Mme la présidente. L’amendement n° 81 est retiré.
Je mets aux voix l’article 9 bis.
(L’article 9 bis est adopté.)
Chapitre VII
Dispositions relatives au respect de la vie privée
Article 10
(Non modifié)
L’article 226-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 2°, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci. » ;
1° bis Au dernier alinéa, la première occurrence du mot : « au » est remplacée par les références : « aux 1° et 2° du » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis sur la personne d’un mineur, le consentement doit émaner des titulaires de l’autorité parentale.
« Lorsque les faits sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende. »
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cet article tire les conséquences d’un constat désormais classique sur la stratégie des auteurs de violences : l’utilisation des nouvelles technologies pour enfermer leurs proies dans une « camisole de force numérique ».
Le rapport du Haut Conseil à l’égalité sur les violences faites aux femmes en ligne, publié en 2018, est très éclairant sur ce danger qui menace les femmes comme les enfants dans les foyers violents ou dans le contexte de séparations très conflictuelles. La délégation aux droits des femmes avait travaillé sur cette dimension dans son rapport d’information publié en 2018 et intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société.
Le cybercontrôle dans le couple est devenu – hélas ! – classique. Un logiciel espion permet au conjoint violent de savoir à tout moment où se trouve sa victime et de tout connaître de sa vie. Dans le contexte de la séparation, ce logiciel, installé sur le téléphone portable d’un enfant, permet à l’auteur de violences d’exercer son emprise à distance sur la mère.
Par conséquent, la délégation se réjouit que cette proposition de loi prenne la mesure d’une dérive qui accroît la menace exercée sur les victimes par des conjoints et des pères violents.
Mme la présidente. L’amendement n° 51, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après les mots :
de solidarité
insérer les mots :
ou l’ancien conjoint, concubin ou partenaire
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement, comme les amendements nos 52, 53 et 54 que nous examinerons ensuite, vise à étendre aux anciens conjoints, concubins ou partenaires liés par un PACS la circonstance aggravante qui est prévue dans le cas d’une série d’atteintes à la vie privée – la géolocalisation, la violation du secret des correspondances, l’usurpation d’identité et l’envoi de messages malveillants.
Comme l’a dit à l’instant Annick Billon, ces comportements sont très difficiles à supporter pour les victimes. Or ils sont souvent mis en œuvre après la séparation du couple, et cette situation n’est pas prévue dans cet article.
On me répondra sans doute que le code pénal prévoit déjà que la circonstance aggravante liée au fait que l’infraction est causée par un conjoint peut être étendue à un ancien conjoint, mais il me semble nécessaire de le prévoir explicitement dans ce cas. Nous ne devons pas rater notre cible, d’autant que, comme je viens de le rappeler, les incidents les plus violents interviennent souvent après la séparation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous ne sommes pas défavorables sur le fond à cet amendement, qui a pour objet que la circonstance aggravante s’applique aussi aux anciens conjoints, concubins ou partenaires de PACS.
Cependant, comme je l’ai indiqué ce matin pendant la réunion de la commission des lois, il est satisfait par la rédaction actuelle de l’article 132-80 du code pénal.
Aux termes de cet article, dans les cas prévus par la loi et le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un PACS, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas, et cette circonstance aggravante est également constituée, quand les faits sont commis par les anciens conjoints, concubins ou partenaires, les « ex ».
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Même avis, pour les mêmes raisons : cet amendement est satisfait par le droit en vigueur.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article 10 bis
(Non modifié)
Le chapitre VI du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° Aux 1° et 2° de l’article 226-3, le mot : « second » est remplacé par le mot : « deuxième » ;
2° L’article 226-15 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. »
Mme la présidente. L’amendement n° 52, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
de solidarité
insérer les mots :
ou l’ancien conjoint, concubin ou partenaire
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10 bis.
(L’article 10 bis est adopté.)
Article 10 ter
(Non modifié)
L’article 226-4-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Mme la présidente. L’amendement n° 53, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
de solidarité
insérer les mots :
ou l’ancien conjoint, concubin ou partenaire
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il est également défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10 ter.
