M. Bruno Retailleau. Il l’est moins !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est pourquoi j’émets, au nom de la commission spéciale, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Pour ma part, je ne crois pas que deux hommes soient moins aptes à rendre des enfants heureux que deux femmes ou qu’un homme et une femme. Tel n’est pas mon sujet : je n’émets aucun jugement en la matière.
La pratique de la gestation pour autrui, ou des « utérus à louer », comme on dit en espagnol, est séculaire. C’est peut-être la plus vieille méthode employée pour lutter contre la stérilité, en particulier dans les familles bourgeoises qui avaient un patrimoine à transmettre. Ce n’était pas très compliqué : on s’arrangeait avec la bonne, en sollicitant plus ou moins son consentement, et l’enfant était présenté comme l’enfant du couple…
M. Julien Bargeton. Comme dans Maupassant…
M. Bruno Retailleau. C’est une contre-démonstration !
Mme Laurence Rossignol. Historiquement, les femmes ont été assignées à la fonction procréatrice et enfermées dans leur rôle de reproduction, auquel est attachée une valeur variable selon les époques.
Nous sommes bel et bien en difficulté avec la GPA. L’intérêt de l’enfant exige, bien entendu, que l’on sécurise le plus possible sa vie en France, mais l’interdiction de la GPA est absolue. Nous ne sommes pas, par ailleurs, en situation de poursuivre les parents qui ont recours à une GPA à l’étranger. Jamais je n’ai entendu quelqu’un demander que l’on modifie le code pénal afin de pouvoir poursuivre ces parents comme on poursuit les auteurs d’actes de pédocriminalité commis à l’étranger. Nul d’entre nous n’est complètement à l’aise sur ce sujet.
Sur la marchandisation du corps, nous n’avons pas tous le même point de vue. Je suis d’ailleurs heureuse d’entendre aujourd’hui certains collègues dénoncer avec force la marchandisation du corps des femmes, alors qu’elle semblait poser nettement moins problème lors de la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, en 2015… (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. La France doit aujourd’hui s’associer aux coalitions internationales qui s’attachent à faire reculer partout la GPA. Nous devons nous préoccuper de l’intérêt de l’enfant, bien sûr, tout en examinant comment la législation française pourrait renforcer l’action de ces coalitions internationales. Je pense, pour ma part, que ce n’est pas en facilitant une transcription totale de l’acte de naissance étranger, mentionnant à la fois le père biologique et le père d’intention, que l’on atteindra cet objectif. Cette solution n’est pas satisfaisante.
En conclusion, je voterai l’amendement du Gouvernement, même si je trouve que, juridiquement, l’on aurait peut-être pu faire mieux.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. C’est là un point nodal de la discussion sur la GPA.
Sur ces travées et à l’extérieur de notre hémicycle, nous sommes nombreux à partager la crainte que ce texte ne marque une étape vers l’autorisation de la GPA.
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui avez introduit cette question dans le texte !
M. Bruno Retailleau. Cette crainte n’est pas illégitime. Notre rapporteur a dit que la GPA était interdite en France, sauf que – je le dis solennellement ce soir et je voudrais que les Français le sachent – le recours à une mère porteuse payée à l’étranger pour abandonner son enfant est aujourd’hui, en France, une pratique légalisée !
Mme Esther Benbassa. Par qui ?
M. Bruno Retailleau. Par les jurisprudences.
Par ailleurs, madame la garde des sceaux, votre amendement a essentiellement pour objet d’écraser celui que j’avais proposé et qui a été adopté par la commission spéciale. Son adoption aurait pour effet de détruire la digue que nous avions construite sans reconstruire aucune vraie barrière.
Votre dispositif consiste simplement à rappeler qu’il faut appliquer la loi française : mes chers collègues, c’est révolutionnaire ! La Cour de cassation n’applique-t-elle pas la loi française ? Serait-elle militante au point d’aller au-delà, obligeant une garde des sceaux à rappeler, par amendement, qu’il faut absolument appliquer la loi française ? Non, bien sûr, la Cour de cassation utilise la liberté que lui laisse l’imprécision de la loi française, ce qui conduit à la jurisprudence qui est la sienne. De ce point de vue, madame la garde des sceaux, votre amendement n’apporte rien !
