M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dirai quelques mots pour relever nos accords et désaccords, que nous avons identifiés depuis le début de cette discussion générale.
Nous sommes évidemment d’accord sur le fait qu’il est intolérable d’écouter et de lire sur les réseaux sociaux tant de propos qui sont souvent assimilables à des infractions pénales. Il est certain que l’on s’échange via des claviers des phrases que l’on ne serait pas capable de s’adresser en tête à tête, en face à face.
Mais nous avons aussi entendu les points de désaccord. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez assumé d’être en désaccord avec le Sénat. Nous aussi assumons d’être en désaccord avec le Gouvernement, notamment lorsqu’un ministre déclare, comme l’a rappelé Mme la présidente Morin-Desailly, que si la Chine se défend si bien, c’est parce que ses réseaux sociaux ne sont pas ouverts !
Notre désaccord porte sur la liberté d’expression et le risque de sur-censure qui est contenu dans ce texte, ainsi que l’a d’ores et déjà expliqué le rapporteur, Christophe-André Frassa. Je ne reviendrai pas sur ce point, car je l’avais déjà longuement évoqué lors de la discussion générale il y a deux mois.
J’avais alors exposé comment ce risque de sur-censure était accentué par le fait que la plupart des plateformes et des opérateurs étaient étrangers – américains, pourquoi ne pas le dire ? – et qu’ils développaient une vision de la censure et de la liberté d’expression très éloignée de la nôtre. Je m’inquiétais ainsi que certains opérateurs ne supportent pas de voir une œuvre d’art représentant un nu, de sorte qu’ils la censurent, ce qui laisse augurer l’application d’une possible censure générale par ces acteurs.
L’article de presse que j’ai lu ce week-end m’a inquiétée encore davantage. Le sujet en était les altercations opposant Jean Messiha, cadre du Rassemblement national d’origine égyptienne, et Yassine Belattar, humoriste que vous connaissez peut-être et qui est surtout connu pour avoir été nommé au Conseil présidentiel des villes par le Président de la République, celui-ci estimant que ces questions ne peuvent pas se régler entre « mâles blancs ».
M. Belattar a pour coutume, était-il écrit dans l’article, d’attaquer régulièrement M. Messiha sur ses origines en disant que celles-ci se lisent sur son visage, ajoutant même qu’il a une « tête de bougnoule », et de le traiter très régulièrement de « chameau », ce qui est assez désagréable. C’est de cette façon qu’il l’a encore traité très récemment dans un tweet – car nous parlons là de réseaux sociaux…
L’auteur de l’article faisait le parallèle entre ce que subit M. Messiha et ce qui était arrivé à Mme Christiane Taubira lorsqu’elle avait été traitée de « singe ». Cette insulte qui avait ému la totalité de la classe politique française était en effet – il faut le dire ! – totalement indigne.
Le parallèle entre ces deux situations m’a semblé de bon sens et il a dû paraître tel, également, à M. Messiha puisqu’il a immédiatement tweeté un message – on ne fait plus que cela, de nos jours ! – à M. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, lui demandant de le soutenir en raison du caractère inadmissible de ces propos. Or M. Sopo lui a répondu qu’il était en effet odieux de le comparer à un chameau parce que c’était infamant… pour les chameaux. Ce tweet, nous dit l’article, a été « liké » par Mme Laetitia Avia,…
M. François Bonhomme. Félicitations !
Mme Muriel Jourda. … laquelle est l’auteur de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui !
J’avoue que cela m’a rendu perplexe, car je pensais qu’il était raciste de comparer quelqu’un à un chameau en raison de ses origines. Or je découvre qu’une parlementaire qui est en pointe en matière de lutte contre les contenus haineux, et donc racistes, estime que tel n’est pas le cas !
Mes chers collègues, je vous avais fait part de mes craintes de voir la censure confiée à des pays étrangers qui n’ont pas la même sensibilité que nous sur ce sujet. Ces craintes sont redoublées lorsque je constate que deux parlementaires françaises peuvent avoir des désaccords sur cette question…
Il serait sage de ne pas adopter l’article 1er de la proposition de loi qui nous est présentée. Nous devons insister sur le fait que ces problèmes doivent se traiter, dans un pays de droit comme la France, devant la justice, mais pas comme on nous le propose.
Je veux également insister sur un aspect de ce texte qui a été peu relevé et qui me semble pourtant majeur.
Selon moi, la meilleure façon de lutter contre ce type de propos et de comportements est l’éducation, sur laquelle nous devons travailler encore et encore parce qu’elle est la mère de toutes les politiques. Nous devons donc nous garder de nous égarer dans des dispositions qui n’auront pas d’effet et qui sont d’ailleurs, comme l’a rappelé Christophe-André Frassa, fortement critiquées par divers acteurs sensibles à la liberté d’expression.
Rappelons-nous que nous devons surtout à notre jeunesse l’éducation, afin qu’elle n’utilise pas les réseaux sociaux ainsi qu’elle le fait actuellement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Au Sénat, monsieur le secrétaire d’État chargé du numérique, nous légiférons en général non pas pour nous faire plaisir ou nous donner bonne conscience, mais pour essayer d’apporter des solutions sérieuses, efficaces, respectueuses de la Constitution et conformes à nos engagements européens, à des problèmes réels bien observés et sérieusement analysés. C’est pourquoi nous avons certainement un temps de retard sur les nouvelles générations politiques, qui semblent avoir fait de la communication l’alpha et l’oméga de l’action publique.
Chacun d’entre nous, monsieur le secrétaire d’État chargé du numérique, a jugé à sa juste valeur votre propos introductif. Nous avons mesuré son élégance, apprécié son esprit de nuance, constaté le sens de la mesure qui l’a inspiré. Nous avons également relevé votre très grand souci d’objectivité et le respect que vous avez exprimé pour le travail de notre assemblée. Mais je veux vous dire que nous ne pouvons pas faire de bonnes lois avec des vœux pieux et des formules juridiques approximatives, qui n’ont aucune chance de modifier en quoi que ce soit les pratiques.
Vous avez cru judicieux de citer l’affaire Griveaux. Ce n’est pas nous qui en parlons, car c’est hors de propos !
M. Pierre Ouzoulias. Exact !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cette prétendue affaire Griveaux, quelle est-elle ? Il s’agit de la divulgation sur les réseaux sociaux d’une vidéo portant atteinte à la vie privée de son auteur, et sur laquelle je ne porterai aucune appréciation. Cela n’a rien à voir avec le traitement de la haine sur internet !
Le président du Sénat a heureusement réagi, au nom de notre assemblée, en disant qu’il fallait réguler les « torrents de boue » qui se déversent sur internet. Il serait peut-être temps, en effet, que le Gouvernement s’en occupe réellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’ajoute que s’il y a une leçon à tirer de cet épisode tout à fait regrettable, c’est bien qu’il ne faut pas attendre vingt-quatre heures lorsque les droits d’une personne sont lésés au degré où elles l’ont été dans cette affaire. Car il n’a fallu que quelques heures à plus de 4 millions d’abonnés aux réseaux sociaux pour visionner cette vidéo scabreuse !
Monsieur le secrétaire d’État, si nous transposons ce que je viens d’évoquer à la régulation des contenus haineux sur internet, vous voyez combien il est inepte de vouloir poser la règle des vingt-quatre heures, laquelle s’applique, dans certains cas, quand le mal est déjà fait. Cela incitera les plateformes à prendre des précautions en censurant des expressions qui s’avéreraient finalement ne pas avoir de contenu réellement haineux.
Voilà la raison fondamentale pour laquelle vous vous êtes orienté, faisant suite, il est vrai, à la proposition de loi déposée par une parlementaire de votre majorité, vers une fausse solution, une fausse sécurité pour les victimes de propos haineux.
Cette solution se révélera dans quelques mois, si ce texte est adopté – et il le sera puisque vous ne voulez pas saisir la main que nous vous tendons pour l’améliorer –, être un coup d’épée dans l’eau qui va provoquer, de façon encore plus forte, une attente que vous n’aurez pas réussi à satisfaire.
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pourtant, la loi pour une République numérique adoptée par la précédente majorité comporte une disposition imposant aux plateformes de retirer promptement tout contenu haineux et de hiérarchiser les priorités pour opérer ces retraits. Or le gouvernement auquel vous appartenez a attendu la semaine dernière, au travers d’une initiative – enfin ! – de la garde des sceaux, pour donner des instructions aux parquets afin qu’ils appliquent ce texte, qui ne l’a pas été jusqu’à présent, alors même que vous étiez aux affaires.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Catherine Deroche. Bravo !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est avec une certaine colère que je constate la persévérance dans l’erreur de ce gouvernement, alors que le Sénat ne demandait pas mieux que de l’aider à mettre en place un dispositif constitutionnel, conforme au droit européen et efficace ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet
Chapitre Ier
Simplification des dispositifs de notification de contenus haineux en ligne
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Assouline, Mme de la Gontrie, MM. Montaugé, Durain, Kanner, Jacques Bigot et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour et Antiste, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable, Mmes Monier, S. Robert et Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi ne s’applique pas à la presse, au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Nous avions déjà déposé un amendement similaire lors de la première lecture. Il s’agit de préciser que la proposition de loi dont nous débattons, principalement le dispositif de l’article 1er, ne s’appliquera pas à la presse, dont le régime juridique des publications est fixé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et étendu aux publications audiovisuelles et en ligne.
Une véritable ambiguïté subsiste sur le champ d’application du texte dont nous débattons, et nous préférons qu’elle soit expressément levée.
Il serait invraisemblable que la responsabilité juridique des éditeurs de presse, voire des journalistes, puisse éventuellement être retenue sur la base des dispositions applicables aux opérateurs de plateformes, et qu’ils soient tenus à de nouvelles obligations et passibles de nouveaux types de sanctions.
Je rappelle que la responsabilité juridique des éditeurs de presse quant aux contenus qu’ils publient est déjà engagée par la loi du 29 juillet 1881, dans ses articles 23, 24 et 24 bis, qui soumet à sanction les cas de publication de propos injurieux, diffamatoires, d’incitation à la haine ou à la discrimination de toute sorte.
Les textes d’application de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi Hadopi, ont en outre prévu l’obligation pour un service de presse en ligne de préciser, lors de son agrémentation, certaines mentions permettant l’identification d’un directeur de publication pénalement responsable.
Enfin, les éditeurs de presse en ligne sont déjà responsables de la modération des commentaires en ligne.
Les lois restreignant actuellement la liberté d’expression et celle de la presse – liberté pourtant érigée en principe à valeur constitutionnelle – sont dans l’air du temps.
Nous avons déjà alerté il y a un an, lors des débats préalables à son adoption, sur les dommages collatéraux pour la presse que pourrait contenir la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
Les conditions d’exercice de la presse sont de plus en plus précaires et difficiles, tant financièrement parlant qu’en termes de conditions de travail, ou encore sur le plan déontologique. La période est à la censure accrue, qui menace d’induire une autocensure.
N’aggravons ni les conditions d’exercice des journalistes ni celles des éditeurs de presse. La liberté d’expression et celle de la presse constituent l’un des principaux fondements de la démocratie. Aussi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter notre amendement, qui garantira à la presse de continuer d’informer dans un régime de responsabilité ad hoc respectueux de la liberté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous reprenons un débat sur un sujet qui pourtant était clair, et ce grâce à la confusion dans laquelle nous a jetés la garde des sceaux lors de la première lecture du fait du caractère confus de son propos, de son embrouillamini, de son incapacité à rendre clair quelque chose qui, encore une fois, l’était…
L’amendement présenté par M. Durain a pour objet d’exclure la presse du champ d’application de la présente proposition de loi. Je le redis, nous avions évoqué ce sujet en première lecture, et nous nous souvenons tous que la réponse de la garde des sceaux nous avait plongés dans une certaine perplexité, pour dire le moins.
Il s’agit manifestement, et c’est ainsi que je l’entends, monsieur Durain, d’un amendement d’appel, qui devrait cette fois-ci, puisque la garde des sceaux n’est pas là – fort heureusement ! (Sourires.) –, donner au Gouvernement l’occasion de corriger le tir et de rassurer les éditeurs de presse en ligne.
Pour ma part, j’avais donné une explication qui avait satisfait tout le monde jusqu’à ce que la garde des sceaux prenne la parole…
Sur le fond, et je reprends mon rôle de rapporteur, la réponse n’a toujours pas changé : cet amendement n’est, à mon sens, pas réellement utile et pas opérant juridiquement. Je vais m’en expliquer, peut-être pour la dernière fois, en tout cas je l’espère.
D’abord, n’oublions pas que le régime de responsabilité des éditeurs n’est absolument pas modifié par la présente proposition de loi. En effet, ce texte ne concernera que les hébergeurs, et uniquement les plus grands d’entre eux, ceux qui dépassent un seuil de connexion.
Les contenus publiés en ligne par les entreprises de presse qui ont juridiquement le statut d’éditeur n’étant pas visés par ce texte, leur exclusion me semble donc inutile.
