Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Internet est un formidable espace de liberté, mais, dans les replis de cette liberté, des abus très inquiétants peuvent se développer : infox, cyberattaques, infractions de haine, entre autres. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose d’agir avec les grands opérateurs en ligne. On ne peut pas se résoudre à l’inaction !

Le présent amendement vise à réintroduire l’obligation renforcée de retrait des contenus haineux pénalement sanctionnés, que la commission des lois du Sénat a supprimée. Pesant sur les grands opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils fixés par décret, cette obligation consiste à retirer ou à déréférencer les contenus signalés par un ou plusieurs utilisateurs.

J’insiste sur un point capital : en application de ce mécanisme, seuls seront obligatoirement retirés les contenus manifestement illicites, c’est-à-dire constituant de manière évidente une infraction. Par exemple, s’agissant des injures discriminatoires, le dispositif vise des propos pour lesquels aucune contextualisation n’est nécessaire pour caractériser l’infraction.

Le non-respect de l’obligation de retrait constituera un délit, puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Les personnes morales, principalement visées par ce délit, encourront une amende de 1,25 million d’euros et les peines complémentaires d’affichage et de diffusion de la décision de condamnation et d’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement l’activité professionnelle dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.

Contrairement à ce qui a été précédemment affirmé, ce dispositif est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci, en effet, juge que la responsabilité pénale des opérateurs de plateforme ne peut être engagée en cas de non-retrait de contenus illicites que si l’illicéité est manifeste, c’est-à-dire évidente ou déclarée telle par le juge.

La France, je le répète, n’est pas le seul pays à mettre à la charge des opérateurs une obligation renforcée de retrait. Le législateur allemand l’a fait en 2017.

Dans ce pays, l’examen du texte avait provoqué des débats, notamment autour du risque de sur-censure, d’aucuns craignant, comme certains orateurs dans cet hémicycle, que le dispositif ne conduise les opérateurs à retirer, de manière pour ainsi dire préventive, tous les contenus faisant l’objet d’un signalement, y compris ceux qui ne présentent pas de caractère illicite. Or l’expérience allemande montre que ces craintes n’étaient pas fondées : depuis l’entrée en vigueur de la loi, le taux de suppression des contenus signalés est relativement peu élevé – sur les six premiers mois d’application, 27,13 % et 10,8 % pour les contenus signalés à YouTube et Twitter respectivement.

Ayant entendu un certain nombre de critiques et de suggestions, le Gouvernement propose deux améliorations.

D’une part, s’agissant des opérateurs concernés, nous prévoyons une rédaction plus précise que le dispositif initial en ce qui concerne les moteurs de recherche, afin d’éviter les effets de bord et les risques de sur-censure de pages intégrales du web. Les moteurs de recherche devront retirer de la page de résultats les seuls contenus manifestement illicites, et non l’ensemble du site.

D’autre part, pour ce qui est des contenus visés, le Gouvernement propose d’exclure du dispositif quelques infractions qui ne peuvent être caractérisées à raison d’un contenu, comme les infractions de proxénétisme.

Par ailleurs, je suis défavorable à l’amendement n° 25. Si nous partageons l’objectif de réintroduire l’obligation renforcée de retrait des contenus haineux, l’amendement vise un champ d’infractions trop large. En particulier, le délit de vente à distance des produits du tabac ne correspond absolument pas à l’objet du présent texte : la lutte contre les contenus haineux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement n° 25 de M. Daudigny vise à rétablir, à peu de choses près, le texte de l’Assemblée nationale, mais en ajoutant le délit de trafic de tabac à la liste des infractions, déjà fort longue.

Sur le principe, je reconnais bien volontiers l’importance de protéger l’activité de nos buralistes ; mais j’ai quelques difficultés à mettre sur le même plan, au sein d’une énumération, je le répète, déjà fort longue, l’apologie des crimes contre l’humanité et la vente de cigarettes sur internet… Nous sommes bien éloignés de notre sujet principal, la lutte contre les discours de haine.

Au reste, l’intention des auteurs de l’amendement est en partie satisfaite par le régime spécial issu de la LCEN, qui instaure, à la charge des intermédiaires techniques, une obligation d’information spécifique en matière de prévention du trafic de tabac, dont l’omission est pénalement sanctionnée. Tenons-en-nous là.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; s’il est maintenu, avis défavorable.

Quant à l’amendement n° 51 du Gouvernement, il vise à rétablir, pour l’essentiel, le texte de l’Assemblée nationale. Malgré quelques améliorations à la marge, la rédaction proposée reste, pour notre commission, insatisfaisante.

Il s’agit toujours d’une obligation de résultat, et les retraits doivent être exhaustifs, c’est-à-dire que tous les contenus manifestement haineux sont concernés, de surcroît dans un délai couperet de vingt-quatre heures, sans aucune souplesse en fonction des circonstances ou du type de contenus.

Ainsi, le dispositif envisagé reste déséquilibré au détriment de la liberté d’expression. Il ne manquera pas d’entraîner de nombreux effets pervers : sur-censure, c’est-à-dire blocage par précaution de propos pourtant licites, recours encore plus massif à des filtres automatisés, contournement du juge, délégation de la police de la liberté d’expression en France à des plateformes étrangères.

D’ailleurs, l’application concrète de ce nouveau délit n’est pas réglée. Certains représentants du parquet, lors de leur audition par notre commission, ont employé l’expression, plus qu’éloquente, de « droit pénal purement expressif ».

Un problème d’imputabilité se pose tout d’abord, s’agissant des personnes physiques – qui, du modérateur sous-traitant indien ou du dirigeant américain, sera poursuivi ? – et, surtout, des personnes morales – comment qualifier l’intention pénale des organes dirigeants des hébergeurs concernés, domiciliés à l’étranger, dont il faut démontrer la complicité ?

Un autre problème se pose, de caractérisation de l’intentionnalité : le simple non-retrait suffira-t-il, ou sera-t-il nécessaire pour l’autorité de poursuite de caractériser une absence de diligences normales de l’opérateur pour qualifier l’illégalité manifeste d’un contenu ?

Le délai couperet de vingt-quatre heures pose également problème, dans la mesure où il empêchera d’établir des priorités entre les contenus les plus nocifs, qui ont un caractère d’évidence et doivent être retirés encore plus rapidement – terrorisme, pédopornographie –, et ceux qui nécessitent d’être analysés pour que le caractère manifestement illicite en soit apprécié, comme les infractions de presse, qui dépendent beaucoup de leur contexte – ironie, provocation…

Enfin, je répète que, selon la Commission européenne, ce dispositif viole plusieurs principes majeurs du droit européen : la responsabilité aménagée des hébergeurs résultant de la directive e-commerce et la liberté d’expression garantie par la Charte européenne des droits fondamentaux. Selon la Commission européenne, « tout délai fixé aux plateformes doit permettre une certaine flexibilité, dans certains cas justifiée » ; ce n’est manifestement pas ce que prévoit le Gouvernement dans son amendement.

Pour ces raisons, j’invite le Sénat à confirmer la position de ses trois commissions en repoussant l’amendement n° 51.

M. le président. Monsieur Daudigny, l’amendement n° 25 est-il maintenu ?

M. Yves Daudigny. Compte tenu des explications fournies, je le retire.

M. le président. L’amendement n° 25 est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 51.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 41, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Assouline, Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et S. Robert, MM. Temal, Sueur, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et Antiste, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable, Mme Monier, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Dagbert, Daudigny, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret et M. Filleul, M. Gillé, Mme Grelet-Certenais, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lubin, MM. Lurel et Mazuir, Mmes Meunier, Perol-Dumont et Préville, MM. Raynal et Roger, Mmes Rossignol, Taillé-Polian et Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe et M. Vaugrenard, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 2

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

…° Après le même troisième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« À ce titre, après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu dont il apparaît qu’il contrevient manifestement aux infractions mentionnées au troisième alinéa du présent 7 doit faire l’objet dans les vingt-quatre heure d’un retrait ou doit être rendu inaccessible à titre provisoire. Ce retrait reste en vigueur jusqu’à sa validation par le tribunal de grande instance statuant en référé saisi par les personnes mentionnées au 1 et 2. Le juge des référés se prononce dans un délai inférieur à 48 heures à compter de la saisine. En cas d’appel, la cour se prononce dans un délai inférieur à 48 heures à compter de la saisine.

« Le fait de ne pas respecter l’obligation définie à l’alinéa précédent est puni des peines prévues au I du VI. » ;

…° Au début du quatrième alinéa, les mots : « À ce titre, elles doivent » sont remplacés par les mots : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 doivent également » ;

II. – Alinéa 6

Après le mot :

précitée

insérer les mots :

le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « sixième » et

La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Voici donc l’article clé, celui qui a soulevé toutes les controverses. De fait, il donne la possibilité aux plateformes de retirer dans un délai très bref, inférieur à vingt-quatre heures, des contenus considérés comme manifestement illicites, car manifestement haineux. La possibilité, que dis-je ? Il s’agira d’une obligation.

Dans la discussion générale, nous avons exprimé notre inquiétude sur l’attitude de prévention qu’adopteront les plateformes : compte tenu de la sanction extraordinairement lourde prévue par ce texte, il est évident qu’elles préféreront retirer des contenus plutôt que d’encourir une condamnation.

Puisque nous savons, depuis que Mme la garde des sceaux s’est exprimée, que des contenus de presse pourront également être visés, que faire de l’intervention du juge, qui, seul, peut mettre un frein à la liberté d’expression ? C’est à cette question que le présent amendement vise à répondre.

Nous proposons de conserver le retrait dans un délai de vingt-quatre heures, mesure phare du dispositif, mais en prévoyant que, en cas de contestation, le juge des référés devra être immédiatement saisi par la plateforme, le retrait n’étant alors que provisoire. Le juge des référés se prononcera sous quarante-huit heures sur la pertinence du retrait.

Dès lors qu’une personne proteste, il importe qu’un juge judiciaire évalue si la plateforme a eu raison, ou non, de procéder au retrait, voire de censurer. Dès lors que Mme la garde des sceaux a précisé que le mécanisme s’appliquerait aussi à la presse, c’est bien le moins que, là où la loi de 1881 prévoit des protections considérables, mais justes, de la liberté d’expression de la presse, un juge des référés doive être saisi avant qu’on ne retire un contenu jugé illicite par une plateforme.

Le dispositif que nous proposons tient à égale distance la lutte contre les contenus haineux et la préservation de la liberté d’expression. Partant, il réalise le juste équilibre qui n’a pas été trouvé dans le texte initial, comme l’a souligné le rapporteur, mais qui, selon nous, n’est pas davantage assuré par la suppression pure et simple de l’article 1er.

M. David Assouline. Et voilà !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement de Mme de la Gontrie vise à réaffirmer le rôle de l’autorité judiciaire pour apprécier le caractère illicite des contenus haineux. Il s’agit d’introduire une sorte de référé-confirmation : les contenus haineux notifiés devraient être retirés temporairement par tout intermédiaire technique, lequel ferait valider sa décision par le juge des référés.

Je souscris pleinement aux arguments de principe des auteurs de l’amendement sur le rôle du juge. Toutefois, je ne suis pas convaincu par le mécanisme qu’ils proposent.

Sur le rôle du juge, nous nous rejoignons : la faculté donnée à chacun de communiquer et de s’exprimer librement en partageant des contenus sur internet suppose un équilibre délicat entre la liberté reconnue aux personnes et la protection des droits d’autrui ; en France, traditionnellement, l’une des garanties essentielles pour assurer cet équilibre repose sur l’intervention de l’autorité judiciaire.

C’est notamment pour cette raison que la commission des lois a rejeté le dispositif initial de la proposition de loi, qui faisait reposer l’appréciation du caractère illicite d’un contenu, essentiellement, sur les seules plateformes, en lieu et place d’un juge. Il y va aussi de notre souveraineté numérique, comme plusieurs orateurs l’ont fait observer.

En revanche, le mécanisme proposé pour réintroduire le juge ne me semble pas opérationnel. La saisine du juge serait, si l’on suit les auteurs de l’amendement, systématique, pour faire confirmer tout retrait de contenus. Cette mesure conduirait immanquablement à engorger nos juridictions au-delà du raisonnable. En outre, la procédure resterait à l’initiative des seuls intermédiaires techniques ; elle représenterait donc une charge importante pour eux. Enfin, les places dans cette instance de l’auteur du contenu et, surtout, de l’auteur de la notification ne sont pas précisées, alors que ces personnes sont celles qui ont les meilleurs arguments à faire valoir.

Dans ces conditions, je demande aux auteurs de l’amendement n° 41 de le retirer au profit des amendements déposés à l’article 2, qui me paraissent de nature à mieux satisfaire leur volonté sur la question particulière du délai de vingt-quatre heures. Il s’agira de fixer non pas un délai couperet de vingt-quatre heures pour tous les contenus, mais un objectif, une moyenne de vingt-quatre heures, sous le contrôle du régulateur : une obligation non pas de résultat, mais de moyens.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je comprends parfaitement votre propos et je vous rejoins assez volontiers dans votre raisonnement ; mais il me semble qu’il serait extrêmement difficile de rendre automatique la saisine d’un juge des référés qui devrait se prononcer dans un délai très court.

Au reste, je crois que votre souhait est satisfait, puisque les auteurs disposent déjà de la possibilité de saisir un juge des référés pour faire constater que le retrait de leur contenu ne correspond pas aux conditions fixées et en demander le rétablissement. Cette possibilité de saisir un juge des référés, certes sans automaticité, me paraît satisfaire votre amendement.

Par ailleurs, l’article 3 de la proposition de loi met à la charge des opérateurs des obligations d’information sur l’existence de dispositifs de recours, à destination non seulement des victimes des contenus, mais également des auteurs qui pourraient faire l’objet de la censure que vous craignez.

Ainsi donc, la possibilité normale de saisir un juge des référés comme les obligations prévues à l’article 3 vous donnent satisfaction, ce qui me conduirait à émettre un avis défavorable sur votre amendement, s’il n’était pas retiré.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Le débat que nous avons entamé confirme ce que tous les orateurs ont souligné : légiférer dans la précipitation – vous, au Gouvernement, réfléchissez peut-être à ces questions depuis très longtemps, mais, pour notre part, nous ne sommes au cœur de la réflexion que depuis quelques semaines – ne permet pas de faire les pas les uns vers les autres.

Deux choses ont été dites : d’abord, il faut agir ; ensuite, prenons garde à ne pas attenter, en agissant, à la liberté d’expression.

Pour prévenir toute atteinte, le rapporteur entend supprimer l’article 1er, qui est la principale disposition pour agir. Je la conteste aussi, mais, une fois qu’elle est supprimée, il ne reste que des généralités…

C’est le CSA, nous dit-on, qui s’emparera de la question – en réalité, le futur CSA, puisqu’une réforme est prévue. Reste à voir avec quels moyens… Car, si la justice n’a pas les moyens de faire le travail, le CSA, aujourd’hui, au moment où l’on nous demande de voter la loi, ne les a pas non plus !

Avec un peu plus de temps, nous aurions pu faire des pas les uns vers les autres, comme le propose Marie-Pierre de la Gontrie. La formule qu’elle a présentée est proportionnée et modérée : elle permet d’agir, sans confier à des plateformes un pouvoir de censure, mais en faisant intervenir un juge.

Cet équilibre, je suis sûr que, si nous avions eu le temps de la discussion, la majorité de cet hémicycle en aurait reconnu le bon sens. Seulement voilà : le rapporteur, parce qu’il y a une difficulté, veut supprimer l’article 1er ; et le Gouvernement, lui, entend maintenir l’article tel quel. Résultat : il n’y a pas place pour la recherche d’un compromis…

Pourtant, ce serait bien que le Sénat, indépendamment de ce que disent le rapporteur et la garde des sceaux, adopte la solution d’équilibre proposée par Marie-Pierre de la Gontrie et l’ensemble de notre groupe.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. D’un côté, le rapporteur nous objecte qu’on ne peut pas imaginer pouvoir faire face à des dizaines, voire des centaines de milliers de cas – je n’ai aucune idée du nombre. De l’autre, la garde des sceaux nous explique que notre demande est satisfaite. Il faudrait savoir ! Si notre dispositif est satisfait, si cette voie de droit est ouverte, les inquiétudes du rapporteur ne sont pas fondées.

Cette voie de droit, avez-vous souligné, madame la garde des sceaux, est facultative. La précision est d’importance : pouvoir former un recours contre le retrait d’un contenu est une chose, prévoir que ce retrait n’est que temporaire en est une autre. L’objectif est le même, mais le second système, celui d’un recours a priori et non a posteriori, est bien plus protecteur du droit. Or, il est d’autant plus nécessaire de veiller au respect de droit – je le répète, madame la garde des sceaux, même si vous n’avez pas souhaité y revenir – que la presse sera concernée par le dispositif.

J’appelle donc le Sénat à soutenir cet amendement, qui représente un bon point d’équilibre.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Artano, Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gabouty, Mme Guillotin, MM. Gold, Guérini et Jeansannetas, Mme Jouve et MM. Léonhardt, Requier et Roux, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

en raison de son caractère illicite

La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. L’alinéa 4 de l’article 1er de la proposition de loi de Mme Avia prévoit que, lorsqu’un contenu est supprimé suivant la procédure de signalement mise en place par la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est remplacé par un message mentionnant la suppression.

Nous considérons que cette disposition, si elle est bien utile, n’est pas suffisante pour informer les utilisateurs de la plateforme. Il est nécessaire de préciser que la suppression résulte du caractère illicite du contenu proposé. En effet, certaines plateformes informent déjà leurs utilisateurs de la suppression de contenus, même lorsque la suppression a eu lieu à l’initiative des auteurs et en l’absence d’illicéité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, dans la mesure où il a été rectifié conformément à la demande de la commission. Il s’agit de préciser la nature du message de substitution destiné à signaler le retrait d’un contenu haineux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je suis défavorable à cet amendement, dont le dispositif mériterait quelques précisions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 27 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 12 rectifié bis, présenté par MM. Malhuret, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville et Wattebled, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Les contenus illicites retirés ou rendus inaccessibles à la suite d’une notification doivent être conservés par les personnes mentionnées au même 2 pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit la durée et les modalités de leur conservation. »

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Selon la rédaction actuelle du texte, les contenus ayant fait l’objet d’une notification au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et ayant été rendus inaccessibles par un hébergeur peuvent être conservés par celui-ci pour les besoins de la justice ; mais il s’agit d’une simple faculté.

Or la conservation de ces contenus est un des meilleurs moyens de preuve, qui permettra aux juges d’apprécier et de qualifier les faits et les circonstances. La simple faculté de conservation ne garantit pas que toutes les infractions pourront être poursuivies. C’est pourquoi le présent amendement vise à rendre la conservation obligatoire pour les besoins de la justice, afin que les infractions constituées puissent être effectivement poursuivies et sanctionnées.

La rédaction initiale de mon amendement visait les contenus rendus inaccessibles, sans autre précision. M. le rapporteur m’a suggéré d’utiliser la formule consacrée : « contenus illicites retirés ou rendus inaccessibles ». Je l’ai acceptée, puisque c’était la condition pour que la commission donne un avis favorable.

J’attire toutefois l’attention de M. le rapporteur sur un point : il me semble important que tous les contenus retirés par les plateformes soient conservés par elles, non seulement les contenus illicites, mais également ceux qui ne le sont pas, pour que la justice puisse sanctionner les retraits abusifs. Si un hébergeur est contraint, pour telle ou telle raison, de retirer des contenus qui s’avèrent ultérieurement non illicites, nous sommes en présence d’une demande de retrait abusive de la part d’un internaute.

J’accepte donc la formulation suggérée par M. le rapporteur, mais je précise que tous les contenus retirés par les plateformes devraient être conservés, pour les besoins de la justice.

M. le président. Le sous-amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Amendement n° 12, alinéa 3

1° Première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, pendant la durée de prescription de l’action publique

2° Seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Malhuret, le Gouvernement est tout à fait sensible à la nécessité de prévoir une durée de conservation suffisante des contenus retirés, pour les besoins des enquêtes pénales. Les propos haineux en ligne sont aussi une question de responsabilité individuelle, et chacun doit répondre de ses actes. C’est pourquoi nous souhaitons instaurer une obligation de conservation des contenus pendant la durée de prescription de l’action publique.

En revanche, il ne nous paraît pas opportun de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de fixer cette durée. Je propose donc de sous-amender votre amendement pour prévoir que les contenus rendus inaccessibles à la suite d’une notification devront être conservés, à la seule fin de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire, pendant la durée de prescription de l’action publique.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié sexies, présenté par Mmes N. Goulet, Férat, Dindar, Kauffmann et Billon, MM. Henno et Le Nay, Mme Vérien, MM. Guerriau, Mizzon, Menonville, Rapin et Louault, Mmes C. Fournier et Vermeillet, MM. Lefèvre, Moga et Chasseing, Mme Lassarade, MM. Lévrier et Decool, Mme Duranton, M. Janssens et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

peuvent être

par le mot :

sont

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Cet amendement se justifie par son texte même.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié sexies, présenté par Mmes N. Goulet et Vermeillet, MM. Guerriau, Henno, Louault et Lefèvre, Mmes Kauffmann et Vérien, MM. Le Nay, Bonnecarrère, Mizzon, Menonville et Rapin, Mmes Dindar, Férat et C. Fournier, MM. Danesi et Moga, Mme Billon, MM. Chasseing et Détraigne, Mme Lassarade, MM. Karoutchi et Decool, Mme Duranton, M. Janssens et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

d’un an

par les mots :

de trois ans

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Compte tenu des délais de procédure sur plainte avec constitution de partie civile ou sur citation directe, le délai de conservation d’un an est trop court. Aucune affaire n’est jugée, en première instance, avant un délai minimal de dix-huit mois, étant donné la surcharge des tribunaux ; il faut considérer en plus les délais de recours. Il est donc indispensable que les contenus haineux soient conservés plus longtemps.