Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel.
2. Ouverture de la session ordinaire de 2019-2020
3. Démission et remplacement d’un sénateur
4. Modification de l’ordre du jour
5. Régression de la place de l’agriculture française sur les marchés internationaux. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
M. Daniel Gremillet ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Daniel Gremillet.
M. Franck Montaugé ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Franck Montaugé.
M. Joël Labbé ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.
Mme Noëlle Rauscent ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Noëlle Rauscent.
M. Fabien Gay ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Fabien Gay.
M. Franck Menonville ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Françoise Férat ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Michel Raison ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Michel Raison.
Mme Victoire Jasmin ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Victoire Jasmin.
M. Jean-Claude Luche ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Yannick Botrel ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Rémy Pointereau ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Alain Houpert ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Cyril Pellevat ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
6. Adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
7. Répression des entraves à des libertés, des évènements et des activités autorisés par la loi. – Adoption d’une proposition de loi modifiée
Discussion générale :
M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
Clôture de la discussion générale.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Article additionnel avant l’article unique
Amendement n° 4 rectifié de Mme Laurence Harribey. – Devenu sans objet.
Adoption de la proposition de loi modifiée, un amendement rédigeant l’article unique ayant été adopté.
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 27 septembre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Ouverture de la session ordinaire de 2019-2020
M. le président. Mes chers collègues, en application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire de 2019-2020 est ouverte.
3
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. M. Charles Revet a fait connaître à la présidence qu’il se démettait de son mandat de sénateur de la Seine-Maritime à compter du 30 septembre 2019, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Pascal Martin, dont le mandat de sénateur a commencé aujourd’hui, à zéro heure.
En votre nom à tous, je souhaite la plus cordiale bienvenue à notre nouveau collègue.
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, à quinze heures, demain, à l’ouverture de la séance, le président du Sénat prononcera un hommage au président Jacques Chirac.
En conséquence, le débat sur les conclusions du rapport d’information Sécurité des ponts : éviter un drame débutera à dix-sept heures.
5
Régression de la place de l’agriculture française sur les marchés internationaux
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la régression de la place de l’agriculture française sur les marchés internationaux et les conséquences en termes de qualité et de protection du consommateur de produits importés qui ne correspondent pas aux normes françaises.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui aurait pu penser que la force exportatrice de la France puisse un jour être remise en question ? Et pourtant, cette question, nous pouvons désormais nous la poser. Avec un excédent de la balance commerciale agricole divisé par deux au cours des cinq dernières années, on peut aujourd’hui affirmer que, si nous n’y prenons pas garde, nous constaterons notre premier déficit en 2023 !
Qui aurait pu penser que cette France agricole qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a réussi non seulement à produire suffisamment de denrées alimentaires pour son peuple, mais aussi à exporter dans le monde entier ses produits et son excellence en termes de qualité sanitaire et de savoir-faire, puisse devenir totalement dépendante des importations de l’agriculture d’autres pays ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et témoignent malheureusement d’un déclin de notre agriculture, déclin que nous sommes les seuls à connaître au niveau mondial. En effet, le nombre de personnes travaillant dans le secteur agricole et alimentaire est passé de 12 % à 5,5 % en quarante ans ; quant à la surface agricole, elle a fondu de 17 % en soixante ans, la superficie perdue équivalant à celle de la région Grand Est. Ce constat se vérifie moins dans les autres pays européens. Et c’est même l’inverse qui est vrai en Chine, où la surface agricole a été multipliée par 1,5, et au Brésil, où elle a doublé.
J’ajoute que la production française stagne en volume, alors que celle de nos concurrents européens augmente. Et c’est vrai dans toutes les productions : en viande bovine, en production laitière – celle-ci est aujourd’hui au même niveau qu’en 1984, avec un nombre de vaches divisé par deux –, en céréales, tant en surface qu’en rendement.
La France est le pays au monde qui a perdu le plus de parts de marché depuis 2000 ! Elle est passée de la troisième place en 2005 à la sixième place aujourd’hui.
M. Bruno Sido. Lamentable !
M. Laurent Duplomb. Quant à l’Allemagne, elle a progressé, alors que l’Espagne et les Pays-Bas se maintiennent. Au même moment, de nouvelles puissances émergent, telles que la Pologne, le Brésil, la Chine et l’Inde.
Les raisons de ce déclin sont multiples. Je n’en citerai que trois, qui démontrent tous les « défauts » de notre pays.
Les trois quarts de cette érosion s’expliquent par un effet de compétitivité négatif dû, premièrement, au dumping social des pays européens concurrents – le coût horaire du travail est, en France, 1,7 fois plus élevé qu’en Espagne et 1,5 fois plus élevé qu’en Allemagne ; conséquence : le kilo de porc coûte 10 centimes de moins en Allemagne qu’en France, par exemple.
Deuxièmement, les charges de production connaissent une augmentation plus élevée en France, de 4 % à 7 % entre 2016 et 2019. L’alimentation animale, les engrais, l’énergie, les produits phytosanitaires coûtent plus cher qu’ailleurs, et la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, dite loi Égalim, va encore alourdir ces coûts !
Troisièmement, notre pays connaît une tendance à la surréglementation accentuée. Nous surtransposons sans cesse les normes européennes – dernier exemple : le glyphosate, autorisé cinq ans en Europe, sera interdit dans deux ans en France ! Ce simple exemple aura pour effet d’augmenter le coût d’un kilo de pommes de 10 centimes, alors que la pomme polonaise se vend déjà deux fois moins cher que la pomme française.
L’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, classe ainsi la France comme le pays où le degré d’exigence est bien supérieur aux autres en matière de normes environnementales. Et comme si cela ne suffisait pas, nous en rajoutons une couche tous les jours : les zones de non-traitement ne sont, en la matière, que le dernier exemple en date !
Tous ces éléments, jumelés à l’agri-bashing, conduisent sans relâche à la perte de notre capacité de production. En laissant penser aux Français que notre agriculture n’est pas vertueuse, nous dégoûtons de plus en plus les producteurs, créant ce mal-être insupportable pour les agriculteurs.
Quelle profession accepterait de travailler dans cette ambiance délétère, qui conduit un agriculteur à se suicider tous les deux jours ?
M. Jean-Marc Boyer. Eh oui !
M. Laurent Duplomb. Tout cela entraîne un recours massif à l’importation de produits agricoles que nous pourrions très bien produire chez nous !
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Laurent Duplomb. Depuis 2000, les importations ont ainsi presque doublé.
Les chiffres sont désespérants : un fruit et un légume sur deux sont importés ; l’importation de produits laitiers a été multipliée par deux entre 2005 et 2017 ; l’importation de volaille a connu une hausse de 37 % sur la seule année 2017 ; 25 % du porc consommé en France est importé d’Allemagne ou d’Espagne – même le jambon bio est importé d’Espagne –, alors que c’est la France, il y a encore quelques années, qui vendait du porc à ces pays !
En réalité, notre alimentation est ainsi composée que nous consommons uniquement des produits importés plus d’un jour par semaine.
Ce constat est totalement paradoxal ; il contredit les messages que les médias véhiculent à longueur de journée à propos des produits locaux ou de la sécurité en matière de provenance des produits.
Ces importations portent sur des produits bas de gamme et nous les retrouvons surtout en restauration hors foyer. Elles représentent 60 % à 80 % de la viande de volaille et 75 % de la viande bovine.
À ce propos, je souhaite faire une parenthèse sur un concept à la mode que vous défendez, monsieur le ministre : la montée en gamme.
Si nous n’y prenons pas garde, cette montée en gamme se traduira par la coexistence de deux sortes de consommateurs : d’un côté, ceux qui auront les moyens de se payer les produits haut de gamme et, de l’autre, ceux qui, la grande majorité, seront obligés de manger uniquement ou presque des produits importés.
MM. Fabien Gay et Bruno Sido. Eh oui !
M. Laurent Duplomb. Pourtant, la France agricole a jusqu’à ces dernières années toujours su préserver l’équilibre entre les produits d’excellence tels que les AOP, les appellations d’origine protégée, et les produits dits de « commodité », de tous les jours, avec une attention particulière à la qualité sanitaire de ces derniers, qui les oblige à satisfaire à une multitude de normes.
En ne réagissant pas face à ces voyants alarmants que sont le déclin de l’agriculture française et l’entrée de plus en plus massive de produits étrangers sur notre territoire, nous exposons les Français à plusieurs risques majeurs.
M. Jean-Marc Boyer. Tu as raison !
M. Laurent Duplomb. Un risque pèse, d’abord, sur la qualité sanitaire des produits importés : les éléments du rapport du groupe d’études sénatorial démontrent qu’un quart des produits importés ne respecte pas nos normes, chiffre édifiant qui atteste de « notre » naïveté !
M. Jean-Marc Boyer. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Le CETA !
M. Laurent Duplomb. Autre risque : celui de scandales alimentaires. Comment expliquer au consommateur que la France doit changer de modèle et que ce changement passe par la consommation croissante de denrées importées du bout du monde pour la production desquelles on a utilisé des produits interdits chez nous ?
M. Jean-Marc Boyer. Absolument !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Le risque de voir s’accélérer la hausse des volumes importés existe également : en effet, tous ces éléments favorisent un écart de compétitivité qui fera que les produits importés seront moins coûteux que ceux qui sont produits en France, car produits selon des standards totalement différents des nôtres, créant ainsi une concurrence déloyale.
Risque, aussi, d’alimenter un paradoxe insoutenable, celui qui voit coexister des produits à l’empreinte carbone incomparable, l’un ayant parcouru des milliers de kilomètres, l’autre produit dans l’une de nos nombreuses campagnes françaises.
M. Jean-Marc Boyer. Tu as raison, Duplomb ! (Sourires.)
M. Laurent Duplomb. Le risque est également de faire fondre encore le revenu des agriculteurs – il faut le savoir : 25 % de celui-ci dépend des exportations.
Je citerai aussi le risque qui a trait à la destruction de plus en plus d’emplois en France. Comment le bon sens paysan parviendrait-il à expliquer qu’à l’avenir, tout en ayant détruit nos emplois, nous aurons toujours, malgré tout, les moyens financiers d’acheter ailleurs notre nourriture ?
Mme Brigitte Micouleau. Très bien !
M. Laurent Duplomb. Nous risquons enfin de ne plus connaître l’autosuffisance alimentaire, alors que nous savons que la planète comptera bientôt 9 milliards d’habitants, ce qui fait craindre d’éventuelles pénuries alimentaires. Il faut sauvegarder notre autosuffisance alimentaire et refuser d’entraîner, par démagogie verte, l’agriculture dans le déclin.
Pour conclure, je voudrais, monsieur le ministre, vous rappeler la phrase célèbre d’un de vos prédécesseurs, le surintendant Sully, prononcée en 1604 – nous ne retenons souvent que le début de cette citation, mais la suite est dans la droite ligne du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vraies mines et trésors du Pérou ».
Dans cette perspective, Sully proclame la liberté du commerce des grains et abolit un grand nombre de péages. Il ouvre de grandes voies de communication et fait creuser plusieurs canaux, dont le canal de Briare, qui relie la Seine à la Loire. Il pousse les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre aux autres pays. Pour cela, il décide d’augmenter la surface cultivée en faisant assécher des marais.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Et, afin de protéger les paysans, il interdit la saisie des instruments de labour…
M. le président. Le commentaire est un peu long !
M. Laurent Duplomb. Mes excuses, monsieur le président, mais ce sujet est éminemment important.
Il n’y a pas de pays digne de ce nom sans paysan !
C’est pourquoi je tire aujourd’hui solennellement la sonnette d’alarme s’agissant de cette situation. Les décisions de demain sur les normes, sur les traités de libre-échange, seront lourdes de sens et auront des conséquences irréversibles sur l’avenir de la France.
M. le président. Il est vraiment temps de conclure, mon cher collègue !
M. Laurent Duplomb. Désormais, nous sommes face à nos responsabilités ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais commencer par remercier le Sénat d’avoir rédigé ce rapport très intéressant. Je l’ai lu et je partage beaucoup de ses conclusions.
Mme Françoise Férat. Elles sont frappées du sceau de l’évidence !
M. Didier Guillaume, ministre. Simplement, ses auteurs auraient peut-être dû finir par dire dans quelle direction ils veulent aller.
M. Bruno Sido. C’est à vous de le dire !
M. Didier Guillaume, ministre. Mais je vais vous le dire !
Or, malheureusement, cela ne figure pas dans le rapport.
Par ailleurs, si nous avons certes connu beaucoup de difficultés entre 2011 et 2017 – j’en suis d’accord –, c’est sur les dix dernières années que je constate les difficultés les plus grandes – je vais vous donner les chiffres.
La France est un grand pays agricole.
M. Jean Bizet. Pourvu qu’elle le reste !
M. Didier Guillaume, ministre. Quant à moi, je ne suis pas Sully : ce n’est pas la France de 1600 qui m’intéresse, mais celle de demain, qui va continuer à se développer.
Je ferai moi aussi un peu d’histoire, sans remonter jusqu’à Sully, mais en m’arrêtant en 1947. Après la Seconde Guerre mondiale, on a demandé aux paysans français, à la France agricole, de nourrir la France et de nourrir l’Europe. C’est ce qui explique que la France s’est énormément développée dans les domaines agricole et agroalimentaire, chose excellente.
Mais, évidemment, en 1947, l’Allemagne n’était pas un pays agricole, l’Autriche non plus, et nous ne commercions pas avec la Pologne. Or, une fois que l’Allemagne a recouvré sa puissance, dans les années 1960-1970, une fois que les pays de l’Est ont amorcé leur développement économique, la France a cessé d’être seule face au reste du monde, et s’est instauré un multilatéralisme agricole. D’autres pays, partout en Europe et dans le monde, sont ainsi devenus nos concurrents.
Et, dès lors que l’on crée la CEE, la Communauté économique européenne, le marché commun, puis l’Union européenne, on ouvre à la concurrence, parmi d’autres secteurs, le secteur agricole. Nous sommes ainsi en concurrence avec nos voisins et amis ; c’est une réalité. Et, forcément – ce n’est la faute de personne –, nous avons des difficultés à maintenir notre balance commerciale à son ancien niveau, parce que nous ne sommes plus seuls sur terre !
L’objectif du Gouvernement, dans la lignée de ce qui a été fait ces dernières années, consiste tout simplement à améliorer la productivité de notre agriculture en sorte que nous continuions à exporter, dans un climat de concurrence totalement différent de ce qu’il était au siècle dernier, sans parler des périodes antérieures.
Vous avez raison, monsieur le sénateur Duplomb : le solde commercial de notre agriculture se dégrade. Cela fait dix ans que ça dure ! Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai identifié deux points très négatifs grevant notre agriculture.
Tous les ministres de l’agriculture des deux derniers quinquennats, quelle que soit leur sensibilité politique, se sont targués d’annoncer, à cette tribune comme à celle de l’Assemblée nationale – j’ai vérifié pour l’ensemble de mes prédécesseurs –, que le solde de la balance du commerce extérieur de l’agriculture française était positif. Tous, sans aucune exception, se sont ainsi vantés !
Sauf que ce solde, petit à petit, diminuait. Si l’on fait abstraction de l’année dernière – en raison notamment d’exportations de blé vers les pays arabes et en particulier vers le Maghreb, l’excédent de notre balance du commerce extérieur a gagné 1,5 milliard d’euros, et c’est tant mieux –, globalement, cette balance se dégrade. Ça ne peut pas continuer comme cela !
Nous avons plusieurs sujets essentiels devant nous. Le premier est évidemment celui de la Chine. Après dix-sept ans d’embargo sur la viande, les routes de la Chine sont désormais ouvertes ; nous n’avons toujours pas réussi à lancer l’export de viande bovine française. Nous avons, si je puis m’exprimer ainsi, la chance de voir la Chine subir une grave maladie, la peste porcine africaine – croisons les doigts, mais nous avons tout fait, tous ensemble, pour qu’elle n’atteigne pas la France. Au bout du compte, le cours du porc, qui était à 1,10 ou 1,15 euro, est monté à 1,60 euro et pourrait atteindre 1,80 euro ; nous exportons en Chine, et c’est très bien !
Mais il faudrait faire pareil pour la viande bovine. Or, alors que les Chinois ont 100 000 ou 200 000 tonnes de viande à importer, nous n’en exportons que quelques dizaines ou centaines. Nous ne sommes donc pas à la hauteur ; si nous l’étions, je pense que les choses pourraient aller.
Deuxième sujet, qui n’est pas sans rapport avec le problème des exportations : nous n’arrivons pas, en France, dans la restauration hors foyer et notamment dans la restauration commerciale, à proposer des produits alimentaires venant de chez nous.
Mme Sophie Primas. C’est un problème de compétitivité !
M. Didier Guillaume, ministre. Dans les restaurants, en France, il y a en gros 75 % à 80 % de viande étrangère ; dans la restauration hors domicile, ce chiffre est encore plus important. Si, en nous bagarrant, comme nous souhaitons le faire, nous arrivons à changer cela, alors nous pourrons faire bouger les choses pour être un peu moins dépendants de la balance du commerce extérieur – c’est très important. Notre objectif est de promouvoir les productions agricoles à trois niveaux, français, européen et international.
Je répondrai tout à l’heure aux questions qui me seront posées – je le suppose – sur la concurrence ou sur l’étiquetage ; je ne m’y attarde donc pas en introduction.
Nous avons réussi, me semble-t-il, à soutenir les filières en difficulté. Dans votre rapport, monsieur le sénateur, vous évoquez notamment le dumping fiscal et économique pratiqué par nos voisins. Or le dispositif TO-DE, relatif aux travailleurs occasionnels et aux demandeurs d’emploi, a été maintenu. Vous indiquez dans votre rapport qu’il l’a été de façon transitoire – forcément : le budget est annuel ! Reste que, dans le budget dont nous allons discuter cette année, le TO-DE figure toujours, et je pense qu’il en ira de même l’an prochain.
Nous maintenons également l’exonération totale de la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, sur le gazole non routier pour les agriculteurs – ce sont les seuls concernés dans le monde économique, et il s’agit de la plus grande niche fiscale.
M. Jean-Paul Émorine. Elle s’applique déjà !
M. Didier Guillaume, ministre. Certes, mais c’est très important : cela permet de compenser certaines difficultés.
Au chapitre des distorsions, deux sujets me tiennent à cœur : celui de l’eau et celui de l’assurance. Nous voulons absolument agir, dans ces deux domaines, pour que l’agriculture française ne se retrouve pas en grande difficulté par rapport à nos concurrents.
Troisièmement, je pense qu’il faut éviter d’opposer compétitivité, d’une part, exigence environnementale et sociale et qualité, d’autre part. Cette opposition me paraît passéiste. Aujourd’hui, si nous voulons que l’agriculture se développe, il faut promouvoir une agriculture connectée et compétitive, et la recherche et l’innovation doivent être au cœur du travail accompli. À défaut, nous montrerions que nous n’avons rien compris à l’agriculture.
Mais, en parallèle de l’effort fourni en matière de compétitivité, d’innovation et d’export, nous avons besoin de mettre en place cette transition agroécologique qui est absolument essentielle.
Contrairement à ce que vous avez dit, ce n’est pas moi qui ai parlé de montée en gamme ; cette expression figure dans les conclusions des États généraux. Mais j’ai conscience de ce que vous dites : la montée en gamme ne résout pas tout. Dans certaines filières, elle est absolument indispensable si nous voulons être compétitifs par rapport aux pays voisins ; dans d’autres, ce n’est pas d’une montée en gamme que nous avons besoin : il faut simplement de l’organisation pour regagner de la compétitivité sur le marché intérieur.
S’agissant par ailleurs du dumping que vous évoquiez, je parlerai tout à l’heure des accords commerciaux en répondant aux questions qui ne manqueront sans doute pas de m’être posées. Il s’agit d’un problème mondial – je vais en parler –, mais aussi d’un problème européen.
Aujourd’hui, nous sommes dans l’Union européenne, dans un seul et même marché. Or nous constatons depuis des années que nos concurrents, les pays du Sud, l’Espagne, l’Italie, mais aussi l’Allemagne, qui utilise énormément de travailleurs détachés, nous envoient des produits agricoles et alimentaires moins chers que ceux que nous produisons en France. Tout le travail, absolument indispensable, que nous devons et voulons mener, consiste non pas à nous abaisser nous-mêmes à leur niveau, mais à faire monter l’ensemble de nos voisins. Telle est d’ailleurs la volonté du Conseil européen et – je le sais – du Parlement européen. En tout cas, opposer la compétitivité et l’exigence environnementale n’a pas de sens : nous avons besoin des deux.
Depuis dix ans – je le disais –, le solde de la balance du commerce extérieur diminue, mais, en même temps que ce solde, autre chose diminue : c’est la formation des jeunes. En dix ans, nos lycées agricoles se sont vidés de leurs jeunes. Il ne faut donc pas s’étonner si nous manquons de nouveaux apprenants. Nous avons essayé, en la matière – nous en parlerons peut-être tout à l’heure –, de relancer les choses, et je crois que nous sommes en train d’y arriver.
Voilà ce que je pouvais dire en guise d’introduction. J’aurai l’occasion de développer le reste à l’occasion des questions. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Brigitte Micouleau et M. Franck Montaugé applaudissent également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 14 mars dernier, la Cour des comptes européenne a une nouvelle fois pointé du doigt les faiblesses des systèmes de contrôle et de surveillance des produits bio, révélant que seuls 40 % de l’ensemble des produits bio analysés au niveau de l’Union européenne et provenant de pays tiers ont pu voir leurs parcours retracés jusqu’au producteur. Autrement dit, aujourd’hui, au niveau communautaire, nous ne sommes pas capables d’assurer la transparence et la traçabilité des produits que nous importons.
En parallèle, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes constatait que 17 % des contrôles physiques sur les produits issus de l’agriculture biologique importés de pays tiers étaient « non conformes » en 2017. Une vaste tromperie est ainsi constituée vis-à-vis des consommateurs, qui s’attendent, lorsqu’ils achètent des produits bio – ils les achètent en moyenne 150 % plus cher que les produits équivalents traditionnels –, à acheter des produits locaux. Si je prends l’exemple des produits bio, c’est parce que, dans la loi Égalim notamment, nous avons voulu mettre en avant ces produits, dans les cantines en particulier.
J’aurai deux questions.
Premièrement, alors que la stratégie française semble consister en un alourdissement toujours plus important du cahier des charges des produits agricoles français, comment comptez-vous garantir que chaque denrée alimentaire destinée in fine à la consommation humaine ou animale en provenance d’un pays tiers corresponde strictement aux standards français et européens de production ? Monsieur le ministre, vous avez voté avec nous l’article 44 que le Sénat a inscrit dans la loi Égalim pour mettre en place une vraie réciprocité et une capacité de contrôle des importations ; quid de son application ?
Même question, deuxièmement, mais sur les produits bio, au moment où s’élabore une définition européenne desdits produits.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Gremillet, nous pouvons quand même nous dire que nous avons la chance, en France, de disposer d’une police sanitaire plutôt compétente, plutôt efficace et – je suis désolé de le dire – plutôt meilleure que celle de nos voisins. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, tant de pays voisins viennent voir comment nous fonctionnons.
Le souhait de la France est justement que nous créions, au niveau européen, une task force, pour le dire en patois vosgien, une équipe sanitaire, donc, qui puisse aller enquêter dans tous les pays. Nous nous sommes aperçus, lors de l’épisode de l’arrivée en France de 800 kilos de viande polonaise avariée détournée, que nos services étaient capables, en moins de 72 heures, de les identifier.
Première remarque, donc : il faut faire attention – ce n’est certes pas ce que vous faites – à ne pas toujours montrer du doigt ou dénigrer notre police sanitaire, qui est plutôt présente, et bien présente ! C’est d’ailleurs parfois ce qui lui est reproché : de faire trop de contrôles – j’entends aussi ce discours, ici ou là.
Vous avez évoqué également le bio dans les cantines et la loi Égalim. Le niveau fixé est le même que lors du Grenelle de l’environnement ; en quinze ans, l’objectif n’a pas bougé d’un iota : 50 % de produits sous SIQO, ou signes d’identification de la qualité et de l’origine, dont 20 % de bio – c’est même un peu moins que ce que nous avions voté ici même à l’occasion du Grenelle de l’environnement.
Vous avez entièrement raison de dire néanmoins – sur ce point, je vous soutiens – qu’il y a besoin de traçabilité et d’explication sur ce que sont ces produits, sur la façon dont ils sont produits. Aujourd’hui, par exemple, certains de nos concitoyens pensent que, lorsqu’on fait du bio, on ne traite pas ; il faut aussi regarder les traitements qui sont faits en agriculture biologique.
De ce point de vue – j’aurai peut-être l’occasion d’approfondir ce point tout à l’heure –, nous allons continuer à vérifier ce qui se passe pour tous les produits. Je répondrai tout à l’heure à une question sur les chiffres ; le ministère ne partage pas le pourcentage de 25 % évoqué par M. le rapporteur, et je donnerai d’autres chiffres. Quoi qu’il en soit, la traçabilité que nous voulons sur les produits bio est la même que celle que nous voulons sur tous les produits alimentaires.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. Vous nous avez demandé, monsieur le ministre, dans quelle direction nous voulions aller. La réponse du Sénat a été très claire – nous en avons décidé ensemble. Vous avez parlé plusieurs fois de compétitivité ; ce que nous voulons, c’est sortir du modèle européen dans lequel on demande aux paysans français d’être en compétition avec les paysans des autres pays.
M. Daniel Gremillet. Il ne faut pas mentir aux paysans ni aux consommateurs ; il faut les rassurer, paysans et consommateurs, sur le fait que ce qui est décidé en France correspond bien à ce que les seconds auront dans l’assiette, et que c’est bien sur cette base-là que les premiers seront rémunérés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte de la ratification par les parlements nationaux d’accords commerciaux comme le CETA, l’Accord économique et commercial global, le débat proposé par nos collègues du groupe LR est bienvenu.
À quelles conditions le haut niveau d’exigences normatives demandé aux agriculteurs et aux industriels de l’agroalimentaire français peut-il contribuer au développement de nos exportations ?
C’est la question générale qui vous est posée, monsieur le ministre, et je voudrais l’illustrer à partir de certains enjeux du CETA.
Pour les producteurs et les industriels, la prise en compte des normes sanitaires et environnementales des produits échangés est fondamentale dans le modèle alimentaire européen. Elle est un facteur important de la compétitivité française.
Par exemple, s’agissant de la sécurité sanitaire et phytosanitaire et du respect du principe de précaution, les bovins, au Canada, sont nourris de fourrages composés notamment d’ingrédients interdits dans les élevages européens : des hormones, des farines animales, des antibiotiques activateurs de croissance et des OGM.
À cela s’ajoute le fait qu’une centaine de pays membres de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, ont appelé l’Union européenne, en juillet dernier, à reconsidérer son approche en matière de réglementation des pesticides, celle-ci étant jugée excessivement restrictive au commerce et considérée comme leur portant un préjudice disproportionné.
Même si l’Union européenne a rappelé que le niveau de protection de la santé de sa population ne pouvait être compromis, et que le principe de précaution devait être respecté, la tentation est forte de ménager les partenaires commerciaux, d’édulcorer ou de reporter des mesures ambitieuses pour la sécurité et la santé des consommateurs européens.
Afin de préserver et de développer les positions à l’export de l’agriculture et de l’agroalimentaire français, comment et sur quels points, monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il faire des concessions sans sacrifier les principes de qualité et de protection auxquels sont attachés nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, la volonté du gouvernement français, comme la vôtre, est à la fois de protéger le consommateur et de développer l’agriculture. On peut penser ce que l’on veut du principe de précaution, mais il doit être maintenu !
Aujourd’hui, il est interdit d’importer des animaux de l’étranger qui sont nourris avec des farines animales. Nous n’en importons donc pas, c’est absolument sûr, car nous effectuons des contrôles.
L’Union européenne interdit l’importation de viande traitée aux hormones. Si de la viande aux hormones entre sur notre territoire, c’est qu’il y a de la fraude et que nous ne sommes pas assez puissants.
M. Fabien Gay. Comment vous le savez ?
M. Didier Guillaume, ministre. Parce que nous effectuons des contrôles ! (M. Fabien Gay s’esclaffe.)
Mme Cécile Cukierman. On l’a vu !
M. Didier Guillaume, ministre. Oui, on l’a vu, et les contrôles fonctionnent très bien !
Il serait dommage que les parlementaires contribuent eux aussi à l’agri-bashing en affirmant que rien ne va et qu’il n’y a aucun contrôle !
Les denrées alimentaires ne doivent contenir aucun résidu de médicament vétérinaire. Nous nous efforçons là aussi d’effectuer des contrôles. Que l’on ne croie pas aux contrôles, c’est une chose, mais il est faux de dire qu’il n’y en a pas assez ! Chaque fois qu’une filière le demande, les services français réalisent des contrôles qui sont, évidemment, de nature documentaire, car on ne peut pas tout contrôler.
Vous m’avez interrogé sur les accords commerciaux et sur le CETA. Je n’ignore pas qu’il existe entre nous une divergence de fond ou de forme. Sans recommencer le débat dans son intégralité, le CETA a démarré sous Nicolas Sarkozy, il a été acté sous François Hollande et il est en train d’être validé sous Emmanuel Macron. Voilà la réalité, même si, aujourd’hui, tout le monde n’y est pas favorable.
Le CETA n’est pas encore mis en place, mais des accords avec le Canada existent déjà. En tout état de cause, nous nous efforçons de contrôler du mieux possible les denrées qui entrent en France. J’aurai l’occasion de le préciser tout à l’heure.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. J’attire votre attention sur la participation de l’État français via le secrétariat général des affaires européennes au Codex alimentarius. On n’en parle jamais, mais cette affaire a son importance, car il s’agit d’un dispositif normatif qui touche à la qualité des produits agricoles et alimentaires.
J’attire également votre attention sur le risque que pourrait constituer la nouvelle gouvernance de la PAC en matière de subsidiarité dans le domaine du verdissement. Il existe en effet un danger d’accentuer la concurrence entre États membres de l’Union européenne, ce qui ajouterait de la difficulté à la difficulté.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, l’agriculture française souffre d’une concurrence que l’on peut qualifier de déloyale de la part de pays moins exigeants sur le plan tant social qu’environnemental. Une part bien trop importante de notre alimentation est importée, avec des conséquences sur la qualité des produits et sur les revenus de nos agriculteurs.
Pour autant, la réponse ne peut en aucun cas résider dans l’affaiblissement de notre réglementation qui protège à la fois la qualité de notre alimentation, notre environnement, mais aussi la santé tant des citoyens que de nos agriculteurs. Au contraire, je fais partie de ceux qui défendent le renforcement de ces exigences. Selon moi, une part de la solution à la problématique posée aujourd’hui réside dans la relocalisation de l’alimentation. Il s’agit d’une attente sociétale profonde, qui a besoin d’être soutenue et accompagnée par les pouvoirs publics.
Or on constate trop souvent des signaux allant dans le sens contraire. Le vote du CETA par l’Assemblée nationale en fait partie : les accords de libre-échange entraînent, on le sait, une course aux prix toujours plus bas et au moins-disant.
À l’opposé, les projets alimentaires territoriaux constituent, j’en suis convaincu, un outil efficace pour créer des dynamiques de relocalisation. Ces projets alimentaires territoriaux sont encore trop peu nombreux et souffrent d’un manque de moyens. Pourtant cette animation territoriale est plus que jamais nécessaire, notamment depuis que la loi Égalim a prévu un objectif de 50 % de produits de qualité et de 20 % de bio en restauration collective d’ici à 2022.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : dans le cadre du prochain projet de loi de finances, soutiendrez-vous une augmentation significative du budget des projets alimentaires territoriaux, notamment en vue d’atteindre les objectifs de la loi Égalim concernant la restauration collective ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, avec votre permission je dirai un mot, avant de vous répondre, à M. Montaugé sur le Codex alimentarius, dont j’ai oublié de parler tout à l’heure. En mars prochain, le comité du Codex alimentarius sur les principes généraux, que la France préside, se réunira de nouveau. Nous allons évidemment y travailler.
Monsieur Labbé, le Parlement votera ce qu’il votera, mais je ne soutiendrai pas lors du prochain projet de loi de finances une augmentation budgétaire sur ce sujet des projets alimentaires territoriaux. Je l’ai souligné l’année dernière, on donne déjà assez d’argent. On ne peut pas faire toujours plus : ce n’est pas avec plus d’argent que l’on avancera dans cette direction, mais c’est avec davantage de volonté !
Les projets alimentaires territoriaux peuvent très bien se mettre en place tels qu’ils ont été décidés dans la loi Égalim. Oui, il existe des difficultés. Certes, l’agriculture ne va pas toujours très bien. Mais, pour la troisième année consécutive, la France s’est vu décerner le prix de l’agriculture la plus durable du monde !
Combien de temps allons-nous battre notre coulpe et pleurer en disant que notre agriculture n’est pas bonne ? Pourquoi vouloir ajouter toujours plus de contraintes et de normes ? Notre agriculture est résiliente, elle est forte, elle doit aller plus loin, mais elle est aussi la plus durable du monde depuis trois ans ! Si nous ne le disons pas, comment allons-nous remonter le moral aux agriculteurs ?
Mme Sophie Primas. Elle n’est pas suffisamment rémunératrice !
M. Didier Guillaume, ministre. Clamons-le haut et fort : l’alimentation française est sûre, saine et tracée. Elle nous est enviée par l’Europe entière !
Pour rebondir sur l’intervention de M. Duplomb, nous ne voulons pas d’une agriculture pour les riches et d’une autre pour les pauvres. L’agriculture qui fournit l’industrie agroalimentaire est aussi bonne que l’autre. Il y a des circuits courts et il y a l’industrie agroalimentaire : chacun doit y trouver son compte et il importe surtout que, quel que soit le niveau de la chaîne, l’alimentation soit tracée. C’est bien le cas en France !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, je suis déçu de votre réponse. Les projets alimentaires territoriaux sont des outils extraordinaires de relocalisation et ils ont besoin de moyens. (Marques d’approbation sur des travées du groupe SOCR.)
Si l’on veut limiter les importations, il faut gagner les marchés nationaux, en particulier les marchés locaux. Que nous importions plus de 40 % de notre consommation de viande de volaille alors que nous sommes un pays exportateur de volaille qui subventionne par de l’argent public de grands poulaillers-usines, cela ne tient plus. Soyons cohérents et donnons-nous les moyens de notre politique ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens sont aujourd’hui de plus en plus attentifs à leur mode de consommation. Ils souhaitent pouvoir contrôler et maîtriser les produits dans leur assiette, en connaissant leur provenance et leur mode de production.
L’étiquetage des produits a été une avancée considérable. Il a permis d’assurer une traçabilité effective selon des normes françaises et européennes. Il a également permis de sécuriser le consommateur dans ses choix.
Depuis quelque temps, les applications mobiles fleurissent parallèlement pour répondre à ce besoin d’information et de traçabilité. De consommateur à « consomm’acteur », la responsabilité sociale et environnementale de notre consommation est devenue un acte citoyen.
Grâce à des outils divers et variés, le consommateur s’émancipe des produits et des modes de vie que le marché avait pu concevoir pour lui. Il devient autonome dans ses choix et contribue in fine à la régulation de la société de consommation. Il devient un véritable acteur de marché.
Ma question, monsieur le ministre, est la suivante : comment pouvons-nous accompagner nos agriculteurs et nos producteurs face à cette révolution numérique tout en respectant le choix du consommateur d’être informé ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, cette question sur l’alimentation est particulièrement importante. Nous avons deux tâches.
Premièrement, disons-le tout de go, il faut informer et éduquer le consommateur. Ce que je voudrais, c’est que les personnes qui écrivent des tribunes sur l’alimentation, lorsqu’ils poussent leurs chariots en grande surface, fassent le choix du patriotisme économique, du patriotisme alimentaire et du patriotisme agricole ! (M. Raymond Vall applaudit.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Bruno Sido. Eh non !
M. Didier Guillaume, ministre. C’est tout le travail que nous menons dans les lycées agricoles ; nous changeons l’ensemble des programmes, notamment sur l’alimentation qui est une donnée essentielle.
Deuxièmement, en admettant que les consommateurs veuillent bien faire acte de patriotisme, encore faut-il qu’ils puissent le faire ! Or, malheureusement, il n’y a pas assez d’informations sur les produits et l’étiquetage n’est pas suffisant. Nous avons évoqué ce problème au niveau européen et nous avons obtenu jusqu’en 2020 une expérimentation, notamment sur le miel. La France veut poursuivre ce travail à l’échelle européenne et à l’échelle nationale.
Je ne vais pas souvent faire les courses, à part en été, lorsque je suis en congé, mais j’ai pu constater comme tout le monde que l’octogone bleu, blanc, rouge sur les produits fabriqués en France ne signifie pas grand-chose. Si on lit l’emballage, la viande peut provenir de l’étranger, et on y a ajouté seulement un peu de sel et de poivre en France. Ce n’est pas acceptable !
C’est pourquoi le Gouvernement veut engager un grand travail sur l’étiquetage, en relation avec le Parlement. Ça va tanguer, je sais que tout le monde n’est pas d’accord, mais il faut que le consommateur soit informé et que l’agriculteur puisse dire qu’il ne soutient pas tel produit et qu’il défend plutôt tel autre, qui vaut peut-être 3 centimes de plus !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour la réplique.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces informations. J’espère que tout le monde suivra. La traçabilité est aujourd’hui très importante pour le consommateur, mais elle doit aussi se faire en fonction des producteurs. Il importe que l’équilibre soit respecté.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour de remercier notre collègue Laurent Duplomb de ce débat. Il y a deux faits d’actualité lorsqu’on parle d’agriculture. Le premier est la question de la libéralisation du secteur avec son pendant, la paupérisation accrue du monde agricole. Le second concerne le libre-échange.
Monsieur le ministre, vous êtes un fervent défenseur des traités de libre-échange. Vous l’étiez déjà quand vous étiez sénateur, vous l’êtes maintenant en tant que ministre de l’agriculture. D’ailleurs, je m’interroge, quand sera ratifié le CETA ? Il devait être inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 4 novembre. Or nous avons appris que ce ne serait plus le cas. Quelle en est la raison ? Le Gouvernement a-t-il senti que dans le monde agricole et la population française le débat est en train de prendre et que le texte pourrait être retoqué dans notre assemblée ?
Lorsqu’on parle de libre-échange se posent évidemment des questions sociales et environnementales. Mais les consommateurs se posent également la question de la traçabilité. Vous nous répondez par une fable : les contrôles seront suffisants. Sauf qu’en juillet dernier un rapport sénatorial sur l’affaire des « faux steaks », dont vous n’avez peut-être pas eu connaissance puisque vous ne nous avez pas répondu, pointait du doigt le fait que FranceAgriMer était dans l’incapacité de dire, dans le cadre d’un marché public passé par vos services, dans un marché intra-européen, avec une entreprise polonaise, si les 10 000 carcasses utilisées pour fabriquer ces steaks étaient polonaises, néo-zélandaises, brésiliennes ou canadiennes !
Comment espérez-vous nous faire croire que, demain, avec le libre-échange, avec treize traités internationaux, vous pourrez assurer la traçabilité de tous les produits ? S’agit-il d’une fable ou croyez-vous réellement à ce que vous nous racontez ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, j’y crois fermement !
Les applaudissements sur toutes les travées qui ont ponctué la fin votre intervention prouvent que vous êtes tous défavorables au CETA. Aujourd’hui, rien n’est encore signé. Pourtant, les problèmes sur lesquels vous mettez l’accent se posent déjà. Arrêtons donc de toujours nous faire peur !
Le Mercosur ne sera pas ratifié et j’ai le sentiment – il ne faut pas être grand clerc pour s’en apercevoir – que le Sénat ne devrait pas voter le CETA. Néanmoins, je le redis : tous les problèmes dont vous parlez existent déjà.
Certes, le groupe CRCE a toujours été opposé aux traités de libre-échange, mais les autres groupes y ont plutôt été favorables.
Mme Sophie Primas. Pas à n’importe quelles conditions !
M. Didier Guillaume, ministre. Exactement, il s’agissait de traités de libre-échange régulés. Mais la réalité est là : tout le monde est contre le CETA, sauf qu’une grande partie de votre hémicycle est favorable aux traités de libre-échange.
Les contrôles doivent se faire. En ce qui concerne les faux steaks, l’appel d’offres que vous évoquez n’est pas en cause et vous savez très bien que le ministère de l’agriculture n’est pas fautif. Nous sommes d’ailleurs en train de réétudier l’ensemble du système pour voir comment en passer un nouveau.
Je réagirai à ce qu’a dit tout à l’heure M. Duplomb : sur 3 113 lots d’animaux vivants contrôlés, 30 sont non conformes ; sur 39 583 d’origine animale, 315 ; sur 2 721 lots d’aliments pour animaux d’origine non animale, 4. Je pourrais continuer ainsi. Or votre rapport fait état de 25 % de produits non conformes.
M. Laurent Duplomb. Ce sont les chiffres de la Cour des comptes ! (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
M. Didier Guillaume, ministre. Vous n’avez pas toujours pris pour argent comptant les rapports de la Cour des comptes, monsieur Karoutchi !
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Didier Guillaume, ministre. D’après mes services, les chiffres réels sont vingt fois inférieurs à ceux que vous citez : selon les contrôles effectués par le ministère de l’agriculture, les produits non conformes seraient de l’ordre de 1 %.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je ne formalise pas que vous préfériez répondre à mon collègue Laurent Duplomb plutôt qu’à ma question. (Sourires.)
Je partage une chose avec lui : la conviction que vous êtes en train de construire une agriculture et une alimentation à deux vitesses. Il y aura, d’un côté, ceux qui pourront se payer la montée en gamme et, de l’autre, la majeure partie des gens, c’est-à-dire ceux qui devront acheter à manger au prix le plus bas et dans les conditions environnementales les plus sévères.
Vous n’avez pas répondu sur le fond à ma question parce que vous savez que la traçabilité sera impossible à mettre en œuvre, d’autant que vous n’accordez que peu de moyens aux contrôles. C’est donc une fable que vous êtes en train de nous raconter. Nous ne voulons faire peur à personne, nous décrivons simplement ce qui se passe en réalité, y compris dans le marché intra-européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et LR.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il y a bien un secteur où la France n’a pas à rougir d’être comparée à ses voisins, c’est bien l’agriculture. Notre pays est de loin le premier producteur de l’Union européenne pour la production tant végétale qu’animale. Nous devançons largement l’Allemagne et l’Italie, nos deux principaux compétiteurs européens.
L’image de l’agriculture française et de notre agroalimentaire est excellente à l’étranger. Elle contribue au rayonnement international de notre pays. Notre filière dégage depuis plusieurs décennies des excédents qui soutiennent notre balance commerciale, laquelle demeure malheureusement structurellement déficitaire. Comme l’aéronautique, la chimie et le luxe, la filière agricole donne à la France de solides arguments à faire valoir sur la scène internationale.
Cependant, cette position se fragilise et la situation se dégrade dangereusement. Alors que nous étions encore troisième exportateur mondial il y a quinze ans, nous avons rétrogradé à la sixième place. Ce recul s’articule en outre avec une augmentation continue et significative des importations, notamment intra-européennes. À ce rythme, la France pourrait connaître son premier déficit commercial agricole en 2023. C’est parfaitement impensable !
Il est urgent d’enrayer cette tendance avant que notre agriculture ne décroche pour de bon. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour améliorer la compétitivité de notre agriculture, et pour lutter contre les surtranspositions de normes européennes et les mesures franco-françaises qui freinent notre compétitivité ? À quand un choc de compétitivité pour soulager nos agriculteurs et leur permettre de lutter à armes égales avec leurs homologues européens ?
Nos agriculteurs n’ont pas peur de la compétition, mais ils veulent pouvoir concourir avec les mêmes règles ou à tout le moins avec des règles équitables ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Yves Bouloux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Menonville, le Gouvernement n’a aucunement la volonté de surtransposer ni d’accrocher des boulets aux pieds des agriculteurs. Bien au contraire, nous voulons libéraliser le plus possible le secteur. Vous le voyez bien, sur tous ces sujets, entre deux questions qui se suivent, vous exprimez des positions totalement opposées !
Nous voulons donner des moyens fiscaux aux agriculteurs. Je l’ai évoqué tout à l’heure, nous avons décidé une baisse des charges sans précédent et des exonérations de TO-DE. Nous avons mis en place l’épargne de précaution et lancé le grand plan d’investissement.
Monsieur Duplomb, nous constatons effectivement que notre balance commerciale est en train de se dégrader. Le Président de la République nous a donc demandé de travailler à la mise en place du pacte productif, notamment pour les industries et les entreprises agroalimentaires, qui ont d’énormes problèmes à la fois en termes de recrutement et pour avancer.
Monsieur Menonville, notre volonté n’est pas de peser sur les agriculteurs. Nous voulons que la compétitivité soit la plus forte possible. Nous travaillons à l’échelle européenne afin que l’Europe monte en gamme dans la même direction que nous. Nous avons fait un pas sur les travailleurs détachés il y a un an et demi, alors que tout le monde prédisait que ce serait impossible. Nous devons à présent engager la deuxième étape en matière de travailleurs détachés. Notre objectif, évidemment, est de ne pas importer l’alimentation que nous ne voulons pas produire en France. C’est tout le sens des contrôles que nous effectuerons dans le cadre du CETA.
L’année dernière, 100 000 contrôles ont été réalisés. Certains pensent que c’est trop ; d’autres se plaignent que ce n’est pas assez. Pas moins de cent personnes sont occupées à cette tâche. Rien que pour le Brexit, nous avons inscrit cette année dans le projet de budget le recrutement de trois cents contrôleurs sanitaires supplémentaires afin d’éviter que n’entrent en France des produits que nous ne voulons pas. Que l’on ne me dise pas que nous n’effectuons pas de contrôles !
Mais il faudra encore du temps pour que la compétitivité soit la plus équitable possible à l’échelle de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la France était le second exportateur mondial de produits agricoles dans les années 1990, elle se place aujourd’hui à la sixième place. Les parts de marché détenues dans le monde sont passées de 7,7 % en 2000 à 4,8 % en 2015. Ainsi, la France affiche en dix ans le plus fort recul mondial ! Or certains concurrents européens directs de la France maintiennent leur position, tels que l’Allemagne et les Pays-Bas.
Je n’évoquerai pas le CETA ou le Mercosur. Je ne rappellerai pas les surtranspositions des normes en France ni les surcroîts de charges et de contraintes administratives subies uniquement par les Français. Je veux rappeler avec force le rôle primordial des consommateurs pour soutenir les agriculteurs, les éleveurs et les viticulteurs français. Même si la désinformation va grandissant entre l’agri-bashing et les approximations scientifiques des journalistes en herbe, les consommateurs doivent savoir que la France a la meilleure agriculture du monde !
L’indice de durabilité alimentaire a donné en 2018 à la France la note de 76,1 sur 100, ce qui place notre pays à la première place mondiale pour la troisième année consécutive !
La « ferme France » produit les meilleurs produits agricoles : informons les clients pour qu’ils les achètent ! J’ai par exemple signé la pétition européenne « Eat original » afin de rendre obligatoire la mention d’origine sur les produits alimentaires.
Enfin, j’estime que laisser à des produits étrangers, qui ne respectent pas les normes environnementales ou sociales imposées à nos agriculteurs, le libre accès à nos étals est une concurrence déloyale.
M. Michel Vaspart. Exactement !
Mme Françoise Férat. Si on joue au même jeu, mais pas avec les mêmes cartes, la partie est perdue. Seulement, il ne s’agit pas de jeu, car tous les deux jours un paysan français se suicide !
Monsieur le ministre, vous avez parlé d’informer et d’éduquer. Au-delà de l’enseignement agricole, quelle stratégie allez-vous adopter pour faire connaître aux consommateurs la performance et la haute qualité de l’agriculture française, et lui donner enfin la place qu’elle mérite ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, votre question ressemble un peu à celle de Mme Rauscent, mais elle va beaucoup plus loin.
Un film vient de sortir sur les suicides d’agriculteurs. L’année dernière, plus de 300 agriculteurs se sont suicidés.
M. Laurent Duplomb. Eh oui !
M. Vincent Segouin. Un par jour !
M. Didier Guillaume, ministre. Ce n’est donc pas un jour sur deux qu’un suicide a lieu. Nous travaillons avec la MSA sur cette situation. Certes, les agriculteurs ne se suicident pas uniquement pour des raisons agricoles.
M. Laurent Duplomb. C’est la seule profession aussi touchée !
M. Didier Guillaume, ministre. Non, il y en a d’autres, notamment les policiers !
Quoi qu’il en soit, mes services travaillent beaucoup avec la MSA. Nous avons mis en place un groupe de travail, car une telle situation n’est pas acceptable. Je l’ai souligné quand j’ai été nommé : j’aurai réussi mon passage à la tête de ce ministère s’il y a moins de suicides quand je partirai que quand j’ai démarré. Il n’est plus admissible que la coupure entre le rural et l’urbain soit aussi forte.
Je partage à 100 % ce que vous avez dit : il est essentiel que les urbains arrêtent de traiter les paysans d’empoisonneurs et de pollueurs. Il faut cesser de montrer les agriculteurs du doigt, faute de quoi la situation deviendra irréversible. C’est un vrai sujet de réflexion qui doit tous nous interpeller, au-delà de nos différentes sensibilités politiques.
Le travail que nous voulons réaliser sur l’étiquetage et sur l’origine des produits est essentiel. Nous avons besoin de mettre sur le marché des produits agricoles français qui soient achetés par les Français. Certes, nous subissons la concurrence mondiale, mais notre première concurrence est à 97 % interne à l’Union européenne via le dumping social et le dumping fiscal – ce que vous appelez la concurrence déloyale.
Notre premier travail est donc d’agir sur la montée des agricultures européennes. Au niveau mondial, je ne me fais pas de soucis : nous allons y arriver, car nous ne souhaitons pas importer une agriculture que nous ne voulons pas produire en France.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. Monsieur le ministre, ma question rejoint ce que vous venez de dire. L’hebdomadaire de renommée mondiale The Economist nous a classés pour la troisième année consécutive modèle agricole et alimentaire le plus durable.
En matière d’utilisation de produits phytos à l’hectare, nous sommes en neuvième position, c’est-à-dire loin derrière l’Allemagne et l’Italie. Or, pendant ce temps, votre gouvernement demande en permanence aux agriculteurs français de bouillir plus blanc que blanc. C’est aussi une des raisons du désarroi des agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Michel Raison. En effet, les échanges ont principalement lieu à l’échelle intra-européens. Les agriculteurs souhaitent que les distorsions de concurrence avec les États européens, en dehors du CETA et autres, soient limitées.
M. Jean Bizet. Elles sont franco-françaises !
M. Michel Raison. Ma question est simple : que comptez-vous faire pour que ces distorsions de concurrence, inadmissibles à l’intérieur même de l’Europe, cessent de s’accentuer, non seulement parce que certains pays prennent du retard, mais aussi parce que nous voulons bouillir plus blanc que blanc ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Raison, je ne peux pas être d’accord quand vous dites que nous voulons bouillir plus blanc que blanc ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. C’est la vérité !
M. Didier Guillaume, ministre. Non, et vous êtes trop expérimenté sur les questions européennes, monsieur Bizet, pour ne pas le savoir : lors de chaque conseil des ministres de l’agriculture, depuis des années, nous nous efforçons de faire monter tout le monde au même niveau afin d’éviter toute distorsion.
Il y a encore quinze jours, sous la présidence de la Finlande, quand nous avons parlé de pesticides, de transition agroécologique, de bien-être animal, ce sont tous les pays européens qui en ont parlé. Pour prolonger la question de Mme Férat, ce qui m’inquiète, c’est de voir se dessiner une coupure définitive entre la société civile et le monde agricole. Or je ne le veux pas. Trop de paysans se font sortir de leur tracteur et insulter lorsqu’ils procèdent à des épandages au motif que cela empoisonnerait les enfants !
Je le soulignais tout à l’heure, il ne faut pas opposer compétitivité, innovation, recherche et transition écologique, faute de quoi nous ne nous en sortirons pas. Nous ne voulons donc pas bouillir plus blanc que blanc et il n’y a pas un sujet sur lequel, en France, nous voulons aller plus loin que les autres.
Nous sommes certes en avance, et il convient de garder cette avance. Nous voulons sortir du glyphosate au 1er janvier 2021, mais le Président de la République l’a clairement exprimé : nous ne laisserons aucune filière sans solution. C’est écrit dans tous les contrats de filières. L’Allemagne vient de décider l’interdiction du glyphosate pour 2022 et l’Autriche pour 2021. Vous le savez très bien, tous les pays d’Europe, y compris les pays d’Europe centrale et orientale, vont s’orienter vers une sortie du glyphosate en 2023.
Sommes-nous capables d’avoir une agriculture la plus durable du monde – il n’y a que les Français qui ne le savent pas ! – sans heurts ni oppositions dans le pays ? Telle est la vraie question et l’enjeu véritable !
Je me bats tous les jours pour faire comprendre à nos concitoyens que notre agriculture est une des plus durables du monde, si ce n’est la plus durable, et que notre alimentation est bonne. Si nous n’arrivons pas à faire passer ce message, nous allons avoir les plus grandes difficultés à instaurer un vivre ensemble entre la ville et les campagnes !
M. Jean-François Husson. On est bien d’accord !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour la réplique.
M. Michel Raison. Monsieur le ministre, nos positions ne sont certainement pas si éloignées, mais comment expliquer aux Français que notre agriculture est la plus durable du monde quand vous répétez tous les jours qu’il faut changer de modèle agricole ?
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Michel Raison. Comment voulez-vous faire monter à notre niveau les principes de concurrence des autres pays européens si nous nous élevons plus vite qu’eux ? C’est ainsi qu’on continue de créer et d’accentuer les distorsions. Nous ne sommes pas complètement en désaccord sur les actions, mais nous le sommes sur le discours ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française est en très grande difficulté, mais il s’agit d’abord des difficultés rencontrées par les hommes et les femmes qui ont choisi de travailler dans ce domaine.
Confrontés aux normes européennes, aux contraintes environnementales, aux coûts de la main-d’œuvre et du matériel, à la concurrence déloyale des filières informelles et à l’absence de contrôle de la qualité des produits concernés, aux difficultés de trésorerie, à la lourdeur et au caractère contraignant de la réalité administrative, aux risques naturels majeurs, aux maladies répétées et successives de nombreuses filières – bovine, volaille, porcine… – qui ont contribué à l’élimination intégrale de cheptels, aux problèmes sanitaires qui en ont découlé, beaucoup d’agriculteurs connaissent le désespoir et la faillite ; il arrive même que certains d’entre eux se suicident. À cela s’ajoutent les pratiques récentes des véganes, entre peur et intimidation…
Le métier d’agriculteur n’attire donc presque plus.
Les conséquences de certaines pratiques ont des impacts sur notre santé. Nous devons protéger nos concitoyens, et ne plus accepter que les lobbies soient les décideurs et orientent la pertinence de nos choix.
À cela s’ajoute aussi pour les outre-mer une volonté de votre part de tout détruire. En effet, vous avez décidé d’éliminer l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, l’Odéadom, malgré les difficultés et le recul de notre agriculture.
Monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions pour l’agriculture française en général, et celle des outre-mer en particulier ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie, madame la sénatrice, pour ces deux questions.
Vous avez dit que le métier d’agriculteur n’attirait plus. Il est vrai qu’il a connu des difficultés. Je suis néanmoins très fier – et nous pouvons tous l’être à la suite du travail réalisé autour de « L’aventure du vivant » –, car nous sommes passés de – 4 000 élèves inscrits par an dans les lycées agricoles à + 500 cette année, et ce alors que la baisse durait depuis dix ans.
Nous avons stoppé cette diminution.
M. Jean-Marc Boyer. Pas partout !
M. Didier Guillaume, ministre. Le métier repart, car nous allons mettre en place des primes au choix, et nous nous en réjouissons.
Le Gouvernement a une forte volonté de développer les outre-mer, et notamment leur agriculture. Un comité interministériel sur ce sujet s’est réuni voilà quelque temps.
Je ne veux pas éliminer l’Odéadom, et je le dis sous l’autorité de l’ancien ministre des outre-mer. Je veux simplement que l’agriculture des outre-mer soit efficace.
Il est absolument anormal que, dans nombre de filières, les outre-mer ne connaissent pas l’autosuffisance alimentaire alors qu’ils ont tout pour réussir. Je veux donc enlever des strates administratives et ajouter de l’efficacité politique et du développement agraire dans l’ensemble de ces territoires.
Ce gouvernement souhaite que les agences indépendantes comptant moins de 100 équivalents temps plein soient réintégrées dans les ministères. Ce sera ainsi le cas de FranceAgriMer. Je veux redonner le pouvoir politique aux élus ultramarins, ainsi qu’aux présidents de chambre d’agriculture, lesquels sont non pas les exécutants de la politique nationale, mais les pilotes du développement de la politique agricole outre-mer. J’en ai parlé au président de la chambre d’agriculture de votre territoire, madame la sénatrice, et nous irons dans cette direction.
Il n’est pas possible que les outre-mer, bien loin de connaître l’autosuffisance alimentaire, soient dans une telle situation de dépendance à l’égard de l’ensemble de leurs voisins. Il faut y créer – et cela est possible – des filières animales ainsi que de véritables filières maraîchères et céréalières. Cela créera de l’emploi et de l’activité économique, et permettra aux habitants des outre-mer de s’alimenter encore mieux qu’ils ne le font aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour la réplique.
Mme Victoire Jasmin. Je vous entends, monsieur le ministre, mais j’aurais souhaité que des efforts soient faits et que l’Odéadom, une structure qui travaillait avec l’intégralité des filières, puisse poursuivre sa mission.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous faire part d’un scoop : notre agriculture française n’est pas concurrentielle ! En termes de prix, nous serons toujours plus chers que les autres pays du fait de charges trop lourdes, du coût de la main-d’œuvre, du prix des mises aux normes et des carburants, etc.
Pourtant, s’il y a bien un domaine dans lequel l’agriculture française est compétitive, c’est la qualité de ses produits ! Les normes françaises, il est vrai souvent contraignantes et surtransposées, assurent la sécurité alimentaire et le respect des êtres vivants. Elles garantissent aussi une agriculture utilisant moins de produits phytosanitaires qu’ailleurs.
Il est donc plus que nécessaire de communiquer sur la qualité de nos produits et d’afficher distinctement la provenance des aliments. Cela nécessite de clarifier l’étiquetage, lequel doit être lisible et transparent pour les consommateurs, en particulier sur les produits transformés.
Il est vendeur d’afficher la provenance française des aliments ; même les industriels commencent à s’y mettre ! Dans mon département de l’Aveyron – nous vous avons accueilli la semaine dernière, monsieur le ministre –, voilà dix ans que nous nous sommes saisis du sujet. Le logo « Fabriqué en Aveyron » a d’ailleurs donné lieu ce week-end à Rodez, pour la première fois, à un salon qui a connu un franc succès.
Pour qu’un produit soit estampillé « Fabriqué en Aveyron », il faut qu’au moins 50 % des matières premières proviennent de ce département. Ainsi, les consommateurs qui achètent des produits sous ce logo sont certains de la provenance de leurs achats. Et par cette action d’achat, ils soutiennent l’emploi des agriculteurs, des producteurs et des transformateurs du département.
Vous comprenez, monsieur le ministre, que l’étiquetage des produits peut tout changer pour notre agriculture. Envisagez-vous de faire évoluer les pratiques sur l’étiquetage des produits et surtout des produits transformés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je m’aperçois en écoutant votre question que nous avons tous le même objectif : que l’agriculture française se développe, soit demain la meilleure possible, permette la rémunération des agriculteurs et l’installation d’un nombre de plus en plus important de jeunes. Or il y a un véritable problème : environ 150 000 agriculteurs partiront à la retraite dans les dix ans qui viennent, et je ne suis pas certain que l’on pourra les remplacer par 150 000 jeunes, même s’il faut l’espérer…
C’est en 2018 que l’on a observé le plus grand nombre d’installations, soit plus de 12 000, ce qui est bon signe. Mais cela suffit-il ?
Cela montre aussi qu’il y a plusieurs agricultures. Nous évoquions précédemment la montée en gamme et l’alimentation à deux vitesses. Lorsque l’Aveyron, et notamment le Ségala, crée ses propres signes de qualité – je pense, par exemple, au roquefort –, il s’agit bien de montée en gamme. Vous faites de la vente directe, vous exportez, tant mieux ! Mais il y a d’autres secteurs pour lesquels ce n’est pas possible. C’est aussi simple que cela.
Je le dis souvent, il existe non pas une seule agriculture française, mais des agricultures, qui doivent toutes être développées. Je me rendrai demain au Sommet de l’élevage, à Cournon-d’Auvergne. Si l’on considère le bassin allaitant dans ce secteur, on constate qu’il a connu une constante montée en gamme. Ces producteurs ont aujourd’hui leurs propres marques, qui leur permettent d’exporter.
Mme Sophie Primas. Ils souffrent !
M. Didier Guillaume, ministre. Certes ! C’est pourquoi il faut tout à la fois de la montée en gamme, des labels et signes de qualité, des marques spécifiques, et, parallèlement, une agriculture qui puisse se développer dans son ensemble.
Dans cette perspective, l’étiquetage me semble un point absolument essentiel. En Aveyron, vous n’en avez même pas besoin, mais cela pourrait représenter un « plus ». Nombre de secteurs, en revanche, en ont vraiment besoin. Je considère – et nous pensons tous la même chose – qu’un étiquetage clair permettra à toutes les agricultures d’être plus performantes sur le marché commercial.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le ministre, l’article 44 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, précise un certain nombre d’interdictions en matière de consommation humaine ou animale. Or la production française est loin de satisfaire nos besoins alimentaires, à l’instar d’ailleurs de la production européenne. Alors que chaque Français consomme en moyenne 9 kilos de pâtes par an, nous importons massivement du blé dur, faute de semences adaptées et de surfaces agricoles dédiées.
Ce blé dur est acheté par les industriels de l’agroalimentaire prioritairement au Canada, premier producteur de blé dur mondial. Or vous n’êtes pas sans savoir que le blé dur est pulvérisé à l’herbicide avant récolte, de façon à être plus rapidement récolté. Cette pratique, peu répandue chez nous, est très courante outre-Atlantique.
Il en est de même pour les produits d’importation d’origine animale, dont le nombre explose : on enregistre une progression de plus de 87 % en France depuis 2000.
Je vous serais donc reconnaissante, monsieur le ministre, de bien vouloir m’indiquer quel dispositif aux frontières intra et extra-européennes a été mis en place pour garantir aux consommateurs qu’aucun résidu de produits chimiques et de substances interdites n’est présent dans ces produits alimentaires d’importation.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, comme je l’ai dit à M. Montaugé, l’Union européenne est très claire sur ce point : elle n’accepte pas l’importation de produits qui ne respectent pas les standards et les normes de l’Union européenne.
Vous avez raison de dire que nous importons trop. Je le répète, ce n’est pas une question de traité de libre-échange ou d’accords commerciaux Cette situation dure en effet depuis des années en dehors de tout traité, notamment de libre-échange. Il faut raison garder – je ne vous vise pas en disant cela – et poser les problèmes.
Nous travaillons dans deux directions.
Tout d’abord, nous avons l’intention de mettre en place un véritable plan « protéines végétales » français et européen, afin de parvenir à l’autosuffisance protéinique en France et en Europe, car c’est absolument indispensable.
Cette démarche est en train de « prendre » au niveau européen ; nous n’avons pas encore de majorité affirmée, mais je pense que nous l’obtiendrons. En France, en revanche, nous avons décidé de mettre en place ce plan, que je lancerai au début du mois prochain au nom du Gouvernement. Plutôt que d’importer du tourteau de soja américain ou je ne sais trop d’où, autant en produire nous-mêmes.
Je disais à M. Raison qu’il fallait changer notre agriculture. Mais pour faire autre chose ! En produisant davantage de protéines végétales, nous irons dans le bon sens, celui de notre autosuffisance.
Par ailleurs, s’agissant du blé dur – une question que je connais par cœur –, nombre de nos concitoyens mangent des pâtes faites avec cette céréale qui vient parfois d’ailleurs et a donc été traitée différemment du blé dur français. Ce qui doit primer en l’occurrence, c’est l’aspect sanitaire. Je le disais en réponse à M. Gay, 100 000 contrôles sont réalisés par an – certains me disent qu’il faut arrêter et qu’il y en a beaucoup trop ! – et nous veillons à ce que les standards européens soient respectés.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos exportations agroalimentaires permettent encore de dégager un excédent, qui est cependant à regarder de près. Au fil des ans, en effet, il s’érode et notre position au regard des marchés mondiaux se dégrade inexorablement.
En 2012, nous occupions la cinquième place mondiale. Sept ans plus tard, nous sommes rétrogradés à la sixième, confirmant par là une tendance de fond qui a débuté, il est vrai, voilà deux décennies et même un peu plus.
Cette situation préoccupante a dans un passé récent interpellé le Sénat et conduit à un rapport publié en 2013. Ce n’est donc pas si loin !
Il était apparu alors que l’appareil commercial français aux exportations agricoles et agroalimentaires n’avait pas su s’adapter à l’évolution des marchés mondiaux, à la différence de celui de pays européens qui avaient su bâtir une stratégie et se doter d’outils efficaces d’accompagnement.
Voici quelques insuffisances alors pointées du doigt : du côté de l’État, une compétence dispersée entre cinq ministères – pour mémoire, un seul ministère est concerné au Pays-Bas ; des opérateurs français qui s’ignorent quand d’autres pays européens agissent en synergie lors des grands salons mondiaux ; une frilosité des organismes assurantiels nationaux à garantir les PME exportatrices et, très souvent, une absence de conseils adaptés pour celles-ci ; enfin, des inadaptations administratives pouvant constituer des freins et parfois des blocages.
Les choses ont-elles changé depuis lors ? Qu’en est-il, monsieur le ministre, de votre analyse de la situation actuelle ? Il faudrait d’ailleurs, d’une manière générale, que les parlementaires soient informés des suites de leurs propositions, à défaut de quoi l’exercice auquel ils se livrent serait d’un intérêt très relatif et même sans intérêt du tout.
Établir une stratégie victorieuse consiste à définir des objectifs et à faire en sorte que les moyens mis en action convergent afin de les atteindre, et pas l’inverse.
Quels sont les projets du Gouvernement à l’égard du soutien aux exportations agricoles et agroalimentaires ? En quoi pourraient consister vos initiatives ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Yannick Botrel, mise à part votre question, à laquelle je vais répondre, je partage à 100 % vos propos sur ce point absolument essentiel.
La France n’est pas aujourd’hui à la hauteur de l’enjeu des exportations dans le domaine agroalimentaire, contrairement à ses concurrents ou à ses amis. Il suffit de se rendre au Salon international de l’alimentation, le SIAL, qui se tient à Paris tous les deux ans, ou bien à la manifestation équivalente qui a lieu en Chine et que j’ai visitée, pour constater qu’ailleurs on chasse en meute tandis que nous restons, pour notre part, chacun dans notre coin.
Ailleurs, on expose un véritable « porte-avion » de son territoire ! Il suffit de voir, au SIAL de Paris, les stands de l’Italie ou des pays d’Amérique du Sud : ce sont des pays et des zones entières qui vont à la conquête des marchés. Pour la France, ce sont des PME ou des ETI qui exposent chacune de son côté. Cela ne peut pas fonctionner ainsi !
Malgré cela, les exportations dans le secteur agroalimentaire ont augmenté de 34 % lors des deux ou trois dernières années. Tout simplement parce que nous avons des entreprises d’excellence !
Si nous parvenions à mettre en place une véritable stratégie, nous serions bien meilleurs. Cette stratégie est celle que nous appelons, vous et moi, de nos vœux. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place avec l’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, des groupes de travail.
Par ailleurs, je préside le groupe de travail « Agriculture et agroalimentaire » du pacte productif 2025 pour le plein emploi. Nous devons être capables, au niveau central, d’aider les PME qui veulent exporter, car elles ne peuvent pas le faire seules. Business France fait un gros travail en la matière, mais il n’est pas forcément à la hauteur de l’enjeu qu’est la conquête de marchés à l’étranger.
Je suis presque entièrement d’accord avec vos propositions, monsieur le sénateur. Nous devons aller plus loin, en mettant en place des aides à l’export et en nous appuyant sur nos postes diplomatiques. Nous disons à l’ensemble de ces entreprises de s’adresser directement à l’ANIA ou au ministère, car nous pouvons les aider dans le cadre d’une stratégie nationale.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, je suis inquiet, et même très inquiet, du devenir de notre agriculture et de nos jeunes agriculteurs.
Si notre pays maintient sa place de premier producteur agricole dans l’Union européenne, avec une prédominance dans les marchés des céréales et bien évidemment celui du vin, il ne cesse néanmoins de perdre des parts de marché sur le commerce alimentaire mondial, que ce soit pour l’élevage ou les céréales.
En quelques années, nous sommes passés au niveau mondial du deuxième au cinquième rang des exportateurs agroalimentaires et, au niveau européen, du premier au troisième rang.
Comment avons-nous pu laisser notre agriculture emprunter cette pente descendante ?
Les raisons, nous les connaissons en partie : une surabondance de normes réglementaires et administratives européennes et franco-françaises, et un trop-plein de charges qui pèse sur la compétitivité. Je pense surtout que, depuis 2011, les gouvernements successifs ont tout simplement lâché l’agriculture.
Aujourd’hui, nos agriculteurs demandent non pas l’aumône, mais des prix rémunérateurs. Or nous sommes dans un système de prix mondialisés avec des contraintes nationalisées et européanisées, qui ne permet ni de tirer profit de la qualité et de la traçabilité de nos produits ni, surtout, de répondre à leur attente en termes de prix.
Nous devons sortir de notre dépendance à l’égard du marché de Chicago, qui fait la pluie, le beau temps et le prix mondial, notamment pour les céréales, avec son lot de fake news qui tirent les prix vers le bas. S’y ajoutent évidemment les difficultés liées à l’embargo de la France vis-à-vis de la Russie.
Pour cela, il faut que la France exige la mise en place en Europe d’un marché boursier destiné aux productions de qualité correspondant à nos normes, pour un marché mondial de qualité.
Monsieur le ministre, pouvez-vous être porteur d’un tel projet ? À défaut, quelles sont vos propositions pour permettre à notre agriculture de reconquérir sa place sur les marchés internationaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Pointereau, je partage votre volonté de faire en sorte que la France et l’Europe occupent la première place. Mais il est question, en l’occurrence, d’Euronext.
La France demeure le premier producteur et exportateur de céréales en Europe. Notre avance est-elle toujours aussi importante ? Non ! Nous avons eu la chance d’avoir un excédent en 2018, en partie pour des raisons conjoncturelles liées aux pays arabes et au Maghreb, ce qui a représenté 1,5 milliard d’euros de balance supplémentaire. La situation est différente si l’on considère la courbe dans son ensemble.
Notre production est exportée à hauteur de 60 %, ce qui n’est pas la meilleure solution si l’on se réfère au marché de Chicago.
Aujourd’hui, nous travaillons sur le marché de la mer Noire. Je pense que le marché européen, ajouté à celui de la mer Noire, représente plus que les transactions qui se font à Chicago ; vous avez raison sur ce point. Chicago s’intéresse aux volumes, tandis que nous nous préoccupons davantage des prix.
La stratégie française, en concertation avec les filières, consiste à travailler davantage sur l’aspect européen et sur Euronext. Nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons. Nous ne sommes pas dans la dépendance commerciale vis-à-vis de Chicago et des pays d’outre-Atlantique. Nous pouvons être compétitifs !
Vous avez évoqué à plusieurs reprises, les uns et les autres, les boulets aux pieds, les normes et les difficultés que nous avons. Je ne les mésestime pas, mais sur ce marché des céréales notre pays demeure le premier exportateur en Europe.
Si nous mettons davantage en avant le travail réalisé au niveau d’Euronext entre la France, l’Europe et la mer Noire, nous pourrons être en haut de l’échelle pour de nombreuses années encore.
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la multiplication des accords de libre-échange touchant les produits agricoles inquiète tous nos concitoyens. Les termes de ces accords semblent conduire notre agriculture dans une situation inextricable, où l’on répliquerait hors des frontières de l’Union européenne un principe de libre circulation, sans les garde-fous que la construction européenne vise précisément à garantir.
Nous tremblons à l’idée d’ouvrir notre table à des pays qui, sur tous les points sensibles pour la compétitivité de nos producteurs et pour la qualité de l’alimentation de nos concitoyens, promettent trop systématiquement de considérables risques, sans les outils de maîtrise que nous nous efforçons avec tant de difficultés de construire en Europe.
Jusqu’alors, monsieur le ministre, vous répliquiez que l’on ne peut pas souhaiter exporter en refusant d’importer. C’est un peu caricatural. Pour notre part, nous refusons un cadre où nous devrions importer beaucoup plus pour exporter seulement un peu plus, et voir ainsi s’accentuer le déclin de notre excédent commercial.
Nous refusons également des accords qui ne seraient pas assortis de garanties effectives quant aux engagements sanitaires et phytosanitaires qu’ils comportent.
Je me bornerai à vous faire deux demandes.
La première porte sur la réalisation par l’Union européenne d’un audit sérieux sur les contrôles sanitaires aux frontières réalisés par les États membres, en lieu et place de l’habituelle collection de « fiches pays » proposées par l’Office alimentaire et vétérinaire européen, l’OAV, qui sont tout à fait insusceptibles de fonder une appréciation sur la qualité des contrôles. Du moins faut-il l’espérer, car on ne recense que 25 douaniers à l’œuvre aux Pays-Bas pour y contrôler des flux commerciaux de plus de 160 milliards de dollars. Quels sont les gages de sérieux de ce contrôle ?
Ma seconde demande est que, face à la considérable dégradation de la position de la France sur le marché mondial des produits agricoles, le Gouvernement s’attache à mettre en place le plus rapidement possible une stratégie complète de reconquête de nos positions. Le Premier ministre a indiqué vous avoir demandé de mandater FranceAgriMer à l’effet d’établir un diagnostic fin sur ce point. Pouvez-vous nous indiquer selon quelles modalités vous entendez associer la représentation parlementaire à cette étape nécessaire à la reconquête de notre rang ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, les accords de libre-échange ne sont pas aujourd’hui en place. Pour autant, la distorsion existe avec les pays étrangers. Toutes les filières ne sont pas concernées et certaines, comme celle des vins et spiritueux, ne se plaignent absolument pas. Les acteurs de la filière fromages et lait ne se plaignent pas non plus des échanges entre le Canada, la France et l’Union européenne. Le secteur du bœuf, en revanche, s’en plaint beaucoup et à juste titre, car il a raison d’avoir des craintes.
Je suis d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il est hors de question d’importer beaucoup plus pour exporter simplement un peu plus. Ce n’est pas la position du Gouvernement ! Nous voulons importer le moins possible et exporter le plus possible. Mais nous ne pouvons pas, à la fois, fermer nos frontières d’un côté, et vouloir qu’elles soient ouvertes de l’autre.
J’en viens à vos questions.
Pour ce qui concerne le CETA, votre demande est exaucée : les contrôles se font non plus pays par pays, mais à l’échelle européenne. C’est absolument indispensable, car certains de nos amis jouent parfois un drôle de jeu.
S’agissant du diagnostic, nous y travaillons. Dès que nous serons un peu plus au point sur la proposition faite par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, nous reviendrons vers l’Assemblée nationale et le Sénat.
Il nous faut tous aller dans la même direction : une agriculture plus compétitive, qui rémunère ses agriculteurs, une PAC beaucoup plus forte et plus simple, et enfin une agriculture qui exporte. C’est l’objectif que nous recherchons tous.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui sur la régression de la place de notre agriculture part d’un constat alarmant. Je tiens à mon tour à féliciter notre collègue Laurent Duplomb pour son rapport d’information sur ce sujet, qui nous permet de nous exprimer afin de défendre nos agriculteurs dans leur travail au quotidien. Je pense plus particulièrement aux producteurs de fruits et légumes, qui sont touchés par une concurrence déloyale.
Ce thème a déjà été abordé, mais je voudrais parler de deux cas précis : la cerise du Gard et la carotte de Créances, exemples d’une aberration économique, sanitaire et écologique.
Certains produits phytosanitaires utilisés sur les fruits et légumes sont désormais interdits en France. Même s’ils sont parfois interdits en Europe, ils peuvent néanmoins bénéficier de nombreuses dérogations.
Prenons tout d’abord le cas de la cerise. En 2018, les producteurs se sont mobilisés pour dénoncer cet abus dont ils étaient les victimes. En effet, ils n’étaient plus autorisés à utiliser le diméthoate contre la mouche drosophila suzukii, alors que leurs concurrents étrangers, notamment turcs, pouvaient importer leurs fruits en France. Or, même si la production française n’est pas suffisante, les importations doivent être réglementées pour assurer une concurrence saine.
À la suite de cette concurrence déloyale manifeste, la France a opté en avril 2019 pour l’interdiction de l’introduction, de l’importation et de la mise sur le marché en France de cerises traitées par ce produit. Mais peut-on vraiment en être certain ?
Pour ce qui concerne la carotte de Créances, les producteurs de cette célèbre variété se sont vu interdire l’utilisation du dichloropropène. Aucune dérogation n’était possible, car il s’agissait d’une décision de l’Union européenne, et donc entérinée dans le droit français.
Pourtant, certains pays européens, notamment l’Espagne et l’Italie, ont obtenu, semble-t-il, des dérogations. Cette production française est donc frappée de plein fouet par la concurrence déloyale, ce qui a révolté nos agriculteurs. Ils réclament, très légitimement, une réglementation unique pour un marché unique.
De plus, il est choquant que l’on accepte de mettre dans l’assiette des Français ce que l’on ne veut pas voir produire en France pour des raisons sanitaires.
Où en sommes-nous, monsieur le ministre ? Pourquoi cette interdiction n’est-elle pas respectée ? Qu’attendons-nous pour défendre nos agriculteurs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, ce que vous dites est très important par rapport à la construction européenne que nous voulons. Vous le voyez, tout n’est pas si simple. Pour certaines décisions prises à l’échelle européenne, certains États membres demandent des dérogations, quand nous en voudrions d’autres.
Sur le diméthoate, la décision avait été prise par un gouvernement précédent. Nous avons invoqué la clause de sauvegarde sanitaire, et il n’y a aujourd’hui aucune distorsion de concurrence : aucune cerise traitée par ce produit n’entre sur le marché français, c’est absolument certain !
Il faut veiller à ne pas tomber dans le complotisme… Notre pays est tout de même celui des Lumières !
Je l’ai dit à l’ensemble des filières : si l’on voit dans une grande surface qu’un fruit a été traité par ce produit, il faut le signaler immédiatement à la DGCCRF, qui réalise 6 000 contrôles par an. Vous avez d’ailleurs pu l’observer dernièrement, quelques amendes ont été infligées.
Je n’accepte pas que l’on dise que des cerises traitées au diméthoate sont entrées dans notre pays. Ou alors il faut dire où et quand !
Je réponds quant à moi qu’une parole a été donnée au niveau de l’Union européenne, que la clause de sauvegarde sanitaire a été invoquée par la France et qu’aucune cerise traitée au diméthoate n’est arrivée en France depuis lors. On peut d’ailleurs le regretter, ou pas.
Vous le voyez, il peut y avoir une ambivalence entre la demande de la société en faveur d’une diminution constante des pesticides et des intrants, et l’aspiration des agriculteurs. Il faut trouver un équilibre.
La carotte de Créances était l’un des premiers sujets que j’ai dû traiter lorsque j’ai pris mes fonctions. Il n’est pas simple non plus ! Je suis allé voir les producteurs : ils savaient depuis déjà trois ou quatre ans qu’ils devaient changer leurs pratiques, ce qu’ils n’ont pas fait entièrement, voire pas du tout. Puis est arrivée la date butoir. Peut-être des élus de ce secteur sont-ils présents ?…
On a, je le crois, trouvé maintenant la bonne solution. Ce qui a été fait n’est pas du tout déloyal, c’est simplement une autre pratique.
Enfin, sur cette question, la France demande à l’Union européenne qu’il n’y ait plus aucune possibilité de dérogation pour les États membres. Car c’est ainsi que se fait l’équilibre ! Nous en avons fait officiellement la demande, et je pense que nous allons gagner, parce que plusieurs pays, notamment ceux du Nord, suivent la même orientation que nous.
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la passion qui a animé l’ensemble des discours entendus cet après-midi constitue la preuve de l’importance du débat que nous venons d’avoir.
Les tendances de fond qui bouleversent notre agriculture justifiaient un rapport tirant la sonnette d’alarme. Permettez-moi de remercier l’ensemble du groupe d’études Agriculture et alimentation du Sénat et son président, Laurent Duplomb, pour avoir relevé ce défi.
Ce cri d’alarme a bien été entendu dans campagnes : pas un déplacement, pas un échange avec les agriculteurs sur le terrain sans que ce rapport soit mentionné. Il traduit, en réalité, une inquiétude profonde du monde agricole.
Edgard Pisani – permettez-moi de regarder dans le rétroviseur, monsieur le ministre ! –, qui fut ministre de l’agriculture sous Charles de Gaulle, aurait-il pu imaginer que la France ne serait plus le premier exportateur agricole européen ?
Christian Bonnet, sous Valéry Giscard d’Estaing, Michel Rocard, pendant les septennats de François Mitterrand, auraient-ils pu seulement croire que la France connaîtrait un déficit commercial agricole avec ses voisins européens ?
Quand Jacques Chirac nous invitait à manger des pommes, la France n’importait pas, comme c’est le cas aujourd’hui, la moitié de ses fruits et légumes !
Cette dégradation rapide de nos positions agricoles sur les marchés mondiaux est aujourd’hui une réalité. C’est un drame pour nos agriculteurs bien sûr, qui – il faut le rappeler – tirent 25 % de leur revenu des exportations françaises. C’est d’ailleurs, peut-être, l’un des malentendus de la loi Égalim : résoudre le problème du revenu de l’agriculteur en ciblant uniquement les ventes opérées par la grande distribution, c’est un peu court, comme aurait dit Cyrano ! Notre agriculture a besoin d’excellence et de compétitivité pour exporter.
Plus largement, cette dégradation est surtout dommageable pour la France et in fine contradictoire avec les demandes sociétales. Comment peut-on assurer la sécurité sanitaire de nos concitoyens alors même que nous importons des produits dont – je le confirme – nous ne pouvons contrôler avec certitude la conformité non pas aux normes de qualité mais à nos normes de production ? Comment peut-on s’engager résolument en faveur d’une politique environnementale ambitieuse et se satisfaire de l’explosion du transport par cargo de denrées traitées parfois avec des molécules non autorisées en France ?
À l’heure de conclure ce débat, je me félicite que nous partagions tous, quelles que soient nos étiquettes politiques, ces inquiétudes. Monsieur le ministre, vous êtes conscient de la situation et je vous remercie de vous être plié à cet exercice en répondant à nos questions si diverses. Toutefois, il faut que paroles et actes convergent. Malgré la sympathie que vous inspirez, je voudrais rappeler quelques éléments.
Avec la signature à marche forcée, certes commencée sous d’autres mandats, des accords de libre-échange dans lesquels l’agriculture française est à chaque fois la variable d’ajustement de l’Union européenne, vous allez accroître la part des importations dans la consommation des Français. Le CETA pose problème, non pas en raison de la qualité des produits que nous allons importer, mais parce qu’il engendre une concurrence des modèles de production et une incohérence entre ce que nous demandons à nos agriculteurs et ce que nous acceptons des agriculteurs canadiens.
Mais ce n’est pas tout ! Avec ce qui s’apparente à une nouvelle renationalisation de la PAC, vous allez également accentuer les concurrences déloyales au sein même de l’Union européenne. Avec la réduction du budget de la PAC à un niveau historiquement bas, vous semblez considérer que l’indépendance alimentaire de la France n’est pas suffisamment stratégique, alors même que les autres grands États ont augmenté leur budget agricole ces dernières années.
Monsieur le ministre, nous ne pouvons plus affaiblir ni le revenu des agriculteurs ni leur capacité d’investissement. Il est urgent de réagir en favorisant les exportations – c’est une voie –, et donc en érigeant la compétitivité de notre agriculture au rang de priorité nationale. Nous sommes un grand pays agricole et le moment que nous vivons est stratégique, mes chers collègues.
L’agriculture est à la convergence des grands défis auxquels nous devons collectivement faire face. Elle est la plus performante du monde en termes de qualité sanitaire et nutritionnelle, et d’innovation. Elle peut répondre aux enjeux de transition énergétique, à ceux d’une économie toujours plus circulaire et durable. Dans tous ces domaines, nous pouvons avoir une agriculture exportatrice de nos produits et de nos savoir-faire.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Sophie Primas. Enfin, elle répond aux enjeux de fracture territoriale qui sont au cœur des problématiques locales de notre pays.
La meilleure façon de réaliser ses rêves, disait Paul Éluard, est de se réveiller. Alors, mes chers collègues, monsieur le ministre, collectivement, réveillons-nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
Mme Françoise Férat. Bravo !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la régression de la place de l’agriculture française sur les marchés internationaux et les conséquences en termes de qualité et de protection du consommateur de produits importés qui ne correspondent pas aux normes françaises.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à encourager l’adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux (proposition n° 456, texte de la commission n° 748, rapport n° 747).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi visant à encourager l’adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux
Article 1er
I. – Le premier alinéa de l’article L. 581-14-1 du code de l’environnement est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 581-14 du présent code, les dispositions du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme relatives au périmètre du plan local d’urbanisme et à l’autorité compétente en la matière ainsi que les dispositions du même titre V relatives aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de grande taille sont applicables aux règlements locaux de publicité. La métropole d’Aix-Marseille-Provence peut élaborer un ou plusieurs règlements locaux de publicité sur le périmètre prévu au second alinéa de l’article L. 134-12 du même code. »
II. – Les dispositions du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme relatives au périmètre du plan local d’urbanisme et à l’autorité compétente en la matière, les dispositions du même titre V relatives aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de grande taille, ainsi que les dispositions de l’article L. 134-12 du même code relatives aux plans locaux d’urbanisme intercommunaux de la métropole d’Aix-Marseille-Provence sont applicables aux procédures d’élaboration et de révision du règlement local de publicité initiées antérieurement à la promulgation de la présente loi dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés par une création, une fusion ou une modification de périmètre prononcées en application de l’article 35 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dans ceux devenus compétents en matière de plan local d’urbanisme en application de l’article 136 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dans les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris ainsi que dans la métropole d’Aix-Marseille-Provence.
Article 2
Le second alinéa de l’article L. 581-14-3 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent en matière de plan local d’urbanisme, un établissement public territorial de la métropole du Grand Paris ou la métropole de Lyon a prescrit l’élaboration d’un règlement de publicité intercommunal, la durée prévue au présent alinéa est de douze ans. »
Article 3 (nouveau)
L’article L. 581-43 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À l’issue de la durée maximale mentionnée au second alinéa de l’article L. 581-14-3 du présent code, les publicités, enseignes et préenseignes mises en place en application des réglementations spéciales antérieurement applicables mentionnées au même second alinéa peuvent être maintenues pendant un délai de deux ans, sous réserve de ne pas contrevenir à ces mêmes réglementations spéciales. »
Article 4 (nouveau)
À la fin du dernier alinéa du I de l’article 112 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, la date : « le 13 juillet 2020 » est remplacée par les mots : « à l’issue de la durée maximale prévue au second alinéa de l’article L. 581-14-3 du code de l’environnement ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, puis au Gouvernement, pour sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui est examinée aujourd’hui a fait l’objet d’une procédure de législation en commission, la LEC. Dans le cas de cette proposition de loi, la LEC a montré qu’elle avait toute son utilité, non seulement pour traiter de sujets techniques, mais aussi pour permettre d’accélérer l’examen de textes très attendus.
En effet, si ce texte peut, à première vue, sembler de l’ordre de l’ajustement technique, il est, en réalité, tout le contraire : il porte sur un sujet qui touche au quotidien des élus locaux, sur une difficulté à laquelle il est urgent d’apporter une solution. Ce sujet, c’est celui du poids administratif et financier de l’élaboration des documents locaux de planification. Nous connaissons bien les contraintes qui s’appliquent aux élus locaux.
La proposition de loi de notre collègue Serge Babary traite du cas particulier des règlements locaux de publicité, les RLP : ce document de planification locale, similaire au plan local d’urbanisme, le PLU, vise à réglementer les affichages publicitaires des villes, en durcissant ou assouplissant le droit commun national. Ce n’est pas la première fois que ce sujet des règlements locaux de publicité intercommunaux arrive devant notre assemblée. Il s’agit d’une demande exprimée de longue date par les communes et les intercommunalités.
En effet, les élus locaux pâtissent des lourdes conséquences d’une articulation manquée entre trois lois successives : la loi portant engagement national pour l’environnement de juillet 2010 ; la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, de mars 2014 ; et la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté de janvier 2017. Ces trois lois, adoptées en moins de sept ans, témoignent de l’instabilité juridique qui touche les compétences locales et les documents de planification. Les communes et les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale, doivent s’adapter très vite aux évolutions successives, au prix de délais d’élaboration allongés et de dépenses supplémentaires.
Depuis la création des RLP, c’étaient principalement les communes qui étaient compétentes pour les élaborer. Mais depuis la loi ALUR, qui a organisé le transfert de la compétence de PLU et donc de RLP aux intercommunalités, les EPCI ont dû se saisir de cette nouvelle compétence. Or il faut en moyenne deux à trois ans pour élaborer un RLP intercommunal, alors que certains EPCI ont acquis cette compétence il y a à peine un an.
En conséquence de ces évolutions rapides, il existe aujourd’hui non moins de quatre types de règlements locaux de publicité sur le territoire. À peine 5 % des RLP existants en France sont des RLP intercommunaux conformes aux lois les plus récentes ; 1 211 RLP, soit 72 %, sont des RLP « ancien modèle ».
Une contrainte supplémentaire vient encore compliquer la tâche des intercommunalités : pour inciter à l’élaboration de RLP conformes, la loi a prévu la caducité de tous les RLP de première génération au 14 juillet 2020. C’est demain ! Dans moins de dix mois, ce sont donc 1 211 documents locaux qui pourraient tout bonnement disparaître. Imaginez l’ampleur des conséquences pour les communes concernées ! Je vous en donnerai trois exemples.
Premièrement, le règlement national de base s’appliquera au lieu des réglementations locales. Les maires risquent de voir fleurir des milliers d’affichages publicitaires sauvages, sans moyen de s’y opposer.
Deuxièmement, le pouvoir de police de la publicité sera transféré au préfet, alors qu’il est dans les mains du maire sous le régime du RLP. Ce serait un dessaisissement des communes.
Troisièmement, enfin, les collectivités perdraient les recettes liées au mobilier urbain et à la publicité dans les villes. Pour la seule métropole d’Aix-Marseille-Provence, cela représenterait une perte de 11 millions d’euros par an.
L’autre problème auquel s’attaque la proposition de loi est le manque d’articulation entre les procédures applicables aux PLU et aux RLP. Alors que dans la plupart des cas, ce sont bien les mêmes EPCI qui élaborent ces deux documents, parfois simultanément, les procédures applicables n’ont pas été harmonisées. Par exemple, les grands EPCI tels que les métropoles peuvent élaborer des PLU dits « infracommunautaires » à l’échelle de territoires. Ces possibilités ne sont pas expressément prévues dans le cas des RLP. Or de nombreuses collectivités ont déjà entrepris d’élaborer ou de réviser leurs documents selon ces nouvelles procédures.
Vous mesurez bien, mes chers collègues, que les communes et intercommunalités font face à une double urgence : il faut, d’une part, sécuriser les documents de planification déjà élaborés ou en cours d’élaboration, et, d’autre part, permettre à ces procédures d’être menées à leur terme avant que la caducité généralisée ne les frappe.
Attentif aux demandes des territoires, le Parlement avait trouvé une solution. Les deux mesures de la présente proposition de loi avaient en effet déjà été adoptées dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, que j’ai eu l’honneur de rapporter ici. Néanmoins, malgré un consensus, les deux articles relatifs aux RLP ont été censurés par le Conseil constitutionnel en novembre 2018, qui les a considérés comme des « cavaliers législatifs ».
La présente proposition de loi offre une nouvelle chance de prévoir les assouplissements nécessaires. Elle apporte deux solutions.
D’abord, le texte reporte de deux ans l’échéance de caducité des RLP, mais uniquement dans le cas où l’EPCI s’est déjà engagé dans l’élaboration d’un RLP intercommunal conforme.
Ensuite, le texte valide les RLP des intercommunalités qui ont appliqué de bonne foi des procédures non prévues par la loi, et précise que les assouplissements de procédure valables pour les PLU intercommunaux sont aussi valables pour les RLP intercommunaux.
La commission des affaires économiques soutient pleinement les mesures proposées par le texte. Ce sont là deux mesures de bon sens, très attendues par les intercommunalités et les communes qui se trouvent aujourd’hui dos au mur. Lors de l’examen dans le cadre de la LEC, la commission a enrichi la proposition de loi sur trois volets.
M. le président. Le compteur tourne, madame le rapporteur !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Je termine, monsieur le président !
D’abord, nous avons donné une protection supplémentaire aux tiers qui subiraient les conséquences de cette caducité.
Puis, pour tenir compte de toute la diversité des territoires, la commission a aussi étendu le bénéfice des assouplissements de délais aux établissements publics territoriaux, les EPT.
Enfin, la commission a opéré une coordination relative aux dates d’entrée en vigueur de dispositions relatives à la publicité, en les alignant avec l’échéance de caducité.
Vous l’aurez compris, il ne faut pas prendre cette proposition de loi à la légère. J’espère qu’elle sera votée par le Sénat, puis dans les meilleurs délais par l’Assemblée nationale. Il y va de l’avenir de plus de 1 200 communes françaises, et de notre cadre de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi examinée cet après-midi a, comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, pour objet de sécuriser et de conforter la dynamique d’élaboration volontaire de règlements locaux de publicité intercommunaux afin d’adapter la réglementation nationale aux enjeux locaux.
Cet enjeu est fondamental pour l’attractivité des territoires. L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver entre les objectifs de développement économique de ces territoires et les objectifs de préservation des paysages et du cadre de vie.
Le Gouvernement connaît les attentes sur la question, auxquelles – vous l’avez évoqué – il avait répondu dans les articles 52 et 53 de la loi ÉLAN du 23 novembre 2018. Cependant, ces articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel, qui les a considérés comme des cavaliers législatifs.
Comme l’a rappelé ma collègue Brune Poirson en commission la semaine passée, cette censure ne remet en cause ni la pertinence des dispositions ni leur opportunité.
Jusqu’au Grenelle de l’environnement, les communes élaboraient leur règlement local de publicité selon une procédure du code de l’environnement.
La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II, a adossé la compétence en matière de RLP à la compétence en matière de plan local d’urbanisme. Pour plus de simplicité, les procédures d’élaboration, de révision et de modification du RLP ont été calquées sur celles du PLU.
La loi ALUR du 24 mars 2014 a prévu le principe du transfert de ces compétences aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Conséquence de ces deux lois, la compétence des EPCI en matière de RLP a été généralisée, ce qui a fait émerger de nouvelles difficultés, que la présente proposition de loi entend résoudre.
Premièrement, dans la mesure où les procédures des RLP sont calquées sur celles des PLU, toute élaboration ou évolution d’un RLP par un EPCI doit se faire sur la totalité du territoire de l’EPCI, sans dérogation possible.
Or la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a permis l’élaboration de PLU infracommunautaires, ne couvrant pas l’intégralité de leur territoire, par les EPCI.
Cet assouplissement en matière d’élaboration du PLU se justifie également en matière de RLP, qui sont élaborés et révisés en « miroir » des PLU et par les mêmes collectivités.
En outre, cette situation engendre une forme d’insécurité juridique, car plusieurs EPCI ont déjà engagé l’élaboration de RLP infracommunautaires, en pensant que les aménagements de la loi du 27 janvier 2017 étaient suffisants.
Deuxièmement, la loi Grenelle II a prévu que les anciens RLP, dits « de première génération », restaient valables jusqu’à leur révision, et pour une durée maximale de dix ans à compter de la publication de la loi. Ils seront donc caducs le 14 juillet 2020, ce qui constitue une échéance trop brève.
En effet, de nombreux EPCI sont devenus compétents en matière de PLU et de RLP ou sont concernés par une création, une fusion ou une modification de leur périmètre.
Il est donc nécessaire d’accorder un délai supplémentaire à la révision des règlements locaux de publicité, d’où la proposition de deux années supplémentaires pour les EPCI ayant prescrit l’élaboration d’un RLP intercommunal.
En outre, plusieurs améliorations notables ont été adoptées en commission, sur proposition de Mme la rapporteur, avec avis favorable du Gouvernement.
Je pense aux EPT de la métropole du Grand Paris, qui ne disposent pas du statut d’EPCI à fiscalité propre, mais qui bénéficieront également du report de la caducité des RLP de première génération.
Je pense ensuite à l’introduction d’un délai de deux ans pour permettre aux professionnels, après la caducité des RLP de première génération, de mettre en conformité avec la réglementation nationale leurs publicités, enseignes et préenseignes.
Je pense également à la coordination de la date d’entrée en vigueur d’une mesure de la loi du 7 juillet 2016, qui s’appuie sur la date de caducité des RLP de première génération, avec le report de cette date.
Enfin, conformément à l’engagement pris par Brune Poirson en commission, je voudrais apporter la réponse du Gouvernement à une inquiétude exprimée sur les conséquences de l’adoption d’un RLP intercommunal en termes de pertes financières des communes au profit des intercommunalités : il n’y en aura pas, car la taxe locale sur la publicité extérieure est perçue par la collectivité qui l’institue. Un EPCI peut élaborer un RLP intercommunal sans pour autant percevoir cette taxe.
En conclusion, cette proposition de loi contient des mesures attendues par les collectivités et le Gouvernement souhaite qu’elle puisse être adoptée dans les meilleurs délais. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi reprend stricto sensu les dispositions des articles 52 et 53 de la loi ÉLAN que le Gouvernement a acceptés et que le Parlement a votés, mais qui ont été censurés par le Conseil constitutionnel au motif qu’ils constituaient des cavaliers législatifs.
De prime abord, cette proposition de loi semble ne procéder qu’à un simple ajustement réglementaire, mais tant s’en faut. En effet, les règlements locaux de publicité, similaires aux plans locaux d’urbanisme, permettent de réglementer les affichages publicitaires des villes. En la matière, ils donnent la possibilité au maire de définir les zones dans lesquelles les règles applicables dérogent au droit commun national, mais aussi de soumettre certains affichages à son autorisation.
Cette compétence a donc un impact direct sur la qualité de notre cadre de vie, mais aussi sur l’environnement. Depuis sa création dans les années 1980, il revenait généralement aux communes d’élaborer les RLP. Cependant, une série de trois lois est venue remettre en cause cette compétence communale. Ainsi la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a lié RLP et PLU, puis la loi ALUR du 24 mars 2014, en transférant le PLU aux intercommunalités, a mécaniquement transféré la compétence des RLP aux EPCI. Enfin, il y a eu la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté de 2017.
Ces modifications successives ont eu un impact important.
D’une part, il y a eu multiplication des types de RLP, puisqu’il en existe désormais quatre : ceux adoptés sous l’ancien format par les communes et antérieurs à 2010, dits « de première génération », ceux adoptés entre 2010 et 2011 dits « transitoires », ceux de deuxième génération adoptés par les communes selon le modèle imposé en 2010 ; et enfin les RLP intercommunaux adoptés par les EPCI depuis 2010. Cela fait beaucoup ! Dans les faits, il existe aujourd’hui 1 681 RLP, mais seulement 82 sont intercommunaux, alors que 72 % des RLP, soit 1 211, ne sont pas conformes puisque adoptés avant 2010.
D’autre part, afin d’inciter à l’élaboration des règlements locaux de publicité intercommunaux, la loi de 2010 a organisé la caducité de tous les RLP de première génération au 14 juillet 2020, remettant en cause les 1 211 RLP existants. De fait, cela entraînerait l’application du règlement national de base, généralement moins protecteur, en lieu et place des réglementations locales. Cela ne sera pas sans conséquence, notamment sur la multiplication des affichages sauvages, auxquels les maires ne pourront pas s’opposer directement puisque le pouvoir de police de l’affichage sera non plus de leur ressort, mais de celui du préfet. En période électorale, comme cela arrivera bientôt, ce ne serait pas la panacée ! En outre, et ce n’est pas la moindre des conséquences, les recettes tirées du mobilier urbain et de la publicité dans les villes ne reviendraient plus aux collectivités.
Face à cette situation, la proposition de loi vise à rendre applicables aux RLP les aménagements, la révision, la modification et la caducité des PLU par la loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017.
L’article 1er prévoit notamment de laisser la possibilité de déroger, dans certains cas, au principe posé par le code de l’environnement, selon lequel le RLP doit être élaboré sur l’ensemble du territoire de l’EPCI. Cette disposition sécuriserait les EPCI issus d’une fusion d’EPCI et leur éviterait de reprendre la procédure d’élaboration à zéro.
Quant à l’article 2, il a trait aux EPCI dont les périmètres ont été affectés au 1er janvier 2017 et qui, compte tenu de la complexité de l’élaboration d’un RLP, n’ont pu se saisir de la compétence relative au RLP intercommunal. En la matière, il s’agit donc d’accorder à ces EPCI nouvellement compétents en matière de PLU un délai supplémentaire de deux ans pour transformer les RLP de première génération en RLP de deuxième génération.
Reste que la question soulevée en commission des affaires économiques par notre collègue Martial Bourquin sur l’affectation du produit de la publicité dans le cadre de RLP intercommunaux est essentielle, et qu’elle demeure sans réponse.
Il ne faudrait pas que les communes se retrouvent privées de ces finances indispensables notamment à l’activité des centres et centres-bourgs de nos villes. Si tel était le cas, cela signifierait la disparition, une nouvelle fois, de ressources dédiées aux communes, ce qui n’est pas acceptable.
Face à l’urgence, à l’insécurité juridique existante et aux attentes légitimes de nos collectivités et de nos concitoyens, notre groupe votera cette proposition de loi et souhaite, tout comme notre rapporteur, que le Gouvernement inscrive très rapidement ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à mettre en cohérence des dispositions modifiées par des évolutions législatives successives. Elle tend à calquer l’élaboration et l’adoption des règlements locaux de publicité sur les procédures prévues pour les plans locaux d’urbanisme intercommunal, les PLUI.
Le règlement local de publicité, qui est défini par le code de l’environnement, est un outil communal et intercommunal de planification de l’affichage publicitaire. Il est destiné à réglementer, généralement dans un sens plus restrictif que le règlement national, la publicité, les enseignes et préenseignes, dans un but de protection du cadre de vie et des paysages, tout en assurant un équilibre avec le droit à l’expression et à la diffusion d’informations et d’idées.
Ces espaces d’information n’ont pas pour unique raison d’être la publicité commerciale ; ils sont aussi un support important, voire essentiel, d’une information à caractère évènementiel, touchant à des domaines aussi divers que la culture, le patrimoine, les sports ou les manifestations festives.
La préenseigne peut également être pertinente d’un point de vue environnemental, lorsqu’elle permet d’éviter la surcharge d’une panneautique publique ou, pis encore, le fléchage sauvage d’établissements commerciaux ; ce fléchage d’orientation, toujours nécessaire malgré les GPS, est particulièrement le fait des hôtels et des restaurants.
Depuis 2010, l’EPCI, compétent en matière de plan local d’urbanisme, ou PLU, est également de plein droit compétent en matière de règlement local de publicité ; en 2014, la loi a généralisé le transfert automatique des PLU aux intercommunalités.
Toutefois, les aménagements prévus, au bénéfice du PLU, par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, n’ont pas été explicitement étendus aux règlements locaux de publicité. La présente proposition de loi comble donc cette omission, qui a pour origine une décision de censure du Conseil constitutionnel, liée à la présence de cavaliers législatifs.
Cette évolution semble répondre à une logique de cohérence et de simplicité. Ce n’est sans doute qu’un faux-semblant, car je crois que, dans la mise en œuvre de ce processus, nous nous orientons nécessairement vers une accentuation de la complexité, un allongement des délais et des tensions plus marquées entre les communes et leur EPCI.
Quant à la chimère des économies d’échelle, elle est à nouveau mise en avant, alors que le risque est inverse ; il ne peut y avoir d’économies d’échelle que lorsqu’il y a partage de frais fixes. Or, dans ce cas, le coût d’élaboration porte essentiellement sur des frais plus ou moins proportionnels au nombre de communes et à la taille du territoire.
Le règlement local de publicité est un outil qui peut, certes, reposer sur de grands principes, mais qui reste du « cousu main », pour s’adapter aux caractéristiques de chaque territoire. Quel intérêt absolu y aurait-il à harmoniser les règlements de publicité sur des EPCI « XXL », ayant des caractéristiques très différentes en matière topographique, d’habitat ou d’environnement naturel ?
En l’état, quelque 60 % des règlements locaux de publicité élaborés avant 2010 deviendraient caducs en juillet 2020. Repousser cette date de deux ans me semble donc une proposition a minima, compte tenu de la taille des EPCI et de la complexité de la procédure supposée dégager un consensus entre les différentes parties prenantes, au nombre desquelles figurent, bien entendu, les communes.
Il demeure un autre aspect essentiel, qui a été évoqué plusieurs reprises, mais qui n’a pas trouvé de réponse dans ce texte ni dans les propos tenus, à mon sens : les recettes issues du produit de la redevance de cet affichage et de ces enseignes doivent-elles rester acquises à la commune ou être transférées à l’EPCI ? Doit-on faire un parallèle avec la taxe d’aménagement ?
Je n’ai pas compris, du point de vue technique, votre réponse, madame la secrétaire d’État, car vous avez indiqué que celui qui l’instaure doit percevoir les recettes. Or le règlement local de publicité intercommunal sera bien instauré et révisé par l’intercommunalité, et non par les communes. Je souhaiterais une précision sur ce point.
M. Jean-Marc Gabouty. La structure qui bénéficiera des recettes aura une approche différente du règlement local de publicité ; et, dans un sens comme dans l’autre, quelle que soit l’hypothèse retenue, on se trouve confronté à une sorte de conflit d’intérêts. Ainsi, sur ce sujet, c’est le pot de terre contre le pot de fer ; on continue d’accentuer la tutelle technique et financière, et finalement politique, au sens noble du terme, des communes par les intercommunalités.
Je me permets enfin de faire, très rapidement, deux autres remarques – des reproches, en réalité – sur ce texte dénommé « proposition de loi visant à encourager l’adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux ». Le mot « encourager » laisse penser qu’il y a une liberté de faire ou de ne pas faire, alors qu’il s’agit en réalité d’une obligation. Le titre est donc malvenu, car, logiquement, il devrait conduire à séparer PLUI et règlements locaux de publicité, ou RLP, en transformant ce dernier en compétence optionnelle ou facultative.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Gabouty. Sur la forme, je m’étonne également que, d’après le rapport, parmi les associations d’élus, seule France urbaine ait été auditionnée ; sur le fond, cela a sans doute une signification réelle…
Malgré ces observations et ces critiques, le groupe du RDSE ne s’opposera pas à l’adoption de ce texte, dont l’objet principal est de proroger de deux ans la mise en œuvre d’un dispositif prévu par des lois plus anciennes, datant des deux précédents quinquennats.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai très bref, compte tenu des éléments déjà apportés et de notre soutien à ce texte.
Cette proposition de loi visant à encourager l’adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux répond à une problématique très importante pour nos collectivités. C’est la raison pour laquelle je tiens à remercier nos collègues Serge Babary, auteur de la proposition de loi, et Dominique Estrosi Sassone, rapporteur, pour leurs travaux.
Cette proposition de loi, nous l’avons en réalité déjà examinée, et même votée à l’unanimité. En effet, elle reprend les articles 52 et 53 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN. Le Conseil constitutionnel a malheureusement censuré ces articles, considérant qu’ils n’avaient pas de lien avec le texte initial.
Il ne s’agit pas simplement d’un détail technique ou d’une mesure de coordination ; il s’agit d’une mesure essentielle, attendue par près de 1 200 communes concernées. Ce texte adapte la réglementation nationale aux enjeux locaux, en matière d’élaboration volontaire des règlements locaux de publicité intercommunaux.
Je le répète, la législation a connu énormément de modifications au cours des dernières années : Grenelle II en 2010, loi ALUR en 2014, loi égalité et citoyenneté en 2017, autant de textes qui ont transformé le dispositif. Aujourd’hui, ce dernier est confronté à un vide juridique, qui rend difficile son application locale. Des EPCI se retrouvent même dans des situations d’insécurité juridique, entraînant une paralysie des procédures en cours.
Le groupe La République En Marche votera donc en faveur de cette proposition de loi, très attendue par nos collectivités. Madame la secrétaire d’État, vous avez répondu par avance aux questions soulevées par certains d’entre nous.
Notre groupe est également en accord avec les apports de la commission, pour donner un délai de deux ans de mise en conformité.
Madame la secrétaire d’État, nous connaissons votre engagement pour les collectivités ; vous avez toute notre confiance pour que cette proposition de loi soit adoptée dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la énième fois – il faut croire que cela va devenir une habitude –, nous revenons, par le biais d’une proposition de loi, sur des mesures définies comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel. L’an passé, déjà, nous avions examiné une proposition de loi issue de mesures de la loi ÉLAN déclarées inconstitutionnelles.
On peut s’interroger sur ce qu’est ou non un cavalier législatif. Mais on peut surtout se demander pourquoi des mesures relatives à l’urbanisme sont qualifiées de cavaliers, alors qu’elles trouvaient toute leur place dans le monstre législatif qu’est la loi ÉLAN.
De même, nous ne pouvons que déplorer les dérives relatives à la recevabilité des amendements et à leur avenir au sein des lois qu’ils tendent à modifier, puisqu’ils sont soumis à une jurisprudence toujours plus stricte du Conseil constitutionnel.
Un tel constat ne peut que nous inquiéter quant aux prérogatives des parlementaires et à leur capacité réelle à enrichir les projets de loi soumis par le Gouvernement, à l’heure où vont bientôt s’ouvrir les débats sur la révision constitutionnelle. Le message envoyé et la place du législateur dans le débat public demeurent préoccupants.
Pour en revenir au texte que nous étudions aujourd’hui, rappelons, s’il en était besoin, le rôle fondamental que jouent les PLU et les règlements locaux de publicité dans la politique d’aménagement local. Ils permettent de réglementer l’utilisation de l’espace et, donc, la cohabitation d’intérêts divergents. Il semble donc cohérent que ces deux documents de planification et de réglementation, qui participent aux mêmes exigences de maîtrise urbaine, puissent être conduits, dans leur réalisation, au même échelon.
Dans ce contexte, nous sommes convaincus que les élus doivent disposer d’outils efficaces leur permettant de définir le cadre du développement de la publicité sur leur territoire. S’il faut respecter la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre, il est également nécessaire de prévoir des garde-fous contre une publicité intempestive, qui défigure le plus souvent les entrées de ville.
À ce propos, la réglementation issue de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement prend pleinement en compte l’exigence de plus en plus forte de la lutte contre la pollution visuelle, exigence que nous soutenons.
Ainsi, il s’agit de permettre, via ces règlements, la protection des secteurs d’intérêt patrimonial, architectural ou paysager, ainsi que la qualité du cadre de vie, tout en laissant la souplesse nécessaire à la prise en compte de situations particulières et de circonstances locales.
Nous considérons que l’échelon intercommunal peut et doit produire des effets positifs, comme la mutualisation des moyens, la lutte contre les effets de frontière grâce à l’homogénéisation des pratiques, et l’intégration de la gestion de la publicité à un projet de territoire porté à l’échelon intercommunal. C’est en effet cet échelon qui dispose de la compétence, en matière non seulement d’urbanisme, mais encore de développement économique.
Malgré cela, il existe aujourd’hui une difficulté réelle à produire, à l’échelon intercommunal, ce type de document, dans le cas où un tel processus ne résulte pas d’un accord entre les différentes communes. Afin d’accompagner celles-ci, nous soutenons, depuis le début, l’impérieuse nécessité d’ériger uniquement des intercommunalités choisies, et fondées sur un projet commun, permettant ainsi de respecter la volonté des communes, au regard du caractère très engageant et fondateur de ces documents, qui traduisent très directement les politiques municipales.
Qu’il s’agisse de la définition du PLU ou de celle du RLP, nous considérons que ces compétences doivent être librement transférées aux intercommunalités.
Par conséquent, malgré des réserves sur le processus d’achèvement de la carte intercommunale, nous soutiendrons cette proposition de loi. Dans son article 1er, celle-ci ne procède qu’à une mise en cohérence législative, au travers du parallélisme des formes, et, dans son article 2, elle accorde plus de temps aux intercommunalités pour produire un règlement local de publicité, conformément à la loi portant engagement pour l’environnement, en repoussant l’échéance de 2020, année électorale, à 2022.
Cela paraît être un bon dispositif, qui incite les élus à s’engager. Il est nécessaire d’accorder un délai supplémentaire de deux ans, car, je l’ai dit en commission, un cadre assoupli évitera que les équipes nouvellement élues en 2020 aient à mettre en œuvre un RLP défini par l’équipe précédente. Un tel dispositif s’inscrit donc dans le respect de la vie démocratique des communes et des intercommunalités.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Merci !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi assez technique.
La publicité par voie d’affichage est un outil de communication utile, qui doit bénéficier à tous ; c’est, avant tout, l’un des modes d’exercice de la liberté d’information, et la publicité contribue bien évidemment à faire vivre le tissu économique des collectivités territoriales.
À titre personnel, je suis tout à fait favorable aux panneaux qui relaient les informations du service public, mais je suis résolument contre les panneaux commerciaux, ceux qui annoncent les grandes surfaces ou les promotions sur les meubles ; j’en passe, et des meilleures.
Il nous faut davantage informer sur les évènements culturels ou sportifs, sur les foires-expositions, sur notre patrimoine, sur les zones économiques des collectivités. Il nous faut faire connaître les évènements organisés par l’ensemble des collectivités territoriales, mais aussi par les associations ; ce sont ces manifestations qui font vivre nos territoires.
Nous ne devons pas restreindre la publicité aux agglomérations, comme c’est le cas aujourd’hui, en tout cas dans mon département ; tous les panneaux se trouvent dans l’ancien Grand Poitiers, et il n’y a aucun dans les communes nouvellement membres. Cela n’est pas logique ! Priver nos campagnes de publicité, c’est aussi défavoriser la ruralité. La France est un pays riche de ses villes, de ses villages, de ses campagnes, de son patrimoine. Nous devons communiquer sur ses atouts.
Cela dit, si nous sommes tous attachés au développement de nos territoires, la publicité ne doit pas non plus défigurer nos villes ni nos paysages ; pour cela, nous avons les éoliennes. (Sourires.)
M. Roland Courteau. Allons bon !
M. Alain Fouché. La réglementation et plus encore la planification sont indispensables et doivent être adaptées aux particularités locales. L’excellente proposition de loi de notre collègue Babary clarifie le droit existant et repousse de deux ans la caducité des règlements locaux de publicité.
Ces documents sont techniques et complexes. Ils demandent du temps – parfois quatre ou cinq ans – et de l’argent ; les deux manquent aux collectivités. J’espère que l’alignement de la procédure d’élaboration des règlements locaux de publicité sur celle des plans locaux d’urbanisme permettra de régulariser les procédures engagées, avant la loi NOTRe, par les établissements particulièrement diligents. À défaut, ces établissements devront recommencer leur procédure, ce qui représentera évidemment un coût et du temps.
La commission a complété utilement le texte. Si rien n’est fait, plus de mille EPCI se verront appliquer, au 14 juillet 2020, le règlement national de publicité, moins protecteur et moins adapté.
Ce règlement prévoit surtout – c’est essentiel pour les collectivités – que la police de l’affichage est exercée par le préfet et non plus par le maire, et que les collectivités ne perçoivent plus les taxes afférentes au mobilier urbain. À l’heure où l’on demande plus de proximité, cela n’est évidemment pas souhaitable, et cela n’est financièrement pas envisageable pour les collectivités.
Je me réjouis que le Gouvernement soit également conscient des enjeux et de l’urgence de la situation, madame la secrétaire d’État.
Le groupe Les Indépendants – République et territoires votera naturellement ce texte qui donne du temps et apporte plus de sécurité aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et qui a été étudiée selon la procédure de législation en commission, peut sembler technique. Néanmoins, elle est essentielle pour les élus locaux, qui attendent de nous des décisions clarifiant le droit, simplifiant les règles d’urbanisme et encourageant l’amélioration du cadre de vie.
La situation actuelle en matière de règlements locaux de publicité intercommunaux – l’examen de cette proposition de loi le rappelle – résulte de l’empilement de lois successives, votées majorité après majorité, souvent rapidement, généralement pour satisfaire de grands enjeux en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, mais rarement pour simplifier la vie des élus locaux.
Pas moins de trois lois successives ont touché aux règles d’urbanisme. Ces textes, parfois contradictoires, ont surtout contraint les communes et les intercommunalités à s’adapter, comme elles le pouvaient, dans des délais difficiles à tenir. La question des RLP, traitée aujourd’hui, en est une conséquence et une illustration. Nous sommes arrivés à un état d’insécurité juridique très fort, en raison de délais incohérents ou intenables, eu égard aux procédures d’élaboration de ce type de documents.
Si l’on ne peut que souscrire, sur le fond, à ce texte, celui-ci doit nous rendre collectivement – tant le Gouvernement que le Parlement – conscients des conséquences de nos décisions. Les élus locaux sont épuisés par les changements de règles, ils sont inquiets pour l’avenir et ils se sentent exposés par les responsabilités qui pèsent sur eux.
En commission, la question des recettes des publicités a été posée. Elle me semble légitime. Là encore, prenons garde à ne pas pénaliser indirectement les recettes communales qui subissent, elles aussi, une instabilité permanente.
Sur le fond du sujet abordé – les règlements locaux de publicité –, la question de l’aménagement de nos communes se pose. On n’établit pas des règles locales pour le plaisir de la contrainte ; on le fait surtout pour la préservation des paysages, de l’environnement, de l’aménagement du territoire, des entrées de ville et de l’harmonie de nos communes. Vous connaissez tous ici mon attachement aux questions relatives au patrimoine et à sa protection. Nous devons aider les élus locaux à acquérir des outils qui leur permettent d’assurer ces objectifs essentiels.
On parle beaucoup d’environnement dans l’actualité, et le sujet que nous traitons ici en fait pleinement partie, au titre de la pollution visuelle et de la protection du patrimoine.
Dans une vie antérieure, lorsque je présidais le parc naturel régional de la Montagne de Reims, j’ai participé à la création et à l’élaboration d’une charte et d’un règlement pour les publicités, enseignes et préenseignes, afin d’améliorer la qualité des paysages de nos communes. Rapidement, ce travail a été une référence pour les autres parcs régionaux, sur laquelle ceux-ci ont pu s’appuyer pour élaborer leur règlement de publicité.
Les publicités, enseignes et préenseignes, sont soumises à une réglementation protectrice de l’environnement et du cadre de vie. Leur installation doit être conforme à des conditions de densité et de format, et faire l’objet de déclarations ou d’autorisations préalables en mairie ou en préfecture.
Le règlement local de publicité, qu’il soit communal ou intercommunal, est un acte volontariste, destiné à encadrer ces conditions d’installation, et les adapter au territoire communal ou intercommunal. En zone rurale, il faut souvent trouver un équilibre entre protection visuelle et désenclavement, donc attractivité économique ou commerciale.
Ainsi, la question des enseignes et préenseignes, annonçant les restaurants traditionnels de nos communes, pose souvent question. Un équilibre a été retrouvé ; il permet de mettre en avant les activités liées également aux produits locaux. C’est un bon compromis, qu’il ne faudrait pas déstabiliser.
Les RLP sont un bon outil, à condition de laisser les élus s’en emparer. Chaque collectivité peut d’ailleurs se faire conseiller, notamment pour aménager ses entrées de ville ; je crois que c’est essentiel.
Après avoir salué le travail toujours efficace de notre rapporteur, je vous confirme le vote naturellement favorable des sénateurs du groupe Union Centriste pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi que j’ai déposée avec plusieurs de mes collègues, dont Mme Primas, présidente de la commission des affaires économiques, Mme Estrosi Sassone, rapporteur du texte, et Mme Lamure. Je remercie celles-ci de leur soutien ; cette proposition de loi est attendue par de très nombreux élus locaux.
Ce texte reprend à l’identique les articles 52 et 53 de la loi ÉLAN. Ces articles, qui avaient reçu l’accord unanime des deux chambres et le soutien du Gouvernement, ont en effet été censurés par le Conseil constitutionnel, en tant que cavaliers législatifs. C’est donc non pas le fond, mais le choix du support qui a été censuré par le juge constitutionnel.
Les débats ayant déjà eu lieu, et un consensus ayant été trouvé, il est important d’inscrire ces dispositions dans le code de l’environnement.
Le règlement local de publicité, défini aux articles L. 581-14 et suivants de ce code, est un outil communal et intercommunal de planification de l’affichage publicitaire. Il est destiné à réglementer la publicité, les enseignes et préenseignes, dans un but de protection du cadre de vie et des paysages, tout en assurant l’équilibre avec le droit à l’expression et à la diffusion d’informations et d’idées. Il permet d’adapter localement le règlement national de la publicité.
Depuis la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II, l’établissement public de coopération intercommunale, compétent en matière de plan local d’urbanisme, est également compétent de plein droit pour élaborer le règlement local de publicité sur son territoire.
Pour plus de simplicité, cette loi a également prévu que ce règlement serait élaboré, révisé ou modifié conformément aux procédures définies par le code de l’urbanisme pour l’élaboration, la révision ou la modification des PLU.
Par la suite, la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR a généralisé le transfert automatique de la compétence relative au PLU aux intercommunalités, et donc, par ricochet, de celle de l’élaboration du règlement local de publicité.
Ce transfert automatique a requis plusieurs ajustements relatifs à l’élaboration et à la modification des PLU, qui ont été mis en œuvre par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Ces aménagements n’ont malheureusement pas été explicitement étendus aux règlements locaux de publicité.
Aussi, l’article 1er de la présente proposition de loi a pour objet de sécuriser juridiquement l’élaboration des RLP intercommunaux, en leur rendant applicables ces aménagements.
L’article 2, quant à lui, a pour objet d’aménager l’échéance de caducité des règlements locaux de publicité, en la repoussant de deux ans. En effet, l’article L. 581-14-3 du code de l’environnement, institué par la loi Grenelle II, prévoit que les anciens RLP seront caducs au 14 juillet 2020. Cette échéance, arrêtée en 2010, ne tient évidemment aucun compte du transfert de la compétence relative au PLU aux intercommunalités, transfert qui a été voté en 2014.
Compte tenu du coût et de la complexité de l’élaboration d’un RLP intercommunal, cette échéance ne pourra être tenue par les EPCI nouvellement compétents en matière de PLU. En effet, selon l’Union de la publicité extérieure, sur les 1 258 établissements publics intercommunaux, seuls 125 ont lancé la procédure, et, sur les 13 établissements qui ont adopté leur nouveau règlement, 5 seulement comptaient plus de 100 000 habitants.
Ces chiffres montrent à eux seuls l’urgence de la situation. Si aucun règlement local n’est adopté avant la date butoir de juillet 2020, c’est le règlement national qui s’appliquera. Or il est essentiel de permettre aux acteurs locaux d’établir une politique publique de l’affichage, et de définir des règles adaptées à leurs territoires. Il s’agit, avant tout, d’éviter l’application du règlement national de publicité et de s’assurer de la proximité de la règle établie.
Il s’agit ainsi d’éviter que le maire ne soit dessaisi, au profit du préfet, de son pouvoir de police de la publicité, mais aussi d’éviter que les collectivités ne perdent les recettes liées au mobilier urbain et à la publicité.
L’article 2 modifie donc cette échéance en instaurant un délai supplémentaire de deux ans. Sur l’initiative de Mme le rapporteur, la commission a étendu cette disposition aux établissements publics territoriaux du Grand Paris, et a ajouté deux articles.
Le premier – l’article 3 de la proposition de loi – offre un temps d’adaptation et de sécurité juridique. En l’absence d’adoption d’un RLP intercommunal, les collectivités auront deux ans supplémentaires pour mettre en conformité l’affichage avec le règlement national.
Le second – l’article 4 du texte – coordonne l’entrée en vigueur des RLP intercommunaux avec la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Je remercie la commission et Mme le rapporteur du travail accompli. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi.
Enfin, je retiens l’engagement du Gouvernement que cette proposition de loi soit rapidement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. J’y insiste, il est impératif que cette proposition de loi puisse être votée et promulguée avant l’été prochain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à encourager l’adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur l’ensemble des travées, sauf sur celles du groupe CRCE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Répression des entraves à des libertés, des évènements et des activités autorisés par la loi
Adoption d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi, présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues (proposition n° 23 [2018-2019], résultat des travaux de la commission n° 742 [2018-2019], rapport n° 741 [2018-2019]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à titre liminaire, je veux citer trois éléments fondamentaux qui ont nourri la réflexion qui m’a conduit à déposer cette proposition de loi.
Premièrement, j’ai lu, dans l’éditorial d’une revue spécialisée, que « tout se passe comme si, dans l’esprit de nos contemporains, le recours à la violence était en passe de devenir un moyen légitime de défendre ses intérêts et de promouvoir ses convictions. »
Deuxièmement, je veux rappeler les termes de l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ».
Troisièmement, je veux citer un extrait de la lettre que deux membres du Gouvernement, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, et Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, ont adressée au rapporteur du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité avant la réunion de la commission mixte paritaire le 25 juin dernier : « Le Gouvernement reconnaît que certaines formes d’actions militantes contreviennent au libre exercice d’activités autorisées par la loi et que ce sujet mérite d’être examiné par le Parlement. »
Je suppose, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez échangé avec vos collègues sur ce sujet ! Cette lettre faisait suite à l’adoption par le Sénat d’un amendement visant à sanctionner les entraves aux activités cynégétiques, à une majorité très significative – 222 voix contre 90.
Je veux également insister sur l’ambiance actuelle et affirmer de manière très claire que la France rurale souffre : pas une semaine et pas une journée ne s’écoulent sans que l’on apprenne, par les réseaux sociaux ou un communiqué de presse, qu’à tel ou tel endroit de la France – aucun n’est épargné – des activistes voulant imposer leurs idées par la force ont entravé, menacé ou violenté.
Ainsi, récemment, des bâtiments d’élevage ont été incendiés dans l’Orne. Récemment, les quatre boucheries de Lamotte-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, ont été taguées au cours de la même nuit. Récemment, dans mon département du Loiret, alors que le département était parfaitement en règle pour réaliser un franchissement de la Loire, projet engagé voilà vingt ans, on a vu un certain nombre d’activistes s’allonger sur la route pour empêcher l’accès des engins au chantier – c’est ce que l’on appelle de l’obstruction passive.
Je ne m’attarderai pas sur le fait que de multiples permanences parlementaires ont été attaquées dans toute la France, certaines ayant parfois été simplement bloquées, sans violence, par des activistes stationnés devant l’entrée.
Pour revenir à la chasse, cet été, de nombreuses fédérations de chasseurs ont vu leur siège attaqué ou incendié.
Tous ces exemples, que l’on pourrait multiplier à l’envi, montrent que notre société est malade.
Ces actions subversives – c’est peut-être un grand mot – suscitent une très forte attente dans le monde rural. Je puis d’ailleurs vous dire que l’inscription à l’ordre du jour du sujet de cette proposition de loi a incité de nombreux représentants des activités rurales, commerciales ou artisanales à me solliciter, souhaitant être reçus pour m’exposer leurs souffrances et leur peur quotidienne.
Au-delà des agriculteurs, des semenciers et des éleveurs, les bouchers, charcutiers et poissonniers – tous les commerces de bouche, en fait – sont eux aussi concernés. Prévoir des sanctions contre ceux qui attaquent ou détériorent leur commerce ne suffit pas. Actuellement, stationner devant leurs portes pour dissuader passivement les clients d’y accéder n’est pas sanctionné.
Il était nécessaire de faire évoluer l’arsenal répressif pour l’adapter à ces nouvelles formes de contestation que constituent l’entrave ou l’obstruction passive, véhiculées sur les réseaux sociaux par des activistes souvent non solvables, pour qui la sanction contraventionnelle reste sans effet.
Il était donc impératif d’adapter l’article 431-1 du code pénal à cette évolution relativement récente, pour rendre la sanction plus universelle, avec comme principe de base le fait que chacun puisse défendre ses idées dans un cadre légal par la communication, la persuasion, voire des propositions faites au législateur, mais pas par la force et la violence. C’est du simple bon sens, qu’il faut traduire en droit.
L’équilibre a été difficile à trouver entre une rédaction très générale, qui risquait d’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel, comme l’était celle du texte à l’origine, et la nécessité de prévoir toutes ces nouvelles formes d’obstruction que nous connaissons.
Nous y avons beaucoup travaillé ensemble. J’en profite d’ailleurs pour remercier très sincèrement M. le président de la commission, M. le rapporteur et mes collègues du groupe Union Centriste.
Mes chers collègues, je vous invite à voter l’amendement qu’a déposé hier notre collègue Jean-Paul Prince : il me semble traduire cette recherche d’un équilibre entre la nécessité de prévoir de manière précise les attitudes à sanctionner – en particulier, en opérant une graduation dans les sanctions en fonction de la gravité des entraves – et le souci de se prémunir contre une censure constitutionnelle.
La démarche était extrêmement difficile, mais je pense que nous avons atteint notre objectif. Je le répète, l’attente est très forte dans tous les départements ruraux.
Pour conclure, je sais que certains nous reprocheront de présenter un texte liberticide. C’est tout le contraire ! Ce texte permet de rendre à chacun la liberté d’agir légalement sans risquer d’être lui-même menacé ou ostracisé. C’est son fondement même. Je rappelle que, aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une activité prévue par la loi ne peut pas être empêchée.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que l’engagement de vos deux collègues permettra à ce texte d’être discuté rapidement à l’Assemblée nationale.
D’ailleurs, lors de la discussion, en commission mixte paritaire, du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Braun-Pivet, avait suivi le même raisonnement que Mme Wargon et M. Fesneau : elle m’avait garanti que la commission des lois verrait avec intérêt un texte voté par le Sénat sur ce sujet particulier.
Mes chers collègues, le Sénat a toujours été très proche des territoires et de la ruralité. Le signe que vous donnerez aujourd’hui en votant ce texte largement s’inscrira dans la continuité des actions permanentes de notre Haute Assemblée en faveur du monde rural ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Noël Cardoux tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi.
Ce texte vise à apporter une réponse plus ferme et plus efficace à deux types d’infractions qui ont eu tendance à se multiplier ces dernières années et qui, à certains égards, relèvent d’un phénomène de société : premièrement, les violences, les menaces et les dégradations dirigées contre des boucheries, des abattoirs ou des élevages, en général au nom d’une conception très singulière et exclusive de la cause animale ; deuxièmement, les entraves à la chasse, qui se produisent régulièrement dans nos forêts domaniales.
Ces actions sont le fait de groupes ou d’individus radicaux issus en général de mouvements animalistes, antispécistes ou véganes, apparus voilà une trentaine d’années, mais dont certains modes d’action ont pris une forme violente plus récemment.
Au cours de la seule année 2018, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs a ainsi recensé une cinquantaine d’attaques, sous des formes diverses et variées : vitrines brisées, murs tagués, faux sang répandu dans les boutiques, bouchers ou clients menacés ou insultés.
Certains évènements, comme des attaques contre les agriculteurs, ont pu prendre un tour plus dramatique. Je pense en particulier à l’incendie de bâtiments d’élevage, il y a encore dix jours, dans l’Orne, où un jeune exploitant agricole a vu, en pleine nuit, ses trois bâtiments d’élevage détruits par le feu. Cet incendie criminel a été particulièrement traumatisant, ses auteurs ayant également peint sur les bâtiments des inscriptions comme « assassin » ou « camp de la mort ».
Je pense aussi à l’incendie volontaire, voilà un an, d’un l’abattoir dans le département de l’Ain : s’il n’a heureusement pas fait de victimes, cet incendie criminel a mis au chômage technique près de quatre-vingts salariés.
Des entreprises et des permanences de chasseurs ont également été saccagées et des interventions dangereuses pour les cavaliers ayant pour but de perturber des activités cynégétiques se sont produites dans les forêts de Chambord et de Compiègne en particulier.
Au demeurant, est-il nécessaire de réaffirmer ici que la chasse, acquis historique s’il en est, reste un loisir apprécié du plus grand nombre, avec près de 1 million de pratiquants et détenteurs de permis de chasse de notre pays ?
Je rappelle que les entraves à la chasse sont aujourd’hui réprimées par une simple contravention de cinquième classe, soit une amende de 1 500 euros au maximum, ce qui, manifestement, n’est plus assez dissuasif.
Plus généralement, il y va du respect de l’une de nos libertés les plus fondamentales. Je crois que nous vivons, en France, dans un pays de libertés, où toutes les opinions peuvent s’exprimer dignement et être défendues librement.
Aussi, les militants animalistes ont tout loisir de s’opposer, par exemple, à la consommation de la viande, à la considérer comme impure, de s’opposer à la chasse, à la corrida ou encore à la présence d’animaux sauvages dans les cirques. C’est leur droit, mais c’est parce que notre démocratie leur permet de s’exprimer librement qu’elle ne peut admettre que l’on cherche à imposer son opinion par la force. C’est même le propre de notre État de droit que nul ne saurait imposer ses opinions par la violence ou l’intimidation.
Je rappelle également que, face à la multiplication de ces incidents, le ministre de l’intérieur a demandé aux préfets de région de prendre contact avec les représentants des professions concernées pour des échanges réguliers et pour leur fournir une protection si nécessaire. Des instructions ont également été données pour renforcer la protection autour des commerces de viande. M. le secrétaire d’État pourra peut-être, au cours des débats, nous préciser ses intentions concernant la mise en œuvre de ces instructions.
La chancellerie a, de son côté, invité les procureurs à faire preuve de fermeté contre ceux qui attaquent des boucheries ou qui s’introduisent dans des élevages, en apportant une réponse systématique à ces actes, mais aussi en tentant de prévenir les débordements.
Cependant, les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent aujourd’hui aller plus loin, en modifiant l’article 431-1 du code pénal, leur objectif étant de réaffirmer un principe général selon lequel toutes les activités qui ne sont pas interdites doivent pouvoir être exercées librement, sans que certains tentent d’y apporter des entraves.
L’article 431-1 du code pénal punit ainsi d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, par une action concertée et au moyen de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, d’association, de réunion et de manifestation ou encore de la liberté du travail. Il punit des mêmes peines les entraves au bon déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’une collectivité territoriale.
De même, les peines encourues sont alourdies – trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende – lorsque l’entrave a pris la forme de coups, de violences, de voies de fait, de destructions ou de dégradations.
La proposition de loi tend à apporter deux modifications à cet article, afin d’en élargir le champ d’application. Tout d’abord, il est proposé de préciser que l’entrave est réalisée « par tous moyens », de manière à pouvoir sanctionner toutes les entraves, quelle qu’en soit la forme. Ensuite, le texte prévoit de sanctionner le fait d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi.
Je rappelle que la proposition avait déjà été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée en décembre dernier. Elle avait été retirée afin de tenir compte du contexte politique d’alors : l’examen de la proposition de loi aurait pu être perçu, à tort, comme une initiative dirigée contre le mouvement qui s’exprimait alors, alors même qu’elle poursuit un tout autre objectif.
Le Gouvernement, depuis lors, a fait part de son intérêt pour ce texte, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant création de l’Office français pour la biodiversité, au mois d’avril dernier. D’ailleurs, répondant à un amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux, qui tendait à créer un délit d’entrave à la chasse, la secrétaire d’État Emmanuelle Wargon avait souhaité une inscription rapide de la proposition de loi à l’ordre du jour des assemblées, afin que la question de la chasse puisse être abordée dans un cadre plus large et de manière transversale.
Le Gouvernement obtient satisfaction aujourd’hui avec l’examen du texte dès le début de notre session ordinaire. Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il travaillera avec nous pour élaborer un texte d’équilibre, qui donnera satisfaction à toutes les parties intéressées.
La commission des lois s’est réunie mercredi dernier pour examiner la présente proposition de loi. Elle n’a pas adopté de texte, ce qui explique que nous débattions aujourd’hui du texte tel qu’il a été déposé sur le bureau du Sénat. Cette prise de position ne traduit cependant pas un désaccord avec les objectifs des auteurs de la proposition ; elle est plutôt la conséquence d’interrogations de nature juridique.
En premier lieu, un certain nombre de nos collègues se sont inquiétés de la formulation d’un principe de portée très générale, qui pourrait poser une difficulté au regard du principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi pénale. En effet, je rappelle qu’une infraction doit être définie en des termes suffisamment précis pour que la peine soit prévisible et afin d’éviter ainsi tout risque d’arbitraire.
Ensuite, plusieurs membres de la commission se sont demandé s’il était nécessaire de légiférer de nouveau et si les dispositions en vigueur ne permettaient pas déjà de réprimer les comportements visés.
Il est vrai que certaines qualifications pénales peuvent être retenues, en fonction de la nature des actes qui ont été commis, pour poursuivre les infractions commises par des groupes animalistes. On peut citer, de manière non exhaustive, les qualifications suivantes : menaces, violences, violation de domicile, incendie criminel, dégradation de biens privés en réunion ou encore provocation à un crime ou à un délit.
Ce rappel étant fait, monsieur le secrétaire d’État, il nous semble toutefois que le droit pénal ne permet pas d’appréhender efficacement certaines situations d’entrave situées aux interstices, dans lesquelles les individus font obstacle par leur corps à l’exercice d’une activité, sans que leur action s’accompagne pour autant de menaces ou de violences.
Nous croyons également utile d’envoyer un message politique fort, afin d’inviter les pouvoirs publics à la fermeté et de rappeler les règles qui doivent régir la vie collective ou la vie en société.
C’est pourquoi j’ai travaillé avec l’auteur de la proposition de loi et avec d’autres collègues de l’Union Centriste à une nouvelle rédaction, à même d’apporter plus de précisions tout en restant fidèle aux objectifs du texte.
La commission a ainsi adopté l’amendement de réécriture globale déposé par notre collègue Jean-Paul Prince, comme j’aurai l’occasion de vous l’expliquer dans la suite de la discussion.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à souligner que cette proposition de loi répond à une attente très forte de nos concitoyens, qui sont de plus en plus exaspérés par certains comportements contraires au pacte républicain. Il s’agit en fait d’un texte de liberté, qui vise à renouer avec un principe essentiel énoncé à l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre droit est protecteur des libertés. C’est un fondement de notre démocratie, et nous y sommes tout particulièrement attachés.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’une intention louable : celle de renforcer la protection des libertés individuelles et de prendre en compte l’évolution de plus en plus violente des mouvements de contestation.
En particulier, cette proposition de loi vise les entraves à la chasse et les violences répétées menées contre certaines professions – j’y reviendrai.
Avant toute chose, je tiens bien sûr, au nom du Gouvernement, à condamner extrêmement fermement les violences de tout type. La liberté de contester et de s’opposer est un droit fondamental, la violence, elle n’est pas excusable.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait part, à l’issue du grand débat national, de leur volonté qu’un plan contre les violences soit mis en place. Avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, nous sommes pleinement mobilisés contre la banalisation de la violence et je veux vous dire notre détermination.
Aussi, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit d’étendre les dispositions de l’article 431-1 du code pénal sur le délit d’entrave, de deux manières : d’un côté, par la suppression de l’exigence de menaces pour une entrave portant sur la liberté d’expression, de travail, d’association ou de manifestation – l’expression « par des menaces » serait ainsi remplacée par l’expression « par tous moyens », beaucoup plus générale – ; de l’autre, par la création d’une cinquième forme d’entrave, réprimant « le fait d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi ».
Si je comprends parfaitement la volonté des auteurs de la proposition de loi, il ne m’est pas possible d’émettre un avis favorable à son sujet. En effet, le texte qui nous est proposé pourrait s’avérer contreproductif, parce qu’il rend trop flous les éléments constitutifs du délit d’entrave et qu’il existe un risque important que sa rédaction ne soit pas constitutionnelle.
J’ai bien noté qu’un amendement avait été déposé, afin de réécrire l’article du texte et d’apporter un certain nombre de précisions, mais cela ne modifie pas notre analyse – nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.
La rédaction retenue pour une nouvelle cinquième forme d’entrave demeure extrêmement large et imprécise. Les infractions ne sont pas suffisamment caractérisées. Leur spectre d’application est trop large, ce qui pourrait nécessairement comporter une part d’arbitraire dangereuse pour l’équilibre des droits. De ce fait, il est probable que de telles dispositions soient censurées par le Conseil constitutionnel.
Si cet obstacle est suffisant pour justifier la position du Gouvernement, les modifications apportées par la proposition de loi ne semblent du reste pas nécessaires au regard des objectifs du texte.
En effet, l’exposé des motifs fait état d’un certain nombre de cas où la proposition de loi s’appliquerait. Je ne vais pas en faire la liste, mais on compte notamment les blocus empêchant les spectateurs d’assister à des spectacles, les actions empêchant certains commerçants de réaliser leurs ventes ou encore, comme cela a été mentionné dans les travaux réalisés autour de la proposition de loi, pour entraver la pratique de la chasse.
Or il apparaît que toutes ces entraves sont d’ores et déjà couvertes par l’article 431-1 du code pénal ou sont sous le coup d’incriminations spécifiques. Pour ne citer qu’un exemple, l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement prévoit une sanction en cas d’obstruction à des actes de chasse. De fait, la proposition de loi ne paraît pas utile, et sa constitutionnalité est à nouveau questionnable au nom du principe de nécessité des peines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais qu’il y a, derrière cette proposition de loi, une crainte que vous rencontrez dans les territoires, celle de la recrudescence des actions violentes, menées notamment par les antispécistes.
Soyez assurés que Christophe Castaner et moi-même sommes pleinement mobilisés sur le sujet. D’ailleurs, la convention signée entre la gendarmerie et la FNSEA continue à se déployer, et la gendarmerie nationale a créé une cellule spécialement consacrée à ce phénomène, afin d’améliorer son action et de mieux travailler en coordination avec les services de renseignement, qui se mobilisent de plus en plus sur ces thématiques.
Comme je le disais au début de mon intervention, nous ne tolérons aucune violence et nous n’acceptons pas que ce phénomène puisse toucher gratuitement nos éleveurs, nos artisans ou nos chasseurs. Nous les soutenons et nous continuerons à chercher avec eux, avec les forces de l’ordre, avec les services de renseignement et les parquets, les meilleurs moyens pour les protéger.
Cette action que nous menons est une réalité : depuis le début de l’année 2019, sur l’ensemble du territoire national, quelque 800 actions effectuées au nom de la défense animale ont été recensées, toutes causes confondues – contre la chasse, la consommation de viande, les spectacles taurins, les parcs aquatiques ou encore la maltraitance animale.
Je tiens à rappeler que, face à ces actions délictuelles, les forces de sécurité sont pleinement engagées : elles réalisent, bien sûr, des opérations de sensibilisation auprès des publics visés, mais, surtout, elles interviennent immédiatement sur les lieux d’infraction, renforcées en tant que de besoin par des unités spécialisées dans le maintien de l’ordre. Elles conduisent également des investigations minutieuses, qui permettent d’identifier les auteurs de ces exactions et de les faire condamner.
À l’instar de M. le rapporteur, qui l’a fait à juste titre, je veux citer certains exemples. Je pense notamment, monsieur Cardoux, à cette intrusion d’antispécistes venus en autobus d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas pour bloquer un élevage de porcs à Courdemanges, dans la Marne, en s’enchaînant aux installations.
Un escadron de gendarmerie a immédiatement été déployé sur les lieux, en plus des renforts en unités locales, pour sécuriser le site. Le contrôle d’un certain nombre de militants a été opéré et des investigations judiciaires ont été lancées, y compris avec nos partenaires étrangers.
Je pense également – il est très important que vous le notiez – à l’interpellation en flagrant délit de sept militants qui tentaient d’incendier un abattoir sur la commune de Jossigny, action qui a pu être entravée grâce à l’action de nos services de gendarmerie : dix individus sont aujourd’hui mis en examen sous douze chefs d’inculpation et sont placés sous contrôle judiciaire.
Dans le département du Nord, face à la multiplication d’actions de vandalisme qui ont été perpétrées par des militants radicaux, notamment à l’encontre de boucheries, les investigations ont abouti à plusieurs opérations judiciaires au cours desquelles une dizaine d’individus ont été interpellés et condamnés à des peines allant parfois jusqu’à dix-huit mois de prison…
M. Jean Bizet. Avec sursis !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … et plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende.
Plusieurs actions d’opposants à la chasse ont également été conduites en 2019, notamment des occupations ciblées en forêt pour gêner les actions de chasse et rechercher la confrontation, notamment dans le cadre de la chasse à courre.
Face aux situations les plus sensibles – je pense aux départements de la Vendée ou de l’Oise –, la gendarmerie met systématiquement en place un large dispositif de sécurité pendant la période de chasse, notamment des patrouilles à cheval. En outre, les unités sont mobilisées pour renseigner sur tout affrontement ou toute présence suspecte d’individus, notamment des opposants à ce type de chasse ; bien évidemment, elles interpellent les fauteurs de troubles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous rappeler ces actions pour affirmer que le Gouvernement partage bien évidemment l’objectif de ce texte. Toutefois, la rédaction de celui-ci semble beaucoup trop générale pour passer la rampe de la constitutionnalité, d’autant que le droit existant permet d’engager des actions pour protéger les libertés auxquelles vous êtes attachés et qui s’exercent notamment dans les domaines et activités que vous avez cités ; les exemples que je viens de donner l’attestent, s’il le fallait.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd’hui se justifie par la multiplication d’actes de militants antispécistes contre des lieux et des activités symboliques de la filière viande, comme les parties de chasse, les élevages bovins ou autres, les abattoirs et les boucheries.
Le respect de l’autorité de la loi et des droits qu’elle consacre a toujours été défendu par le groupe RDSE. Nous condamnons donc toujours les débordements que l’on observe – boucheries vandalisées et d’abattoirs incendiés. Ce sont des atteintes aux biens défendues par le code pénal, qui méritent d’être poursuivies et sanctionnées. Elles le sont d’ailleurs déjà, dans les conditions que permet notre système carcéral à bout de souffle, une réalité administrative qui n’échappe à personne ici.
Notre rapporteur nous a indiqué ce matin avoir reçu la confirmation de la Chancellerie que des instructions avaient été transmises, afin de mieux sanctionner les entraves lorsqu’elles entrent dans le champ de l’article 431-1, ainsi que les intrusions, les vols et violences avérés. C’est donc la preuve que notre collègue Jean-Noël Cardoux a été entendu et que le droit en vigueur permet déjà, à lui seul, à condition d’être mieux appliqué, de protéger les intérêts des professionnels concernés.
Conformément aux arguments juridiques de clarté de la loi pénale et de proportionnalité qui ont été avancés en commission des lois, nous nous inquiétons des atteintes aux libertés d’expression et de manifestation qui pourraient en résulter, y compris d’ailleurs pour les professions que la proposition de loi vise à protéger ! Ces réserves ont d’ailleurs donné à un premier rejet du texte par la commission des lois.
Pour y remédier, la proposition de loi remplace les termes « à l’aide de menaces » par les termes « par tous moyens ». En outre, la notion de délit d’entrave serait étendue, cette fois aux actions visant à « empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi ».
La mention « par tous moyens » pourrait donner lieu à des interprétations plus extensives dans les juridictions, alors que la rédaction actuelle bénéficie d’une interprétation stable et restrictive.
En commission, nos voix ont été à l’unisson pour s’opposer à l’adoption de dispositions pénales manquant de caractérisation, donc de clarté.
Dans la même veine, le principe de proportionnalité des peines, constitutionnellement garanti, s’oppose à ce que soient sanctionnées de la même manière des entraves à l’exercice des libertés fondamentales et celles d’activités de loisirs ou encore toute autre activité, simplement parce que celles-ci seraient « autorisée[s] par la loi ».
Par ailleurs, lorsque l’article 431-1 a été inséré dans le code pénal, l’objectif était de créer un délit spécifique pour sanctionner la perturbation de l’exercice de certaines libertés fondamentales, avec des garde-fous : il faut prouver une action concertée et l’existence de menaces. En plus de cet article existent d’autres dispositions pénales permettant de condamner les auteurs de violences ou menaces de violences.
En définitive, si nous nous indignons face à tout ce qui fait obstacle à l’exercice de libertés, une majorité du groupe RDSE considère qu’il n’est pas opportun d’élargir le champ d’application de l’article 431-1 du code pénal.
Or les dispositions de l’amendement Prince, qui ont obtenu l’avis favorable de la commission des lois ce matin, ne permettent pas de lever toutes nos inquiétudes. Leur adoption rajouterait en effet un risque d’instabilité jurisprudentielle, en insérant les notions d’« obstructions ou intrusions ». En outre, elles ne restreignent pas suffisamment l’application du délit d’entrave aux activités sportives ou de loisir. La notion d’activité « exercée dans un cadre légal » nous paraît trop vaste.
Nous sommes toutefois désireux d’apporter une réponse utile au problème posé par ces « obstructions ou intrusions », qui sont une source d’angoisses pour nos concitoyens sur le terrain.
C’est pourquoi nous proposons de différer ce débat, afin de nourrir une réflexion plus approfondie sur la façon de faciliter les modalités d’indemnisation des personnes lésées par ces comportements d’obstructions très pénalisants. Cela permettra d’ailleurs de mieux associer les représentants des activités concernées, ainsi que les acteurs chargés de l’application du texte.
Des voies de recours sont déjà prévues en matière commerciale et pourraient par exemple être étendues aux chasseurs en s’inspirant de la jurisprudence du 5 juillet 2018 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci reconnaît ainsi que « l’impossibilité psychologique de pratiquer une activité de loisirs constitue un préjudice d’agrément indemnisable ». Ces pistes, comme d’autres que nous pourrions explorer, nous paraissent plus adaptées aux attentes exprimées.
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi s’inscrit dans la suite logique du texte que nous avons adopté au mois de juillet dernier et qui a abouti à la création de l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, l’instauration d’une écocontribution et la décision de confier des missions nouvelles aux fédérations départementales des chasseurs.
Ce texte a aussi et surtout renforcé les prérogatives et les missions de la police de l’environnement, en regroupant ceux qui exerçaient déjà à l’AFB et à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, afin d’avoir un corps unique et des équipes départementales renforcées.
Dois-je rappeler que nous sommes le seul pays en Europe à dispose d’une police spécialisée de l’environnement, avec des effectifs de plus de 2 000 professionnels qualifiés ?
N’oublions jamais que, si nous avons cette police rurale unique, nous le devons aux fédérations de chasseurs et de pêcheurs qui avaient créé elles-mêmes, voilà plusieurs décennies, une garderie spécialisée pour lutter contre le braconnage et les dégradations de la nature. C’est ensuite l’État qui en a fait le corps de fonctionnaires que nous connaissons aujourd’hui et qui est placé sous la double tutelle des ministères de l’écologie et de l’agriculture.
La loi du mois de juillet dernier a permis de franchir une nouvelle étape qui répond à notre priorité de conduire une politique ambitieuse pour le maintien de la biodiversité ordinaire partout dans notre pays et dans nos territoires d’outre-mer. C’est d’ailleurs le chef de l’État lui-même qui a demandé que cette police soit affichée comme police rurale ; en ce sens, c’est exemplaire.
Cette police des territoires, des espaces naturels, agricoles et forestiers et de l’eau est aussi une demande forte et insistante des gestionnaires que sont les agriculteurs, les forestiers, les élus locaux et, bien sûr, les chasseurs et les pêcheurs. Tous demandaient que la police rurale ne soit pas le parent pauvre des politiques publiques.
Il y a longtemps que la faiblesse des effectifs départementaux de la police de l’environnement inquiétait ceux qui exercent tous les jours ce travail sur le terrain. Les chasseurs, les pêcheurs et les maires ruraux ont été les premiers à demander que la police rurale retrouve des effectifs, des moyens et des prérogatives pour agir contre toutes les formes de dégradation ou de braconnage qui menacent la biodiversité et la vie dans nos campagnes. Chacun sait que la gendarmerie nationale, qui a fait un travail remarquable et permanent dans nos territoires ruraux, ne peut plus tout faire, compte tenu de l’élargissement de ses missions.
Les espaces naturels sont de plus en plus fréquentés et, par conséquent, de plus en plus dégradés par ceux qui ont l’intime conviction que la nature appartient à tout le monde, qu’il existe des droits pour chacun, mais aucun devoir pour d’autres et que, au bout du compte, cela n’a pas d’incidence.
Toutefois, malgré tous ces renforcements, cela ne suffit pas pour prendre en compte les nouvelles formes de violence qui commencent à se développer dans nos campagnes. Comme mes collègues, je crois indispensable de faire évoluer le droit, afin que l’on puisse donner une réponse à de nouveaux types d’entraves qui se multiplient contre des activités tout à fait légales.
Depuis peu, les actions violentes commises par des groupuscules antispécistes, animalistes ou véganes se sont multipliées et deviennent insupportables pour tous ceux qui sont respectueux des lois de la République. Au nom de quelle idéologie sectaire certains peuvent-ils se permettre d’entraver des activités totalement légales, en vertu d’un ordre moral qui leur appartient ?
Les chasseurs, les pêcheurs, les agriculteurs, les éleveurs, les bouchers et les poissonniers, comme bien d’autres ruraux, sont des femmes et des hommes qui méritent le respect et qui doivent pouvoir exercer leur passion ou leur métier sans la moindre menace, dès lors qu’ils pratiquent ces activités dans le respect des lois de la République.
Cette radicalisation de groupes extrémistes de la défense animalière doit être prise en compte à l’échelon de la sécurité intérieure, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays.
Bien sûr, cela ne doit pas empêcher chacun de pouvoir se nourrir comme il l’entend et, au nom de la liberté d’expression, de tenter, s’il le souhaite, de convaincre le maximum de ces concitoyens de changer leurs habitudes alimentaires.
Néanmoins, cela ne peut se passer que dans le respect d’autrui et non avec des méthodes d’obstruction, des menaces ou des actes de violence qui doivent conduire l’État à une vigilance accrue et à une sévérité à toute épreuve, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. François Patriat. Il faut donner à nos forces de police et de gendarmerie, tout d’abord, et aux juges, ensuite, les moyens d’intervenir avec efficacité.
C’est sur ce point et seulement sur celui-ci que j’exprime quelques réserves sur cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle. Qui trop embrasse mal étreint : cette expression chère à Jean-Noël Cardoux est sans doute la parfaite illustration de ce texte, qui ne donne pas une définition assez stricte au regard de l’exigence constitutionnelle de précision et de clarté de la loi pénale.
L’autre volet des critiques de la commission des lois me semble plus discutable, car je ne crois pas que, en l’état du droit, les dispositions législatives existantes soient suffisantes pour réprimer efficacement la majorité des infractions visées.
Il n’est pas envisageable de ne pas donner les moyens à une police rurale unifiée et départementalisée, avec d’ici peu, grâce à la future loi Lecornu, un renforcement des prérogatives des maires en termes de police, et de ne pas renforcer la surveillance et la répression contre les actions, obstructions, intrusions et menaces en tout genre.
Si nous ne le faisons pas, nous allons au-devant de réactions incontrôlées de la part de citoyens pratiquant des activités légales et qui, ne se sentant plus défendus, auront envie de se faire justice eux-mêmes, ce qui serait la pire des situations.
Pour ma part, je considère que cette proposition de loi va franchement dans le bon sens,…
M. François Patriat. … même si elle n’est pas suffisamment précise pour être applicable sur le terrain.
D’ailleurs, si une partie du groupe LaREM la votera, une autre s’abstiendra et une troisième se prononcera contre.
M. François Bonhomme, rapporteur. Encore un effort ! (Sourires.)
M. François Patriat. Ce n’est déjà pas mal, monsieur le rapporteur ! En outre, à titre personnel, je la voterai. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
C’est ce qu’attendent de nous celles et ceux qui vivent et travaillent dans nos campagnes et exercent un métier ou une passion respectable, qui donne du sens à leur vie quotidienne et qui est un véritable mode de vie.
Mes chers collègues, à nous d’être à la hauteur et de produire un texte qui réponde à cette attente de bon sens et mette un terme à l’activité de ces groupuscules sectaires qui méprisent la démocratie, fût-elle participative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « blocus, interruptions de représentation, invasions de terrains, huées… » : tels sont les exemples cités dans l’exposé des motifs du texte soumis à notre examen.
À en croire l’argumentaire de la droite sénatoriale, ces éléments de contestation, aujourd’hui parfaitement légaux, devraient être réprimés sous prétexte que « contrevenir à la loi, ce n’est pas nécessairement faire ce qu’elle interdit ; c’est aussi empêcher ce qu’elle autorise ». En somme, ces moyens d’action seraient davantage « l’expression de convictions que de droits ».
Ne nous leurrons pas : il est proposé ici de brider toutes les pratiques venant témoigner du moindre soupçon de défiance à l’égard de l’ordre établi.
M. François Bonhomme, rapporteur. De l’ordre bourgeois, tant que vous y êtes ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Déjà, au mois de novembre 2018, le groupe CRCE avait demandé par voie de communiqué de presse le retrait de ce texte de l’ordre du jour.
Après la loi gouvernementale répressive venue encadrer le droit à manifester au mois d’avril dernier, c’est cette fois la majorité sénatoriale qui s’attaque à nos libertés fondamentales, par un texte choquant tant sur le fond que sur la forme.
Sur la forme, en nous soumettant cette proposition de loi, Les Républicains se prêtent à un exercice juridique particulièrement curieux. Tout d’abord, ce texte est anticonstitutionnel et sera sans aucun doute retoqué par le Conseil des sages s’il est adopté. Ensuite, il vient dénaturer l’article 431-1 du code pénal, qui sanctionne les entraves à la liberté d’expression. Ce dispositif va donc à contresens du droit positif.
Mes chers collègues, la philosophie liberticide et antidémocratique de ce texte est profondément inquiétante. Nous ne pouvons tolérer les entraves aux mobilisations citoyennes, dont la tradition s’inscrit dans l’histoire de la France et constitue son ADN.
M. Jean Bizet. Et qui fait le mal français !
Mme Esther Benbassa. Pensez aux suffragettes, par exemple.
Comment oublier que nous devons la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux révoltes du peuple français contre ses élites ? Comment oublier que les congés payés ont été obtenus par les piquets de grève de 1936 ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Cela n’a rien à voir !
Mme Esther Benbassa. Comment oublier le courage et la persévérance de ces milliers d’étudiants qui ont fait plier le gouvernement Villepin sur le CPE, le contrat première embauche, en 2006 ?
Des écologistes aux étudiants de Nuit debout, en passant par les « gilets jaunes », nombreux sont les exemples de revendications citoyennes ayant nourri la culture politique de notre pays.
M. Jean Bizet. En somme, vive l’anarchie !
Mme Esther Benbassa. Protester, manifester, faire entendre sa voix et ses convictions est une coutume bien française à laquelle nous ne sommes pas près de renoncer.
M. Laurent Duplomb. Hélas !
Mme Esther Benbassa. Vous cherchez aujourd’hui à rendre inconciliables certains droits : le droit de grève et le droit de travailler, le blocus devant un supermarché et le droit de consommer, le droit de manifester des lycéens et leur droit d’étudier, le droit de défendre les animaux et le droit de pratiquer la chasse à courre.
M. Jean Bizet. Ah !
Mme Esther Benbassa. Par votre vision manichéenne du monde, vous scindez la Nation en deux, avec, d’un côté, ceux qui se complaisent dans l’ordre établi, et, de l’autre, ceux qui militent pacifiquement pour le changement.
La plupart des mouvements citoyens ne sont pas mus par la haine, la violence et le rejet de l’autre. Beaucoup usent des moyens d’action collective pour exprimer leur envie d’entrer dans une ère nouvelle, plus sociale et égalitaire, plus respirable et durable.
Les revendications écologistes et féministes sont ces dernières années intrinsèquement liées à la désobéissance civile : faucheurs d’OGM, les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de Bure, les animalistes, les décrocheurs du portrait du président Macron, les grévistes pour le climat, les militantes protestant contre les féminicides…
Ce que vous souhaitez, somme toute, c’est une uniformisation de la société. Vous désirez une France où chacun pense de la même manière et, de préférence, comme vous.
Au risque de vous décevoir, tant qu’une opposition parlementaire comme la nôtre existera, tant qu’une jeunesse sera prête à se lever pour ses idées, tant qu’une gauche sociale et écologique s’exprimera dans ce pays, vous ne parviendrez probablement pas à vos fins et vos tentatives de nous museler seront vaines.
M. François Bonhomme, rapporteur. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. C’est surréaliste !
Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, ce texte a été rejeté en commission. Nous espérons donc qu’une majorité agira de la même manière en séance. (M. le rapporteur s’exclame.)
Par ailleurs, monsieur Bonhomme, merci de me laisser parler ! Pour ma part, je ne vous ai pas interrompu. C’est une entrave à ma liberté d’expression ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui vise à apporter une réponse plus efficace à des agressions qui se multiplient.
En effet, depuis quelques années, de nouvelles menaces liées à des groupes extrémistes de défense de la cause animale sont apparues, occasionnant des attaques contre des boucheries ou des étals, des intrusions dans des exploitations agricoles, allant jusqu’à l’incendie d’un abattoir. Voilà qui n’est pas très pacifique ! Ainsi, au cours de l’année 2018, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs a recensé une cinquantaine d’agressions.
De même, les entraves à la chasse se sont multipliées : des permanences de chasseurs ont été saccagées, des interventions en forêt ont parfois présenté un danger pour les cavaliers… J’ai moi-même reçu des menaces de mort en inaugurant une maison de la chasse,…
Mme Esther Benbassa. Oh !
M. Alain Marc. … menaces anonymes bien sûr, car ces gens ne sont pas très courageux !
Ces actes commis par des individus qui cherchent à imposer leurs opinions par la violence ou par l’intimidation ne sont pas acceptables. Ceux qui agissent ainsi savent-ils que les sangliers qui pullulent ou les chevreuils ne peuvent être régulés que par les chasseurs ?
Si les citoyens ont le droit d’exprimer leurs convictions au sujet du bien-être animal ou de la consommation de viande, en revanche, au sein d’un État de droit, aucun individu ne saurait imposer ses opinions au moyen de la force.
Comme l’a rappelé notre collègue François Bonhomme dans son rapport, « la République respecte la liberté et les choix de vie de chacun de ses citoyens » ! Face à la radicalisation de certains groupuscules, une réaction s’impose afin de mettre un terme à ces actes.
Oui, contre ceux qui attaquent les boucheries ou s’introduisent dans les élevages, une plus grande fermeté paraît nécessaire.
Oui, la volonté d’imposer ses convictions ou d’empêcher certaines activités par la force ou la menace doit être sanctionnée. Car la violence et l’intimidation n’ont pas leur place sur le territoire de la République.
Face à l’évolution inquiétante des actes de ces extrémistes animalistes, véganes ou antispécistes, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité modifier l’article 431-1 du code pénal, afin d’apporter une réponse plus efficace et plus ferme à deux types d’infractions : d’une part, les violences, les menaces et les dégradations dirigées contre des boucheries ou des abattoirs au nom de la défense de la cause animale, d’autre part, les entraves à la chasse qui ont lieu régulièrement dans nos forêts domaniales.
Toutefois, ce texte pose plusieurs problèmes.
En premier lieu, la formulation du texte pourrait susciter des difficultés en raison de son caractère très général, au regard de l’exigence constitutionnelle à la fois de clarté et de précision de la loi pénale.
En second lieu, des questions ont été soulevées sur l’utilité d’adopter de nouvelles dispositions législatives dans la mesure où diverses incriminations pénales peuvent déjà être utilisées pour sanctionner ce type de comportements – peut-être ne sont-elles pas convoquées assez souvent.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de nombreuses dispositions législatives ou réglementaires permettent de poursuivre les entraves, mais aussi les menaces, les violences et les dégradations. Toutefois, nous constatons que les amendements de précision qui ont été examinés en commission tendent à améliorer de façon significative le texte initial.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’est vrai !
M. Alain Marc. Aussi, certains membres du groupe Les Indépendants s’abstiendront, quand d’autres voteront cette proposition de loi. Pour ces derniers, dont je suis, il est bon de mettre un coup d’arrêt aux violences de ces groupes d’activistes, quelles qu’elles soient : si nous, le législateur, ne faisons rien, nous risquons de voir se développer des actions d’autodéfense qui seraient préjudiciables à la vie démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Jean-Noël Cardoux soumet aujourd’hui à notre examen un texte dont l’intitulé peut laisser perplexe et, pour ne rien vous cacher, la première lecture de l’exposé des motifs ne m’a guère davantage éclairé. Plus précisément, je n’avais pas de réponse à une question simple : quels sont précisément les personnes et les actes visés par ce texte ?
Après le débat approfondi que nous avons eu la semaine dernière en commission des lois, il me semble que nous avons une réponse : ce texte vise les actes des militants véganes ou antispécistes à l’encontre des commerces ou de certaines activités comme la chasse.
Je ne méconnais pas l’actualité de ces problématiques et, comme un certain nombre des orateurs qui m’ont précédé, je condamne avec la plus grande force tous ces délits ou contraventions au droit qui posent des difficultés très importantes dans le pays.
Le débat en commission mercredi dernier a été nourri et, comme moi, plusieurs membres du groupe UC ont fait part de leurs réticences sur ce texte. Bien entendu, les critiques formulées ne visent en aucun cas à légitimer telle ou telle forme d’action militante, mais il nous paraît indispensable que, sous couvert d’intentions louables, nous ne portions pas atteinte aux libertés publiques de manière disproportionnée.
Or la rédaction initiale du texte était extrêmement peu précise, visant à faire entrer dans la définition du délit d’entrave le fait d’empêcher « tout évènement ou toute activité autorisée par la loi ». Il convient de rappeler à ce stade que c’est de notre code pénal qu’il est question cet après-midi. Celui-ci, sans être sacré, présente un caractère particulier et la formulation très générale, pour ne pas dire vague, de l’infraction que je viens de rappeler risquait sans doute d’être jugée incompatible avec le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines.
Je précise d’ailleurs que nous sommes en train d’examiner une proposition de loi et que nous ne bénéficions pas de l’éclairage juridique du Conseil d’État avant de l’examiner. Par conséquent, c’est bien à la commission des lois de cette maison d’examiner cette question.
Cet après-midi, il ne s’agit pas de modifier le code de l’environnement, comme c’était le cas avec l’amendement créant un délit spécifique d’entrave à la chasse adoptée par le Sénat, au mois d’avril dernier, lors de l’examen du projet de loi Biodiversité.
Que l’on soit pour ou contre cet amendement défendu par Jean-Noël Cardoux, il avait au moins le mérite de la clarté : il tendait à définir un délit qui ne concernait que l’entrave à la chasse, et il n’était pas question de modifier le droit pénal et le code pénal.
L’ensemble de ces éléments m’a conduit, avec plusieurs de mes collègues, à voter contre cette proposition de loi en commission.
L’opposition que nous avons formulée alors n’a pas été vaine, puisque, aujourd’hui, notre collègue Jean-Paul Prince, en collaboration avec l’auteur du texte, Jean-Noël Cardoux, et avec notre rapporteur, François Bonhomme nous propose une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition de loi. Celle-ci lève de nombreuses imprécisions ; elle permet également d’opérer une distinction salutaire entre les activités professionnelles, qu’elles soient commerciales ou artisanales, et les activités de loisir, comme la chasse.
Il est normal que la peine encourue lorsqu’il s’agit d’entraver une activité de loisir soit plus faible que lorsqu’il s’agit d’empêcher d’exercer une activité professionnelle.
Lors de la réunion du groupe Union Centriste aujourd’hui, nous avons largement débattu de ce texte et, à juste titre, de nombreux collègues ont fait valoir leur indignation face à des comportements violents à l’égard de certains commerçants ou à l’égard de chasseurs, comme face à l’intrusion dans des propriétés privées, comme des exploitations agricoles, ou à des actes de vandalisme.
Tous ces actes sont insupportables, et nous les condamnons évidemment. Quelle que soit la cause que l’on défend, on ne peut pas avoir recours à la violence dans notre pays. Toutefois, n’avons-nous pas déjà les outils juridiques pour faire cesser cette violence exercée contre des personnes ou contre des biens et pour en réprimer les auteurs ? Bien sûr que si !
Il est donc important de faire la part des choses. Nul besoin de légiférer aujourd’hui pour pouvoir poursuivre un militant qui aurait eu un comportement violent envers un boucher ou qui aurait incendié un poulailler. Nul besoin non plus d’un nouveau texte pour condamner l’auteur d’actes de vandalisme dans une exploitation agricole ou de vols d’animaux, ou celui qui viendrait dégrader une permanence parlementaire. L’ensemble de ces comportements tombe déjà, et c’est heureux, sous le coup de la loi pénale.
À juste titre, Philippe Bonnecarrère a rappelé ce matin en commission que ce texte participait d’une tendance préoccupante et alarmante : tout mettre dans la loi pénale et décliner à l’excès notre droit pénal spécial.
Cela explique que, au terme des débats que nous avons eus à la fois en commission des lois, à deux reprises, et lors de la réunion de notre groupe ce matin, nous voterons très majoritairement cette proposition de loi, si l’amendement proposé par Jean-Paul Prince est adopté. Un certain nombre de nos collègues nous ont indiqué vouloir s’abstenir. À titre personnel, je voterai ce texte amendé.
Avant de conclure, je tiens à attirer l’attention de la Haute Assemblée sur un point qui me semble extrêmement important.
Un certain nombre d’organisations agricoles se sont récemment mobilisées, car elles n’ont pas compris la décision prise en commission des lois la semaine dernière. Je pense qu’il faut leur adresser un message très clair : le monde agricole, lors de certaines mobilisations, bloque parfois des ronds-points, l’entrée d’un supermarché ou d’une préfecture, ou entrave la liberté d’aller et de venir, de se rendre dans un commerce ou le fonctionnement de nos administrations.
Je ne voudrais pas que ce type d’actes militants, qui sont socialement assez bien acceptés par nos compatriotes, parce qu’ils sont le fait des agriculteurs, soient pénalement sanctionnés.
M. Laurent Duplomb. Ils tombent déjà sous le coup de la loi !
M. Loïc Hervé. Cela a été rappelé tout à l’heure, le monde agricole et le monde rural souffrent. Je ne voudrais pas que la Haute Assemblée envoie comme message qu’elle souhaite que ces actes militants soient davantage sanctionnés. Je le répète, ces actes importants sont socialement et politiquement assez légitimes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour apprécier ce texte, il me semble important de le remettre dans son contexte.
Nous voyons bien ce qui est visé par les auteurs de cette proposition de loi : il s’agit de réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi. Nous pouvons tous, cela a été dit, souscrire à cet objectif. En effet, il ne faut pas oublier que l’histoire nous a montré que c’est souvent par des violences interdisant aux citoyens l’exercice de leurs droits et de leurs libertés constitutionnelles que des groupes ou des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques.
De fait, nous désapprouvons les manifestations qui font entrave à des activités légales et à l’expression de libertés publiques. Cela étant, la seule question que nous devons nous poser, en tant que législateur, est celle de savoir si les modifications proposées sont ou non pertinentes au regard du droit existant.
Or, premier constat, l’ensemble des textes existants permet déjà de sanctionner les actes de violence. L’article 431-1 est sur ce point relativement clair.
Deuxième constat, les modifications proposées aboutissent, à notre avis, à ne plus définir strictement le délit d’entrave, cela a été souligné à plusieurs reprises, ce qui est contraire au principe de l’intelligibilité de la loi. En effet, si l’on remplace les mots : « à l’aide de menaces » – l’un des éléments constitutifs du délit d’entrave – par les mots : « par tous moyens » – soit une référence générale –, les juges seront confrontés à la difficulté de caractériser les moyens d’entrave et de les imputer personnellement au prévenu. À cet égard, nous partageons complètement les propos de M. le secrétaire d’État.
À ce problème de preuve s’ajoute la complexification de la qualification. Le droit en vigueur vise le délit d’entrave, alors que l’alinéa 5 de l’article unique de la proposition de loi mentionne le fait « d’empêcher » la tenue d’un évènement. La distinction entre l’entrave et l’empêchement semble incertaine.
Troisième constat, les modifications semblent contraires au principe de légalité criminelle, qui exige la définition par la loi des comportements répréhensibles. En envisageant de réprimer ce qui viendrait « empêcher », qui plus est « par tous moyens », « tout évènement ou toute activité » dont on suppute qu’ils seraient autorisés parce que non expressément interdits, les auteurs de la proposition de loi invitent le législateur à incriminer l’ensemble du champ social.
Dans un état de droit, un comportement punissable doit au préalable avoir été défini comme tel dans la loi, cela a été rappelé. Quels que soient les inconvénients résultant de l’imperfection des textes répressifs et de l’opportunité de sanctionner un comportement déviant inédit, ce principe constitue une garantie contre l’arbitraire. L’article 114-4 du code pénal rappelle ce principe intangible : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »
Finalement, compte tenu de la fragilité juridique de la proposition de loi, la commission des lois s’est très majoritairement, mais pas tout à fait à l’unanimité, comme l’a souligné une collègue, prononcée contre le texte.
Nos débats ont montré que, si les termes de l’actuel article 431-1 du code pénal semblent mesurés, l’extension du domaine, telle que la propose le texte, viendrait à dénaturer le sens originel et introduirait dans notre droit un délit d’entrave général disproportionné, voire dangereux, qui viserait toute contestation collective.
Cette proposition de loi est une nouvelle illustration de ce que le doyen Carbonnier appelait « l’effet macédonien », c’est-à-dire une réaction générale et abstraite face à une agression concrète et particulière de moins grande ampleur.
Cela appelle de notre part une grande vigilance, car cette proposition de loi témoigne de ce phénomène, par lequel le législateur est sollicité en vue de restreindre la liberté de tous. Cette vigilance s’est, je crois, largement exprimée lors de l’examen du texte en commission des lois, et c’est plutôt rassurant sur notre institution.
Eu égard à ces éléments, et parce que nous désapprouvons, comme les auteurs de ce texte, les actes violents et répréhensibles qui ont eu lieu contre des activités légalement autorisées, il nous semble plus opportun et proportionné de reprendre la proposition faite par notre rapporteur en commission des lois : préciser que l’entrave réprimée à l’article 431-1 du code pénal peut prendre la forme de menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, mais aussi d’actes d’obstruction ou d’intrusion, ce qui permettra de qualifier un peu plus le terme « entrave ». C’est dans cet esprit que nous avons déposé l’amendement que nous examinerons tout à l’heure.
En revanche, nous groupe sera opposé à toute extension du champ d’application de l’article 431-1 qui pourrait signifier une criminalisation de l’ensemble du champ social, car cela reviendrait à avaliser l’inversion du rapport entre le principe de légalité criminelle et le comportement répréhensible.
Or il ne faut pas inverser cet équilibre, qui est précieux pour l’exercice des libertés publiques et des libertés constitutionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a plus d’un siècle, l’écrivain britannique Chesterton l’avait prophétisé : « Un temps viendra où l’on devra tirer l’épée pour défendre le droit de dire que, l’été, les feuilles sur les arbres sont vertes. »
M. Loïc Hervé. Belle référence !
M. Guillaume Chevrollier. Nous y sommes, en dépit du dérèglement climatique, qui brouille le rythme des saisons et fait désormais jaunir les feuilles en été.
Nous vivons en effet à une époque où il faut savoir réaffirmer les évidences et où l’on ne peut le faire parfois sans risquer gros.
La proposition de loi que nous examinons prévoit d’étendre le délit d’entrave, afin de pouvoir sanctionner toute action qui empêcherait l’exercice d’une liberté ou d’une activité autorisée par la loi. Aujourd’hui, en effet, nous devons légiférer pour sanctionner ceux qui entravent une liberté ou une activité légale et protéger ceux qui exercent cette activité légale. On marche sur la tête !
Je remercie donc Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi, qui, par ce texte, rappelle deux évidences qui sont au fondement de notre démocratie : que la liberté commence là où s’arrête celle des autres et que la France est un État de droit. Cela signifie que, dans notre pays, on ne doit pas pouvoir empêcher ce qui est autorisé.
Deux actions légales sont visées de manière de plus en plus récurrente : l’élevage et les activités de boucherie, mais aussi, plus largement, toutes les activités liées au monde rural. Dans mon département, je suis régulièrement interpellé par des éleveurs ou des exploitants victimes d’intrusions dans leur exploitation agricole par des individus ou des associations anti-viande, notamment.
Non seulement ces activistes sont pris en flagrant délit de violation de propriété et de non-respect des règles de biosécurité, mais ils font du mal à nos éleveurs et à notre agriculture. Or c’est grâce à nos éleveurs que la France est encore une puissance agricole de premier plan, représentant à elle seule 17 % de la production européenne.
Je rappelle que, dans chaque filière agricole, il y a des hommes et des femmes qui font bien leur travail et qui ont à cœur de nourrir la population. J’ajoute que nos éleveurs ont engagé de réels efforts pour améliorer le bien-être animal et mettre en œuvre un certain nombre d’avancées.
Sur le terrain, monsieur le secrétaire d’État, la situation est tendue. Certains agriculteurs, excédés, menacent d’intervenir eux-mêmes en séquestrant les individus. Imaginez les drames qui pourraient advenir ! Nous devons donc tout faire pour protéger les agriculteurs et éviter qu’ils ne se fassent justice eux-mêmes, au risque d’être par la suite eux-mêmes condamnés.
Comme l’a indiqué l’auteur de la proposition de loi, les actes d’intimidation concernent toutes les activités liées au monde rural. Nous devons donc enrayer la montée en puissance de ces pratiques et poursuivre leurs auteurs avec fermeté. Le monde rural ne saurait être victime d’intimidations sans protection de notre part. Il nous faut agir.
En tant que législateur, nous sommes les garants des droits et des libertés de valeur constitutionnelle. À ce titre, il apparaissait fondamental qu’une clarification juridique soit apportée, pour mieux définir le délit d’entrave et permettre des poursuites au civil et au pénal. La présente proposition de loi repose donc sur le constat que si les interdictions sont en règle générale assorties de sanctions, le législateur réprime plus rarement le fait de faire obstacle à ce que la loi autorise.
En l’état, il semble que, dès lors qu’aucune effraction n’est constatée, les intrusions ne sont pas pénalisables. L’article 431-1 du code pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, les peines étant aggravées en cas de violences ou de dégradations, les entraves à l’exercice de certaines libertés, précisément désignées par la loi. Il s’agit des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation.
L’objectif est de pouvoir sanctionner, par exemple, des blocus, des interruptions de représentations, des invasions de terrains rendant impossible pour les élèves l’accès à leur établissement, les actions qui empêchent des commerçants de vendre leurs produits, des consommateurs d’en acheter, ou encore des spectateurs d’assister à un spectacle.
L’article unique du texte prévoit ainsi de modifier la définition du délit d’entrave.
Mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera majoritairement en faveur de ce texte. Je vous invite à faire de même. Là où la liberté dans notre pays est menacée, il est de notre responsabilité de la protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite essayer de rassurer un peu.
La commission des lois a eu, au cours de deux séances successives, des débats approfondis sur ce texte. La semaine dernière, nous n’étions pas parvenus à un accord avec l’auteur de la proposition de loi, l’amendement qui avait été adopté en commission n’ayant pas paru suffisant à la majorité des membres de la commission.
L’auteur de la proposition de loi, Jean-Noël Cardoux, que je salue, a accepté, à la suite de cette réunion, de poursuivre son travail. Il s’est rapproché d’un certain nombre de collègues, notamment de M. Prince et de M. le rapporteur, qui a fait un travail considérable sur cette question, afin d’essayer de trouver une solution.
Ce travail n’a pas été inutile, car il nous a permis de parvenir à un bon équilibre, ce qui n’avait pas été le cas la semaine dernière. De mon point de vue, monsieur le secrétaire d’État, le délit est désormais caractérisé de manière suffisante. Le code pénal sanctionne déjà les violences et les atteintes aux biens ; la proposition de loi que nous allons, je l’espère, amender dans un instant n’a donc pas à le faire.
Pour éclairer le contexte général, nous pouvons rappeler que les actes de violence et de destruction se multiplient, ce qui est intolérable. Récemment encore – cela a été porté à votre connaissance –, un élevage de volailles a été incendié dans l’Orne. Un tel acte exige une répression très ferme, mais il n’est pas visé par la proposition de loi. Ce texte caractérise le nouveau délit qu’il s’agit de mettre en place par l’obstruction ou l’intrusion. Ces activités devront avoir été pacifiques, car, en cas de violences, elles pourraient être poursuivies en vertu des dispositions actuelles afférentes du code pénal.
On parle d’obstruction lorsque, par exemple, des personnes empêchent l’accès à une boucherie ou font stationner des véhicules afin d’empêcher le démarrage d’une chasse, mais d’autres activités pourraient être visées de la même manière. « Obstruction » et « intrusion » sont des termes précis.
L’amendement que la commission des lois a adopté ce matin vise également les actes faisant obstruction à des activités sportives ou de loisirs, ce qui est nouveau. Lorsque nous disons que nous voulons sanctionner l’obstruction à une activité commerciale, nous explicitons en fait la règle de la liberté du travail. Cette liberté s’applique aussi au commerce, à l’agriculture. On peut considérer que, en mentionnant la liberté du travail, expression qui peut paraître désuète à certains, ces secteurs sont couverts, mais cela va mieux en le disant. C’est pourquoi nous comptons bien le dire.
De cette manière, nous couvrons non seulement les activités professionnelles auxquelles il serait fait obstruction pacifiquement, mais dont on empêcherait réellement la mise en œuvre, mais aussi les activités sportives ou de loisirs.
Bien sûr, nous ne plaçons pas au même niveau les activités sportives ou de loisirs et les activités professionnelles. C’est la raison pour laquelle l’amendement que nous avons accepté tend à prévoir des peines nettement plus légères en cas d’obstruction à une activité de loisirs qu’en cas d’obstruction à une activité économique ou à la liberté du travail.
Enfin, bien sûr, la liberté d’expression et la liberté de manifestation sont pour la commission des lois des exigences très importantes, auxquelles je suis particulièrement sensible, croyez-le bien. Je le dis à l’intention d’Esther Benbassa, mais aussi de Loïc Hervé, qui s’est longuement exprimé en commission sur ce point. Nous avons d’ailleurs à cœur de défendre ces libertés constamment, et non uniquement dans le cadre de cette proposition de loi.
Nous pensons que, si vous adoptez l’amendement que nous avons accepté en commission des lois ce matin et sur lequel notre rapporteur a émis un avis favorable, la liberté d’expression et la liberté de manifestation seront évidemment préservées. À titre personnel, je refuserais, comme beaucoup d’entre nous, de souscrire à des dispositions qui les remettraient en cause. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Madame Benbassa, faire valoir ses convictions ne permet pas tout. Quand vous faites obstacle à une activité autorisée par la loi, voire encadrée par elle, comme la chasse, vous ne faites pas usage de votre liberté d’expression, vous instaurez en réalité un rapport de force pour empêcher une liberté de s’exprimer, et cela n’est pas convenable.
Mme Esther Benbassa. La chasse devrait être interdite !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On peut décider de défendre une cause et considérer qu’il faut interdire la chasse ou la vente de viande ou de poisson, mais on ne peut pas se faire justice soi-même en empêchant une activité que l’on voudrait interdire, mais qui, pour l’instant, est autorisée, je suis désolé de vous le dire. Nous ne pouvons pas l’accepter, parce que nous sommes ici les défenseurs des libertés.
Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter avant que ne s’engage le débat sur les amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi
Article additionnel avant l’article unique
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Menonville.
L’amendement n° 3 rectifié ter est présenté par MM. Duplomb, Bizet, Poniatowski, J.M. Boyer, Pointereau, D. Laurent, Cuypers, Karoutchi, Vaspart, H. Leroy et Chasseing, Mme Ramond, M. Courtial, Mme Deromedi, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat, Imbert et Férat, MM. Vogel et Canevet, Mme Duranton, MM. Moga et Laménie, Mme Lherbier, MM. Détraigne, Houpert et Savary, Mme Saint-Pé, MM. Lefèvre, B. Fournier, Sol, Panunzi, Segouin, de Nicolaÿ, Charon et Milon, Mmes Billon, Lassarade et Sittler, MM. Guerriau et Chaize, Mme Puissat, M. Bascher, Mmes Di Folco et Deseyne et MM. Kennel, Mayet et Louault.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 226-4-2 du code pénal, sont insérés des articles 226-4-3 à 226-4-6 ainsi rédigés :
« Art. 226-4-3 - Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait de s’introduire sans l’autorisation de son propriétaire ou d’une autorité compétente à l’intérieur d’un bâtiment dans lequel est exercée une activité agricole telle que définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.
« Le maintien dans le bâtiment à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa du présent article est puni des mêmes peines.
« Art. 226-4-4. – Le fait de provoquer, d’encourager ou d’inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à commettre l’infraction définie à l’article 226-4-3, lorsque ce fait a été suivi d’effet, est puni des peines prévues pour cette infraction.
« Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas suivis d’effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, les peines sont de six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.
« Art. 226-4-5. – L’infraction définie à l’article 226-4-3 est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise en réunion ;
« 2° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ;
« 3° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de violence sur autrui.
« Art. 226-4-6. – L’infraction définie à l’article 226-4-3 est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise soit avec l’usage ou la menace d’une arme, soit par une personne porteuse d’une arme soumise à autorisation, déclaration ou à enregistrement ou dont le port est prohibé ;
« 2° Lorsqu’elle est commise en bande organisée. »
La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Jean-Noël Cardoux de son travail et de sa volonté politique. Je salue également le travail de la commission des lois et de son rapporteur.
Ces dernières années, les exploitations agricoles ont subi des intrusions illégales de plus en plus fréquentes. Force est de constater que seule la violation de domicile est invocable. Or celle-ci n’est pas suffisante. Ces intrusions peuvent avoir des conséquences parfaitement dommageables, qui vont bien au-delà d’une pénétration dans un domicile. Les agriculteurs se trouvent donc trop souvent démunis face à la réponse apportée à ces intrusions.
Cet amendement tend à corriger cette situation en instaurant une infraction spécifique pour le monde agricole. Il s’agit de garantir le respect des bons usages en termes de biosécurité, de permettre la poursuite de toute personne qui, du simple fait de son intrusion dans un bâtiment agricole, prend le risque de mettre en danger les aliments, mais aussi la santé publique, bien évidemment. C’est un enjeu en termes de justice, bien sûr, mais aussi en termes sanitaires et de sécurité alimentaire.
Ce que vivent les agriculteurs concernés est totalement inacceptable. Il est donc absolument nécessaire de renforcer les dispositions législatives applicables en la matière.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié ter.
M. Laurent Duplomb. Pour défendre cet amendement, je raconterai une histoire qui illustre bien la réalité que nous vivons.
J’ai un jour reçu le coup de téléphone d’un gendarme de ma commune, qui souhaitait m’informer des résultats de l’enquête de l’un de ses collègues de l’Aveyron sur un activiste.
Cette personne était en possession de photos des boucles d’oreilles de mes animaux ! Je me suis dit qu’elles avaient sûrement été prises dans la bouverie d’un abattoir, mais je me suis très vite rendu compte que tel n’était pas le cas et que, en réalité, des personnes s’étaient introduites dans mon exploitation, en 2017, à mon insu, sûrement en pleine nuit, qu’elles y avaient installé une caméra, qu’elles avaient pris des photos d’une partie de mon bâtiment et qu’elles étaient même revenues une seconde fois pour modifier l’emplacement de la caméra et prendre d’autres photos !
Sur ces photos, on voit les animaux, mais aussi mon épouse et mon beau-père en train de travailler. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Il n’y avait rien à redire à notre travail et rien à critiquer, mais il n’en reste pas moins qu’il faut régler ce problème.
Qui peut accepter que l’on s’introduise ainsi chez lui, dans son domaine privé, que l’on viole son intimité, parce que l’on présume qu’il ne s’occupe pas comme il faut de son animal domestique ou qu’il oublie d’éteindre la lumière, et que l’on y filme tout ce qu’il fait, pour ensuite lui faire la leçon ? Personne ! Les agriculteurs doivent-ils accepter cela ?
Les bâtiments des exploitations sont difficiles à sécuriser. Les agriculteurs ne peuvent pas passer leur temps à fermer leurs portes. Ils n’ont pas les moyens d’employer des agents de sécurité pour empêcher des gens de rentrer chez eux. Compte tenu de la surface de leur exploitation, tout cela coûterait trop cher.
Si nous ne faisons rien aujourd’hui, ce sera pire demain ! Le risque est de susciter de la haine, de monter les gens les uns contre les autres et de faire bientôt disparaître le vivre ensemble dans notre pays. On passera son temps à condamner les actes et les idées des autres. Ce n’est pas possible dans un pays de liberté !
Jusqu’à présent, une intrusion seule, sans nuisances effectives, juste aux fins de filmer l’activité, n’est pas condamnable. Là au moins, elle le sera, et j’en serai fier. Et j’espère que ceux qui commettent de tels actes seront condamnés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
Cela étant, je retire mon amendement, monsieur le président, au profit de celui de M. Prince.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 1 rectifié ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Évidemment, je partage pleinement les préoccupations exprimées par l’auteur de cet amendement, car il est vrai que les intrusions dans les bâtiments agricoles peuvent avoir des conséquences dommageables, pour ne pas dire dramatiques.
Pour autant, cet amendement me paraît en grande partie satisfait. Notre droit pénal permet déjà de sanctionner le fait de s’introduire et de se maintenir dans un local industriel, commercial ou professionnel sans l’accord de son propriétaire. C’est l’article 226-4 du code pénal.
Le fait d’inciter autrui à commettre cette infraction peut également être sanctionné, sur le fondement de l’article 121-7 du même code. Les violences, les destructions et les dégradations qui seraient commises à l’occasion d’une intrusion dans des locaux professionnels peuvent aussi être poursuivies et sanctionnées. Il me semble donc que nous disposons déjà d’un arsenal législatif complet et suffisamment dissuasif pour lutter contre les intrusions dans les bâtiments agricoles.
L’enjeu est d’appliquer avec détermination les dispositions en vigueur, monsieur le secrétaire d’État. La chancellerie a d’ailleurs donné au parquet des instructions de fermeté pour le traitement de ces affaires.
J’ajoute que, de manière plus générale, il n’est sans doute pas de bonne pratique législative de multiplier dans le code pénal les incriminations spécifiques, comme c’est le cas en l’espèce. Il me semble préférable de conserver un petit nombre d’incriminations de portée générale.
Permettez-moi maintenant, monsieur le président, de revenir sur les instructions pénales auxquelles je viens de faire référence.
L’instruction pénale de février 2019 qui a été donnée par la chancellerie aux parquets de France concerne les mouvements animalistes radicaux et leurs actions contre des bouchers-charcutiers et des restaurateurs. En revanche, elle ne s’applique pas à un autre phénomène qui prospère, à savoir les saccages de cultures, notamment de la part d’individus qui se réclament évidemment de collectifs de citoyens et dont les modes d’action sont très violents, puisqu’ils se livrent à la destruction de parcelles ou à leur pollution génétique, en y disséminant des graines afin de les contaminer et de les rendre impures.
De telles pratiques, de telles destructions ont été dernièrement commises dans l’Aveyron, dans les Deux-Sèvres, ou encore dans le Rhône. Vous imaginez le nombre d’années de recherche et d’investissement que cela représente pour la filière des semenciers ? Et cela crée évidemment un climat de défiance.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous prendre l’initiative de demander à Mme la garde des sceaux de compléter son instruction pénale en ce sens ?
Quoi qu’il en soit, pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, je demande le retrait de l’amendement n° 1 rectifié. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je partage bien évidemment l’objectif de l’auteur de cet amendement, qui vise des situations bien particulières, à savoir les intrusions dans des exploitations agricoles.
Toutefois, si l’amendement n° 1 rectifié n’était pas retiré, j’émettrais un avis défavorable, pour la bonne et simple raison que la jurisprudence judiciaire interprète de manière très large la notion de violation de domicile et y inclut les locaux professionnels.
Nous n’avons pas d’exemples de jurisprudences concernant des exploitations agricoles, même si les intrusions constituent malheureusement un phénomène bien réel, mais nous en avons concernant des bâtiments industriels. On le voit, la notion de voies de fait, par exemple, est assez largement retenue par le juge, a fortiori quand des photos ou des films sont réalisés. Le droit en vigueur permet donc déjà de sanctionner le délit qu’est la violation de domicile.
Notez également – M. le rapporteur le soulignait – la difficulté de spécifier des types d’intrusion selon le type de bâtiment. Il serait difficile de différencier les bâtiments agricoles des autres.
Enfin, comme le président de la commission des lois le rappelait, une intrusion avec des dégradations et des violences donne a fortiori matière à action pénale.
Monsieur le rapporteur, l’instruction de février 2019 adressée par la Direction des affaires criminelles et des grâces à l’ensemble des parquets visait principalement les mouvements antispécistes, animalistes, et rappelait les infractions sur lesquelles ces actions pouvaient être réprimées, allant de la pénétration dans les abattoirs à l’empêchement d’activité, en passant par les entraves à l’activité de bouchers.
Le champ était très large. Les actions de fauchage volontaire et autres n’étaient pas visées par cette instruction, mais je vous confirme que celles-ci constituent bien un délit au titre des dégradations ; elles ont déjà donné lieu à des condamnations. L’infraction de destruction en réunion est ainsi passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Les parquets y sont sensibilisés.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Monsieur Menonville, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Franck Menonville. Non, je le retire, monsieur le président, au profit de l’amendement de notre collègue Jean-Paul Prince, qui sera examiné dans un instant et qui tend à préciser la notion d’intrusion, répondant ainsi à nos préoccupations.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Article unique
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « à l’aide de menaces » sont remplacés par les mots : « par tous moyens » ;
b) Les mots : « ou d’entraver » sont remplacés par les mots : « , d’entraver » ;
c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisé par la loi, » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « d’une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l’un des droits et libertés mentionnés ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Prince, Cardoux, Luche et Janssens, Mmes Guidez et Billon, MM. Longeot et Moga, Mme Saint-Pé, M. Chevrollier, Mmes Richer, Gruny et Sittler, M. Courtial, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Deroche, MM. Reichardt, Charon, de Nicolaÿ et Pierre, Mme Lopez, MM. Saury, Duplomb, Brisson et J.M. Boyer, Mme Puissat, M. Vaspart, Mme Ramond, MM. D. Laurent, Médevielle et Rapin, Mme Morhet-Richaud, MM. Houpert, Bizet et Mayet, Mme Chauvin, MM. Canevet et B. Fournier, Mme Troendlé, MM. Calvet, Détraigne, Henno, Louault, Piednoir et Gremillet, Mme Bruguière et MM. Savary, Milon, H. Leroy et Chaize, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou d’actes d’obstruction ou d’intrusion » ;
b) Les mots : « ou d’entraver » sont remplacés par les mots : « , d’entraver » ;
c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d’entraver l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont punis d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes d’obstruction ayant pour effet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal. » ;
3° Au dernier alinéa, les mots : « d’une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l’une des libertés ou activités mentionnées ».
La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. L’amendement que je soumets au vote de notre assemblée vise à apporter une solution équilibrée aux actes d’obstruction, parfois violents, dont sont victimes certains de nos compatriotes. Je pense notamment aux agriculteurs, aux bouchers, aux chasseurs et aux pêcheurs, mais d’autres sont également visés.
Cet amendement tend à donner une définition plus précise et plus explicite de l’entrave. De plus, le régime de peines est modifié : les entraves aux activités professionnelles, commerciales, artisanales et agricoles sont punies d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, tandis que les actes d’obstruction aux activités sportives et de loisirs sont punis de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende.
En démocratie, chacun est libre de ses opinions, mais la décision de limiter telle activité ou d’interdire telle profession n’appartient qu’au peuple ou à ses représentants délibérant dans un cadre démocratique.
C’est pourquoi j’espère que la présente proposition de loi sera votée par le Parlement et que ces comportements inacceptables disparaîtront, au profit du débat démocratique et du respect mutuel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur, Kanner, J. Bigot, Durain et Fichet, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mme Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d’obstruction ou d’intrusion » ;
b) La seconde occurrence des mots : « d’entraver » est supprimée ;
2° Au deuxième alinéa, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d’obstruction ou d’intrusion ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Par cet amendement, nous nous efforçons de clarifier la notion de menaces ou de la compléter. La rédaction de la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée est trop imprécise, et son adoption serait de nature à remettre en cause la liberté d’expression, de réunion, de manifestation que l’article 431-1 du code pénal a justement pour objet de protéger.
Les propos de Loïc Hervé me paraissent intéressants, même si je n’ai pas bien compris sa conclusion : faisons attention de ne pas insérer dans la loi des éléments qui vont se retourner contre ceux qui les réclament aujourd’hui. Nous ne pouvons pas dire tout et son contraire. Ce qu’il a dit dans son intervention devrait être entendu.
Cela dit, nous sommes en accord avec les intentions des auteurs de la proposition de loi. Notre proposition nous paraît équilibrée, en précisant que l’entrave réprimée à l’article 431-1 du code pénal peut prendre la forme de menaces, de coups, de violences, de voies de fait, de destructions ou de dégradations, comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi d’actes d’obstruction et d’intrusion.
Comme je l’ai souligné en discussion générale, il ne s’agit en aucun cas d’étendre le champ d’application de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. L’amendement de M. Prince est le produit d’une réécriture globale opérée avec l’auteur de la proposition de loi. Il a pour objet de répondre aux critiques formulées en commission et en séance, en réduisant l’imprécision du texte, afin de ne pas porter atteinte au principe constitutionnel de précision et de clarté de la loi pénale, tout en restant fidèle aux objectifs.
Je rappelle simplement qu’il comporte trois avancées.
Tout d’abord, il vise à préciser les modalités de l’entrave qui peut être opérée en visant les actes d’obstruction ou d’intrusion. Cet ajout permettrait précisément de réprimer efficacement ces entraves constatées sur le terrain.
Ensuite, il tend à mentionner les entraves aux activités commerciales, artisanales et agricoles. Il s’agit d’une formulation plus précise, qui fait référence à tous les évènements et à toutes les activités autorisés par la loi.
Enfin, il a pour objet d’introduire, comme cela a été dit par le président de la commission, un délit d’entrave aux activités sportives et de loisirs exercées dans un cadre légal, mais avec un quantum de peines plus réduit. Il paraît en effet pertinent de sanctionner plus lourdement les entraves aux libertés fondamentales que sont les activités économiques que de punir les entraves à la chasse.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 2 rectifié ter.
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié de Mme Harribey, qui vise à préciser seulement le mode opératoire et non les types d’activités auxquelles le délit d’entrave trouverait à s’appliquer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement prend acte de la volonté constructive et des efforts rédactionnels qui ont été apportés au texte par l’amendement présenté par M. Prince.
Je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage l’objectif qui est le vôtre de contrer ce type d’entrave. J’ai rappelé, dans mon propos liminaire, l’action des services de gendarmerie et de police, mais aussi celle de la justice et des services de renseignement, qui ont été orientés sur ces objectifs, ce qui est nouveau. Nous agissons donc de façon résolue, ferme et déterminée pour mettre un terme à ces actes que nous condamnons tous.
Même en prévoyant que l’entrave peut résulter d’actes d’obstruction et d’intrusion, les éléments constitutifs de l’infraction restent imprécis et paraissent donc contraires au principe de la légalité des délits et des peines. La jurisprudence indique d’ailleurs que le délit d’entrave est suffisamment défini par les termes de « violences » ou de « voies de fait ».
De surcroît, la création d’un délit d’entrave pour certaines activités économiques, comme le vise l’amendement, n’est pas forcément cohérente, puisqu’il existe déjà un délit d’entrave à l’exercice de la liberté du travail. La disparition de toute référence à des actes précis pour caractériser l’entrave apparaîtrait donc également contraire à la Constitution.
Cette modification ne semble par ailleurs pas nécessaire, dans la mesure où le droit positif punit déjà les troubles auxquels cet amendement tente de répondre.
Pour l’ensemble de ces motifs, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. J’étais cosignataire de l’amendement de Laurent Duplomb, dont je comprends tout à fait le retrait à la suite des explications du président et du rapporteur de la commission des lois. J’avais lu également les extraits du débat en commission des lois, et je souscris au fait que ces exactions sont déjà prises en compte dans la législation.
Toutefois, je suis surpris des propos de M. le secrétaire d’État, qui évoque des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour des destructions de cultures…
Monsieur le secrétaire d’État, le tribunal correctionnel de Marmande, le 16 novembre 2010, a relâché 84 des 86 individus qui avaient détruit des parcelles. Il n’a condamné certains d’entre eux qu’à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 50 euros d’amende. À force de minimiser le niveau des amendes et les peines d’emprisonnement réclamées par le parquet et décidées par les tribunaux, on confère aux auteurs d’exactions une quasi-impunité !
J’étais le rapporteur de la transcription en droit national de la directive 2001/18/CE et, quelques années plus tard, en 2008, de la loi de coexistence des cultures, prévoyant des peines de 75 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement.
Mme Cécile Cukierman. D’année en année, on renforce l’échelle des peines !
M. Jean Bizet. À force de laxisme, on s’oriente vers une situation où l’on prive nos exploitations agricoles et nos entreprises de leur compétitivité, et il finira par ne plus y avoir de recherche en France.
Quand M. le rapporteur parle de semences conventionnelles, il ne s’agit pas de biotechnologies. On fragilise l’une des plus belles filières semencières européennes, la filière française, qui représente pratiquement 12 000 emplois et plus de 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande très sincèrement de revoir ce que le législateur avait voté à l’époque, c’est-à-dire des pénalités de 75 000 euros et de deux ans d’emprisonnement en la matière. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Finalement, de quoi parle-t-on ? D’intrusion, d’obstruction, d’entrave, d’agression, de destruction : tout cela, naturellement, n’est pas compatible avec la République, monsieur le secrétaire d’État, vous en êtes d’accord.
On pourrait parler aussi du vol de portraits du Président de la République dans les mairies, comme cela s’est produit à Assas, dans mon département, avec l’intrusion d’une quinzaine de personnes bousculant tout le monde. Ce n’est pas convenable !
De plus, ce qui est beaucoup plus grave et qui doit nous interpeller, ce sont les jurisprudences. Lorsque le juge décide que voler le portrait du Président de la République dans une commune, finalement, c’est défendre une cause juste, cela pose un problème ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. Bruno Retailleau. C’est lamentable !
M. Jean-Pierre Grand. Je crois que tout est lié. L’intolérance s’étend aujourd’hui comme un cancer,…
Mme Éliane Assassi. Nous sommes d’accord !
M. Jean-Pierre Grand. … et c’est la démocratie, la République et nos concitoyens qui en sont les victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Sans surprise, ma collègue Esther Benbassa l’a dit en discussion générale, nous ne voterons pas cet amendement et, de fait, cette proposition de loi.
Certes, la majorité sénatoriale a justifié un recentrage de ce texte, mais nous savons tous que seuls les écrits restent. Or la proposition de loi, telle qu’elle est rédigée, permet d’autres interprétations que les seuls faits que vous entendez, dans vos interventions, vouloir réprimer.
De plus, mais c’est un débat récurrent que nous avons de part et d’autre de cet hémicycle et au-delà, croire que créer de nouvelles peines ou les augmenter suffira à faire trembler celles et ceux qui commettent ces actes, quoi que l’on puisse penser de ces derniers, est quelque peu naïf à mon sens.
Oui, notre société est de plus en plus violente. Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, même si votre gouvernement n’est pas le seul responsable, le sentiment de ne pas être entendus collectivement pousse de plus en plus de nos concitoyens à commettre des actes violents, en tout cas sensationnels, et à les partager massivement sur les réseaux sociaux, ce qui nous pose de nouveaux soucis.
S’engager et défendre une cause, ce n’est pas non plus : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette… ». Heureusement que certains se sont introduits dans des usines pour organiser des bals sans rien détruire pour obtenir les congés payés dans notre pays ! (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jean Bizet. Ça suffit avec les congés payés !
Mme Cécile Cukierman. Heureusement que des agriculteurs s’introduisent parfois dans des supermarchés pour dénoncer des accords comme le CETA, sans forcément dégrader le supermarché en question.
M. Jean Bizet. Ils ne cassent rien !
Mme Cécile Cukierman. Il existe des rapports de force. C’est pourquoi nous ne voterons pas ce texte tel qu’il est rédigé, car il va sanctionner tout le monde. Nous avons été amenés les uns et les autres à condamner des actes de violence, mais nous ne partageons pas les moyens choisis pour porter ce message politique.
Je fais partie de ceux qui ont condamné l’incendie de l’abattoir de l’Ain,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. … les exactions contre le siège de la fédération des chasseurs de l’Ardèche cet été, etc. Ne mélangeons pas les débats et évitons d’interdire demain la possibilité de toute expression dans notre pays !
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’ai écouté nos débats avec beaucoup d’intérêt et j’avoue, monsieur le secrétaire d’État, mon incompréhension.
Dans votre propos liminaire, vous nous dites que la proposition de loi est trop imprécise et risque d’être sanctionnée constitutionnellement. Nous y travaillons et proposons une rédaction mieux ciselée correspondant à l’objectif assigné, et à présent vous nous dites que le texte est trop précis et redondant avec certaines dispositions. Quoi que nous fassions, cela ne vous aurait pas convenu, je le crains…
Je me permets de vous citer un nouvel extrait de la lettre que m’avaient envoyée à l’époque deux ministres et que j’ai évoquée tout à l’heure lors de la discussion générale : « La proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Noël Cardoux il y a quelques mois avait justement un objectif plus large et nous paraît être le bon cadre pour un examen par les assemblées de ces questions. En parallèle, il importera de caractériser finement les situations d’entrave et les activités dans lesquelles elles se manifestent, ainsi que les moyens d’y remédier, le cas échéant. »
L’amendement de Jean-Paul Prince, brillamment décortiqué par le président de la commission des lois, Philippe Bas, tend justement à traduire cette analyse fine.
Par ailleurs, un élément fondamental a été quelque peu oublié : avec ce texte, les obstructions aux activités cynégétiques seront dorénavant sanctionnées pénalement comme un délit et non plus comme une contravention, ce qui sera bien plus dissuasif. Le monde de la chasse attend cette disposition depuis longtemps.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère simplement que vous saurez rappeler à l’Assemblée nationale la très forte attente du monde rural. Le Sénat, une fois de plus, a travaillé d’une manière intelligente et constructive pour apporter des solutions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Mon point de vue se rapproche de celui de notre collègue Jean-Pierre Grand.
Il est tout à fait inadmissible de se livrer, sous couvert de défendre telle ou telle cause, à des opérations complètement illégales. C’est vrai lorsque l’on voit certaines personnes dégrader l’Arc de Triomphe, décrocher le portrait du Président de la République – ce n’est pas à M. Macron, mais au Président de la République que l’on porte atteinte –, ou commettre des exactions dans des fermes ou sur des lieux de travail.
Il est extrêmement important de créer une rupture par rapport au laxisme des juridictions. Il est invraisemblable que celles-ci traitent les dossiers en quelque sorte par-dessus la jambe. De plus en plus de gens commettent des exactions au nom de telle ou telle manifestation. Certains de nos collègues ont le droit de manifester plein la bouche,… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Eh oui ! C’est un droit constitutionnel.
M. Jean Louis Masson. … mais celui-ci doit s’arrêter au respect de la légalité.
Mme Éliane Assassi. Nous sommes d’accord !
M. Jean Louis Masson. Sous couvert du droit de manifester, on se place en dehors de la légalité. C’est intolérable !
Mme Éliane Assassi. Vous devriez balayer devant votre porte !
M. Jean Louis Masson. Il est d’ailleurs extraordinaire que ceux qui se battent le plus pour le droit de manifester viennent ensuite manifester pour empêcher d’autres de le faire ! Eh bien, il faut réagir très fermement à ce type de réactions. Ce que je reprocherais à cet amendement, c’est de ne pas être assez ferme.
Mme Cécile Cukierman. Rétablissez la peine de mort tant que vous y êtes !
M. Jean Louis Masson. Je suis contre le droit de manifester, si cher à nos collègues communistes, quand c’est le droit des casseurs ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cécile Cukierman. Vous dites n’importe quoi ! Nous n’avons jamais toléré les casseurs dans les manifestations !
M. Jean Louis Masson. Il faut tolérer les manifestations pacifiques, mais être beaucoup plus dur, voire méchant contre ceux qui usent et abusent de celles-ci pour pourrir la vie des autres, des entreprises, de ceux qui ne pensent pas comme eux. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Vos propos sont populistes !
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Monsieur le secrétaire d’État, votre explication m’a semblé un peu courte. Vous nous dites que le délit d’entrave est déjà caractérisé par les voies de fait ou les violences, mais ce n’est pas le cas ! Avec tout le respect que j’ai pour vous, nous le caractérisons autrement.
On peut par exemple empêcher un libraire de travailler en l’empêchant d’entrer dans sa librairie. L’entrave n’est pas uniquement constituée par des voies de fait et des violences ! Les mots en français ont un sens, notamment en matière juridique.
Votre définition de l’entrave est considérablement réduite. Ces amendements tendent à la préciser et éventuellement à l’élargir. Il faut bien évidemment les voter.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. On peut souscrire à la nécessité de préciser l’entrave, mais pas à la création de nouvelles qualifications pénales.
Ces nouvelles qualifications visent des atteintes aux activités commerciales, artisanales ou agricoles exercées dans le cadre légal, cela va de soi, ainsi que des actes d’obstruction, sans plus de précisions, ayant pour effet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir.
Or ces nouvelles qualifications ne nous paraissent pas s’imposer, car elles peuvent déjà être poursuivies sur le fondement de l’article 431-1 du code pénal protégeant la liberté du travail et la liberté d’association. En effet, une activité sportive s’exerce dans le cadre d’une association et une pratique professionnelle dans celui de la liberté du travail.
En multipliant les spécificités et les qualifications, on aboutira à un inventaire à la Prévert sans jamais parvenir à tout inclure. Cela ne nous semble guère judicieux. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste, dans sa très grande majorité, ne votera pas cet amendement. Quelques-uns d’entre nous s’abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Luche. Je suis surpris par les propos de M. le secrétaire d’État et de certains de mes collègues. Un délit, cela relève du pénal. Et l’amendement de notre collègue Prince vise précisément à décrire les peines encourues au tribunal.
Je suis sans cesse sollicité par des agriculteurs dont les exploitations se font taguer pendant la nuit. Des incendies ont eu lieu dans l’Orne, cela a été dit. Je suis également sollicité par des chasseurs dont les miradors sont détruits tous les week-ends, les maisons de chasse, les parcs d’entraînement de certains gibiers tagués tous les matins, mon collègue Alain Marc le rappelait. Cela devient insupportable !
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, je suis chasseur. Mon père chassait. Mon grand-père chassait et pêchait pour se nourrir. Or, à l’allure où nous allons, mes arrière-petits-enfants ne pourront plus chasser. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Et vous qui vous opposez aujourd’hui à ce loisir, vous serez surpris par la révolte des paysans envahis par les cervidés, les sangliers et autres gibiers, parce que l’équilibre de la nature ne se fera pas naturellement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. En Corrèze, une dizaine d’agriculteurs se sont réunis, dont certains Creusois, pour réaliser une ferme d’engraissement de 400 à 500 veaux, dans de très bonnes conditions. Je rappelle que, en Italie, ces fermes comptent près de 5 000 veaux. Or une partie de la ferme a été incendiée, avec des préjudices graves.
Récemment, des engins qui travaillaient à la mise en place d’une serre à tomates complètement écologique, puisqu’elle était chauffée par la combustion des ordures ménagères, ont été incendiés. Certains ne souhaitent pas que l’on puisse cultiver des tomates l’hiver… Peut-être veulent-ils qu’on les achète en Espagne ou ailleurs ? Cela a causé également un grave préjudice.
L’année dernière, une entreprise d’abattage de bois a été incendiée à Ussel, soit 6 millions d’euros de dégâts, au prétexte que certains refusent les coupes rases de sapins, pourtant nécessaires à la rentabilité, bien sûr. C’est extrêmement dommage pour l’emploi. La communauté de communes d’Ussel a pu, avec l’aide de la région et de l’Europe, reconstruire l’entrepôt, mais ce sont tout de même 6 millions d’euros d’argent public qui ont été dépensés.
Nous respectons, bien sûr, les avis divergents dans notre démocratie, mais la République, c’est la liberté et non la violence. C’est non par des gestes de destruction, mais par la discussion et le vote majoritaire que l’on doit s’exprimer.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit que la loi actuelle suffisait, mais cette proposition de loi, à mon sens, conforte la loi actuelle en apportant des réponses plus précises aux actes d’entrave. Nous sommes rassurés : ce texte ne menace pas la liberté de manifestation et de réunion, le président Philippe Bas l’a très bien expliqué. Les manifestations d’agriculteurs ou autres ne sont pas menacées.
En ce qui me concerne, je voterai l’amendement n° 2 rectifié ter tendant à réécrire la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Notre collègue Laurence Harribey a parfaitement exprimé les raisons qui ont conduit le groupe socialiste à proposer un amendement. La commission avait émis un avis favorable sur celui-ci, sous réserve de rectification. Je n’ai donc pas compris les arguments du rapporteur, ni le sort qu’il lui a réservé dans le débat !
Pour ma part, je me retrouve dans l’amendement de Laurence Harribey, qui tend à répondre au problème posé, même si je suis solidaire des demandes exprimées par Jean-Noël Cardoux ; nous siégions ensemble au sein de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, et il lui avait été demandé de retirer son amendement sur la chasse pour permettre à la CMP d’aboutir.
Une majorité du groupe socialiste ne votera pas l’amendement n° 2 rectifié ter. En revanche, certains de nos collègues, qui soutiennent, notamment, la chasse, s’abstiendront pour ne pas mettre en péril la proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Selon son objet, le présent amendement vise à affiner le texte initial en offrant plus de précisions dans la définition des infractions et des peines associées. Il tend ainsi à sanctionner d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende les entraves aux activités professionnelles et de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes d’obstruction aux activités sportives et de loisirs.
Nous nous opposons bien évidemment à la logique d’une telle proposition, qui, loin d’atténuer les effets du texte d’origine, vise la même logique répressive et porte atteinte aux libertés fondamentales.
Va-t-on vraiment punir les citoyens qui forment un blocus autour des supermarchés afin de dénoncer pacifiquement le consumérisme de nos sociétés ? Va-t-on emprisonner les militants de la cause LGBT qui mèneront des actions lors des matchs de foot, afin de faire cesser les chants homophobes dans les stades ? Ces actions ne constituent en rien un danger pour notre population et ne sauraient être réprimées de la sorte.
Elles sont, au contraire, d’utilité publique et permettent d’informer et de conscientiser nos compatriotes.
Pour cette raison, et d’autres encore, nous nous opposerons à l’adoption du présent amendement, qui a reçu un avis favorable en commission.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Si j’ai bien compris, monsieur le président, ces prises de parole sur cet amendement vaudront aussi explications de vote sur le texte…
J’entends que le rapporteur soutient l’amendement présenté par M. Prince. L’amendement de mon groupe ne sera donc pas suivi, et la question sera celle du vote final.
Monsieur le secrétaire d’État, pour une fois, je suis d’accord avec vous : ce texte est globalement inutile. Toutefois, vous ne précisez pas pour quels motifs les autres textes que vous citez ne sont pas mis en œuvre. Ont été évoqués des incivilités, des exactions, des incendies volontaires, etc. Certes, l’arsenal pénal est suffisant pour poursuivre les auteurs de ces infractions, mais la véritable difficulté est d’arriver à les confondre, à les citer et à les poursuivre.
Comment voulez-vous poursuivre l’incendie nocturne d’une guérite de chasseurs isolée si vous ne retrouvez pas l’auteur de l’acte ?
J’ai le sentiment que, avec ce texte, on va se faire plaisir en adressant un message aux chasseurs et aux agriculteurs. Mais, en réalité, rien ne fonctionnera.
Monsieur Grand en parlait : lorsque des juges – du tribunal de Lyon, pour ne pas les citer – vont jusqu’à justifier la soustraction du portrait du Président de la République par l’état de nécessité, on peut en effet penser qu’ils signent un acte politique. Mais cette expression du juge fait aussi partie du mode de fonctionnement de la justice ; il ne statue pas seul en dernier recours, et la cour d’appel pourra se prononcer si le procureur de la République en décide ainsi.
L’arsenal législatif existe, le problème, c’est sa mise en œuvre, notamment en raison des capacités de la police et de la justice. C’est sur ces moyens qu’il faut agir, plutôt que sur une disposition législative qui permettra certes de communiquer dans la presse, mais qui restera illusoire. Et quand le législateur se fait marchand d’illusions, mes chers collègues, il perd une part de son pouvoir et de son efficacité.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.
M. Jean-François Longeot. Je suis quelque peu surpris par la réaction du secrétaire d’État.
On s’émeut toujours lorsqu’un drame survient. Or, face à l’augmentation inquiétante des actes d’entrave, nous avons aujourd’hui l’opportunité de légiférer et de nous positionner. Nous n’allons pas rester sans rien faire ! Sinon, que dira-t-on le jour où un agriculteur, par dépit, après avoir subi plusieurs attaques, tirera sur un individu qui comment des actes de malveillance dans sa ferme ? On condamnera vraisemblablement l’agriculteur…
Au lieu de nous émouvoir a posteriori, pour une fois, essayons de prévenir ! Cet amendement me semble le bienvenu. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. J’ai écouté avec attention les interventions des différents collègues qui soutiennent ce texte : tous les exemples qu’ils ont cités, sans exception, constituent des infractions pénales, qu’il s’agisse des incendies, des violations de propriété privée ou des violences.
M. Jean Bizet. Mais ils ne sont pas sanctionnés !
Mme Laurence Rossignol. Pourquoi faudrait-il alourdir le code pénal alors que les faits en question sont déjà sanctionnés ? Et croyez-moi, ce n’est pas en votant une proposition de loi portant modification de l’article 431-1 du code pénal que vous donnerez à la police les moyens d’enquête qui lui manquent. Car le vrai sujet, c’est bien celui-là.
Par ailleurs, cette proposition de loi est dangereuse, car elle est attentatoire à nos libertés fondamentales. L’article 431-1 du code pénal protège la liberté d’expression, non seulement en prévoyant une sanction pénale pour ceux qui y porteraient atteinte, mais aussi par la double exigence de l’action concertée et de la menace.
Si nous allons plus loin, nous portons atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de manifester et à la liberté d’opinion. Nous avons beaucoup parlé de la chasse dans ce débat. Chacun sait ici que j’ai déposé une proposition de loi pour l’abolition de la chasse à courre. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. François Bonhomme, rapporteur. Oh là là !
Mme Laurence Rossignol. C’est mon droit de parlementaire !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
Mme Laurence Rossignol. Et si je l’ai fait, c’est parce que je ne suis pas isolée, dans une région où l’on pratique la chasse à courre, mais où les chasseurs font la différence avec la chasse à tir.
Si nous appliquions ce nouvel article 431-1, le simple fait de se promener dans une forêt de l’ONF, par ailleurs louée à des équipages de vénerie, deviendrait une infraction pénale passible des peines prévues dans ce texte !
M. Loïc Hervé. C’est faux !
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Le groupe de l’Union Centriste votera évidemment l’amendement de notre collègue Jean-Paul Prince, et cela pour plusieurs raisons.
Il est beau de faire des observations dans l’hémicycle et de considérer que le texte est trop imprécis. Mais, quand des efforts significatifs ont été faits par l’auteur du texte et par l’un de nos collègues et quand le rapporteur estime que l’amendement proposé vise à apporter des améliorations significatives, il faut, me semble-t-il, faire preuve de cohérence et mettre en œuvre cette science du compromis qui permet d’accomplir un bon travail parlementaire.
Les dispositions de l’amendement proposé par Jean-Paul Prince marquent un progrès important, d’où le vote très large en sa faveur sur les travées du groupe de l’Union Centriste.
J’en profite aussi pour répondre à Laurence Harribey, qui évoquait les risques d’effets de bord que j’avais soulignés en discussion générale. Notre rôle de législateur est aussi de prévenir ces derniers. Je tenais à sensibiliser l’ensemble de l’hémicycle sur cette question, même si cela ne remet nullement en cause mon soutien à l’amendement de Jean-Paul Prince, qui constitue un bon compromis.
Or, vous le savez, mes chers collègues, le compromis, chez les centristes, est une notion importante ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur. Je souhaite répondre à notre collègue Claude Bérit-Débat : l’amendement de Mme Harribey, que nous avons examiné en commission ce matin, avait en effet reçu un avis favorable, mais sous réserve de modification. Malheureusement, la rectification n’a pas pu intervenir, ce qui explique ma position en séance publique.
Par ailleurs, notre collègue Jean-Pierre Grand évoquait les difficultés que nous éprouvons aujourd’hui en France à accepter certaines activités, au point même de les empêcher par des moyens violents répréhensibles. La philosophie du texte de notre collègue Jean-Noël Cardoux est véritablement de protéger les faibles. Nous voulons que force reste à la loi et que l’action de l’État soit déterminante.
Notre collègue Jean Bizet a parlé des saccages de cultures par les faucheurs volontaires. Je ne suis pas sûr que l’État ait pris la mesure des dégâts considérables qu’ils causent. On parle d’une filière qui regroupe 19 000 agriculteurs, qui concerne 12 000 emplois directs et qui consacre près de 15 % de son chiffre d’affaires à la recherche. Si l’on donne un sentiment d’impunité à ceux qui s’attaquent à un tel secteur, véritablement appuyé sur la recherche et la science – celle-ci est également mise en cause dans d’autres domaines –, on envoie un mauvais signal.
Je vous ai demandé, monsieur le secrétaire d’État, si vous étiez d’accord pour intervenir auprès de votre collègue garde des sceaux, pour qu’elle rédige une instruction pénale, sur le modèle de celle qui a été diffusée pour les animalistes radicaux. Vous m’avez répondu que l’arsenal juridique existait.
Toutefois, il ne me paraît pas inutile que les parquets de France soient destinataires d’une nouvelle circulaire pénale leur enjoignant de renforcer la prévention des saccages volontaires et, surtout, d’apporter une réponse systématique et individualisée à ces faits, qui sont très lourds.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. François Bonhomme, rapporteur. L’État devrait, lui aussi, balayer devant sa porte. L’arsenal législatif a été nettement amélioré, mais, pour ce type de délits extrêmement graves, l’État doit faire sa part et donner des instructions très fermes aux parquets ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Monsieur Cardoux, je me suis mal fait comprendre : je ne disais pas que les modifications apportées par l’amendement de M. Prince étaient trop précises, mais, au contraire, qu’elles demeuraient trop imprécises.
Concernant le courrier que vous évoquiez, je n’en conteste pas les termes, que je connais. Néanmoins, mes collègues du Gouvernement indiquaient que ces questions devaient être abordées dans le cadre de notre discussion d’aujourd’hui. Or, de fait, nous avons eu un débat très intéressant sur le sujet.
S’agissant des faucheurs volontaires, vous avez cité certaines décisions d’espèce. J’en connais d’autres, aux termes desquelles les auteurs ont été condamnés à plusieurs mois de prison.
M. Jean Bizet. Elles ne sont pas nombreuses ! Je souhaiterais que nous confrontions nos informations…
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, je relaierai et j’appuierai votre demande d’une instruction spécifique auprès de la garde des sceaux.
Il en va de même pour les décrocheurs. Vous avez cité une décision d’espèce, monsieur Grand, mais j’ai connaissance de beaucoup d’autres jugements, qui ont prononcé des condamnations. Il s’agit d’une atteinte grave, et je vous assure que policiers et gendarmes travaillent sur ces groupes, qui pénètrent dans des mairies pour décrocher l’effigie du Président de la République.
La décision que vous avez citée a pu surprendre, en effet. Il ne m’appartient absolument pas de la commenter, mais je puis aussi vous citer des exemples de condamnation.
Monsieur Alain Marc, vous me citez mot pour mot, mais vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. Dans ma carrière professionnelle, j’ai souvent dû empêcher et punir des délits d’entrave. Je connais donc bien cette notion, sans avoir bien entendu la prétention de la définir. Pour la jurisprudence, le délit d’entrave peut être constitué en cas de violences ou de voie de fait. Il peut aussi résulter de menaces ou d’intimidations, j’en ai bien conscience.
Outre le délit d’entrave, de nombreux autres délits ont été rappelés dans l’instruction de février 2019. On a parlé tout à l’heure de la violation de domicile, mais on aurait pu parler également de l’organisation d’une manifestation illicite, du groupement en vue de commettre des dégradations et des violences, ou encore du délit d’entrave à l’exercice de la liberté du travail, autant d’infractions qui peuvent être retenues pour mettre un terme aux actions que vous cherchez à réprimer.
Concernant les infractions qui ont été citées, qu’il s’agisse des incendies, des tags ou des miradors détruits, je rappelle, à la suite de Mme Rossignol, qu’il s’agit déjà d’infractions pénales punies par la loi.
De même, vous avez cité l’incendie de hangars vides d’un élevage volailler de l’Orne, avec également la présence de tags qui osaient une comparaison avec les camps de la mort. Ce type d’exactions tombe bien évidemment sous le coup de la loi.
Pour conclure, nous ne restons pas sans rien faire pour réprimer ces différentes exactions et atteintes, qu’elles soient portées à la chasse ou au monde agricole. Je l’ai déjà dit dans la discussion générale, mais, croyez-moi, les services de police mènent une action ferme et résolue en la matière. Il existe une cellule de gendarmerie consacrée à ces sujets et nous avons conclu une convention avec la FNSEA, qui fonctionne et qui sera bientôt être renouvelée par Christophe Castaner et la présidente de ce syndicat.
Nous sommes très actifs sur ces sujets, qui constituent une réelle préoccupation pour nous. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de notre détermination à mettre un terme à ces exactions.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié ter.
Mes chers collègues, cet amendement visant à rédiger l’article unique de la proposition de loi, son adoption entraînerait celle de l’ensemble du texte.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Nous allons, pour la première fois, utiliser le vote électronique : c’est une grande première pour notre assemblée ! (Exclamations amusées.)
Mme Cécile Cukierman. Nous écrivons l’histoire !
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 272 |
Pour l’adoption | 192 |
Contre | 80 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article unique est ainsi rédigé et la proposition de loi, modifiée, est adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE.)
En outre, l’amendement n° 4 rectifié n’a plus d’objet.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 2 octobre 2019 :
À quinze heures :
Hommage au président Jacques Chirac ;
Questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures et le soir :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Sécurité des ponts : éviter un drame » ;
Débat sur : « L’intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication