Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’importance des enjeux pour la sidérurgie, qui doit devenir un acteur du développement durable ; si la France est capable de proposer des solutions en la matière, elle pourra regagner des parts de marché et, en effet, augmenter sa compétitivité.
Je tiens à le rappeler, la sidérurgie française est présente sur les aciers les plus modernes à valeur ajoutée à la fois par sa filière des hauts-fourneaux, avec des aciers techniques pour l’automobile, comme Usibor d’ArcelorMittal, par des aciéries électriques très haut de gamme sur les superalliages et les alliages de titane mis en œuvre par Aubert et Duval, ainsi que par des inox et des produits très spécialisés, comme les aciers à grains orientés par les transformateurs.
Vous mettez l’accent sur les choix de technologie du type aciérie électrique, sur lesquels on doit notamment tenir compte des investissements passés, de la base industrielle installée, des ressources et de l’évolution de la demande. La décarbonation de la production d’acier dans les hauts-fourneaux réduira à terme très fortement leur émission. C’est une première réponse. De nombreux projets de R&D sont déjà engagés pour cela, car la filière fonte restera essentielle dans l’offre d’acier des prochaines années eu égard aux projections de la demande.
La filière électrique est cependant une technologie moderne également majeure. Elle dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel, une plus faible intensité capitalistique, la flexibilité, l’adaptation à cette spécialité.
À court terme, elle est handicapée, car sa caractéristique essentielle – elle est faiblement émettrice de CO2 – n’est pas « récompensée » par un prix du carbone à la hauteur des diminutions d’émissions de gaz carbonique qu’elle permet.
C’est pour cela que nous travaillons auprès de la Commission européenne, notamment sur un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne. Dans le cadre du pacte productif, nous regardons également comment redonner sa compétitivité à ce type de filière. C’est également pour cette raison que nous nous sommes battus pour maintenir une telle facilité s’agissant d’une aciérie comme Ascoval, en nous disant que l’histoire nous donnerait raison.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Mois après mois, c’est le même débat, avec les mêmes questions et, malheureusement, les mêmes réponses. Et pendant ce temps, les sites industriels sont délocalisés, avec les emplois perdus et les ravages économiques et sociaux qui vont avec !
Aucun territoire et aucune filière n’ont été épargnés par les fermetures : deux sites d’Ascométal dans la filière électrique ; chez Eramet, l’aciérie électrique de Firminy ; pour les cylindres, Akers, et Vallourec a fermé ses laminoirs de Saint-Saulve et de Déville-lès-Rouen ; dans la filière fonte, c’est l’arrêt de Florange. Entre 2013 et 2017, la sidérurgie a perdu près de 10 000 emplois directs. Autant de vies et de savoir-faire détruits au nom de la compétitivité. Une véritable hécatombe !
Or le Gouvernement continue à verser les mêmes larmes de crocodile et à dire qu’il faut « approfondir notre réflexion pour encourager la renaissance d’une politique industrielle ».
Nous, nous continuons à formuler des préconisations, dont bon nombre sont contenues dans l’excellent rapport de notre collègue Valérie Létard. Soit les solutions que nous défendons depuis quinze ans sont erronées, soit il y a une volonté non assumée de sacrifier la sidérurgie et, par là même, notre tissu industriel, sur l’autel du profit. Si c’est cela, il faut le dire clairement !
Combien de temps allons-nous encore constater la faiblesse de l’État actionnaire face aux appétits capitalistes et l’absence de stratégie industrielle sur le long terme ?
Est-ce que votre politique industrielle se résume à voir nos outils industriels partir à l’étranger, à être naïfs dans la guerre économique, à subventionner les entreprises à hauteur de 200 milliards d’euros sans demander de contreparties en termes d’emplois et d’investissements en attendant que la « main invisible » du marché vide la France de son industrie ?
Ou alors allez-vous enfin interdire les délocalisations de site dans les filières que nous considérons comme stratégiques et mener une politique industrielle audacieuse, en commençant par nommer un ministre de l’industrie ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne partage pas du tout votre présentation.
M. Fabien Gay. J’espère bien ! (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. En effet, force est de constater que l’emploi industriel a progressé dans ce pays en 2017, en 2018 et en 2019.
M. Fabien Gay. Tous les jours, des entreprises ferment !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Toutefois, vous avez raison, ce n’était pas le cas auparavant ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Les faits sont têtus, monsieur le sénateur ! De 2000 à 2016, nous avons systématiquement détruit de l’emploi industriel chaque année, allant jusqu’à détruire plus de 100 000 emplois industriels certaines années. Il faut prendre les chiffres tels qu’ils sont.
Oui, il y a une politique industrielle dans ce pays. Oui, elle est mise en œuvre dans le cadre des contrats stratégiques des filières des territoires d’industrie. Si Ascoval fonctionne aujourd’hui, sachez-le, c’est parce qu’il y a eu une action déterminée du Gouvernement.
M. Fabien Gay. Non ! Des élus locaux !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur Gay, il ne faut pas se payer de mots. Observez les faits !
L’action du Gouvernement permet aujourd’hui de regrouper les acteurs de la filière, pour se consacrer à des projets concrets, qui permettent de financer non seulement l’innovation, mais également la transition écologique et énergétique.
En outre, elle est menée à l’échelon européen, avec le mécanisme d’inclusion carbone, sur lequel nous sommes en train de travailler avec nos amis néerlandais, allemands et espagnols. Pour ma part, je conduis ces négociations ; je ne suis pas sur mon siège à attendre que les choses se passent ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Fabien Gay. C’est comme cela que vous considérez les parlementaires ?
M. Jean-Marc Todeschini. Quelle arrogance !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Sachez qu’il y a des relocalisations de sites industriels en France ! C’est la réalité.
Je ne vous dis pas que cette bataille sera gagnée en matière industrielle. Nous le savons tous, ce qui nous attend, avec les tensions commerciales, sera difficile.
Néanmoins, ce que je puis vous dire, c’est que, au Gouvernement, nous ne resterons pas les bras croisés. Nous n’allons pas non plus nous contenter de distribuer les bons et les mauvais points. Nous sommes là pour accompagner les entreprises dans leurs transformations ! (Marques de scepticisme sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. Fabien Gay. Toujours les mêmes discours !
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Nous déplorons tous ici les mésaventures d’Ascoval, qui est allé de difficultés en difficultés, malgré l’implication des pouvoirs publics. Ces mésaventures sont symptomatiques de l’action de l’État, qui souhaite toujours agir en faveur de l’industrie ou de l’emploi. Mais cette action se limite à présent presque exclusivement à la gestion de crise, pour éteindre des feux.
Le dossier Ascoval montre bien à quel point même la gestion de crise est difficile. Le rapport de notre collègue fait ainsi état d’un enchaînement de mauvaises décisions et de déclarations précipitées, qui témoigne de l’absence de stratégie française en la matière. Il nous semble pourtant essentiel de mettre en place le cadre légal favorable au développement de l’industrie.
Que peuvent faire nos industriels face à une taxe carbone qui, en Europe, ne s’applique pas aux importations ? L’émergence d’acteurs solides, capables de soutenir une concurrence mondiale face à d’autres grands acteurs, doit être encouragée.
Nous avons vu, lorsque General Electric a racheté la branche énergie d’Alstom, que d’autres États soutiennent très activement leurs industriels. La France doit protéger son industrie et ses savoir-faire. Elle doit soutenir l’investissement dans les secteurs stratégiques. Mais, comme il n’y a plus ni ministre ni secrétaire d’État à l’industrie, comment pourrait-elle avoir une vision stratégique ?
Une vision stratégique est indispensable. Elle dépasse aujourd’hui le cadre national. Elle doit être européenne. On ne pourra pas faire l’économie de l’adaptation aux règles de la concurrence, mais le sort de notre industrie se joue maintenant.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : qui sera chargé de redonner à la France une stratégie industrielle, et avec quels moyens ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vais rappeler l’ensemble des instruments de notre politique industrielle, afin que nous les ayons tous en tête. Peut-être sont-ils trop nombreux pour que chacun se rende compte de l’ampleur de l’action du Gouvernement en la matière.
