M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ces sociétés dont nous ne voulons pas courent le risque de la fragmentation.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ce sont des sociétés qui souvent aujourd’hui s’interrogent sur leur devenir. Ils sont nombreux, nos cousins, en Europe ou même ailleurs, qui voient les limites du multiculturalisme et qui comprennent que la vraie chance pour la liberté de conscience – je le dis pour toutes les confessions – est celle de vivre dans un cadre laïque.
La laïcité est un trésor français. Elle se traduit par un corps de règles. Ce corps de règles, j’ai tenu à le préciser dès mon arrivée au ministère de l’éducation nationale.
Ce n’est pas un ministre inactif en matière de laïcité qui est devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Si !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous avons établi un vade-mecum de la laïcité qui est à la disposition de l’ensemble de la communauté éducative. Il établit à partir de cas concrets ce qu’il convient de faire.
Nous avons mis en place des équipes laïcité mobilisées dans chaque rectorat pour intervenir au cas par cas dans chaque établissement, chaque fois qu’un personnel de l’éducation estime qu’on a contrevenu au principe de laïcité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Pemezec. Du vent !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Par-delà tous les discours, ce sont des centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans dans les établissements pour rétablir la laïcité, là où, malheureusement, elle avait été pourfendue depuis tant d’années.
Notre combat pour la laïcité est aussi un combat contre le communautarisme et contre la radicalisation.
M. Pierre Ouzoulias. Et pour l’égalité !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En la matière, nous n’avons pas été inactifs non plus. Je veux évidemment parler de ce que nous avons fait, y compris avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quand nous avons donné une suite favorable à la proposition de loi, présentée par la sénatrice Françoise Gatel, visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
Grâce à cette loi, des écoles ont été fermées. Jour après jour, je me tiens personnellement informé des écoles et des établissements dans lesquels le contenu des enseignements ou le comportement du personnel va au-delà de ce qui est acceptable.
Avec la loi pour une école de la confiance, vous avez aussi voté il y a quelques mois le contrôle de l’instruction à domicile, qui est désormais renforcé.
De surcroît, par l’article 10 de cette même loi, vous avez permis l’interdiction de tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires. (M. Jérôme Bascher s’en félicite.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Merci !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est un apport considérable qui aura des effets très importants dans les temps à venir.
Voilà des mesures concrètes. Nous n’avons pas besoin de grands débats pour nous épuiser. Nous avons besoin, concrètement, d’assurer un équilibre entre des positions et, surtout, de lutter contre le communautarisme, contre la radicalisation et pour la laïcité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article premier de notre Constitution indique le chemin dont nous devons jamais dévier. La France est une République indivisible, laïque,…
M. Philippe Pemezec. Justement !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … démocratique et sociale.
Parce qu’elle est indivisible, nous combattons fermement toutes les tentations de repli communautaire.
Parce qu’elle est laïque, nous veillons à éduquer nos enfants dans un espace de raison, hors de toute emprise, quelle qu’en soit la nature.
Parce qu’elle est démocratique, nous luttons sans relâche contre toutes les idéologies qui prônent l’inégalité.
Enfin, parce qu’elle est sociale, nous offrons le meilleur à chaque enfant, quelle que soit son origine, et nous portons une attention constante aux plus fragiles pour les amener au plus loin de leur talent.
Voilà la République que nous souhaitons au XXIe siècle. Voilà le cap que nous devons toujours garder pour notre école. Redonnons du sens au mot « laïcité », redonnons du sens à notre destin collectif. Ce dernier a un nom : la République ; il a un objet : l’émancipation de tous ; et il a une raison d’être qui nous unit : notre pays, la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, SOCR et UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 13.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation (n° 84, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion. (Murmures sur de nombreuses travées.)
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire, monsieur le ministre, que vous avez très bien parlé. Maintenant, il faut passer aux actes ; c’est ce qui a manqué, non pas seulement à ce gouvernement, mais à tous ceux qui se sont succédé sous les précédents présidents de la République.
Si j’ai déposé cette motion de renvoi à la commission, ce n’est pas pour m’opposer à la présente proposition de loi, mais parce que je pense qu’il fallait aborder globalement la problématique.
Récemment, le 27 octobre, Le Journal du Dimanche a publié un sondage qui montre l’inquiétude des Français face à la radicalisation du communautarisme musulman. Selon ce sondage, 78 % des Français estiment que la laïcité est menacée par le communautarisme ;…
Mme Esther Benbassa. Non, ce n’est pas vrai !
M. Jean Louis Masson. … 82 % des Français souhaitent l’interdiction des prières de rue dans l’espace public ;…
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Nous aussi !
Mme Claudine Lepage. Quel rapport avec le texte ?
M. Jean Louis Masson. … 73 % des Français souhaitent l’interdiction du voile islamique ou des signes communautaristes ostensibles pour les parents qui accompagnent les sorties scolaires – c’est l’objet de la présente proposition de loi ; et 72 % des Français souhaitent que l’employeur puisse interdire les signes religieux ostensibles pour les salariés du secteur privé.
Ce sondage confirme, d’une part, que cette proposition de loi est la bienvenue et qu’elle répond à un besoin et à une aspiration de nos concitoyens, et, d’autre part, qu’elle aurait dû aller plus loin, car il faut prendre la problématique du communautarisme musulman dans sa globalité.
Ce constat m’amène à déposer la présente motion de renvoi à la commission. En effet, la commission aurait pu manifestement compléter de manière utile et constructive le texte initial.
Il faut dire clairement non à tout ce qui peut favoriser de près ou de loin le terrorisme islamique.
Il faut donc dire non à la radicalisation et non à toutes les formes de communautarisme islamique.
Il faut aussi dire non à certains flux migratoires, au sein desquels le terrorisme essaie de recruter.
À ce sujet, je pose une question : pourquoi les migrants de religion islamique viennent-ils se réfugier en Europe et pas dans les pays musulmans, pourtant voisins, d’autant que certains de ces pays sont particulièrement riches et ont les moyens financiers de les accueillir ? (Marques d’amusement sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Gay. Quel est le rapport ?
M. Emmanuel Capus. Ils n’ont pas le même droit du travail !
M. Jean Louis Masson. De même, pour quelle raison les bateaux prétendument humanitaires accueillent-ils les migrants immédiatement en limite des eaux territoriales de la Libye pour les ramener ensuite en Europe ?
M. Fabien Gay. Quel est le rapport ?
M. Jean Louis Masson. Ceux qui conduisent ces bateaux savent pourtant que les ports d’Algérie, de Tunisie et d’Égypte sont juridiquement sûrs au sens du droit international et qu’ils sont beaucoup plus proches que les ports français.
Par le passé, les immigrés qui venaient en France voulaient s’intégrer dans nos sociétés. Aujourd’hui, les flux migratoires sont différents ; ils conduisent à la formation de noyaux communautaristes qui rejettent notre façon de vivre.
Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leurs us et coutumes. Au contraire, si les intéressés viennent dans notre pays, c’est à eux de s’adapter à notre mode de vie et aux règles de notre société.
N’oublions pas que le communautarisme radicalisé est un vivier pour les terroristes musulmans. Nous avons le devoir de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui alimentent directement ou indirectement le terrorisme.
Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 16 octobre dernier, j’ai rappelé une nouvelle fois cette réalité, et félicité l’élu de la région Bourgogne-Franche-Comté qui avait protesté lors d’une séance du conseil régional contre la présence, dans le public, d’une femme voilée accompagnant la sortie scolaire de jeunes enfants.
Je suis heureux de constater que la grande majorité des Français pense la même chose que moi sur ce sujet. Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui avait été déposée plus tôt, sous d’autres gouvernements, par exemple sous la présidence de M. Sarkozy, l’incident qui est intervenu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté n’aurait pas eu lieu.
