atteindre, mais il s’agit là de rendre l’administration à la fois juge et censeur des contenus illicites sur internet. Or notre collègue Pierre Ouzoulias l’a indiqué, dans sa décision rendue très récemment sur la loi dite Avia, le Conseil constitutionnel a rappelé que le seul régulateur qui existe sur internet est le juge et que seules de rares exceptions sont acceptées, notamment en cas de pédopornographie et de terrorisme. Nous en sommes très loin avec ce texte.
Si je salue l’auteur du sous-amendement, notre collègue rapporteur pour avis Laurent Duplomb, qui, je pense, essaie de sauver l’amendement n° 10 qui me paraît à moi malheureux, je ne salue pas l’insistance du Gouvernement à vouloir rétablir un dispositif qui va à l’encontre de l’avis du Sénat et de l’Assemblée nationale et qui est probablement très éloigné – je ne vais pas m’exprimer à la place du Conseil constitutionnel – de la jurisprudence du juge constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Je ne veux pas allonger les débats, mais je tiens à préciser qu’il n’est pas question ici de liberté d’expression. Il s’agit de liberté du commerce. Ce sont deux choses un peu différentes.
Ce que nous essayons de faire avec ce sous-amendement, c’est de limiter le poids et le pouvoir de la DGCCRF. Le principe en est simple : lorsque la DGCCRF notifie une pénalité pécuniaire à une entreprise et qu’elle constate, quelques jours ou quelques semaines après, que le délai de paiement que l’entreprise s’est engagée à respecter ne l’a pas été, à quoi cela servirait-il d’allonger la procédure en rendant le passage devant un juge obligatoire ? En effet, la DGCCRF peut tout à fait reprendre la procédure de sanction, sachant que, au bout du compte, le droit de l’entreprise sera quand même préservé puisque celle-ci, si elle n’est en définitive pas d’accord avec la décision de la DGCCRF, pourra recourir à un juge.
Ce sous-amendement vise à préserver l’efficacité du contrôle des entreprises et de la gestion de certains dossiers par la DGCCRF – ce qui me semble important –, tout en préservant ces entreprises. Comme on le précise très clairement, si la pénalité financière est assortie d’autres mesures, la DGCCRF ne pourra pas imposer directement les sanctions prévues. L’entreprise passera alors obligatoirement devant le juge.
Il est important de voter ce sous-amendement et de rétablir l’article 5 ainsi modifié.
M. le président. En conséquence, l’article 5 est rétabli dans cette rédaction.
Chapitre II
Dispositions relatives à la surveillance du marché et à la conformité des produits
Article 6
Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 511-12 est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° Les manquements aux dispositions des articles 4, 5 et 7 du règlement (UE) 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits, et modifiant la directive 2004/42/CE et les règlements (CE) n° 765/2008 et (UE) n° 305/2011. » ;
2° Le 3° de l’article L. 512-20 est ainsi rédigé :
« 3° À la Commission européenne ou aux autorités des autres États membres de l’Union européenne compétentes pour contrôler la conformité des produits à l’obligation générale de sécurité, aux exigences de la législation d’harmonisation de l’Union mentionnée à l’annexe I du règlement (UE) 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits, et modifiant la directive 2004/42/CE et les règlements (CE) n° 765/2008 et (UE) n° 305/2011, ou l’application de la réglementation dans le domaine des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux, dans l’exercice de leurs missions de surveillance du marché ; »
3° La sous-section 5 de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre V est complétée par un article L. 512-22-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 512-22-1. – Les dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale ou celles relatives au secret professionnel ne font pas obstacle à la notification d’informations relatives à un contenu illicite aux personnes mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique par les agents habilités, dans les conditions prévues au 5 du I du même article 6. » ;
4° La sous-section 7 de la même section 2 est complétée par un article L. 512-33-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 512-33-1. – Lorsque la réglementation prévoit une procédure de prélèvement d’une unité d’un modèle puis, en cas de non-conformité, d’unités supplémentaires du même modèle, ces unités supplémentaires peuvent être consignées dans l’attente des résultats de l’essai réalisé sur la première unité.
« Les agents habilités établissent un procès-verbal de consignation dont copie est remise au détenteur des produits.
« La mainlevée de la consignation est donnée à tout moment par les agents habilités. »