Sommaire
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
Secrétaires :
MM. Yves Daudigny, Michel Raison.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
5. Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes. – Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur
Motion n° 1 de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Christian Cambon, rapporteur ; Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État ; M. Richard Yung ; M. Olivier Cigolotti ; Mme Catherine Troendlé ; M. Pierre Laurent ; M. Joël Guerriau ; M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Clôture de la discussion générale.
Adoption, par scrutin public n° 161, de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
Suspension et reprise de la séance
6. Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Franck Riester, ministre de la culture
M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 3 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Patrick Chaize. – Retrait.
Amendement n° 7 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 2 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Retrait.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Colette Mélot. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Nicole Duranton. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Articles 3 quinquies et 4 – Adoption.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
M. David Assouline, rapporteur
Adoption, par scrutin public n° 162, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 19 voix pour, 2 voix contre, 7 bulletins blancs – à la reconduction de Mme Stéphane Pallez aux fonctions de président-directeur général de La Française des jeux.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation des mobilités.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui le 3 juillet. Comment pourrions-nous oublier, dans cet hémicycle, que la loi de séparation des Églises et de l’État a été votée le 3 juillet 1905 ?
Cette loi demeure un pilier essentiel de notre démocratie et de la paix civile. L’histoire et l’actualité contemporaines nous le rappellent chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
5
Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes (projet n° 558, texte de la commission n° 608, rapport n° 607).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le rapporteur et président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de me trouver aujourd’hui devant vous pour débattre de l’autorisation de ratification du traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, dit traité d’Aix-la-Chapelle.
Permettez-moi, en introduction, de me concentrer sur quelques points qui me paraissent particulièrement importants : ce traité a été signé le 22 janvier dernier, à Aix-la-Chapelle, par la Chancelière fédérale Angela Merkel et par le Président de la République, en présence de nombreuses personnalités de nos deux pays et des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne et du Parlement européen.
Ce texte fait suite à la déclaration commune de la Chancelière et du Président de la République du 22 janvier 2018 et à la résolution conjointe, adoptée le même jour, par le Bundestag et par l’Assemblée nationale.
Le lieu retenu pour la signature, c’est-à-dire la capitale de Charlemagne, monarque emblématique de notre histoire commune avec l’Allemagne et une grande partie de l’Europe, est hautement symbolique.
Il en va de même de la date retenue, à savoir le cinquante-sixième anniversaire de la signature du traité de l’Élysée entre le Chancelier Adenauer et le général de Gaulle, et du cadre public, qui témoignent de la place centrale des citoyens dans cette amitié franco-allemande, à laquelle nous sommes tous extrêmement attachés, et du rôle essentiel de cette amitié pour la construction d’une Europe unie, démocratique et souveraine.
Ce texte a une valeur particulière en ce qu’il entend ouvrir une ère nouvelle dans la relation singulière entre nos deux pays. Le traité du 22 janvier 2019 n’abroge pas, mais complète, à de nombreux titres, le traité de 1963.
En 1963, nous étions dans une phase de réconciliation ; en 2019, nous sommes dans une phase de convergence. Ce traité entend tirer les conséquences de l’évolution géopolitique de l’Europe et de la construction européenne au cours des trois dernières décennies.
Ce texte engage donc nos deux États dans une stratégie visant à construire des espaces intégrés couvrant tous les domaines – économique, juridique, fiscal, social, scientifique et culturel. Ces territoires frontaliers ont vocation à devenir des laboratoires européens sans remettre en cause notre ordre constitutionnel.
Dans cet ensemble, plusieurs dispositions méritent d’être mises en exergue.
En ce qui concerne les questions européennes, le traité souligne la volonté des deux parties de travailler de concert à l’unité européenne en formulant des initiatives conjointes et en harmonisant leurs positions nationales respectives, tant pour les affaires internes que pour les relations extérieures de l’Union – les négociations qui viennent de se terminer à Bruxelles illustrent la qualité de la relation franco-allemande pour faire avancer l’Europe.
Cette disposition ne sanctionne pas seulement une pratique existante, elle la rend systématique. Cette méthode a déjà porté ses fruits, comme nous l’avons vu avec la déclaration de Meseberg sur l’avenir de l’Union économique et monétaire ou encore avec la feuille de route conjointe sur la politique industrielle, pour ne citer que ces deux exemples.
Dans cet ensemble, nous prenons également l’engagement de nous coordonner sur la transposition du droit européen dans nos droits nationaux pour éviter les risques de distorsion normative dans l’application du droit européen. Pour parler clairement, nous voulons éviter que des surtranspositions n’entraînent des divergences entre nos deux pays.
Dans le domaine de la sécurité, le traité souligne la solidarité qui lie nos deux pays en cas d’agression contre nos territoires nationaux. Cette clause de défense mutuelle est bien évidemment conforme aux engagements auxquels nous avons souscrit au titre du traité de l’Atlantique Nord et des traités européens, et notamment du fameux article 42-7 du traité sur l’Union européenne. Elle n’en constitue pas moins un symbole fort dans le contexte d’un accord de nature bilatérale.
Ce traité nous appelle également à intensifier notre coopération de défense, à la fois capacitaire et militaire. Cette coopération porte déjà ses fruits, comme le montre la signature du récent accord-cadre entre l’Allemagne, la France et l’Espagne sur le programme de système de combat aérien du futur, ou SCAF, en présence du président de la République, le 17 juin dernier, au salon du Bourget.
Le traité affirme également le soutien de la France à l’entrée de l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent. Sur ce dernier point, nous avons toutes et tous entendu beaucoup de fausses informations. Or, face aux fausses informations, rien n’est plus clair que la vérité : la France n’entend absolument pas abandonner son siège au Conseil de sécurité. De même, et je le dis très clairement, nous rejetons toute idée de siège européen, ce qui n’aboutirait, en fait, qu’à affaiblir le rôle des pays européens au Conseil de sécurité.
En revanche, et je le dis tout aussi clairement, nous défendrons l’entrée au Conseil de sécurité d’un nouveau membre permanent, en l’occurrence l’Allemagne, pour y renforcer le poids de notre continent.
Dans les domaines de la culture, de l’éducation et de la recherche, l’Allemagne et la France doivent donner une impulsion à l’effort européen pour faire face à la compétition technologique mondiale, bâtir des synergies entre établissements d’enseignement supérieur, centres de recherche et instituts de formation. L’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, la génétique nécessitent, dans leur domaine, un investissement absolument conjoint et fort de l’ensemble de nos chercheurs.
Le renforcement de la coopération régionale et transfrontalière constitue également une disposition importante de ce traité qui vise à favoriser la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier en matière économique, sociale, environnementale, sanitaire, énergétique et de transport, le long des 451 kilomètres de frontière que nous partageons avec l’Allemagne.
Je me suis encore récemment rendue dans de nombreux départements transfrontaliers, notamment avec Brigitte Klinkert. J’ai pu sentir à quel point la nécessité de ces projets transfrontaliers était grande et combien ils étaient portés, encouragés et vraiment incarnés par les leaders politiques et par les collectivités locales en France et en Allemagne.
Nous devons ici mesurer le potentiel de développement absolument majeur en termes non seulement économiques, mais aussi humains. La mise en œuvre de cette coopération pourra s’appuyer sur un comité de coopération transfrontalière. Nous travaillons actuellement à finaliser sa composition en cherchant à y inclure des représentants du Parlement et des collectivités locales directement concernées.
De façon plus générale, les régions et l’ensemble des collectivités territoriales contribueront de manière extrêmement importante et décisive, dans le respect de nos spécificités institutionnelles de part et d’autre du Rhin, à la mise en œuvre de ce traité.
Je n’évoquerai pas ici l’ensemble des dispositions de ce texte. En revanche, je crois utile de vous indiquer que nous travaillons d’ores et déjà d’arrache-pied à sa mise en œuvre – si vous en autorisez la ratification – à travers une liste prioritaire de quinze projets concrets allant de la colocalisation de centres culturels dans des pays tiers au développement d’infrastructures de transports transfrontaliers, projets concrets au service des citoyens.
Telle est notre exigence. Il ne s’agit pas de signer du papier, mais de faire en sorte que des projets émergent d’une volonté commune.
Je souhaiterais enfin évoquer la dimension interparlementaire de cette démarche. Le traité d’Aix-la-Chapelle s’inscrit pleinement dans l’esprit de renforcement du dialogue que le Sénat et le Bundesrat portent également dans leur déclaration interparlementaire franco-allemande du 19 mars 2019.
Les négociations qui se sont déroulées du printemps à la fin de l’année 2018 ont d’ailleurs permis de reprendre dans le texte de nombreuses suggestions parlementaires et d’autres, bien évidemment, de la société civile. Cette implication de nouveaux acteurs est en soi une innovation : nous complétons ainsi le dispositif mis en place en 1963.
Plus largement, je crois important que nos deux Parlements soient pleinement impliqués dans ce nouveau chapitre de la coopération franco-allemande.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Oui !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. C’est ce qu’autorise le dialogue conduit entre le Sénat et le Bundesrat, de même que l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui permettra de réunir Assemblée nationale et Bundestag.
Ces formats contribueront également, à travers le rapprochement de nos législations, à l’effort de convergence et d’intégration qui anime ce traité d’Aix-la-Chapelle, lequel nous promet, j’en suis certaine, de grands projets communs au service des citoyens et au service du projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, de vous féliciter pour le résultat du Conseil européen de Bruxelles.
Au-delà de nos sensibilités respectives, chacun craignait, lundi dernier, que l’Europe n’affiche une fois de plus ses faiblesses. La nouvelle équipe, paritaire, francophone, compétente, nous rassure. Nous sommes heureux de lui souhaiter bonne chance. (M. Robert del Picchia applaudit.)
Il en va du couple franco-allemand comme de tous les couples : il a des hauts et des bas. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans un « bas » de la relation franco-allemande. Ce traité d’Aix-la-Chapelle vient donc à point nommé, même s’il n’a évidemment pas le souffle de son illustre prédécesseur, le traité de l’Élysée de janvier 1963, qui a gravé dans le marbre une amitié qui devait prévaloir non seulement entre les gouvernements, mais aussi et surtout entre les peuples, entre les jeunesses de ces deux pays – un certain nombre d’entre nous en étions ! – et qui devait rendre possible un renforcement de l’Union européenne.
Le traité d’Aix-la-Chapelle peut néanmoins être l’occasion d’avancées concrètes que nous appelons de nos vœux. Dans un monde marqué par les politiques de puissance décomplexée, par une lisibilité moindre de la politique étrangère américaine et par le Brexit, toute réaffirmation de la relation franco-allemande est évidemment bienvenue. C’est la manifestation d’un attachement profond à la prospérité, à la sécurité européenne, mais aussi aux valeurs que nous partageons, notamment la défense du multilatéralisme.
Avec le traité d’Aix-la-Chapelle, France et Allemagne ont souhaité répondre ensemble à quelques-uns des grands défis politiques, économiques, environnementaux, sociaux et technologiques du XXIe siècle.
À cet égard, le contenu du traité peut sembler moins ambitieux que celui du traité de l’Élysée en son temps. Relevons toutefois, avant d’en venir aux sujets principaux, quelques avancées intéressantes dans le champ traditionnel de la coopération franco-allemande.
Le traité prévoit ainsi la création d’un nouveau comité de coopération transfrontalière composé des principales collectivités territoriales et autres parties prenantes et évoque d’éventuelles dérogations permettant de surmonter des obstacles à la coopération transfrontalière. Nos collègues membres des régions concernées apprécieront cette avancée. Je pense qu’elle était nécessaire.
Le texte évoque aussi, ce qui est bienvenu, le développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre. Cette disposition permettra peut-être de lutter contre la diminution inquiétante de l’enseignement de nos langues respectives dans nos systèmes scolaires.
Saluons enfin le lancement d’une plateforme numérique franco-allemande adaptée aux nouveaux modes de consommation des médias. Dans ce domaine, il est important de suivre l’évolution des technologies, sous peine de perdre tout écho, en particulier auprès de la jeunesse. C’est une démarche qu’il faut donc soutenir.
Plus important, le traité comporte quelques avancées, ce qui n’exclut pas certains doutes, en matière de coopération de politique étrangère et de défense. À cet égard, permettez-moi de saluer la nomination, à la tête de la Commission européenne, d’Ursula von der Leyen, que nous connaissons bien. Elle partage la vision française, à savoir notre souhait d’avancer ensemble vers une défense européenne plus robuste.
On peut évidemment regretter de voir l’Europe se priver des qualités remarquables de Michel Barnier. J’ose penser que le Gouvernement saura lui montrer son infinie reconnaissance pour le travail qu’il a accompli.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Christian Cambon, rapporteur. Le traité favorise aussi une approche stratégique et opérationnelle commune à nos deux pays.
Nos approches actuelles sont différentes : quand la France pense indépendance stratégique, OPEX, Afrique, Moyen-Orient, l’Allemagne, quant à elle, pense OTAN, relations transatlantiques, missions civiles, menaces à l’Est… Espérons que cette approche commune, promise par le traité, permettra des déploiements conjoints plus équilibrés sur nos théâtres d’opérations, où nous avons tant besoin de coopération européenne solide et décidée.
Autre aspect positif, le texte prévoit des programmes de défense communs. Certes, ils étaient déjà engagés, et c’est essentiel pour préserver notre avance technologique et notre indépendance stratégique, mais vous conviendrez avec nous que ce n’est pas totalement gagné.
On connaît les grands projets du futur, le char lourd MGCS, ou Main Ground Combat System, le système de combat aérien du futur, le SCAF, qui devra succéder au Rafale, et le drone MALE, à propos duquel nous avons encore eu l’occasion, cette semaine, de faire part d’un certain nombre de doutes et d’inquiétudes.
Les premières étapes sont programmées, mais il reste tellement de sérieuses incertitudes, qu’il s’agisse du partage industriel ou des spécifications techniques. Or, sur l’ensemble de ces projets, le choix est clair : quand il s’agit d’investir 25 milliards d’euros pour la conception de ces armes nouvelles, soit nous le faisons ensemble, soit nos futurs avions seront américains ou, pire encore, chinois.
Le traité d’Aix-la-Chapelle vise aussi à faire sauter le verrou existant sur les exportations d’armements. Cette question, vous le savez, est un irritant sérieux dans notre relation.
Les Allemands, en raison d’enjeux tout à fait compréhensibles de politique intérieure, mais aussi de concurrence commerciale, bloquent aujourd’hui des ventes d’armements français.
M. Ladislas Poniatowski. C’est une honte !
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous devons donc veiller à ce que les accords en cours de négociation préservent solidement notre base industrielle et technologique de défense et garantissent notre liberté d’exporter. C’est fondamental pour notre propre sécurité et pour notre industrie de défense.
L’aide au développement en faveur de l’Afrique est un autre volet essentiel de coopération évoqué par ce traité. Il s’agit d’ailleurs d’un complément indispensable au rapprochement en matière de défense, comme le veut la doctrine désormais bien établie de l’approche globale – défense, diplomatie, développement.
Là encore, aucune nouveauté concrète. Toutefois, nous disposons déjà d’un outil intéressant depuis juillet 2017 avec l’Alliance Sahel.
Il est tout à fait essentiel que l’Allemagne et la France montrent la voie en matière de coordination de ces politiques d’aide publique au développement. Nous dépensons tant d’argent ; il faut le dépenser mieux. En ce domaine, nous n’avons plus droit à l’erreur : l’enjeu du développement africain est crucial pour notre avenir, pour l’avenir de notre continent. Nous serons bien évidemment très attentifs à cette question lors de l’examen du projet de loi de programmation sur l’aide au développement.
En ce qui concerne la clause de solidarité mutuelle, là encore, le traité décline l’existant. Il s’agit de la répétition de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et de l’article 42-7 du traité de l’Union européenne. C’est une clause de défense mutuelle, une clause symbolique. Formons le vœu de n’avoir jamais à l’utiliser.
La réforme proposée du Conseil de sécurité de l’ONU reprend la position traditionnelle française. Le texte défend la revendication allemande d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Toutefois, nous le savons tous ici, la France soutient une réforme beaucoup plus globale, celle d’un siège permanent non seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour de grands pays émergents – je pense au Brésil, à l’Inde et au Japon. Malheureusement, cette réforme est aujourd’hui bloquée.
Que les choses soient bien claires : il ne s’agit en aucun cas de céder à l’Union européenne ou à l’Allemagne le siège français de membre permanent du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous avons pu avoir quelques inquiétudes à la suite de certaines déclarations de hauts responsables ou de futurs responsables allemands. Il semble que des nuances aient été exprimées depuis. Nous nous en réjouissons, car la position du Sénat est absolument claire sur ce sujet.
