compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Catherine Deroche.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 16 janvier 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’anciens sénateurs
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues André Dulait, qui fut sénateur des Deux-Sèvres de 1995 à 2014 et qui fut aussi président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et Bernard Joly, qui fut sénateur de la Haute-Saône de 1995 à 2004.
3
Bioéthique
Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 63, texte de la commission spéciale n° 238, rapport n° 237).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la séquence qui s’ouvre aujourd’hui revêt une dimension singulière par les thèmes que nous allons aborder. Chacun mesure l’importance des échanges que nous allons avoir, et c’est avec beaucoup d’humilité que nous entamons l’examen de ce texte.
Ne nous y trompons pas, les projets de loi relatifs à la bioéthique, s’ils peuvent sembler techniques, voire abstraits, recouvrent des enjeux très concrets qui touchent au plus profond de l’intimité des Français : la famille, l’enfance, la maladie et tout ce qui compose une vie dans ses choix ou dans ses espoirs.
C’est donc à une réflexion profonde que vous êtes invités, que nous sommes invités. Une réflexion non pas sur des problèmes à résoudre ou sur des défis à relever, mais bien sur la société dans laquelle nous voulons vivre et la société que nous voulons proposer aux générations futures.
La France prend rendez-vous à intervalles réguliers avec les grandes questions de notre temps, avec le champ des possibles ouvert par la science et la recherche biomédicale.
Ce champ des possibles est vaste, mais nos principes sont solides. Ces principes sont autant de jalons et de limites à ne pas dépasser.
Ces grands principes, ils sont au cœur du projet de loi : la dignité de la personne humaine, l’autonomie de chacun et la solidarité de tous.
Ces grands principes ne sont pas des verrous, ce sont des balises qui nous guident et nous protègent.
Nos choix refléteront nécessairement un certain état de la science, de la société, des mentalités et, évidemment, de l’éthique. Ces choix sont ceux de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels, parfois douloureux, et des conséquences collectives acceptables.
Ces choix, nous les ferons ensemble, parce que c’est au Parlement, et nulle part ailleurs, qu’ils doivent être faits.
Dans la préface du Principe responsabilité, le philosophe Hans Jonas nous alertait déjà. Je souhaite le citer : « Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. »
Nous ne sommes pas réunis pour autre chose. Les thèmes qui vont nous mobiliser sont exigeants, passionnants et s’accommodent mal des raccourcis et des caricatures. Le projet de loi que je vous présente aux côtés de Nicole Belloubet, de Frédérique Vidal et d’Adrien Taquet a été largement nourri par vos travaux parlementaires. Il a aussi été enrichi à l’Assemblée nationale et par les travaux de la commission spéciale de votre assemblée. Il le sera encore par les débats qui s’ouvrent aujourd’hui.
Ce long cheminement n’a rien d’anodin ; il était et reste nécessaire.
La méthode retenue depuis plusieurs mois a été, je crois, à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire à la hauteur de ce que nous sommes, ni plus ni moins : des hommes et des femmes avec leur histoire personnelle, leur sensibilité et leur sens du bien commun devant des choix qui vont structurer la société française de demain.
C’est dans ce même esprit que nous allons avancer dès aujourd’hui pour adapter notre droit, non pas à une société post-moderne tantôt espérée, tantôt redoutée et souvent fantasmée, mais à la société telle qu’elle est ici et maintenant, et surtout aux Français tels qu’ils sont ici et maintenant, dans leur très grande diversité.
Accéder à des techniques médicales et accorder de nouveaux droits, ce n’est pas déréguler ; c’est au contraire permettre à la République de tenir compte des avancées scientifiques et médicales et de s’adapter à la vie des Français.
J’aurai l’occasion de revenir devant vous à plusieurs reprises pour présenter certaines dispositions et débattre ensemble de leur contenu.
Le projet de loi travaillé par la commission spéciale porte toujours les avancées que le Gouvernement a proposées en matière de procréation : d’une part, l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées ; d’autre part, l’autorisation de l’autoconservation des gamètes. Ces mesures majeures ont été approuvées par les sénateurs et je m’en réjouis. Ces nouvelles dispositions doivent néanmoins être parfaitement encadrées et nous y veillerons avec la plus grande rigueur.
