M. Laurent Duplomb. Eh oui !
M. Vincent Segouin. Un par jour !
M. Didier Guillaume, ministre. Ce n’est donc pas un jour sur deux qu’un suicide a lieu. Nous travaillons avec la MSA sur cette situation. Certes, les agriculteurs ne se suicident pas uniquement pour des raisons agricoles.
M. Laurent Duplomb. C’est la seule profession aussi touchée !
M. Didier Guillaume, ministre. Non, il y en a d’autres, notamment les policiers !
Quoi qu’il en soit, mes services travaillent beaucoup avec la MSA. Nous avons mis en place un groupe de travail, car une telle situation n’est pas acceptable. Je l’ai souligné quand j’ai été nommé : j’aurai réussi mon passage à la tête de ce ministère s’il y a moins de suicides quand je partirai que quand j’ai démarré. Il n’est plus admissible que la coupure entre le rural et l’urbain soit aussi forte.
Je partage à 100 % ce que vous avez dit : il est essentiel que les urbains arrêtent de traiter les paysans d’empoisonneurs et de pollueurs. Il faut cesser de montrer les agriculteurs du doigt, faute de quoi la situation deviendra irréversible. C’est un vrai sujet de réflexion qui doit tous nous interpeller, au-delà de nos différentes sensibilités politiques.
Le travail que nous voulons réaliser sur l’étiquetage et sur l’origine des produits est essentiel. Nous avons besoin de mettre sur le marché des produits agricoles français qui soient achetés par les Français. Certes, nous subissons la concurrence mondiale, mais notre première concurrence est à 97 % interne à l’Union européenne via le dumping social et le dumping fiscal – ce que vous appelez la concurrence déloyale.
Notre premier travail est donc d’agir sur la montée des agricultures européennes. Au niveau mondial, je ne me fais pas de soucis : nous allons y arriver, car nous ne souhaitons pas importer une agriculture que nous ne voulons pas produire en France.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. Monsieur le ministre, ma question rejoint ce que vous venez de dire. L’hebdomadaire de renommée mondiale The Economist nous a classés pour la troisième année consécutive modèle agricole et alimentaire le plus durable.
En matière d’utilisation de produits phytos à l’hectare, nous sommes en neuvième position, c’est-à-dire loin derrière l’Allemagne et l’Italie. Or, pendant ce temps, votre gouvernement demande en permanence aux agriculteurs français de bouillir plus blanc que blanc. C’est aussi une des raisons du désarroi des agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Michel Raison. En effet, les échanges ont principalement lieu à l’échelle intra-européens. Les agriculteurs souhaitent que les distorsions de concurrence avec les États européens, en dehors du CETA et autres, soient limitées.
M. Jean Bizet. Elles sont franco-françaises !
M. Michel Raison. Ma question est simple : que comptez-vous faire pour que ces distorsions de concurrence, inadmissibles à l’intérieur même de l’Europe, cessent de s’accentuer, non seulement parce que certains pays prennent du retard, mais aussi parce que nous voulons bouillir plus blanc que blanc ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Raison, je ne peux pas être d’accord quand vous dites que nous voulons bouillir plus blanc que blanc ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. C’est la vérité !
M. Didier Guillaume, ministre. Non, et vous êtes trop expérimenté sur les questions européennes, monsieur Bizet, pour ne pas le savoir : lors de chaque conseil des ministres de l’agriculture, depuis des années, nous nous efforçons de faire monter tout le monde au même niveau afin d’éviter toute distorsion.
Il y a encore quinze jours, sous la présidence de la Finlande, quand nous avons parlé de pesticides, de transition agroécologique, de bien-être animal, ce sont tous les pays européens qui en ont parlé. Pour prolonger la question de Mme Férat, ce qui m’inquiète, c’est de voir se dessiner une coupure définitive entre la société civile et le monde agricole. Or je ne le veux pas. Trop de paysans se font sortir de leur tracteur et insulter lorsqu’ils procèdent à des épandages au motif que cela empoisonnerait les enfants !
Je le soulignais tout à l’heure, il ne faut pas opposer compétitivité, innovation, recherche et transition écologique, faute de quoi nous ne nous en sortirons pas. Nous ne voulons donc pas bouillir plus blanc que blanc et il n’y a pas un sujet sur lequel, en France, nous voulons aller plus loin que les autres.
Nous sommes certes en avance, et il convient de garder cette avance. Nous voulons sortir du glyphosate au 1er janvier 2021, mais le Président de la République l’a clairement exprimé : nous ne laisserons aucune filière sans solution. C’est écrit dans tous les contrats de filières. L’Allemagne vient de décider l’interdiction du glyphosate pour 2022 et l’Autriche pour 2021. Vous le savez très bien, tous les pays d’Europe, y compris les pays d’Europe centrale et orientale, vont s’orienter vers une sortie du glyphosate en 2023.
Sommes-nous capables d’avoir une agriculture la plus durable du monde – il n’y a que les Français qui ne le savent pas ! – sans heurts ni oppositions dans le pays ? Telle est la vraie question et l’enjeu véritable !
Je me bats tous les jours pour faire comprendre à nos concitoyens que notre agriculture est une des plus durables du monde, si ce n’est la plus durable, et que notre alimentation est bonne. Si nous n’arrivons pas à faire passer ce message, nous allons avoir les plus grandes difficultés à instaurer un vivre ensemble entre la ville et les campagnes !
M. Jean-François Husson. On est bien d’accord !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour la réplique.
M. Michel Raison. Monsieur le ministre, nos positions ne sont certainement pas si éloignées, mais comment expliquer aux Français que notre agriculture est la plus durable du monde quand vous répétez tous les jours qu’il faut changer de modèle agricole ?
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Michel Raison. Comment voulez-vous faire monter à notre niveau les principes de concurrence des autres pays européens si nous nous élevons plus vite qu’eux ? C’est ainsi qu’on continue de créer et d’accentuer les distorsions. Nous ne sommes pas complètement en désaccord sur les actions, mais nous le sommes sur le discours ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française est en très grande difficulté, mais il s’agit d’abord des difficultés rencontrées par les hommes et les femmes qui ont choisi de travailler dans ce domaine.
Confrontés aux normes européennes, aux contraintes environnementales, aux coûts de la main-d’œuvre et du matériel, à la concurrence déloyale des filières informelles et à l’absence de contrôle de la qualité des produits concernés, aux difficultés de trésorerie, à la lourdeur et au caractère contraignant de la réalité administrative, aux risques naturels majeurs, aux maladies répétées et successives de nombreuses filières – bovine, volaille, porcine… – qui ont contribué à l’élimination intégrale de cheptels, aux problèmes sanitaires qui en ont découlé, beaucoup d’agriculteurs connaissent le désespoir et la faillite ; il arrive même que certains d’entre eux se suicident. À cela s’ajoutent les pratiques récentes des véganes, entre peur et intimidation…
Le métier d’agriculteur n’attire donc presque plus.
Les conséquences de certaines pratiques ont des impacts sur notre santé. Nous devons protéger nos concitoyens, et ne plus accepter que les lobbies soient les décideurs et orientent la pertinence de nos choix.
À cela s’ajoute aussi pour les outre-mer une volonté de votre part de tout détruire. En effet, vous avez décidé d’éliminer l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, l’Odéadom, malgré les difficultés et le recul de notre agriculture.
Monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions pour l’agriculture française en général, et celle des outre-mer en particulier ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie, madame la sénatrice, pour ces deux questions.
Vous avez dit que le métier d’agriculteur n’attirait plus. Il est vrai qu’il a connu des difficultés. Je suis néanmoins très fier – et nous pouvons tous l’être à la suite du travail réalisé autour de « L’aventure du vivant » –, car nous sommes passés de – 4 000 élèves inscrits par an dans les lycées agricoles à + 500 cette année, et ce alors que la baisse durait depuis dix ans.
Nous avons stoppé cette diminution.
M. Jean-Marc Boyer. Pas partout !
M. Didier Guillaume, ministre. Le métier repart, car nous allons mettre en place des primes au choix, et nous nous en réjouissons.
Le Gouvernement a une forte volonté de développer les outre-mer, et notamment leur agriculture. Un comité interministériel sur ce sujet s’est réuni voilà quelque temps.
Je ne veux pas éliminer l’Odéadom, et je le dis sous l’autorité de l’ancien ministre des outre-mer. Je veux simplement que l’agriculture des outre-mer soit efficace.
Il est absolument anormal que, dans nombre de filières, les outre-mer ne connaissent pas l’autosuffisance alimentaire alors qu’ils ont tout pour réussir. Je veux donc enlever des strates administratives et ajouter de l’efficacité politique et du développement agraire dans l’ensemble de ces territoires.
Ce gouvernement souhaite que les agences indépendantes comptant moins de 100 équivalents temps plein soient réintégrées dans les ministères. Ce sera ainsi le cas de FranceAgriMer. Je veux redonner le pouvoir politique aux élus ultramarins, ainsi qu’aux présidents de chambre d’agriculture, lesquels sont non pas les exécutants de la politique nationale, mais les pilotes du développement de la politique agricole outre-mer. J’en ai parlé au président de la chambre d’agriculture de votre territoire, madame la sénatrice, et nous irons dans cette direction.
Il n’est pas possible que les outre-mer, bien loin de connaître l’autosuffisance alimentaire, soient dans une telle situation de dépendance à l’égard de l’ensemble de leurs voisins. Il faut y créer – et cela est possible – des filières animales ainsi que de véritables filières maraîchères et céréalières. Cela créera de l’emploi et de l’activité économique, et permettra aux habitants des outre-mer de s’alimenter encore mieux qu’ils ne le font aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.
Mme Victoire Jasmin. Je vous entends, monsieur le ministre, mais j’aurais souhaité que des efforts soient faits et que l’Odéadom, une structure qui travaillait avec l’intégralité des filières, puisse poursuivre sa mission.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous faire part d’un scoop : notre agriculture française n’est pas concurrentielle ! En termes de prix, nous serons toujours plus chers que les autres pays du fait de charges trop lourdes, du coût de la main-d’œuvre, du prix des mises aux normes et des carburants, etc.
Pourtant, s’il y a bien un domaine dans lequel l’agriculture française est compétitive, c’est la qualité de ses produits ! Les normes françaises, il est vrai souvent contraignantes et surtransposées, assurent la sécurité alimentaire et le respect des êtres vivants. Elles garantissent aussi une agriculture utilisant moins de produits phytosanitaires qu’ailleurs.
Il est donc plus que nécessaire de communiquer sur la qualité de nos produits et d’afficher distinctement la provenance des aliments. Cela nécessite de clarifier l’étiquetage, lequel doit être lisible et transparent pour les consommateurs, en particulier sur les produits transformés.
Il est vendeur d’afficher la provenance française des aliments ; même les industriels commencent à s’y mettre ! Dans mon département de l’Aveyron – nous vous avons accueilli la semaine dernière, monsieur le ministre –, voilà dix ans que nous nous sommes saisis du sujet. Le logo « Fabriqué en Aveyron » a d’ailleurs donné lieu ce week-end à Rodez, pour la première fois, à un salon qui a connu un franc succès.
Pour qu’un produit soit estampillé « Fabriqué en Aveyron », il faut qu’au moins 50 % des matières premières proviennent de ce département. Ainsi, les consommateurs qui achètent des produits sous ce logo sont certains de la provenance de leurs achats. Et par cette action d’achat, ils soutiennent l’emploi des agriculteurs, des producteurs et des transformateurs du département.
Vous comprenez, monsieur le ministre, que l’étiquetage des produits peut tout changer pour notre agriculture. Envisagez-vous de faire évoluer les pratiques sur l’étiquetage des produits et surtout des produits transformés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je m’aperçois en écoutant votre question que nous avons tous le même objectif : que l’agriculture française se développe, soit demain la meilleure possible, permette la rémunération des agriculteurs et l’installation d’un nombre de plus en plus important de jeunes. Or il y a un véritable problème : environ 150 000 agriculteurs partiront à la retraite dans les dix ans qui viennent, et je ne suis pas certain que l’on pourra les remplacer par 150 000 jeunes, même s’il faut l’espérer…
C’est en 2018 que l’on a observé le plus grand nombre d’installations, soit plus de 12 000, ce qui est bon signe. Mais cela suffit-il ?
Cela montre aussi qu’il y a plusieurs agricultures. Nous évoquions précédemment la montée en gamme et l’alimentation à deux vitesses. Lorsque l’Aveyron, et notamment le Ségala, crée ses propres signes de qualité – je pense, par exemple, au roquefort –, il s’agit bien de montée en gamme. Vous faites de la vente directe, vous exportez, tant mieux ! Mais il y a d’autres secteurs pour lesquels ce n’est pas possible. C’est aussi simple que cela.
Je le dis souvent, il existe non pas une seule agriculture française, mais des agricultures, qui doivent toutes être développées. Je me rendrai demain au Sommet de l’élevage, à Cournon-d’Auvergne. Si l’on considère le bassin allaitant dans ce secteur, on constate qu’il a connu une constante montée en gamme. Ces producteurs ont aujourd’hui leurs propres marques, qui leur permettent d’exporter.
Mme Sophie Primas. Ils souffrent !
M. Didier Guillaume, ministre. Certes ! C’est pourquoi il faut tout à la fois de la montée en gamme, des labels et signes de qualité, des marques spécifiques, et, parallèlement, une agriculture qui puisse se développer dans son ensemble.
Dans cette perspective, l’étiquetage me semble un point absolument essentiel. En Aveyron, vous n’en avez même pas besoin, mais cela pourrait représenter un « plus ». Nombre de secteurs, en revanche, en ont vraiment besoin. Je considère – et nous pensons tous la même chose – qu’un étiquetage clair permettra à toutes les agricultures d’être plus performantes sur le marché commercial.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le ministre, l’article 44 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, précise un certain nombre d’interdictions en matière de consommation humaine ou animale. Or la production française est loin de satisfaire nos besoins alimentaires, à l’instar d’ailleurs de la production européenne. Alors que chaque Français consomme en moyenne 9 kilos de pâtes par an, nous importons massivement du blé dur, faute de semences adaptées et de surfaces agricoles dédiées.
Ce blé dur est acheté par les industriels de l’agroalimentaire prioritairement au Canada, premier producteur de blé dur mondial. Or vous n’êtes pas sans savoir que le blé dur est pulvérisé à l’herbicide avant récolte, de façon à être plus rapidement récolté. Cette pratique, peu répandue chez nous, est très courante outre-Atlantique.
Il en est de même pour les produits d’importation d’origine animale, dont le nombre explose : on enregistre une progression de plus de 87 % en France depuis 2000.
Je vous serais donc reconnaissante, monsieur le ministre, de bien vouloir m’indiquer quel dispositif aux frontières intra et extra-européennes a été mis en place pour garantir aux consommateurs qu’aucun résidu de produits chimiques et de substances interdites n’est présent dans ces produits alimentaires d’importation.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, comme je l’ai dit à M. Montaugé, l’Union européenne est très claire sur ce point : elle n’accepte pas l’importation de produits qui ne respectent pas les standards et les normes de l’Union européenne.
Vous avez raison de dire que nous importons trop. Je le répète, ce n’est pas une question de traité de libre-échange ou d’accords commerciaux Cette situation dure en effet depuis des années en dehors de tout traité, notamment de libre-échange. Il faut raison garder – je ne vous vise pas en disant cela – et poser les problèmes.
Nous travaillons dans deux directions.
Tout d’abord, nous avons l’intention de mettre en place un véritable plan « protéines végétales » français et européen, afin de parvenir à l’autosuffisance protéinique en France et en Europe, car c’est absolument indispensable.
Cette démarche est en train de « prendre » au niveau européen ; nous n’avons pas encore de majorité affirmée, mais je pense que nous l’obtiendrons. En France, en revanche, nous avons décidé de mettre en place ce plan, que je lancerai au début du mois prochain au nom du Gouvernement. Plutôt que d’importer du tourteau de soja américain ou je ne sais trop d’où, autant en produire nous-mêmes.
Je disais à M. Raison qu’il fallait changer notre agriculture. Mais pour faire autre chose ! En produisant davantage de protéines végétales, nous irons dans le bon sens, celui de notre autosuffisance.
Par ailleurs, s’agissant du blé dur – une question que je connais par cœur –, nombre de nos concitoyens mangent des pâtes faites avec cette céréale qui vient parfois d’ailleurs et a donc été traitée différemment du blé dur français. Ce qui doit primer en l’occurrence, c’est l’aspect sanitaire. Je le disais en réponse à M. Gay, 100 000 contrôles sont réalisés par an – certains me disent qu’il faut arrêter et qu’il y en a beaucoup trop ! – et nous veillons à ce que les standards européens soient respectés.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos exportations agroalimentaires permettent encore de dégager un excédent, qui est cependant à regarder de près. Au fil des ans, en effet, il s’érode et notre position au regard des marchés mondiaux se dégrade inexorablement.
En 2012, nous occupions la cinquième place mondiale. Sept ans plus tard, nous sommes rétrogradés à la sixième, confirmant par là une tendance de fond qui a débuté, il est vrai, voilà deux décennies et même un peu plus.
Cette situation préoccupante a dans un passé récent interpellé le Sénat et conduit à un rapport publié en 2013. Ce n’est donc pas si loin !
Il était apparu alors que l’appareil commercial français aux exportations agricoles et agroalimentaires n’avait pas su s’adapter à l’évolution des marchés mondiaux, à la différence de celui de pays européens qui avaient su bâtir une stratégie et se doter d’outils efficaces d’accompagnement.
Voici quelques insuffisances alors pointées du doigt : du côté de l’État, une compétence dispersée entre cinq ministères – pour mémoire, un seul ministère est concerné au Pays-Bas ; des opérateurs français qui s’ignorent quand d’autres pays européens agissent en synergie lors des grands salons mondiaux ; une frilosité des organismes assurantiels nationaux à garantir les PME exportatrices et, très souvent, une absence de conseils adaptés pour celles-ci ; enfin, des inadaptations administratives pouvant constituer des freins et parfois des blocages.
Les choses ont-elles changé depuis lors ? Qu’en est-il, monsieur le ministre, de votre analyse de la situation actuelle ? Il faudrait d’ailleurs, d’une manière générale, que les parlementaires soient informés des suites de leurs propositions, à défaut de quoi l’exercice auquel ils se livrent serait d’un intérêt très relatif et même sans intérêt du tout.
Établir une stratégie victorieuse consiste à définir des objectifs et à faire en sorte que les moyens mis en action convergent afin de les atteindre, et pas l’inverse.
Quels sont les projets du Gouvernement à l’égard du soutien aux exportations agricoles et agroalimentaires ? En quoi pourraient consister vos initiatives ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Yannick Botrel, mise à part votre question, à laquelle je vais répondre, je partage à 100 % vos propos sur ce point absolument essentiel.
La France n’est pas aujourd’hui à la hauteur de l’enjeu des exportations dans le domaine agroalimentaire, contrairement à ses concurrents ou à ses amis. Il suffit de se rendre au Salon international de l’alimentation, le SIAL, qui se tient à Paris tous les deux ans, ou bien à la manifestation équivalente qui a lieu en Chine et que j’ai visitée, pour constater qu’ailleurs on chasse en meute tandis que nous restons, pour notre part, chacun dans notre coin.
Ailleurs, on expose un véritable « porte-avion » de son territoire ! Il suffit de voir, au SIAL de Paris, les stands de l’Italie ou des pays d’Amérique du Sud : ce sont des pays et des zones entières qui vont à la conquête des marchés. Pour la France, ce sont des PME ou des ETI qui exposent chacune de son côté. Cela ne peut pas fonctionner ainsi !
Malgré cela, les exportations dans le secteur agroalimentaire ont augmenté de 34 % lors des deux ou trois dernières années. Tout simplement parce que nous avons des entreprises d’excellence !
Si nous parvenions à mettre en place une véritable stratégie, nous serions bien meilleurs. Cette stratégie est celle que nous appelons, vous et moi, de nos vœux. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place avec l’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, des groupes de travail.
Par ailleurs, je préside le groupe de travail « Agriculture et agroalimentaire » du pacte productif 2025 pour le plein emploi. Nous devons être capables, au niveau central, d’aider les PME qui veulent exporter, car elles ne peuvent pas le faire seules. Business France fait un gros travail en la matière, mais il n’est pas forcément à la hauteur de l’enjeu qu’est la conquête de marchés à l’étranger.
