M. Christian Cambon, rapporteur. Ma chère collègue, vous venez de dessiner une situation catastrophique. Selon moi, la réalité en est loin ! Permettez-moi de répondre aux trois ou quatre arguments sur lesquels vous vous êtes appuyée.
Tout d’abord, vous avez évoqué le risque, pour la France, de perdre son siège au Conseil de sécurité. Or il n’en est rien. Comme toujours, reportons-nous aux textes. La réforme de la Charte des Nations unies nécessite, certes, une majorité des trois cinquièmes, mais aussi l’unanimité des membres du Conseil de sécurité. Or, jusqu’à preuve du contraire, nous siégeons au Conseil de sécurité et ne sommes pas menacés de nous voir dépossédés de ce siège.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. Christian Cambon, rapporteur. Ensuite, s’agissant de notre souveraineté, j’estime que ce texte n’y porte pas atteinte, bien au contraire. Effectivement, nous sommes confrontés au risque bien connu de perdre une partie de notre puissance et de notre rayonnement, si, dans les domaines qui font l’objet du traité, nous ne renforçons pas notre coopération. Nous avons besoin d’une coopération opérationnelle stratégique dans le domaine de la défense, même si c’est difficile. Nous nous attelons donc à cette tâche.
La volonté des peuples, des pays et des assemblées vient combattre l’idée que vous défendez. Au moment où les grandes puissances mettent leurs intérêts en avant, nous avons plus que jamais besoin de rassembler la volonté commune de l’Allemagne et de la France, pour nous opposer, justement, au risque que vous avez décrit.
Par ailleurs, vous avez évoqué un moins-disant social, ce traité nous conduisant d’après vous à « copier » les aspects les plus contestables de la législation sociale allemande, notamment les contrats de courte durée.
Or je ne sache pas que, depuis que le traité de l’Élysée existe, la France se soit alignée sur le modèle allemand. Nous avons toujours l’un des modèles sociaux les plus enviés et les plus protecteurs, même s’il a encore et toujours des progrès à faire. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Ce traité ne va pas vers le moins-disant, mais, bien au contraire, comme c’est écrit en toutes lettres, vers une meilleure harmonisation sur les plans tant fiscal que social. Le risque que vous évoquez n’existe pas.
Enfin, s’agissant du rôle du Sénat, nous avons tout d’abord été surpris par le fait que l’Assemblée parlementaire franco-allemande ne comprendrait pas le Sénat. La raison en est simple, vous l’avez dit vous-même, ma chère collègue : le Bundesrat n’a pas du tout les mêmes compétences que le Sénat. En effet, les compétences du Sénat français sont tout à fait identiques à celles de l’Assemblée nationale dans le domaine législatif, vous connaissez tout cela par cœur.
Toutefois, je peux vous l’assurer, le travail qui est mené conjointement par l’Assemblée nationale et le Sénat implique les députés et les sénateurs de manière identique. Toutes nos actions et réunions se font en commun.
J’ai d’ailleurs souhaité, madame la secrétaire d’État, que le rôle du Parlement, et singulièrement du Sénat, soit mis en exergue, afin que nous puissions peser sur les décisions. En tant qu’assemblée des territoires, le Sénat a aussi la responsabilité des enjeux qui ont été évoqués.
Si je comprends les inquiétudes exprimées, que nous pourrions partager, celles-ci ne doivent pas nous conduire à nous opposer à la ratification de ce traité. Ainsi la commission, par 46 voix pour, 2 voix contre et une abstention, a-t-elle émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Sans surprise, le Gouvernement est contre cette motion. Partager, ce n’est jamais se renier. Rien, dans ce texte, ne permet d’affirmer que nous sommes en train de renier notre souveraineté. Il s’agit simplement de travailler ensemble, de partager, d’avancer concrètement dans des domaines culturels, économiques et sociaux.
Je ne vois pas en quoi la mise en place d’un fonds citoyen commun nous ferait perdre notre souveraineté ; je ne vois pas en quoi la facilitation des projets transfrontaliers nous ferait perdre notre souveraineté ; je ne vois pas en quoi notre contribution à l’OTAN, qui reste, madame la sénatrice, un pilier essentiel de la défense, dans la mesure où la France en est pleinement membre, en coordination avec l’Allemagne, nous ferait perdre notre souveraineté.
Permettez-moi de répondre sur certains points que vous avez soulevés. Notre modèle social républicain demande à être défendu, réformé et réorganisé. Rien ne nous empêche de le faire depuis Bruxelles ; rien n’empêche que l’accès aux droits soit facilité en France depuis Bruxelles ; rien ne nous empêche d’avoir un accompagnement des personnes les plus démunies vers l’emploi et de mener une politique d’insertion. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Si ces projets ne relèvent pas d’une politique sociale, je ne sais pas, madame la sénatrice, de quoi ils relèvent !
Avec le projet européen, il s’agit d’éviter de nous faire la guerre ; il s’agit non d’organiser la rivalité, mais de l’encadrer, pour faire en sorte que la compétition de chacun avec tous ne soit plus la norme, grâce à l’adoption de règles communes.
Vous avez demandé quelles initiatives offensives la France et l’Allemagne avaient prises ces derniers mois et ces dernières années. Quand nous lançons un projet commun sur les batteries, je pense que nous faisons beaucoup plus pour la transition écologique que de nombreux discours prononcés dans des lieux prestigieux. Quand nous nous rapprochons de l’Allemagne s’agissant de la directive sur les travailleurs détachés et que nos voisins d’outre-Rhin s’engagent à convaincre les pays les plus réticents, à savoir la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie, de rénover la directive, afin qu’à travail égal il y ait salaire égal et cotisations égales, je ne vois pas à quoi nous renonçons. Or telle est la feuille de route de l’agenda stratégique.
Vous dites, madame la sénatrice, que les déséquilibres peuvent mal finir. Je suis pleinement d’accord avec vous. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’estime plus que jamais nécessaire de converger. Or la raison d’être de ce traité est justement une meilleure convergence entre nos deux pays.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que je n’ai pas développées, le Gouvernement, vous l’avez compris, n’est pas favorable à cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’ai écouté attentivement Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui a défendu la question préalable. J’ai relevé dans ses propos une certaine contradiction, dans la mesure où elle considère ce traité comme inutile et dangereux, tout en estimant qu’il ne va pas assez loin et en regrettant une coopération insuffisante.
Je regrette une telle prise de position, qui exhale un parfum de méfiance à l’égard de l’Allemagne. Il est inexact de dire que ce projet comporte de nombreuses atteintes à la souveraineté de la France et induit une métamorphose profonde de notre modèle social. Les adeptes des fake news ont prétendu que l’Alsace et la Lorraine seraient rattachées à l’Allemagne. Bien évidemment, cela ne figure pas dans le traité ! Au demeurant, si le Bade-Wurtemberg et la Bavière étaient rattachés à la France, nous trouverions ainsi un équilibre ! (Sourires.)
Mme Lienemann a évoqué le siège de la France au Conseil de sécurité. Selon moi, le traité prévoit le contraire de ce qui a été prétendu.
Les déplacements dans le cadre des coopérations transfrontalières seront beaucoup plus fluides pour tous les travailleurs. Les collectivités locales, qui nous sont chères, pourront développer plus facilement des projets communs. Le fait qu’un tramway aille de Strasbourg à Kehl est une bonne chose pour tout le monde, pour ne citer qu’un exemple.
Je considère qu’être hostile à ce traité, c’est être hostile à la construction européenne. D’une certaine façon, c’est vouloir que l’Europe, la France et l’Allemagne ne grandissent pas et ne puissent pas jouer leur rôle au niveau mondial, comme nous le souhaitons au travers de la construction européenne.
Pour l’ensemble de ces raisons, mon groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour explication de vote.
M. Olivier Cigolotti. Comme nous l’avons fait ce matin en commission, nous ne soutiendrons pas cette motion. Si le groupe Union Centriste regrette également que la méthode d’élaboration n’ait pas associé les citoyens et le Parlement français et considère que le contenu du traité aurait pu être un peu plus ambitieux, il estime prioritaire de resserrer les liens unissant la République française et la République fédérale d’Allemagne.
Plus que jamais, il semble important de réaffirmer que la relation entre l’Allemagne et la France constitue la pierre angulaire de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Allemagne, je me positionnerai, avec mon groupe, contre cette motion, et ce pour différentes raisons.
Tout d’abord, le traité de l’Élysée, signé en 1963 entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer, était fondé sur la réconciliation. Son ambition était de construire la paix entre les peuples. Depuis cette époque, nos sociétés et nos technologies ont évolué, ainsi que nos ambitions pour nos deux pays. Dans un tel contexte, il était important de compléter l’ancien traité – il ne s’agit pas de le balayer d’un revers de la main –, de façon concrète, avec des éléments factuels. En effet, certaines collectivités étaient demandeuses d’une meilleure coopération transfrontalière. Je pense en particulier, madame Lienemann, à ma région, où nous allons travailler, avec nos amis allemands, à la reconversion de Fessenheim, sujet intégré dans les annexes du traité d’Aix-la-Chapelle.
En outre, nous n’avons pas attendu la mise en œuvre de ce traité pour décliner de nouvelles perspectives de travail avec nos collègues allemands. Je pense tout particulièrement à l’excellent travail mené par la commission des affaires européennes, son président, Jean Bizet, et son homologue allemand, qui ont décliné de nombreuses pistes de travail, dont je vous invite à prendre connaissance, en matière économique, qu’il s’agisse des start-ups ou d’un statut particulier de l’entreprise…
En revanche, madame Lienemann, je vous rejoins pour regretter que le Sénat n’ait pas été associé à l’instance censée légiférer sur certains sujets. Bien évidemment, la Haute Assemblée a toute sa place dans ce cadre. C’est la raison pour laquelle le président Gérard Larcher a souhaité, avec son homologue du Bundesrat, qu’une convention soit signée entre le Sénat et le Bundesrat, pour marquer clairement le positionnement du Sénat au sein de la future procédure législative.
Le groupe Les Républicains votera donc contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Je formulerai deux remarques.
D’un côté, chacun ici s’accorde pour regretter que le Sénat n’ait pas été consulté. D’un autre côté, il n’y aurait rien à dire sur ce traité, nos deux gouvernements étant tellement visionnaires que, même en se passant de l’avis de leurs parlements, ils auraient abouti à un résultat irréprochable. Ainsi, tous ceux qui émettent des critiques sur ce traité sont des anti-européens qui ne veulent pas de l’Europe et craignent une relation franco-allemande resserrée.
Or il y a des gens, dont nous sommes, qui pensent que l’on peut construire l’Europe et la relation franco-allemande autrement. Lorsque l’on nous demande, même si c’est trop tard, notre avis, nous émettons des critiques, et c’est heureux !
Cessons de penser, comme je l’ai dit dans le cadre du débat qui s’est tenu à la suite du Conseil européen des 20 et 21 juin, que nous vivons dans un monde idéal, où l’Europe progresserait de manière harmonieuse. Au cours des dix derniers jours, nous avons assisté à des négociations peu glorieuses pour arriver à un compromis difficile, dont tout le monde sait qu’il traduit de graves problèmes politiques dans les relations européennes. Terminons-en avec cette ambiance peu lucide ! Oui, nous faisons face à de gros problèmes.
Permettez-nous de porter ici les questions et les inquiétudes des peuples européens. À l’échelle européenne, la situation politique est chaque jour plus inquiétante. Contrairement à ce que l’on nous dit, elle n’est pas en train de s’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Oui, il y a des problèmes et des dysfonctionnements en Europe ! C’est bien pour cette raison qu’il faut réagir.
Nous sommes dans un environnement international compliqué, où des États comme la Chine ou les États-Unis s’efforcent de créer une hégémonie qui finira par nous écraser. Par ailleurs, les élections européennes récentes ont montré que l’Italie, qui est un membre fondateur de l’Union européenne, déjà ébranlée par les élections de 2018, est encore soumise à des tentations susceptibles de mener à un démantèlement. N’oublions pas non plus le Brexit. Hier encore, au prétexte qu’ils sont pro-Brexit, des députés dits européens ont tourné le dos pendant que retentissait l’hymne européen.
C’est parce que nous sommes dans cette situation qu’il faut renforcer les liens avec l’Allemagne. Qu’on le veuille ou non, c’est un moteur pour l’Europe. Une unité plus forte de nos deux pays permettra de faire avancer les choses et de résister à une situation extrêmement dangereuse et compliquée.
Selon moi, ce traité va donc dans le bon sens. Même si, c’est vrai, certains points pourraient être améliorés, ce texte a le mérite d’exister. Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe votera contre cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. C’est évident, ce traité n’a rien à voir avec celui de l’Élysée. À sa lecture, on découvre un catalogue de désaccords, sans que des clés soient proposées pour en sortir. Ainsi, la question du climat fait simplement l’objet des articles 18 et 19, alors que les peuples français et allemand ont été ceux qui ont le plus montré leur inquiétude et leur préoccupation face à la situation climatique mondiale et leur volonté que l’Europe constitue réellement un outil pour faire face à ce défi. À l’évidence, le traité n’est pas à la hauteur en la matière.
Certains pays d’Europe centrale, à l’annonce de ce traité, ont pu craindre un accord de la France et de l’Allemagne pour les écraser, en faisant peser une sorte de dictature. La manière dont les choses se sont passées ces derniers jours a démenti la capacité de nos deux pays à définir une volonté commune et à l’imposer au reste de l’Union européenne. Ainsi, aujourd’hui, dans l’Union européenne, tout ne dépend pas de l’axe franco-allemand.
Par ailleurs, compte tenu des rôles constitutionnels différents du Sénat et du Bundesrat, le fait que le Sénat ne soit pas associé à l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui travaillera sur les questions de convergence législative pose problème.
Il faut une dynamique ! Ces dernières semaines l’ont montré, lorsque les dirigeants de la France et de l’Allemagne pensent surtout à leur ego, les choses ne marchent pas. Malgré tout, soyons responsables. Certes, ce traité comporte peu d’avancées. Mais il n’est pas irréversible. En allant plus loin, nous montrerons notre attachement à la coopération franco-allemande, à la construction européenne et au rôle de la France et de l’Allemagne au sein de cette dernière.
Ainsi, malgré l’absence d’ambition de ce traité, il me semble que nous pouvons en débattre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Richard Yung. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à nous prononcer aujourd’hui sur la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle signé en début d’année. Comme en témoigne son intitulé, il s’agit d’un traité de coopération et d’intégration entre la France et l’Allemagne, alors que le traité de l’Élysée de 1963 est un traité d’amitié.
Les résultats du traité de l’Élysée sont importants, puisqu’il a été le socle du développement de l’amitié et de la coopération entre la France et l’Allemagne. De nombreux résultats sont à mettre à son crédit : les jumelages, la création de l’OFAJ, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, le rapprochement des sociétés civiles, un conseil des ministres où siège parfois un ministre de l’autre pays, ce qui est une situation assez rare dans le monde.
Le traité d’Aix-la-Chapelle doit nous permettre d’aller plus loin dans toute une série de domaines, comme la convergence des économies, une approche commune dans la politique européenne, ainsi que la défense, la sécurité et l’armement. Je rappelle à cet égard l’importance de la clause de protection mutuelle.
Cela ne vous surprendra pas, notre groupe votera ce traité, qui est dans la continuité du traité de l’Élysée. Il le prolonge et lui donne des objectifs précis dans de nombreux domaines. Enfin, il est clairement destiné à renforcer la construction européenne. On ne peut pas considérer le traité d’Aix-la-Chapelle sans considérer la construction européenne.
Pour autant, nous n’accueillons pas ce texte de manière aveugle et béate. Nous voyons bien les faiblesses de la construction européenne et de l’amitié franco-allemande. Malgré les références à l’importance du moteur franco-allemand, les progrès réels sont longs et difficiles, à la suite d’oppositions fréquentes, notamment dans le domaine économique et financier.
De nombreux projets ont été tentés, mais sans grand succès. Je pense à la convergence fiscale, aux problèmes des cycles et des contrecycles et à la difficile naissance d’un budget de la zone euro. Mais si nous sommes parfois déçus, nous ne sommes pas découragés. Nous sommes donc prêts à repartir de l’avant.
L’Allemagne considère que les exportations, et singulièrement celles de l’industrie et de l’automobile, sont le moteur de sa croissance, alors que, pour la France, c’est la consommation des ménages et celle des administrations qui le sont. Nous le voyons bien, le rapprochement des deux politiques économiques est difficile. Ce constat est également vrai dans le domaine de la défense, même si un certain nombre d’avancées importantes ont été réalisées récemment : le Fonds européen de la défense, certes communautaire, le projet d’un avion de combat et d’un char commun.
Reste la question douloureuse, sur laquelle je ne reviens pas, des exportations d’armements, au sujet desquelles les Allemands – je parle en toute amitié – ont une pratique différente de leur discours.
Nous voyons aussi que, s’agissant des grands dossiers internationaux, il y a encore à faire – l’Europe ne pèse pas vraiment dans les négociations commerciales mondiales. Là doit être, selon nous, le moteur du développement européen.
Enfin, nous ne parvenons pas à formuler une perspective européenne et communautaire pour nos institutions et pour nos politiques à long terme.
Je ne suis évidemment pas de ceux qui critiquent la présence forte et influente de l’Allemagne dans les institutions communautaires, et en particulier au Parlement européen : les Allemands y envoient des députés expérimentés, qui font plusieurs mandats, qui suivent les mêmes dossiers pendant plusieurs années, qui « ont les rapports », comme on dit dans le jargon de Bruxelles, alors que les Français… – je vous laisse conclure vous-mêmes, mes chers collègues ; vous savez comment ça marche !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas vrai !
M. Richard Yung. Nous devons donc être lucides, c’est-à-dire être pour ce traité, qui représente, si nous sommes prêts à nous en saisir et à nous en servir, un moyen important d’avancer, tout en disant aux Allemands que le moment est venu – plusieurs d’entre vous l’ont dit – de ne plus se contenter de belles paroles sur l’amitié franco-allemande, mais de construire sur du concret en se montrant ouverts et coopératifs.
Nous voterons le projet de loi autorisant la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle. (M. Christian Cambon, rapporteur, applaudit.)
M. Robert del Picchia. Nous aussi !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Je veux commencer par citer les propos d’une de nos collègues allemandes, Sevim Dağdelen, devant le Bundestag : « Le traité de Merkel et de Macron à Aix-la-Chapelle est un mélange de réarmement et de préparation à la guerre, et traduit une orientation néolibérale et autoritaire au nom de l’amitié internationale. Il mérite que nous y résistions au nom de notre combat pour la paix, la justice sociale et l’internationalisme. »
La critique du traité d’Aix-la-Chapelle résonne donc outre-Rhin. Si j’ai tenu à commencer mon intervention par ces mots, expression d’un courant pacifiste important en Allemagne, qui concourt à protéger la paix depuis plusieurs décennies, c’est parce que je veux placer ma propre critique du traité soumis à notre ratification sous l’angle de la défense des intérêts communs des peuples allemand et français. Je veux d’emblée affirmer, en effet, que d’autres relations entre nos deux pays sont possibles, qu’un autre chemin est envisageable et souhaitable pour nos deux peuples et pour l’Europe.
Je motiverai mon propos en examinant trois points importants du traité : l’appui aux orientations libérales déjà en cours, la remilitarisation des relations entre les deux pays, la mise en cause de notre organisation territoriale.
Ce traité, prétend-on, va relancer l’axe franco-allemand et sauver l’Europe de la crise où elle s’enfonce. Or il ne la sauvera pas, mais continuera à l’enfoncer. Lorsque le traité de Versailles fut signé, Foch disait : « Ce n’est pas une paix, c’est un armistice de trente ans. » Face aux nationalismes guerriers qui menacent aujourd’hui, ce traité n’est pas une relance de l’Europe : il met en musique un approfondissement des logiques à l’œuvre. Avec de telles perspectives, il n’est pas certain que l’Europe tienne encore vingt ou trente ans. Et les nominations annoncées hier, après des jours de tractations peu glorieuses, confirment qu’aucun changement de cap fondamental n’est envisagé, bien au contraire !
Pourtant, un autre chemin est possible pour la France, pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Premier point : au libéralisme débridé, nous devrions opposer au plus vite la relance du progrès social en Europe. Le traité d’Aix-la-Chapelle n’en dit rien ; il est tourné vers l’application renforcée de l’ordre, ou plutôt du désordre, libéral, vers l’imposition d’un modèle de compétitivité toujours plus payé par l’abaissement salarial et la précarité. Généraliser, à coups de lois Travail, d’ordonnances Macron, de réformes des retraites et de l’assurance chômage, les recettes qui ont fait tant de mal aux salariés allemands, telles que les lois Hartz IV, les jobs à 1 euro de l’heure ou l’augmentation de la TVA, voilà, en vérité, l’option toujours défendue.
Injustes socialement, inefficaces économiquement, affaiblissant notre industrie, de telles dispositions fragilisent les travailleurs des deux rives du Rhin. Nous devrions emprunter le chemin exactement inverse : par exemple, négocier l’application d’un salaire minimum en Allemagne, au même niveau, au moins, que celui qui existe en France ; mettre en débat l’exemple allemand des banques publiques régionales d’investissement pour imaginer de nouvelles institutions publiques, ici et outre-Rhin, permettant de mobiliser les richesses de nos deux pays, au bénéfice des services publics et de l’écologie ; construire des partenariats mutuellement avantageux de développement économique et de recherche.
La démocratie sociale n’est pas évoquée une seule fois dans le traité. Pourtant, les syndicats allemands et français ont beaucoup à dire. Plutôt qu’un comité d’experts économiques, pourquoi ne pas développer des institutions sociales communes travaillant à l’harmonisation par le haut des droits économiques et sociaux ?
Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, plutôt que de continuer à plagier les solutions libérales du moins-disant social, nous devrions ouvrir ce genre de pistes, novatrices et porteuses d’espoir.
Deuxième point : à la relance des dépenses d’armement et à la remilitarisation de nos relations, nous devrions opposer un chemin résolu de paix, pour que la France et l’Allemagne s’engagent fermement ensemble pour le codéveloppement, la réduction des inégalités, le multilatéralisme, le désarmement international et la paix. À l’inverse, le traité fait la part belle à l’OTAN, poussée au surarmement par les États-Unis de Donald Trump.
Plutôt que d’imbriquer toujours plus nos industries de défense, au risque de notre souveraineté et au seul bénéfice de conglomérats industriels de plus en plus puissants, pourquoi ne pas consacrer les 13 milliards d’euros du Fonds européen de la défense à un fonds commun de développement permettant de lutter plus vite contre les inégalités en Europe et de démultiplier le soutien aux populations les plus pauvres de la planète ? Pourquoi ne pas plaider pour une démocratisation générale des Nations unies, plutôt que de se limiter au seul soutien à l’accès de l’Allemagne au Conseil de sécurité ? Pourquoi ne trouve-t-on, dans ce traité, aucune initiative franco-allemande pour relancer l’initiative internationale en faveur du désarmement, qui fait tant défaut dans ce monde si dangereux ?
Oui, nous refusons d’importer toujours plus d’outre-Rhin un alignement stratégique et opérationnel prioritaire sur l’OTAN ! Oui, nous refusons d’imposer à l’Allemagne les largesses françaises en matière d’exportations d’armes ou d’éviction des parlementaires des décisions prises en la matière ! Un traité novateur impliquerait l’engagement de nos deux pays dans un cadre multilatéral pour de nouvelles et grandes initiatives de paix. Tout cela est absent du traité.
Une dernière remarque sur l’organisation territoriale : les dispositions du traité, qui paraissent séduisantes, ne répondront ni aux ambitions de solidarité transfrontalière ni aux aspirations à plus de démocratie locale.
Les eurodistricts prévus précèdent en vérité le droit à la différenciation, dont vous souhaitez la mise en œuvre en France, et qui lui-même préfigure la généralisation des dérogations aux droits sociaux, des délocalisations et la mise en concurrence accélérée des territoires.
Une perspective ô combien plus moderne aurait pu consister, par exemple, à créer des fonds publics d’investissement communs et transfrontaliers, des circuits courts pour les productions locales, des guichets uniques bilatéraux destinés à faciliter la vie des frontaliers, et à développer des infrastructures de transport.