Ces mesures ouvrent des droits. Ces droits sont effectifs chez la plupart de nos voisins européens ; ils ne sont contraires à aucun principe de la bioéthique et ils peuvent être exercés dans un cadre protecteur, en particulier pour l’enfant à naître.
L’ouverture de ces droits, c’est l’ouverture sur un avenir que nous regardons avec confiance. Soyons lucides : les familles monoparentales et homoparentales existent déjà ; elles sont issues de projets souvent très longs avec des enfants qui sont ardemment désirés et des parents, nul ne s’en étonnera, qui sont des parents, tout simplement.
Je veux couper court à une idée fausse : il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de droit à l’enfant. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tout projet parental formulé dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation est déjà, dans le droit en vigueur, soumis au respect de l’intérêt de l’enfant à naître ; et il continuera de l’être.
Reconnaître la famille dans ce qu’elle a de divers, de pluriel et de riche, c’est ce que nous vous proposons.
La commission spéciale a également fait sien notre souhait de permettre aux personnes nées de PMA (procréation médicalement assistée) avec un don de gamètes de connaître l’identité du donneur.
Nous savons que l’anonymat du donneur a bien souvent pour corollaire le silence des parents et des questions sans réponse de l’enfant. Permettre à l’enfant d’accéder à sa majorité à des informations relatives au donneur, c’est lui permettre de se construire comme individu, de se pacifier avec son histoire et, donc, avec lui-même.
Un donneur n’est pas un parent, ce n’est pas sa vocation, ce n’est pas le sens de son geste. Mais il est une pièce de son identité que l’on ne peut dérober à l’enfant, il est un chaînon qui ne doit pas manquer à l’appel d’une existence.
Donner accès aux origines par ce projet de loi, c’est aussi sortir le don du secret pour le reconnaître dans ce qu’il a de profondément humain, altruiste et solidaire.
Ce faisant, nous n’affirmons qu’une seule chose : la force des institutions qui encadrent et qui protègent chacun. Nous ne ferons qu’un seul choix, celui de la responsabilité individuelle et collective.
Le projet que nous examinons comprend aussi de nouvelles mesures en matière de génétique auxquelles je suis fondamentalement opposée.
Le séquençage à haut et très haut débit de l’ADN a révolutionné le domaine de la génétique. Le projet de loi initial proposait des mesures concrètes pour accompagner l’augmentation des indications et des usages des examens génétiques réalisés dans le cadre du soin ou dans le cadre de la recherche.
Mais la facilité et la rapidité d’analyse du génome permettent aisément de dépasser ce cadre.
Toutes les mesures dont nous allons parler – dépistage génétique en population générale, dépistage préconceptionnel, dépistage préimplantatoire, dépistage génétique néonatal – sont en effet intimement liées.
Ces mesures peuvent paraître positives ; mais, derrière elles, que cherchons-nous à prévenir ?
Le dépistage en population vise à connaître les maladies auxquelles on serait prédisposé. Que fait-on de l’absence de preuve de l’utilité médicale d’une telle démarche ? Que fera-t-on de ces résultats que l’on ne sait pas interpréter et qui amèneront la personne à se méprendre sur son état de santé, présent comme futur ?
Le dépistage préconceptionnel ouvert à tout couple en âge de procréer vise à identifier le risque d’avoir un enfant atteint de certaines maladies. Mais comment définirons-nous ces maladies ? Au regard de la mortalité ? Au regard du handicap ?
Par ailleurs, l’expression d’une mutation est variable et l’on ne sait pas le prédire à ce jour. Il s’agit donc d’éviter la naissance d’enfants sur la base d’une anomalie génétique dont on ne peut prédire comment elle s’exprimera.
Que penser de notre modèle de société inclusive si l’on ne veut plus prendre le risque de la différence ?
MM. Philippe Bas et Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Quel impact sur les couples qui feront les tests ou, au contraire, qui ne les feront pas ? Quel impact sur la diversité génétique de notre espèce ?
On peut tirer le fil pour toutes ces mesures. Mais une chose est certaine : le généticien ne doit pas se substituer à la Pythie grecque que l’on interrogeait pour connaître son avenir ; des examens médicaux ne sauraient devenir des oracles parce que la vie n’est jamais réductible à une prédiction, aussi scientifique soit-elle.
C’est pourquoi nous sommes convaincus que le temps est à la recherche pour mieux comprendre l’impact des différentes mutations et leurs conséquences en termes de prévention, de soins et de société.
Dans le champ du dépistage préimplantatoire des aneuploïdies, qui sont une anomalie du nombre de chromosomes, comme les trisomies, l’objectif peut paraître louable : il est d’améliorer l’efficacité des fécondations in vitro en évitant le transfert des embryons non viables, et donc capables de générer des fausses couches. Mais, sur le plan scientifique et médical, l’efficacité de la technique est discutée et il est indispensable de poursuivre les recherches avant de modifier la loi. D’ailleurs, un projet de recherche a été sélectionné et sera financé, dès 2020, dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique.
Au-delà de l’objectif d’amélioration de la procréation médicalement assistée, il ne faut pas occulter le débat : l’enjeu, une fois la technique autorisée, sera également la réimplantation ou non d’embryons viables, mais présentant des anomalies génétiques.
Pour moi, les risques sont réels et les bénéfices incertains. Si nous soutenons l’effort et l’essor de la médecine génomique dans un cadre médical et sécurisé, le Gouvernement n’est pas favorable à une libéralisation de l’accès aux tests génétiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous alerte, enfin, sur les tests généalogiques dits « récréatifs ».
Les tests généalogiques exposent à une multitude de risques peu connus, mais qui constituent une menace sérieuse pour la vie privée des consommateurs. Si l’objectif est de rechercher d’éventuelles proximités de parenté, cela a un impact sur d’autres membres de la famille, qui n’y ont donc pas consenti.
La démarche des sociétés qui proposent ces tests n’est pas philanthropique : elle est d’abord commerciale, et la généalogie est le plus souvent un cheval de Troie qui ouvre la voie au dépistage génétique à visée médicale dont je parlais à l’instant.
Face à vous, je serai déterminée. Ces sujets ne laissent pas indifférents, ces sujets nous obligent à un débat parlementaire exigeant, serein et apaisé.
Nous avons fait le choix, non d’engager la procédure accélérée, mais bien de laisser à chacun, dans chacune des chambres, le temps de débattre et de modifier le texte.
De la même manière, le Gouvernement prend acte des modifications qui sont intervenues en commission spéciale. Certaines posent des questions techniques, d’autres plus politiques. Nous avons souhaité déposer des amendements sur les seuls éléments que nous considérons comme des lignes rouges à ne pas franchir pour garantir l’équilibre du projet de loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, un grand projet collectif nous attend : le projet d’une société en phase avec elle-même, d’une société qui reconnaît des droits nouveaux, sans rien céder aux principes qui nous lient les uns aux autres.
Dans les prochaines semaines, vous serez des artisans et des garants : les artisans d’un droit qui s’adapte à la France et aux Français du XIXe siècle, les garants d’un projet qui protège et qui émancipe. C’est ce projet collectif qui nous réunit aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir, aux côtés d’Agnès Buzyn, de Frédérique Vidal et d’Adrien Taquet, de vous présenter aujourd’hui ce texte important de révision des lois bioéthiques.
En tant que membre du Gouvernement, je suis bien entendu particulièrement fière de co-porter cette loi, qui, dans son ensemble – Agnès Buzyn vient de le rappeler –, réaffirme des principes et des valeurs, mais traduit aussi de véritables progrès.
Je pense notamment à son article 1er, qui ouvre l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules.
Je me réjouis donc que la commission spéciale ait décidé de repousser les amendements de suppression de l’article 1er du projet de loi. Je souhaite évidemment qu’il puisse en être de même en séance publique.
Cela répond en effet à une réalité sociologique qui ne peut être ignorée ; elle est liée à la pluralité des situations familiales.
En tant que garde des sceaux, je suis plus particulièrement chargée de l’article 4 de ce projet de loi, qui tire précisément les conséquences, sur le plan de la filiation, de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes.
Cette question de l’établissement de la filiation des enfants nés au sein de couples de femmes ayant recours à une PMA avec tiers donneur suscite à la fois des interrogations et des débats légitimes.