En ce qui concerne la politique économique, le traité se limite à rappeler les grands objectifs – approfondissement de l’Union économique et monétaire, base industrielle forte, convergence économique, fiscale et sociale… Malheureusement, les déclarations de principe contrastent ici avec le peu d’enthousiasme manifesté par l’Allemagne face aux propositions françaises pour renforcer la politique budgétaire de l’Union européenne.
Avant de conclure, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais exprimer un regret sur la méthode d’élaboration du traité : elle aurait pu être plus transparente et s’appuyer davantage sur les peuples, qui viennent encore de manifester, à la faveur des élections européennes, leurs craintes sur l’absence de démocratie au sein de ce continent.
Nous nous inquiétons aussi du peu de place fait aux représentants du peuple français. Dès lors, ne nous étonnons pas de voir fake news et fantasmes apparaître, comme la volonté prêtée au Président de la République de vendre l’Alsace-Lorraine à nos amis allemands – on croit rêver !
Quelle ne fut pas notre surprise en accueillant nos collègues députés allemands, au sein de la commission, de découvrir qu’ils avaient été, eux, consultés sur le texte par leur gouvernement, alors que nous n’en avions même pas eu communication. La demande du Sénat n’a pas été entendue, on peut le regretter. À l’avenir, nous souhaitons que les choses soient corrigées.
De la même manière, nous regrettons que le Sénat ne soit pas associé à l’Assemblée parlementaire franco-allemande. Heureusement, en matière de défense, la coopération tripartite entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Bundestag reste très soutenue. À cet égard, mon collègue de l’Assemblée nationale et moi-même rencontrerons notre homologue allemand la semaine prochaine, en Allemagne.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, ce traité a valeur de symbole – et les symboles sont importants. C’est un symbole fort, au moment où l’Europe a besoin d’une relation franco-allemande puissante, équilibrée et efficace.
Certes, ce traité ne suffira pas à relancer les projets européens ni à aplanir toutes les difficultés et, disons-le, les incompréhensions, notamment en matière de défense, entre nos deux pays. Pour atteindre cet objectif, il vous faudra, madame la secrétaire d’État, la vigilance et la volonté du Parlement, et singulièrement celles du Sénat, qui accepte de vous accompagner dans sa mise en œuvre.
Vous pourrez compter sur nous, dès lors que, dans le respect de la Constitution, l’action des parlementaires sera associée à la mise en œuvre de ce texte. C’est dans cette espérance que j’invite notre assemblée à autoriser la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Lienemann, M. P. Laurent, Mmes Prunaud, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes (n° 608, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la motion.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous est demandé de ratifier le traité signé à Aix-la-Chapelle, le 22 janvier dernier, entre la Chancelière allemande, Angela Merkel, et le Président de la République française, Emmanuel Macron.
Ce traité est un mauvais traité, pour la France comme pour l’Europe. Il est mauvais en raison de ce qu’il contient comme de ce qu’il élude.
Il consacre une vision de la défense européenne totalement intégrée à l’OTAN et conçue comme le renforcement de l’Alliance atlantique. Il mobilisera explicitement une contribution financière accrue pour « combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique ».
Nous sommes loin d’un projet de défense européenne autonome et de la vision traditionnelle de la France, alliée, mais indépendante, des États-Unis d’Amérique.
Nous ne pouvons pas approuver non plus l’article 8 qui stipule que « l’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande. »
Bien sûr, les promoteurs du traité nous disent qu’il ne s’agit pas de supprimer le siège permanent de la France. Mais tout cela n’est que naïveté ou hypocrisie. Si jamais les conditions étaient remplies pour augmenter le nombre de sièges permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, chacun sait que la priorité serait donnée aux pays émergents. Jamais notre continent – c’est en tout cas fort peu probable – ne pourra prétendre disposer d’un troisième siège aux côtés de ceux de la France et de la Grande-Bretagne.
On aurait pu au moins attendre du traité qu’il garantisse explicitement le maintien du siège français. Or, dans l’esprit des dirigeants allemands, le siège que revendiquera l’Allemagne sera soit partagé, « mutualisé » – comme le veut un langage assez confus –, avec celui de la France, soit un siège à part entière pour l’Union européenne. Le fait que le maintien du siège français ne soit pas inscrit dans ce traité signifie quelque chose. Le silence n’est pas un hasard, il existe un risque pour ce siège. Nous vous demandons de ne pas prendre ce risque !
La construction libérale de l’Union européenne, les conditions de mise en œuvre de l’euro et de l’élargissement à l’Est ont très largement profité à l’Allemagne et ont contribué à l’affaiblissement de la France, à sa désindustrialisation et à la dégradation de la balance commerciale entre nos deux pays.
Le traité ne dresse pas ce bilan. Certains bons esprits – même chez nous – font porter la charge de cet affaiblissement au peuple français, qui serait incapable d’ancrer la France dans la mondialisation.
La réalité est tout autre : c’est la logique même du système instauré, traité après traité, au sein de l’Union européenne qui accroît les inégalités, renforce sans cesse les dominants et fragilise les autres.
Cette logique percute notre modèle social et républicain en mettant à bas ce qui a longtemps fait notre force. Je pense aux services publics, mais aussi à l’articulation entre intervention publique et initiative privée, qui a toujours participé du génie français.
Non seulement les promoteurs du traité adoptent la politique de l’autruche devant cette logique qui met en concurrence les peuples, mais ils ne proposent rien de tangible pour y remédier. Rien de tangible sur les convergences sociales et l’harmonisation fiscale. Au passage, on notera quel petit chef-d’œuvre d’hypocrisie constitue ce texte dont le préambule évoque la notion de « convergence sociale ascendante »,… mais le préambule n’a pas de valeur juridique ! En revanche, dans le corps du texte, si les notions d’harmonisation et de convergence sont bien présentes, l’adjectif « ascendant » a, quant à lui, disparu.
Mais sans doute n’est-ce pas très grave, dans la mesure où le traité ne comporte que de vagues déclarations, serinées depuis des lustres, suintant de bonnes intentions et de la même impuissance à agir, voire justifiant des remises en cause graves. C’est à cette impuissance, faute de mesures concrètes et engageantes, que nous condamne la ratification de ce traité.
Or, s’agissant des deux pays développés les plus riches de l’Union européenne, on pouvait tout de même attendre des initiatives offensives pour améliorer notre modèle social et répondre à l’urgence sociale et économique. Il n’en est rien ! Ce texte pétrifie de nouveau la désastreuse politique économique européenne suivie depuis près de quinze ans.
Rien sur la politique de relance, en particulier sur la nécessité d’un soutien au pouvoir d’achat et aux investissements publics. Rien sur la convergence du salaire minimum, pourtant largement préconisée, paraît-il, par le Président de la République. S’il n’y a rien, c’est qu’il y a un veto absolu, un Nein ! déterminé, des dirigeants allemands sur ces points.
Même les propos lénifiants sur le changement climatique sont en deçà de toutes les grandes déclarations que l’on peut entendre. Après l’accord de Paris, un traité peut-il se contenter d’affirmer : « il faut faire vivre l’accord de Paris » ? Aucun engagement clair n’est pris, notamment à l’horizon 2030, avec la réduction d’au moins un tiers des gaz à effet de serre. Et je n’évoque pas l’exigence d’économies décarbonées en 2050 ! Rien, mis à part de vagues intentions ! Pourtant, un accord franco-allemand en la matière aurait une véritable force.
Il ne suffit pas de répéter le mot « climat » sans jamais rien faire. Il en va de même lorsque l’on parle de l’Europe « qui protège », tout en laissant se poursuivre les dérives actuelles. On aurait pu imaginer des coopérations renforcées dans tous ces domaines : il n’en est rien !
Je le dis avec une extrême solennité, l’histoire nous a appris que les déséquilibres au sein de l’Europe, singulièrement entre la France et l’Allemagne, se terminent toujours mal. Comment ne pas comprendre que les vents mauvais qui soufflent sur notre continent sont porteurs de risques graves ? Ils ne seront pas conjurés par une attitude complaisante ou en faisant croire que des compromis ont été élaborés. Car ces prétendus compromis ne résolvent aucun des grands problèmes qui sont devant nous.
