M. Cyril Pellevat. L’heure est grave pour les secteurs du tourisme et de la culture. Pas un jour ne passe sans que nous soyons sollicités par les professionnels.
La saison hivernale a été stoppée prématurément par l’épidémie, ce qui a déjà causé d’énormes pertes financières. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous travaillez avec Domaines skiables de France,…
M. Cyril Pellevat. … qui vous a adressé un courrier le 15 mai. Peut-être pourrez-vous nous apporter des éléments en la matière.
Si tout ce qui est en notre pouvoir n’est pas mis en œuvre pour aider ce secteur durant la saison estivale, ils seront nombreux à ne pas réussir à se relever. Nous irons alors tout droit vers une catastrophe économique et sociale.
Le secteur touristique représente, vous l’avez dit, près de 7,2 % du PIB. Il s’agit d’un véritable moteur pour l’économie française. S’il n’était pas soutenu, les secteurs qui y sont liés, tels que la restauration, l’agriculture, l’artisanat, les transports, la culture et le commerce seraient menacés. Dans un tel scénario, c’est une part bien plus grande du PIB qui serait en danger.
Mon département, la Haute-Savoie, est le deuxième département le plus touristique de France. En l’absence de mesures fortes pour aider le tourisme des quatre saisons – lacs et montagnes – à surmonter cette crise, c’est l’ensemble du système économique du département qui pourrait s’effondrer.
Les secteurs que je viens de citer sont intimement liés et interdépendants les uns des autres. L’absence de soutien à l’un entraînerait la faillite de l’autre. À quoi bon partir en vacances si aucune des activités habituellement disponibles en cette période n’est possible ? Je pense aux visites de musées, aux festivals, aux sorties au restaurant – beaucoup de restaurateurs nous indiquent que, suivant les mesures, ils ne sont pas près de rouvrir –, aux achats d’articles locaux. Comment partir en vacances si les sociétés de transport ne survivent pas ?
Si la mobilisation de près de 18 milliards d’euros par le Gouvernement pour soutenir le secteur touristique est plus que souhaitable, les secteurs qui y sont liés ne doivent absolument pas être oubliés. Il y va de leur survie. L’augmentation du plafond des tickets restaurant pour le secteur de la restauration est déjà un premier pas satisfaisant, mais quelles autres mesures seront prévues pour les secteurs liés au tourisme ?
La prolongation du chômage partiel et du fonds de solidarité n’est pas suffisante. Les entreprises de ces secteurs seront déjà victorieuses si elles réalisent ne serait-ce que 50 % de leur chiffre d’affaires habituel. Comment pourront-elles survivre dans ces conditions, tout en finançant la mise en place des mesures de sécurité ? Elles ont déjà engagé des sommes correspondant à quelques milliers d’euros pour assurer le respect des gestes barrières. Ces dépenses devront être renouvelées chaque mois jusqu’à la fin de l’épidémie. Cela n’est pas viable sur le long terme. Ne serait-il pas envisageable de prendre au moins en partie en charge les frais engagés pour la protection de leurs salariés et de leurs clients ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je retrouve à l’instant même le courrier de Domaines skiables de France.
Je vous sais très attaché au tourisme de montagne, monsieur le sénateur Pellevat. Chaque hiver, 10 milliards d’euros sont dépensés en station. Cette année, on évalue le manque à gagner à 1,5 milliard d’euros. Nous avons d’ailleurs repoussé la réforme de l’assurance chômage, afin que les saisonniers puissent jouir pleinement de leurs droits.
Je veux attester ici du fait que les téléphériques et remontées mécaniques sont bien dans la liste des secteurs concernés par les exonérations. J’évoquais tout à l’heure des feuilles de route sectorielles. Très clairement, la montagne est pleinement concernée. Nous avons besoin de développer un « tourisme des quatre saisons » – c’est Léonce Deprez, député du Pas-de-Calais, qui avait popularisé cette notion –, pour faire vivre les stations de basse et de moyenne montagne du 1er janvier au 31 décembre. Dieu sait qu’il y a à faire ! Ainsi, sur les réseaux sociaux, certains transports de neige ont-ils lancé des alertes.
Il convient donc d’accélérer les investissements. C’est tout l’enjeu de l’investissement de 1,3 milliard d’euros en fonds propres de la Banque des territoires et de la Caisse des dépôts et consignations. Il permettra d’épauler les collectivités et les acteurs de la montagne.
Dans cette crise, nous avons souhaité agir vite et fort. Je pense à l’activité partielle et au fonds de solidarité, qui pourra aider des entreprises jusqu’à 10 000 euros, alors que, pour les autres secteurs, le plafond a été fixé à 5 000 euros. Il s’agit d’éponger des loyers et d’autres charges fixes. Nous continuerons à être très vigilants s’agissant de l’évolution du secteur, afin d’ajuster les mesures en tant que de besoin, en fonction des retours du terrain. Tel était d’ailleurs l’objet de mon tour de France des régions, qui s’est arrêté hier en Auvergne-Rhône-Alpes, région chère à votre cœur.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je suis inquiet pour le secteur de la culture.
Le 13 avril, le Président de la République a annoncé la mise en œuvre de plans spécifiques de soutien de grande ampleur pour les secteurs durablement atteints. Je suis très heureux qu’un plan de 18 milliards d’euros ait été annoncé pour le tourisme, mais pourquoi n’y a-t-il rien pour la culture ? Pourtant, nous le savons, l’impact pour ce secteur est terrible. C’est un chaos sur le plan économique et ce sera un chaos sur le plan social.
Un moment aussi long pendant lequel la création aura été rendue impossible, c’est un manque pour l’ensemble de notre société, pour la liberté, pour la fraternité et, tout simplement, pour la démocratie. Ne pas prendre la mesure de cela, c’est grave !
Je suis content que tous les secteurs économiques bénéficient de milliards d’euros. Mais combien de milliards pour la culture ? Même si j’essaie de parler à la conscience, je sais que Bercy n’entend que les chiffres. Alors, oui, disons-le, ce secteur a aussi une importance économique : il représente 3,5 % du PIB !
Pour donner confiance, pour donner un élan, le Gouvernement doit prendre en considération ce secteur, qui est également essentiel à la restauration, à l’hôtellerie, au tourisme. Que deviendraient ces secteurs s’il n’y avait plus de patrimoine, de musées, de création, de spectacles, de festivals ?
Monsieur le secrétaire d’État, je vous le demande : combien pour la culture ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Lorsqu’il s’est exprimé le 13 avril devant les Français, le Président de la République a bien cité, au côté du tourisme, la culture et l’événementiel. C’est d’ailleurs à ce titre que le secteur de la culture bénéficie de mesures d’exonération, auxquelles le tourisme est également éligible. Figurent bel et bien dans la liste les arts du spectacle vivant, les activités de soutien aux spectacles vivants, la création artistique relevant des arts plastiques, la gestion de salles de spectacle, la gestion des musées, la production de films, les activités photographiques, l’enseignement culturel.
Le chef de l’État a reçu les représentants de ces deux grands secteurs d’activité : ceux du tourisme le 24 avril, ceux de la culture la semaine suivante. Il a ensuite annoncé un certain nombre de dispositifs tels que le maintien de droits pour celles et ceux qui contribuent fortement à la création, à savoir tous les intermittents du spectacle, jusqu’en 2021, considérant que 2020 pourrait être une sorte d’année blanche. Il y a donc non seulement une prise de conscience, mais aussi des mots et des actions forts.
Avec Franck Riester, nous avons fait un déplacement commun la semaine dernière dans le Loiret, où nous avons pu le constater : culture et tourisme sont fortement imbriqués. Il n’y a pas de tourisme sans culture, comme il n’y a pas de culture sans tourisme. Car donner à voir, c’est donner à voir l’excellence française à un public européen et mondial.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Je me félicite des annonces du Président de la République sur les intermittents. Cependant, une précision doit être apportée : s’agit-il uniquement de la prolongation de leur rémunération ou de l’ensemble de leurs droits ? Il faudra également transposer la directive européenne sur les droits d’auteur.
J’espère que ce saupoudrage de petites mesures ne constitue pas l’unique réponse du Gouvernement. La culture attend un plan d’ensemble de relance, équivalent à celui du tourisme, peut-être pas en valeur absolue, mais tout aussi massif, de façon à ce que ce secteur essentiel soit réellement pris en compte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour sa première intervention dans l’hémicycle. (Applaudissements.)
Mme Guylène Pantel. Je tiens tout d’abord à remercier mes collègues pour l’organisation de ce débat. Il nous permet de réfléchir à la sortie de crise et aux modèles de développement que nous souhaitons privilégier dans les mois et années à venir.
Mes questions cibleront principalement le tourisme dans les zones rurales et hyper-rurales.
Dans mon département, en Lozère, nous avons la chance de bénéficier de deux parcs exceptionnels : le parc national des Cévennes, qui appartient au patrimoine mondial de l’Unesco, et le parc naturel régional de l’Aubrac, plus récent, où se pratique un agropastoralisme fort.
Ces parcs offrent, dans l’imaginaire collectif, une carte postale d’un temps presque oublié. Pourtant, tout cela ne s’est pas fait tout seul. À la fin des années 1960, le sous-préfet de Florac, M. Mazerot, avait proposé aux éleveurs des Cévennes des conventions, appelées « contrats Mazerot », qui permettaient de rémunérer les éleveurs et les agriculteurs pour des tâches d’entretien de l’environnement, qu’il s’agisse de murets, de terrasses ou de canaux d’irrigation.
Monsieur le secrétaire d’État, ces zones naturelles ont aujourd’hui besoin d’aide pour opérer un saut qualitatif important pour les infrastructures d’accueil de touristes. Cet été, les établissements tels que les hôtels, les campings ou les gîtes chercheront à fidéliser une clientèle nouvelle. Un soutien des investissements permettant leur rénovation sera donc indispensable. Compte tenu de leur implantation dans des zones naturelles remarquables, il est évident que ces travaux doivent leur permettre de se conformer aux exigences du tourisme durable et résilient. C’est pourquoi je souhaiterais savoir si le Gouvernement prévoit de travailler à des conventions du type « contrats Mazerot », pour relancer les investissements dans le tourisme vert, particulièrement dans les parcs nationaux et régionaux.
Enfin, avec la perspective d’un tourisme exclusivement national, voire européen si les conditions sanitaires le permettent, des travaux d’adaptation ainsi que le recrutement de nouveaux saisonniers seront nécessaires dans ces parcs, ce qui pourrait entraîner des dépenses non prévues au budget 2020. Le Gouvernement entend-il mettre en place des aides à cet effet ? Pour accompagner ces investissements, une convention entre l’État et la Fédération des parcs naturels régionaux ou les régions de France pourrait-elle être signée ? (MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Le tourisme durable ne doit pas être une niche. Il doit véritablement innerver l’ensemble de la politique touristique. Nous assistons d’ailleurs à une prise de conscience en la matière. Voilà quelques mois, la tendance était de prendre des avions toujours plus gros pour aller toujours plus loin et être toujours plus nombreux au même endroit. Cette année sera peut-être celle de la redécouverte des chemins noirs empruntés par Sylvain Tesson, lequel, me semble-t-il, a tutoyé les Cévennes avant de remonter vers le Cotentin.
Nous sommes fermement déterminés à accompagner les acteurs des territoires ruraux. La Banque des territoires a prévu plusieurs poches de financement, en direction des petits acteurs et des acteurs du tourisme social. En effet, un certain nombre d’infrastructures méritent parfois d’être rénovées. En outre, nous avons prévu 500 millions d’euros pour le très long terme, ce qui permet d’envisager des investissements de vingt à trente-cinq ans. Les moyens ont donc été mis sur la table.
Pour ma part, je ne demande qu’à travailler, dans le cadre des feuilles de route sectorielles, avec les acteurs des parcs nationaux et régionaux, de manière à adapter nos outils aux situations particulières que vous évoquez, madame la sénatrice Pantel. Je vais me plonger dans les contrats Mazerot, pour en saisir toutes les subtilités.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de votre enthousiasme, que nous partageons. (M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. J’aimerais en premier lieu saluer l’annonce la semaine dernière du lancement du plan Tourisme. Son ampleur absolument inédite témoigne de l’immarcescible volonté qui anime le Gouvernement de faire face aux conséquences de la crise sanitaire.
Cela étant dit, les perspectives estivales touristiques, ce sont aussi, vous le savez, les quelque 1 200 musées français qui accueillent toute l’année nos concitoyens et les touristes étrangers. Ces musées, qui font le prestige de la France, fonctionnent grâce aux femmes et aux hommes qui y travaillent. Parmi eux se trouvent les guides-conférenciers, aujourd’hui touchés de plein fouet par la crise. Ils sont près de 10 000 à rendre les œuvres accessibles au public. Par leur truchement, c’est bien la divulgation des œuvres et l’exception culturelle française qui se réalisent.
Reste que les guides-conférenciers sont une population très précaire. En 2019, la succession des mouvements sociaux les a déjà fragilisés en rendant difficile l’accès aux musées. Aujourd’hui, toutes leurs commandes sont annulées. Toutes les salles de conférence et la plupart des musées et sites touristiques sont fermés. Les guides-conférenciers se trouvent, de fait, dans l’impossibilité de télétravailler et sans accès à leur lieu de travail.
Si nombre d’entre eux ont le statut de travailleur indépendant et sont donc éligibles au fonds de solidarité, 36 % sont salariés. Ceux qui sont en contrat court, en fin de mission ou en fin de droits ne peuvent toucher ni le chômage partiel ni les 1 500 euros d’aide aux indépendants. Monsieur le secrétaire d’État, qu’est-il prévu pour ces salariés non couverts ?
Par ailleurs, l’annonce anticipée de la réouverture des petits musées est tout à fait opportune ; celle des grands musées, à partir du 15 juillet, l’est également. Néanmoins, les groupes de visiteurs, dont l’activité des guides-conférenciers dépend entièrement, seront-ils autorisés dans les musées à partir du 15 juillet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie, monsieur le sénateur Gattolin, d’avoir évoqué la situation difficile des guides-conférenciers. Voilà quelques jours, Line Renaud disait d’eux : « ils sont la voix de nos monuments ». La découverte d’un lieu n’est en effet pas la même selon que l’on se fie à un guide-conférencier ou que l’on consulte quelques éléments sur son téléphone portable. Il y a là une véritable incarnation.
Leur détresse est aussi, parfois, la résultante de statuts très précaires. Si 36 % des guides-conférenciers sont salariés, ils sont souvent multisalariés, en contrats courts ou payés à la mission. Nous avons fait en sorte de décaler la réforme de l’assurance chômage, pour que les saisonniers et toutes les personnes en situation précaire soient impactés le moins possible. Toutefois, il peut rester des angles morts.
Comme nous ne souhaitons pas que ces guides-conférenciers meurent, j’ai souhaité, avec Muriel Pénicaud, que le CIT acte le principe d’un travail sur le traitement des situations particulières des guides-conférenciers salariés privés d’emploi du fait de la crise sanitaire. Nous sommes donc engagés dans ce travail.
Par ailleurs, ceux qui sont indépendants peuvent prétendre au fonds de solidarité nationale, avec un premier étage à 1 500 euros et un deuxième étage jusqu’à 10 000 euros, afin de répondre aux situations les plus critiques. Dans certains cas, ils peuvent être éligibles à un PGE, un prêt garanti par l’État.
Au demeurant, la réouverture progressive des sites et des monuments sera la vraie réponse. Encore faut-il que la clientèle puisse revenir : cela sera l’un des enjeux, demain, de la réunion des ministres du tourisme de l’Union européenne. Il convient de nous coordonner pour ce qui concerne les frontières et de faire en sorte que la clientèle puisse, si la situation sanitaire le permet, revenir et redonner du baume au cœur aux guides-conférenciers.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. « Quand le Bon Dieu en vient à douter du monde, il se rappelle qu’il a créé la Provence », disait le poète provençal Frédéric Mistral, tant et si bien que tout le monde veut désormais visiter notre belle région, ce que je comprends.
Le tourisme en PACA, c’est 10 % du PIB, 10 % de l’emploi, 20 milliards d’euros de recettes et 30 millions de visiteurs. Ce n’est pas un secteur important pour l’emploi et l’économie de Provence, c’est vital ! Aujourd’hui, il est en danger de mort : 80 % du personnel hôtelier est en chômage partiel, et ce secteur évalue déjà sa perte de chiffre d’affaires à 40 %.
Ces dernières semaines, nos esprits sont restés confinés entre les murs de vos informations contradictoires. On ne suit plus votre logique ; il y a des lieux fermés, comme les supermarchés, qui sont ouverts au public, et des lieux ouverts, comme les forêts, les montagnes et les plages, qui sont fermés au public. Si j’étais taquin ou éclairé, je pourrais en conclure que les hauts lieux du consumérisme, grands pourvoyeurs de TVA, peuvent ouvrir leurs portes, tandis que les lieux de liberté et de ressourcement, où l’on pratique des activités non lucratives, doivent rester fermés.
Le message est clair : le si bien nommé supermarché a la priorité sur le petit restaurateur de quartier. Envolées déjà les promesses d’un « monde d’après », les intérêts du marché mondialisé priment encore et toujours sur l’économie réelle.
Maintenant que s’approche la période estivale, il faut entendre les deux besoins qui pressent. Tout d’abord, il convient de rendre la liberté d’aller et venir, de s’épanouir, quels que soient les lieux, afin que chacun reprenne possession des chemins, des bars, des restaurants et des rues. Ensuite, il est nécessaire de rendre la liberté d’entreprendre, de travailler, de recevoir ses clients et de remplir les carnets de commandes.
Il faut de toute urgence annuler les charges sociales et fiscales des entreprises de la filière touristique, qui ont perdu 70 % de leur chiffre d’affaires. L’État doit encourager les maires à étendre les terrasses sur le domaine public sans coût supplémentaire.
Le tourisme n’est pas qu’une industrie. C’est le miroir dans lequel les Français admirent notre pays et qui fait rêver quelques milliards de personnes à travers le monde. La France brille d’un éclat sans pareil, ne le laissez pas s’éteindre !
Comme le personnel soignant, les professionnels du tourisme demandent non pas une médaille, mais un soutien sans faille d’un État enfin devenu stratège et protecteur. Êtes-vous prêt, monsieur le secrétaire d’État, à le leur accorder ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous convoquez les mânes de Frédéric Mistral, ce qui me fait penser au Félibrige : c’est là une tradition de langue d’oc qui fait honneur à notre grand pays.
Vous le savez, au sein de la profession des restaurateurs, un débat s’est engagé : certains souhaitent rouvrir très vite, tandis que d’autres estiment qu’il faut prendre le temps de réunir toutes les conditions de réassurance sanitaire, afin de que la clientèle soit au rendez-vous.
Nous avons mis le paquet en termes d’aides pour soutenir ces acteurs. Le restaurant qui fait vivre un village est souvent le dernier commerce où la lumière s’éteint. C’est l’exemple qui a été pris lorsque j’étais en Haute-Marne, pour rouvrir – heureuse nouvelle ! – l’un des premiers Logis de France. Nous avons ainsi prévu une exonération de charges de mars à juin, un crédit sur ces charges fiscales, qui permet de redonner de la trésorerie pour faire face aux nouvelles charges. Nous avons également mis en place l’activité partielle, qui n’est ni plus ni moins que la nationalisation des salaires pour préserver les talents, les emplois, les compétences et les savoir-faire. Ce secteur rencontre en effet souvent des problèmes de recrutement. Il est donc important de fidéliser le personnel. De ce point de vue, nous n’avons pas mégoté.
Rendez-vous à la fin du mois de mai. Si l’évolution épidémique poursuit sa décrue, il y aura une perspective de réouverture, dans les départements verts, des cafés, des restaurants et de tous ces lieux de convivialité. Je le répète, nous sommes à leurs côtés. Ils souffrent, mais nous ne les laisserons pas tomber.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cela a été dit, l’impact de la crise sanitaire sur les secteurs touristique et culturel est terrible, sans précédent, non seulement pour les entreprises et les associations, mais également pour de nombreuses collectivités territoriales. Je pense en particulier aux communes touristiques.
Le comité interministériel du tourisme n’a pas véritablement apporté de réponse précise aux pertes de recettes liées aux pertes d’exploitation. Je pense notamment aux campings des communes du littoral normand, ce qui ne surprendra personne. (Sourires.) Je pense aussi aux stations de ski encore exploitées en régie publique, qui ne peuvent pas bénéficier de prêts garantis par l’État, à la différence des stations privées.
Il n’y a pas eu davantage de réponse sur la question des taxes : la taxe de séjour, la CFE, les taxes liées au jeu… Les pertes en la matière sont d’ores et déjà importantes compte tenu de l’arrêt de l’activité.
Vous proposez aux collectivités d’exonérer de ces taxes les acteurs touristiques. Cela constituerait à mon avis une double peine pour elles, aucune compensation, ou presque, n’étant prévue à ce jour. Pourtant, cela a été souligné de manière très juste par la commission des finances du Sénat, les communes touristiques sont aujourd’hui les plus fragilisées de toutes nos collectivités. Il convient de prendre en compte cet aspect. En effet, pour relancer l’activité touristique, qui sera d’abord de proximité dans les prochaines semaines et les prochains mois, nous devrons nous appuyer sur elles.
Je pourrais développer les mêmes arguments pour ce qui concerne le secteur culturel. Selon moi, l’État doit proposer des mesures très concrètes, du « sonnant et trébuchant », pour venir en aide à ces communes.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Brulin, ma réponse prendra plusieurs formes.
La Banque des territoires pourra venir en soutien d’un certain nombre de communes touristiques. J’ai en tête le cas de la commune de Laruns, qui m’a été signalé : elle exploite en montagne un petit train, qui génère des recettes, lesquelles permettent d’amorcer la saison de montagne. Il est donc nécessaire d’être aux côtés de ces collectivités. La somme de 1,3 milliard d’euros mise sur la table par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque des territoires constituera une aide précieuse. Vous parliez de « sonnant et trébuchant » : en voilà !
Par ailleurs, je viens d’en discuter avec des élus des communes touristiques, le budget de fonctionnement pourrait être impacté de 10 % à 15 %. Une mission travaille sur ce sujet. Nous attendons les premières données pour la fin du mois de mai. Nous en avons besoin pour apporter des réponses.
S’agissant de la faculté laissée aux collectivités de dégrever les deux tiers de la CFE, l’État propose de prendre en charge la moitié de la perte de la recette. C’est un geste fort, qui montre que nous sommes aux côtés des collectivités qui voudraient utiliser ce levier.
Quoi qu’il en soit, la spécificité des communes touristiques doit être prise en compte, notamment dans le cadre des feuilles de route territoriales. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le travail se poursuive au-delà du CIT, avec un point d’étape au mois de juillet et une fin des travaux à l’automne. En effet, dans certains territoires, le tourisme représente 20 % à 40 % de l’économie et impacte donc fortement les recettes communales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Je veux croire que des choses seront proposées dans les prochaines semaines.
J’insiste sur le caractère urgent et important de cette question. Vous avez d’ailleurs donné des chiffres qui montrent ce que cela peut représenter financièrement.
Les mécanismes de la DGF ou de la péréquation ne sont pas toujours très favorables aux communes touristiques,…
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
Mme Céline Brulin. … dont les équipements sont forcément dimensionnés à l’échelle du nombre de personnes qu’elles accueillent. Leur situation est donc compliquée, ce qui rend la période que nous traversons très difficile pour elles. Nous devons y être attentifs. (MM. Loïc Hervé et Pierre Ouzoulias applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Les maires ont joué un rôle exceptionnel dans la gestion de la crise sanitaire. Ils doivent et veulent jouer un rôle essentiel dans le redémarrage de notre économie, notamment touristique.
Pour que notre saison d’été soit la meilleure possible, de nombreux espaces publics ou privés vont devoir s’adapter, afin de tenir compte de la distanciation sociale. Oui, notre société devra « vivre durablement avec le virus » ! Il est donc urgent de nous y préparer.
Au-delà du coût pour les acteurs publics ou privés se pose inéluctablement la question de l’application des procédures et des délais, qui sont, en soi, totalement incompatibles avec la notion d’urgence économique. Dans le respect des règles de l’urbanisme et des principes qui les régissent, les maires seront certainement saisis de demandes qui devront être instruites avec rapidité et avec un sens aigu de l’adaptation.
Vous ne serez pas surpris d’entendre ce rappel, venant du Haut-Savoyard que je suis : à la saison d’été succédera très vite la saison d’hiver. C’est dès aujourd’hui, bien sûr, que cette préparation doit se faire.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est triple. Par la voie des ordonnances ou de la loi, comme par la voie réglementaire, quelles règles, quels délais envisagez-vous d’adapter ? Quelles prérogatives spécifiques entendez-vous donner aux maires pour en faire les acteurs centraux du redémarrage de notre économie touristique ? Enfin, quelles instructions entendez-vous donner aux DDT, aux Dreal et aux autres administrations déconcentrées de l’État pour faciliter les démarches des professionnels et des collectivités ?