Ces femmes voilées dévoient les jeunes enfants, car il est très dangereux pour un jeune enfant d’être confronté tout petit à des actes et à tendances communautaristes radicalisantes.
Mme Laurence Cohen. C’est n’importe quoi !
M. Jean Louis Masson. C’est dans cette logique que j’ai déposé trois groupes d’amendements sur le texte que nous examinons.
Le premier vise à interdire le port du burkini et l’organisation d’horaires séparés pour les femmes dans les piscines.
Le deuxième vise à interdire le port du voile islamique et des symboles communautaristes sur les lieux de travail – dans le secteur privé, pas seulement dans le secteur public –, dans les assemblées des collectivités territoriales, et, pour renforcer le texte que nous examinons, dans le cadre des sorties scolaires.
Enfin, le troisième groupe d’amendements – déposés trop tard, ces amendements n’ont pu être enregistrés –…
M. Fabien Gay. On s’en passera !
M. Jean Louis Masson. … visait à appliquer nos lois relatives au bien-être animal de manière stricte, notamment en ce qui concerne l’égorgement rituel des animaux de boucherie. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM. – Mme Laurence Cohen hue.)
M. Fabien Gay. Il faut que ça s’arrête !
M. Jean Louis Masson. Par ces amendements j’ai voulu montrer qu’aucun communautarisme ne doit être au-dessus des lois.
Si demain je vais me baigner tout habillé dans une piscine, je serai mis à la porte, car on ne peut pas se baigner sans se doucher d’abord. Je ne vois pas pourquoi des gens se réclamant de telle ou telle religion pourraient se baigner tout habillés dans une piscine. (Mme Samia Ghali s’exclame.)
Ma famille a toujours vécu en France, et j’aurais moins de droits que ces gens qui veulent se baigner tout habillés ?
Mme Samia Ghali. Hors sujet !
M. Jean Louis Masson. Ce n’est du reste pas seulement un problème de religion, mais un problème de propreté. Pourquoi les uns seraient-ils obligés de se doucher quand les autres pourraient se baigner tout habillés ? (Brouhaha.)
C’est tout à fait scandaleux, car cela caractérise le renoncement de nos dirigeants face à ce communautarisme. Il est temps de réagir.
Par ailleurs, j’ai entendu certains collègues protester lorsque j’évoquais le bien-être animal. C’est pourtant la même chose : il est interdit de laisser agoniser les bovins pendant plus de cinq minutes dans les abattoirs au nom du bien-être animal, et cela me semble tout à fait normal ; mais, si vous êtes musulman ou de telle ou telle religion, vous avez le droit de faire ce que vous voulez : vous pouvez les laisser agoniser dix minutes dans un coin, il n’y a pas de problème !
M. Stéphane Piednoir. Quel est le rapport ?
Mme Samia Ghali. Il y a des sorties scolaires aux abattoirs ?
M. Jean Louis Masson. Cette question n’est pas seulement religieuse, elle est économique. (Murmures appuyés et continus sur de nombreuses travées.)
Permettez-moi de rappeler que le code civil, qui s’applique à tout le monde, précise que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. C’est à ce titre que la France réglemente l’abattage des animaux de boucherie, qui doivent être étourdis avant d’être tués.
Malheureusement, il y a ces dérogations qui entraînent de longues agonies des animaux. Cette cruauté d’un autre âge est réclamée par certaines religions.
M. Stéphane Piednoir. On s’éloigne du sujet !
M. Jean Louis Masson. Mais ailleurs en Europe, (Brouhaha.)…
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean Louis Masson. … Écoutez-moi ! (« Trois, deux un, zéro : c’est fini ! » sur les travées des groupes SOCR et CRCE, dont les membres frappent sur leur pupitre pour couvrir la voix de l’orateur.) Ailleurs en Europe,…
M. le président. Concluez !
M. Jean Louis Masson. … au Danemark, en Finlande, en Suisse, ces mêmes religions acceptent parfaitement l’étourdissement préalable. (Brouhaha.)
M. le président. Votre temps de parole est écoulé !
M. Jean Louis Masson. Il n’y a pas de raison qu’il y ait deux poids, deux mesures !
M. Max Brisson, rapporteur. L’espérance que j’exprimais au début de mon propos liminaire est déçue. J’imaginais que nous parlerions de l’école, que de l’école, rien que de l’école. Elle le mérite, les élèves qui la fréquentent le méritent, les professeurs qui la servent le méritent. J’espère que dans la suite du débat nous ne parlerons que de l’école, parce que nous aimons l’école ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
En général, lorsqu’on demande le renvoi d’un texte à la commission, c’est que l’on a manqué de temps pour l’examiner. Or le moins qu’on puisse dire, c’est que cet après-midi, entre cette intervention et celle qui va suivre dans la discussion générale, M. Masson n’aura pas manqué de temps pour évoquer de nombreux sujets, qui, à mon avis, relèvent de la commission des lois ou de la commission du développement durable, mais sans doute pas de la commission de l’éducation et de la culture, où nous travaillons avant tout sur l’école.
M. Fabien Gay. Vous avez ouvert la boîte de Pandore !
M. Max Brisson, rapporteur. Sur le fond, monsieur Masson, la commission s’est efforcée de n’aborder que le code de l’éducation, de ne parler que d’enseignement. Les sorties scolaires interviennent pendant le temps de la classe, c’est-à-dire sur ce temps de la scolarisation qu’il nous paraît nécessaire de protéger.
Nous voulons le contraire de ce que vous venez de faire à la tribune en important tous les débats de la société, toutes les querelles des hommes dans l’école, parce que, comme je le disais en conclusion de mon intervention, la conscience des enfants, qui est fragile et qui nous est chère, mérite bien d’être protégée. Telle est notre conception de l’école, et nous y resterons fidèles !
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Samia Ghali. L’intervention de M. Masson me conforte dans l’idée que cette proposition de loi n’avait pas lieu d’être. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM.) Parce qu’elle stigmatise…
M. Bruno Sido. Pas du tout.
Mme Samia Ghali. … et qu’elle nous amène à des débats qui n’ont pas leur place dans cet hémicycle de la République.
La France est une et indivisible. Aujourd’hui, peu importe notre confession religieuse, peu importe d’où nous venons, nous sommes avant tout des Français. Avant d’être musulmans, chrétiens, juifs ou autre, nous sommes avant tout français.
M. Pierre Charon. Et les femmes voilées ?
Mme Samia Ghali. Oui, les femmes voilées appartiennent à la France, elles se considèrent comme françaises. Vous les avez stigmatisées à travers cette proposition de loi. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio fait un signe de dénégation.) Vous les avez mises en accusation.
Je le regrette, parce qu’aujourd’hui elles sont en souffrance. Elles sont tristes, et je suis triste pour elles. La République devrait l’être également.
J’en appelle au Premier ministre et au Président de la République, à qui je veux rappeler qu’il est le juge de paix et qu’il lui appartient de siffler la fin de la récréation, car nous avons donné un spectacle qui n’est pas digne de ce qu’est la France et de ce qu’est la République. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une maman qui accompagne son enfant et d’autres enfants lors d’une sortie scolaire est une maman qui veut participer à la République.
M. Alain Joyandet. Justement !
Mme Samia Ghali. Si l’éducation nationale n’est pas en accord avec cela, elle devra payer des intervenants pour faire le travail que font ces parents bénévoles. (Mme Laurence Cohen et M. Jean-Luc Fichet applaudissent. – Mmes Pascale Gruny et Catherine Troendlé ainsi que M. Alain Joyandet protestent.) Ils donnent de leur temps pour permettre aux établissements scolaires de poursuivre leur travail pédagogique à l’extérieur de l’école.
Ne l’oublions jamais : dans certains quartiers, si ces mamans n’accompagnaient plus les enfants, il n’y aurait plus de sorties périscolaires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comme je l’ai dit au président Retailleau, je regrette que cette proposition de loi n’ait pas pu être retirée. Elle n’est pas le reflet de la réalité, et elle n’est pas ce dont nous avons besoin aujourd’hui dans la République. (« Trois, deux un, zéro : c’est fini ! » sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Samia Ghali. On laisse ainsi la possibilité à des personnages comme M. Masson…
M. le président. Vous n’aviez que deux minutes trente : c’est terminé !
Mme Samia Ghali. … de raconter tout et n’importe quoi dans cet hémicycle. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour explication de vote.
Mme Josiane Costes. Le groupe RDSE ne votera pas cette motion de renvoi à la commission, car nous voulons le débat – c’est une tradition –, et d’autant plus dans ce cas, compte tenu de ce qui vient de nous être présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Noël Guérini. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 13, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
M. Laurent Lafon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur la neutralité religieuse lors des sorties scolaires est inscrite au débat de notre Haute Assemblée. Avant même d’être discutée, elle a déjà fait l’objet de nombreux débats dans les médias ou dans l’opinion publique.
Permettez-moi, pour commencer, d’essayer de l’analyser au-delà de toute polémique et en faisant abstraction dans un premier temps du contexte dans lequel elle intervient.
L’encadrement législatif et réglementaire actuel est-il suffisant, ou y a-t-il un trou dans la raquette juridique ou une imprécision qui nécessiteraient un nouveau dispositif législatif ? Telle est la question qui nous est posée par cette proposition de loi.
Pour notre part, nous l’abordons avec le souci de préserver l’esprit de la loi de 1905 et également de celle de 2004, qui – doit-on le rappeler ? – sont des lois d’équilibre dont le fondement ne doit pas être remis en cause.
De ce point de vue, il est utile de rappeler que le voile, comme toute autre tenue inspirée par la religion, à condition qu’elle ne trouble pas l’ordre public, n’est pas interdit en France. Son usage, en revanche, est encadré, notamment pour préserver la neutralité dans les services publics et protéger l’enfant dans l’école alors que sa conscience n’est pas encore formée.
Qu’en est-il des sorties scolaires ? Si le législateur de 2004 n’a pas traité directement de cette question, cela a été fait au travers d’instructions ministérielles.
Indéniablement, ce dispositif nous paraît perfectible. La proposition de loi apporte de ce point de vue deux améliorations notables.
Premièrement, si cette proposition de loi est votée, la décision d’accepter ou pas des parents en fonction de leur tenue lors des sorties scolaires relèvera non plus du directeur d’école, mais de la loi. À bien des égards, d’autant plus compte tenu des débats actuels, il semble en effet préférable de ne pas faire reposer cette décision sur les seuls directeurs d’école. (Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Catherine Troendlé applaudissent.)
Dans certaines villes, nous pouvons du reste nous interroger pour savoir s’ils ont réellement le choix, actuellement, d’accepter ou de refuser tel ou tel parent.
Deuxièmement, les sorties scolaires participent clairement de l’activité pédagogique et, à ce titre, la notion d’école hors l’école introduite par un amendement du rapporteur précise de manière utile leur situation juridique.
Cette disposition permet d’interdire que l’élève arbore un signe ou une tenue ostentatoire lorsqu’il sort de l’école pour participer à une sortie scolaire. Dans l’état actuel du droit, rien ne s’y oppose.
En revanche, la proposition de loi ne nous semble pas apporter une clarification suffisante sur le statut d’accompagnant. Ce dernier n’a en effet jamais été défini, si ce n’est en creux, à travers des jurisprudences. Un statut permettrait clairement de préciser la mission qui incombe à l’accompagnant et sa responsabilité.
Il s’agirait ainsi d’établir la différence entre l’enseignant ou l’animateur, qui, à travers la pédagogie utilisée, participe clairement d’une activité d’enseignement, et l’accompagnant, dont la mission est uniquement de permettre que la sortie ait lieu.
S’agissant du risque de prosélytisme et de la nécessité de protéger l’enfant, il nous semble que mettre sur le même plan l’intervenant et l’accompagnant est inexact. L’un participe de manière active et directe à l’enseignement, l’autre n’a pas, en revanche, vocation à y prendre part.
De ce point de vue, la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, qui porte sur l’intervenant, ne peut être complètement utilisée pour justifier la proposition de loi actuelle.
Nous sommes également en droit de nous interroger pour savoir si le caractère bénévole permet d’assimiler les parents accompagnateurs à des collaborateurs occasionnels du service public ou à des usagers.
Le Conseil d’État, en 2013, a répondu à cette question de manière claire en leur attribuant le statut d’usagers. Je ne peux m’empêcher de rappeler que, du point de vue du risque de prosélytisme qui doit nous préoccuper, les sorties scolaires ne méritent sans doute pas d’être devenues en quelques semaines le symbole d’une intrusion dangereuse de la religion dans l’école.
Nous devrions être plus inquiets des phénomènes plus pernicieux et dangereux pour les jeunes que sont le développement de l’instruction à domicile et celui des écoles hors contrat (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SOCR.),…
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Laurent Lafon. … dès lors qu’ils ont pour objectif de soustraire complètement les enfants à l’enseignement de matières comme les sciences ou l’histoire par les écoles de la République pour les placer sous le joug d’un obscurantisme religieux.
Nous le voyons à travers cette rapide analyse : la proposition de loi apporte des réponses utiles, mais qui ne sont que partielles tant que le statut de l’accompagnant n’est pas clarifié.
Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Nous ne pouvons en effet faire abstraction du contexte dans lequel ce débat intervient. L’emballement médiatique de ces derniers jours a mis sur le même plan la question du port du voile lors des sorties scolaires, la présence de listes communautaires aux élections municipales et même, comme cela a été évoqué récemment, l’interdiction de signes ou de tenues ostentatoires dans l’espace public.
Dans ce grand déballement commencé par un élu écervelé du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un peu de raison et de sérénité s’impose. Notre assemblée gagnerait à ne pas se laisser happer par ce tourbillon en se saisissant à tout prix de ces sujets, en multipliant les propositions de loi ou en créant des commissions d’enquête.
Disons-le franchement, pour un certain nombre d’entre nous, ce qui gêne dans cette proposition de loi n’est pas tant le contenu que le contexte dans lequel celle-ci intervient, un contexte où les amalgames simplificateurs prennent le pas sur les discours raisonnés, où la voix des modérés est peu audible par rapport à celle des extrêmes et où les réserves des uns ont peu de poids face à la récupération politique des autres.
Ce contexte appelle à la prudence et à la réserve. La crainte est forte en effet que cette proposition de loi ne fasse qu’alimenter le débat tel que nous le connaissons depuis quelques jours, sans y apporter la sérénité nécessaire. Est-ce la vocation du Sénat d’y participer dans ces conditions ?
M. Stéphane Piednoir. Absolument !
M. Laurent Lafon. Sur les sujets sensibles face auxquels l’angoisse du temps présent fait l’objet d’une exploitation par des extrémismes de tout poil, nous gagnerions collectivement à prendre plus de recul et à témoigner d’une plus grande hauteur de vue pour rappeler simplement ce qu’est notre histoire et ce qui fonde notre concorde nationale.
Dire cela, c’est faire preuve non pas d’angélisme ou de laxisme, mais de lucidité pour identifier ce qui pose problème et ce qui n’en pose pas.
C’est en travaillant ainsi et quand il légifère dans la sérénité que le Sénat fait œuvre utile.