M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si un Huron arrivait au sein de la Haute Assemblée à ce stade de notre débat, son premier constat serait qu’un principe unit tous les orateurs, sur l’ensemble des travées : c’est le principe de laïcité.
Chacun et chacune ont dit que la laïcité était fondamentale. Cela n’a pas été le cas à tous les moments de notre histoire.
M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais ce n’est pas un scoop !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le fait que ce socle d’union existe est, à mes yeux, un atout considérable. Considérons-le comme un trésor, et voyons-le, le plus possible, comme un outil de concorde nationale.
D’autres thèmes abordés au cours de cette discussion sont, à mon sens, tout aussi consensuels : voyons-les, eux aussi, comme autant de trésors. Tous les orateurs ont rappelé que la lutte contre le communautarisme était essentielle ; bien entendu, ils en ont dit autant de la lutte contre la radicalisation, et pratiquement tout le monde considère qu’il ne faut pas confondre l’ensemble de ces sujets.
Je tiens à rappeler tous ces éléments : il est important de montrer aux Français que, en réalité, la représentation nationale repose sur notre contrat social, qui constitue son socle essentiel.
Notre sujet n’est donc pas le « pourquoi » – nous sommes, j’en suis persuadé, pratiquement tous d’accord sur ce point, et donc sur la base du contrat social –, mais le « comment » : par quels chemins arriverons-nous à une laïcité effective, en luttant contre le communautarisme et la radicalisation, pour une République de citoyens égaux ?
Sur chacun de ces points – je tiens à le redire –, j’ai mené depuis deux ans et demi des actions extrêmement concrètes. Personne ne peut donner d’exemples plus concrets d’initiatives prises, en la matière, pendant les quinze ou vingt dernières années…
M. Jacques Grosperrin. Et la loi de 2004 ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. À part la loi de 2004, je vous l’accorde bien volontiers. Mais, depuis cette date, rien d’aussi important n’a été fait dans la lutte contre la radicalisation, dans la lutte contre le communautarisme et pour une laïcité effective.
Dès lors, la question est la suivante : cette proposition de loi va-t-elle nous aider à atteindre nos objectifs communs ? Certains pensent que oui, d’autres pensent que non. Pour ma part, je vous l’ai dit, ma réponse est non, et ce non – je tiens à le dire, car il s’agit presque d’une question d’honneur –, c’est la réponse que je donne depuis deux ans et demi.
D’ailleurs, monsieur Pemezec, il y a quelques instants, vous m’avez attribué une citation que je qualifierai d’apocryphe. Je ne sais pas comment les débats sont retracés,…
M. Alain Joyandet. On ne peut pas attaquer nos rédacteurs !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … mais vous avez fait de mes propos une sorte de résumé qui n’en est pas un : je n’ai jamais dit une chose pareille.
J’ai toujours dit que le droit actuel nous permettait d’agir d’une manière pertinente. C’est pourquoi, aujourd’hui, je considère que cette proposition de loi serait contre-productive, au regard d’objectifs que, par ailleurs, nous approuvons tous : la lutte pour la laïcité, contre le communautarisme et contre la radicalisation.
Bien entendu, il faut respecter les visions différentes, la pluralité de chemins conduisant au même but. Mais, comme l’a dit Mme Rossignol, il faut être très attentif à l’importance des mots.
Il est difficile d’être subtil et équilibré sur ces questions aujourd’hui : celui qui vous parle est bien placé pour le savoir. Lorsque j’ai dit « pas interdit, mais pas souhaitable », j’ai résumé l’état du droit actuel et j’ai résumé ce qu’ensuite Robert Badinter a dit. Il est bien normal que vous ayez plus de révérence pour les paroles de Robert Badinter que pour les miennes, mais en réalité ce sont les mêmes ! (Sourires.)
M. François Patriat. Exactement !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Au fond, nous avons formulé un rappel de bon sens, que presque tous les Français approuveraient sans doute si l’on prenait le temps de consacrer un débat apaisé à ces questions. Certains sujets relèvent de la loi et d’autres n’en relèvent pas, même si nous pouvons nous accorder à dire que les signes ostentatoires ne sont pas souhaitables lors des sorties scolaires.