(L’article 10 ter est adopté.)
Article 10 quater (nouveau)
L’article 222-16 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Mme la présidente. L’amendement n° 54, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
de solidarité
insérer les mots :
ou l’ancien conjoint, concubin ou partenaire
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il est lui aussi défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 23, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende
par les mots :
des peines mentionnées à l’article 222-33-2-1
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. L’article 10 quater, adopté lors de l’examen en commission, introduit dans le code pénal une circonstance aggravante, lorsque la victime est le conjoint, du délit d’appels téléphoniques malveillants réitérés ou d’envois réitérés de messages malveillants. Il prévoit que ces faits sont punis, lorsqu’ils sont commis par le conjoint, le concubin de la victime ou par le partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité, de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Or l’infraction de harcèlement moral du conjoint par des « propos ou comportements répétés », prévue à l’article 222-33-2-1 du code pénal, est assortie d’une peine de trois ans d’emprisonnement de 45 000 euros d’amende.
Dans une perspective de cohérence, et afin de ne pas créer d’asymétrie injustifiée entre ces deux situations, il est proposé d’aligner par un renvoi les peines pour harcèlement moral entre conjoints et celles qui sont prévues pour appels ou messages réitérés malveillants adressés au conjoint.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cette mise en cohérence est bienvenue. L’avis de la commission est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement pour les raisons, purement juridiques, que je vais vous présenter. À défaut, l’avis serait défavorable.
L’amendement adopté en commission des lois vise à créer une circonstance aggravante du délit d’envoi réitéré de messages malveillants, lorsque l’auteur est le conjoint ou le concubin de la victime. Dans ce cas, la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. En l’absence de circonstance aggravante, ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le texte adopté par votre commission est donc en parfaite cohérence avec l’aggravation, prévue par cette proposition de loi, de la peine d’emprisonnement encourue pour les délits d’usurpation d’identité, d’utilisation des données personnelles ou de violation des correspondances d’une victime par son conjoint, qui passe de un à deux ans.
Pour le Gouvernement, il n’y a pas de raison d’aggraver plus fortement la sanction prévue à cet article, en reprenant la peine de trois ans d’emprisonnement qui est prévue par l’article 222-33-2-1 du code pénal en cas de harcèlement moral au sein du couple.
Nous considérons que ces situations sont différentes. Dans le cas du harcèlement, il doit être démontré que les faits ont « eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime, se traduisant par une altération de la santé physique ou mentale », mais cela n’est pas exigé en cas d’appels téléphoniques répétés. Il nous semble donc normal que le harcèlement soit plus sévèrement réprimé.
S’il est établi que les appels téléphoniques ont provoqué une telle dégradation des conditions de vie de la victime, les faits seront alors poursuivis sous la qualification de harcèlement, et pas sous celle d’appels téléphoniques malveillants.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. J’ai bien entendu les explications de Mme la secrétaire d’État, mais il s’agit d’une question de cohérence dans l’échelle des peines.
Je ne discute pas des éléments constitutifs de telle ou telle infraction, mais il me semble préférable de renvoyer à une peine qui existe déjà dans l’arsenal pénal et qui concerne le même genre de faits contre lesquels nous voulons lutter, plutôt que d’inventer une peine qui serait en quelque sorte intermédiaire.
Nous serons peut-être amenés à réformer cette échelle des peines – nous le demandons depuis longtemps –, mais il ne me semble pas souhaitable, en l’état de notre droit, de nous en extraire. Procéder, comme je le propose, par renvoi est parfaitement cohérent et la commission des lois le fait régulièrement.
Ces motivations sont plus fortes que mon envie de faire plaisir à Mme la secrétaire d’État… (Sourires.) Aussi, je maintiens mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10 quater, modifié.
(L’article 10 quater est adopté.)
Chapitre VIII
Dispositions relatives à la protection des mineurs
Article 11 A
I. – Au quatrième alinéa de l’article 227-23 du code pénal, les mots : « deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros » sont remplacés par les mots : « cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros ».
II (nouveau). – Au 5° de l’article 706-53-2 du code de procédure pénale, les mots : « lorsque le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier » sont remplacés par les mots : « sauf si le juge d’instruction a ordonné de ne pas inscrire la décision dans le fichier ».
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. L’article 11 A, qui concerne la pédocriminalité, est un article particulièrement important de ce texte.
Le Grenelle des violences conjugales a appréhendé ensemble, pour la première fois avec une telle intensité, la question des violences conjugales et celle des violences faites aux enfants. C’était une nécessité, parce que les enfants ne sont pas seulement témoins des violences conjugales : ils en sont aussi victimes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite attirer votre attention sur le fait que les actes de pédocriminalité fragilisent les victimes pour toute leur vie, notamment dans leurs rapports aux autres – cela comprend naturellement les rapports avec leurs conjoints. Ces victimes pourront l’être à nouveau, mais elles pourront aussi commettre elles-mêmes des violences.
L’une des grandes avancées du Grenelle et des plans que Marlène Schiappa et moi-même avons mis en place, notamment le plan de lutte contre les violences faites aux enfants que j’ai annoncé le 20 novembre dernier, est d’ailleurs de s’attaquer à cet aspect des violences, en mettant en avant une logique de prévention.
Ainsi, le Gouvernement a annoncé, il y a quelques jours, la mise en place de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales, et les centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs) ont ouvert un numéro d’appel destiné aux auteurs potentiels de faits pédocriminels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France est malheureusement le deuxième pays européen pour ce qui concerne le nombre de téléchargements de contenus pédopornographiques. Chaque année, les sites contenant des images pédopornographiques font l’objet de plus de 100 000 connexions et téléchargements. On peut y ajouter 50 000 connexions supplémentaires qui proviennent des États-Unis.
Le secrétaire d’État Laurent Nunez et moi-même avons visité hier la plateforme Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements. Chaque mois, près de 300 000 tentatives de connexions sur des sites pédocriminels bloqués ont lieu dans notre pays, je dis bien 300 000 chaque mois ! La protection des mineurs doit passer par une répression forte des pédocriminels en ligne qui ont aujourd’hui un sentiment d’impunité derrière leur écran.
Il s’agit d’un marché international, qui est devenu pour certaines organisations criminelles un véritable business au même type que la drogue ou la contrebande. Je rappelle que derrière tout échange d’images ou de vidéos pédopornographiques, il y a un mineur agressé, une victime.
Il existe dans la pédopornographie un culte de l’inédit. On considère que 20 % à 30 % des personnes qui consultent des images pédocriminelles sont aussi des producteurs d’images de ce type. Des enfants victimes se trouvent donc derrière ces images-là.
La protection de l’enfance en ligne est une condition de sa préservation hors ligne, ce d’autant qu’il existe une imbrication de plus en plus forte entre activités en ligne et hors ligne. Aggraver la peine encourue par les pédocriminels qui consultent habituellement des images pédopornographiques, les acquièrent ou les détiennent permettra d’atteindre un objectif auquel je tiens tout particulièrement. L’inscription au Fijais, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, sera automatique ce qui n’était à ce jour qu’une faculté pour le juge.
L’inscription automatique au Fijais concerne les auteurs d’infractions encourant une peine de cinq ans de prison. Or, actuellement, la consultation d’images pédopornographiques n’entraîne une peine que de deux ans d’emprisonnement. Il revient donc au juge de décider si l’auteur doit être inscrit au Fijais, ce qu’il fait dans 50 % des cas. Par conséquent, dans 50 % des cas restants, soit à peu près 500 personnes chaque année, les auteurs de consultations de sites pédocriminels ne sont pas inscrits au fichier des agresseurs sexuels. Le lendemain, ils peuvent donc être embauchés par une structure accueillant de jeunes enfants, par exemple. C’est ce à quoi nous voulons mettre un terme grâce à cet article.