Je suis presque entièrement d’accord avec vos propositions, monsieur le sénateur. Nous devons aller plus loin, en mettant en place des aides à l’export et en nous appuyant sur nos postes diplomatiques. Nous disons à l’ensemble de ces entreprises de s’adresser directement à l’ANIA ou au ministère, car nous pouvons les aider dans le cadre d’une stratégie nationale.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je suis inquiet, et même très inquiet, du devenir de notre agriculture et de nos jeunes agriculteurs.
Si notre pays maintient sa place de premier producteur agricole dans l’Union européenne, avec une prédominance dans les marchés des céréales et bien évidemment celui du vin, il ne cesse néanmoins de perdre des parts de marché sur le commerce alimentaire mondial, que ce soit pour l’élevage ou les céréales.
En quelques années, nous sommes passés au niveau mondial du deuxième au cinquième rang des exportateurs agroalimentaires et, au niveau européen, du premier au troisième rang.
Comment avons-nous pu laisser notre agriculture emprunter cette pente descendante ?
Les raisons, nous les connaissons en partie : une surabondance de normes réglementaires et administratives européennes et franco-françaises, et un trop-plein de charges qui pèse sur la compétitivité. Je pense surtout que, depuis 2011, les gouvernements successifs ont tout simplement lâché l’agriculture.
Aujourd’hui, nos agriculteurs demandent non pas l’aumône, mais des prix rémunérateurs. Or nous sommes dans un système de prix mondialisés avec des contraintes nationalisées et européanisées, qui ne permet ni de tirer profit de la qualité et de la traçabilité de nos produits ni, surtout, de répondre à leur attente en termes de prix.
Nous devons sortir de notre dépendance à l’égard du marché de Chicago, qui fait la pluie, le beau temps et le prix mondial, notamment pour les céréales, avec son lot de fake news qui tirent les prix vers le bas. S’y ajoutent évidemment les difficultés liées à l’embargo de la France vis-à-vis de la Russie.
Pour cela, il faut que la France exige la mise en place en Europe d’un marché boursier destiné aux productions de qualité correspondant à nos normes, pour un marché mondial de qualité.
Monsieur le ministre, pouvez-vous être porteur d’un tel projet ? À défaut, quelles sont vos propositions pour permettre à notre agriculture de reconquérir sa place sur les marchés internationaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Pointereau, je partage votre volonté de faire en sorte que la France et l’Europe occupent la première place. Mais il est question, en l’occurrence, d’Euronext.
La France demeure le premier producteur et exportateur de céréales en Europe. Notre avance est-elle toujours aussi importante ? Non ! Nous avons eu la chance d’avoir un excédent en 2018, en partie pour des raisons conjoncturelles liées aux pays arabes et au Maghreb, ce qui a représenté 1,5 milliard d’euros de balance supplémentaire. La situation est différente si l’on considère la courbe dans son ensemble.
Notre production est exportée à hauteur de 60 %, ce qui n’est pas la meilleure solution si l’on se réfère au marché de Chicago.
Aujourd’hui, nous travaillons sur le marché de la mer Noire. Je pense que le marché européen, ajouté à celui de la mer Noire, représente plus que les transactions qui se font à Chicago ; vous avez raison sur ce point. Chicago s’intéresse aux volumes, tandis que nous nous préoccupons davantage des prix.
La stratégie française, en concertation avec les filières, consiste à travailler davantage sur l’aspect européen et sur Euronext. Nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons. Nous ne sommes pas dans la dépendance commerciale vis-à-vis de Chicago et des pays d’outre-Atlantique. Nous pouvons être compétitifs !
Vous avez évoqué à plusieurs reprises, les uns et les autres, les boulets aux pieds, les normes et les difficultés que nous avons. Je ne les mésestime pas, mais sur ce marché des céréales notre pays demeure le premier exportateur en Europe.
Si nous mettons davantage en avant le travail réalisé au niveau d’Euronext entre la France, l’Europe et la mer Noire, nous pourrons être en haut de l’échelle pour de nombreuses années encore.