Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La position de la commission spéciale est une position d’équilibre.
Elle protège d’abord l’intérêt de l’enfant né du don. On nous a dit qu’il était plus important pour lui de connaître le secret de sa conception que l’identité du donneur. Les Cécos ont travaillé sur ce point. Nous les avons aidés en introduisant des pédopsychiatres et des psychologues spécialistes de l’enfance dans les équipes pluridisciplinaires. Les Cécos remettent des livrets aux parents pour apporter les explications adaptées aux enfants. L’enfant pourra donc connaître le secret de la conception et, éventuellement, l’identité du donneur ; certains peuvent y être sensibles.
Elle protège ensuite l’intérêt du donneur. Nous avons estimé que l’arrivée dans son univers d’un enfant issu de son don dix-huit ans, vingt ans ou vingt-cinq ans après son geste altruiste pourrait, dans certains cas, troubler sa vie privée. Or le donneur a aussi droit au respect de sa vie privée.
Elle protège enfin l’intérêt de la société. Ce point est important, car il est directement lié à la bioéthique. Nous l’avons souligné, le risque, c’est la pénurie de gamètes. Cela pourrait conduire à la marchandisation. Je le rappelle, une personnalité aussi éminente que le professeur Nisand expliquait voilà quelques semaines dans une tribune qu’il fallait discuter de la marchandisation. La présidente des Cécos a également évoqué ce risque devant nous. Dans d’autres pays, le problème de pénurie a été résolu par des importations de gamètes. Voulons-nous vraiment renoncer à la non-marchandisation des gamètes ?
Nous avons ainsi trouvé une position d’équilibre entre ces différents intérêts. La solution que nous avons retenue respecte les principes de bioéthique ; je le rappelle, il s’agit d’un texte de bioéthique. (Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Retailleau applaudissent.)
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 122 rectifié, présenté par Mme Costes et MM. Arnell, A. Bertrand, Cabanel, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Labbé et Requier, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 8
Supprimer les mots :
et à l’identité
II. – Alinéa 12
Supprimer cet alinéa
III. – Alinéa 25
Supprimer les mots :
ou à l’identité du tiers donneur
IV. – Alinéa 29
Supprimer cet alinéa.
V. – Alinéa 30
Supprimer les mots :
et de l’identité
VI. – Alinéa 34
Supprimer les mots :
et de leur identité
VII. – Alinéa 63
Supprimer les mots :
ou à l’identité
VIII. – Alinéa 70
1° Première phrase
Supprimer les mots :
et à être recontactés en cas de demande d’accès à leur identité par ces mêmes personnes
2° Deuxième et troisième phrases
Supprimer ces phrases.
IX. – Alinéa 71
1° Deuxième phrase
Supprimer les mots :
et à être recontactés en cas de demande d’accès à leur identité
2° Avant-dernière et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
X. – Alinéa 72
Supprimer les mots :
et, le cas échéant, à l’identité de ce tiers donneur
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Il est possible que la levée de l’anonymat soit, à un moment, plus perturbante que l’ignorance de l’identité du géniteur.
Je suis un peu ennuyé que nous débattions déjà de l’amendement du Gouvernement alors qu’il n’a pas encore été présenté.
Notre amendement vise à maintenir l’anonymat du donneur. C’est la position de plusieurs collègues de mon groupe. Je la soutiens à cet instant. Toutefois, je souhaite entendre les précisions du Gouvernement.
Mme la présidente. L’amendement n° 233 rectifié, présenté par M. Jacques Bigot, Mmes de la Gontrie, Meunier et Blondin, MM. Daudigny, Jomier et Vaugrenard, Mme Rossignol, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Harribey, M. Montaugé, Mme Monier, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mme Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :
Alinéas 11 à 13
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 2143-2. – Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité aux données non identifiantes et à l’identité de ce tiers donneur.
« Le consentement exprès des personnes souhaitant procéder au don de gamètes ou d’embryons à la communication de ces données et de leur identité dans les conditions prévues au premier alinéa est recueilli avant qu’il soit procédé au don. En cas de refus, elles ne peuvent procéder à ce don.
« Ces données peuvent être actualisées par le donneur.
La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Par cohérence avec les positions que nous avons exprimées au cours de l’après-midi, cet amendement vise à ne pas distinguer les modalités d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur.
Le groupe socialiste et républicain défend le principe d’accès aux origines de l’enfant né d’un don.
Nous souhaitons revenir à la philosophie initiale de l’article 3 tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale : considérer l’accès aux origines, entendu comme l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, comme un droit universel pour l’ensemble des personnes majeures nées d’un don.
Mme la présidente. L’amendement n° 292, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11
Après les mots :
à sa majorité
insérer les mots :
à l’identité et
II. – Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 13, première phrase
Remplacer les mots :
leurs données non identifiantes
par les mots :
ces données et de leur identité
IV. – Alinéa 29
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 2° De faire droit aux demandes d’accès à l’identité des tiers donneurs conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État pris en application du 3° de l’article L. 2143-9 ;
V. – Alinéa 33
Après les mots :
non identifiantes
insérer les mots
et à leur identité
VI. – Alinéa 67
Après les mots :
non identifiantes
insérer les mots :
et à la communication de leur identité
VII. – Alinéa 70, première phrase
Remplacer les mots :
et à être recontactés en cas de demande d’accès à leur identité
par les mots :
ainsi que leur accord à la communication de leur identité en cas de demande
VIII. – Alinéa 71, deuxième phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Ils consentent alors expressément, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité aux personnes majeures conçues, à partir de cette date, par assistance médicale à la procréation à partir de leurs gamètes ou de leurs embryons qui en feraient la demande.
IX. – Alinéa 73
Après les mots :
non identifiantes
insérer les mots :
et à l’identité
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Cet amendement, qui concerne un sujet qui nous tient évidemment à cœur, mais bien moins qu’aux enfants concernés, vise à rétablir la rédaction initiale du projet de loi : c’est avant le don que le donneur doit consentir une fois pour toutes à l’accès de ses données non identifiantes et à son identité.
Je le rappelle, nous voulons compléter le cadre actuel de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur en accordant aux seules personnes conçues par don anonyme qui le souhaiteraient un droit d’accès à des informations relatives au donneur, y compris son identité. Encore une fois, madame la rapporteure, rien n’obligera l’enfant à avoir accès à cette identité s’il ne le souhaite pas.
À leur majorité, les enfants qui le souhaiteront pourront solliciter une commission placée auprès du ministre chargé de la santé. Celle-ci s’adressera alors à l’Agence de la biomédecine, qui conservera les données relatives aux donneurs, aux dons et aux enfants nés de dons.
Je le précise, le droit d’accès à l’identité du tiers donneur n’est pas un droit de rencontre ; c’est un droit à la connaissance d’une information. Le Gouvernement n’entend pas ouvrir un droit à contacter le tiers donneur ou à s’immiscer dans la famille de celui-ci. Réciproquement, cela vaut aussi pour le donneur : il n’y a pas de confusion entre la famille et le géniteur.
La commission spéciale a adopté un amendement tendant à prévoir le recueil du consentement du donneur lors de la demande d’accès à son identité par une personne majeure issue de son don. Comme je l’ai déjà indiqué, une telle option, qui n’exclut pas un éventuel refus du donneur, apparaît d’emblée comme inégalitaire.
Je suis souvent en accord avec l’excellent sénateur Julien Bargeton. Mais, en l’occurrence, il s’agit d’une question moins d’évolution de la société ou d’égalité, même si c’est évidemment aussi le cas, que de développement individuel de l’enfant.
Soyez pragmatiques. Mettez-vous à la place d’un enfant auquel on dirait dès le plus jeune qu’il aura peut-être accès à l’identité du donneur, ou peut-être pas. Imaginez son angoisse jusqu’à sa majorité. Songez à la situation dans laquelle vous le mettriez en votant un tel dispositif.
L’option que nous avons retenue présente au contraire l’avantage de placer tous les enfants issus d’un don sur un pied d’égalité. Elle donne acte aux personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur de la légitimité de leur demande. Le droit qu’elle ouvre sera effectif en pratique.
Ne créons pas l’illusion d’instituer des droits nouveaux pour les enfants nés de dons si ces derniers ne peuvent pas les exercer en pratique : c’est ce qu’on peut leur faire de pire ! Ce que nous proposons est respectueux des donneurs, qui seront, vous l’avez compris, parfaitement informés du nouveau cadre législatif au moment d’effectuer leur don. Ils auront le choix et pourront décider de donner ou non. Effectivement, leur profil risque de changer par rapport à aujourd’hui.
Nous raisonnons trop dans le cadre actuel. Je pense notamment à M. Longuet, qui évoquait l’irruption dans la famille d’un donneur. Quand tout sera plus transparent, clair, assumé et désacralisé (M. Bruno Retailleau s’esclaffe.), le donneur saura que son identité pourra être levée, et l’enfant issu d’un don ne grandira plus dans cette espèce de secret de famille délétère. L’irruption sera donc beaucoup moins perturbante.
M. Bruno Retailleau. C’est un peu plus compliqué que cela ! Vous êtes bien naïf !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Nous souhaitons donc que le dispositif que nous avions envisagé – permettre à tous les enfants nés d’un don d’accéder à l’identité de leur donneur – puisse être rétabli. C’est le sens du présent amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 244 rectifié n’est pas soutenu.
L’amendement n° 293, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 34
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La commission spéciale souhaite que l’on puisse rechercher les donneurs relevant du régime actuel pour obtenir leur consentement dès lors qu’une demande d’accès à leur identité a été formulée par une personne née de leur don.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire, nous ne souhaitons pas nous engager dans cette voie. Notre choix est que les anciens donneurs sous le régime actuel soient libres de se manifester ou non auprès de la commission chargée de l’accès aux données et qu’ils ne soient pas recherchés. Certains interpellent déjà l’Agence de la biomédecine pour se manifester. Ce débat est justement l’occasion de faire de la publicité sur la possibilité qui sera bientôt ouverte aux anciens donneurs.
En retenant le dispositif de la commission spéciale, nous serions en porte-à-faux avec le contrat moral que nous avons passé avec eux au moment de leur don sous un régime spécifique de non-consentement pour l’accès aux origines. Pour contourner la difficulté, vous proposez d’agir au cas par cas lors d’une demande spécifique formulée par une personne issue d’un don auprès de la commission chargée de l’accès aux données. Celle-ci contacterait le Cécos, qui se mettrait directement en relation avec le donneur pour lui demander son accord, mais sans aucune garantie pour la suite.
Pour notre part, nous voulons que la demande puisse recevoir une réponse. Nous avons choisi non de partir de la demande des personnes, mais d’organiser une vaste campagne d’information à l’attention du grand public pour proposer à tous ceux qui ont fait des dons dans les Cécos avant la présente loi de se manifester, afin de permettre un accès à leurs données non identifiantes, à leur identité ou aux deux. Nous souhaitons distinguer la démarche volontaire du donneur et une sollicitation intrusive. En outre, nous ne voulons pas d’une forme de rétroactivité pour les lois de bioéthique.
Mme la présidente. L’amendement n° 265 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, M. Bargeton, Mme Constant, MM. Buis, Yung et Théophile, Mme Cartron, MM. Patriat, Hassani, Marchand, Patient, Iacovelli, Gattolin, Karam, Lévrier, Rambaud, Haut et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 70, deuxième à dernière phrases
Supprimer ces phrases.
II. – Alinéa 71, troisième à dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cet amendement vise à supprimer l’obligation du recueil de consentement de l’autre membre du couple dans le cadre du nouveau droit d’accès aux origines.
D’abord, le don est un acte personnel. Ensuite, il est difficile pour les équipes de savoir si la personne est en couple ou non. Enfin, les échanges au sein même du couple relèvent de la sphère privée.
Nous considérons que l’accès à l’identité du donneur doit être accepté par lui.
Mme la présidente. L’amendement n° 281, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 70, deuxième à dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec celui que j’ai présenté à l’article 2.
Nous souhaitons revenir au texte du Gouvernement, qui ne prévoit pas de recueillir le consentement de l’autre membre du couple lors d’un don de gamètes ni, par conséquent, lors d’une demande d’accès à l’identité du donneur. Comme je l’ai déjà souligné, la France serait le seul pays d’Europe à avoir une telle législation ; même si ce n’est pas un argument en soi, il me semble important de le rappeler.
Le don de gamètes engage chacun personnellement. Le fait que le donneur tienne son conjoint informé – qu’il soit pacsé, marié ou en concubinage – relève de la sphère privée, pas de la loi.
Par ailleurs, il est nécessaire d’adapter le don de gamètes aux évolutions de la société et de le sécuriser en permettant au seul donneur de gamètes de révoquer son consentement.
Vous avez assorti votre dispositif d’une vérification que l’autre membre du couple est toujours en couple avec le donneur au moment de la demande d’accès à l’identité de ce dernier. Rendez-vous compte de la complexité que cela peut représenter en pratique pour les équipes. Comment peuvent-elles vérifier cela vingt ans après ? Imaginez l’injustice que ce serait pour une personne née d’une AMP de ne pas pouvoir accéder à l’identité du donneur quand bien même celui-ci y serait favorable juste parce que son conjoint y serait opposé ! Or c’est ce qui résulterait du système que vous voulez instituer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Quel est le système le plus juste ? Quel est le système le plus égalitaire ? Quel est le système qui heurte le moins ? Aucun système ne peut prétendre à la justice, à la justesse et à l’égalité parfaites.
Le système voulu par le Gouvernement laisse de côté tous ceux qui militent actuellement pour connaître leurs origines. Ils ne pourront pas être aidés. Le système adopté par la commission spéciale prévoit que les anciens donneurs seront recontactés pour savoir s’ils souhaitent lever leur anonymat, ce qui ne sera vraisemblablement pas possible si on ne fait rien. Le système de la commission spéciale paraît donc plus juste.
Trahissons-nous un contrat moral qui aurait été passé avec les donneurs ? Reprenons l’exemple des femmes ayant accouché sous X avant 2002, qui sont légion. Lors de l’accouchement, on ne leur a jamais dit qu’elles pourraient être recontactées. Pourtant, aujourd’hui, le CNAOP, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, les recontacte à la demande des enfants concernés alors que le même contrat moral existait peut-être. La loi ne prévoyait rien en la matière. C’est exactement le même système que nous souhaitons mettre en place.
La justice, la justesse, l’égalité, chacun peut y prétendre sur un point et pas sur un autre. Encore une fois, nous avons cherché un point d’équilibre permettant que les principes bioéthiques ne soient pas écornés à terme. C’est, me semble-t-il, la moindre des choses dans une loi de bioéthique.
L’avis est donc défavorable sur l’ensemble des amendements qui viennent d’être présentés.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avis défavorable sur les amendements nos 122 rectifié, 233 rectifié et 265 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Nous retirons l’amendement n° 233 rectifié au profit de l’amendement n° 292 du Gouvernement.
Mme la présidente. L’amendement n° 233 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. L’amendement du Gouvernement vise à faire en sorte que le donneur autorise l’accès à ses données, y compris son identité. Faut-il en conclure qu’il ne pourra effectuer de don s’il ne consent pas à cette autorisation ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est ça !
Mme Laurence Rossignol. C’est une condition du don !
Mme Sophie Primas. Je ne suis pas certaine que tout le monde ait bien compris cela.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Ceux qui auront donné jusqu’à la promulgation de la présente loi seront soumis à l’ancien régime juridique ; ils ne pourront pas être recontactés. Nous ne voulons pas d’une loi de bioéthique rétroactive. Cela mettrait en péril la confiance des Français envers les futures lois qui seront votées.
À partir d’aujourd’hui, nous demanderons aux nouveaux donneurs s’ils acceptent d’être recontactés. En cas de refus, ils ne pourront plus donner, afin d’éviter d’avoir des stocks différents à gérer. Nous reconstituerons un nouveau stock de gamètes avec les donneurs soumis au nouveau régime législatif. Une fois que le stock sera suffisant, nous détruirons l’ancien stock.
Mme Patricia Schillinger. Bonne pédagogie !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Plus nous avançons dans la discussion, plus nous comparons les différentes formules qui nous sont proposées et plus j’ai le sentiment que celle de la commission spéciale est vraiment la meilleure. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s’esclaffe.)
Le Gouvernement propose que quelqu’un puisse s’engager sur ce qu’il fera dans vingt ans si on lui pose la question de la révélation de son identité à une personne issue de son don. Une telle idée méconnaît tout ce qui peut se passer pendant ces vingt années !
Vous donnez vos gamètes en étant célibataire. Au cours des vingt années suivantes, vous pouvez vous être marié, avoir divorcé ou avoir constitué une famille recomposée. Si l’on vient vous voir au bout de vingt ans, vous saurez à ce moment-là si votre situation personnelle et familiale vous permet d’assumer la révélation de votre identité. Il est pratiquement impossible de le savoir, donc de prendre un tel engagement, vingt ans plus tôt !
Je trouve que la proposition du Gouvernement méconnaît profondément la réalité de la vie que le donneur va avoir devant lui pendant toutes les années où l’enfant issu du don va grandir. Je recommande vraiment à nos collègues de s’en tenir à la formule de la commission spéciale. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et l’enfant ?
Mme Laurence Rossignol. L’intérêt de l’enfant a manifestement disparu de certains discours…
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le sénateur, pour beaucoup d’entre nous, il est effectivement très difficile de se projeter vingt ans plus tard. Simplement, des pays ont fait ce choix. On observe alors que le profil des donneurs n’est plus du tout le même. Désormais, les donneurs sont clairement des personnes très engagées qui font un geste altruiste, dans une démarche quasi militante ; ils en parlent beaucoup plus facilement à leur conjoint.
Je le rappelle, le donneur a toujours la possibilité de se rétracter tant que les gamètes ne sont pas utilisés, et tous les gamètes ne sont pas utilisés. Aujourd’hui, il y a environ 400 donneurs de gamètes masculins en France, et il y a seulement eu un peu plus de 200 naissances issues de leur don. Il n’est plus possible de se rétracter après l’utilisation des gamètes.
Nous avons fait ce choix en nous plaçant du point de vue de l’enfant. Si nous permettions aux donneurs de revenir sur leur engagement au bout de vingt ans en retirant l’autorisation d’accès à leurs données, les enfants seraient dans l’incertitude la plus totale. Le risque est que très peu d’enfants puissent avoir accès aux données non identifiantes, voire identifiantes.
Je le rappelle, c’est une commission qui évalue les besoins de l’enfant et qui recontacte les donneurs. Il n’y a pas de mise en contact direct. La commission d’experts recueille la demande de l’enfant et communique ensuite les données non identifiantes. Si cela ne suffit pas à la construction de l’enfant, l’étape suivante est éventuellement la communication des données identifiantes, avec la possibilité pour le donneur de gamètes de refuser le contact. L’obligation porte seulement sur les données identifiantes.
Si nous indiquions que l’accès aux origines est autorisé, mais que le donneur peut se rétracter au dernier moment vingt ans plus tard, la loi n’aurait plus aucune effectivité, et nous aurions un double régime : certains enfants auraient accès à leurs origines, et d’autres non
Le choix du Gouvernement a donc été clair. Nous ne proposons aux donneurs de recueillir leurs gamètes que s’ils s’engagent sur le long terme à permettre l’accès aux origines, c’est-à-dire les données non identifiantes dans le premier cas, puis les données identifiantes dans le deuxième cas.
Nos discussions avec des enfants nés de don ont montré que les données non identifiantes suffisaient souvent à la construction de l’enfant. Tous n’ont pas besoin de connaître le nom du donneur. De toute manière, rien n’obligera ce dernier à être mis en contact.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Corbisez. Pour le don d’organes, il y a aujourd’hui un registre des refus. Autrefois, des individus gardaient dans leur portefeuille un document précisant qu’ils étaient donneurs d’organes ou l’indiquaient à leurs proches dans l’hypothèse où il leur arriverait un accident. Je trouve que c’était un beau geste citoyen, voire supra-citoyen : on s’engageait pour autrui au-delà de la mort.
L’anonymat du don de gamètes permet à des personnes célibataires ou en couple, mariées ou non, de faire un geste citoyen, un geste familial, en permettant à d’autres d’avoir un enfant.
Si je comprends bien ce qui nous est proposé, la personne qui voudrait donner ses gamètes, mais qui ne souhaiterait pas autoriser l’accès à ses données identifiantes ne pourrait plus faire de don. Cela revient donc à empêcher ceux qui veulent rester des donneurs anonymes de continuer à faire un acte citoyen et à aider des couples en difficulté. Le fait qu’une personne refusant de communiquer ses données identifiantes ne puisse plus être considérée comme un donneur potentiel me gêne beaucoup.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. On ne donne pas pour se faire plaisir. Le Gouvernement ne souhaite pas contenter des donneurs qui auraient envie de donner sous un autre régime, mais répondre à une problématique unanimement reconnue aujourd’hui : la nécessité pour un enfant né d’un don de connaître ses origines pour se construire. Je rappelle que ces enfants sont très peu nombreux, et, pour nous, aujourd’hui, la priorité, c’est bien la construction de l’enfant. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas un double régime de donneurs anonymes et de donneurs qui accepteraient d’être connus. Nous voulons clarifier les choses.
Le plus souvent, les donneurs connaissent des couples qui ont des difficultés à avoir des enfants, et ils s’engagent dans une démarche de don pour des raisons personnelles très profondes.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous devons replacer l’anonymat dans son contexte historique.
Dans le cadre de l’AMP pour les couples hétérosexuels, on a toujours essayé de faire comme s’il n’y avait pas de don, comme si l’enfant était vraiment né de cette femme et de cet homme. C’est au fur et à mesure qu’on a accepté d’en parler dans les familles. Dès lors, la levée de l’anonymat, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État, est une vraie quête de la part des enfants.
Le don est un geste généreux, citoyen, conçu pour permettre à des parents d’avoir un enfant, dans le cadre d’une vérité sociologique, et non biologique. C’est la raison pour laquelle la commission a prévu, à l’article 5 A, une valorisation des donneurs, sous la forme d’un statut honorifique.
Dès lors que le donneur saura, il n’y aura pas de difficulté.
Cela étant, nous ne souscrivons pas à l’amendement n° 293, présenté par le Gouvernement. Pour ce qui concerne le passé, nous nous rangeons plutôt à l’avis de la commission. Comme pour les enfants nés sous X, il s’agit de permettre à un enfant en quête de ses origines, et qui ne se contente pas de ce qu’il peut trouver dans les algorithmes américains, de demander à la commission d’accéder à l’identité du donneur. Dans ce cas, on consultera le donneur, lequel pourra alors accepter ou refuser.
Nous voterons en revanche les amendements nos 292, 265 rectifié et 281.