Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. Madame la rapporteur, vous le savez, car nous avons échangé toutes les deux sur ce sujet, je vais soutenir l’amendement de mes collègues.
J’ai encore eu dernièrement, dans l’Essonne, une expérience de ce type, dans laquelle la parole de l’enfant mineur n’a pas été prise en compte par les JAF. Cela arrive régulièrement, comme les associations de mon département me l’ont dit.
Qu’il y ait des rendez-vous médiatisés pour que les enfants ne coupent pas le lien avec le parent violent, pourquoi pas, mais, honnêtement, laisser cette garde à l’appréciation des JAF, qui, bien évidemment, dans une grande majorité, sont de bonne volonté, ne me paraît pas raisonnable, alors que les enfants pourront eux-mêmes subir des coups, des violences, ou même un chantage par rapport à l’autre conjoint violenté.
J’en suis désolée, mais, bien que je ne sois pas juriste, je pense que l’amendement de mes collègues va dans le bon sens. Je le voterai, parce que, malheureusement, je le répète, j’ai eu cette expérience. Les associations me disent que l’on ne prend pas assez en compte la parole des mineurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je ne suis pas un spécialiste de ces sujets-là, et Dieu m’en garde, si j’ose dire. Simplement, sur les principes de droit, je m’interroge depuis le début de nos débats.
Mme la garde des sceaux, à juste titre, a dit que le juge pesait les équilibres. J’aime l’expression, qui doit être consacrée par les professionnels. Cela signifie que l’on remet au juge des capacités d’appréciation sur les droits de la défense et sur les droits de la victime. Il doit peser le tout.
Depuis tout à l’heure, on dit que le juge peut faire des erreurs de jugement, car il n’est de justice que d’homme. Il peut se tromper – j’en suis moi aussi convaincu. Aussi, d’aucuns prétendent lui dicter ce qu’il doit écrire ou penser ; c’est à leurs yeux très important.
Pourtant, j’ai souvenir que, lors du débat sur les peines planchers, par exemple, les mêmes rejetaient ce principe, au motif que cela revenait à dire au juge ce qu’il devait juger ou apprécier… Pour ma part, je ne suis pas un spécialiste, mais j’aime la cohérence.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Pour ma part, je partage l’avis de Mme le rapporteur sur ce sujet.
Effectivement, cette mesure peut sembler frappée au coin du bon sens. Bien évidemment, on comprendrait mal qu’un enfant réside chez un parent qui a été condamné pour violences, mais la réalité est infiniment plus complexe. Il y a parfois des exceptions aux meilleurs principes.
J’entends bien que les juges sont de bonne volonté, comme le disait notre collègue Laure Darcos, mais il ne s’agit pas seulement d’être de bonne volonté : il s’agit de connaître la complexité de ces situations, d’un dossier, des relations humaines, d’une séparation qui, pour être parfois paroxystique entre les parents, ne laisse pas forcément préjuger des relations entre un parent et un enfant.
Seul le juge est compétent, parce qu’il a l’intégralité des éléments du dossier pour savoir si, oui ou non, il doit trancher dans le sens que cet amendement vise à rendre obligatoire. Il me paraît tout à fait dommageable pour la justice, mais aussi pour les enfants, que nous imposions une décision automatiquement, alors qu’elle doit être pesée avec un grand soin.
Or elle ne peut l’être que par ceux qui ont, d’une part, les guides du code civil, que Mme le garde des sceaux a rappelés, et qui sont extrêmement clairs, et, d’autre part, les éléments de fait qui permettent d’apprécier une situation. C’est pourquoi le rejet de cet amendement m’apparaît raisonnable.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce débat éveille en moi nombre de souvenirs : comme ministre et comme président de conseil départemental, j’ai été, par le passé, chargé de la protection de l’enfance.
Mon premier mouvement – je suis sûr que c’est aussi le vôtre, mes chers collègues –, c’est d’estimer qu’il ne faut certainement pas laisser l’enfant au domicile du père violent. C’est aussi le sentiment qu’éprouveront la plupart des juges aux affaires familiales.
Toutefois, je suis sensible à ce que vient de dire notre collègue Muriel Jourda, qui, d’une manière différente, a elle aussi l’expérience de ces questions. Parfois – dans 1 %, 2 %, peut-être 3 % des cas –, le juge préfère ne pas retirer au père l’exercice de l’autorité parentale, ou même la suspendre, compte tenu d’une situation familiale particulière, par exemple si la mère est gravement malade ou hospitalisée.
