M. Bruno Retailleau. Eh oui !
M. Jérôme Bascher. C’est un animal solide !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous avons souhaité faire en sorte que deux procurations puissent être confiées à un même mandataire, plutôt qu’une. Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, cela vous choque-t-il.
Nous avons aussi fait en sorte qu’on puisse confier à son fils, sa fille, son petit-fils, ou sa petite-fille une procuration alors même que ce parent ne vote pas dans la commune dont on est soi-même électeur ou électrice. Si cela vous choque, monsieur le secrétaire d’État, il faut le dire !
Mais si une telle disposition ne vous choque pas, pourquoi alors ne coopérez-vous pas avec nous pour permettre son entrée en vigueur en temps utile, pour qu’on puisse s’organiser afin que le taux d’abstention ne soit pas trop élevé ?
Je ne vous fais pas le procès de croire que vous souhaitez l’abstention. Ce serait en effet hors de propos. D’ailleurs, je dois vous dire que, de mon point de vue, quel que soit le taux d’abstention, les élus sont toujours légitimes. Les Français qui se déplacent pour voter ont le pouvoir de décision. C’est si vrai que, alors même que l’abstention a été nettement plus élevée au second tour des élections législatives de 2017 qu’au premier tour des élections municipales de 2020, personne n’a jamais mis en cause la légitimité de la majorité parlementaire. Eh bien, on ne doit pas non plus mettre en cause la légitimité des maires lorsqu’ils sont élus avec un faible taux de participation !
Pour autant, je crois qu’on doit à la République et à la démocratie de faire en sorte que les électeurs puissent largement se mobiliser pour exprimer un choix. En effet, comme on l’a bien vu pendant cette crise, où les communes ont été extrêmement réactives, tout comme les départements et les régions, le rôle des communes aura été extrêmement important tant pour gérer l’épidémie que pour en sortir et permettre la reprise de l’investissement.
On ne voit donc pas comment on pourrait refuser des dispositions qui visent tout simplement à permettre aux Français qui hésitent à prendre part au vote, pour des raisons valables, de santé ou, tout simplement, d’inquiétude, de le faire.
Nous proposons également d’adopter des dispositions qui vont tout à fait dans le sens de ce que le Premier ministre a lui-même proposé : nous souhaitons faire en sorte que des masques soient disponibles à l’entrée des bureaux de vote, que ces masques soient à la charge de l’État, et non des communes, et que l’organisation des bureaux de vote présente toutes les garanties nécessaires pour prévenir les risques de contamination ; enfin, nous voulons nous assurer que le dépouillement se déroulera dans des conditions qui garantissent la sécurité sanitaire de ses opérations.
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, toutes les raisons qui font que le Sénat attend beaucoup du Gouvernement, non pas pour nous-mêmes – nous sommes complètement hors de cause, puisque, comme vous le savez bien, nous ne pouvons pas devenir maires –, mais simplement pour défendre la libre expression du suffrage universel en donnant à nos compatriotes les moyens de voter, même lorsqu’ils ont peur de sortir de chez eux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
Mme Marie Mercier. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, comme il a été rappelé, la période que nous avons traversée nous a conduits à changer nos habitudes et à bousculer nos usages.
« Gestes barrières » et « distanciation physique » : autant d’expressions que nous ne connaissions pas, ou à peine, il y a six mois et qui font aujourd’hui partie prenante de notre quotidien.
Vous le savez, en annonçant, le 22 mai dernier, la décision d’organiser le second tour des élections municipales dans les presque 5 000 communes où le premier tour n’avait pas été conclusif, le Premier ministre a agi en conscience et en responsabilité.
En conscience, parce que cette décision a été prise sur le fondement de l’avis du conseil scientifique et après avoir consulté élus et formations politiques.
En responsabilité, parce qu’elle est assortie d’un certain nombre d’obligations, tant pour la campagne que pour le vote, de manière à assurer le respect des gestes barrières, mais aussi parce que cette décision est réversible au cas où la situation sanitaire l’exigerait. En ce moment même, d’ailleurs, la commission des lois de l’Assemblée nationale examine un projet de loi qui doit nous préparer à cette éventualité.
Cela dit, dans ce contexte et comme nous y a invités le rapport du comité scientifique du 18 mai dernier, nous devons garder à l’esprit plusieurs éléments. D’abord, cette campagne électorale devra être différente des campagnes ordinaires, puisqu’elle exigera un respect scrupuleux des règles sanitaires et, notamment, de la distanciation physique ; ensuite, nous devons faire tout notre possible pour favoriser la mobilisation des électeurs, diminuer l’abstention et nous assurer que tous ceux qui le souhaitent puissent voter.
À ce sujet, dès le 27 mai dernier, Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, et moi-même avons consulté les élus et les responsables de partis politiques afin de connaître leur sentiment.
C’est sur le fondement de ces consultations et de l’avis des scientifiques que nous allons prendre des mesures pour aménager les règles de la campagne électorale, ainsi que celles qui sont afférentes aux opérations de vote proprement dites.
Nous préparons actuellement, pour ce faire, des mesures, qui seront prises par décret ainsi que par voie de circulaires. Je reviendrai évidemment dans la discussion sur ce choix, puisqu’un certain nombre de mesures dont nous allons débattre aujourd’hui relèvent bien – il faut avoir le courage de le dire – du pouvoir réglementaire, voire de la simple circulaire. Il faut que les Français entendent cette réalité, monsieur le président Bas !
Concernant la campagne électorale, ces mesures consisteront, d’une part, à assurer une offre gratuite d’hébergement en ligne des professions de foi qui auront été validées par une commission de propagande électorale – cette mesure a déjà été discutée avec les responsables de partis politiques et d’associations d’élus –, et, d’autre part, à rendre possible l’apposition d’une deuxième affiche électorale, dont les frais d’impression seront pris en charge par l’État.
S’agissant de l’élection à proprement parler, nous interviendrons bien, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, pour assouplir le régime des procurations, pour élargir les cas où un délégué d’officier de police judiciaire peut se déplacer, supprimer la nécessité d’un motif pour établir une procuration et permettre à ces délégués de recueillir des procurations dans des lieux ouverts au public.
Nous prévoyons bien d’adresser aux maires et aux présidents de bureaux de vote des recommandations portant sur l’organisation des bureaux et du dépouillement, afin que les opérations se passent dans les meilleures conditions sanitaires possible. Évidemment, les dispositifs de protection sanitaire des électeurs et des personnes participant à la tenue des bureaux de vote seront pris en charge.
Ces dernières dispositions permettent de montrer que l’on peut voter en confiance et que toutes les mesures sanitaires ont été prises. Vous avez rappelé combien cela est important, monsieur Perrin, et vous aussi, monsieur le président de la commission.
Qu’il s’agisse des mesures portant sur les procurations ou de celles qui concernent l’organisation des opérations de vote, nous avions réussi à les mettre en place dans des délais restreints avant le premier tour. Nous avons aujourd’hui un mois devant nous pour nous préparer au mieux, de manière conjointe entre État et communes, comme nous l’avons toujours fait.
Permettre à chacun d’exprimer son vote est bien – j’en suis sûr, monsieur Perrin, monsieur le président Bas, mesdames, messieurs les sénateurs – l’objet de cette proposition de loi ; le Gouvernement n’en doute absolument pas.
Il n’est d’ailleurs pas défavorable à la mesure centrale de ce texte, consistant à porter à deux le nombre de procurations qu’un même mandataire peut détenir.
Si le Parlement souhaite procéder à cette évolution pour le second tour des élections municipales du 28 juin prochain, en raison de l’état d’urgence sanitaire et du contexte épidémique que nous continuons de connaître, le Gouvernement soutiendra évidemment ces initiatives.
Cependant, pour qu’elles aient un effet pleinement utile, il faut notamment qu’elles entrent en vigueur à temps pour la tenue du second tour le 28 juin prochain. Pour avoir bien écouté M. le président de la commission, je crois que nous partageons, toutes et tous ici, cette préoccupation.
À cet égard, il me semble que le projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale constitue un vecteur plus sûr et plus efficace compte tenu de l’urgence ; j’ai bien noté, monsieur le président de la commission, que nous aurions un débat sur cette question.
Au demeurant, la présente proposition de loi, dont le Gouvernement partage l’ambition – faciliter l’exercice du vote –, pose certaines difficultés qu’il faut savoir souligner.
Ainsi, devoir informer le mandataire qu’une procuration a été établie à son nom ferait porter une charge lourde et importante sur les fonctionnaires de police et les maires. Cela reviendrait sur l’avancée qu’a permise un décret de février 2004 – Nicolas Sarkozy était alors ministre de l’intérieur –, qui prévoyait la fin de l’obligation d’information du mandataire. Son objet était d’affirmer qu’il revenait à la personne qui établissait une procuration d’en avertir son mandataire, et non aux pouvoirs publics.
Cette position du ministre de l’intérieur de 2004 nous paraît toujours pertinente. Elle traduit, surtout, le fait que cette règle ne relève pas du niveau législatif, puisqu’il avait alors été procédé par décret.
D’autres difficultés prévisibles résulteraient de l’adoption du texte présenté aujourd’hui. Ainsi, la capacité de confier une procuration à un parent, un enfant, un frère ou une sœur qui serait domicilié hors de sa propre commune d’inscription sur les listes électorales ne pourrait pas faire l’objet de vérifications. Il faut savoir le dire, monsieur le président de la commission ! Je vous ai entendu parler de cette mesure : elle satisferait à l’évidence la plupart de nos concitoyens, elle est même une mesure de bon sens, mais encore faut-il pouvoir la mettre en œuvre dans les délais requis !
Je veux vous rappeler à ce propos que ce sont aujourd’hui encore les maires qui vérifient qu’un mandataire n’est pas porteur de plus d’une procuration. Or qu’en est-il ? L’Insee n’est techniquement pas en mesure de permettre cette vérification, qui vise à limiter le fait qu’une même personne détienne des procurations trop nombreuses. Faute d’outil adapté, un tel dispositif pourrait favoriser des démarches frauduleuses ; ce n’est pas, me semble-t-il, ce que nous recherchons. C’est la raison pour laquelle le décret d’application de la loi Engagement et proximité sur ce point n’a pas encore été publié : c’est bien cette raison technique qui l’a empêché.
Par ailleurs, votre proposition de loi comprend des mesures utiles, que le Gouvernement partage, mais qui, pardonnez-moi d’insister, ne relèvent pas du domaine de la loi. Aussi sont-elles susceptibles d’être mises en œuvre par décrets, voire par simples circulaires. Telle est d’ailleurs notre intention.
C’est ainsi le cas de l’établissement de procurations pour les personnes vulnérables, comme je l’ai déjà indiqué, mais aussi de la suppression du motif justifiant le recours à la procuration.
C’est également le cas des dispositions relatives au matériel mis à la disposition des électeurs pour assurer leur protection lors du vote. Le ministre de l’intérieur s’y est déjà engagé : non seulement nous retiendrons toutes les préconisations du conseil scientifique, mais encore l’État prendra à sa charge l’équipement des bureaux de vote dans les communes, partout où cela sera nécessaire.
Enfin, bien évidemment, la police des bureaux de vote relève des présidents de ces bureaux. Un certain nombre de mesures figurant dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui relèvent de ce pouvoir de police et d’organisation du président du bureau de vote.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage une volonté, une ambition, celle que chacun puisse exprimer son vote le 28 juin, malgré le contexte sanitaire, en facilitant notamment le recours au vote par procuration.
Cependant, le Gouvernement ne peut soutenir la proposition de loi examinée ce jour, car elle abrite de trop nombreuses mesures ne présentant pas de caractère législatif. Surtout, elle pourrait ne pas entrer en vigueur à brève échéance, ce qui priverait d’effet utile les dispositions intéressantes qu’elle comprend, lesquelles, je le redis, trouveront une traduction réglementaire ou par circulaires.
Monsieur le sénateur Perrin, vous avez cité Jacques Cœur. Vous savez, vous parlez à un Berruyer : « À cœur vaillant rien d’impossible ! » est la devise de la ville de Bourges. Soyez donc certain que le Gouvernement est attaché à faire preuve de la plus grande vaillance et de détermination afin que la participation soit la plus large possible le 28 juin, notamment grâce aux mesures que nous prendrons, conformément à notre Constitution, par voie de décrets, parfois de circulaires.
Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous indiquer. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présente bien sûr un caractère d’actualité, pour ne pas dire d’urgence, car elle concerne le second tour des élections municipales et communautaires, lequel se déroulera le 28 juin prochain.
Je regrette d’ailleurs que ce texte soit aussi daté, même si l’hypothèse d’un nouveau report du second tour est une hypothèse aujourd’hui peu probable. De façon générale, il vaut mieux éviter les dates dans une loi, bien que, en l’occurrence, il s’agisse ici de prendre des mesures de bon sens et d’inciter nos concitoyens à participer au second tour de l’élection en facilitant l’établissement de procurations.
Certes, cette proposition de loi est un texte d’opportunité. Il convient de tirer les leçons du premier tour des élections municipales du 16 mars dernier, lors duquel le taux de participation a été particulièrement bas, inférieur à 45 %, soit le taux le plus faible jamais enregistré. Les élections municipales et l’élection présidentielle demeurent pourtant les scrutins auxquels nos compatriotes participent le plus.
À cet égard, permettez-moi d’émettre une réserve sur la comparaison du président Bas. Les élections législatives sont en général un peu moins suivies. Mieux vaut donc éviter de comparer les taux de participation aux élections législatives, européennes, régionales et municipales entre eux.
Il est vrai toutefois que l’on constate une tendance lourde depuis quatre décennies. Le taux de participation baisse de façon régulière : alors qu’il était de près de 80 % en 1983, il est passé à 64 % en 2014. Cette tendance a plusieurs causes, pas uniquement civiques.
La mobilité des familles est l’une d’elles. Les listes électorales comprennent par exemple des jeunes ayant quitté leur famille et s’étant installés à l’autre bout de la France, sans s’être inscrits ailleurs. Il faudra un jour se pencher sur les modalités d’inscription automatique sur les listes électorales qui avaient été esquissées voilà quelques années, mais qui, concrètement, sont restées lettre morte. De nombreuses listes électorales ne correspondent plus tout à fait aux habitants des communes, ce qui est un peu gênant.
Au-delà de ce constat, le fait est que le taux de participation aux municipales de 2020 s’est effondré. Ce phénomène est en grande partie imputable à une forte amplification des craintes sanitaires à la veille du premier tour, notamment après l’annonce de la fermeture des écoles, des collèges, des lycées et des universités, puis des bars et des restaurants, et à l’instauration de mesures de confinement. Il faut dire que l’alerte justifiée du Premier ministre le samedi soir ayant précédé le confinement a fait l’effet d’une douche écossaise et entraîné une baisse du taux de participation de plusieurs points.
Le maintien du premier tour a été une erreur (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), sachant que la possibilité d’organiser le second tour sept jours plus tard était très peu probable. Je le dis alors que j’étais personnellement favorable au maintien du premier tour. Lorsqu’on est impliqué dans une élection municipale, assez haut sur la liste, on a en effet envie qu’elle ait lieu, c’est humain. Je le reconnais, ce fut une erreur, qu’il nous faut aujourd’hui assumer collectivement, car peu de responsables politiques étaient alors favorables au report du premier tour.
Pour les conseils municipaux qui n’ont pas été élus ou qui ne l’ont pas été au complet en mars, lesquels représentent une minorité de communes, mais une large majorité des électeurs inscrits, le scrutin a été fixé au 28 juin.
À titre personnel, je n’étais pas très favorable à cette date, pour des raisons liées non pas à la situation sanitaire, mais au climat politique et social. Alors que l’urgence est de relancer l’économie, je ne pense pas que le deuxième tour des élections municipales fasse partie des principales préoccupations de nos concitoyens, plus désireux de pouvoir retrouver leur famille ou de partir en vacances. Lors d’un sondage, 55 % d’entre eux ont d’ailleurs déclaré qu’ils pensaient que le 28 juin n’était pas la meilleure date ; ce n’était certes qu’un sondage…
Le taux de participation au second tour, mais j’espère me tromper, risque donc d’être aussi modeste qu’en mars, d’autant que les élections auront principalement lieu dans des collectivités urbaines, où l’on vote traditionnellement moins que dans les zones rurales. Permettez-moi donc d’être assez pessimiste, même si je fais partie de ceux qui, dans leur commune, essaient de mobiliser leurs concitoyens.
Le texte qui nous est aujourd’hui soumis est un support spécifique visant à mieux organiser cette élection et à favoriser le vote par procuration. J’adhère bien sûr à cette initiative, en particulier aux dispositifs qui seront pour la circonstance les plus opérationnels. Notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à proposer des simplifications, qui seront peut-être ensuite adoptées dans d’autres textes législatifs ou réglementaires.
Je pense qu’il nous faut rester très pragmatiques. L’organisation des bureaux de vote, telle qu’elle est envisagée, est indispensable d’un point de vue sanitaire, mais, très franchement, elle ne donnera pas envie d’aller voter à ceux qui ne sont pas motivés, il faut bien le dire. Dans certaines communes, le jour de l’élection est habituellement un événement social. Les gens se retrouvent sur la place, dans la cour de l’école ou sur un parking pour discuter. Cet aspect social n’existera pas lors du second tour, en tout cas à l’intérieur des bureaux de vote.
Je suis favorable au fait de faciliter, voire de promouvoir les procurations, car cela permettra de gagner quelques points de participation et de satisfaire un nombre non négligeable d’électeurs, notamment de personnes âgées. Meurtries de ne pas pouvoir se déplacer, mais prudentes, elles se sentent pénalisées, alors qu’aller voter n’est pas forcément le premier souci d’autres catégories d’électeurs.
Peu m’importe que les mesures soient d’ordre législatif ou réglementaire. Je constate qu’il semble y avoir un accord sur le fond, au moins sur l’essentiel, notamment sur les deux procurations, monsieur le secrétaire d’État, et sur la simplification des motifs invoqués.
Trouvons donc ensemble les moyens d’atteindre notre but, qui est de favoriser le vote de nos concitoyens le 28 juin prochain. Pourquoi ne pas également conserver certaines mesures efficaces discutées aujourd’hui dans un esprit républicain pour les prochains scrutins ?
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, oui, il nous faut rassurer nos concitoyens et les protéger, organiser les élections municipales rapidement, dans de bonnes conditions, et installer les exécutifs locaux. Tout cela relève d’un impératif moral, politique, cela a été dit, mais aussi démocratique, économique et social.
Le fond du texte ne pose pas de difficulté particulière, même si, pour reprendre l’expression du président-rapporteur, le « cheval » législatif choisi, dans la précipitation et de façon incohérente, peut poser question. En revanche, la visibilité offerte à nos concitoyens, à ceux qui organisent les élections, à ceux qui vont donner procuration, à ceux qui cherchent à en obtenir n’est pas au rendez-vous.
Je m’interroge également sur le contenu législatif du texte. L’article 1er A prévoit une clause de revoyure avec le comité scientifique ; très bien, mais est-il nécessaire de l’inscrire dans la loi ? Certes, cela ne coûte rien de l’afficher, bien évidemment.
Le fait de mettre à la charge de l’État les dépenses engendrées par la situation sanitaire ne pose pas de difficultés non plus, car il s’agit évidemment de protéger les électeurs. C’est cohérent avec les autres mesures du texte, mais, encore une fois, ces questions relèvent-elles du domaine de la loi ? Je n’en suis pas sûr non plus.
En revanche, les dispositions visant à accélérer l’application des dispositions prévues dans la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Engagement et proximité, afin que des personnes résidant dans des communes différentes puissent être mandataires et mandants relèvent bien de la loi. Elles ne posent pas de difficulté, nous y adhérons.
L’article 1er bis permet à chaque mandataire de disposer de deux procurations. Le ministre de l’intérieur s’est exprimé sur ce point le 23 mai dernier. Cette demande avait été expressément formulée par les sept présidents d’associations représentant les élus locaux. Bien évidemment, cette disposition entre dans le champ de compétences du ministre de l’intérieur.
Certaines mesures, comme le maintien des procurations déjà établies pour le premier ou le second tour, ont été prises dans le décret du 27 mai.
J’ai l’habitude d’être aimable, particulièrement avec mes collègues, mais aussi honnête intellectuellement. Que dire donc de l’article 2 bis, qui prévoit la mise à disposition des équipements de protection nécessaires à la sécurité sanitaire ? À titre personnel, ces dispositions me laissent perplexe, car elles ne sont pas détaillées dans le texte, pas plus d’ailleurs que celles qui concernent le déplacement des autorités compétentes pour établir ou retirer la procuration de certains électeurs.
Je le répète, nous partageons les objectifs du texte, qui ne posent pas de difficulté ; en revanche, du point de vue de la méthode, nous pourrions gagner en lisibilité.
Je rappelle qu’un projet de loi électorale assez vaste, qui a été enrichi par l’Assemblée nationale, est inscrit à l’ordre du jour de nos travaux le 10 juin prochain et qu’un certain nombre de dispositions portant sur les opérations électorales entreront en vigueur prochainement. Je pense à la proposition de loi d’Alain Richard visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, dont une grande partie des dispositions entreront en vigueur le 30 juin de cette année, et à la loi Engagement et proximité, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022.
De nombreuses autres propositions de loi ont été déposées sur des sujets proches. Je pense à celle d’Alain Fouché, à celle de nos collègues de l’Assemblée nationale et à celle d’Éric Kerrouche sur le vote par correspondance.
Ces différents textes ne nous font pas gagner en lisibilité. Or notre responsabilité collective est évidemment d’atteindre l’objectif qui fait consensus ici, mais d’une manière lisible et efficace.
Je le répète, ce texte ne pose pas de problème sur le fond, même si j’émets une réserve sur les dispositions relevant du domaine réglementaire. En revanche, il nous faut un véhicule efficace, lisible.
Rien ne nous interdit ensuite évidemment, comme l’a relevé Jean-Marc Gabouty, de poursuivre notre réflexion au-delà de l’échéance du second tour des élections municipales sur l’automatisation de l’inscription sur les listes électorales, sur la mise en œuvre de la diffusion dématérialisée de la propagande, sur l’enregistrement d’un certain nombre de données, notamment les adresses e-mail, sur le vote par correspondance ou électronique, même si, à titre personnel, j’y adhère assez peu, ainsi que sur les multiples autres thématiques qui nous préoccupent depuis de nombreuses années à l’échelon local et que les présidents des sept associations d’élus ont évoquées dans leur dernier courrier.
Nous ne répondrons pas dans l’urgence à toutes leurs préoccupations, mais j’espère que nous pourrons in fine adopter un texte efficace et lisible, plutôt que de multiples propositions de loi, puisqu’il existe un consensus sur le fond, afin de permettre à nos concitoyens et à ceux qui organisent les élections localement de ne pas se perdre en conjectures et en interrogations chronophages d’ici au 28 juin. Tel sera en tout cas le sens du vote du groupe La République En Marche au Sénat.
Aujourd’hui, quand on est candidat, on ne sait que répondre sur le terrain à nos concitoyens qui nous interrogent sur le nombre de procurations autorisées – une ou deux ? –, sur le lieu de résidence, compte tenu de la multiplication des initiatives. À titre personnel, j’aimerais que nous privilégiions l’efficacité. Le texte que nous examinerons le 10 juin a le mérite d’être clair et global. Il nous conviendra très bien.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous discutons aujourd’hui de cette proposition de loi, c’est parce que le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, a fait un choix qui a créé une situation sans précédent et suscité des incertitudes politiques et juridiques : le maintien du premier tour des élections municipales quarante-huit heures, je le rappelle, avant l’annonce du confinement total du pays.
L’exécutif a décidé de maintenir le premier tour en sachant pertinemment que le second ne pourrait avoir lieu comme prévu. C’est cette décision et ses conséquences qui nous conduisent aujourd’hui à légiférer, de manière « palliative », même si on se demande s’il s’agit aujourd’hui de soulager certaines forces politiques ou les électeurs. On fait du rafistolage…
L’histoire nous rappelle pourtant qu’il a été possible de reporter des élections pour des motifs bien moins graves que la pandémie de Covid-19. En 2008, le seul cumul de l’élection présidentielle et des élections législatives a suffi à reporter d’un an les élections municipales.
Cette fois, le Gouvernement a préféré mettre en danger nos concitoyens et les soumettre à des injonctions contradictoires : restez chez vous, mais n’oubliez pas d’aller voter ! Le caractère exceptionnel de la situation et le motif d’intérêt général justifiaient pourtant largement le report du premier tour.
Alors oui, le présent texte de la majorité sénatoriale, même s’il constitue un véhicule législatif quelque peu douteux – excusez-moi, monsieur Bas –, comporte des dispositions de bon sens. Il s’agit de faciliter l’établissement de procurations et de permettre à tous les bureaux de vote de disposer des équipements de protection nécessaires, sans pour autant que ces dispositions pèsent sur le budget des communes. C’est un moindre mal. Même si ces dispositions paraissent évidentes, elles ne sont pas satisfaisantes, toutes les propositions faites pour le second tour étant aujourd’hui imparfaites.
Du fait de ce fragile équilibre, une forte pression s’exerce encore une fois sur les acteurs locaux, qui doivent innover avec des moyens limités pour faire vivre la démocratie locale. L’échelon local demeure l’éternelle variable d’ajustement budgétaire des gouvernements, que ce soit en temps de crise ou non, comme on a pu le constater lors de l’annonce du plan de soutien aux collectivités. Alors qu’il était très attendu, ce plan est insuffisant à bien des égards et risque d’inciter les collectivités à s’endetter.
L’échelon local est sursollicité et, « en même temps », le Gouvernement défend une spécialisation des compétences, comme l’ont d’ailleurs fait de précédents gouvernements, plutôt que la clause générale de compétence, seule capable de permettre le respect du principe de libre administration des communes, à condition bien sûr qu’elle s’accompagne de moyens suffisants.
Ce texte enfonce également la porte, si je puis dire, s’agissant de problèmes ayant déjà été soumis au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État lui ayant transmis deux questions prioritaires de constitutionnalité sur la sincérité d’un scrutin ainsi disloqué et s’étant déroulé dans des conditions déplorables.
Les recours se multiplient devant le juge de l’élection. Au 19 avril, on en comptait 2 828, contre 1 513 en 2014. Certains plaignants sont des élus, qui mettent eux-mêmes en doute la légitimité qu’ils tirent de cette élection. Nous pensons également à tous ces candidats et élus qui ont dû faire avec ce troublant entre-deux imposé d’en haut.
Si certaines des dispositions du présent texte étaient adoptées, elles entraîneraient une organisation du second tour différente du premier. Dès lors, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous interroger sur l’égalité devant le suffrage.
Si ce texte vise à lutter contre l’abstention, laquelle a atteint un niveau record lors du premier tour – je rappelle que le taux d’abstention s’est établi à 55 %, soit près de 20 points de plus qu’en 2014 –, ce pansement législatif ne permettra pas selon nous de refermer la plaie démocratique qui s’est ouverte.
Les personnes âgées et les parents de jeunes enfants ont été les premiers abstentionnistes « contraints » du premier tour. Le second tour s’annonce tout aussi sombre. La vague de chômage – le nombre de chômeurs a augmenté de 843 000 en avril – est significative de la détresse dans laquelle vont se retrouver un grand nombre de Françaises et de Français. Alors que le feuilleton de l’élection est complexe et qu’une partie de la population se demande comment tenir jusqu’à la fin du mois, on peine à croire qu’on pourra mobiliser nos concitoyens pour ce scrutin.
Notre régime démocratique est malade, mes chers collègues, et ce depuis longtemps. Nos institutions sont minées par le présidentialisme et le néolibéralisme. L’impact sur la démocratie réelle est sans précédent, la souveraineté populaire locale étant confisquée. Les intérêts égoïstes du marché et de ses représentants portent atteinte à la démocratie et à ce qu’elle devrait être comme moyen et comme fin. La Ve République, qui est née du chaos, ne brille aujourd’hui que par son impuissance. Elle favorise le développement d’un régime autoritaire d’exception, alors qu’elle pourrait accoucher d’une République des communs, plus juste, plus égalitaire, plus participative.
La campagne électorale pour le second tour ne pourra pas se dérouler dans les conditions habituelles garantissant une proximité avec les électrices et les électeurs. Le manque de lisibilité de l’organisation du scrutin du 28 juin et l’impératif de sécurité des opérations électorales font douter de la portée réelle des propositions dont nous débattons aujourd’hui. Les enjeux vont bien au-delà des seules questions techniques.
Pour toutes ces raisons, bien que nous soyons d’accord sur le principe des deux procurations, notre position sur ce texte dépendra du sort qui sera réservé à un certain nombre d’amendements tendant non pas à prendre en compte la situation exceptionnelle résultant de l’épidémie de Covid-19, mais à défendre des positions portées politiquement par certains bien avant la crise. Or elles ne nous paraissent pas favoriser la souveraineté populaire et la démocratie locale. En conséquence, nous nous abstiendrons ou nous voterons contre ce texte.