M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Ces réponses sont vraiment insuffisantes.
Monsieur le rapporteur général, vous ne pouvez pas être spécialiste de tous les sujets. Vous évoquez des films américains qui auraient été achetés plus cher par le service public : de quels films s’agit-il ? C’est dérisoire par rapport aux enjeux dont il est question !
Aujourd’hui, l’essentiel de la création audiovisuelle française – je parle bien de la création –, y compris dans le domaine du cinéma, est supporté par l’audiovisuel public. S’il n’existait pas, il n’y aurait pas de cinéma français ! Il y a Canal+ et l’audiovisuel public.
Très franchement, quand on voit la multitude des programmes offerts par Radio France, avec France Culture ou France Inter, par exemple, il faut reconnaître qu’il y a de la qualité.
Et puis, mes chers collègues, puisque nous sommes tous attachés aux territoires, je vous préviens que vous allez être sollicités à chaque fois qu’une antenne de France 3 Régions ou de France Bleu sera fermée sous prétexte d’une fusion ou d’une rationalisation. Et à ce moment-là, vous nous expliquerez que vous ne voulez pas qu’elles ferment chez vous. Sauf que tout cela est prévu ; il s’agit d’un plan global !
Monsieur le rapporteur général, j’ai donné des chiffres sur le tarif de la redevance en Europe. Je ne vois pas pourquoi la France serait la dernière de la classe ! Et je ne vois pas non plus, dès lors qu’elle est dernière de la classe, pourquoi on nous propose aujourd’hui de diminuer le montant de cette contribution, alors qu’il faudrait au contraire l’augmenter.
Le Gouvernement décide cette mesure, alors que l’audiovisuel public évolue dans un environnement marqué par la concurrence des GAFA et du privé, avec TF1 notamment. Mes chers collègues, connaissez-vous beaucoup de pays où c’est le privé qui détient la première chaîne ? Moi pas !
Et avec tout cela, on nous dit que l’on va bientôt faire une loi pour renforcer l’audiovisuel : ce n’est franchement pas sérieux ! Jusqu’ici, ces sujets faisaient consensus au Sénat. Nous étions tous attachés, certes avec quelques nuances, à ce que l’audiovisuel public puisse vivre. Après tout, c’est lui qui finance la création et qui nous garantit une certaine qualité – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains ont voulu l’émanciper de la publicité et le soustraire à la dictature de l’audimat.
Je ne comprends pas ce qui est en train de se passer au moment même où il faudrait a minima garantir les ressources. Personnellement, j’ai toujours proposé que l’on donne davantage d’argent à l’audiovisuel public. Aujourd’hui, je me contente de demander le maintien des financements à un niveau identique à celui de l’année dernière, ce qui correspond en réalité à leur baisse, puisque le coût de la vie augmente.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. S’il y a une année où il ne fallait pas prendre une telle mesure, c’est peut-être cette année.
En effet, on annonce une réforme de l’audiovisuel public pour 2020. Or l’audiovisuel public a déjà subi des coupes budgétaires et réalisé des économies depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il arrive à un point de non-retour extrêmement préoccupant.
David Assouline l’a déjà dit, derrière l’audiovisuel public, c’est l’évolution des antennes de France 3 Régions qui se profile, ainsi que de celles de France Bleu. Je peux vous affirmer, puisque l’on parle de proximité et de territoires, que les conséquences de cette réforme dans un certain nombre de nos territoires seront extrêmement inquiétantes.
À raison, le rapporteur général ne veut pas ouvrir de débat sur l’audiovisuel public ce soir, mais, de toute façon, je ne crois pas que les conditions soient vraiment réunies pour que nous puissions débattre demain en toute sérénité de la réforme de l’audiovisuel public et légiférer. Cette disposition est extrêmement grave. Aucune mesure équivalente n’avait été prise depuis plus de dix ans.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Dans le prolongement de ce que viennent d’expliquer mes collègues, je veux dire que la diminution d’un euro de la redevance ne va en rien régler les problèmes de pouvoir d’achat des Français ; en revanche, elle sera extrêmement douloureuse pour l’audiovisuel public.
Ceux qui écoutent les radios du service public savent que les personnels sont en grève depuis hier. Nous les avons rencontrés : ils nous ont décrit la réalité de leurs missions dans le contexte budgétaire qui est le leur, avec à la fois un gouvernement qui demande des économies et une direction qui applique les mesures plutôt avec zèle, à mon avis.
Dans un contexte où la parole publique est aussi contestée et sujette à caution, nous avons besoin d’un audiovisuel public fort, pluraliste, ce qui implique des moyens face à des groupes mondiaux qui ne jouent pas du tout dans la même catégorie.
