M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la fraude contre les intérêts financiers de l’Union européenne est aujourd’hui largement répandue.
Entre le détournement de fonds européens, la fraude à la TVA, la corruption ou encore le blanchiment d’argent, ce sont, chaque année, plusieurs dizaines de milliards d’euros qui échappent au budget de l’Union européenne et de ses États membres.
Cela a notamment pour conséquence de mettre en péril leur capacité à lever de l’argent et à mettre en œuvre leurs politiques économiques et sociales, ainsi que la confiance des entreprises et des citoyens européens dans leurs institutions.
À titre d’exemple, selon une étude publiée en septembre 2019, la Commission européenne estime à 137 milliards d’euros les pertes de recettes de TVA en 2017. La fraude en serait la principale explication.
Quant à la fraude aux fonds européens, le rapport de notre collègue Patrice Joly, rendu en juillet dernier, faisait état d’un manque à gagner de plus de 390 millions d’euros pour l’Union européenne.
Il faut rappeler que ces statistiques sont à nuancer. Tout d’abord, ces opérations sont par nature difficiles à évaluer ; ensuite, parce que fondées sur les signalements effectués par les États membres, elles sont bien souvent le reflet de leur volonté ou de leur capacité à détecter la fraude.
En raison du préjudice évident pour l’Union européenne, il était indispensable de mettre en place un effort de répression concerté et conjoint, afin de garantir une protection effective de ses intérêts financiers.
C’est la raison pour laquelle, sur le fondement de l’article 86 du traité de Lisbonne et sous l’impulsion de notre pays et de l’Allemagne, 22 pays de l’Union européenne ont signé, le 12 octobre 2017, le règlement mettant en œuvre une coopération renforcée et instituant un Parquet européen.
Cette nouvelle autorité judiciaire viendra compléter l’arsenal constitué de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), d’Eurojust, d’Europol et des parquets nationaux.
L’ordonnance relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal constituait une première étape vers ce renforcement de la lutte contre la fraude au niveau européen.
Ce mouvement est aujourd’hui poursuivi par la mise en place du futur Parquet européen, qui siégera à Luxembourg fin 2020 et sera compétent pour enquêter sur et poursuivre les infractions pénales portant atteinte au budget de l’Union européenne.
Le présent texte prévoit d’adapter les procédures et l’organisation judiciaires à la création de cette nouvelle autorité judicaire, afin d’éviter les problèmes de concurrence de compétences avec d’autres juridictions nationales spécialisées, notamment le parquet national financier.
Il dote les deux procureurs européens délégués, agissant au niveau déconcentré, de pouvoirs importants.
L’intégralité des prérogatives des magistrats du parquet leur sont confiées, leur indépendance étant garantie.
La conduite de leurs investigations devant les juridictions françaises est encadrée, avec la création d’un nouveau régime d’enquête leur permettant de solliciter l’autorisation de prendre certaines mesures de sûreté ou portant atteinte à la vie privée auprès du JLD.
Par ailleurs, le procureur européen délégué pourra ordonner des placements sous contrôle judiciaire, soumis au recours du JLD, puis, le cas échéant, à celui de la chambre de l’instruction.
En vue de faire face aux nouveaux types de délits, le projet de loi comporte également des dispositions traitant de la justice pénale spécialisée, qui tantôt renforcent les compétences de ces juridictions – c’est le cas pour celles qui sont spécialisées dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées, la délinquance économique et financière –, tantôt créent de nouvelles juridictions spécialisées au sein de chaque cour d’appel – ainsi des nouveaux pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes graves à l’environnement.
Le projet de loi prévoit, pour ce dernier contentieux, une réponse pénale adaptée, en permettant au procureur de la République de conclure, sur le modèle de la transaction pénale et tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, une convention judiciaire environnementale avec une personne morale mise en cause, convention qui imposerait à cette dernière de verser une amende au Trésor public.
Dans tous ces domaines, en cas de concurrence de compétences et tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, la priorité sera accordée au parquet bénéficiant d’une compétence spécialisée.
Le groupe La République En Marche soutient avec force les efforts déployés collectivement pour lutter avec détermination contre la fraude et la corruption au sein de l’Union européenne. Nous saluons également la volonté du Gouvernement de faire en sorte que la justice soit rendue plus rapidement, par des magistrats spécialisés, et nous félicitons de ce qu’un effort particulier ait été réalisé pour renforcer l’efficacité de la réponse pénale en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement.