Du reste, la rédaction de cet amendement ne me paraît pas opérante juridiquement, pour deux raisons.
La LCEN recourt non pas à la notion de presse à proprement parler, mais aux termes plus précis d’éditeur et d’hébergeur, définis par la loi et, surtout, par la jurisprudence. L’exclusion générale que vise à instaurer le présent amendement se fonde sur la finalité économique de l’activité poursuivie – la presse – et non sur la nature technique de la prestation – hébergeur, éditeur. Cette disposition poserait probablement des problèmes d’égalité devant la loi.
D’autre part, il peut arriver que des entreprises de presse soient aussi responsables, comme hébergeurs, d’une partie accessoire de leur activité, si elles ont des forums de lecteurs ou ouvrent des zones de commentaires en ligne. On ne peut donc pas les exclure de façon aussi générale de l’application de la loi.
Dans ces conditions, monsieur Durain, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, la commission émettra, en attendant des explications enfin claires du Gouvernement, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Nous touchons là un sujet très important.
Il y a effectivement eu, en première lecture, une petite confusion qui n’a pas lieu d’être.
Je me rangerai évidemment à l’avis du rapporteur, et je m’en expliquerai avec des mots extrêmement simples : cette proposition de loi ne modifie absolument rien en matière de licéité ou d’illicéité des contenus journalistiques issus d’organes de presse ; monsieur le sénateur, votre amendement est donc superfétatoire. En outre, il pose un petit problème de consistance, que le rapporteur a indiqué.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Ce débat est intéressant.
Je veux profiter de ma prise de parole pour réagir aux propos de M. Malhuret sur la loi sur la liberté de la presse. Si je l’ai bien compris, il nous suggère finalement d’appliquer la loi de 1881 à l’internet et aux hébergeurs, considérant que cela représenterait une solution permettant à ces hébergeurs de trouver un équilibre entre la liberté d’expression et l’interdiction, conformément à cette loi, de diffuser des éléments diffamatoires.
Sur le fond, ce qui est en jeu, c’est le statut réel des plateformes. S’agit-il encore d’hébergeurs, c’est-à-dire de plateformes neutres qui mettent en relation des lecteurs – plutôt des voyeurs, en ce moment… – avec un contenu ?
Nous le savons tous, ces plateformes ne sont absolument plus dans une situation de neutralité. Au travers d’algorithmes et de dispositions automatiques fort complexes, dont nous ignorons tout, elles donnent parfois une diffusion accrue à des propos qui, en générant du flux, renforcent leur situation économique.
Votre gouvernement devrait donc faire quelque chose d’essentiel, monsieur le secrétaire d’État : vérifier si les plateformes obéissent toujours au principe des textes européens, à savoir la neutralité de l’hébergeur. Je ne pense pas du tout que tel soit le cas.
M. le président. Monsieur Durain, l’amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Jérôme Durain. Oui, monsieur le président.
C’est toujours plus facile quand le Gouvernement, par l’intermédiaire des ministres qui se succèdent au banc, s’exprime d’une seule voix et émet un seul avis… On a encore pu l’observer hier, à propos d’un sujet qui me concernait tout particulièrement : l’atterrissage intempestif d’aéronefs sur le mont Blanc. Emmanuelle Wargon avait soutenu mon idée voilà quelques semaines, mais, hier, la garde des sceaux ne l’a pas trouvée bonne.
La cohérence gouvernementale est toujours utile, mais peut-être que, pour le Gouvernement lui-même, les textes arrivent trop vite dans l’hémicycle de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – (Supprimé)
II. – Après l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :
« Art. 6-2. – I. – Aux fins de lutter contre la diffusion en ligne des infractions mentionnées au troisième alinéa du 7 de l’article 6 de la présente loi et au regard de l’intérêt général attaché au respect de la dignité humaine, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics et dont l’activité sur le territoire français dépasse un ou plusieurs seuils déterminés par décret en Conseil d’État sont tenus d’accomplir les diligences et de mettre en œuvre les moyens proportionnés et nécessaires en fonction de la nature du contenu et des informations dont ils disposent pour retirer ou rendre inaccessibles dans les vingt-quatre heures les contenus manifestement illicites qui leur sont notifiés.
« Aux mêmes fins, est également soumis aux obligations prescrites au premier alinéa du présent I et à l’article 6-3 tout service de communication au public en ligne désigné par délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, qui acquiert en France un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé.
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’assure de l’adéquation des moyens mis en œuvre par les opérateurs de plateformes pour respecter les obligations du présent I dans les conditions prévues à l’article 17-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
« II. – Lorsqu’un contenu mentionné au premier alinéa du I du présent article a fait l’objet d’un retrait, les opérateurs mentionnés aux premier et deuxième alinéas du même I substituent à celui-ci un message indiquant qu’il a été retiré en raison de son caractère illicite.
« Les contenus retirés ou rendus inaccessibles à la suite d’une notification doivent être temporairement conservés par les opérateurs de plateformes pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit la durée et les modalités de leur conservation.
« III. – L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête aux opérateurs mentionnés aux premier et deuxième alinéas du I toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par un contenu contrevenant aux dispositions mentionnées au premier alinéa du même I ou par le retrait d’un contenu par un opérateur, dans les conditions prévues au 8 du I de l’article 6 de la présente loi et à l’article 835 du code de procédure civile.
« IV. – (Supprimé)
« V. – Le fait, pour toute personne, de présenter aux opérateurs mentionnés aux premier et deuxième alinéas du I du présent article un contenu ou une activité comme étant illicite au sens du même I dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion alors qu’elle sait cette information inexacte est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
III. – Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, les mots : « ou identité sexuelle » sont remplacés par les mots : « sexuelle, de leur identité de genre » et, après la référence : « article 24 », sont insérées les références : « , à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 » ;
2° Après le quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’un contenu mentionné au troisième alinéa du présent 7 a fait l’objet d’un retrait, les personnes mentionnées au 2 substituent à celui-ci un message indiquant qu’il a été retiré en raison de son caractère illicite.
« Les contenus retirés ou rendus inaccessibles à la suite d’une notification doivent être temporairement conservés par les personnes mentionnées au même 2 pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit la durée et les modalités de leur conservation. »
IV. – Au dernier alinéa du 7 du I et au premier alinéa du 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée, la référence : « cinquième » est remplacée par la référence : « antépénultième ».
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Cet article est essentiel et il présente en lui-même une fragilité intrinsèque, qu’ont parfaitement analysée le président de la commission, Philippe Bas, et Muriel Jourda.
Vous avez indiqué, dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d’État, que l’affaire Mila représentait « un coup de canif » ; ce n’est pas un coup de canif, c’est un coup de poignard !
Je le rappelle, Mila, après avoir éconduit un internaute qui la draguait, a vu, en quelques heures, sa vie être bouleversée et peut-être durablement ruinée. Ses propos étaient peut-être déplacés – elle avait tenu des propos sur les religions, qu’elle disait détester –, mais elle a été l’objet d’un déferlement de haine sans doute sans précédent.
Quoi qu’il en soit, elle usait de son droit d’expression, sauf à rétablir, monsieur le secrétaire d’État, le délit de blasphème. Or, le 15 janvier dernier, lors de ses vœux à la presse, M. le Président de la République indiquait que, « en France, la liberté de blasphème est protégée. » Il ajoutait : « nous ne nous lasserons jamais de défendre la liberté d’expression, dans toute sa plénitude. »
Pourtant, la lapidation numérique dont Mila a été l’objet résume notre défaite, ainsi que l’ambiguïté du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État, l’ambiguïté de l’État, en dépit des rodomontades et des déclarations, parfois martiales, selon lesquelles vous voulez lutter contre la haine sur internet.
Au passage, Mme Schiappa, généralement prompte à réagir, a mis plusieurs jours à demander la protection de la jeune fille poursuivie par cette Némésis électronique. Et les néo-féministes patentées étaient aux champignons…
Surtout, le parquet de Vienne décida d’ouvrir deux enquêtes : l’une sur les menaces de mort à l’égard de Mila et l’autre pour déterminer si les propos de l’adolescente relevaient éventuellement de la provocation à la haine raciale alors même, je le rappelle, qu’aucune plainte n’avait été déposée. On ne choisit donc pas.
Monsieur le secrétaire d’État, en ne voulant pas choisir, en entretenant la confusion, vous avez renvoyé dos à dos l’auteur des menaces de mort et sa victime.
Encore une fois, les propos de Mila n’étaient pas contraires à la loi ; en revanche, votre faux parallélisme – le déclenchement d’une action publique à l’égard des deux protagonistes – affaiblit, me semble-t-il, vos propos et votre volonté affirmée de réguler la haine. Tout cela est profondément regrettable.