L’inscription automatique durera au moins vingt ans et obligera le condamné à déclarer régulièrement son adresse au commissariat ou à la gendarmerie. Elle permettra donc d’éviter que le condamné ne soit recruté pour exercer une activité en contact avec des mineurs. À cet effet, sachez que, par ailleurs, en février dernier, la garde des sceaux, la ministre des sports et moi-même avons lancé une mission d’audit et d’appui, afin de garantir que la consultation du Fijais soit systématique par l’ensemble des administrations et des collectivités locales. Prévoir des dispositifs, c’est bien, mais encore faut-il que les administrations connaissent ceux-ci et y aient recours.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens de l’article 11 A auquel nous tenons particulièrement. Je ne doute pas qu’il en soit de même pour vous.
Mme la présidente. L’amendement n° 55, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. M. le secrétaire d’État a parfaitement décrit le mécanisme du Fijais, fichier créé il y a maintenant quelques années. Mais il convient de préciser qui peut y figurer.
La commission a inversé le mécanisme puisqu’elle a décidé – M. le secrétaire d’État a fait l’impasse sur cet aspect particulier –, alors que, actuellement, des personnes non condamnées, mais mises en examen peuvent néanmoins être inscrites au Fijais sur décision du juge d’instruction, que le principe soit désormais l’inscription au fichier, le juge d’instruction disposant simplement de la possibilité de ne pas y avoir recours.
Vous allez peut-être trouver que je suis pointilleuse, mes chers collègues. Évidemment, le Fijais est très utile, si tant est qu’il soit consulté, dès lors qu’il recense les personnes condamnées. Cependant, il s’agit en l’espèce de personnes mises en examen qui vont rester inscrites à ce fichier pendant toutes les années des procédures. Or qui y a accès ? Les policiers, les magistrats, mais aussi les préfets, les maires et les responsables d’associations qui peuvent, par exemple, interroger l’administration sur la personne qu’ils veulent recruter pour savoir si elle est inscrite au Fijais. Bref, le champ des personnes pouvant consulter ce fichier est extraordinairement vaste.
Il convient donc de s’interroger sur la pertinence du Fijais. On veut nous rassurer en nous disant que le parquet a l’obligation de retirer les mentions dès lors qu’elles ne seraient plus pertinentes. Sauf que cela ne se passe pas comme ainsi. Vous vous souvenez sûrement du STIC, le système de traitement des infractions constatées, dans lequel des millions de Français sont inscrits. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), quelques années après la création de ce fichier, a constaté que 40 % des informations qui y figuraient étaient inexactes.
J’attire donc votre attention : si je souhaite que l’inscription se fasse sur décision du juge d’instruction et qu’elle ne soit pas un principe intangible que le juge peut, par exception, refuser, c’est parce que nous allons accepter que des personnes mises en examen et non condamnées figurent pendant de très longues années dans un fichier accessible à beaucoup de personnes et dans lequel le parquet, faute de temps, ne fera jamais le nettoyage.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Le Fijais est un outil précieux de prévention de la récidive. Il peut être consulté par différents employeurs – l’éducation nationale, par exemple – pour s’assurer que les personnes embauchées ne sont pas poursuivies ou condamnées pour certaines infractions commises sur un mineur.
Ce fichier contient déjà le nom des personnes qui n’ont pas été condamnées définitivement. Il est également possible à un juge d’instruction d’y inscrire le nom d’une personne mise en examen et placée sous contrôle judiciaire ou assignée à résidence sous surveillance électronique.
Nous avons souhaité faire de l’inscription la règle et de la non-inscription l’exception. Certes, cela peut aboutir à ce que des personnes finalement déclarées innocentes soient temporairement inscrites au fichier. Mais à choisir entre deux inconvénients, nous avons préféré opter pour celui-là plutôt que de prendre le risque d’embaucher à un poste au contact avec des mineurs une personne sur laquelle pèseraient de lourds soupçons. Le principe de précaution doit prévaloir. C’est un principe d’action.
Il appartient au service du casier judiciaire, qui gère le Fijais, de veiller à la mise à jour régulière de celui-ci. Et un individu qui y figure peut toujours demander l’effacement des données le concernant.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il ne le sait pas !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il faut le lui dire. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s’exclame.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Actuellement, le code de procédure pénale prévoit deux formes d’inscription au Fijais.
S’il s’agit de personnes condamnées à une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, l’inscription, sauf exception pour les délits peu graves – peine encourue, et non pas peine prononcée, inférieure cinq ans –, est automatique.
S’il s’agit de personnes mises en examen, l’inscription n’est possible, à condition qu’ait été décidé un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence sous surveillance électronique, que si le juge l’ordonne expressément. Tel est l’état du droit.
La commission des lois du Sénat a adopté un amendement du rapporteur visant, dans cette seconde hypothèse, à rendre l’inscription automatique, sauf décision contraire du juge. On inverse donc la logique, ainsi que vous l’avez souligné, madame la sénatrice. Votre amendement tend donc à supprimer cette modification.
Comme vous le savez, je reconnais l’importance et l’utilité du Fijais, et je m’en félicite, pour mieux protéger nos enfants. Je l’ai souligné au cours de mon propos liminaire, un travail interministériel a été engagé avec la garde des sceaux, dont je salue l’investissement sur le sujet, pour que le Fijais soit plus systématiquement consulté par l’ensemble des administrations.
Je rappelle également que, dans certains cas qui le justifient, depuis la loi Villefontaine du 14 avril 2016, le procureur peut d’ores et déjà informer par écrit l’administration des décisions de mise en examen rendues contre une personne qu’elle emploie. Veiller à la mise en œuvre effective de cette mesure doit être une priorité, mais le dispositif existe déjà, afin que les administrations soient au courant.
Pour autant, cet amendement de suppression ne me semble pas injustifié. J’émets donc un avis favorable. En effet, rendre par principe automatique l’inscription au Fijais des personnes mises en examen, mais qui sont présumées innocentes à ce stade, et ce quelle que soit la gravité de l’infraction, nous paraît soulever d’importantes questions de principe, qui ont été exposées par Mme la sénatrice.
Il est vrai que les juges d’instruction ordonnent peu d’inscriptions au Fijais, soit moins de 200 chaque année. La garde des sceaux est prête à adresser aux procureurs une circulaire leur demandant de requérir plus fréquemment cette inscription s’agissant des personnes mises en examen.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je ne voterai pas cet amendement. À quoi sert le Fijais ? Principalement à éviter d’embaucher des personnes soupçonnées – il est évident que les personnes condamnées, elles, ne peuvent être embauchées ! – pour qu’elles travaillent auprès de nos enfants. Imagine-t-on un enseignant soupçonné rester dans sa classe ? Évidemment, il ne doit pas être renvoyé – il n’est pas encore condamné –, mais l’éducation nationale va éviter de le maintenir dans sa classe et va le mettre de côté. De la sorte, on évite un potentiel risque. C’est aussi à cela que sert le Fijais.
Par ailleurs, c’est un fichier que l’on ne consulte pas aussi facilement que vous le dites, ma chère collègue. On interroge l’administration qui informe si l’on peut ou non embaucher la personne, sans livrer plus de détails.
Très sincèrement, quand vous êtes maire, peu vous importe de savoir si la personne que vous voulez embaucher pour la faire travailler dans un centre de loisirs ou dans un club de sport est condamnée ou seulement soupçonnée : un simple soupçon suffit à vous passer l’envie de la placer au contact d’enfants. Voilà à quoi sert le Fijais !
Y a-t-il un risque à changer de paradigme ? Nous n’imposons rien au juge. Ce dernier peut estimer que le risque n’est pas suffisant a priori pour inscrire la personne au Fijais. Il justifie dans ce cas son choix et il prend la responsabilité de remettre cette personne au contact des enfants. À défaut, il est important que nous puissions protéger nos enfants.