Il serait injuste de faire porter aux seuls dirigeants allemands le poids de cet échec. Car nos propres dirigeants ont une large part de responsabilité dans cette affaire ! En taisant les désaccords, en refusant de les mettre sur la table pour en débattre et nouer un nouveau contrat fondateur pour une profonde réorientation de la construction européenne et un rééquilibrage entre nos deux pays, ils ne sont pas à la hauteur de leur tâche historique ni pour l’Union européenne ni pour la France. Au fond, c’est un abandon qui se concrétise avec ce mauvais traité.
Je terminerai mon intervention en évoquant la démocratie et le rôle législatif du Sénat, mis en cause par ce texte. Le préambule du traité fait référence au rôle essentiel de la coopération entre l’Assemblée nationale et le Bundestag dans le cadre de l’accord parlementaire du 22 janvier 2019. Il installe un travail législatif commun, en particulier la préparation de la transposition des directives, excluant de fait la Haute Assemblée, qui, à la différence du Bundesrat, est une assemblée législative de plein exercice. Nous sommes en train de valider ce que dit Mme la secrétaire d’État, à savoir : « Vous êtes comme le Bundesrat, occupez-vous du territorial. Vous ne serez pas associé, au même titre que l’Assemblée nationale, au travail législatif de plein droit. »
Nous faisons passer par la petite porte ce que le Président de la République et une partie de la majorité La République En Marche souhaitent pour le Sénat : sa marginalisation hors du champ législatif. Cette seule affaire, au-delà de tout ce que j’ai dit sur le fond, qui est encore plus important pour nos concitoyens, devrait vous faire accepter de voter, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable que nous vous proposons aujourd’hui.
Je le sais bien, on va nous dire que la situation n’est pas si grave. Mais il est trop facile de ne pas regarder la réalité en face et de faire croire que tout cela est sans incidence réelle. Nous le savons bien, de renoncement en renoncement, d’occasion manquée en occasion manquée, un état de fait s’installe et se consolide, les déséquilibres s’accroissent, les peuples se détournent de l’Europe et de la démocratie, la France perd confiance en elle-même, à mesure que ses dirigeants lui intiment l’ordre de s’aligner sur un projet, un modèle et une logique contraires à son histoire, à sa spécificité et à l’originalité du message républicain de notre nation, qui témoigne de son aspiration à l’égalité et à la fraternité.
La France se désespère de voir ses élites vanter à l’envi la supériorité du modèle allemand. Il s’agit non pas de contester à nos voisins et amis leur vision, leur conception et la défense légitime de leurs intérêts, mais simplement de faire respecter le point de vue des Français. Pour le moins, nous n’avons pas le sentiment que tel est le cas aujourd’hui.
Pourtant, tel devrait être l’enjeu, cinquante-six ans après le traité de l’Élysée, d’un nouveau pacte. Ce n’est pas ce qui nous est proposé avec le traité d’Aix-la-Chapelle. En refusant de le ratifier, nous pourrions envoyer un message clair : oui à l’amitié franco-allemande, mais à condition que les relations franco-allemandes prennent un cours nouveau ! Tel n’est pas le cas : ne laissons pas faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Ma chère collègue, vous venez de dessiner une situation catastrophique. Selon moi, la réalité en est loin ! Permettez-moi de répondre aux trois ou quatre arguments sur lesquels vous vous êtes appuyée.
Tout d’abord, vous avez évoqué le risque, pour la France, de perdre son siège au Conseil de sécurité. Or il n’en est rien. Comme toujours, reportons-nous aux textes. La réforme de la Charte des Nations unies nécessite, certes, une majorité des trois cinquièmes, mais aussi l’unanimité des membres du Conseil de sécurité. Or, jusqu’à preuve du contraire, nous siégeons au Conseil de sécurité et ne sommes pas menacés de nous voir dépossédés de ce siège.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. Christian Cambon, rapporteur. Ensuite, s’agissant de notre souveraineté, j’estime que ce texte n’y porte pas atteinte, bien au contraire. Effectivement, nous sommes confrontés au risque bien connu de perdre une partie de notre puissance et de notre rayonnement, si, dans les domaines qui font l’objet du traité, nous ne renforçons pas notre coopération. Nous avons besoin d’une coopération opérationnelle stratégique dans le domaine de la défense, même si c’est difficile. Nous nous attelons donc à cette tâche.
La volonté des peuples, des pays et des assemblées vient combattre l’idée que vous défendez. Au moment où les grandes puissances mettent leurs intérêts en avant, nous avons plus que jamais besoin de rassembler la volonté commune de l’Allemagne et de la France, pour nous opposer, justement, au risque que vous avez décrit.
Par ailleurs, vous avez évoqué un moins-disant social, ce traité nous conduisant d’après vous à « copier » les aspects les plus contestables de la législation sociale allemande, notamment les contrats de courte durée.
Or je ne sache pas que, depuis que le traité de l’Élysée existe, la France se soit alignée sur le modèle allemand. Nous avons toujours l’un des modèles sociaux les plus enviés et les plus protecteurs, même s’il a encore et toujours des progrès à faire. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Ce traité ne va pas vers le moins-disant, mais, bien au contraire, comme c’est écrit en toutes lettres, vers une meilleure harmonisation sur les plans tant fiscal que social. Le risque que vous évoquez n’existe pas.
Enfin, s’agissant du rôle du Sénat, nous avons tout d’abord été surpris par le fait que l’Assemblée parlementaire franco-allemande ne comprendrait pas le Sénat. La raison en est simple, vous l’avez dit vous-même, ma chère collègue : le Bundesrat n’a pas du tout les mêmes compétences que le Sénat. En effet, les compétences du Sénat français sont tout à fait identiques à celles de l’Assemblée nationale dans le domaine législatif, vous connaissez tout cela par cœur.
Toutefois, je peux vous l’assurer, le travail qui est mené conjointement par l’Assemblée nationale et le Sénat implique les députés et les sénateurs de manière identique. Toutes nos actions et réunions se font en commun.
J’ai d’ailleurs souhaité, madame la secrétaire d’État, que le rôle du Parlement, et singulièrement du Sénat, soit mis en exergue, afin que nous puissions peser sur les décisions. En tant qu’assemblée des territoires, le Sénat a aussi la responsabilité des enjeux qui ont été évoqués.
Si je comprends les inquiétudes exprimées, que nous pourrions partager, celles-ci ne doivent pas nous conduire à nous opposer à la ratification de ce traité. Ainsi la commission, par 46 voix pour, 2 voix contre et une abstention, a-t-elle émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Sans surprise, le Gouvernement est contre cette motion. Partager, ce n’est jamais se renier. Rien, dans ce texte, ne permet d’affirmer que nous sommes en train de renier notre souveraineté. Il s’agit simplement de travailler ensemble, de partager, d’avancer concrètement dans des domaines culturels, économiques et sociaux.
Je ne vois pas en quoi la mise en place d’un fonds citoyen commun nous ferait perdre notre souveraineté ; je ne vois pas en quoi la facilitation des projets transfrontaliers nous ferait perdre notre souveraineté ; je ne vois pas en quoi notre contribution à l’OTAN, qui reste, madame la sénatrice, un pilier essentiel de la défense, dans la mesure où la France en est pleinement membre, en coordination avec l’Allemagne, nous ferait perdre notre souveraineté.
Permettez-moi de répondre sur certains points que vous avez soulevés. Notre modèle social républicain demande à être défendu, réformé et réorganisé. Rien ne nous empêche de le faire depuis Bruxelles ; rien n’empêche que l’accès aux droits soit facilité en France depuis Bruxelles ; rien ne nous empêche d’avoir un accompagnement des personnes les plus démunies vers l’emploi et de mener une politique d’insertion. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Si ces projets ne relèvent pas d’une politique sociale, je ne sais pas, madame la sénatrice, de quoi ils relèvent !
Avec le projet européen, il s’agit d’éviter de nous faire la guerre ; il s’agit non d’organiser la rivalité, mais de l’encadrer, pour faire en sorte que la compétition de chacun avec tous ne soit plus la norme, grâce à l’adoption de règles communes.
Vous avez demandé quelles initiatives offensives la France et l’Allemagne avaient prises ces derniers mois et ces dernières années. Quand nous lançons un projet commun sur les batteries, je pense que nous faisons beaucoup plus pour la transition écologique que de nombreux discours prononcés dans des lieux prestigieux. Quand nous nous rapprochons de l’Allemagne s’agissant de la directive sur les travailleurs détachés et que nos voisins d’outre-Rhin s’engagent à convaincre les pays les plus réticents, à savoir la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie, de rénover la directive, afin qu’à travail égal il y ait salaire égal et cotisations égales, je ne vois pas à quoi nous renonçons. Or telle est la feuille de route de l’agenda stratégique.
Vous dites, madame la sénatrice, que les déséquilibres peuvent mal finir. Je suis pleinement d’accord avec vous. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’estime plus que jamais nécessaire de converger. Or la raison d’être de ce traité est justement une meilleure convergence entre nos deux pays.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que je n’ai pas développées, le Gouvernement, vous l’avez compris, n’est pas favorable à cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’ai écouté attentivement Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui a défendu la question préalable. J’ai relevé dans ses propos une certaine contradiction, dans la mesure où elle considère ce traité comme inutile et dangereux, tout en estimant qu’il ne va pas assez loin et en regrettant une coopération insuffisante.
Je regrette une telle prise de position, qui exhale un parfum de méfiance à l’égard de l’Allemagne. Il est inexact de dire que ce projet comporte de nombreuses atteintes à la souveraineté de la France et induit une métamorphose profonde de notre modèle social. Les adeptes des fake news ont prétendu que l’Alsace et la Lorraine seraient rattachées à l’Allemagne. Bien évidemment, cela ne figure pas dans le traité ! Au demeurant, si le Bade-Wurtemberg et la Bavière étaient rattachés à la France, nous trouverions ainsi un équilibre ! (Sourires.)
Mme Lienemann a évoqué le siège de la France au Conseil de sécurité. Selon moi, le traité prévoit le contraire de ce qui a été prétendu.
Les déplacements dans le cadre des coopérations transfrontalières seront beaucoup plus fluides pour tous les travailleurs. Les collectivités locales, qui nous sont chères, pourront développer plus facilement des projets communs. Le fait qu’un tramway aille de Strasbourg à Kehl est une bonne chose pour tout le monde, pour ne citer qu’un exemple.
Je considère qu’être hostile à ce traité, c’est être hostile à la construction européenne. D’une certaine façon, c’est vouloir que l’Europe, la France et l’Allemagne ne grandissent pas et ne puissent pas jouer leur rôle au niveau mondial, comme nous le souhaitons au travers de la construction européenne.
Pour l’ensemble de ces raisons, mon groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour explication de vote.
M. Olivier Cigolotti. Comme nous l’avons fait ce matin en commission, nous ne soutiendrons pas cette motion. Si le groupe Union Centriste regrette également que la méthode d’élaboration n’ait pas associé les citoyens et le Parlement français et considère que le contenu du traité aurait pu être un peu plus ambitieux, il estime prioritaire de resserrer les liens unissant la République française et la République fédérale d’Allemagne.
Plus que jamais, il semble important de réaffirmer que la relation entre l’Allemagne et la France constitue la pierre angulaire de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. En tant que présidente du groupe d’amitié France-Allemagne, je me positionnerai, avec mon groupe, contre cette motion, et ce pour différentes raisons.
Tout d’abord, le traité de l’Élysée, signé en 1963 entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer, était fondé sur la réconciliation. Son ambition était de construire la paix entre les peuples. Depuis cette époque, nos sociétés et nos technologies ont évolué, ainsi que nos ambitions pour nos deux pays. Dans un tel contexte, il était important de compléter l’ancien traité – il ne s’agit pas de le balayer d’un revers de la main –, de façon concrète, avec des éléments factuels. En effet, certaines collectivités étaient demandeuses d’une meilleure coopération transfrontalière. Je pense en particulier, madame Lienemann, à ma région, où nous allons travailler, avec nos amis allemands, à la reconversion de Fessenheim, sujet intégré dans les annexes du traité d’Aix-la-Chapelle.
En outre, nous n’avons pas attendu la mise en œuvre de ce traité pour décliner de nouvelles perspectives de travail avec nos collègues allemands. Je pense tout particulièrement à l’excellent travail mené par la commission des affaires européennes, son président, Jean Bizet, et son homologue allemand, qui ont décliné de nombreuses pistes de travail, dont je vous invite à prendre connaissance, en matière économique, qu’il s’agisse des start-ups ou d’un statut particulier de l’entreprise…
En revanche, madame Lienemann, je vous rejoins pour regretter que le Sénat n’ait pas été associé à l’instance censée légiférer sur certains sujets. Bien évidemment, la Haute Assemblée a toute sa place dans ce cadre. C’est la raison pour laquelle le président Gérard Larcher a souhaité, avec son homologue du Bundesrat, qu’une convention soit signée entre le Sénat et le Bundesrat, pour marquer clairement le positionnement du Sénat au sein de la future procédure législative.
Le groupe Les Républicains votera donc contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Je formulerai deux remarques.
D’un côté, chacun ici s’accorde pour regretter que le Sénat n’ait pas été consulté. D’un autre côté, il n’y aurait rien à dire sur ce traité, nos deux gouvernements étant tellement visionnaires que, même en se passant de l’avis de leurs parlements, ils auraient abouti à un résultat irréprochable. Ainsi, tous ceux qui émettent des critiques sur ce traité sont des anti-européens qui ne veulent pas de l’Europe et craignent une relation franco-allemande resserrée.
Or il y a des gens, dont nous sommes, qui pensent que l’on peut construire l’Europe et la relation franco-allemande autrement. Lorsque l’on nous demande, même si c’est trop tard, notre avis, nous émettons des critiques, et c’est heureux !
Cessons de penser, comme je l’ai dit dans le cadre du débat qui s’est tenu à la suite du Conseil européen des 20 et 21 juin, que nous vivons dans un monde idéal, où l’Europe progresserait de manière harmonieuse. Au cours des dix derniers jours, nous avons assisté à des négociations peu glorieuses pour arriver à un compromis difficile, dont tout le monde sait qu’il traduit de graves problèmes politiques dans les relations européennes. Terminons-en avec cette ambiance peu lucide ! Oui, nous faisons face à de gros problèmes.
Permettez-nous de porter ici les questions et les inquiétudes des peuples européens. À l’échelle européenne, la situation politique est chaque jour plus inquiétante. Contrairement à ce que l’on nous dit, elle n’est pas en train de s’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Oui, il y a des problèmes et des dysfonctionnements en Europe ! C’est bien pour cette raison qu’il faut réagir.
Nous sommes dans un environnement international compliqué, où des États comme la Chine ou les États-Unis s’efforcent de créer une hégémonie qui finira par nous écraser. Par ailleurs, les élections européennes récentes ont montré que l’Italie, qui est un membre fondateur de l’Union européenne, déjà ébranlée par les élections de 2018, est encore soumise à des tentations susceptibles de mener à un démantèlement. N’oublions pas non plus le Brexit. Hier encore, au prétexte qu’ils sont pro-Brexit, des députés dits européens ont tourné le dos pendant que retentissait l’hymne européen.
C’est parce que nous sommes dans cette situation qu’il faut renforcer les liens avec l’Allemagne. Qu’on le veuille ou non, c’est un moteur pour l’Europe. Une unité plus forte de nos deux pays permettra de faire avancer les choses et de résister à une situation extrêmement dangereuse et compliquée.
Selon moi, ce traité va donc dans le bon sens. Même si, c’est vrai, certains points pourraient être améliorés, ce texte a le mérite d’exister. Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe votera contre cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. C’est évident, ce traité n’a rien à voir avec celui de l’Élysée. À sa lecture, on découvre un catalogue de désaccords, sans que des clés soient proposées pour en sortir. Ainsi, la question du climat fait simplement l’objet des articles 18 et 19, alors que les peuples français et allemand ont été ceux qui ont le plus montré leur inquiétude et leur préoccupation face à la situation climatique mondiale et leur volonté que l’Europe constitue réellement un outil pour faire face à ce défi. À l’évidence, le traité n’est pas à la hauteur en la matière.
Certains pays d’Europe centrale, à l’annonce de ce traité, ont pu craindre un accord de la France et de l’Allemagne pour les écraser, en faisant peser une sorte de dictature. La manière dont les choses se sont passées ces derniers jours a démenti la capacité de nos deux pays à définir une volonté commune et à l’imposer au reste de l’Union européenne. Ainsi, aujourd’hui, dans l’Union européenne, tout ne dépend pas de l’axe franco-allemand.
Par ailleurs, compte tenu des rôles constitutionnels différents du Sénat et du Bundesrat, le fait que le Sénat ne soit pas associé à l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui travaillera sur les questions de convergence législative pose problème.
Il faut une dynamique ! Ces dernières semaines l’ont montré, lorsque les dirigeants de la France et de l’Allemagne pensent surtout à leur ego, les choses ne marchent pas. Malgré tout, soyons responsables. Certes, ce traité comporte peu d’avancées. Mais il n’est pas irréversible. En allant plus loin, nous montrerons notre attachement à la coopération franco-allemande, à la construction européenne et au rôle de la France et de l’Allemagne au sein de cette dernière.
Ainsi, malgré l’absence d’ambition de ce traité, il me semble que nous pouvons en débattre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Richard Yung. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à nous prononcer aujourd’hui sur la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle signé en début d’année. Comme en témoigne son intitulé, il s’agit d’un traité de coopération et d’intégration entre la France et l’Allemagne, alors que le traité de l’Élysée de 1963 est un traité d’amitié.
Les résultats du traité de l’Élysée sont importants, puisqu’il a été le socle du développement de l’amitié et de la coopération entre la France et l’Allemagne. De nombreux résultats sont à mettre à son crédit : les jumelages, la création de l’OFAJ, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, le rapprochement des sociétés civiles, un conseil des ministres où siège parfois un ministre de l’autre pays, ce qui est une situation assez rare dans le monde.
Le traité d’Aix-la-Chapelle doit nous permettre d’aller plus loin dans toute une série de domaines, comme la convergence des économies, une approche commune dans la politique européenne, ainsi que la défense, la sécurité et l’armement. Je rappelle à cet égard l’importance de la clause de protection mutuelle.
Cela ne vous surprendra pas, notre groupe votera ce traité, qui est dans la continuité du traité de l’Élysée. Il le prolonge et lui donne des objectifs précis dans de nombreux domaines. Enfin, il est clairement destiné à renforcer la construction européenne. On ne peut pas considérer le traité d’Aix-la-Chapelle sans considérer la construction européenne.
Pour autant, nous n’accueillons pas ce texte de manière aveugle et béate. Nous voyons bien les faiblesses de la construction européenne et de l’amitié franco-allemande. Malgré les références à l’importance du moteur franco-allemand, les progrès réels sont longs et difficiles, à la suite d’oppositions fréquentes, notamment dans le domaine économique et financier.
De nombreux projets ont été tentés, mais sans grand succès. Je pense à la convergence fiscale, aux problèmes des cycles et des contrecycles et à la difficile naissance d’un budget de la zone euro. Mais si nous sommes parfois déçus, nous ne sommes pas découragés. Nous sommes donc prêts à repartir de l’avant.
L’Allemagne considère que les exportations, et singulièrement celles de l’industrie et de l’automobile, sont le moteur de sa croissance, alors que, pour la France, c’est la consommation des ménages et celle des administrations qui le sont. Nous le voyons bien, le rapprochement des deux politiques économiques est difficile. Ce constat est également vrai dans le domaine de la défense, même si un certain nombre d’avancées importantes ont été réalisées récemment : le Fonds européen de la défense, certes communautaire, le projet d’un avion de combat et d’un char commun.
Reste la question douloureuse, sur laquelle je ne reviens pas, des exportations d’armements, au sujet desquelles les Allemands – je parle en toute amitié – ont une pratique différente de leur discours.
Nous voyons aussi que, s’agissant des grands dossiers internationaux, il y a encore à faire – l’Europe ne pèse pas vraiment dans les négociations commerciales mondiales. Là doit être, selon nous, le moteur du développement européen.
Enfin, nous ne parvenons pas à formuler une perspective européenne et communautaire pour nos institutions et pour nos politiques à long terme.
Je ne suis évidemment pas de ceux qui critiquent la présence forte et influente de l’Allemagne dans les institutions communautaires, et en particulier au Parlement européen : les Allemands y envoient des députés expérimentés, qui font plusieurs mandats, qui suivent les mêmes dossiers pendant plusieurs années, qui « ont les rapports », comme on dit dans le jargon de Bruxelles, alors que les Français… – je vous laisse conclure vous-mêmes, mes chers collègues ; vous savez comment ça marche !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas vrai !
M. Richard Yung. Nous devons donc être lucides, c’est-à-dire être pour ce traité, qui représente, si nous sommes prêts à nous en saisir et à nous en servir, un moyen important d’avancer, tout en disant aux Allemands que le moment est venu – plusieurs d’entre vous l’ont dit – de ne plus se contenter de belles paroles sur l’amitié franco-allemande, mais de construire sur du concret en se montrant ouverts et coopératifs.
Nous voterons le projet de loi autorisant la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle. (M. Christian Cambon, rapporteur, applaudit.)
M. Robert del Picchia. Nous aussi !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Je veux commencer par citer les propos d’une de nos collègues allemandes, Sevim Dağdelen, devant le Bundestag : « Le traité de Merkel et de Macron à Aix-la-Chapelle est un mélange de réarmement et de préparation à la guerre, et traduit une orientation néolibérale et autoritaire au nom de l’amitié internationale. Il mérite que nous y résistions au nom de notre combat pour la paix, la justice sociale et l’internationalisme. »
La critique du traité d’Aix-la-Chapelle résonne donc outre-Rhin. Si j’ai tenu à commencer mon intervention par ces mots, expression d’un courant pacifiste important en Allemagne, qui concourt à protéger la paix depuis plusieurs décennies, c’est parce que je veux placer ma propre critique du traité soumis à notre ratification sous l’angle de la défense des intérêts communs des peuples allemand et français. Je veux d’emblée affirmer, en effet, que d’autres relations entre nos deux pays sont possibles, qu’un autre chemin est envisageable et souhaitable pour nos deux peuples et pour l’Europe.
Je motiverai mon propos en examinant trois points importants du traité : l’appui aux orientations libérales déjà en cours, la remilitarisation des relations entre les deux pays, la mise en cause de notre organisation territoriale.
Ce traité, prétend-on, va relancer l’axe franco-allemand et sauver l’Europe de la crise où elle s’enfonce. Or il ne la sauvera pas, mais continuera à l’enfoncer. Lorsque le traité de Versailles fut signé, Foch disait : « Ce n’est pas une paix, c’est un armistice de trente ans. » Face aux nationalismes guerriers qui menacent aujourd’hui, ce traité n’est pas une relance de l’Europe : il met en musique un approfondissement des logiques à l’œuvre. Avec de telles perspectives, il n’est pas certain que l’Europe tienne encore vingt ou trente ans. Et les nominations annoncées hier, après des jours de tractations peu glorieuses, confirment qu’aucun changement de cap fondamental n’est envisagé, bien au contraire !
Pourtant, un autre chemin est possible pour la France, pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Premier point : au libéralisme débridé, nous devrions opposer au plus vite la relance du progrès social en Europe. Le traité d’Aix-la-Chapelle n’en dit rien ; il est tourné vers l’application renforcée de l’ordre, ou plutôt du désordre, libéral, vers l’imposition d’un modèle de compétitivité toujours plus payé par l’abaissement salarial et la précarité. Généraliser, à coups de lois Travail, d’ordonnances Macron, de réformes des retraites et de l’assurance chômage, les recettes qui ont fait tant de mal aux salariés allemands, telles que les lois Hartz IV, les jobs à 1 euro de l’heure ou l’augmentation de la TVA, voilà, en vérité, l’option toujours défendue.
Injustes socialement, inefficaces économiquement, affaiblissant notre industrie, de telles dispositions fragilisent les travailleurs des deux rives du Rhin. Nous devrions emprunter le chemin exactement inverse : par exemple, négocier l’application d’un salaire minimum en Allemagne, au même niveau, au moins, que celui qui existe en France ; mettre en débat l’exemple allemand des banques publiques régionales d’investissement pour imaginer de nouvelles institutions publiques, ici et outre-Rhin, permettant de mobiliser les richesses de nos deux pays, au bénéfice des services publics et de l’écologie ; construire des partenariats mutuellement avantageux de développement économique et de recherche.
La démocratie sociale n’est pas évoquée une seule fois dans le traité. Pourtant, les syndicats allemands et français ont beaucoup à dire. Plutôt qu’un comité d’experts économiques, pourquoi ne pas développer des institutions sociales communes travaillant à l’harmonisation par le haut des droits économiques et sociaux ?
Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, plutôt que de continuer à plagier les solutions libérales du moins-disant social, nous devrions ouvrir ce genre de pistes, novatrices et porteuses d’espoir.
Deuxième point : à la relance des dépenses d’armement et à la remilitarisation de nos relations, nous devrions opposer un chemin résolu de paix, pour que la France et l’Allemagne s’engagent fermement ensemble pour le codéveloppement, la réduction des inégalités, le multilatéralisme, le désarmement international et la paix. À l’inverse, le traité fait la part belle à l’OTAN, poussée au surarmement par les États-Unis de Donald Trump.
Plutôt que d’imbriquer toujours plus nos industries de défense, au risque de notre souveraineté et au seul bénéfice de conglomérats industriels de plus en plus puissants, pourquoi ne pas consacrer les 13 milliards d’euros du Fonds européen de la défense à un fonds commun de développement permettant de lutter plus vite contre les inégalités en Europe et de démultiplier le soutien aux populations les plus pauvres de la planète ? Pourquoi ne pas plaider pour une démocratisation générale des Nations unies, plutôt que de se limiter au seul soutien à l’accès de l’Allemagne au Conseil de sécurité ? Pourquoi ne trouve-t-on, dans ce traité, aucune initiative franco-allemande pour relancer l’initiative internationale en faveur du désarmement, qui fait tant défaut dans ce monde si dangereux ?
Oui, nous refusons d’importer toujours plus d’outre-Rhin un alignement stratégique et opérationnel prioritaire sur l’OTAN ! Oui, nous refusons d’imposer à l’Allemagne les largesses françaises en matière d’exportations d’armes ou d’éviction des parlementaires des décisions prises en la matière ! Un traité novateur impliquerait l’engagement de nos deux pays dans un cadre multilatéral pour de nouvelles et grandes initiatives de paix. Tout cela est absent du traité.
Une dernière remarque sur l’organisation territoriale : les dispositions du traité, qui paraissent séduisantes, ne répondront ni aux ambitions de solidarité transfrontalière ni aux aspirations à plus de démocratie locale.
Les eurodistricts prévus précèdent en vérité le droit à la différenciation, dont vous souhaitez la mise en œuvre en France, et qui lui-même préfigure la généralisation des dérogations aux droits sociaux, des délocalisations et la mise en concurrence accélérée des territoires.
Une perspective ô combien plus moderne aurait pu consister, par exemple, à créer des fonds publics d’investissement communs et transfrontaliers, des circuits courts pour les productions locales, des guichets uniques bilatéraux destinés à faciliter la vie des frontaliers, et à développer des infrastructures de transport.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Laurent. Vous l’aurez compris : nous ne soutiendrons pas ce traité. Nous pensons qu’une autre voie est possible pour nos deux peuples et pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. Michel Boutant. Le traité d’Aix-la-Chapelle, plus précisément appelé traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, complète, comme indiqué en son article 27, le traité de l’Élysée signé cinquante-six ans plus tôt. Le paragraphe 4 des dispositions finales du traité de l’Élysée prévoit en effet que « les deux gouvernements pourront apporter les aménagements qui se révéleraient désirables pour la mise en application du présent traité ».
Signé dix-huit ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le traité de l’Élysée a une portée à la fois historique, symbolique, politique, diplomatique et culturelle.
Historique : après des siècles de brouilles, de querelles et de guerres, il ouvre une voie à la réconciliation entre nos deux peuples.
Symbolique : à l’esprit de confrontation et à la guerre succède un espoir de paix, et de paix durable. Pour la première fois, on tire une leçon exaltante des drames qui ont mis l’Europe et même le monde à feu et à sang et ont causé tant de malheurs et des millions de morts. Enfin semble cassé ce cercle infernal de guerres et de traités humiliants pour l’une, puis l’autre, des deux parties, produisant le conflit suivant !
Politique : nos deux États prennent conscience de l’intérêt qu’ils ont à coopérer, à se rassembler, à s’unir, plutôt que de s’ignorer ou de se tenir dans une relation de provocation et de rivalité permanentes. À tous les niveaux, ou presque, des ponts sont lancés. Le rapprochement de nos instances, des ministres de la défense et des états-majors de nos deux pays, inédit jusqu’alors, illustre à lui seul cette démarche d’amitié.
Diplomatique : les relations se font plus étroites, croisées ; les partenariats s’expriment par la présence de l’un dans les instances de l’autre, et réciproquement.
Culturelle, enfin : l’enseignement de la langue et de la culture de l’autre est vecteur d’une meilleure compréhension et d’une meilleure entente, d’une envie d’ouverture. Les jumelages entre les communes, voire entre les régions, rapprochent les mentalités et les cœurs.
Ce traité de l’Élysée aura, au bout du compte, insufflé à nos deux pays un esprit de compréhension et d’amitié. En cet instant, je me souviens de mon père, qui eut 20 ans en pleine guerre, disant : « Ma jeunesse, je l’ai passée à chasser les Boches ; maintenant, je veux vivre en paix avec les Allemands : nous avons trop souffert. »
Qu’en est-il aujourd’hui de nos relations, à l’heure où, grâce au traité signé par le Président de la République française et la Chancelière fédérale d’Allemagne le 22 janvier dernier, nous discutons de la révision ou du rafraîchissement de ce traité de l’Élysée ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde a changé : l’histoire, la géographie politique, le contexte économique, le personnel politique également, ont changé.
En 1963, on est encore dans l’après-guerre, et les effets de la guerre se font ressentir : l’Europe est coupée en deux, comme l’Allemagne ; la guerre froide entre l’Est et l’Ouest divise les peuples et les États et fait peser sur le monde un risque permanent d’embrasement ; à l’OTAN fait face le Pacte de Varsovie. Élisabeth II est reine d’Angleterre ; le Royaume-Uni est toujours dans son splendide isolement. Les membres fondateurs du traité de Rome sont au nombre de six et l’Europe connaît une prospérité économique qui absorbe des centaines de milliers de gens venus, pour la France, de nos anciennes colonies, et, pour l’Allemagne, de Turquie, de Grèce et de Yougoslavie. Bonn est la capitale de l’Allemagne ; Churchill a 89 ans ; de Gaulle, ancien grand résistant, est Président de la République française, Adenauer Chancelier d’Allemagne ; le mark vaut 1,21 franc.
2019 : le franc et le mark ont été remplacés par l’euro – soit dit en passant, au moment de ce remplacement, le mark valait 3,60 francs ; Angela Merkel est Chancelière ; Churchill est mort, de Gaulle aussi ; Élisabeth est toujours reine d’Angleterre ; le Royaume-Uni s’apprête à quitter l’Union européenne, qui compte désormais vingt-huit membres, ou plutôt vingt-sept. Rome a été révisé par Lisbonne ; l’Allemagne est réunifiée et Berlin est redevenu sa capitale ; le rideau de fer s’est déchiré ; l’Europe centrale et l’Europe de l’Est se sont ouvertes à l’économie de marché ; le Pacte de Varsovie a fondu ; l’OTAN est remise en cause dans son financement par les États-Unis.
Le monde est instable ; le terrorisme frappe ; il fait de plus en plus chaud ; les migrants meurent en Méditerranée. Les eurosceptiques, les europhobes, remettent en cause le fonctionnement voire l’existence de l’Union européenne ; ils font des scores jamais vus aux élections européennes. La Chine, de son côté, continue à grandir, et à grandir encore ; les États-Unis, eux, se replient pour gagner en grandeur. Des peuples s’émancipent ; d’autres continuent à mourir. Internet et les réseaux sociaux quadrillent notre vie. Hélas, on apprend de moins en moins l’allemand dans les écoles françaises et de moins en moins le français dans les écoles allemandes.
Pourquoi, me direz-vous, faire le tour du monde et de l’histoire quand ce qui nous intéresse, ici, aujourd’hui, c’est le traité d’Aix-la-Chapelle ? Précisément : nous sommes au cœur du sujet ! Ou plutôt, nous n’y sommes pas tout à fait, car ce traité semble passer à côté de tous ces changements, autant de changements qui nous concernent, qui nous touchent, qui impactent nos vies. Seuls, nous sommes une goutte d’eau dans le monde ; à deux, nous pesons un peu plus, surtout quand ces deux-là sont la France et l’Allemagne, passées de la déchirure, de la haine la plus profonde, à la réconciliation, à la paix, à l’amitié. Quel exemple pour l’Europe ! Quel exemple pour le monde !