Ce qui est très important aujourd’hui, c’est que notre action nous permette d’aller vers une laïcité du quotidien et de faire reculer le communautarisme. Ce dernier a progressé, c’est exact, non seulement dans les espaces, mais aussi dans les esprits : je suis le premier à le dire, à le déplorer et à me battre contre. Je tiens à le dire : le communautarisme a notamment progressé dans l’esprit de certaines de nos élites – je l’ai largement observé ces derniers temps. La lutte contre le communautarisme et contre la radicalisation est bel et bien un sujet essentiel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à revenir sur ces points, car nous avons besoin d’être clairs. Nous avons également besoin d’être efficaces : puisque nous visons tous les mêmes objectifs, pesons nos points de vue et évaluons nos analyses à l’aune de l’efficacité. Ce que nous faisons nous permet-il d’atteindre l’objectif fixé ? J’ai donné ma réponse ; chacun a la sienne. Mais c’est en conscience que nous devons donner l’image d’une France qui, en réalité, est unie sur l’essentiel, donc sur son contrat social, où la laïcité occupe une place centrale ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et SOCR.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation
Article 1er
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. »
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Max Brisson, rapporteur. Avec l’article 1er, nous abordons le cœur de cette proposition de loi, et je tiens à remercier M. le ministre de ses propos qui apaisent le débat en le plaçant au bon niveau. Je souhaite en faire autant, en tant que rapporteur de ce texte. D’ailleurs, tout au long des travaux de la commission, je me suis efforcé de centrer cette proposition de loi sur l’école.
À ce titre, il faut garder en tête la manière dont l’école publique s’est construite ; il s’agit d’une histoire très particulière, d’une histoire française,…
M. David Assouline. Une histoire de la gauche !
M. Max Brisson, rapporteur. … que l’on ne retrouve pas dans les autres pays d’Europe.
Monsieur Assouline, la gauche y a pris sa part, mais elle n’a pas été la seule : peu à peu, un vrai consensus s’est construit dans notre pays, en faveur de cette école publique, de cette école laïque, de cette école où l’on n’affiche pas ses croyances. (M. David Assouline manifeste sa circonspection.)
Mes chers collègues, la seule chose inscrite dans cet article, c’est la volonté de poursuivre le travail du législateur. En 2004, le législateur a fait du service public de l’éducation un service public particulier, où l’usager est soumis au principe de neutralité, alors que, dans les autres cas, seuls les agents du service public sont tenus de l’observer.
Dans le droit fil des pères fondateurs de l’école, le législateur a exigé, à l’école, une neutralité particulière. En essayant de sortir de cette période un peu tendue, de ce brouhaha médiatique et politique qui entoure nos débats, nous vous demandons tout simplement de parachever le travail, en considérant qu’un accompagnant participe à une activité d’enseignement, et uniquement à une activité d’enseignement.
Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit – et, personnellement, je m’y refuse absolument ! En revanche, même si l’on peut diverger sur ce point, il s’agit de considérer que la sortie scolaire, c’est la classe, la classe hors les murs, et que l’école hors les murs doit être protégée tout autant que l’école dans les murs.
Aussi, au cours de cette discussion, restons centrés sur l’école ; pensons aux sorties scolaires et protégeons ce temps d’activité pédagogique ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. N’est-il pas de bon sens que les personnes participant au service public de l’éducation, pour des activités liées à l’enseignement dans les établissements ou en dehors d’eux, soient également tenues de respecter ses valeurs, comme l’indique le texte de l’article 1er ?
Dans notre société, de plus en plus fracturée par le fléau du repli communautariste, par les tentations du huis clos technologique ou de l’entre soi sociologique, « faire Nation » apparaît bien compliqué. Si « vivre ensemble » est devenu un slogan, c’est en fait désormais surtout un objectif, car ce n’est malheureusement plus une évidence. Or il est un lieu où l’on peut semer et faire germer les valeurs de la République, qui nous unissent ; un lieu où l’on transmet le savoir, où l’on ancre des valeurs, où les consciences se construisent, s’épanouissent et s’émancipent ; un lieu qui doit être protégé, préservé, sanctuarisé : c’est l’école de la République, véritable pré carré de la genèse citoyenne, libre et indépendante.
Si c’est la République qui a instauré l’école moderne gratuite et obligatoire, c’est l’école qui a fortifié la République. Toutes deux sont indissociables, consubstantielles. Or, dès l’origine, cette école s’est voulue laïque, donc neutre, d’abord parce qu’elle entendait respecter tous ses enfants – ceux dont les parents croyaient au ciel et ceux dont les parents n’y croyaient pas.
Remercions d’ailleurs notre rapporteur pour ses rappels juridiques et historiques, précis et précieux : mieux vaut savoir d’où l’on vient pour ne pas se perdre.
Le combat pour la laïcité a une histoire jalonnée de débats et de fièvres. On a évoqué les lois de 1882, de 1886 et de 1905 : personne aujourd’hui n’en conteste la légitimité ou l’utilité. On a aussi mentionné la loi de 2004, relative à l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les élèves : personne non plus ne la remet désormais en cause, bien au contraire. Or ce texte fut précédé de quinze ans de controverses et de polémiques nées, notamment, après l’affaire du collège Gabriel-Havez de Creil, dans le département de l’Oise, dont Jérôme Bascher et Laurence Rossignol sont, comme moi, les élus.
Relisez les articles d’alors : vous serez surpris par leur actualité. À l’époque, certains refusaient la perspective de légiférer, sous prétexte de « stigmatisation ». On nous annonçait même que certains établissements scolaires allaient se vider de leurs élèves ! Il n’en a rien été : au contraire, cette loi a permis de retrouver un débat plus serein.
L’école admet toutes les fois, toutes les croyances, pour peu qu’on ne les montre pas.
M. le président. Il faut conclure.
M. Olivier Paccaud. C’est valable pour les enseignants, pour les personnels administratifs et techniques et pour les élèves. Pourquoi ne le serait-ce pas pour les parents ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez dit à plusieurs reprises : le voile n’est pas anodin. Sur ce sujet, je me permettrai de vous donner quelques éléments purement factuels, avec la double distance que me donnent mon statut d’historien et ma qualité d’athée – sans porter de jugement de valeur.
Dans les trois religions du Livre, les religions juive, chrétienne et musulmane, le voile est la manifestation vestimentaire d’une position particulière de la femme au sein de la société.
Tertullien, l’un des premiers catéchètes de la foi chrétienne, écrivait ainsi à l’intention des femmes, dans son ouvrage Le Voile des vierges : « Qu’elles sachent que tout est féminin dans une tête de femme ; […] tout ce que les cheveux dénoués peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu’il enveloppe aussi la nuque. C’est la nuque en effet qui doit être soumise, elle à cause de qui la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion. Le voile est son joug – Velamen iugum illarum est. » (M. Pierre-Yves Collombat rit.) Vous trouverez cela dans le volume 424 des Sources chrétiennes. (M. Pierre Ouzoulias brandit l’ouvrage en question.)
Dans son travail d’histoire religieuse dédié au voile, Rosine Lambin montre que le christianisme est le premier monothéisme qui a construit la théorie religieuse de la morale de la coiffure féminine. Elle conclut ainsi : « Le voile des femmes est de souche méditerranéenne, donc à la fois occidental et oriental. […] C’est l’occident chrétien qui a institué religieusement le voile. »
Je ne crois pas qu’il nous appartienne de légiférer en matière théologique…
M. Alain Dufaut. Eh non !
M. Pierre Ouzoulias. … et ce n’est pas à nous de décider ce que doit être la pratique religieuse des croyantes.
En revanche, dans notre travail législatif, seules comptent les lois que nous nous donnons à nous-mêmes : il n’y a rien au-dessus qui puisse nous être imposé.
Chers collègues, nous aborderons bientôt le projet de loi relatif à la bioéthique et il faudra s’en souvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ainsi que sur ces travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.
M. Stéphane Piednoir. Le débat de cette après-midi illustre toute la complexité du rapport que nous avons, nous Français, avec la religion. N’en déplaise à certains, les racines de notre pays sont judéo-chrétiennes : c’est notre héritage commun.
Il a fallu des siècles pour établir le Concordat, un siècle de plus pour séparer l’Église de l’État, puis pour affirmer ce concept de laïcité auquel nous sommes tous très attachés, j’en suis convaincu.
On trouve bien quelques laïcards aigris qui voudraient pouvoir effacer totalement cette référence chrétienne, comme une sorte de revanche sur l’histoire. (Protestations sur des travées du groupe SOCR.) Chose étonnante, ce sont les mêmes qui militent pour ne porter aucune restriction à l’exercice d’autres cultes dans le domaine public.
Rappelons que la religion musulmane n’oblige personne à porter en permanence un voile ou un foulard sur la tête. Ce bout de tissu est devenu un emblème politico-religieux pour ceux qui veulent défier la République, pour ceux qui veulent afficher comme une évidence la soumission de la femme.
Ce bout de tissu, comme d’autres, est tout sauf insignifiant. Faut-il que nous soyons à ce point aveugles, face aux références historiques qui ont été rappelées, pour refuser d’encadrer a minima tout ce qui concourt au service public ? Faut-il que nous soyons à ce point irrationnels pour ne pas même admettre que les activités qui se déroulent sur le temps scolaire sont des activités scolaires ?
Monsieur le ministre, vous l’avez dit il y a quelques instants : « L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité. » Alors, étendons à ces temps l’interdiction de signes ostensibles, dans le prolongement de la loi de 2004.
Mes chers collègues, il y a une solution finalement assez simple au problème qui nous est soumis aujourd’hui : demandons aux accompagnants de ces sorties scolaires d’enlever, pour quelques heures, ce bout de tissu. Cela ne les privera nullement d’exercer librement leur religion comme notre Constitution le leur garantit ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Houpert. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Pourquoi donc cette proposition de loi ? Sommes-nous submergés – je pèse mes mots – par des incidents à caractère prosélyte et antirépublicain lors des sorties scolaires ? Les auteurs du texte qui nous intéresse aujourd’hui n’instrumentalisent-ils pas plutôt le mot de laïcité au profit d’un calcul politique ?
Bien sûr, il y a des phénomènes de radicalisation dans notre pays,…
M. Patrick Kanner. … qu’il s’agisse de l’islam ou d’autres religions. Mais les prédateurs qui rejettent notre modèle républicain peuvent se réjouir de l’émergence d’une société de prohibition, d’interdiction et d’exclusion, qui ne fera que renforcer les extrêmes.
On ne répond pas à une vision totalitaire de la société par l’instauration d’une intolérance institutionnelle vécue comme une humiliation.
La loi de 1905 sanctuarise une séparation entre les Églises et l’État, pas entre les Églises et la société. Le choix de convoquer cette loi, d’invoquer la laïcité, comme le fait aujourd’hui une partie de la droite sénatoriale, ne laisse pas de m’interpeller : la même sensibilité politique s’est farouchement opposée au grand service public laïque et unifié de l’éducation nationale ;… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Joyandet. Cela n’a rien à voir !
M. Patrick Kanner. … ou, plus récemment, lors de l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté, à l’autorisation administrative préalable pour ouvrir une école privée ; et, plus récemment encore, à l’inscription de l’Église dans le répertoire des influenceurs. (M. Jean-Noël Guérini proteste.)
Mme Françoise Gatel. On ne peut pas dire ça !
M. Patrick Kanner. Permettez-moi de m’étonner devant cette laïcité à géométrie variable : la laïcité ne se défend pas de manière occasionnelle !
L’unité de la Nation doit être notre préoccupation prioritaire, dans ces temps où les forces centrifuges minent notre modèle de société ; mais l’unité de la Nation ne peut être rabaissée à une uniformité mettant à mal ce que Jean-Paul Delevoye appelle très justement « le prosélytisme de l’empathie et de l’altérité », que je considère comme un fondement de l’intégration républicaine.
Sachons méditer cette belle maxime d’Armand-Jean du Plessis, plus connu sous le nom de Richelieu : « La politique, c’est l’art de rendre possible le nécessaire. » Le présent texte n’est pas nécessaire, et nous voterons contre ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, sur l’article.
M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous décrire aujourd’hui le moment que nous avons vécu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Je ne reviendrai pas sur le fond ou sur la forme de l’intervention qui a déclenché l’incident, mais sur des circonstances qui illustrent l’ambiguïté totale dans laquelle nous nous trouvons, par rapport à la législation.
Les images diffusées sur les réseaux sociaux ne montrent pas le vrai moment : le moment où, dans l’assemblée, plus personne ne sait où l’on en est. La présidence ne suspend pas la séance, elle ne contredit pas l’intervenant. On voit des conseillers régionaux en venir aux mains, d’autres courir pour s’emparer des appareils photo de ceux qui viennent de les photographier, etc. Il a fallu un très grand nombre de minutes pour que nos travaux reprennent, le tout – j’y insiste – sans que la séance ait été suspendue.
Au moins, ce débat aura pour utilité de nous éclairer quant à l’état du droit aujourd’hui, car, à mon sens, celui-ci n’était pas clair. (M. le ministre manifeste sa circonspection.) Je ne reviendrai pas sur la dernière intervention de M. le rapporteur, qui, pour moi, était parfaite. Cela étant, je risquerai un parallèle.
Monsieur le ministre, dans son avis du 27 novembre 1989, rendu après l’affaire des filles de Creil, que dit le Conseil d’État ?
M. Bruno Retailleau. Il ne dit rien !
M. Alain Joyandet. Si, mon cher collègue, il dit tout de même quelque chose : on a le droit de porter le voile, mais, sous certaines réserves, les directeurs d’école peuvent l’interdire.
Hier, il s’agissait des filles de Creil, aujourd’hui, il s’agit des accompagnantes. Mais qui reviendrait sur la loi de 2004, laquelle a mis fin à cette ambiguïté pour les élèves ? Entre-temps, l’un de vos prédécesseurs, M. Bayrou, a dit non au voile à l’école, par la voie d’une circulaire et contre l’avis du Conseil d’État. Il a fallu une loi pour clarifier la situation.
Aujourd’hui, nous sommes exactement dans cette situation : nous avons besoin d’un texte qui clarifie, qui rende service aux directeurs d’école, qui facilite la tâche pour tout l’encadrement de l’éducation nationale. Quand vous-même dites : « Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas souhaitable », on devine votre embarras !
La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un texte révolutionnaire.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Exactement !
M. Alain Joyandet. Elle ne fait que boucler la boucle de la laïcité dans nos établissements scolaires. Je le dis aux uns et aux autres : ne partons pas dans de grandes leçons au sujet de la laïcité !
M. le président. Il faut conclure.
M. Alain Joyandet. À mon sens, il s’agit d’une simple précision et, pour avoir vécu ces situations de l’intérieur, j’en suis persuadé : cette précision législative pourra ramener le calme dans nos établissements et dans nos assemblées ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Cette proposition de loi n’est pas le premier texte à s’en prendre aux mères accompagnatrices voilées. La droite va mal, son mauvais score aux élections européennes le confirme. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Joyandet. Voilà, des leçons de morale !
M. Stéphane Piednoir. Les communistes vont si bien !
Mme Esther Benbassa. En cette veille de municipales, elle cherche à mordre sur les plates-bandes de l’extrême droite, dans l’espoir de grappiller des voix.
En France, 35 % des musulmanes seulement portent le voile : le chiffre est modeste au regard la réprobation que le fait suscite chez certains. Il n’y a pas de quoi alarmer la population !
D’ailleurs, selon un récent sondage, la lutte contre l’islamisme, souvent confondu avec l’islam, n’intéresserait que 56 % des Français, la santé et la lutte contre le chômage venant largement en tête.
Voilà donc une droite faisant mine de lutter contre l’islamisme en enlevant leur voile aux mères accompagnatrices, quand d’autres, dignes héritiers de la vision paternaliste des colonisateurs d’antan,… (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. François Bonhomme. Olé ! Olé !
Mme Esther Benbassa. … prétendent les émanciper des chaînes de l’oppression masculine musulmane. (Brouhaha.)
M. Stéphane Piednoir. Tout en nuances !
Mme Esther Benbassa. Marqueur identitaire pour beaucoup de femmes dans une France peinant à les intégrer, le voile est certes utilisé par des intégristes comme un signe de ralliement. Mais, heureusement, le libre arbitre est encore la règle : 70 % des musulmanes y seraient favorables,…
Mme Catherine Troendlé. Mais bien sûr !
Mme Esther Benbassa. … sans avoir obligatoirement à le porter.
Seule une laïcité inclusive nous mènera à l’intégration. La stigmatisation engendre le désordre en brisant la cohésion sociale. Occupons-nous plutôt des femmes battues et assassinées par leurs compagnons, de nos 9 millions de pauvres, ou encore du chômage, et luttons sérieusement contre la radicalisation avec un programme construit et de long terme !
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, sur l’article.
M. Michel Savin. Nous débattons aujourd’hui de l’interdiction de la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, dès lors que la personne participe à une activité liée à l’enseignement : peu importe si cette dernière a lieu dans l’établissement scolaire ou en dehors.
Les lignes de fracture sont nombreuses : nous l’avons largement entendu au cours de la discussion générale. À cet égard, je fais mienne l’analyse livrée par M. le rapporteur et par mes collègues. Toutefois, il me semble déterminant que notre débat ne se focalise pas sur le port du voile, car il existe d’autres signes religieux susceptibles de provoquer des situations conflictuelles lors des sorties scolaires.
Je pense notamment à une problématique face à laquelle nous serions, me semble-t-il, très démunis. Prenons le cas d’une sortie scolaire au cours de laquelle une baignade est organisée dans un parc aquatique, sur un lac ou à la plage. Imaginons qu’une accompagnante arrive vêtue d’un burkini : en l’absence d’une législation portant sur la neutralité religieuse, quelle sera la réaction des enseignants face au port de cette tenue, qui est un signe religieux manifeste ?
La question du port du burkini a été largement relayée durant l’été. Le Gouvernement ne souhaite pas réellement traiter ce sujet, ce que je regrette : il me semble important que ce sujet ne soit pas instrumentalisé dans le cadre des sorties scolaires. Ainsi, l’on évitera toute dérive communautaire dans le cadre des sorties scolaires, mais aussi lors des activités liées à l’enseignement, que ce soit dans les établissements ou au-dehors.
Pour ces raisons, je soutiendrai le présent texte ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. En préambule, je tiens à dire que je souscris, à la virgule près, aux propos prononcés il y a quelques instants par Laurence Rossignol.
Nous sommes pris dans une mâchoire, et l’on ne peut pas nier que ce débat est le symptôme du climat qui règne dans le pays.
À l’évidence, nous sommes face à une manœuvre politique. Il ne s’agit pas de régler un problème concret qui nous empêcherait de vivre ensemble. Personne ne peut dire aujourd’hui que, sur le front de la laïcité, le problème en milieu scolaire, ce sont les accompagnatrices : c’est, avant tout, le fait qu’un nombre croissant d’enfants soient retirés du système scolaire, pour être éduqués à domicile ou envoyés dans des écoles qui ne sont même pas déclarées, et où on les endoctrine. Réfléchissons aux moyens de lutter contre cela !
Et puis, mes chers collègues, y a-t-il oui ou non une montée du racisme antimusulman dans ce pays ?