C’est pourquoi – vous vous en doutez, mes chers collègues – nous voterons en faveur de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est porteur, selon nous, d’au moins deux projets de loi importants : l’un sur le Parquet européen, l’autre sur la justice environnementale.
Mais ce n’est pas tout. Vous l’avez dit : d’autres sujets viennent s’agréger à ces deux volets principaux, sans aucune autre cohérence que celle qui consiste à corriger de précédentes lois, l’enjeu étant essentiellement de prendre acte de décisions QPC du Conseil constitutionnel, mais aussi de rectifier des erreurs.
Tout cela est fait, de surcroît, à grand renfort d’ordonnances – vous savez ce que nous en pensons – et de procédure accélérée, afin de traiter en un temps record des sujets aussi techniques que disparates.
J’en viens au fond du projet.
Premièrement, concernant le Parquet européen, sa mise en place est l’aboutissement de longues négociations, de près de dix ans, entre l’Union et ses États membres. Le projet originel de Parquet européen « très intégré » avait fait l’objet de vives critiques, en particulier du Sénat français, qui avait été à l’initiative d’un « carton jaune » adressé à la Commission européenne – 13 autres assemblées parlementaires nationales lui avaient emboîté le pas. Ainsi contrainte de revoir sa « copie », la Commission européenne avait alors abouti au projet qui a donné lieu à la création de l’actuel Parquet européen, de forme collégiale et s’appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre.
Pour notre part, nous y sommes plutôt favorables. Si le nombre d’affaires dont se saisira, ou dont sera saisi, le Parquet européen semble assez limité – les procédures concernées seront, en France, au nombre de 60 à 100, selon l’étude d’impact –, il s’agira d’affaires aux enjeux financiers importants, pour lesquelles le cadre européen est légitime, l’Union et ses États membres étant parfois confrontés à des affaires complexes de fraude aux fonds structurels ou de fraude de grande ampleur à la TVA transfrontalière. Vous connaissez, madame la ministre, nos combats sur tous ces sujets.
Cependant, la création de ce parquet ne va pas sans soulever, à nos yeux, quelques questions.
Qu’en est-il, d’abord, de la garantie d’indépendance promise aux parquetiers européens ? Le procureur mènera seul l’intégralité des investigations en matière d’atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, et exercera les poursuites devant le tribunal judiciaire de Paris. « Si son indépendance est reconnue par le règlement, elle risque pourtant de rester une chimère si elle n’est pas entourée de garanties », estime le Syndicat de la magistrature. Or le projet reste muet sur les conditions de cette indépendance, le Gouvernement expliquant avoir fait le choix d’une mise à disposition du magistrat français souhaitant exercer ces fonctions.
Aussi la cohérence entre le statut de ce Parquet européen, en situation de détachement, et celle du parquet français actuel pose-t-elle question. La création du Parquet européen aurait pu être l’occasion d’envisager une réforme en profondeur du statut des magistrats du parquet, réforme que nous demandons depuis longtemps.
À cet égard, madame la garde des sceaux, qu’en est-il du projet de réforme tant attendu sur le sujet ?
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Par ailleurs, le procureur européen délégué pourra, à son appréciation, mener l’enquête selon les règles applicables à l’enquête parquet ou selon les règles applicables à l’instruction, en se passant du juge d’instruction. Cela pose aussi question, d’autant que les compétences du parquet, pour l’instant limitées aux affaires financières, pourront ou pourraient par la suite être étendues, notamment en matière d’antiterrorisme.
Nous serons vigilants sur ce point, sachant en outre que cette extension de l’arsenal judiciaire de l’Union européenne ne peut être pensée tout à fait indépendamment du reste de la politique européenne – je pense notamment à la politique sécuritaire de l’Union. De ce point de vue, nous gardons à l’esprit le modèle qui a présidé à la construction de l’espace européen sur la base du contrôle aux frontières et d’une fermeture aux extracommunautaires, modèle d’ailleurs largement inefficace pour enrayer la criminalité transfrontalière, qu’il s’agisse de terrorisme, de trafic de drogue ou d’immigration clandestine.
J’en viens au volet environnemental du projet.
Afin de remédier à la grande faiblesse du contentieux environnemental, l’article 8 institue une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, qui concernera les personnes morales.
Désengorger les tribunaux par le recours à la justice « transactionnelle », d’inspiration américaine, ne nous laisse présager rien qui vaille : sans la tenue d’un procès en bonne et due forme et avec des droits de la défense inexistants, ces conventions ne permettront pas une reconnaissance explicite de la culpabilité de l’auteur du délit.
Aussi, il y a fort à parier que les entreprises fautives se tireront d’affaire à moindres frais et sans trop écorner leur réputation. Nous proposerons, à titre de solution de repli et pour remédier à ce problème, d’aménager le dispositif de cette convention.
Pour notre part, nous considérons qu’il est urgent de donner davantage de crédit à la justice environnementale et, surtout, d’accorder de vrais moyens aux polices de l’environnement. Or les moyens des agences de l’État, que ce soit l’Agence française pour la biodiversité ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), connaissent tous une rétraction.
Pour ce qui est des nouveaux pôles régionaux spécialisés, l’idée est non pas du tout de créer une justice spécialisée, mais simplement de nommer des référents sur les contentieux « environnement » au sein des juridictions existantes. L’étude d’impact du projet de loi précise bien que cette mesure est « à moyens budgétaires constants ».
Si, en vertu de la dimension « pédagogique », soulignée en commission par M. le rapporteur, nous pouvons partager l’avis de Greenpeace, qui considère que « ces juridictions spécialisées permettraient aux magistrats d’être plus à l’aise avec les dossiers environnementaux », nous ne pouvons cependant que regretter l’insuffisance, voire l’inutilité – des juridictions spécialisées, en effet, existent déjà –, des dispositifs proposés par le Gouvernement pour répondre à cette question essentielle pour les décennies à venir.
Enfin, toutes les dispositions « annexes » nous semblent inquiétantes, bien que peu surprenantes, car dans la droite ligne de la politique que vous avez portée en matière d’organisation judiciaire par le biais de votre loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : moins de collégialité dans la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête ; plus de pouvoir, de manière générale, conféré aux OPJ ; recours accru à la visioconférence ; instrumentalisation de notre code pénal à des fins d’affichage, avec la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports.
Mais nous reviendrons sur tout cela au cours du débat.
En définitive, madame la ministre, alors que nous aurions pu voter en faveur du volet relatif au Parquet européen, le volet environnemental apparaît, lui, bien en deçà des attentes, et – je viens de le dire – certaines mesures du titre III nous semblent difficilement acceptables.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. François Bonhomme. C’est dommage !
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les règles de notre procédure pénale ont été adaptées afin de mieux régler certains contentieux pénaux spécifiques dont, en raison de leur nature ou de leur gravité, le traitement justifiait des procédures particulières faisant intervenir des magistrats ou des juridictions spécialisés.
Cette spécialisation fut engagée en 1986 en matière de lutte contre le terrorisme, cette lutte justifiant de donner une compétence nationale spécialisée aux juridictions parisiennes, puis poursuivie par la création de nombreuses autres compétences spécialisées, au niveau national ou interrégional, notamment en matière économique et financière, de délinquance et de criminalité organisées, de santé publique ou de crime contre l’humanité.
Cette exigence de spécialisation a plus récemment conduit à la création du parquet national financier par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, puis du parquet national antiterroriste par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Cette exigence de spécialisation a également conduit à l’adoption du règlement européen du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, afin d’améliorer la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Les principaux objectifs du projet de loi que nous examinons cet après-midi sont ainsi d’adapter notre législation à la création du Parquet européen et de poursuivre l’amélioration des dispositifs actuels de notre droit national concernant la justice pénale spécialisée.
Ce texte appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, la création du Parquet européen s’inscrit dans la perspective de la construction d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Afin de respecter la souveraineté des États en matière judiciaire, son organisation est cependant décentralisée : les procureurs européens délégués, désignés dans chaque État membre, seront chargés de conduire les enquêtes et de représenter le ministère public devant les juridictions de jugement nationales.
Cette organisation décentralisée n’était pas celle qui avait été envisagée par la Commission européenne lorsque celle-ci avait présenté, en 2013, sa proposition initiale de règlement portant création du Parquet européen. Ce projet de la Commission était, à l’origine, très intégré : un procureur unique aurait disposé d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes dans toute l’Union européenne.
Ce projet s’est heurté à la ferme opposition de plusieurs États membres.
En effet, pour la première fois, 14 chambres parlementaires nationales, dont le Sénat français, ont mis en œuvre la procédure dite du « carton jaune » – rien à voir avec le football –, estimant que la proposition de la Commission européenne ne respectait pas le principe de subsidiarité.
Après quatre années de négociation, je me réjouis qu’un compromis ait été trouvé autour de quelques principes : compétence partagée avec les autorités nationales ; organisation collégiale ; désignation de délégués nationaux chargés de conduire les enquêtes dans chaque État membre.