En outre, vous vous appuyez, une fois de plus, sur la CEDH. Votre raisonnement est faux ! Par son arrêt du 12 décembre dernier, la CEDH a décidé de ne pas condamner la France pour un refus de transcription, estimant que « le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l’état civil français pour autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère n’est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis ».
Cela signifie premièrement, comme l’a dit Philippe Bas, que la CEDH nous donne une latitude, une liberté. Arrêtez par conséquent de l’invoquer : cet argument est faux et masque simplement un manque de courage.
Cela signifie, deuxièmement, que l’on ne doit pas confondre ce qui est de l’ordre de la filiation retranscrite et ce qui relève de la filiation reconnue. Ce que nous demande la CEDH, c’est simplement de reconnaître un lien de filiation dans l’intérêt des enfants.
M. le président. Songez à conclure, mon cher collègue.
M. Bruno Retailleau. Si nous voulons vraiment faire obstacle aux jurisprudences de la Cour de cassation, et donc mettre un coup d’arrêt définitif à la GPA, ne votons pas ces amendements, celui du Gouvernement en particulier ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je rappelle que nous parlons de la transcription en droit français d’actes de naissance étrangers d’enfants français établissant leur filiation avec deux parents.
La situation actuelle a conduit un certain nombre de parents à se tourner vers la CEDH et la Cour de cassation pour qu’elles établissent le droit de leur enfant à avoir un état civil français. Au regard des diverses tentatives de contourner les arrêts rendus fin 2019 par la Cour de cassation, il est essentiel d’adopter les dispositions dont nous sommes en train de discuter, en particulier celles de l’amendement de notre collègue Marie-Pierre de la Gontrie. Il s’agit de codifier les principes juridiques posés par la jurisprudence actuelle, afin de respecter l’avis de la CEDH du 10 avril 2019, en considérant, monsieur Retailleau, que « chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer ».
M. Bruno Retailleau. Il faut distinguer filiation et reconnaissance !
M. Jean-Yves Leconte. Comment faire confiance à un gouvernement qui a demandé à l’Assemblée nationale une seconde délibération sur un amendement similaire adopté sur l’initiative du député Jean-Louis Touraine, au prétexte d’une circulaire à venir, circulaire dont vous avez indiqué, madame la garde des sceaux, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale puis à plusieurs reprises dans la presse, qu’elle tirerait les conséquences des jurisprudences, alors « à venir », de la Cour de cassation ? Une telle circulaire aurait dû rappeler le principe de transcription intégrale des actes de naissance étrangers, sans recours à l’artifice fallacieux et chronophage de l’adoption de l’enfant du conjoint, qui ne vaut d’ailleurs pas pour une femme seule ou un couple non marié.
Mais la Cour de cassation, par son arrêt du 4 octobre 2019 et ses trois arrêts du 18 décembre 2019, a tranché dans l’intérêt de l’enfant. En matière de filiation, elle applique, dans un souci d’uniformité, les mêmes modalités du droit à toutes les familles, quel que soit le schéma parental, qu’il s’agisse de couples mariés dont les membres sont de sexe différent ou de même sexe, d’hommes ou de femmes seuls, ou encore de couples non mariés. La Cour de cassation respecte ainsi les critères d’effectivité et de célérité qui ont été délibérés et imposés en grande chambre, à l’unanimité des juges, par la CEDH dans son avis précité.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. On aurait pu se contenter d’appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation – c’est la solution qui devrait prévaloir dans notre système juridique –, en permettant désormais la transcription intégrale des actes de naissance des enfants français nés d’une GPA à l’étranger, mais la parole donnée par le Gouvernement à l’Assemblée nationale semble remise en cause. Dans un souci de sécurité juridique, il convient donc d’apporter dans la loi les précisions nécessaires pour que tous les enfants aient les mêmes droits et voient leurs intérêts préservés.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. L’interdiction de la gestation pour autrui dans notre législation devient un chiffon de papier si elle n’emporte plus aucune conséquence sur l’état civil.
M. Roger Karoutchi. Oui ! Ça n’a pas de sens, à la fin !
M. Philippe Bas. La jurisprudence récente de la Cour de cassation, dont il ne faut pas, d’ailleurs, tirer des conséquences excessives – elle portait en effet sur des cas d’espèce –, est inquiétante.
