M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)
Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les industries culturelles bénéficient d’un soutien public qui ne se limite pas aux 306 millions d’euros du programme 334, mais comprend également 673 millions d’euros de fiscalité affectée au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et 400 millions d’euros de crédits d’impôt, soit un montant total de près de 1,3 milliard d’euros.
Je souligne avec force le caractère doublement stratégique de ce soutien public, à la fois pour des raisons économiques, au regard d’un chiffre d’affaires de plus de 15 milliards d’euros, mais également en termes d’image et d’influence de notre pays dans le monde entier.
Je traiterai d’abord du financement du cinéma et de la révolution qui s’annonce avec la future loi audiovisuelle.
Le nouveau président du CNC se trouve, pour sa première année, confronté à trois défis. Premièrement, la révision des dépenses pour améliorer l’efficacité de près de 150 dispositifs de soutien : le CNC doit dégager 25 millions d’euros d’économies, et l’épuisement de ses réserves laisse présager une baisse des investissements dans la production. Deuxièmement, la réforme de la fiscalité affectée, programmée l’année prochaine, mais dont l’article 62 du présent projet de loi de finances constitue la première étape. Troisièmement, la préparation de la future loi audiovisuelle, qui couvrira une myriade de sujets : relations avec les producteurs, obligations de financement des plateformes, diffusion des œuvres à la télévision.
Sur l’ensemble de ces sujets, nous resterons, monsieur le ministre, très mobilisés. J’ajoute que les menaces annuelles sur les crédits d’impôt « culture » n’aident pas à apporter de la sérénité au secteur. Sur ces questions, nous nous reverrons rapidement pour l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel.
S’agissant ensuite du Centre national de la musique (CNM), sa création a fait l’objet d’un large accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Vous avez eu le mérite, monsieur le ministre, de répondre, au moins partiellement, aux attentes budgétaires, avec une première enveloppe de 7,5 millions d’euros, certes loin des 20 millions d’euros espérés par la profession, mais qui, dans le contexte actuel, n’a pas dû être simple à obtenir. Il reste maintenant peu de temps, puisque le nouveau CNM sera créé dans vingt-sept jours…
Pour ce qui est, enfin, du projet « 2020, année de la bande dessinée », il est enthousiasmant et devrait enfin donner au neuvième art la place qu’il mérite, à la suite du rapport de Pierre Lungheretti. Nous en attendons beaucoup.
Reste que la place singulière de la bande dessinée s’insère dans des conditions de travail et un régime social très tendus pour les auteurs. Si une solution a enfin été trouvée pour pérenniser la compensation de la CSG – je rappelle le combat mené conjointement par la présidente de notre commission, Catherine Morin-Desailly, Sylvie Robert et moi-même –, nous attendons avec impatience les conclusions du travail de M. Bruno Racine, en espérant que la spécificité du statut des auteurs soit enfin reconnue.
Compte tenu de ces observations, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable sur les crédits du programme 334 de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le flot déversé à gros bouillons par les plateformes de l’internet, les réseaux dits sociaux et les chaînes d’information en continu a au moins pour avantage de susciter un intérêt croissant pour une information de qualité, des programmes qui parlent à notre intelligence, des confrontations d’idées et le respect du pluralisme de la pensée. Vous me permettrez d’interpréter de la sorte le succès historique du service public de l’audiovisuel, en remerciant les personnels qui l’ont bâti.
Sans procéder à une revue de détail, je mentionnerai, pour l’exemple, les résultats exceptionnels de France Culture. Cette radio a porté, pour la première fois de son histoire, son audience à plus de 1,6 million d’auditeurs, soit une progression de 6 % en un an. Mieux encore, les téléchargements de ses émissions ont augmenté de 18 % en un an, ce qui représente un total de 31 millions d’écoutes à la demande ou une visite journalière pour 600 000 internautes. Enfin, j’ai plaisir à souligner que l’émission Les chemins de la philosophie est téléchargée plus de 3 millions de fois par mois !
Cette réussite sans précédent démontre que le pari de la qualité est toujours gagnant, et que les auditeurs apprécient des contenus exigeants.
L’audiovisuel public contribue pleinement à sa mission de service public : apporter à nos concitoyens les informations, les idées et les connaissances dont ils ont besoin pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et ses évolutions fulgurantes.
Nous cherchons, collectivement, à réduire dans notre société l’empire pernicieux des informations fausses, des préjugés menaçants et des théories complotistes. L’audiovisuel public est l’un des instruments de la riposte, car il a aussi pour mission d’instruire et d’éduquer.
Enfin, je ne cache pas ma fierté devant l’intérêt que suscitent ces programmes à l’extérieur de nos frontières : ils contribuent ainsi au rayonnement de notre langue et de notre culture et apportent à celles et ceux qui subissent la propagande des gouvernements et des médias partisans les éléments d’une pensée critique et non asservie.
Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis. Tout à fait !
M. Pierre Ouzoulias. Pour distinguer pareille réussite et encourager les personnels à poursuivre ce travail essentiel, nous eussions espéré que leur budget fût, à tout le moins, préservé. (Exclamations amusées.) Il n’en est rien…
Ainsi, pour reprendre l’exemple de Radio France, sa dotation sera réduite de 5 millions d’euros l’année prochaine, alors même qu’elle doit financer sa conversion à la radiodiffusion numérique et poursuivre son programme de mise en ligne de ses contenus.
On peut s’interroger sur l’objectif de ce nouveau plan de réduction d’emplois, quand on sait qu’un tiers des personnels de Radio France partiront à la retraite d’ici à 2025. Il est déraisonnable de penser que cette nouvelle saignée n’aura aucune conséquence sur l’offre de programmes ! Comment poursuivre l’engagement pour la qualité, après la suppression de seize postes de réalisateurs et de vingt postes de techniciens ?
Les efforts consentis par les personnels de Radio France, considérables ces dernières années, ont permis à la structure de dégager un excédent d’exploitation l’an passé. La nouvelle purge obéit donc à d’autres finalités : elle est à la fois une méthode de gestion sans ménagement et un moyen de réduire drastiquement et sur la longue durée les moyens publics consacrés à l’audiovisuel, quels que soient les succès d’audience, dont on nous avait pourtant dit qu’ils étaient les objectifs des précédentes réformes.
M. Leleux, rapporteur pour la commission de la culture, parle avec justesse d’un véritable management par le stress budgétaire. Il est acquis qu’un déficit hydrique de la vigne améliore la qualité du vin ; mais les salariés ne sont pas des plantes, et, à trop les pressurer, vous récolterez les raisins de la colère ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Du vinaigre !
M. Pierre Ouzoulias. Ils sont en grève aujourd’hui, et nous les soutenons.
Un sénateur Les Républicains. Dites plutôt « je » !
M. Pierre Ouzoulias. Je dis « nous », parce que nous sommes au moins deux ! (Sourires.)
Dans ce contexte, la baisse d’un euro de la redevance audiovisuelle apparaît comme un moyen de pression supplémentaire. Elle intervient alors que le Gouvernement nous soumettra très prochainement un projet de loi d’ampleur, dont on nous explique qu’il sera pour l’État le moment d’une refondation des objectifs nationaux pour l’audiovisuel public. Le coup de rabot général que subissent tous les budgets pour l’année 2020 paraît d’autant plus violent et incompréhensible qu’il est aveugle et risque de fragiliser des entités déjà en grande difficulté – je pense en particulier à la composante internationale de l’audiovisuel public.
Monsieur le ministre, la transformation de l’audiovisuel public que vous annoncez ne peut être définie ni conduite sans la participation effective des personnels. Elle doit être bâtie sur la confiance. Vous ne pourrez obtenir leur pleine mobilisation, si vous ne leur proposez pas un programme qui donne du sens à leur engagement pour leurs missions de service public.
Au lieu de cela, votre budget pour 2020 leur révèle que la grande réforme à venir s’inscrira, dans tous les cas, dans un processus inflexible de contraction de toute la dépense publique, redevance comprise, et de réduction continue et perpétuelle des moyens et des personnels. C’est pourquoi nous voterons contre la mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jean-Yves Leconte et Victorin Lurel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis André Malraux, la politique culturelle de la France a pour premier objectif de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichisse.
La mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances participe pleinement à la poursuite de cet objectif, à travers le soutien à la création musicale et littéraire et à la diffusion du savoir et des œuvres par le biais des bibliothèques comme des médias.
Le budget consacré à cette mission représente une enveloppe de 590,7 millions d’euros pour l’année prochaine, en augmentation de 2 % par rapport à la loi de finances pour 2019.
Premier versant de cette mission, le programme 334, « Livre et industries culturelles », regroupe principalement les crédits destinés au financement de la politique du livre et de la musique enregistrée.
Au premier rang des priorités de ce programme figure la politique de la lecture, premier moteur d’émancipation et de transmission entre les générations. À cet égard, l’année 2020 sera marquée par la consolidation du plan Bibliothèques mis en œuvre par le Gouvernement selon les recommandations du rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin. Il s’agit de favoriser l’accessibilité de la lecture pour tous en accompagnant les collectivités territoriales dans leur effort d’extension des horaires d’ouverture et de création de nouveaux lieux de lecture, en particulier dans les zones quasi blanches, comme on en trouve encore en Dordogne, dans les Ardennes ou dans l’Aisne. (M. Antoine Lefèvre opine.)
Fort de 16 500 lieux accueillant chaque année 27 millions de lecteurs, le réseau des bibliothèques est, avec celui de La Poste, le premier réseau public sur le territoire français. L’accès à la culture, au sens large, est la première vocation des bibliothèques et des structures dérivées comme les artothèques, qui offrent la possibilité d’emprunter des œuvres d’arts visuels, et les Micro-folies, qui, à l’image du musée virtuel créé par Didier Fusillier, associent atelier numérique, espace scénique et conférences.
La révolution numérique fait évoluer les usages au sein même de ces hauts lieux de diffusion du savoir, qui intègrent dorénavant postes informatiques, salles multimédias et médiathèques, autant de dispositifs contribuant à combler les fractures entre territoires et entre générations.
Actuellement, 10 % seulement des bibliothèques desservant plus de 2 000 habitants proposent des postes informatiques adaptés aux personnes en situation de handicap. Nous devons poursuivre les efforts d’adaptation de ces lieux de lecture à tous les publics.
L’année prochaine verra la création du Centre national de la musique, doté d’un budget supplémentaire de 7,5 millions d’euros. Ces nouveaux moyens devraient permettre d’accompagner l’adaptation du secteur de la musique enregistrée à la transition numérique et à l’évolution rapide des modes de production, de distribution et de consommation.
Deuxième versant de cette mission, le programme 180 regroupe les crédits consacrés au soutien de la presse et des médias.
Le secteur, en cours de restructuration, bénéficiera l’année prochaine d’une augmentation de 1,6 % des crédits du programme, portés à 284,4 millions d’euros. Cette augmentation se concentre sur le soutien à l’Agence France Presse, troisième agence de presse à l’échelle mondiale et précieux rempart contre la désinformation relayée, entre autres, et massivement, par les réseaux sociaux. Le Gouvernement a fait le choix d’augmenter la subvention versée à l’agence de 6 millions d’euros pour financer son plan de transformation.
Les crédits destinés au fonds d’aide au portage de la presse seront stabilisés, après une baisse de 5 millions d’euros l’année dernière, tout comme les crédits affectés au soutien des médias de proximité et des radios associatives locales.
L’année 2020 marquera un tournant pour l’audiovisuel public, dans l’attente de la réforme présentée en conseil des ministres ce matin. Elle sera également la deuxième année du plan d’économies appliqué au secteur, avec une baisse des crédits inscrits sur le compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public » de 70 millions d’euros. L’essentiel de l’effort est demandé à France Télévisions et à Radio France ; il s’accompagne, pour les ménages, d’une diminution symbolique, de 1 euro, du montant de la contribution à l’audiovisuel public.
Le groupe Les Indépendants – République et territoires votera les crédits de la mission. (MM. André Gattolin, Jean-Claude Requier et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m’est imparti, je me concentrerai sur le financement de l’audiovisuel public.
Ce matin, monsieur le ministre, vous avez présenté en conseil des ministres votre réforme, que vous nommez « projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère du numérique ». Je vous ai, ce matin aussi, tweeté ce conseil : « Profitez-en pour dire au Président de la République, au Premier ministre et à Gérald Darmanin qu’il ne peut y avoir de “souveraineté culturelle à l’ère du numérique” en baissant les moyens de l’audiovisuel public comme aujourd’hui, alors qu’il faut les augmenter… »
Nous sommes dans le sujet : 70 millions d’euros en moins pour nos six sociétés, après 35 millions d’euros de baisse en 2019 et 39 millions d’euros en 2018. En tout, 141,48 millions ont été amputés en trois ans ! Vous savez que, en termes réels, c’est-à-dire constants, c’est bien pire, puisque le coût de la masse salariale et des produits augmentent avec le coût de la vie, ce qui ajoute à la baisse des dizaines de millions d’euros supplémentaires. Une baisse encore aggravée par la demande, faite par votre prédécesseur, que les sociétés investissent 150 millions d’euros pris sur leurs fonds propres, chaque année de 2018 à 2022, pour la révolution numérique.
Dans ces conditions, à l’heure de la gigantesque révolution technologique mondiale, de la concurrence féroce des plateformes américaines sans foi ni loi et de l’intervention massive d’États comme la Chine et la Russie pour mettre en coupe réglée le marché de l’audiovisuel à l’échelle planétaire, comment voulez-vous assurer une quelconque souveraineté culturelle en baissant les moyens destinés à faire face ? Si, parfois, on peut faire bien avec peu de moyens, dans le domaine des médias et à l’heure du numérique, pour l’instant, on ne peut pas, avec moins, faire qualitativement bien.
Le non-sens est désolant : une baisse budgétaire préalable à l’élaboration d’une réforme qui a l’ambition de redessiner notre paysage audiovisuel. En d’autres termes, on soumet l’ambition culturelle à un impératif budgétaire, au lieu d’inverser la démarche : soumettre la nécessité budgétaire à l’ambition culturelle et politique.
À ce non-sens le Gouvernement en ajoute un autre, révoltant, en baissant de 1 euro la contribution citoyenne à l’audiovisuel. Ces 25 millions d’euros auraient pourtant été bienvenus pour alléger les contraintes de salariés méritants qui ont déjà consenti de grands efforts pour transformer leurs entreprises et mener un travail de qualité reconnu par les auditeurs, comme à Radio France.
Je vous rappelle les faits : depuis 2012, France Télévisions a perdu 1 000 emplois à temps plein. En 2020, elle doit en perdre 900 supplémentaires… Au total, le groupe aura perdu en dix ans 1 920 emplois, soit 20 % de ses effectifs. Quant à Radio France, elle a perdu 70 postes par an entre 2016 et 2018, et le plan actuellement contesté par les grévistes prévoit 299 suppressions de plus d’ici à 2022.
Pourquoi donc se priver de ces 25 millions d’euros ? Parce que, dites-vous, la redevance a rapporté plus, et que cet argent non prévu vient en surplus de la trajectoire budgétaire de baisse, arbitrairement décidée dans les bureaux de Bercy… Quel dogmatisme ! Quel enfermement idéologique !
D’autant que, à l’heure où l’on ne cesse de nous montrer en exemple l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, pour nous vanter tantôt le sérieux de gestion, tantôt les bienfaits du libéralisme, et même le rayonnement de leur audiovisuel, avec notamment la BBC, il est bon de rappeler que notre redevance est déjà l’une des plus faibles d’Europe : nos voisins allemands paient 210 euros et les Britanniques 175 euros, là où vous ramenez la contribution française à 138 euros, après avoir bloqué l’année dernière son indexation sur l’augmentation du coût de la vie, pourtant acquise depuis 2010, quelles que soient les majorités en place.
Je ne suis pas d’accord avec le rapport de mon collègue Leleux : ce ne sont pas les réductions budgétaires qui ont permis à l’audiovisuel public de se réformer, et les réductions de budget ne touchent pas uniquement les hauts salaires ; elles touchent, désormais, les programmes et les chaînes et entraînent une réduction de périmètre, avec la disparition de France Ô, qu’aucune politique de visibilité ne viendra compenser ! (Mme Victoire Jasmin et M. Jean-Yves Leconte applaudissent.)
France 4 aussi est touchée, ce qui est destructeur pour le secteur de l’animation. Au moment où M. de Tavernost, un homme préoccupé d’intérêts financiers, s’apprête, avec M6, à acheter une chaîne tournée vers la jeunesse, on prétend qu’il n’y en a pas besoin dans le secteur public… Et on affirme qu’il suffit d’être sur internet pour les enfants, alors que, au même moment, on dit vouloir lutter contre les addictions, notamment aux tablettes, pour protéger les enfants ! (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Victorin Lurel. Très juste !
M. David Assouline. Tout cela n’a pas de sens !
Désormais, nous sommes « à l’os ». J’en veux pour preuve la suppression de postes de journalistes dans les territoires, alors même que l’actualité s’y déroule et que l’avenir réside dans l’ancrage territorial des médias ; alors même que BFM, qui recherche en général l’intérêt financier, ouvre antenne sur antenne au niveau local !
M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !
M. David Assouline. Au moment où l’on entend poindre des critiques sur le traitement trop centré de l’information, je ne pense pas que ce dégarnissement sur les territoires soit la bonne direction.
Tel est le résultat d’une politique budgétaire menée par la tutelle. J’ai rappelé le coût des différents plans sociaux.
Il faut être honnête : si nos chaînes n’avaient fait aucun effort de créativité, comment justifieraient-elles leur succès ? Comment comprendre que les sites internet de France Télévisions soient parmi les plus consultés de France ? Comment expliquer les succès de Radio France, comme ceux d’une chaîne culturelle qu’on disait menacée du fait d’un faible audimat, mais qui réalise aujourd’hui des scores remarquables ? Sans parler de France Inter, devenue la première radio de France, ce pour quoi je la félicite, ainsi que ses personnels.
Notre audiovisuel public est essentiel pour l’écosystème de la création, le partage des connaissances et l’éducation : voilà ce que heurtent les coups portés par une vision exclusivement comptable !
Le risque est de voir la télévision publique larguée par les acteurs privés, au moment où, avec le n’importe quoi qui circule sur internet, nous avons plus que jamais besoin d’une présence qui ait du sens, offre de la qualité et élève le débat démocratique.
Pour le reste, ce budget prévoit des lignes budgétaires importantes, comme M. Karoutchi l’a souligné, mais elles sont secondaires par rapport à l’enjeu dont je parle. Reconnaissons toutefois que, sur le livre, la situation est plutôt positive. Pour la presse, les choses vont plutôt dans le bon sens, malgré un recul des financements. Enfin, je me félicite de la prise en compte de l’AFP.
Catherine Trautmann, présentant, le 18 mai 1999, un texte qui allait devenir une grande loi sur l’audiovisuel public et privé, déclarait ceci : « Dans un contexte général de maîtrise de la dépense publique, le Gouvernement a fait le choix courageux de dégager, au cours des deux prochaines années, une ressource supplémentaire de 2,5 milliards de francs, pour restaurer l’identité des chaînes ». Monsieur le ministre, je ne vous en demande pas tant, mais au moins cessez la baisse ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’année 2019 s’achève sur un bilan riche et très positif. Elle a été marquée par l’adoption de plusieurs réformes majeures, comme celle du droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, la réforme de la loi Bichet sur la distribution de la presse et la création du Centre national de la musique.
Marc Twain, ce grand écrivain américain, se plaisait à dire que les actes en disent souvent plus long que les mots. C’est une réflexion qu’il est toujours bon, en particulier pour nous, parlementaires, de méditer.
Chacun de vous connaît naturellement mon tempérament pondéré. (Sourires.) Aussi, je n’aurai pas ici l’outrecuidance de comparer ce bilan législatif d’une année avec celui du quinquennat précédent.
Pour en revenir aux actes, en particulier aux trois lois adoptées cette année dans le domaine des médias et des industries culturelles, je rappellerai deux faits.
Le premier est que deux de ces trois textes ont été étudiés en première lecture au Sénat. C’est un fait suffisamment rare pour être souligné et consigné. Cela témoigne de la considération que vous portez, monsieur le ministre, à notre Haute Assemblée. Je me crois autorisé à vous en remercier en son nom.
Le second fait, corollaire du premier, est que ces trois textes ont été très largement élaborés, en amont de leur adoption, en collaboration étroite avec les rapporteurs sénatoriaux en charge de ces textes.
Au final, le Gouvernement a fait évoluer ces secteurs sans jamais se départir des valeurs qui président à la conduite du ministère de la culture depuis soixante ans : un secteur public fort, permettant de soutenir l’activité culturelle dans toute sa diversité et donnant un accès à la culture et à une information de qualité à tous nos concitoyens.
Les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public » pour 2020 sont guidés par ces mêmes objectifs.
Certes, de réels efforts budgétaires sont demandés au secteur de l’audiovisuel public. Ce n’est pas une surprise : les objectifs de réduction ont été fixés il y a deux ans et étalés sur une durée de trois années.
Des efforts de mutualisation ont notamment été demandés aux différentes sociétés de l’audiovisuel public, dans la perspective de rompre avec cette anomalie française qui veut que notre service public de l’audiovisuel soit représenté par pas moins de cinq sociétés, chacune ayant sa direction, ses fonctions support, et souvent, ses stratégies propres, pour ne pas dire personnelles, et ce à un moment où l’audiovisuel public doit faire face, non seulement à la concurrence de groupes français ou européens du privé toujours plus puissants, mais surtout, à deux grands opérateurs américains qui sont chaque jour plus présents sur le marché national.
Je suis toutefois conscient des craintes actuelles des salariés de Radio France quant à l’avenir de leur emploi. Mais je suis aussi conscient que le numérique modifie profondément nos comportements, nos usages et nos liens sociaux, notamment en matière de communication.
En un an, et en dépit des bonnes audiences de France Inter et de France Culture, le secteur radiophonique dans son ensemble a perdu plus d’un million d’auditeurs. Cette tendance ne peut aller qu’en s’accentuant.
Face à ce changement, la seule réponse possible est de s’adapter aux nouveaux modes d’écoute, aux nouvelles attentes du public, tout en préservant sa spécificité. Les métiers de la radio, comme ceux de la télévision et du journalisme, sont en mutation profonde. L’audience tend de plus en plus à se fragmenter et à se délinéariser.
Il y a une réalité assez cruelle, c’est que l’audience des médias tend à vieillir avec l’âge de ceux qui les font. La presse écrite, y compris la presse de qualité, a profondément renouvelé ses effectifs et ses modes de production au cours des dix dernières années, notamment pour s’adapter à la révolution numérique et à la transformation des usages.
Il n’est à mon sens pas envisageable que nos grandes entreprises de l’audiovisuel ne connaissent pas la même évolution qu’il nous faudra bien sûr accompagner. Il faut avoir le courage de le dire et de l’assumer : ces changements ne sont pas qu’affaire de budget, de moyens financiers et de hausses automatiques de la contribution à l’audiovisuel public, comme certains ici le laissent entendre.
Si tel était le cas, la très forte augmentation qu’a connue la CAP jusqu’en 2017 aurait dû conduire automatiquement à une consolidation des audiences et à un rajeunissement des publics des chaînes et des stations de l’audiovisuel public, ce qui n’a pas été le cas. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.)
Il ne s’agit pas de nier l’importance des questions budgétaires, même si, à première vue, face aux milliards déversés dans ce secteur par les grands opérateurs américains, les crédits de la mission et du compte spécial qui nous intéressent peuvent sembler modestes avec leurs 4,3 milliards d’euros pour 2020.
Ces crédits visent d’abord à préserver le pluralisme des idées et la diversité culturelle dont se préoccupent peu les entreprises d’outre-Atlantique susvisées. Ils doivent aussi être mis en perspective avec le montant global des moyens que l’État consacre aux politiques culturelles : environ 14 milliards d’euros par an, comme l’a rappelé mon collègue Julien Bargeton.
Les crédits de la présente mission représentent plus de 30 % de ces moyens, ce qui est très loin de marquer un désengagement de l’État à ce sujet, notamment si on observe les évolutions des dernières années dans ce domaine chez nos voisins européens.
Dans une étude récente comparative présentée en février dernier, le think tank Idate souligne en effet que les recettes annuelles des principaux groupes de l’audiovisuel public en Europe diminuent depuis 2012 en moyenne de 0,2 % par an. Un pourcentage moyen à mettre en parallèle avec les 0,18 % de baisse programmée en 2020 pour l’audiovisuel public français – année de plus forte réduction au sein de la trajectoire budgétaire qui avait été fixée pour trois ans. Nous sommes donc bien loin des coupes claires dénoncées par certains.
Un nouveau chapitre va s’ouvrir à présent dans ce domaine avec le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique présenté ce matin en conseil des ministres. Ce n’est pas encore le moment d’en débattre, mais il est important de rappeler qu’il s’agit d’un chantier d’ampleur, car il s’agit ni plus ni moins que de remettre sur l’ouvrage une législation datant pour l’essentiel de 1986, et dont la refonte avait jusqu’à présent été abandonnée par nos prédécesseurs.
Le groupe La République En Marche votera donc naturellement en faveur de ces crédits. (MM. Julien Bargeton et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)