Plusieurs options étaient envisageables sur ce point. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement avait saisi le Conseil d’État.
Je rappelle brièvement quelles sont les options qui pouvaient être offertes : d’une part, une extension des dispositions de droit commun, même si ces termes de droit commun sont impropres ; d’autre part, la création d’un dispositif ad hoc applicable à l’ensemble des couples, hétérosexuels comme homosexuels, qui avaient recours à une PMA avec tiers donneur ; ou encore la création d’un dispositif ad hoc applicable aux seuls couples de femmes ayant recours à la PMA avec tiers donneur.
Chacune de ces solutions, de ces options, présente des avantages et des inconvénients qui vous ont très certainement été largement exposés dans le cadre des auditions que vous avez menées.
Ce qui a présidé au choix du Gouvernement, ce sont les quatre principes et objectifs suivants.
Il s’agissait d’abord pour nous d’offrir aux enfants nés d’AMP au sein d’un couple de femmes les mêmes droits que ceux qui sont offerts aux autres enfants. C’est un choix d’égalité qui est évident, mais qui devait être ici affirmé et réaffirmé fortement.
Deuxième objectif : apporter la sécurité juridique aux deux mères et à leurs enfants. La filiation, dans cette hypothèse précise, peut être établie non sur la vraisemblance biologique, mais sur la base d’un engagement commun. C’est donc une évolution juste, mais elle doit être juridiquement solide.
Troisième objectif : il s’agissait pour nous de construire une procédure simple, qui n’impose aucune démarche supplémentaire pour les couples de femmes pour l’établissement de leur filiation.
Enfin, quatrième objectif : il s’agissait de ne pas revenir sur le droit applicable aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons en effet ouvrir des droits nouveaux sans rien retirer ou modifier du régime de filiation applicable aux couples hétérosexuels.
C’est donc sur la base de ces quatre principes clairs que nous avons fait le choix d’un dispositif ad hoc pour l’établissement de la filiation pour les couples de femmes ayant recours à l’AMP avec tiers donneur.
Le dispositif proposé par le Gouvernement dans le projet de loi initial a été enrichi dans le cadre des débats à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, de manière très concrète, il se présente de la façon suivante.
D’abord, les couples de femmes doivent consentir devant notaire à faire une PMA avec tiers donneur, comme c’est aujourd’hui le cas pour les couples hétérosexuels. Au même moment, lors de ce même entretien devant le notaire, elles s’engagent à devenir les mères de l’enfant qui naîtra.
Cette reconnaissance conjointe sera produite lors de la naissance devant l’officier d’état civil en même temps que le certificat d’accouchement, ce qui permettra d’établir la filiation à l’égard des deux mères. L’acte intégral de naissance de l’enfant comportera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères.
Ce dispositif a évolué au cours du travail mené avec les rapporteurs à l’Assemblée nationale. Les modifications, qui ne remettent pas en cause les objectifs que j’ai rappelés plus haut, ont porté essentiellement sur deux points.
Le premier a trait à l’emplacement des dispositions concernant l’AMP avec tiers donneur pour les couples de femmes.
Alors que notre projet initial avait créé un nouveau titre VII bis propre à la filiation des enfants nés de couples de femmes ayant recours à l’AMP, le dispositif finalement adopté à l’Assemblée nationale est intégré au sein du titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation. Au sein de ce titre VII, a été créé un chapitre V, qui porte sur le recours à l’AMP avec tiers donneur pour tous les couples.
Ce chapitre nouveau est toutefois très précisément organisé. Il comporte d’abord les dispositions communes – interdiction d’établir un lien de filiation avec le donneur, condition et forme du consentement –, puis les dispositions qui permettent l’établissement de la filiation dans les couples de femmes.
Ce déplacement par rapport au projet initial du Gouvernement permet de rendre compte du socle commun entre ces modes de filiation. Il permet donc de rapprocher autant qu’il est possible les modes d’établissement de la filiation des couples de femmes et des couples hétérosexuels qui ont recours à l’AMP avec tiers donneur.
Pour autant, ce nouvel emplacement ne bouleverse pas le droit de la filiation dès lors que les quatre premiers chapitres du titre VII, consacrés à la filiation reposant sur la vraisemblance biologique, ne sont pas modifiés.
Je le répète : les couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP avec tiers donneur ne voient pas modifié l’établissement de leur filiation.
La seconde évolution qui a résulté des débats conduits à l’Assemblée nationale concerne la notion de reconnaissance conjointe.
Dans le projet de loi initial, le Gouvernement avait proposé d’établir une déclaration anticipée de volonté (DAV). L’article 4 réécrit lui substitue la notion de reconnaissance conjointe. Cette substitution est une réponse à la critique formulée à propos de la DAV, apparue comme une notion juridique, voire un objet juridique nouveau, qui, aux yeux de certains, pouvait être considérée comme stigmatisante pour les couples de femmes.
Là encore, et cela a son importance, le Gouvernement assume au maximum la volonté de réduire la différence entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, tout en respectant l’exigence de sécurité juridique.
Il n’y a en effet aucune confusion possible entre cette reconnaissance conjointe et la reconnaissance de l’article 316 du code civil : la première est donc conjointe, effectuée avant même la grossesse, tandis que la seconde est unilatérale et effectuée après la naissance ou, au plus tôt, au début de la grossesse.
La reconnaissance conjointe n’est possible que pour les couples de femmes, tandis que la reconnaissance de l’article 316 n’est pas ouverte aux couples de même sexe.
Pour établir une double filiation maternelle, l’officier d’état civil devra donc exiger cette reconnaissance conjointe, ainsi que le certificat d’accouchement. Il n’y a dès lors aucune confusion possible entre ces deux modes d’établissement de la filiation.
Concrètement, je l’ai déjà dit, l’acte de naissance de l’enfant portera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères. Cette mention attestera bien que l’on est dans l’hypothèse légale d’une double filiation maternelle.
Ainsi, grâce à son double caractère – elle est simultanée et anticipée –, cette reconnaissance conjointe permet de sécuriser la filiation, particulièrement à l’égard de la femme qui n’accouche pas.
Les deux femmes seront mères en même temps, à égalité, dès lors que l’accouchement aura eu lieu. La reconnaissance conjointe permet donc de faire obstacle à l’éventuelle reconnaissance par un tiers avant la naissance, puisque cette reconnaissance conjointe lui sera en tout état de cause antérieure et qu’elle primera devant l’officier d’état civil.
Ce dispositif simple est donc particulièrement sécurisant, pour les enfants comme pour les mères – c’était la première de nos exigences.
À la faveur des débats, un autre sujet s’est imposé à nous au cours de la navette parlementaire : la gestation pour autrui (GPA). Nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir en détail dans la discussion des articles, mais je souhaite en dire quelques mots dès ce propos liminaire.
D’abord, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut ni ne doit en aucun cas conduire à autoriser la GPA au nom du principe de non-discrimination. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Ce n’est pas gagné !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En effet, le principe d’égalité ne trouve pas, en l’occurrence, à s’appliquer.
D’abord, parce qu’il n’existe pas de droit à l’enfant.
M. André Reichardt. Tiens donc !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. D’autre part, parce que, au regard de la procréation, les couples de femmes et les couples d’hommes ne sont pas dans une situation identique. (Nouveaux murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ensuite, la reconnaissance du désir d’enfant pour les couples d’hommes ou les hommes célibataires soulève des enjeux totalement différents de ceux qui sont liés au recours à la PMA.
Pour la GPA, le degré d’implication du tiers, sans commune mesure avec celui du donneur de gamètes, est tel qu’il porte atteinte aux principes, que nous avons maintes fois réaffirmés, de non-marchandisation du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes.
À cet égard, il est hors de question d’autoriser la GPA en France.
M. Bruno Sido. Aujourd’hui…
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je le réaffirme avec force !
Pour autant, lorsque des couples se rendent à l’étranger pour recourir à une GPA et qu’ils rentrent en France avec les enfants nés de cette gestation pour autrui, l’État doit garantir à ces enfants une vie familiale normale, ainsi qu’une filiation reconnue dans notre état civil. Je prête donc une attention toute particulière à la question de l’établissement du lien de filiation des enfants nés de GPA à l’étranger.
Dans ses arrêts récents, du 18 décembre dernier, portant sur la transcription des actes d’état civil étrangers établis à la suite d’une GPA réalisée à l’étranger, la Cour de cassation a modifié son interprétation de l’article 47 du code civil, relatif à l’admissibilité des actes d’état civil étranger. Elle juge, désormais, que la conformité à la réalité d’un acte d’état civil étranger s’apprécie au regard des critères de la loi nationale étrangère, non de ceux de la loi française. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.)
Cette solution est source de difficultés, car elle soustrait les GPA réalisées à l’étranger au contrôle du juge français, s’agissant en particulier de l’intérêt de l’enfant et de l’absence de trafic d’enfants. De fait, il n’est plus nécessaire de prévoir une adoption pour reconnaître le lien de filiation.
La commission spéciale est revenue sur cette jurisprudence. Pour ma part, je défendrai un amendement du Gouvernement qui, tout en visant les mêmes objectifs, tend à rétablir l’équilibre réalisé par la jurisprudence de la Cour de cassation dans son état antérieur au revirement du 18 décembre dernier.
À la fois suffisamment général et conforme aux engagements internationaux de la France, le dispositif que je vous soumettrai rappelle que c’est au regard des règles françaises applicables qu’il convient d’apprécier la réalité visée à l’article 47 du code civil. Nous y reviendrons plus en détail au cours de nos débats.
M. Bruno Retailleau. Comptez sur nous !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le droit de la filiation, vous le savez, est une matière à la fois technique et qui emporte des conséquences extrêmement importantes et concrètes sur la situation des familles. Dans ce domaine, il faut exclure toute généralisation dont la portée n’aurait pas été mesurée avec soin. Il faut savoir protéger les enfants (M. André Reichardt s’exclame.) et ceux qui leur ont permis de venir au monde, tout en faisant preuve de modestie et de prudence.
C’est pourquoi je vous invite à voter ce texte sécurisant, réaliste et juridiquement solide, qui offre à tous les enfants les mêmes droits et à leurs parents les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelle que soit leur orientation sexuelle. En toute hypothèse, je serai extrêmement attentive à nos débats et à nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le débat qui s’ouvre devant la Haute Assemblée est attendu.
Par la communauté scientifique, d’abord, concernée au premier chef par les dispositions du titre IV du projet de loi, mais aussi par l’ensemble de nos concitoyens. Car la bioéthique – cela a été dit – n’est pas une affaire de spécialistes, juristes ou scientifiques : c’est une série d’enjeux et d’interrogations, un questionnement, que nous avons tous en partage.
Avoir institué le réexamen périodique de la loi de bioéthique est une spécificité nationale tout à fait remarquable. Chacune des lois intervenues depuis 1994 a permis de faire se rencontrer la société et les avancées de la science.
Cette spécificité nous oblige, tant nos concitoyens, quelles que soient leurs positions sur ce projet de loi, attendent de nous un débat digne et serein. Je sais que le Sénat sera naturellement, et comme toujours, au rendez-vous de cette exigence.
Notre discussion se fonde sur un principe auquel nous souscrivons tous : ce que la science sait rendre possible n’est pas nécessairement aligné sur le souhaitable. Pourtant, chacun mesure au quotidien à quel point les progrès scientifiques réalisés ces dernières années interrogent nos cadres habituels de pensée, qu’il s’agisse de la recherche sur l’embryon, sur les cellules souches embryonnaires ou induites, ou en matière génétique. Combler ce hiatus et résoudre cette tension entre les propositions de la recherche et les aspirations de notre société, c’est le cœur même de notre droit de la bioéthique.
Le Sénat joue un rôle considérable, depuis 1994, dans la construction de ce droit, et je ne crois pas me tromper en affirmant que l’ensemble de la communauté de la recherche sait ce qu’elle doit à la Haute Assemblée, s’agissant de l’instauration, en 2013, du régime d’autorisation en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Je l’ai déjà rappelé devant la commission spéciale, mais il me semblait important d’y insister aussi à cette tribune.
L’encadrement de la recherche est un travail de funambule : il s’agit de ne sacrifier ni nos valeurs fondamentales à une quête éperdue de savoir, ni l’espoir de développer des thérapies innovantes et de guérir des maladies aujourd’hui incurables à des préjugés qui ne correspondent plus à l’état des connaissances. Ainsi, des questionnements initiaux relatifs à la recherche sur l’embryon demeurent, mais actualisés par les percées scientifiques les plus récentes, comme les nouvelles techniques de dérivation de cellules souches embryonnaires et la découverte des cellules souches induites.
À cet égard, notre débat s’ouvre dans une période paradoxale : jamais nos concitoyens n’ont autant attendu de notre recherche, notamment dans le domaine médical, et jamais non plus, dans un mouvement inverse, la défiance à l’égard du progrès scientifique n’a été si forte. J’entends, bien sûr, les craintes et les réserves qui ont pu être formulées ; je suis certaine que les débats au Sénat contribueront à apaiser ces craintes et à lever ces réserves.
S’agissant de la recherche, nous vous proposons, avec la présente révision de la loi de bioéthique, un cadre juridique rénové, fondé sur près de deux décennies d’expérimentations éprouvées au sein des laboratoires et par l’Agence de la biomédecine. Ce cadre repose également sur la manière différente dont les progrès scientifiques les plus récents nous permettent désormais d’interroger le sujet de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, qui sont au cœur de notre droit de la bioéthique.
En matière de recherche sur l’embryon, le projet de loi autorise les chercheurs à conduire des recherches incluant l’édition du génome d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental et susceptibles de contribuer au progrès de la connaissance, avant d’être détruits. Ces recherches apportent des connaissances essentielles à la compréhension du rôle de nos gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire à l’œuvre au cours du développement, mais aussi dans d’autres processus physiologiques ou pathologiques.
Auparavant, nous ne savions pas observer ces embryons sur une période supérieure à quelques jours. Les techniques ayant évolué, nous savons désormais les observer à des phases ultérieures de leur développement. C’est pourquoi nous souhaitons élargir le champ de la recherche sur les embryons, tout en fixant une limite de quatorze jours à leur maintien in vitro. Cette durée n’est pas arbitraire, ni attachée aux limites de ce que nous savons faire : elle est fondée sur un consensus scientifique international.
Le présent projet de loi est donc non pas un blanc-seing donné aux scientifiques, mais la recherche d’un point d’équilibre.
À cet égard, tous les interdits majeurs qui fondent notre droit, en particulier les textes internationaux dont nous sommes signataires, comme la convention d’Oviedo, sont naturellement confirmés : la création d’embryons à des fins de recherche est interdite, de même que la modification du patrimoine génétique transmissible à la descendance ; l’intégration de cellules animales dans un embryon humain est encore plus clairement prohibée. Ces interdits, je les réaffirme très nettement.
Le texte protège donc notre modèle ; il respecte, en le réactualisant, le questionnement propre à l’embryon, tout en faisant barrage à toute possibilité de clonage ; il en va de même s’agissant de la modification du patrimoine génétique d’un embryon destiné à être implanté.
Toutefois, le projet de loi réserve des espaces propices aux innovations thérapeutiques que nous pourrions mettre au point, si nous comprenions mieux les mécanismes du développement et de la différenciation cellulaire. Ces mécanismes sont au cœur de nombreuses pathologies que nous comprenons parfois mal, faute de concepts scientifiques pour les traiter ; c’est le cas, notamment, des cancers pédiatriques les plus difficiles à traiter, issus de dysfonctionnements dans la différenciation cellulaire – je vous présenterai d’autres exemples dans le cours de nos débats.
Chacun comprend bien à quel point il est crucial de donner à nos scientifiques les leviers nécessaires pour mener leurs travaux, dans l’intérêt général.
S’agissant des cellules souches embryonnaires, leur capacité à se transformer en n’importe quel type de cellules du corps humain ouvre de grandes perspectives à la thérapie cellulaire et à la médecine régénérative. À l’horizon des recherches sur ces cellules, il y a l’espoir de traiter, par exemple, la maladie de Parkinson, l’insuffisance cardiaque et le diabète.