Ce compromis n’a toutefois pas convaincu la totalité des États membres de l’Union européenne, ce qui a justifié de recourir à la procédure dite de coopération renforcée. Y participent 22 États, à l’exclusion de l’Irlande et du Danemark, qui bénéficient d’une clause dite d’« opt-out » dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ainsi que de la Hongrie, de la Pologne et de la Suède, qui ont refusé de s’y joindre.
En deuxième lieu, ce projet de loi, dans son titre II, étend les compétences des parquets nationaux spécialisés, prévoit la création d’un pôle spécialisé dans le contentieux environnemental dans le ressort de chaque cour d’appel, et fixe des règles destinées à régler les conflits de compétences entre juridictions. Ces dispositions ne présentent aucune difficulté.
En troisième et dernier lieu, ce projet de loi comporte des mesures d’adaptation du code de procédure pénale à diverses décisions rendues par le Conseil constitutionnel ou par la Cour de cassation.
Il contient aussi deux mesures de fond : la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les réseaux de transport public et une demande d’habilitation du Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de financement d’un fonds destiné à favoriser une présence équilibrée sur le territoire des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.
Je me félicite de ce que, par ses travaux, la commission ait apporté quelques modifications au projet de loi sans remettre en cause ses équilibres.
Elle a notamment tenu à préciser les règles applicables aux procureurs européens délégués.
Elle a également complété les dispositions relatives à l’interdiction de paraître dans les transports publics, pour rendre cette mesure opérationnelle.
Elle a en outre supprimé la demande d’habilitation que je viens d’évoquer, afin d’autoriser directement les ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir, auprès de leurs membres, des contributions destinées à financer des aides à l’installation ou au maintien des professionnels.
À cet égard, je tiens à saluer la qualité des travaux du rapporteur, notre collègue Philippe Bonnecarrère.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants porte un regard positif sur ce texte, d’autant que la structure du Parquet européen, dans sa conception actuelle, est une victoire du Sénat français !
Il votera donc ce projet de loi à l’unanimité. (MM. Claude Malhuret, Hervé Maurey, Thani Mohamed Soilihi et Vincent Segouin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 17 juillet 2013, la Commission européenne a déposé une proposition de règlement afin de créer un Parquet européen, avec l’intention de « combler les lacunes du système répressif actuel, qui repose exclusivement sur les efforts nationaux, et d’assurer une plus grande cohérence et une meilleure coordination de ces efforts ».
Or, en la matière, il y a bel et bien urgence à agir. Je rappelle que, entre 2010 et 2017, l’Office européen de lutte antifraude a recommandé le recouvrement de plus de 6,6 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne. Il a par ailleurs présenté plus de 2 300 recommandations concernant des mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives que devraient prendre les autorités compétentes des États membres et de l’Union européenne.
Je rappelle également que l’Office européen de lutte antifraude ne dispose d’aucun pouvoir de sanction.
La Commission européenne estime quant à elle que la fraude à la TVA pourrait, à elle seule, représenter près de 50 milliards d’euros de pertes par an pour les budgets des États membres de l’Union européenne.
Il n’est pas inutile de rappeler aussi que ce projet de règlement a d’abord été rejeté par de nombreux États membres, dont la France, puisqu’il s’appuyait sur l’idée de créer un Parquet européen incarné par un procureur unique et disposant d’une compétence exclusive pour enquêter sur et poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Cette première proposition s’opposait donc directement au principe de subsidiarité.
À l’issue de nombreuses négociations, c’est finalement en ayant recours au mécanisme de la coopération renforcée que les ministres de la justice français et allemand de l’époque ont fait avancer le texte, via l’idée d’une coopération collégiale sous la forme de procureurs délégués.
Le règlement a été définitivement adopté le 12 octobre 2017, et le nouveau Parquet européen reposera sur deux organes distincts : d’une part, le collège, composé d’un chef du Parquet européen et de procureurs européens ; d’autre part, des chambres permanentes, mises en place par le collège, qui superviseront et dirigeront les enquêtes en décidant notamment des classements sans suite, des procédures de poursuites simplifiées ou des renvois des affaires devant les juridictions nationales.
L’un des enjeux principaux est donc de donner au procureur délégué des compétences qui relèvent en France du seul juge d’instruction.
Le projet de loi donne compétence au procureur européen délégué pour recourir à des actes qui relèvent normalement du juge d’instruction. Il pourra placer la personne mise en cause sous contrôle judiciaire mais ne pourra pas prendre seul des mesures attentatoires aux libertés comme l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou le placement en détention provisoire.
Seul le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur européen délégué, sera compétent pour autoriser ces mesures – cela a été dit.
Enfin, l’ensemble des affaires seront jugées par les juridictions parisiennes, à savoir le tribunal judiciaire et la cour d’appel.
Comme le souligne notre collègue Philippe Bonnecarrère, que je salue, dans son rapport, ce mécanisme équilibré, favorablement accueilli par notre commission des lois, ne peut que satisfaire l’ensemble de nos concitoyens.
Le Parquet européen a également le mérite de rassembler l’ensemble des services de l’Union européenne, que ce soit l’Office européen de lutte antifraude ou l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs.
En effet, Europol pourra être amené à fournir toute information pertinente au sujet des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, et à apporter une aide à l’analyse dans le cadre d’une enquête.
Je note également que ce projet de loi permettra de mieux traiter les infractions environnementales, madame Assassi, puisque trois quarts des procédures aboutissent à des alternatives aux poursuites.
D’ailleurs, la durée des procédures a un impact direct sur les sanctions prononcées, qui n’apparaissent pas toujours dissuasives et à la hauteur des enjeux environnementaux. Selon l’étude d’impact, sur 1 993 personnes physiques condamnées en 2018, seules 27 ont écopé de prison ferme et 954 se sont vu infliger des amendes fermes d’un montant de 1 464 euros en moyenne. Sur 139 personnes morales condamnées en 2017, il n’y a eu que 60 amendes fermes.
Le Parquet européen permet donc de renforcer la construction d’une justice européenne qui permettra à l’Union de se défendre efficacement contre les atteintes à ses propres intérêts.
Selon l’étude d’impact, le Parquet européen devrait récupérer entre 60 et 100 dossiers français par an.
Je salue également le souhait du Gouvernement de faire figurer dans ce projet une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports publics.
En effet, cette disposition de la loi d’orientation des mobilités (LOM) avait été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
Cette mesure attendue permettra de lutter contre les affaires de vol à la tire ou d’attouchements sexuels commis dans les transports en commun. On ne peut tolérer que, dans une ville touristique comme Paris, le nombre de vols à la tire ait progressé de 40 % entre 2018 et 2019. Pas moins de 31 000 infractions de ce type ont été recensées dans le métro parisien. Chacun sait qu’elles sont le plus souvent commises par des multirécidivistes dont le visage est parfaitement connu des forces de l’ordre sur le terrain, ainsi que du personnel de la RATP. Celui-ci joue d’ailleurs un rôle extraordinaire de prévention, que je salue, en alertant régulièrement les passagers.
C’est donc avec un œil bienveillant que nous examinerons ce projet de loi qui répond à de nombreuses attentes et qu’il est désormais urgent de mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – Mme Claudine Kauffmann et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, on ne peut que déplorer une certaine négation du rôle du Parlement dans la manière dont, très précipitamment, nous avons été saisis de ce texte. Il a été examiné en conseil des ministres le 29 janvier dernier et il est discuté en séance au Sénat le 25 février ! Je félicite le rapporteur d’avoir pu, pendant ce laps de temps très bref, organiser les auditions. Elles ont d’ailleurs eu lieu, pour l’essentiel, dans une période de suspension traditionnelle du Sénat.
Ce n’eût été que pour évoquer le Parquet européen, cela aurait été compréhensible. Le Sénat, comme vous l’avez souligné, a beaucoup travaillé sur le sujet. Or ce texte vise à mettre en œuvre en France ce règlement européen, auquel nous adhérons. Tout cela ne pose guère de difficulté. Nul besoin ici de reprendre les arguments que vous-même, M. le rapporteur et d’autres collègues ont déjà avancés : la mise en œuvre d’un système permettant de poursuivre les atteintes aux intérêts de l’Union paraît bonne.
C’était une attente de la commission. Il est logique que le procureur existe pour envisager des poursuites, mais il n’y a pas d’atteinte à la souveraineté des États.
Deux procureurs délégués pour la France seront désignés. Leur particularité – il faut se mettre dans le système européen – sera d’avoir des pouvoirs de juges d’instruction, sous certaines limites. Vous avez raison de le rappeler, cette disposition n’ouvre aucune perspective similaire en France. En revanche, ce qui nous interpelle une fois de plus, c’est la nécessité constitutionnelle de garantir l’indépendance du parquet en France, point qui nous est régulièrement rappelé, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !