M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les procurations électorales, introduites en 1946, ont longtemps été réservées à certains électeurs. Leur périmètre s’est peu à peu élargi, notamment après la suppression du vote par correspondance en 1975. Aujourd’hui, elles servent à remédier à l’absence temporaire d’un électeur, pour des raisons tant personnelles que professionnelles.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise à améliorer l’information du mandataire lorsque l’établissement d’une procuration est demandé, ainsi que les conditions d’organisation du vote. Les modalités de mise en œuvre seraient précisées par décret en Conseil d’État. Il s’agit ainsi de sécuriser le recours aux procurations.
En pratique, si le mandant oublie d’informer son mandataire, cela peut empêcher l’exercice de son droit de vote. À cet égard, je regrette la suppression du volet « mandataire » du formulaire de procuration depuis 2006.
Plus largement, la proposition de loi vise à sécuriser les opérations de vote. Le jour du scrutin, et jusqu’à la fin du dépouillement, les membres du bureau de vote et les représentants des candidats seraient chargés de contrôler la régularité des procurations. Je me félicite de ce que ce dispositif n’ait pas été conservé par la commission, la vérification de la régularité des procurations établies relevant du maire, sous le contrôle du juge de l’élection. Il n’appartient pas au bureau de vote de refuser d’enregistrer le vote d’un mandataire et de contrôler la compétence territoriale de l’autorité devant laquelle a été établie la procuration.
Par ailleurs, je me réjouis que la commission ait souhaité renforcer les précautions sanitaires lors du second tour des élections municipales le 28 juin prochain et étendre le recours aux procurations. Les procurations sont indispensables pour tous les citoyens, malades ou vulnérables, qui, en cette période de crise sanitaire, sont dans l’incapacité de se rendre dans un bureau de vote.
Je suis donc heureux que la commission ait enrichi le texte par un certain nombre de dispositions. À cet égard, je mettrai l’accent sur plusieurs mesures permettant de faciliter le recours au vote par procuration.
La première consiste à autoriser deux procurations par mandataire, au lieu d’une seule, ce qui va augmenter le nombre de procurations établies sur le territoire national.
La seconde permet à un électeur de disposer d’une procuration dans une autre commune, mais uniquement pour voter au nom d’un ascendant, d’un descendant, d’un frère ou d’une sœur.
La troisième est la consécration du droit pour certains électeurs de demander aux autorités compétentes de se déplacer jusqu’à leur domicile pour établir ou retirer leur procuration, notamment lorsqu’ils présentent une vulnérabilité physique ou qu’ils ont été exposés au Covid-19. Un plus grand nombre de procurations doivent pouvoir être établies au domicile des électeurs et dans les hébergements collectifs, notamment au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Je me réjouis également de l’adoption de deux dispositions visant à sécuriser les opérations de vote : la mise à disposition d’équipements de protection adaptés non seulement pour les électeurs qui n’en ont pas, mais également pour les personnes participant aux opérations électorales, et un meilleur encadrement de l’organisation du dépouillement. Chaque président de bureau de vote pourra en effet déterminer le nombre de personnes autorisées à participer ou à assister au dépouillement, en fonction des consignes sanitaires et de la superficie des locaux.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 16,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes le 28 juin prochain, dans 4 857 communes, dont 1 442 communes de 1 000 habitants et plus.
Compte tenu de l’épidémie de Covid-19, ce scrutin implique de prendre un certain nombre de précautions. Cette proposition de loi permet, de manière très pragmatique, de renforcer la sécurité sanitaire dans tous les bureaux de vote. Les membres du groupe Les Indépendants partagent cet objectif et soutiennent sans réserve cette démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. - M. Jérôme Bascher applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Segouin applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire a brutalement et étrangement interrompu le cycle des élections municipales, suspendant le temps, mais aussi la tenue du second tour et prolongeant le mandat des maires sortants.
Si cette situation incongrue a été parfois compliquée dans certaines communes, elle a montré une fois de plus, et d’une manière très forte, la solidité et le sens de la responsabilité des élus locaux. Les maires ont fait face avec détermination, courage et efficacité. Aujourd’hui encore, ils relèvent le défi de la réouverture des écoles.