Il s’agit d’un enjeu de société, et je considère que la baisse de un euro de la contribution à l’audiovisuel public est un non-sens absolu. Elle n’aura absolument aucun effet, je le répète, sur le pouvoir d’achat des Français et risque, au contraire, d’avoir des conséquences extrêmement douloureuses…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est long ! De toute façon, la commission y est défavorable.
Mme Céline Brulin. … que nous pourrions tous être amenés à regretter !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. Je ne voterai pas ces amendements.
Je défends l’audiovisuel public depuis toujours, mais je crois qu’il doit lui aussi contribuer aux efforts en matière de baisse de la dépense publique.
M. Victorin Lurel. Il est à l’os !
M. Jean-Pierre Leleux. Je précise que, compte tenu du double phénomène de l’euro supplémentaire et de l’indexation sur le coût de la vie que nous avons votée, le montant de la redevance a augmenté beaucoup plus vite que l’inflation elle-même depuis 2008.
En 2018, le Gouvernement a exposé la trajectoire d’économies prévue pour la période 2018-2022 : chacun des opérateurs sait donc parfaitement les économies qu’il doit faire.
J’ai quand même des réserves importantes. On peut regretter que, à la veille d’une grande réforme qui sera examinée par le Sénat au mois de mars ou d’avril prochain, on décide de procéder ainsi pour limiter les ressources de l’audiovisuel public.
M. David Assouline. Il faudrait inverser le calendrier !
M. Jean-Pierre Leleux. Je pense que le débat s’engagera au cours de la discussion de ce projet de loi et que, à ce moment-là, on pourra commencer à définir les missions de l’audiovisuel public, parce qu’on les connaît mal et qu’elles sont encore floues, avant de penser à adapter les moyens à ces missions.
Mme Sylvie Robert. Examinons ce projet de loi avant de voter la baisse de la redevance !
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le débat semble relever d’une pétition idéologique, en tout cas pour certains collègues situés sur l’autre rive de l’hémicycle… On a l’impression que France Télévisions n’a pas encore réalisé assez d’efforts. Or j’estime, et nous sommes nombreux à le penser, que cette entreprise a déjà fait de nombreux efforts.
Cela se traduit aujourd’hui par ce que l’on nous annonce, c’est-à-dire encore plus de licenciements. Je veux bien entendre ce que le secrétaire d’État vient de nous dire, à savoir qu’une négociation est engagée, mais on demande à France Télévisions de faire des économies à hauteur de 400 millions d’euros, tout en l’obligeant à acheter des programmes détenus par des producteurs privés, sans vraiment avoir la garantie de disposer des droits de diffusion.
Et il faut encore baisser la redevance, en plus des efforts requis ! Je ne pense pas que le groupe socialiste aime l’impôt et l’augmente par plaisir : il est favorable à l’impôt utile et efficace pour les services publics !
Ce que nous défendons n’est pas populaire : je sais qu’il y a un arbitrage à faire. On pourrait très bien voter l’octroi de cet euro supplémentaire : cela permettrait d’être populaire dans l’opinion publique, mais le service public est en train de se déliter. J’en sais quelque chose : France Ô vient d’être supprimée dans ma région, alors que nous n’avons même pas Public Sénat dans les outre-mer et qu’il faut payer pour avoir accès aux bouquets.
Lorsqu’on abîme le service public, tout le monde en souffre ! Diminuer de un euro ou maintenir le tarif de la redevance à son niveau de 2019, comme le propose David Assouline, ne change pas fondamentalement les choses. On continuera à demander des efforts au groupe France Télévisions, alors qu’il est à l’os. Je trouve que l’on va très loin dans cette affaire.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Ce débat intéressant dépasse la seule question de la baisse de la redevance.
Pour ma part, je voterai ces amendements, parce que je suis attaché à la télévision régionale, ainsi qu’à France Bleu. Si notre pays souffre d’une décentralisation parfois boiteuse, c’est parce que les médias restent trop souvent des médias nationaux et que nous n’avons pas su créer, par comparaison de notre situation avec celle d’autres pays où la décentralisation est plus aboutie, des médias locaux avec des participations plus fortes et des débats mieux organisés.
Qu’on le veuille ou non, aujourd’hui, c’est le service public qui porte ces médias locaux et régionaux.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’ai bien entendu ce que les uns et les autres viennent de dire.
Je citerai simplement deux chiffres officiels de France Télévisions.
En 2018, le coût de l’acquisition de programmes américains, fictions et films, a atteint 57,8 millions d’euros, celui de l’acquisition de programmes européens 16,2 millions d’euros.
M. David Assouline. Et l’acquisition de programmes français, alors ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je l’ai déjà dit : 57,8 millions d’euros.
M. David Assouline. Je parle des programmes français, pas américains ! C’est incroyable !
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. La question n’est pas tant celle du niveau de la redevance, contrairement à ce que l’on pourrait penser, que celle de la cohérence entre la mesure prise dans le cadre du projet de loi de finances et le projet de loi sur l’audiovisuel qui nous sera soumis, comme l’a rappelé Jean-Pierre Leleux, dans quelques mois.
Prendre une décision qui, d’une certaine manière, préempte une partie du débat, peut soulever des questions. Le timing est en cause.
C’est pourquoi je voterai les amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-353, I-984 rectifié et I-1095.
(Les amendements ne sont pas adoptés.) – (Marques de déception sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-371, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Lurel et Antiste, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable et Mme Monier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Au premier alinéa du III de l’article 1605 du code général des impôts, les montants : « 139 € » et « 89 € » sont respectivement remplacés par les montants : « 141 € » et « 91 € ».
II. – Le VI de l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du premier alinéa du 2 du 1, les mots : « 552,0 millions d’euros en 2019 » sont remplacés par les mots : « 542,1 millions d’euros en 2020 » ;
2° Au 3, les mots : « 2019 sont inférieurs à 3 307,6 millions d’euros » sont remplacés par les mots : « 2020 sont inférieurs à 3 429 millions d’euros ».
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Le vote sur les amendements précédents était serré !
Monsieur Leleux, je vous engage à faire preuve d’un peu plus de cohérence à l’avenir ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je dis cela, parce que nous connaissons bien le sujet tous les deux.
Je vais maintenant défendre mes amendements de repli. Et, avant toute chose, je veux prendre rendez-vous. Puisque nous allons nous amuser à légiférer sur les questions de financement avant même d’examiner le projet de loi sur l’audiovisuel public, qui est pourtant à l’ordre du jour et qui doit porter une ambition, j’aimerais dire qu’il aurait été plus logique de faire l’inverse : il aurait fallu examiner ce texte et ensuite, seulement, discuter des moyens à y consacrer.
Avec cette mesure, on propose de diminuer la redevance, ce qui n’avait jamais été mis en œuvre. Par le passé, il était déjà arrivé que l’on cesse de l’indexer sur l’inflation – c’est une baisse déguisée, je le répète –, mais jamais on n’avait voté une baisse de son montant. En effet, le principe même de cette contribution, c’était son dynamisme.
On prend une décision symbolique, historique, avant même la tenue d’un débat qui est censé traduire une ambition pour l’audiovisuel public. On aurait au moins pu se mettre d’accord pour remettre à l’année prochaine, sur le fondement de la réforme à venir, le débat sur les moyens financiers à consacrer à l’audiovisuel public.
Je rappelle que le chiffre cité par le rapporteur général, les 50 millions d’euros dépensés pour acheter des films américains,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. 57 millions d’euros !
M. David Assouline. … n’est rien au regard des centaines de millions d’euros de l’audiovisuel public : c’est dérisoire ! Le seul chiffre important, il l’a oublié : ce sont les centaines de millions d’euros qui sont investis dans la création française ! Il n’y a pas de création audiovisuelle française sans le service public ; c’est ce qui fait sa particularité.
M. Jean-Claude Requier. Il y a Canal+ quand même !
M. David Assouline. Il reçoit des financements, mais, en contrepartie, il doit encourager le cinéma et les séries françaises. Il est vraiment dommage d’avoir ce débat à ce stade.
L’écart continue de se creuser par rapport à tout le reste de l’Europe. On va certainement nous dire de créer une holding comme l’ont fait les Britanniques. Simplement, les Britanniques paient une redevance dont le montant est supérieur de plusieurs dizaines d’euros à la nôtre, les Allemands, plus encore. Les Suisses, qui ont organisé un référendum sur le sujet, ont une redevance dont le tarif est plus élevé de plusieurs centaines d’euros que la nôtre.
Que croit-on ? Qu’on peut disposer d’un service public de l’audiovisuel gratuitement, alors qu’on a même supprimé la publicité ? L’audiovisuel public s’effondrera pour laisser la place au privé, et je pense qu’à ce moment-là personne ne sera content, parce qu’il entretient le lien social.
M. le président. L’amendement n° I-370, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Lurel et Antiste, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable et Mme Monier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Au premier alinéa du III de l’article 1605 du code général des impôts, les montants : « 139 € » et « 89 € » sont respectivement remplacés respectivement par les montants : « 140 € » et « 90 € ».
II. – Le VI de l’article 46 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du premier alinéa du 2° du 1, les mots : « 552,0 millions d’euros en 2019 » sont remplacés par les mots : « 542,1 millions d’euros en 2020 » ;
2° Au 3, les mots : « 2019 sont inférieurs à 3 307,6 millions d’euros » sont remplacés par les mots : « 2020 sont inférieurs à 3 368,3 millions d’euros ».
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 31.
(L’article 31 est adopté.)
Article 33 bis (nouveau)
Au premier alinéa du I de l’article 21 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, l’année : « 2020 » est remplacée par l’année : « 2022 ». – (Adopté.)
Article 33 ter (nouveau)
I. – L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués mentionnée à l’article 706-159 du code de procédure pénale reverse au budget général de l’État 90 % des sommes inférieures à 10 000 € saisies lors de procédures pénales engagées entre 2011 et 2015 et n’ayant pas fait l’objet d’une décision de justice ou pour lesquelles cette décision n’a pas été transmise à l’agence. Ce versement est opéré au plus tard le 31 mars 2020.
Le solde de 10 % est conservé par l’agence jusqu’au 1er janvier 2025 afin de pouvoir exécuter d’éventuelles décisions de restitution rendues par les tribunaux à propos de ces sommes. Une fois ce montant utilisé et en cas de nouvelle demande de restitution ou en cas de décision de restitution postérieure au 1er janvier 2025, l’agence déduit le montant de ces demandes de restitution des sommes confisquées qu’elle doit reverser à l’État. Si le montant de ce reversement s’avère insuffisant, l’État verse à l’agence les sommes nécessaires à l’exécution de la décision de restitution.
II. – Pour les besoins de l’accomplissement de sa mission de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’agence mentionnée au I du présent article dispose d’un droit d’accès direct aux informations contenues dans les fichiers tenus en application des articles 1649 A et 1649 ter du code général des impôts, aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ainsi qu’aux informations mentionnées à l’article L. 107 B du livre des procédures fiscales.
M. le président. L’amendement n° I-754, présenté par MM. Sueur, Raynal, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian et MM. Temal, Kerrouche et Jacquin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite aborder un sujet très important : la corruption transnationale et les biens mal acquis, qui constituent un véritable pillage des pays les plus pauvres de la planète par des personnes malhonnêtes, qui accumulent des biens en France, à Paris, sur la Côte d’Azur et ailleurs.
Notre assemblée a voté à l’unanimité une proposition de loi, qui visait tout simplement à faire en sorte que ces avoirs, dont sont dépossédés les pays les plus pauvres, reviennent aux populations spoliées. Je tiens à remercier encore une fois tous mes collègues qui ont bien voulu soutenir ce texte, particulièrement M. le président et M. le rapporteur général de la commission des finances, qui ont démontré tout leur intérêt pour le sujet.
Nous proposions la création d’un fonds, avec un conseil de gestion associant notamment des organisations non gouvernementales comme Transparency International, de sorte à pouvoir affecter ces sommes aux populations défavorisées, qui vivent souvent dans la misère et ont été honteusement spoliées.
L’article introduit dans le projet de loi de finances par l’Assemblée nationale a pour effet de faire revenir ces fonds dans le budget de l’État français. Naturellement, c’est contraire à l’objet de la proposition de loi adoptée unanimement par le Sénat. En effet, notre souhait est non pas de permettre à l’État français de récupérer ces sommes, mais de consacrer celles-ci au développement. Selon la Banque mondiale, ces sommes représentent entre 20 et 40 milliards de dollars, soit 20 à 40 % du montant de l’aide au développement dans le monde.
Si je présente cet amendement de suppression de l’article 33 ter, c’est pour revenir, vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, à l’esprit et à la lettre de notre proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Jean-Pierre Sueur a rappelé, à juste titre, la position unanime du Sénat sur la restitution des biens mal acquis, notamment des sommes qui auraient été saisies par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc).
On ne peut qu’appuyer cette position, l’ensemble du Sénat et – je remercie mon collègue de l’avoir souligné – sa commission des finances étant évidemment sensibles au sujet. Même le tribunal de grande instance de Paris a souligné à quel point il était choquant que les biens saisis ne soient pas restitués aux populations.
La seule difficulté, c’est que la suppression de l’article 33 ter n’aboutirait pas au résultat escompté.
Cet article me semble constituer une simple mesure pratique – le Gouvernement confirmera ou pas cette analyse – visant à supprimer la gestion du compte de l’Agrasc par la Caisse des dépôts et consignations, en vue de l’apurement de ce dernier.
D’après les informations qui nous ont été transmises, 33 200 dossiers seraient en instance à l’Agrasc, pour un montant total de 404 millions d’euros, mais 90 % des dossiers concernent un montant inférieur à 10 000 euros.
Vous imaginez, mes chers collègues, la complexité que représente la gestion de ces dossiers, qui, je le rappelle, concernent les comptes relatifs aux avoirs criminels saisis. La mesure envisagée nous paraît juste répondre à cette difficulté de gestion.
En revanche, la question soulevée dans le cadre de la proposition de loi reste entière : comment affecter les sommes saisies aux populations ?
La suppression de l’article 33 ter n’apportant pas satisfaction par rapport à l’objectif que nous visons tous, la commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. La proposition de loi évoquée par le sénateur Jean-Pierre Sueur avait été examinée dans le cadre d’une niche du groupe socialiste. Son examen n’avait pu aboutir, du fait d’un problème de temps.
Toutefois il avait été repris ultérieurement, quelques divergences apparaissant entre les auteurs du texte et le Gouvernement, non pas sur l’objectif, mais sur les modalités. Nous avions notamment échangé ensemble sur la nécessité de modifier la loi organique fixant les compétences de l’Agrasc pour pouvoir permettre l’affectation particulière.
Depuis, pour être précis pas plus tard que ce matin – hasard du calendrier –, un rapport des députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann sur le même sujet a été remis à la garde des sceaux, au ministre de l’intérieur et au ministre de l’action et des comptes publics. Nous allons ainsi pouvoir continuer à travailler sur la question des biens mal acquis.
L’article 33 ter qu’il est proposé de supprimer ne vise qu’un objectif de gestion, comme l’a rappelé M. le rapporteur général. Il s’agit d’apurer un certain nombre de dossiers actuellement gérés par l’Agrasc et la Caisse des dépôts et consignations.
Cette mesure facilitera la vie administrative de l’Agrasc, pour ce qui concerne la vente et le recouvrement des sommes pour l’État, uniquement au titre de biens saisis ou confisqués d’un montant de moins de 10 000 euros.
Nous pouvons convenir, monsieur le sénateur Sueur, que lorsque nous discutons de biens mal acquis par des dirigeants de pays étrangers que l’on pourrait qualifier de corrompus, nous ne parlons pas de biens ou de patrimoines inférieurs à 10 000 euros. Les patrimoines immobiliers ou bancaires concernés sont beaucoup plus importants.
Notre objectif est de permettre et de faciliter la liquidation et la monétisation de biens nombreux d’une valeur inférieure à 10 000 euros, saisis non pas uniquement dans le cadre de procédures relatives aux biens mal acquis, mais au titre de l’intégralité des compétences de l’Agence.
Pour cette seule raison, le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° I-754, ce qui ne préjuge en rien, bien au contraire, sa volonté de continuer à travailler sur une proposition de loi, en prenant en compte les conclusions du rapport de Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, de manière que nous puissions, enfin, avoir un mécanisme permettant la restitution aux populations spoliées des sommes correspondant aux biens mal acquis.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Cette affaire me paraît très importante du point de vue moral.
Je n’ai pas personnellement participé à la prise de position de notre assemblée sur le sujet. Je n’en ai pas la connaissance au fond, mais j’ai cru comprendre, des propos du rapporteur général, qu’il était bien question de faire en sorte que les biens mal acquis reviennent aux populations spoliées.
Je comprends, en partie, l’explication de M. le secrétaire d’État. J’entends qu’il s’agit de petites sommes, inférieures à 10 000 euros.
Mais, pour ma part, je fais de cette affaire une question non pas de montant, mais de principe et de morale ! Peu importe leur montant, les sommes doivent revenir aux populations spoliées ! Il ne faut pas que la République française donne l’impression, après tout le passé que nous connaissons et que nous n’ignorons pas, que des petites économies seraient faites, ici ou là.
Je veux bien que l’Agrasc ne traite pas uniquement les affaires de biens spoliés, que toutes les recettes qu’elle collecte ne concernent pas forcément ces biens.
Les décisions que nous prenons sont regardées dans le monde, en particulier en Afrique et en Asie. Ne laissons pas penser que la France aurait fait quelques économies, même s’il s’agit de petites sommes – mais cumulées, cela peut faire beaucoup –, qu’elle garderait par-devers elle.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d’État, d’être très vigilant, d’examiner la proposition de loi et de vous assurer que tout sera fait pour que ces fonds retournent dans les pays spoliés.