Le mérite de la commission spéciale est d’avoir clairement donné un coup d’arrêt à cette exigence qui semblait grandir d’une transcription intégrale des actes d’état civil rédigés à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui. Qu’on reconnaisse que le père génétique est le père, c’est une chose ; qu’on donne au père d’intention ou à la mère d’intention un statut ou de père ou de mère, c’en est une autre.
Il me semble que les amendements visant en réalité à consolider la jurisprudence de la Cour de cassation, c’est-à-dire tous, sauf l’amendement du Gouvernement, sont extrêmement dangereux, puisque leur adoption reviendrait à priver d’effets utiles l’interdiction de la gestation pour autrui.
Quant à l’amendement du Gouvernement, je le trouve simplement cosmétique. Prévoir que la réalité de la situation reconnue par l’acte d’état civil étranger doit être appréciée au regard de la loi française, cela n’a pas de sens, car une réalité ne saurait être appréciée au regard d’une loi, et je ne vois pas comment la Cour de cassation pourrait s’appuyer sur cette mention pour renoncer à la nouvelle jurisprudence qu’elle vient d’esquisser.
La commission spéciale, elle, a dit les choses nettement : on doit continuer à transcrire partiellement les actes d’état civil, pour la filiation paternelle établie, et pas pour la filiation des parents d’intention. Là est réellement le plus important, car si, demain, ceux qui en ont les moyens vont acheter des enfants dans un grand pays dont la législation permet la gestation pour autrui, et si la juridiction française et la loi française reconnaissent leur état civil, on dénoncera l’injustice subie par ceux n’ayant pas les moyens de se rendre en Californie ! On arguera d’un deux poids, deux mesures, entre ceux qui, en Californie, obtiendront la reconnaissance de la filiation de l’enfant à l’égard du père d’intention ou de la mère d’intention,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Bas. … et ceux qui, restés en France, n’y auront pas droit. Nous aurons alors à débattre pour rétablir la justice en alignant tout le monde ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je voudrais rappeler avec force que l’ensemble de mon groupe est opposé à la GPA.
À l’origine, il n’était pas question de la GPA dans le texte ! Si celui-ci en traite aujourd’hui, c’est parce que ce sujet y a été intégré via l’amendement déposé par M. Retailleau et adopté par la commission spéciale : que les choses soient claires ! De ce fait, la GPA est maintenant instrumentalisée par les opposants à la PMA. (M. Roger Karoutchi s’étonne.) Dans la rue, tout à l’heure, j’ai ainsi entendu des manifestants affirmer que, derrière la PMA, se profile la légalisation future de la GPA dans notre pays.
En tout cas, pour notre part, nous avons déposé un amendement n° 210 rectifié bis de suppression de l’article, mais nous le retirons au profit de celui que Mme la garde des sceaux a défendu.
M. le président. L’amendement n° 210 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Ce qui me paraît clair, mes chers collègues, c’est que nous sommes tous ici convaincus qu’il ne faut pas accepter la GPA. Nous cherchons tous les moyens de faire en sorte qu’elle ne puisse être indirectement régularisée. En même temps, nous sommes préoccupés par la situation et le statut des enfants concernés.
La situation est si peu simple qu’il m’arrive de me dire que, lorsque le législateur ne sait pas comment faire la loi, il est peut-être plus habile, compte tenu du faible nombre de cas, de laisser la jurisprudence trancher au cas par cas.
À cet égard, madame la ministre, votre amendement pose, me semble-t-il, un autre problème : son adoption signifierait une modification substantielle de l’article 47 du code civil. Comment règle-t-on les conflits en droit international privé, dans le domaine de la filiation notamment ? L’article 47 du code civil dispose que « tout acte de l’état civil des Français fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, etc. »
Inscrire dans la loi que l’acte visé audit article doit être conforme à la législation française, ce n’est pas la même chose que de dire qu’il ne faut pas qu’il soit contraire à la législation française ! De ce point de vue, la rédaction de votre amendement pose problème, ce qui justifiera que nous ne le votions pas. L’entrée en vigueur de cette disposition soulèverait des difficultés dans d’autres domaines.
S’agissant de l’article 4 bis tel qu’issu des travaux de la commission, il est trop affirmatif. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, un amendement d’adaptation est présenté. L’adoption de cet article aurait notamment pour effet d’empêcher, le cas échéant, la reconnaissance de deux pères, alors que la loi française admet la possibilité pour deux pères d’adopter un enfant. Des problèmes difficiles sont donc en vue là aussi.
C’est la raison pour laquelle nous suggérons de reprendre non pas les dispositions de l’amendement présenté par notre collègue Touraine à l’Assemblée nationale, mais la jurisprudence de la Cour de cassation, qui est très prudente. Elle dit simplement que la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par le code civil, ne peut, à elle seule, faire obstacle à la transcription. Cela n’empêchera pas la jurisprudence de dire ultérieurement, comme l’a fait la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il y a d’autres moyens et que les couples concernés peuvent recourir à l’adoption, comme le veut d’ailleurs la logique.
Franchement, si, dans notre folie nous étions capables un instant de faire preuve de sagesse, nous nous en remettrions, pour ces quelques cas peu nombreux, à la Cour de cassation pour trouver la solution, via sa jurisprudence. A contrario, si l’on légifère trop, d’aucuns pourraient penser que l’on ouvre certaines vannes.
Nous soutiendrons plutôt les amendements qui ne vont pas dans le sens du vôtre, monsieur Retailleau, mais, en définitive, je préférerais que nous supprimions purement et simplement cet article.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Ce que j’entends m’étonne beaucoup. C’est le Parlement qui fait la loi, et c’est le Parlement qui décide dans ce pays !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas toujours vrai !
M. Roger Karoutchi. On invoque les jurisprudences de la Cour de cassation, du Conseil d’État, de la CEDH ; je respecte beaucoup les magistrats de ces juridictions, mais la loi, c’est la loi, et il revient à l’Assemblée nationale et au Sénat de la voter. Or, depuis tout à l’heure, on a l’impression que tel arrêt de la Cour de cassation, telle jurisprudence s’impose quoi qu’il advienne au Parlement. Monsieur Bigot, je sais que vous êtes un fervent partisan du parlementarisme, mais vous en arrivez à dire que, les cas étant peu nombreux, mieux vaut laisser les magistrats les régler plutôt que de légiférer.
M. Jacques Bigot. Je le dis pour les seuls cas où nous n’avons pas de certitudes !
M. Roger Karoutchi. Je le redis, j’ai beaucoup de respect pour les magistrats, mais allez expliquer aux Français que si la GPA est strictement interdite en France, les décisions de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la CEDH font que se rendre à l’étranger pour y recourir n’emporte aucune conséquence, sans même parler de poursuites !
M. Bruno Retailleau. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Comment, dans le Parlement de la République, peut-on à la fois affirmer que la GPA est interdite et encourager les Français qui souhaitent y avoir recours à se rendre à l’étranger, en leur disant qu’il ne leur arrivera rien, au nom de la préservation tout à fait légitime des droits de l’enfant !
Comment, dans le Parlement de la République, peut-on faire la loi tout en acceptant que certains, pour des raisons probablement tout à fait respectables, la violent sans encourir aucune conséquence ?
Mme Éliane Assassi. Parce qu’il faut procéder autrement !
M. Roger Karoutchi. Comment, dans le Parlement de la République, peut-on nous dire que nous devons nous taire et nous incliner devant la jurisprudence ? Pardon, mais nous sommes le Parlement de la République, et nous faisons la loi ; c’est nous qui décidons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. S’il faut parler de la GPA, parlons-en, mais dans un texte spécifique !
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Sur ce sujet, ma conviction, cela ne surprendra personne, s’inscrit dans le droit-fil des propos tenus par le Président de la République le 20 avril 2017.
M. Philippe Bas. Le problème est réglé, alors ! (Sourires.)
M. Julien Bargeton. Il proposait alors de reconnaître l’existence des enfants vivant en France nés à l’étranger à l’issue d’une GPA et de leur donner un statut juridique, car ces enfants ne peuvent pas être victimes d’une situation dont ils ne sont aucunement responsables.
L’arrêt Mennesson de la Cour de cassation est un cas d’espèce. Il appelle le législateur à légiférer pour combler un vide juridique. L’amendement du Gouvernement répond précisément à cette invitation. (M. Bruno Retailleau sourit.) On invoque volontiers l’intérêt de l’enfant, mais j’observe qu’il en est assez peu question en l’occurrence !
Au regard du débat qui a eu lieu, mon groupe votera l’amendement du Gouvernement, bien qu’il ait déposé un amendement de suppression de l’article 4 bis, lequel nous semble, en l’état, inopportun. Si l’amendement du Gouvernement devait être rejeté, nous voterions la suppression de l’article 4 bis.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale. La GPA s’adresse à des couples hétérosexuels et à des couples homosexuels. Il en ira de même pour la PMA si le présent texte est adopté, comme c’est probable.
Jusqu’à présent, la France a choisi de ne pas aider les couples hétérosexuels au titre de la GPA. Dès lors, est arrivé ce qui devait arriver : certains se rendent à l’étranger pour pouvoir bénéficier d’une GPA.
Comme vous, mes chers collègues, je suis profondément opposé à la marchandisation du corps humain, mais, contrairement à vous, je suis favorable à une GPA à la française, reposant sur le don. On pourra très bien – sur ce point, je rejoins Mme Assassi – revenir sur cette question dans le cadre de l’examen d’un texte général relatif à l’infertilité des couples homosexuels et hétérosexuels. J’aurai alors beaucoup à dire…
Actuellement, la PMA est autorisée pour des couples hétérosexuels dans le cas, par exemple, où la femme ne produit pas d’ovules, et ne peut donc donner la vie, mais a un utérus, et peut donc permettre la vie. En revanche, cette possibilité n’est pas ouverte à des couples hétérosexuels dont la femme a des ovules, mais pas d’utérus. Par conséquent, on ne permet pas à cette femme qui peut donner la vie d’avoir un enfant : cette différence de traitement me choque profondément !
C’est pourquoi j’avais déposé il y a une dizaine d’années, avec Michèle André, une proposition de loi visant à permettre une GPA à la française, c’est-à-dire fondée sur un système de don, sans recours à la marchandisation du corps de la femme.
À l’avenir, ce problème se posera de moins en moins pour les couples hétérosexuels, du fait des progrès de la greffe d’utérus réalisés à l’étranger, notamment en Suède, et en France. À l’hôpital Georges-Pompidou, cette technique, qui autoriserait une seule grossesse, est mise en place par le professeur Ayoubi.
Je tenais à faire ce rappel, car je suis choqué que nous n’allions pas plus loin dans la réflexion sur les moyens de faire en sorte que l’ensemble des couples souhaitant un enfant, quels qu’ils soient, puissent en avoir un.
L’amendement de Bruno Retailleau, que j’ai voté en commission, est à mes yeux une solution de secours en attendant mieux. Je ne voterai pas les autres amendements. Celui du Gouvernement va dans le même sens, mais je m’en remets à l’avis de notre rapporteur, n’étant pas juriste. Reconnaître le parent géniteur et renvoyer l’autre parent à la procédure d’adoption n’est pas la solution idéale, loin de là. Ce n’est en tout cas pas la solution que j’appelle de mes vœux, étant favorable à une GPA fondée sur le don.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’apprécie l’intervention de M. Milon, qui ne m’étonne pas de sa part.
Je regrette profondément que ce texte relatif à la bioéthique, qui n’aurait pas dû à mon sens traiter de la PMA, aborde de manière encore plus restrictive la GPA. Alors que le débat sur la PMA a duré au moins quatorze heures, nous allons traiter de la GPA en une ou deux heures ! Les questions soulevées par Alain Milon sont extrêmement importantes. Elles mériteraient mieux qu’une discussion au détour d’un amendement.
Par ailleurs, il est hypocrite de dire qu’étendre la PMA à toutes les familles, c’est ouvrir la porte à la GPA. La GPA existe, tout le monde l’a reconnu. Mon groupe et moi-même y sommes fondamentalement opposés. Je fais partie de celles et de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de GPA éthique possible, parce que nous vivons dans un monde capitaliste où tout donne lieu à marchandisation. J’ai cru comprendre que, même sur les travées de droite, on était opposé à la marchandisation des corps.
M. Roger Karoutchi. Oui !
Mme Laurence Cohen. C’est un point positif, qui nous permettra peut-être d’avancer sur d’autres sujets !
Contrairement à Alain Milon, je pense donc qu’il n’y a pas de GPA éthique possible. Laissons la science progresser. Le professeur Ayoubi nous a parlé d’une expérience de greffe d’utérus menée à l’hôpital Foch : les perspectives sont peut-être en passe de s’améliorer pour les femmes dépourvues d’utérus.
Quoi qu’il en soit, ne mettons pas sur un pied d’égalité la PMA et la GPA, car recourir à celle-ci revient, dans ce monde capitaliste, à louer le ventre d’une autre femme. C’est, de fait, porter atteinte à la liberté d’une tierce personne, ce qui n’est pas le cas pour la PMA.
Nous avons retiré notre amendement de suppression de l’article au profit de celui du Gouvernement, qui nous semble répondre dans une certaine mesure à la question posée. S’il devait être rejeté, nous voterions la suppression de l’article 4 bis.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le président Retailleau a dit tout à l’heure, me semble-t-il, qu’il existait un moyen légalisé de recourir la GPA en France. Ce n’est pas le cas : la loi interdit clairement la GPA en France. (M. Bruno Retailleau fait un geste de dénégation.) Je vous renvoie à l’article 16-7 du code civil, monsieur Retailleau.
Monsieur Karoutchi, des poursuites pénales sont exercées si un acte a été commis en France en vue d’une GPA…
M. Roger Karoutchi. Mais à l’étranger ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … ou si un intermédiaire est intervenu et peut être pénalement appréhendé. Des sanctions pénales sont prononcées à ce titre.
Enfin, monsieur le président Retailleau, la garde des sceaux ne rappelle rien à la Cour de cassation : l’indépendance de la justice l’interdit ! En revanche, monsieur Karoutchi, le législateur légifère : c’est ce qu’il est ici en train de faire.
Monsieur le président Retailleau, nous avons le même objectif. Je pense avoir été très claire sur ce point en présentant mon amendement. Il me semble toutefois que le texte qui a été adopté par la commission présente quelques difficultés. C’est pourquoi nous proposons une autre rédaction. J’observe d’ailleurs que Mme la rapporteure a déposé un amendement rectificatif n° 333.
M. Bruno Retailleau. Il aurait dû venir en discussion avant.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En l’état, le texte de la commission me semble trop restrictif, en ce qu’il ne vise que les actes de naissance d’enfants nés à l’issue d’une GPA à l’étranger, en introduisant des dispositions spécifiques réglementant une situation particulière alors qu’il me semble préférable de prévoir une solution plus générale et susceptible d’englober d’autres hypothèses.
Par ailleurs, l’article 47-1 du code civil, dans la rédaction proposée par la commission, produit des effets excessifs. Sa mise en application mettrait la législation française en difficulté par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme dans tous les cas où l’adoption par le parent d’intention n’est pas possible. La CEDH a jugé que le lien de filiation doit pouvoir être établi à l’égard du parent d’intention. Or l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l’arrêt Mennesson du 4 octobre dernier, a estimé que lorsque la filiation n’est plus possible, la transcription de l’acte de naissance étranger à l’égard du parent d’intention est la seule manière de reconnaître à l’état civil français le lien de filiation établi à l’étranger. Dans certains cas, les juges devraient donc écarter cet article 47-1 au motif que son application n’est pas compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme.
Enfin, Mme la rapporteure et d’autres ont critiqué l’écriture de l’amendement gouvernemental, pourtant très simple, claire et efficace : « Celle-ci – la réalité – est appréciée au regard de la loi française. » C’est clair parce que la loi française, dans le domaine de la GPA, dispose que la mère porteuse est la mère, tandis que, à l’étranger, il arrive que le droit désigne la mère d’intention comme mère. Il s’agit donc de deux approches différentes. Comment apprécier la conformité à la réalité de l’acte qui désigne la mère d’intention comme mère ? Vous comprenez bien que les choses seront différentes suivant que cette réalité est appréciée au regard de la loi française ou au regard de la loi étrangère ! C’est pourquoi il m’a semblé important, efficace et utile de compléter la rédaction actuelle de l’article 47 par la phrase : « Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. » Cela nous donne toute latitude de juger les situations qui se présentent à nous. Nous répondons ainsi précisément à la jurisprudence de la Cour de cassation, ce qui n’est pas, monsieur le président Bas, purement cosmétique !