Nous avons dix-huit contrats stratégiques de filière, dont un qui porte spécifiquement sur les mines et la métallurgie. Il permet d’anticiper non seulement les transformations de la filière, mais également les innovations, la transition écologique énergétique et l’approvisionnement en métaux rares.
Le dispositif Territoires d’industrie, qui est au plus près des territoires, en lien avec les collectivités locales, permet de défendre des projets, notamment pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire.
Le programme de numérisation des entreprises vise à accompagner leur diagnostic numérique et, à la faveur du suramortissement, à leur permettre de se transformer, avec une incitation fiscale.
Le Fonds pour l’innovation dans l’industrie porte le financement des innovations de rupture pour préparer les futurs marchés de notre industrie. Tous ces éléments font une vision et une stratégie industrielles.
Oui, nous prenons aussi le temps d’accompagner les entreprises en difficulté. C’est notre travail ! D’ailleurs, ce ne sont pas les dossiers les plus difficiles. Mais je veux vous rappeler ici le travail qui a été effectué sur Ascoval ou sur General Electric, puisque vous mentionnez cette situation ; vous avez pu constater qu’un accord raisonnable entre les syndicats et les autorités semblait avoir été trouvé, grâce à l’appui du Gouvernement.
Cette stratégie industrielle est portée au plus haut niveau au sein du Conseil national de l’industrie, dont je rappelle qu’il est présidé par le Premier ministre – peut-être n’est-ce pas assez bien pour certains… –, et par les industriels, en la personne de Philippe Varin pour France Industrie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la notion de stratégie.
Comme le montre le rapport, l’État a donné l’impression ces dernières années d’intervenir de façon importante, avec 500 millions d’euros d’aide publique en dix ans, mais au coup par coup, au moment où sont survenues les difficultés, pour en quelque sorte « renflouer la barque », sans formalisation des engagements du groupe, avec une forme de précipitation ressentie comme une absence de cap.
Je reviens sur le dossier emblématique de Vallourec, dont l’État est le principal actionnaire ; cet exemple me permet d’étayer mon propos. Quel est le cap ? Peut-on croire à un discours de vérité ?
Je suis élue de la Nièvre. Sur le site Vallourec de Cosne-Cours-sur-Loire, les élus et les salariés ont fait les frais de ces évolutions spasmodiques. Nous avons tous eu l’impression de courir derrière des décisions dont la stratégie nous échappait.
Hasard des calendriers, je viens de recevoir un fascicule intitulé Vallourec, au cœur d’un monde qui bouge. Oui, les évolutions sont nécessaires et vitales dans ce secteur industriel, pour continuer à exister dans un contexte qui évolue ! Mais, une fois de plus, y a-t-il un cap ? Et surtout, le connaissons-nous ?
Les cessions-reprises à suspense, qui apparaissent parfois comme des liquidations en plusieurs temps parfaitement orchestrées, ne peuvent pas nous faire croire que la transparence est revenue.
Le directoire annonce que l’amélioration des performances du groupe se confirme et que le chiffre d’affaires annuel est en hausse ; je m’en félicite. Mais on peut lire : « Les tubes sans soudure destinés principalement au marché européen des équipements mécaniques sont laminés par un producteur ukrainien à des prix compétitifs. » Quelle est donc la stratégie du groupe pour la production nationale ? Je pense à tous ces salariés qui fabriquaient des tubes sans soudure en France et qui sont dans une incertitude insoutenable sur leur avenir depuis des années.
Dans une entreprise transparente, qui affiche sa confiance en l’avenir et dont l’État est le principal actionnaire, la stratégie est-elle de laisser au bord du chemin ses collaborateurs de la première heure ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous avez raison, Vallourec a traversé des difficultés, comme d’ailleurs tous les acteurs du secteur, du fait notamment de l’effondrement de son marché en matière de fourniture d’équipements pétroliers, pour des raisons que tout le monde comprend.
Les différentes entreprises qui ont été confrontées à un tel effondrement de leur marché ont dû prendre des mesures dont vous avez raison de souligner qu’elles ont été difficiles. Elles ont mis en évidence un problème de compétitivité de la plateforme France. C’est un sujet sur lequel nous avons à plusieurs reprises attiré l’attention de la Haute Assemblée et de l’Assemblée nationale.
Il faut reconnaître que, en termes de compétitivité, on examine le coût complet de la production. S’il est supérieur à celui de vos concurrents – j’ai été dans l’industrie –, vous perdez tout simplement vos parts de marché. Nous devons poursuivre le renforcement de la compétitivité.
C’est pour cela que la numérisation des entreprises, c’est-à-dire le fait de transformer leur manière de produire, en augmentant le poids des robots ou des machines à commande additive, est si importante en France. C’est une manière de réinternaliser de la production en France et de gagner en compétitivité.
Bpifrance est présente au sein du capital de Vallourec. Elle y est entrée à un moment où la société était menacée d’une éventuelle offre publique d’achat. Elle a été amenée à prendre ses responsabilités en soutenant l’entreprise. Ce n’est pas le principal actionnaire. Elle est ultra-minoritaire dans une société cotée, où le capital est très largement réparti. Nous devons continuer à assumer nos responsabilités, mais en qualité d’administrateur : nous ne sommes pas les gérants directs de l’entreprise.
Toutefois, soyez assurée que, sur les sites français, nous avons le regard de l’État, au-delà de celui du seul actionnaire Bpifrance.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Je comprends bien toutes ces questions de productivité, qui sont mondiales. Mais il y a tout de même une manière de faire les choses !
Sur le site dont je parle – mais c’est un exemple parmi tant d’autres –, le repreneur a baissé les bras au bout d’un an, en disant que Vallourec ne lui avait pas donné les brevets ; c’est ubuesque ! Au passage, des salariés ont perdu leur premier plan social et le bénéfice de leur ancienneté. Si des décisions humainement douloureuses sont parfois incontournables, il faut les prendre dans de bonnes conditions, et non dans une telle absence de transparence. C’est insupportable pour les salariés comme pour les élus !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. En 1954, la France comptait 152 hauts-fourneaux. Aujourd’hui, il en reste 8. La perte progressive des capacités de production sidérurgique ou le rachat des entreprises historiques françaises par des conglomérats, voire des concurrents étrangers, le transfert des talents, des technologies à l’étranger, qui sont une tendance alarmante, se retrouvent dans la plupart des pans de notre industrie.
Madame la secrétaire d’État, ne croyez pas que nous soyons fatalistes. L’industrie française possède des atouts considérables. Il faut simplement que vous la défendiez sans naïveté face à notre affaiblissement industriel, pour ne pas dire face aux attaques contre notre souveraineté dans certains domaines particulièrement stratégiques.
Pourquoi une telle apathie lorsque General Electric, après avoir racheté plusieurs branches d’Alstom, ignore totalement les engagements pris auprès de l’État et annonce de surcroît près de 1 000 suppressions d’emploi ?
Je m’interroge lorsque la sucrerie Saint-Louis Sucre, rachetée par des Allemands, s’apprête à cesser la production en Normandie, fragilisant tout l’écosystème local.
Je ne comprends pas le temps qu’il nous a fallu pour sauver une partie de l’activité d’Ascoval. Et je pourrais aussi évoquer les Chantiers de l’Atlantique, Eramet en Nouvelle-Calédonie – vous avez évoqué Mme Bories – ou encore Technip, qui fait face à un nouveau scandale depuis son rachat par l’Américain FMC…
Ce n’est pas faute d’outils : le Parlement avait voté la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange », qui imposait une obligation de recherche de repreneur. Nous avons voté dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », l’élargissement du contrôle des investissements étrangers par vos services. Chaque année, nous demandons dans le projet de loi de finances des moyens plus importants pour le Fonds de développement économique et social, le FDES.
Quand assumerez-vous de vous saisir de tels outils pour soutenir et protéger nos industries stratégiques, clés de notre souveraineté économiques ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce combat pour l’industrie, nous le menons, me semble-t-il, sans naïveté.
Vous avez cité les investissements étrangers en France et le contrôle que nous opérons : je puis vous assurer, pour avoir un droit de regard sur de telles décisions, que nous bloquons certains actionnaires. Je parle évidemment pour ce qui concerne ces deux dernières années ; sauf erreur de ma part, FMC, c’est un peu plus ancien…
Outre notre action nationale, s’il y a aujourd’hui un mécanisme de screening à l’échelon européen, c’est grâce à l’affirmation des positions françaises. Nous avons convaincu la Commission européenne et nos partenaires d’avancer sur ces sujets.
À mon sens, il ne faut pas mettre tous les dossiers que vous évoquez sur le même plan. Dans le cas de General Electric, l’installation à laquelle vous faites référence a été achetée en 1999.
En tout état de cause, les accords qui ont été conclus en 2014 ne concernent ce site que par ricochet. Le rapprochement avec Alstom nous a justement permis d’utiliser ces accords comme levier sur General Electric. Personne n’avait passé d’accord en 1999 !
Nous avons obtenu des résultats sur General Electric : 50 millions d’euros sont prêts à être investis sur cet accord et la création de 600 emplois dans la filière éolienne en mer a été annoncée la semaine prochaine.
Ce n’est pas simple, certes, mais nous ne devons pas être fatalistes.
Cela dit, nous recourons assez largement au FDES. Nous sommes capables de le réinitialiser lorsque les besoins sont importants. De grosses sommes ont été mobilisées en 2018 sur le dossier Presstalis, mais si l’on procède à une analyse à moyen terme, cet outil est utilisé régulièrement et, me semble-t-il, efficacement. Je pense en particulier à une papeterie dans le Sud-Ouest qui va prochainement pouvoir en bénéficier.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, la filière sidérurgique française est devenue le symbole du déclin de l’industrie dans notre pays. Les fermetures successives de sites et les destructions massives d’emplois sont presque une fatalité.
De ce point de vue, les travaux de notre mission d’information ont permis d’apporter un autre éclairage, d’abord en rappelant que l’acier est essentiel à notre économie, en particulier à des filières comme celles du bâtiment, des transports ou même des énergies renouvelables, ensuite en cherchant à analyser les grandes mutations en cours pour mieux préparer l’avenir, plutôt que de revenir sur les erreurs du passé.
Afin de construire un avenir durable pour le secteur sidérurgique, je retiendrai qu’un engagement fort de l’État sera nécessaire pour soutenir ce dernier et pallier les défaillances du marché, à travers une politique industrielle à la hauteur des enjeux.
Cet engagement de l’État doit avant tout permettre à notre filière sidérurgique de s’inscrire résolument dans la transition énergétique.
Avec 19 millions de tonnes de carbone produites chaque année, la sidérurgie représente 4 % des émissions de carbone nationales. Aussi, l’un des grands défis qu’il faudra relever est celui de la décarbonation.
Pour cela, il faudra « mettre le paquet » sur la recherche, mais aussi être vigilant sur les fuites de technologie. Ainsi, nous proposons qu’une recherche financée sur fonds publics soit exploitée sur le territoire européen pendant au moins cinq ans.
Nous formulons également plusieurs propositions, afin de développer le recyclage et l’écoconception. Outre la contribution au nécessaire développement de l’économie circulaire, le recyclage de l’acier répond à plusieurs impératifs.
En l’absence d’une vraie stratégie d’approvisionnement durable et responsable, notre production d’acier reste dépendante de matières premières non disponibles sur notre territoire national. L’exploitation de certaines d’entre elles pose de lourds problèmes environnementaux, voire éthiques : je pense notamment au cobalt.
Enfin, nous nous devons d’anticiper la croissance des besoins dans le secteur des énergies renouvelables.
Lorsque nous avons auditionné le directeur de Siemens Gamesa, je lui ai demandé s’il achetait en France l’acier utilisé pour la fabrication d’éoliennes. Il m’a répondu qu’il faudrait pour cela qu’il y ait sur notre territoire « un fournisseur qui a les capacités industrielles pour continuer à accompagner la croissance de ce marché. »
Aussi, madame la secrétaire d’État, dans quelle mesure entendez-vous suivre les préconisations de notre mission d’information pour relever ces grands défis ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur Tissot, je vous rejoins sur l’importance de la recherche sur fonds publics, mais aussi de celle sur fonds privés.
Le recyclage est important également, car il fournit le matériel de base pour les aciéries électriques. Nous avons besoin d’organiser une vraie filière, avec une matière première recyclée à un coût compétitif – la vérité commande de dire que cet objectif n’est pas évident à atteindre.
S’agissant des approvisionnements stratégiques pour les filières exposées, nous sommes en train de déployer des plans spécifiques, notamment pour le titane, en nous appuyant en particulier sur le groupe Eramet, acteur formidable, dans lequel l’État est actionnaire, et qui travaille actuellement à un élargissement de sa capacité d’approvisionnement pour l’ensemble du pays.
Nos plans d’action devront sans doute aller plus loin, sachant que, pour ce qui concerne les mines, nous avons une approche plus éthique que d’autres pays.
S’agissant des énergies renouvelables, dans le cadre du Pacte productif, nous travaillons à privilégier des fournitures européennes et françaises. L’un des enjeux est de développer des filières bonnes à la fois pour le changement climatique et pour notre empreinte économique, en prévoyant des labels permettant de faciliter l’approvisionnement à partir de zones respectant nos modèles sociaux et environnementaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Je veux tout d’abord remercier le président de la mission d’information, Franck Menonville, ainsi que la rapporteure, Valérie Létard, de l’excellente qualité de leurs travaux. Moi-même élue d’un département lorrain, le sujet de la sidérurgie ne peut me laisser insensible.
Dans un contexte mondial fortement concurrentiel, la filière sidérurgique doit bien sûr s’adapter. Le verdissement de la stratégie industrielle comme la modernisation des process de production sont de véritables leviers de sa transformation. Je citerai ainsi deux réussites symboliques dans ma région : le projet de transition énergétique de Novacarb, en Meurthe-et-Moselle, et la transformation industrielle du site de Florange.
Mais je souhaite évoquer plus précisément la situation de l’entreprise Saint-Gobain Pont-à-Mousson, spécialisée dans la production de tuyaux en fonte pour l’adduction d’eau potable.
Cette société, ce sont 2 000 salariés, 123 brevets déposés depuis 20 ans et un statut de leader en Europe. Longtemps numéro un mondial de son secteur, elle souffre comme beaucoup de la concurrence asiatique à bas coûts, du protectionnisme américain et de la surproduction mondiale.
Dans ce contexte, elle continue toutefois à se moderniser et à innover. Elle a engagé un plan de redressement et d’investissement de 130 millions d’euros qui commence à porter ses fruits, et elle réfléchit aujourd’hui à un partenariat « au nom de la pérennité de l’entreprise et de l’emploi ».
Cependant, on ne peut pas dissocier la stratégie industrielle de l’entreprise des leviers à disposition des pouvoirs publics permettant de créer un environnement favorable.
Je fais référence ici à l’évolution récente, mais insuffisamment connue, du code des marchés publics, qui permet d’introduire des critères fondés sur l’origine géographique des produits favorisant ainsi le made in France, mais aussi à l’introduction de quotas de CO2 dans les règles européennes, ou encore à la taxation des imports extra-européens, un sujet qui revient régulièrement, comme vous le savez.
Madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement sur les quotas de CO2 et sur la taxation des imports de produits hors Union européenne ? Que proposez-vous pour informer et, surtout, rassurer les collectivités, afin qu’elles s’approprient les nouvelles dispositions du code des marchés publics que je viens de mentionner ?