M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a tenu à ce que ce débat sur les politiques migratoires puisse avoir lieu devant la représentation nationale, d’abord, et avant tout, parce que cette question est un sujet de préoccupation pour nombre de nos concitoyens et élus que vous représentez dans nos territoires, mais aussi parce qu’il est important, comme l’a dit le Premier ministre, d’en revenir aux faits.
Pour débattre de ce sujet, comme l’a souligné Jean-Yves Le Drian devant l’Assemblée nationale, nous avons en premier lieu besoin de clarté. Je concentrerai mon propos sur sa perspective internationale, en particulier européenne.
Nous avons, tout d’abord, besoin de clarté sur la situation réelle des migrations vers l’Europe et vers la France.
Les mouvements migratoires vers l’Europe diminuent. Ainsi, alors que le nombre d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne s’élevait à 1 820 000 en 2015, il est retombé à 180 000, soit dix fois moins, en 2018. Et pour 2019, la baisse est actuellement de 29 % par rapport à l’an dernier.
Pour autant, le sujet reste d’actualité : en Europe, nous le savons, les flux peuvent reprendre, car la situation géopolitique n’est pas stabilisée en Syrie. Je saisis d’ailleurs l’occasion pour condamner très fermement l’offensive turque au nord de la Syrie. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
En France aussi, les flux peuvent reprendre. Notre pays enregistre d’ailleurs en 2018 une forte augmentation en volume de la demande d’asile – 22 % par rapport à l’année précédente –, alors que la tendance générale en Europe s’inscrit en baisse de 10 %. C’est une singularité française, de même que le fait qu’une part importante de ces demandes – un quart d’entre elles – émane de ressortissants de pays européens d’origine sûrs, comme l’Albanie ou la Géorgie.
Nous avons ensuite besoin de clarté sur nos valeurs, notre histoire et nos principes. Notre responsabilité, à cet égard, est de toujours rappeler ce que nous sommes et d’y rester fidèles.
La France ne saurait ainsi renoncer aux valeurs humanistes inscrites dans sa Constitution sans renoncer à elle-même. Alors que nous fêtions les soixante-dix ans du Conseil de l’Europe mardi dernier à Strasbourg, nous ne pouvons abandonner les principes auxquels notre pays a adhéré à titre individuel ou en tant que membre d’organisations internationales et européennes. Ces principes nous obligent.
Je veux rappeler aussi notre histoire d’ouverture : ceux qui pensent que la nation française s’est construite dans le repli ou le rejet de l’autre méconnaissent notre passé. Car le passé de la France, son identité ont été forgés par la contribution irremplaçable de celles et ceux qui sont venus d’ailleurs.
Nous avons enfin besoin de clarté sur ce que doivent être les grandes orientations de notre action. C’est un point essentiel.
Aujourd’hui, un constat s’impose : le système d’accueil et d’intégration que nous avons édifié pour que ces valeurs, ces principes et cet héritage ne restent pas lettre morte est mis à l’épreuve.
Il nous faut agir, maintenant. Agir pour conserver notre capacité à accueillir dans les meilleures conditions ceux qui ont droit à l’asile dans notre pays ; agir pour pouvoir continuer à intégrer à notre société ceux qui viennent d’obtenir la nationalité française ou un titre de séjour régulier ; surtout, agir en Europe.
Si nous n’agissons pas, nous risquons de voir l’espace Schengen imploser et l’Europe se défaire. Les Européens doivent avancer ensemble sur ce sujet sans attendre qu’une nouvelle crise se profile. Il ne peut y avoir parmi les États membres européens certains qui choisissent la résignation, d’autres qui choisissent l’indifférence.
Nous devons être capables de nous organiser pour faire preuve d’humanité à l’égard de ceux qui demandent protection et d’une absolue fermeté contre les trafiquants et les passeurs qui exploitent la détresse de ceux qui souffrent.
M. Philippe Bas. En même temps !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Tel était l’objet, hier à Luxembourg, des discussions du conseil « justice et affaires intérieures », auquel je représentais Christophe Castaner.
Pour conjurer ce risque, nous devons être à la fois efficaces et justes. Notre approche doit prendre en compte l’ensemble des géographies concernées : les pays d’origine et de transit, la Méditerranée et l’Union européenne.
Sur ces trois volets, l’Europe a un rôle essentiel à jouer : il n’y aura de vraie solution au défi des migrations que si les Européens choisissent explicitement d’agir ensemble.
Nous pouvons, dans un premier temps, agir en amont. Le partenariat que nous construisons avec les pays d’origine et de transit repose sur notre action commune en faveur du développement. L’aide publique au développement a bien sûr un objectif propre : la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. Mais elle est aussi un levier essentiel de notre politique migratoire, et ce pour trois raisons.
D’abord, elle nous permet de mener des actions humanitaires au plus près des populations. La France s’est engagée – cet engagement a été réitéré le 22 juillet dernier devant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale des migrations à Paris – à réinstaller 10 000 réfugiés en 2018 et 2019. À ce jour, 8 528 personnes l’ont déjà été effectivement.
Ensuite, notre aide publique au développement permet à nos partenaires du Sud de se doter des capacités indispensables pour maîtriser eux-mêmes les flux migratoires. On le sait, en effet, le défi migratoire est d’abord un défi pour les pays du Sud, et tout le sens de notre action est de les aider à y faire face.
Enfin, l’aide publique au développement est essentielle pour traiter dans la durée les causes profondes des migrations irrégulières. Nous devons aider les populations tentées par l’émigration par désespoir à retrouver des perspectives, un avenir et des conditions économiques de développement, là où elles vivent.
C’est pour mieux affronter ces défis que notre aide publique au développement sera portée à 0,55 % de la richesse nationale d’ici à la fin du quinquennat.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Ce partenariat avec les pays d’origine et de transit, nous y travaillons au plan national comme à l’échelon européen. Le prochain cadre financier pluriannuel, le budget européen 2021-2027, prévoit ainsi des instruments de financement dédiés aux questions migratoires, notamment la capacité des pays du Sud à se doter de réels systèmes de gestion de leurs frontières et un renforcement de leur état civil. La France demande que 10 % de l’enveloppe de ce nouvel instrument de coopération et de développement international soient alloués à ces questions.
C’est une priorité des négociations que je soutiens avec mes homologues sur ce budget.
Nous pouvons par ailleurs agir ensemble face aux situations d’urgence, comme celle que nous avons connue l’an dernier en Méditerranée, où 2 000 personnes ont péri en mer, aux portes de notre continent. C’est inacceptable ! Nous devons nous mobiliser et, comme l’a rappelé Christophe Castaner, mettre en place un mécanisme de sauvetage et de débarquement efficace et pérenne. Le Président de la République l’a proposé, afin de trouver une solution européenne collective de responsabilité et de solidarité. Des avancées ont été obtenues le 23 septembre à La Valette. Mais les migrations ne sont pas seulement l’affaire de quatre pays, l’Allemagne, l’Italie, Malte et la France. C’est pourquoi, hier, au conseil JAI à Luxembourg, avec le soutien d’autres États membres, nous avons réussi à créer une dynamique positive. Une dizaine de pays déclarent être prêts à participer au prochain débarquement.
M. Bruno Retailleau. Sur vingt-sept ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Il s’agit d’un mécanisme temporaire et volontaire. Je rappelle, pour la bonne compréhension de tous, que cela concerne 600 personnes en France, 300 personnes en Allemagne, 60 personnes au Luxembourg. Nous sommes bien face à un enjeu humanitaire à nos portes, contrairement à l’effet d’attraction, voire de submersion – un terme qui me semble absolument condamnable – détaillé par certains.
Nous devons enfin agir ensemble sur le sol européen.
Nous devons poursuivre nos efforts pour mieux contrôler nos frontières extérieures. L’agence Frontex pourra mobiliser 10 000 garde-côtes et garde-frontières dans les prochaines années, afin d’aider les États membres en matière de contrôles frontaliers et de reconduites. Il y a là un enjeu évident de souveraineté européenne.
Il faut bien entendu refonder Schengen, qui repose sur deux jambes : la liberté intérieure de circulation et de réels contrôles aux frontières extérieures.
Depuis maintenant trente ans, ce système est boiteux : la jambe « liberté intérieure » est forte, mais la jambe « protection de nos frontières extérieures » est faible.
Il nous faut donc revoir ce système pour préserver notre liberté de circulation en Europe. Si nous voulons que soit mieux appliquée la règle selon laquelle l’État membre de première entrée est chargé de l’examen des demandes, il nous faut créer de la solidarité. L’Italie, la Grèce et l’Espagne ne peuvent pas, seules, gérer le système tel qu’il est conçu aujourd’hui, car il est profondément déséquilibré.
C’est l’un des enjeux de la révision du régime d’asile européen, le fameux règlement de Dublin, qui doit nous permettre d’harmoniser nos systèmes nationaux et de limiter les demandes multiples et parallèles d’asile successivement dans plusieurs pays, qui créent des mouvements secondaires extrêmement difficiles à contrôler.
Tel sera l’essentiel de notre action pour les prochains mois. Ursula von der Leyen a annoncé vouloir un pacte sur l’asile et l’immigration. La France est à ses côtés, et je peux vous dire qu’il y a eu aujourd’hui une unanimité en Europe sur le besoin de refonder profondément ces deux piliers : asile et immigration, et espace Schengen.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre modèle d’accueil et d’intégration est, je le crois, l’honneur de notre République. Notre devoir est bien de tout faire pour en préserver la viabilité.
En plus d’y consacrer nos politiques nationales, nous y employons, vous le voyez, nos leviers d’action internationaux et européens.
Mais pour mieux répondre aux défis migratoires d’aujourd’hui et de demain, nous avons également besoin de vous, élus de nos territoires, et je sais à cet égard la qualité des travaux du Sénat, informés et sérieux, sur les thèmes de nos débats.
Je suis donc particulièrement heureuse d’échanger avec vous sur ces sujets, dans la transparence et la responsabilité, sous le regard des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’occasion nous est donnée d’évoquer sereinement et en responsabilité un sujet qui, trop souvent, déchaîne les passions.
C’est, me semble-t-il, une bonne occasion de tordre le cou à beaucoup d’idées reçues, tout en nous montrant vigilants et fermes quand les situations l’exigent.
Si je pense qu’il est important que nous puissions débattre ensemble de cette question, c’est évidemment parce qu’elle interpelle nos concitoyens, mais c’est aussi parce que, pendant plus de vingt ans, comme travailleuse sociale, j’ai été confrontée à tout ce que l’incompréhension et la confusion peuvent provoquer comme rejet de l’autre et comme dégâts pour notre cohésion sociale.
Ma conviction profonde, c’est qu’il faut ouvrir ce sujet à tous nos concitoyens, et ne pas le laisser à une seule famille politique qui dupe nos concitoyens avec un discours aussi brutal que simpliste.
Dans la foulée d’un grand débat historique, le Président de la République n’a pas éludé la question migratoire, allant jusqu’à affirmer que « le deuxième grand combat européen avec le climat, c’est le combat en matière de migration ».
Oui, l’enjeu des migrations dépasse largement les frontières de la France, et l’Europe doit construire cet espace commun, parce qu’une Europe qui sait maîtriser les flux migratoires, ce sont des États membres qui accueillent mieux.
Mieux accueillir, c’est respecter des conventions auxquelles la France est partie et dont l’accès aux droits fondamentaux est un pilier essentiel.
En France, et nous pouvons en être fiers, chacun, quelle que soit sa situation, peut accéder aux soins. C’est tout le sens d’une protection maladie qui est universelle, puisqu’elle permet à chaque personne qui travaille ou qui réside en France de manière stable et régulière de bénéficier de la prise en charge de ses frais de santé. En France, votre couverture maladie ne dépend pas de votre emploi ou de votre statut.
Cette protection est donc accessible quelle que soit la nationalité de l’assuré, et elle inclut les ressortissants étrangers titulaires d’un titre de séjour, les réfugiés, mais aussi les demandeurs d’asile.
Des dispositifs sont aussi prévus pour la prise en charge des soins des personnes migrantes en situation irrégulière.
C’est le cas de l’aide médicale de l’État, l’AME, qui permet de couvrir les soins essentiels des ressortissants étrangers en situation irrégulière, en médecine de ville comme à l’hôpital.
Cette couverture n’est pas immédiate, puisqu’elle nécessite une présence d’au moins trois mois sur le territoire. Par ailleurs, elle est délivrée sous condition de ressources.
Si ces conditions ne sont pas remplies, la prise en charge est alors limitée à celle des soins urgents.
Ces procédures sont indispensables. Agnès Buzyn l’a bien rappelé lundi à l’Assemblée nationale : « en France, on ne laisse pas des personnes périr parce qu’il leur manque le bon tampon sur le bon document. »
Elles sont aussi indispensables pour des raisons de santé publique et pour éviter la propagation de maladies.
L’aide médicale de l’État répond également à un impératif d’économies : si elle n’existait pas, elle aurait pour conséquence une dépense plus grande, parce qu’une prise en charge tardive d’une maladie est toujours plus coûteuse qu’une prise en charge à temps par la médecine de ville.
Pourtant, certaines caricatures ont la vie dure, et l’aide médicale de l’État n’y échappe pas. Elle est même devenue, au fil des années, un motif récurrent des discours de peur et de repli. Il est temps de clarifier les choses !
Avec l’AME, le niveau de prise en charge est moins important que celui des assurés en situation régulière qui, à ressources égales, bénéficient de la CMU-C.
Ainsi, les actes de PMA, les médicaments à service médical rendu faible, remboursés à 15 %, et, bien sûr, les frais de cures thermales ne sont pas pris en charge par l’AME.
Les frais pris en charge en grande partie par les complémentaires santé, tels que les frais dentaires ou optiques, ne le sont pas par l’AME.
Enfin, les soins à visée esthétique ne sont, bien évidemment, pas pris en charge par l’AME.
S’agissant des autres droits sociaux, l’objectif est de faciliter l’intégration des personnes.
Sur ce sujet, je veux mettre fin, là encore, aux idées reçues, qui voudraient que les étrangers en situation irrégulière aient un large accès aux prestations sociales.
Les personnes en situation irrégulière n’ont droit à aucune prestation en dehors de la prise en charge de leurs soins. Je n’inclus pas dans ce propos les demandeurs d’asile, qui ne sont pas considérés comme étant en situation irrégulière sur notre territoire.
S’agissant des personnes en situation régulière, nous appliquons des principes constitutionnels et des règles internationales qui s’imposent à tous et par lesquelles se matérialise l’accès aux droits fondamentaux. Ces principes, nous y tenons.
Pour autant, l’égalité de traitement n’est pas totale : la plupart des minima sociaux sont soumis à des conditions de résidence plus restrictives pour les ressortissants étrangers en situation régulière que pour les ressortissants français. Par exemple, pour percevoir le RSA, une condition de cinq ans de résidence sur le territoire est requise.
Cette différence de traitement n’est pas contraire à notre exigence de cibler les besoins des populations concernées, parce qu’il en va de leur santé et de leur intégration.
Il ne faut pas oublier que les personnes migrantes sont souvent plus vulnérables : il est donc indispensable d’aller vers elles pour qu’elles puissent accéder aux soins et aux droits.
C’est la raison pour laquelle nous avons structuré un parcours de santé des primo-arrivants, en lien avec le secteur associatif, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les agences régionales de santé, pour organiser une prise en charge des besoins le plus rapidement possible.
C’est aussi la raison pour laquelle nous avons augmenté les moyens alloués aux permanences d’accès aux soins de santé, les PASS, qui réunissent soignants et travailleurs sociaux, accueillent de manière inconditionnelle et exercent cette mission d’accompagnement médico-social des personnes les plus vulnérables.
Je profite de ce débat pour saluer le travail remarquable des travailleurs sociaux et des associations, qui œuvrent chaque jour avec une énergie remarquable au service de cette intégration.
Quand certains cultivent une rente en alimentant le rejet, d’autres sont sur le terrain et trouvent des solutions pour que la cohésion sociale soit autre chose qu’une belle expression dans un discours.
Pour autant, nous sommes vigilants : comme pour toutes les politiques publiques, nous nous interrogeons sur l’efficience du système et nous ne fermons pas la porte à l’identification d’éventuels abus. Cette démarche est indispensable pour restaurer la confiance dans notre système, qui semble aujourd’hui faire défaut.
Je pense en particulier à l’aide médicale de l’État, qui représente une dépense de 848 millions d’euros en 2018. C’est une dépense importante. Pourtant, je rappelle que la dépense par bénéficiaire de l’AME est équivalente à la dépense par bénéficiaire d’un assuré, alors même que l’état de santé des bénéficiaires de l’AME est notoirement plus dégradé.
Une mission a donc été confiée aux inspections générales pour faire la lumière sur d’éventuels fraudes ou abus et pour proposer des pistes de progression.
Ces pistes pourront tenir compte des modèles en vigueur chez nos principaux voisins, même si, au-delà des comparaisons, c’est bien le cadre de prise en charge le plus pertinent et le plus efficace qu’il nous faut examiner.
Plusieurs options sont actuellement étudiées par la mission d’inspection. Nous regarderons l’ensemble des options proposées avec une grande attention, mais je souhaite préciser dès aujourd’hui que nous ne retiendrons pas la solution d’une participation financière des personnes admises à l’AME : cela constituerait un obstacle trop important pour l’accès effectif aux soins. L’introduction éphémère d’un droit de timbre en 2011 a montré qu’une telle mesure ne faisait que reporter les coûts de prise en charge sur les soins urgents.
Deux autres pistes sont étudiées par la mission d’inspection : subordonner à un accord préalable l’accès à certaines prestations, en dehors des soins urgents ou vitaux ; ajuster le périmètre du panier de soins pris en charge par l’AME.
Mais encore une fois, ce ne sont que des pistes, et nous attendons que la mission rende ses conclusions à la fin de ce mois.
En revanche, nous n’attendons pas les conclusions de cette mission pour renforcer les contrôles : l’AME et les soins urgents ne doivent pas être détournés de leur vocation, et ils doivent bénéficier à ceux qui y ont effectivement droit.
Ces contrôles portent sur les conditions d’éligibilité à l’AME, comme la durée du séjour et les ressources effectives des demandeurs, mais peuvent également avoir lieu a posteriori, en particulier pour ce qui concerne les bénéficiaires qui ont le plus recours aux soins.
Le regroupement des demandes d’AME dans trois caisses primaires d’assurance maladie permettra de mieux les contrôler.
Nous allons ainsi déployer un plan de lutte contre les fraudes. L’une des mesures de ce plan permettra de lutter contre le phénomène des détournements de procédure de ressortissants étrangers bénéficiant d’une assurance privée dans le cadre d’un visa Schengen, mais qui demandent l’AME pour bénéficier de soins considérés comme étant de meilleure qualité en France.
Les caisses d’assurance maladie auront accès, dès la fin de l’année, à la base Visabio du ministère de l’intérieur, qui permettra d’identifier les demandeurs dissimulant un visa et n’ayant donc aucunement vocation à bénéficier de l’AME ou des soins urgents.
Voilà de manière très concrète et pragmatique comment nous voulons redonner confiance dans un système auquel nous sommes très attachés.
S’agissant du cas particulier des demandeurs d’asile, le régime est celui d’une affiliation à l’assurance maladie, et donc souvent à la CMU-C, dès le dépôt de la demande.
Une hausse significative de demandes d’asile a été observée par des personnes en provenance de pays signalés « d’origine sûre », ce qui signifie que dans l’immense majorité des cas, ces demandes d’asile n’aboutiront pas.
L’abus est par conséquent rendu possible par cette affiliation immédiate à l’assurance maladie.
Seule une étude approfondie nous permettra d’en savoir plus sur l’existence de ces filières et donc de repenser, si cela est nécessaire, les conditions d’affiliation à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile.
Cette étude est en cours et la mission d’inspection est au travail.
Un délai de carence, pendant lequel nous prendrions évidemment en charge les soins urgents, pourrait se concevoir, comme c’est le cas d’ailleurs pour les Français qui rentrent de l’étranger sans activité professionnelle.
Lutter contre les fraudes, c’est mettre fin à une suspicion qui nuit à tous les autres : ce n’est pas remettre en question notre obligation constitutionnelle d’un accès à la santé pour tous.
C’est surtout le moyen le plus sûr de mettre enfin un terme aux idées fausses qui circulent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faire vivre les grands principes sans être naïfs, c’est être fidèles à nos valeurs sans laisser prospérer des discours de peur.
Notre exigence doit être celle de la justice envers les populations vulnérables, pour que la manière dont nous les accueillons soit conforme à l’image que nous nous faisons de la grandeur de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. - Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, le Président de la République, devant les parlementaires de la majorité, s’est livré à une action de populisme d’État qui a étonné et choqué. Pourtant, peut-être grâce à la mobilisation d’une partie de cette même majorité, le Gouvernement a fait preuve d’une très grande mesure dans le présent débat, et c’est heureux ! En effet, si nous voulons le réussir, nous ne devons pas avoir l’accueil honteux ! Nous devons assumer notre politique et nos valeurs.
Pourquoi, malgré tout, une telle précipitation ? Veut-on éviter d’attendre une évaluation objective de la loi Collomb adoptée à l’été 2018, en particulier de ses mesures les plus controversées ? Je pense notamment au doublement de la durée maximale d’enfermement en centre de rétention, qui n’a fait que compliquer les conditions de rétention, mais aussi les conditions d’exercice de leurs missions des agents de la police aux frontières, ou encore aux vidéo-audiences sans consentement des personnes, qui ont été le vecteur des grèves précédemment évoquées.
Nous ne devons pas avoir l’accueil honteux, et l’État doit accompagner les associations, les collectivités, les citoyens qui se mobilisent pour offrir cet accueil.
La France, comme vous l’avez déclaré à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, « ne doit être ni plus ni moins attractive que ses voisins ». Il me semblait pourtant que la politique voulue par le Président de la République était justement de renforcer l’attractivité de notre pays… Dès lors, il faut assumer tous les aspects de cette attractivité, car, voyez-vous, tout le monde lit les mêmes articles et écoute les mêmes discours !
S’agissant de la simplification, j’ai mis la mission – vous l’avez évoquée voilà quelque temps – que vous avez confiée au Conseil d’État pour simplifier le droit des étrangers sur le compte de votre sens de l’humour légendaire. C’est effectivement assez étonnant quand on voit l’usine à gaz construite, dans la loi Collomb, pour supprimer le caractère suspensif d’un appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA : on a doublé les procédures, avec une possibilité d’un appel simultané à la Cour et à un tribunal administratif, juste pour essayer de ne pas sortir des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est bien votre gouvernement qui a complexifié un certain nombre de procédures !
Toutes les migrations sont légitimes, mes chers collègues. Mais l’asile, qui protège le combattant de la liberté, la personne menacée dans son existence, est un droit, un engagement et un devoir pour notre nation. Nos principes constitutionnels et nos engagements conventionnels sont une partie de nous-mêmes.
Ainsi, toutes les migrations ne peuvent pas être mises sur le même plan. Pour déterminer si une personne relève de la convention de Genève, une instruction de sa demande doit être diligentée. L’asile est un droit quand l’immigration est une politique – il faut bien séparer les choses.
Mais l’immigration est aussi une richesse. Elle a accompagné notre pays dans ses années de croissance. D’ailleurs, le Canada, qui n’a pas oublié qu’elle était une richesse, continue à prospérer !
Dans le même ordre d’idée, je m’étonne que l’on réforme les retraites, car il n’y aura bientôt plus assez de cotisants, et que l’on refuse, dans le même temps, de constater l’existence de forces vives travaillant parfois clandestinement dans notre pays. Nous nous engageons ainsi dans une spirale du déclin.
La loi, dite Cazeneuve, du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a fait le pari qu’en accroissant les droits, on rendrait plus efficace le traitement des demandes d’asile – or il est plus facile de rejeter une demande d’asile rapidement traitée. Elle a aussi instauré un dispositif national d’accueil, qui exigeait des moyens, moyens ayant été supprimés par la loi adoptée l’année dernière par le Parlement. Le doublement de la durée maximale de rétention a complexifié, comme je l’indiquais, le travail des agents et les conditions de rétention des personnes.
Aujourd’hui, l’Europe est effectivement le cadre de la politique d’asile.
Vous avez cité le cas de l’Albanie et de la Géorgie, monsieur le Premier ministre, qui figurent dans le tiercé de tête des pays d’origine des demandes d’asile en France. C’est un problème ! Mais si la France refuse à certains pays européens une perspective européenne, les citoyens s’emparent parfois par eux-mêmes d’une telle perspective. C’est ce qui se passe avec l’Albanie et de nombreux pays des Balkans occidentaux. C’est ce qui se passe, aussi, de l’Ukraine vers la Pologne. La politique européenne doit prendre ce phénomène en compte.
Il faut également que nous puissions signer, avec ces pays, des accords en matière de sécurité sociale, afin de répondre à certaines difficultés actuellement rencontrées. La mise en place d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, l’Etias, à l’instigation de la France, et son développement probable sous deux ans permettront, d’ici peu, de vérifier que les ressortissants des pays non soumis à une exigence de visa disposent bien des assurances leur permettant d’intégrer l’espace Schengen.
Sur ce point précis, comme sur le renforcement de Frontex mis en œuvre depuis 2016, l’Europe apparaît non pas comme une contrainte pour notre politique d’asile et de migration, mais bel et bien comme une solution.
Cette solution, qui nous a permis de faire face à la situation en 2015, suscite aujourd’hui deux inquiétudes : la première a trait à la situation en Turquie et en Grèce – la Turquie, notamment, n’a plus la capacité de répondre seule aux demandes de l’Europe ; la seconde porte sur le cas de l’Espagne, confrontée aux effets de la crise migratoire américaine, avec, notamment, l’accueil de ressortissants vénézuéliens et nicaraguayens.
Quelques précisions me semblent également devoir être apportées au sujet de la politique d’asile européenne.
Le règlement de Dublin pose deux difficultés.
Premièrement, il établit la responsabilité de pays situés géographiquement au sud de l’Europe, qui doivent faire face pour tous les autres. D’ailleurs, si ces pays ont accepté une telle responsabilité, c’est parce qu’ils n’ont jamais imaginé qu’on allait un jour mettre en place Frontex et des hotspots, en exigeant l’enregistrement de tous les entrants. Aujourd’hui, nous devons faire preuve d’une plus grande responsabilité et d’une plus grande solidarité à l’égard de ces pays, en raison des conséquences que cela peut avoir en termes de politique intérieure – on l’a vu en Italie –, mais aussi parce que l’enregistrement systématique dans la base Eurodac n’est pas sans incidence.
Deuxièmement, cela a été signalé, il existe des mouvements secondaires. Ainsi, on ne peut pas traiter de la même manière une personne entrée en Italie qui se rend dans un autre pays pour déposer une demande d’asile et que l’on considère comme « dublinable » et une personne qui, étant allée en Allemagne et ayant vu sa demande débouter par ce pays, se rend ensuite en France. Le règlement de Dublin ne fait pas de distinction entre ces deux cas, qui sont pourtant différents. Sous cet angle, il doit être changé.
À cet égard, nous avions proposé, dans le cadre de la discussion du projet de loi sur l’asile et l’immigration de 2018, que la France prenne sur elle d’étudier la situation des personnes dont la demande d’asile n’avait pas été examinée dans les pays de première entrée, notamment l’Italie et la Grèce, afin de soulager ces derniers.
Par ailleurs, on ne peut pas stigmatiser certains pays de l’espace Schengen, qui n’ont pas la même histoire que nous. Si on ne peut pas avancer tous ensemble, mieux vaut avancer plus loin avec certains ! Je crois donc que, sur ce sujet, des coopérations renforcées sont possibles.
On ne peut pas demander à des pays qui n’étudieront pas les demandes d’asile correctement de participer, d’accepter d’accueillir des personnes et d’étudier leur demande.
Ce qu’il convient de faire, c’est, d’abord, de mettre en place un dispositif de reconnaissance mutuelle des instructions des demandes d’asile entre un certain nombre de pays européens, quitte à ce que ce soit par le biais d’une coopération renforcée. Et, pour faire reconnaître l’ensemble de ce fonctionnement, il faut instituer, autour des pays concernés par cette coopération, une cour européenne du droit d’asile, de manière à garantir aux demandeurs que leur dossier sera traité de la même manière.
Ensuite, il faut s’assurer que toute personne ayant obtenu l’asile dispose des mêmes droits à la circulation et à l’installation qu’un ressortissant européen.
Enfin, il faut développer les visas au titre de l’asile dans le cadre de cette coopération renforcée. La France y recourt un peu, mais il faut essayer d’établir un peu plus de normes dans ce domaine. Il n’est pas logique que nombre de ceux qui se retrouvent sans statut et sans moyens dans nos rues soient simplement des « dublinés » ne sachant pas où aller.