Seulement, le régime juridique auquel la recherche sur ces cellules est actuellement soumise pèse considérablement sur l’avancée des travaux des chercheurs, car il se confond avec celui qui encadre la recherche sur l’embryon, alors même qu’embryon et cellules souches embryonnaires ne relèvent plus du même questionnement éthique.
En effet, nous maîtrisons aujourd’hui les techniques avancées permettant de dériver des lignées, très longues et parfois très anciennes, de cellules souches. Celles qui sont étudiées aujourd’hui dans les laboratoires français sont majoritairement issues de lignées dérivées voilà plus de vingt ans ; elles ne résultent donc pas d’un nouvel embryon. De ce fait, ce qui interpelle aujourd’hui est moins l’origine des cellules souches que notre capacité à dériver les lignées actuelles sans les altérer et en conservant leur potentiel pluripotent.
Notre capacité à dériver ces cellules souches n’épuise naturellement pas la nécessité de poursuivre la recherche sur l’embryon : il va de soi que nos chercheurs auront besoin de produire de nouvelles lignées de cellules souches. À cet égard, je tiens à rassurer la Haute Assemblée sur l’un des nombreux principes qui encadrent notre recherche : jamais un embryon n’est créé à des fins de recherche – il faut être très clair sur ce sujet.
Nombreux sont ceux qui craignent qu’on emploie les cellules souches pour produire des gamètes et, partant, des embryons artificiels. Les embryons destinés à la recherche sont issus de dons, à la suite d’un projet parental : ce principe fondateur n’a pas vocation à être remis en cause. À ce jour, un peu moins de 3 000 embryons ont été proposés et utilisés à des fins de recherche depuis 1994, tandis que près de 19 000 ont d’ores et déjà fait l’objet d’un don à la science. Preuve que l’usage en est raisonné et contrôlé.
Ce constat nous conduit à proposer l’allégement du régime des recherches sur les cellules souches : elles seraient soumises non plus à autorisation, à l’instar des recherches sur l’embryon, mais à déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Chacun mesure à quel point ces cellules touchent, néanmoins, à une part intime de notre humanité.
Le présent projet de loi rend également compte de la manière dont le législateur peut se saisir de l’actualité scientifique la plus récente, au travers de la question des cellules souches pluripotentes induites. Révélées par le professeur Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012, ces cellules offrent des perspectives scientifiques tout à fait nouvelles, jusqu’à présent non prises en compte dans le cadre bioéthique.
Il s’agit de cellules adultes que nous savons faire évoluer jusqu’à un stade très proche de celui des cellules souches embryonnaires. Je dis : très proche, car si les cellules souches embryonnaires disposent de la capacité à produire tout autre type de cellules de l’organisme, les cellules souches pluripotentes induites ont un caractère pluripotent plus limité. En d’autres termes, si les cellules souches embryonnaires peuvent devenir n’importe quelle autre cellule humaine, ce n’est pas le cas des cellules souches induites, dont les évolutions sont plus limitées, en l’état actuel de la connaissance.
Je tiens donc à être très claire aussi sur ce point : si la découverte des cellules souches pluripotentes induites a été un événement scientifique majeur, ces dernières ne peuvent offrir une alternative ni à la recherche sur les cellules souches embryonnaires ni à la recherche sur l’embryon. Il s’agit d’un nouveau territoire de la connaissance que nous vous proposons de faire adhérer au cadre rénové dont le présent projet de loi est porteur, afin que l’Agence de la biomédecine exerce la totalité de ses prérogatives auprès de la communauté scientifique.
Qu’il s’agisse de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches pluripotentes induites, les travaux de la commission spéciale ont mis en exergue la problématique des embryons chimériques, sur laquelle il me paraît fondamental de revenir quelques instants. En effet, ces expérimentations interpellent et suscitent des interrogations, parfois des fantasmes. Il me semble donc important de préciser la réalité du travail mené par les chercheurs pour rétablir les termes exacts de la discussion.
Les chimères ne résultent pas de manipulations génétiques : il s’agit non pas de modifier le génome, mais d’observer les évolutions cellulaires d’un embryon animal auquel sont agglomérées des cellules souches embryonnaires ou induites. En d’autres termes, il est question non pas de franchir la barrière des espèces,…