Pour paraphraser votre propos, monsieur le secrétaire d’État, eux aussi soulèvent les difficultés, mais ils les surmontent, car ils y sont contraints. Ils font même parfois l’impossible, en tout cas pour l’école.
Comme ceux qui soignent, protègent et nous nourrissent, les maires ont vraiment fait partie pendant cette crise sanitaire des « essentiels », ceux qui permettent à la France de tenir en cas de gros temps.
La décision d’organiser le second tour des élections municipales le 28 juin prochain est sans doute pertinente, malgré des conditions de campagne difficiles, car la France doit revenir à la vie très rapidement.
Pour cela, la gouvernance des collectivités doit être stabilisée, sécurisée, car d’autres coups de tonnerre nous attendent. En outre, les collectivités sont les acteurs indispensables de la relance économique. Mais la démocratie doit tout autant être renforcée.
En ce sens, la proposition de loi de Cédric Perrin est tout à fait judicieuse, car, en période d’urgence, nous avons la responsabilité collective de relever deux défis : le risque sanitaire et l’expression démocratique. Telle était également le sens de la pertinente proposition de loi de MM. Bas, Retailleau et Marseille.
Le premier défi est sanitaire. Le danger de reprise de l’épidémie existe. Aussi, protéger nos concitoyens électeurs, mais également ceux qui organisent les opérations de vote, s’impose naturellement.
Nous adhérons donc totalement à la proposition de mise à disposition d’équipements de protection pour ces deux catégories de personnes, dans les 4 857 communes de France concernées par le second tour. Les collectivités ont dû et ont su pallier l’insuffisance des protections sanitaires, mais on ne peut aujourd’hui exiger d’elles qu’elles assument ce coût supplémentaire, qui relève de la vie démocratique. Il appartient donc à l’État de le financer.
Le second défi, qui n’est pas le moindre, est démocratique. L’élection municipale est en général un scrutin au taux de participation significatif.
Or, au mois de mars dernier, l’abstention a atteint plus de 52 % des inscrits, soit une hausse de près de 19 points par rapport à 2014. Nous devons aujourd’hui permettre au maximum des 16,5 millions d’électeurs appelés aux urnes le 28 juin prochain d’exercer ce droit sacré qu’est le droit de vote. Les rassurer sur le risque sanitaire est indispensable, mais notre devoir est aussi de faciliter l’exercice de ce droit pendant l’état d’urgence sanitaire, par l’assouplissement exceptionnel du dispositif de procuration.
Monsieur le secrétaire d’État, Sénèque disait : « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » C’est comme cela que vous nous avez expliqué de manière pertinente qu’il fallait prendre des mesures particulières et exceptionnelles pour gérer la crise avec efficacité, et le Sénat a assumé sa responsabilité.
Il doit en être encore ainsi aujourd’hui, par l’adoption de mesures exceptionnelles dans un temps limité. En ce sens, le vote par correspondance participe de la volonté de faciliter l’expression démocratique.
Monsieur le secrétaire d’État, si les circulaires et les ordonnances avaient jamais séduit les électeurs, cela se saurait ! Quand des temps plus sereins seront revenus, il conviendra de réfléchir de manière plus large et plus approfondie à tous les dispositifs qui favorisent le vote et à leur sécurité. Si nous partageons la volonté d’encourager l’expression démocratique par le vote, il vous appartient d’être offensif quant à la mobilisation effective des autorités compétentes pour établir les procurations, afin d’en faciliter la réalisation et d’en augmenter le nombre.
Dans ces circonstances, il me semble que nous avons oublié un acteur, à savoir la belle endormie qu’est La Poste. Dans ce magnifique pays dont on dit qu’il doit se déconfiner, La Poste a sans doute raté cette nouvelle, parce qu’elle fonctionne très au ralenti ! Dans mon département d’Ille-et-Vilaine, elle déclare qu’elle reviendra à la normale au mois de septembre prochain… Il faut lui rappeler que des élections auront lieu le 28 juin prochain !
Monsieur le secrétaire d’État, depuis le début de la crise, le Sénat n’a jamais failli à sa responsabilité, mes collègues l’ont rappelé : il a donné au Gouvernement des moyens exceptionnels, se délestant parfois même de certaines de ses prérogatives de législateur.
Quand le pays est en danger, les clivages doivent s’effacer pour faire face ensemble. Vous nous l’avez dit, nous l’avons fait, et c’est si vrai, monsieur le secrétaire d’État, que c’est aujourd’hui à votre tour de faire preuve du même sens des responsabilités, en permettant la prospérité rapide de cette proposition de loi en intelligence et en coopération avec le Sénat.
La démocratie ne peut souffrir lenteur ou indifférence, a fortiori en état d’urgence, car, après l’heure, ce n’est plus l’heure ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Bien dit !
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de M. Cédric Perrin, qui sert de véhicule législatif à celle de MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Cette méthode, assez peu commune, répond à l’urgence de la tenue du prochain scrutin municipal prévu le 28 juin prochain, sous réserve d’un avis du conseil scientifique.
Il s’agit donc de faire une bouture, en espérant que le greffon puisse prospérer dans le premier texte, mais cela dépendra en grande partie de la bonne volonté du Gouvernement. Je ne puis que regretter que la procédure accélérée n’ait pas été engagée. Pourtant, selon le Conseil constitutionnel, le Gouvernement a la faculté de la mobiliser à tout moment, jusqu’avant le début de l’examen d’un texte, même si les conférences des présidents des deux assemblées peuvent s’y opposer.
Cette proposition de loi a pour objet de répondre, d’une part, à un enjeu de santé publique, et, d’autre part, à un enjeu démocratique, en étendant le recours aux procurations et en sécurisant l’organisation du scrutin pour les presque 17 millions d’électeurs des 4 857 communes concernées.
Le premier tour ayant été marqué par une abstention inédite sous la Ve République, il faut favoriser la participation de tous au second tour.
En France, l’abstention aux élections municipales est un phénomène qui se développe dans le temps. L’élection locale n’échappe plus à la tendance globale à la désaffection à l’égard de la participation politique. Dans les années 1990, la participation aux municipales est passée sous la barre des 80 % ; dans les années 2000, elle s’est établie à moins de 70 %. Nous pensions avoir atteint un taux plancher en 2014, avec une participation de 63,5 %, et cela en dépit de l’attachement des Français à leur maire et à leur commune.
La réponse abstentionniste est un mouvement de fond, symptôme d’un malaise de la représentation politique. Toutefois, l’effondrement de la participation du 15 mars dernier a une tout autre cause : alors que, à la veille du premier tour la France, passait au stade 3 de l’épidémie, il a été décidé de maintenir ce scrutin.
Il est certain que, si les acteurs politiques avaient alors disposé de toutes les informations, ces élections auraient probablement été reportées. En l’occurrence, le premier tour a eu lieu alors que l’on savait pertinemment que le second ne pourrait être organisé. Résultat, la participation s’est établie à moins de 45 %, chutant d’à peu près vingt points. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, moins de la moitié des Français inscrits sur les listes électorales se sont déplacés pour une élection municipale. Dans un pays comme le nôtre, qui est viscéralement attaché au fait majoritaire, une participation en deçà des 50 % est très symbolique.
Selon l’enquête Ipsos-Cevipof des 16 et 17 mars 2020, quelque 57 % des répondants qui n’ont pas participé au scrutin indiquaient ne pas l’avoir fait à cause du coronavirus. Cette abstention a été fortement différentielle. Toujours selon cette enquête, la proportion d’abstentionnistes a crû en fonction de l’âge : de 32 % parmi les 18-24 ans à 67 % parmi les plus de 65 ans.
Par ailleurs, si 48 % des abstentionnistes des communes rurales ont invoqué le coronavirus, ce taux était de près de 70 % dans les communes urbaines.
On peut donc en conclure que, d’une certaine façon, le scrutin du 15 mars dernier a été lui aussi infecté par le coronavirus. Il est donc nécessaire de favoriser une participation dans un contexte inédit.
L’abstention pourrait tout à fait être aussi forte au second tour ; je vous rappelle qu’une enquête Cevipof conduite entre les 23 et le 24 mai souligne que 64 % des Français auraient souhaité un report des élections. Par ailleurs, une autre enquête révèle que seul un tiers des électeurs concernés se disent prêts à se déplacer. L’organisation du scrutin ne fait donc pas consensus, et il faut trouver des arguments légitimes.
Je sais que ce rendez-vous électoral présente pour la majorité beaucoup moins d’enjeux que les rendez-vous suivants. C’est pourquoi elle veut rapidement sortir de cette séquence. Reste que, au-delà du doute sur la participation, ce scrutin est singulier : incertitude sur le plan sanitaire, campagne électorale 2.0, risque juridique, puisque le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.
L’élection est coupée en deux, et il faut garantir le jeu démocratique lors d’un scrutin qui n’est vraiment pas comme les autres. Le conseil scientifique a invité à limiter les contacts pendant les campagnes et a énuméré des recommandations ; nous les partageons, elles sont reprises dans ce texte.
Par ailleurs, des dispositions dérogatoires sont proposées s’agissant des opérations de vote. Elles peuvent se heurter aux standards électoraux qui font que la stabilité doit prévaloir. Je crois néanmoins que, dans la période que nous vivons, nous devons savoir faire preuve d’une certaine plasticité.
Le texte de la commission propose d’étendre le recours aux procurations aux citoyens qui ne peuvent se rendre jusqu’à leur bureau de vote. L’élargissement du vivier des mandataires prévu par la loi Engagement et proximité est anticipé. Pourquoi pas ? C’est une bonne chose. Pourquoi s’arrêter là ? Nous défendrons des amendements visant à compléter cette mesure.
Nous avons aussi conscience que ces dispositions nécessiteront une mobilisation des services de l’État comme des communes. Toutefois, dans la mesure où cette proposition de loi se situe dans une perspective palliative, j’ai proposé, en complément et sans la remettre en cause, avec certains de mes collègues du groupe socialiste et républicain, de mettre en place un vote postal. Là encore, ce n’est pas une solution parfaite, mais cela pourrait rassurer les électeurs.
Si les estimations en matière de participation se vérifiaient, ce serait un problème non seulement pour le système politique, mais aussi pour les élus qui sont d’autant plus légitimes que la participation est forte.
Un amendement introduit à l’Assemblée nationale dans le texte qui est discuté vise à étendre le vote postal à l’ensemble des élections, preuve que le sujet se discute.
La France ne serait d’ailleurs pas le premier pays à le mettre en œuvre : des élections ont été organisées de cette manière en Bavière, en pleine épidémie du Covid-19. Certes, cette proposition présente un coût, qui reste à détailler, mais nous pensons que la démocratie n’a pas de prix et nous devons la faire vivre, comme diraient certains, « quoi qu’il en coûte ». (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de Cédric Perrin qui tend à sécuriser l’établissement des procurations électorales. Bien évidemment, ce texte est le produit d’un contexte très particulier, celui de la crise du Covid-19 et du report du second tour des élections municipales, communautaires et métropolitaines.
Je rappelle que pas moins de 16,5 millions d’électeurs seront ainsi appelés aux urnes le 28 juin prochain dans quelque 4 857 communes, et ce dans un contexte sanitaire totalement inédit. Cela nécessite naturellement une organisation particulière du scrutin, qui implique de prendre un certain nombre de précautions sanitaires – c’est notamment ce qu’a préconisé le conseil scientifique dans son avis du 18 mai dernier. Il est donc particulièrement important de veiller à sa consolidation et à sa sécurité sanitaire dans tous les bureaux de vote.
Dans cette perspective, je salue les travaux de la commission des lois, largement alimentés, il est vrai, par la proposition de loi déposée par nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, qui visait à mieux protéger les électeurs et les candidats pour le second tour des élections municipales du mois de juin 2020.
Ces travaux se sont concentrés sur deux axes prioritaires : la sécurisation des conditions d’organisation du scrutin et la généralisation du recours aux procurations, en particulier pour les électeurs susceptibles de rencontrer des difficultés à se rendre dans les bureaux de vote. Ces deux points relèvent à la fois d’un enjeu de santé publique et d’un enjeu démocratique dont nous ne saurions nous affranchir, compte tenu de l’importance du vote.
Je rappelle que le taux d’abstention a atteint plus de 55 % des inscrits lors du premier tour, soit une hausse de 18,8 points par rapport au scrutin de 2014.
En ce qui concerne l’extension du recours aux procurations, le texte que nous examinons vise avant tout à garantir une meilleure information du mandataire d’une procuration, afin de s’assurer qu’il se rende au bureau de vote en lieu et place du mandant. En effet, la proposition de loi initiale vise à améliorer l’information du mandataire, en précisant qu’il est informé de la demande d’établissement de la procuration et des conditions d’organisation du vote.
À ce titre, je rejoins l’initiative de Cédric Perrin de proposer un envoi électronique à l’adresse du mandataire, qui serait remplacé par courrier postal en l’absence d’accès à un moyen de communication dématérialisée. Je précise que je demeure toujours opposé au vote électronique, monsieur le secrétaire d’État, vieille lune technophile à mon sens, qui viendrait inévitablement affaiblir la solennité du vote, lequel doit demeurer un geste démocratique essentiel et physique.
Nous avons également proposé en commission qu’un même mandataire puisse recevoir deux procurations, afin de lui permettre de disposer d’une procuration supplémentaire établie sur le territoire national.
Nous avons également assoupli la procédure afin de faciliter les procurations pour la famille proche, puisque, à titre dérogatoire un électeur pourra disposer d’une procuration dans une autre commune, mais uniquement pour voter au nom d’un ascendant, d’un descendant, de son frère ou de sa sœur.
Enfin, je rejoins l’esprit de cette proposition de loi, qui est de protéger nos citoyens les plus fragiles en consacrant un droit pour certains électeurs d’établir leur procuration à domicile, notamment lorsque ces derniers risquent de développer une forme grave du Covid-19 ou qu’ils sont mis en quarantaine dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Il me paraît cohérent d’étendre cette procédure au retrait des procurations. Dans cette perspective, si nous aidons une personne âgée à établir sa procuration, il faut également l’aider à la retirer si elle le souhaite.
Par ailleurs, cette proposition de loi s’attache à sécuriser les opérations de vote. Il s’agit de préciser dans la loi que les équipements de protection tels que des masques devront être mis à la disposition des électeurs et de toutes les personnes qui participent aux opérations de vote – président de bureau, assesseurs, délégués du candidat, scrutateurs du dépouillement et agents communaux. Il semble plus que cohérent que cette dépense revienne à l’État, au même titre que les autres dépenses liées à l’organisation du scrutin.
La stratégie sous-jacente de ce texte impliquera une grande mobilisation de la part du Gouvernement. Il incombera tout d’abord à ce dernier d’organiser un véritable service public des procurations. Il sera par ailleurs tenu de mobiliser les moyens nécessaires afin de permettre aux électeurs les plus fragiles d’exercer leur droit de vote.
En effet, comment les collectivités pourraient-elles assumer, elles seules, la responsabilité de la sécurité sanitaire des opérations de vote ? En particulier, il ne saurait y avoir une sécurisation sanitaire des opérations de vote sans prendre en compte la question du dépouillement, susceptible de représenter un risque sanitaire. C’est pourquoi ce texte prévoit également de mieux encadrer l’organisation du dépouillement.
Je suis tout à fait favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au début du mois de mai dernier, dans un avis politique sur la préservation de l’État de droit dans le contexte du Covid-19, la commission des affaires européennes du Sénat affirmait qu’elle considérait que les autorités nationales devraient s’abstenir de procéder à des modifications de la législation électorale pendant la pandémie.
Finalement, elle ne faisait que rappeler la tradition républicaine de ne pas changer le droit électoral dans l’année précédant un scrutin, tradition consacrée dans la loi du 2 décembre 2019, sur l’initiative d’Alain Richard.
Bien entendu, ce que la loi peut faire, elle peut aussi le défaire. En outre, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont le rôle en matière de contrôle et de supervision électorale est reconnu, considère que la stabilité du droit électoral est une condition de la bonne information des électeurs et du bon fonctionnement de l’administration, ces deux éléments étant des préalables indispensables à la sincérité d’un scrutin.
Aussi, faisons preuve de prudence, cette dernière étant d’autant plus nécessaire que la loi du 23 mars 2020, qui ne prévoit pas plus de trois mois entre les deux tours de scrutin de la même élection, pose des questions inédites en matière d’égalité et de sincérité du scrutin ; c’est d’ailleurs pourquoi, le 26 mai dernier, le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur l’ensemble de l’article 19 de cette loi.
Pour ces raisons, il n’est probablement pas raisonnable de procéder aujourd’hui, entre les deux tours d’un même scrutin, à des modifications du code électoral, même si celles-ci répondent à une préoccupation réelle.
Je reprends bien entendu à mon compte les observations sur un second tour de scrutin où il sera possible de voter, mais pas vraiment de faire campagne, en tout cas de manière traditionnelle ; il n’est qu’à lire le rapport du conseil scientifique ou qu’à entendre les craintes de nombre de nos compatriotes sur les risques sanitaires pris par les électeurs, mais aussi, et peut-être surtout, par tous ceux qui tiendront les bureaux de vote. L’abstention que cela pourrait provoquer est problématique.
Je comprends donc la démarche de plusieurs de nos collègues. Mais compte tenu des principes affirmés précédemment, modifier des règles en cours de route ne serait probablement pas convenable, surtout s’il s’agissait de mettre en œuvre un dispositif de vote par correspondance qui n’est plus utilisé depuis longtemps, qui ne participe plus de notre tradition républicaine et qui, lorsque nous l’utilisions, fut vecteur de nombreuses contestations, qui ont conduit à l’abandonner.
Enfin, alors qu’il est probable que cette proposition de loi ne puisse être adoptée avant le scrutin du 28 juin prochain, je crains qu’elle ne participe à brouiller la compréhension de ce scrutin et de ses règles par nos concitoyens, au lieu d’apporter une réponse réelle à l’enjeu majeur et essentiel de la participation.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, célébrant le rituel républicain du vote, Victor Hugo écrivait en 1850 : « Il y a dans l’année un jour où le plus imperceptible citoyen participe à la vie immense du pays tout entier, […] où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l’âme de la patrie ! »
Les jours d’élection demeurent le moment le plus emblématique de l’exercice de la citoyenneté. Ils s’accompagnent, au sein des bureaux de vote, d’un rituel formalisé, associé au matériel, familier à l’électeur : les bulletins, l’isoloir et l’urne transparente.
Plusieurs dispositions de la partie législative du code électoral ont constitué lors de leur adoption de véritables innovations. Elles tendaient à garantir la confiance que les citoyens placent dans les opérations électorales, condition de la légitimité des résultats du scrutin.
La Constitution elle-même veille sur ce pacte républicain. Le juge de l’élection s’assure de l’égalité des citoyens, du secret du vote et de la sincérité du scrutin. Lorsque la législation électorale est modifiée, le juge constitutionnel contrôle sa conformité à ces mêmes principes.
Le principe de secret du vote exige que l’électeur émette son suffrage hors de tout regard extérieur, condition de sa liberté. La suppression du vote par correspondance en 1975 et l’installation de machines à voter, d’abord mécaniques, puis électroniques, ou encore les essais de vote par internet ont élargi les possibilités, mais avec beaucoup de réserves.
Le rétablissement du vote par correspondance, objet d’un amendement déposé par le président Bruno Retailleau et largement cosigné, n’est-il pas en nouvelle odeur de sainteté ? En effet, le ministre de l’intérieur a affirmé que « l’objectif du Gouvernement [était] de faire “en sorte qu’un maximum de Français puissent voter”, dans “un cadre légal ou dans un cadre réglementaire qui peut évoluer d’ici au jour de l’élection” », laissant donc au Parlement la main, ainsi que la responsabilité des éventuelles difficultés de mise en place, inhérentes à des délais si brefs.
En 2014, j’ai présenté devant la commission des lois un rapport d’information sur le vote électronique. Cette modalité de vote est fortement réclamée, notamment, par un participant majeur de l’actuelle majorité, François Bayrou, au prétexte qu’elle est utilisée par telle ou telle association : « L’espèce de blocage de la France sur le vote numérique par internet me paraît une absurdité. »
Devant une telle insistance, ce texte me donne l’occasion de remettre les pendules à l’heure. Si les présentes élections revêtent une particularité sanitaire qui ne doit cependant pas empêcher la volonté et la possibilité de chacun de voter, il n’est pas possible de s’avancer sur le vote électronique sans en connaître les dangers.
Pour être précis, il existe deux formes de vote électronique : par des machines à voter et par internet. Je n’évoquerai que ce dernier, puisque c’est celui-ci qui pose problème.
Soucieux de dresser un état des lieux précis de son usage, nous avions pour l’élaboration de ce rapport d’information rencontré des spécialistes – informaticiens et juristes – et des usagers, et étudié les expériences étrangères. Ce document en exposait les mérites et les risques. Nous nous étions alors prononcés pour le maintien de la situation actuelle : poursuite du vote par internet seulement pour les Français établis à l’étranger, à l’occasion des élections législatives.
En effet, en matière de vote à distance, la sécurité est d’autant plus délicate à garantir que la puissance publique n’a aucune prise ou aucun moyen de contrôle sur le terminal qui sert à l’électeur pour voter. Celui-ci choisit librement le terminal de vote, le plus souvent un ordinateur personnel.
Or, comme le rappelle l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), les moyens pour parer à tous les risques informatiques sont hors de prix pour un simple particulier. Ce risque est d’autant plus fort que, selon les électeurs, les terminaux varient, de même que les logiciels et les navigateurs.
En matière de secret, l’absence d’un cadre formel comme le passage dans l’isoloir n’assure pas les conditions garantissant le caractère non public du vote. L’électeur peut voter devant son ordinateur sous le regard, donc sous la pression plus ou moins forte d’un tiers. Tel le cas des personnes frappées d’illectronisme, soit par l’âge, soit par manque de formation.
On m’a rapporté, je m’en souviens, des cas de fêtes dont l’objet était de réunir, autour d’un moment de convivialité, des électeurs pour voter par internet. Ce type de vote soulève bien des difficultés : des habituels problèmes techniques aux enjeux sociaux de la fracture numérique.
Certes, depuis ce rapport d’information, les techniques ont fortement évolué, celles du hacking aussi, en corolaire, quand elles ne se sont pas développées. Il n’est qu’à voir les élections américaines de la fin de l’année 2016 et la suspicion à l’égard de la Russie, accusée d’avoir mené des attaques et des interférences au cours de la campagne qui a précédé ce résultat.
Cette situation a amené le ministère de l’intérieur à exclure, au mois de mars 2017, le recours au vote électronique pour les citoyens français de l’étranger pour l’élection présidentielle française des mois d’avril et de mai 2017, ainsi que pour les élections législatives qui suivaient.
En effet, si, pour certains, « voter de chez soi, sans prendre de risque, […] augmenterait la participation », il est à craindre que cela n’accroisse, à due concurrence, si je puis dire, le risque d’attaque informatique. La pratique est intrinsèquement risquée tant sur le plan de l’identification de l’électeur que sur les recomptages a posteriori.
Enfin, selon le spécialiste du droit électoral Romain Rambaud, « on ne peut mettre en place » le vote électronique « un mois seulement avant le scrutin, en raison du principe de stabilité du droit électoral ».
Pour ce scrutin municipal de second tour, il n’est évidemment pas possible, comme certains l’ont réclamé haut et fort, de déployer un système sécurisé, facile d’utilisation et résilient, déjà perfectible pour un scrutin national. C’est inenvisageable pour près de 5 000 communes et 16,5 millions d’électeurs.
Malgré le temps réduit qui restera au Gouvernement pour organiser ce que le président de la commission a justement nommé le « service public des procurations », cette proposition de loi, outre qu’elle est simple et peut être largement acceptée, paraît juste et nécessaire. C’est pourquoi je la voterai. (M. Jean-François Husson applaudit.)