Cela a été dit, l’aide médicale de l’État est essentielle. Prenons l’exemple du sida : 50 % des pathologies associées à cette maladie en France concernent des étrangers et 50 % de ces pathologies affectant des étrangers ont été contractées en France. On a là une image criante de la précarité, démontrant toute l’importance de cette politique, qui est une politique de santé publique. Ni plus ni moins !
S’agissant des quotas, on ne peut pas faire grand-chose si l’on veut respecter nos exigences, et ce d’autant que moins de 30 000 personnes, chaque année, obtiennent un premier titre de séjour pour des raisons économiques – la Pologne en dénombre vingt fois plus ! Il paraît donc difficile de mettre en place une politique de quotas.
À ce propos, monsieur le Premier ministre, permettez-moi de rappeler le grand succès de votre politique d’attractivité à l’égard des étudiants étrangers… J’étais au Brésil voilà peu et, cette année, le nombre d’étudiants brésiliens se rendant en France pour étudier a chuté de 40 %. Tels sont les effets de votre politique d’attractivité !
Les conditions du regroupement familial ont été précisées. Elles ne sont franchement pas favorables et visent à s’assurer que les personnes qui arrivent avec leurs familles seront contributrices au budget de la Nation. Alors que les familles de Français représentent une part importante des personnes obtenant un premier titre de séjour, je rappelle, en tant que représentant des Français de l’étranger, qu’il n’est pas si simple d’arriver en France lorsque l’on est conjoint de Français.
Monsieur le Premier ministre, il faut arrêter de dire que le droit du sol prévaut en France. Nous appliquons non pas le droit du sol, mais le double droit du sol, ou alors le droit du sol avec action volontaire, avec conditions de scolarité et de stage. C’est très différent ! Il ne faut pas laisser croire aux gens qu’il suffit de naître en France pour devenir français… De la sorte, on se retrouve avec la situation de Mayotte !
L’accueil constitue aussi une préoccupation, croissante à Paris, et il a fallu qu’un décès soit constaté à Saint-Herblain pour que la préfecture se mette enfin à recenser les besoins des personnes présentes sur le campement concerné. Nous avons le sentiment que le Gouvernement cherche à exploiter cette situation au seuil des élections municipales. M. Griveaux n’a pas échappé à ce travers hier… Les associations, les collectivités ont besoin que soient mobilisés des moyens de l’État. Tout cela est essentiel pour pouvoir garantir un accueil correct.
Si l’on veut réussir l’intégration dans notre pays, il faut aussi arrêter de faire « bienvenue chez Kafka » ! Dès qu’ils atteignent dix-huit ans, les mineurs isolés accompagnés par les départements sont livrés à eux-mêmes pour l’obtention de leur prochain titre de séjour. Les difficultés procédurales pour accéder au droit du travail, totalement hypocrites, favorisent les réseaux d’esclavage et les employeurs peu scrupuleux.
Il n’y a pas d’intégration sans égalité de droits ! C’est un point particulièrement important pour les personnes qui sont nées en France et n’ont pas connu leurs pays d’origine : elles doivent se sentir chez elles. Si ce n’est pas le cas, nous avons un problème !
Et que penser des files d’attente qui s’allongent, conduisant de nombreux demandeurs à se retourner contre l’État ?
Il y aurait encore beaucoup à dire, monsieur le Premier ministre… Dans ce contexte, il est essentiel de faire preuve de courage. L’asile n’est pas une charge, c’est un devoir ! Un devoir qui nous vient de ce que nous ont appris ceux qui ont souffert des événements survenus en Europe au XXe siècle. Pour que chacun ait des droits, ils ont construit un système d’accueil, issu des principes de la Révolution française, issu de leurs propres réflexions, permettant que tout homme puisse se sentir citoyen du monde. Nous n’avons pas à avoir peur ! Donnons-nous les moyens de faire de l’immigration une chance et d’assumer correctement le principe du droit d’asile !
Nous avons noté l’évolution des discours, entre celui que le Président de la République a tenu voilà quelques semaines et celui que vous nous faites aujourd’hui, monsieur le Premier ministre.