Ces cas de figure existent. Ce ne sont certainement pas les plus fréquents ; il s’agit même de situations exceptionnelles. Mais faut-il que la rigueur de la loi, en créant un automatisme, empêche le juge aux affaires familiales de prendre la mesure qui, dans ces cas, et uniquement dans ceux-là, sera la plus opportune ?
Aussi, je suis à la fois d’accord pour dire qu’il ne faut pas laisser l’enfant au domicile du père violent et d’accord pour dire qu’il faut laisser une marge d’appréciation au juge : un système dans lequel le juge est un automate ne permet pas de prendre en compte les difficultés psychologiques et sociales qui peuvent survenir. Or notre société produit, malheureusement, bien des situations exigeant l’appréciation du juge et des services sociaux.
Mes chers collègues, ne laissons pas l’enfant au domicile du père qui a commis, ou qui est seulement soupçonné d’avoir commis des violences. Mais n’imposons pas au juge des solutions qui seraient préjudiciables à l’enfant dans certains cas exceptionnels !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Mes chers collègues, en la matière, tout le monde a un avis, et tous les avis sont respectables.
Néanmoins, notre débat le montre : on a du mal à admettre le postulat selon lequel un parent violent n’est pas un bon parent. Dès lors qu’on l’acceptera naturellement, le juge n’aura plus à se poser de question : il appréciera directement.
Sur ce sujet, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu beaucoup d’experts. De plus, vous avez probablement tous lu un certain nombre d’articles sur le sujet – la presse en foisonne ces jours-ci – ou vu un certain nombre d’émissions consacrées à cette question. Pour un enfant, être témoin de violences intrafamiliales, c’est aussi grave qu’être exposé à des traumatismes de guerre.
Aujourd’hui, dans notre société, nous nous prémunissons contre toutes sortes de risques : en la matière, appliquons le principe de précaution. Je voterai cet amendement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Jusqu’à présent, je n’ai pas beaucoup pris la parole, car mes collègues ont fort bien expliqué les dispositions qu’elles défendaient. Je me suis donc contentée, avec les autres élus du RDSE, de les suivre – généralement –, en votant leurs amendements.
Chères collègues, cette fois encore, nous vous suivrons. Bien sûr, la loi est la loi ; avec un tel amendement, le juge aux affaires familiales pourrait perdre en partie son pouvoir d’appréciation.
Toutefois, à mon sens, l’exception confirme la règle. Si, dans un dossier bien particulier, il lui semble indispensable de laisser l’enfant chez le parent violent, le juge aux affaires familiales pourra peut-être le faire. Cela étant, en prononçant ces mots dans le micro, ils me paraissent tout à fait inconcevables !
Il faut faire la part des choses et admettre qu’il s’agit là d’un sujet très particulier. Tous les juges, tous les psychothérapeutes, tous les pédiatres nous disent ce que vient de rappeler Annick Billon : ces violences s’apparentent à des traumatismes de guerre. Comment laisser ces enfants dans de telles familles ? Ce n’est pas possible. Nous voterons cet amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je ne suis pas juriste et je suis toujours impressionné par les démonstrations de Philippe Bas, auxquelles je me rallie volontiers.
Mme Annick Billon. Nous aussi, mais ce ne sera pas le cas cette fois !
M. Max Brisson. En l’occurrence, je me heurte à un obstacle. Certes, l’appréciation du juge est importante. Mais, si je ne suis pas homme de loi, j’ai quelques connaissances historiques ; je sais que le juge est dans la société et que cette dernière est marquée par des héritages. Annick Billon vient de les évoquer : notre société a du mal à admettre qu’un parent violent est nécessairement un mauvais parent. Elle peine à rompre avec cet héritage historique.
Si le juge apprécie les situations en fonction de la loi, il appartient au Parlement de faire la loi. Il est temps que le Sénat manifeste sa volonté de rompre avec cet héritage et de donner au juge les moyens d’en faire autant.
Voilà pourquoi, exceptionnellement, je ne suivrai pas l’avis du président de la commission des lois. Je voterai cet amendement !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 35 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 116 |
Contre | 213 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 78, présenté par Mmes Cohen, Benbassa, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 373-2-9 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un parent a exercé ou exerce des violences sur l’autre parent, la résidence habituelle de l’enfant est fixée au domicile de ce dernier. »
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. J’abonde pleinement dans le sens des précédents orateurs, en particulier la présidente de la délégation aux droits des femmes. En effet, avec cet amendement, notre objectif est également de protéger les victimes des violences conjugales, femmes et enfants confondus.
En Seine-Saint-Denis, les études de l’observatoire des violences envers les femmes dressent un constat sans appel : dans 41 % des cas, les enfants sont les covictimes des violences survenant dans le couple, et 84 % des enfants concernés sont témoins de violences subies par leur mère.
Pourtant, même en cas de violences parfaitement avérées de la part du père, la garde alternée reste couramment prononcée. L’enfant devient alors un prétexte, voire un appât, pour le père violent, qui continue ainsi d’exercer sa domination sur sa compagne ou son ex-compagne.
Pour mettre fin à ces situations, tous les experts spécialistes des violences conjugales proposent la même solution. Les juges les approuvent, et certains juges aux affaires familiales particulièrement brillants, que notre délégation a auditionnés, nous ont permis de revenir, nous aussi, sur tel ou tel préjugé quant à ces études. Toute garde alternée doit être exclue dès lors qu’un parent s’est montré violent !
Mme la présidente. L’amendement n° 36 rectifié, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 373-2-9 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « La fixation de la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun de ses parents est exclue en cas de condamnation de l’un des parents pour la commission de faits de violences sur l’autre parent ou sur son ou ses enfants, et dans le cadre de l’attribution d’une ordonnance de protection prévue à l’article 515-11. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous sommes exactement face à la même problématique que précédemment ; laissons vivre la loi du 28 décembre 2019. Il est trop tôt pour revoir le dispositif.
La commission émet, de nouveau, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous l’avons dit, le code civil permet d’ores et déjà au juge de confier l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’autre parent en cas de violences. Je renvoie à l’article 373-2-11, dont j’ai lu un extrait tout à l’heure.
Ces amendements tendent à priver le juge de tout pouvoir d’appréciation en cas de violence avérée, y compris en l’absence de condamnation pénale ou d’ordonnance de protection.
De telles automaticités pourraient avoir de graves conséquences : j’y insiste, elles priveraient le juge de toute appréciation in concreto. En ce sens, elles sont contraires à l’intérêt des mineurs, que défend la Convention européenne des droits de l’homme. De tels dispositifs ne sont pas proportionnés ; ils me semblent même bel et bien excessifs.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la garde des sceaux, vos propos sont assez étranges ! Nous voulons éviter que le mineur ne réside chez le parent violent : en quoi est-ce contraire à son intérêt ?
Vous n’êtes pas d’accord avec nous et vous invoquez l’appréciation du juge : je l’entends. Mais n’alléguez pas que ces mesures sont contraires à l’intérêt de l’enfant ! Avec un tel raisonnement, vous allez un peu loin…
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, nous sommes tous ici pour faire la loi, même si – c’est mon cas –, nous ne sommes pas juristes de formation ; face à des violences avérées, face à un homme condamné à ce titre, on nous dit qu’il faut laisser le juge apprécier la situation. J’avoue que je ne comprends pas.
Les études dédiées aux conséquences psychologiques des violences ont beaucoup progressé. Plusieurs d’entre nous ont cité des éléments extrêmement précis. On le sait : un enfant victime ou témoin de violences subit des traumatismes extrêmement graves. Dès lors, comment le juge peut-il se prononcer pour une garde alternée ?
On peut toujours invoquer tel ou tel article. Mais, avant tout, le législateur doit protéger les victimes, les personnes en position de faiblesse, qui plus est quand il s’agit d’enfants placés face à un homme violent.
M. Brisson l’a dit : notre société se trouve face à un blocage. Elle peine encore à reconnaître qu’un homme violent est, par définition, un mauvais père.
Je soutiens ces amendements avec force. Réfléchissons à ce que nous faisons et voyons qui nous entendons protéger avec ce texte de loi !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Ce débat prend une drôle de tournure, et je regrette que M. Taquet soit absent ; il aurait certainement des choses à dire…
Madame la garde des sceaux, vos paroles ont dû dépasser votre pensée ; vous ne considérez sans doute pas que ces mesures sont contraires à l’intérêt des mineurs. D’ailleurs, si un élément a changé dans la prise en compte de violences conjugales, c’est la place de l’enfant. On ne dit plus qu’il est témoin des violences conjugales, mais qu’il est victime. Quel que soit son degré d’exposition, il est présent, et l’on ne peut pas l’ignorer.
Je regrette que vous nous opposiez un tel refus, à la fois systématique et brutal. J’estime, moi aussi, que cette proposition de loi franchit un pas supplémentaire dans la prise en compte des violences faites aux femmes.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mes chers collègues, j’ai bien peur que l’on ne prenne pas le problème par le bon bout… Le lieu de résidence a toute son importance, mais la protection de l’enfant est un enjeu bien plus large.
Si l’enfant est en danger, par qui sera-t-il protégé, sinon par le juge aux affaires familiales ? Ce dernier possède un arsenal de mesures pour le mettre à l’abri du danger.
Bien sûr, il est vivement souhaitable que l’enfant ne reste pas au domicile du père violent. Qui peut dire le contraire ? Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui veulent l’y maintenir et, de l’autre, ceux qui s’y opposent. Nous sommes tous du même avis : l’enfant ne doit pas rester domicile du père violent. Néanmoins, il faut examiner les situations familiales au cas par cas et rechercher le bien de l’enfant, en tenant compte des conditions exactes dans lesquelles il vit.
C’est le juge qui va protéger l’enfant. C’est le juge qui va le confier à l’aide sociale à l’enfance si la mère non plus ne peut pas le prendre en charge. On ne peut pas supposer que la mère victime de violences est nécessairement une bonne mère ! L’appréciation du juge peut très bien mettre en cause un tel a priori.
Certaines histoires sont extrêmement douloureuses : on en constate en France tous les jours ! Et, en pareil cas, pour trouver une solution, il est impératif de prendre en compte toutes les difficultés, tous les risques auxquels l’enfant peut être exposé.
Je le dis avec gravité : on ne peut pas examiner une question si grave par le petit bout de la lorgnette, en se contentant de la question de la résidence.
Enfin, madame Cohen, si nous ne sommes pas tous juristes, nous sommes tous légistes. Faire la loi, c’est écrire le droit, ce qui suppose d’être précis, voire exact. Or, j’ai le regret de le dire, le texte de l’amendement n° 78 présente une lacune : il n’indique pas que le conjoint violent a été condamné par la justice ; il mentionne des « faits avérés », mais avérés par qui ?
Il faut être très clair sur ce point : le soupçon, la présomption ou la mise en accusation ne sauraient suffire, sauf lorsqu’une ordonnance de protection a été rendue. Des mesures sont alors prises pour protéger, non seulement la femme, mais aussi les enfants.
Je ne vous parle pas de droit. Je vous parle de questions sociales, plus précisément de la protection de l’enfance ; et la meilleure garantie que nous puissions apporter à l’enfant en danger, c’est la protection du juge !
Mme Laurence Cohen. Le juge est faillible !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’y a pas mieux !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Jusqu’à présent, j’ai gardé le silence sur ces questions si compliquées et si sensibles.
Avant que le président de la commission n’intervienne, j’étais tenté de voter ces amendements : beaucoup d’histoires sombres, pour ne pas dire sinistres, se déroulent autour de nous. Certains enfants sont dans des situations très difficiles. Le plus souvent, le parent violent se révèle être le père, mais d’autres cas de figure existent et, en définitive, le père peut obtenir la garde des enfants.
Au cours des derniers mois, la crise sanitaire a encore exacerbé le problème des violences conjugales. Dans nos départements respectifs, les représentants de l’État ont organisé, à distance, un certain nombre de réunions de concertation portant sur ces sujets. J’y ai pris part, même si je ne suis pas un spécialiste du virtuel.
J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour l’ensemble de mes collègues, en particulier pour ceux de la commission des lois, qui se consacrent à tant de sujets particulièrement complexes. Avec ce débat, nous sommes loin de la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique, mais ces deux textes ont au moins un point commun : ils soulèvent des problèmes ô combien sensibles.
Compte tenu des explications apportées par Philippe Bas, je suivrai l’avis de la commission. Bien sûr, ce n’est pas simple, mais il faut parfois dépasser son premier mouvement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 78.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 215 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 36 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 120 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 113 |
Contre | 213 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 77, présenté par Mmes Cohen, Benbassa, Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 373-2-1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de violences conjugales avérées, l’exercice exclusif de l’autorité parentale est confié au parent victime. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Face aux violences conjugales et intrafamiliales, notre arsenal législatif tend effectivement à s’étoffer : il y avait tant de lacunes à combler !
Chacune et chacun ici peut se satisfaire de voir cette problématique mieux prise en compte par la société tout entière et dans le champ législatif. Toutefois – je l’ai déjà souligné –, personnellement, je regrette la multiplication des propositions de loi parcellaires en lieu et place d’un projet de loi-cadre, solution que j’ai proposée, avec les collègues de mon groupe, dès 2012.
Notre amendement a pour objet l’autorité parentale : encore elle ! À nos yeux, les dispositions actuelles, notamment celles de la loi Pradié, ne sont pas suffisantes.
Tout d’abord, je tiens à rappeler que, initialement, la loi Pradié ne traitait pas du tout de cette question. Mais grâce à un amendement de notre collègue Annick Billon, adopté en séance par le Sénat, il a été convenu qu’elle ferait l’objet d’un rapport. Puis, en commission mixte paritaire, un compromis s’est dégagé – j’y reviendrai plus spécifiquement en défendant l’amendement n° 79.
Le présent amendement vise à confier, de manière exclusive, l’exercice de l’autorité parentale au parent victime dans le cas de violences avérées.
À nos yeux, cette précision fait cruellement défaut : au-delà des crimes, il convient d’agir en amont, dès la phase des violences, et notamment des violences qui surviennent aussitôt après la séparation.
À cet égard, nous en revenons à nos précédents constats : il est de plus en plus reconnu qu’un mari ou un compagnon violent ne peut être un bon père, même s’il y a encore ici des résistances.
Mme Esther Benbassa. C’est sûr !
Mme Laurence Cohen. C’était pour moi le sens du discours du Premier ministre lors de l’ouverture du Grenelle des violences conjugales. Malheureusement, en l’état, la loi ne prend pas en compte toutes les formes de violences : elle prend de mieux en mieux en compte les cas dramatiques, à savoir quand il y a crime, c’est-à-dire féminicide.
L’objet de cet amendement se fonde sur une recommandation émise notamment par le juge Édouard Durand et par Ernestine Ronai, responsable de l’observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, lors de leur audition par la délégation aux droits des femmes le 20 mai dernier, à savoir que la mère victime de violences conjugales se voit attribuer exclusivement l’exercice de l’autorité parentale.
Pour eux, il faut combler ce manque dans notre législation, en inscrivant noir sur blanc à l’article 373-2-1 du code civil cette présomption légale : pas de coparentalité en cas de violences conjugales.
Madame la garde des sceaux, vous qui avez cité dans cet hémicycle Ernestine Ronai, j’espère que vous serez sensible à nos arguments.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Madame la sénatrice, quand on vous écoute, on a envie d’adhérer, l’émotion prend le dessus et on voudrait que vous ayez raison, mais – je dis tout de suite mais ! – cela pose un problème d’automaticité : on ne peut pas transformer le juge aux affaires familiales en automate, entrer des données dans une machine et en faire sortir un jugement. Ce n’est pas possible !
Même si je vous comprends et partage nombre de vos préoccupations, il existe tellement de possibilités humaines différentes ! La réalité n’a aucun talent, quand bien même on aimerait qu’elle en ait.
Il faut nous laisser le temps d’avoir un peu de recul sur l’application de cette loi, que nous avons votée au mois de décembre 2019, et éviter l’automaticité.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, s’il est un point sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est bien le fait qu’un compagnon violent à l’égard de sa femme n’est pas un bon père, ou en tout cas a de fortes chances de ne pas l’être. Vous l’avez dit, cela a été scientifiquement démontré et nous savons qu’il n’y a pas de doute là-dessus. Si, nous, nous le savons, les juges le savent aussi : ils ne vivent pas hors du temps, hors contexte !
Par conséquent, nous divergeons sur un seul point, celui qui constitue le fondement commun aux différents amendements qui viennent d’être présentés, à savoir l’automaticité de la décision, sans que le juge puisse exercer un pouvoir d’appréciation in concreto.
Une interdiction qui serait totale et absolue de l’exercice des droits parentaux par effet de la loi, sans contrôle effectif qui puisse être fait ni de la proportionnalité par les tribunaux du type d’infraction commise ni de l’intérêt des mineurs, ne serait pas, me semble-t-il, adaptée à l’intérêt de l’enfant.
Il est important que le juge puisse apprécier au cas par cas, in concreto, en se fondant sur la même base que nous – le savoir que l’on a maintenant de l’impact des violences conjugales sur les enfants –, si le parent violent doit être totalement ou partiellement privé de l’exercice de l’autorité parentale, sans que la mesure soit systématique, voire définitive.
C’est sur ce point que je vous alerte, car l’automaticité systématique n’est pas forcément favorable à l’intérêt supérieur de l’enfant.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.