Alors, je reste sur ma faim : on aurait aimé, dans ce traité, de l’enthousiasme, un grand dessein, une refondation susceptible de contaminer heureusement l’Union européenne ; au lieu de quoi nous avons une longue liste, un catalogue de bonnes intentions. Ainsi sont proposées une photographie de nos sociétés à un instant t et la déclinaison d’un grand nombre de mesures qui, certes, ne sont pas à rejeter, mais, hélas, ne s’inscrivent pas dans un grand mouvement permettant de redonner du souffle à nos deux pays et à l’Europe, à un moment où les situations se crispent, où les grains de sable s’accumulent. Les divergences assumées des uns, les bouderies des autres, ne servent pas l’idéal d’humanité qui a guidé nos deux pays depuis la sortie de la guerre.
Je ne suis pas naïf pour autant ; je lis, comme vous, dans l’actualité, et dans les analyses qui en sont faites, que, partout, les rivalités s’exacerbent, que ce soit dans le domaine économique ou militaire, financier ou commercial. Les uns souhaitent un gouvernement économique européen, d’autres le rejettent, forts de leur prédominance et sûrs d’eux.
On a longtemps parlé, en Europe, du couple franco-allemand, moteur de la construction européenne. Ce couple tire sa légitimité de son parcours, qui l’a conduit de la haine à la compréhension et de la compréhension à la réconciliation. Nous avons besoin d’une coopération féconde, au lieu de quoi notre relation offre souvent une image de désunion ; ainsi des propos récents de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et des rivalités au sujet de certaines nominations ou, entre partenaires industriels, autour de programmes d’armement, pour ne citer que quelques exemples.
Me dirigeant vers ma conclusion, je voudrais maintenant, madame la secrétaire d’État, vous poser deux questions.
La première a trait à l’Assemblée parlementaire franco-allemande, point déjà abordé par les intervenants précédents. Celle-ci compte seulement des membres de l’Assemblée nationale et du Bundestag. Le Sénat ne fait-il pas pleinement partie du Parlement français ? Dans le domaine de la défense, par exemple, les députés français et allemands et les sénateurs des commissions concernées se rencontrent déjà, échangent, travaillent ensemble, comme l’a dit le président Cambon il y a quelques instants. Le fondamental ne rejoint-il pas là l’essentiel, nonobstant la dichotomie des douzième et treizième alinéas du préambule de ce traité ?
Ma deuxième interrogation porte sur la forme que prendra l’information du Parlement, et donc du Sénat, sur l’application de ce traité.
Voici ma conclusion : en dépit du caractère généraliste, cumulatif et plutôt formel de ce traité, qui aurait dû faire fond sur une analyse des mésententes au plus haut niveau et des difficultés qu’elles engendrent, ou, inversement, des difficultés au plus haut niveau et des mésententes qu’elles engendrent, afin de clarifier la relation franco-allemande, de la dynamiser et d’en faire un modèle pour la relance européenne, le groupe socialiste et républicain votera en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche. – M. Robert del Picchia applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui aurait pu imaginer, dans les décombres de la guerre, en 1945, que la France et l’Allemagne parviendraient à dépasser leur opposition séculaire pour sceller une profonde amitié ?
En effet, à un destin longtemps lié par la guerre et la haine s’est substitué un horizon fait de paix et de projets communs.
De déclarations en actes fondateurs, en passant par des gestes symboliques, nombreuses sont les initiatives qui ont permis de forger les liens qui font aujourd’hui du couple franco-allemand une évidence que nul ne peut contester.
La fameuse déclaration de Robert Schuman, en 1950, avait ouvert le temps de la réconciliation. Schuman avertissait : l’Europe ne saurait s’édifier sans la France et l’Allemagne réunies.
Quant au temps de la coopération, c’est bien entendu le traité de l’Élysée qui l’engage, en 1963, sous l’impulsion du général de Gaulle et de Konrad Adenauer, avec des objectifs en matière d’affaires étrangères, de défense et d’échanges culturels.
Pour ce qui est, enfin, de l’œuvre de consolidation de cette entente entre la France et l’Allemagne, elle fut marquée par des gestes forts. Je ne citerai que le plus connu : François Mitterrand et Helmut Kohl, main dans la main, à Verdun, en 1984.
À l’époque, la logique de guerre froide est toujours sous-jacente aux rapports internationaux, tandis que l’Europe s’enlise. Aussi cette gestuelle fraternelle n’est-elle pas uniquement symbolique ; elle fait l’histoire, montrant au monde qu’il y a, entre les deux grandes puissances, la communauté européenne.
Mes chers collègues, c’est parce que la coopération franco-allemande a permis une relation pacifiée que tout ce qui peut contribuer à la favoriser mérite d’être soutenu.
Le nouveau traité signé le 22 janvier dernier à Aix-la-Chapelle suppose toutefois que les actes et les paroles suivent les bonnes intentions, ce qui ne se vérifie pas toujours.
Il est d’ailleurs des décisions prises par la Chancelière et des propos tenus par des membres de son gouvernement qui – disons-le franchement – écornent quelque peu certaines des ambitions contenues dans le traité.
S’agissant déjà du chapitre 1er, consacré aux affaires européennes, que dire du vœu de « prises de parole coordonnées », parfois négligé à des moments politiques importants ?
Prenons un exemple récent : si les nominations aux postes clés des institutions européennes – certains diraient aux « top jobs » – sont enfin arrêtées, force est de constater qu’elles ont été très mal engagées. Tout le monde, depuis soixante-douze heures, applaudit ; certains ont la mémoire courte ! Cette réalité bien regrettable, nous la devons en grande partie aux atermoiements franco-allemands affichés au lendemain des élections européennes. Et le plan Timmermans, préparé en marge du G20 à Osaka, est malheureusement intervenu trop tard dans ce marasme européen.
Au regard des indécisions franco-allemandes, on s’interroge sur la capacité des deux États à relever ensemble les défis qui s’annoncent dans des domaines substantiels relevant de la puissance de l’Union européenne.
Saura-t-on conserver tout son sens à l’article 4 du traité, qui prévoit l’élaboration d’une approche commune en matière d’exportation d’armements ?
Au chapitre 2, il est question d’une forte ambition commune, notamment dans le domaine industriel de la défense.
Il est donc important de ne pas affaiblir ce volet de la coopération, comme l’a très justement rappelé l’ambassadrice de France en Allemagne, dans une brillante tribune dont je vous recommande la lecture – elle y souligne la « tentation du German free ».
Les industriels des deux rives ont besoin de clarté, comme l’a rappelé le président Cambon, surtout dans la perspective du programme de construction de l’avion du futur, le SCAF, ou dans celle du projet terrestre MGCS, visant à remplacer les chars de combat.
Je ne reviendrai pas sur la polémique déplacée qui s’est développée autour du siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, si ce n’est pour me réjouir que le traité d’Aix-la-Chapelle précise l’objectif d’un siège pour l’Allemagne.
J’évoquerai brièvement, pour finir, l’article 20, qui fixe des priorités en matière économique.
Il y est question de la coordination régulière des politiques économiques, et en particulier de l’institution d’un conseil d’experts qui se penchera sur le principe de convergence. Sur ce point également, il est important que les partenaires soient réellement responsables des engagements pris et les respectent.
Je pense en particulier aux progrès que nous devons réaliser en matière de convergence fiscale ou sociale, pour mettre fin aux situations de dumping entre pays européens. Je rappelle d’ailleurs, avec plaisir, que l’Allemagne est l’un des derniers pays à avoir créé un salaire minimum légal.
C’est ainsi que nous avancerons ensemble.
En 1984, François Mitterrand s’adressait en ces termes au président de la République fédérale d’Allemagne : « Nous attendons beaucoup de vous. Vous attendez beaucoup de nous. Souvent, les déceptions suivent de près les espérances, mais le parti de l’espérance reste le plus fort. Nous ne pouvons progresser qu’ensemble. »
En conséquence, madame la secrétaire d’État, nos rapports avec Berlin doivent reposer sur la confiance, la transparence et la solidarité.
S’inscrivant dans cette approche positive, le groupe du RDSE approuvera le projet de loi, car, malgré tout, comme on a pu le voir lors du sommet de Meseberg, le couple franco-allemand continue d’apparaître comme une vraie force d’entraînement pour la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Christian Cambon, rapporteur, et Robert del Picchia applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous nous penchons sur ce nouveau traité d’amitié entre la France et l’Allemagne, force est de constater que les sujets de discorde entre les deux côtés du Rhin ne manquent pas. Qu’il s’agisse de la politique industrielle, de la question des exportations d’armements ou encore des sujets européens, les points de dissension semblent en effet se multiplier.
En tant qu’Alsacien, je ne peux que regretter tout ce qui ne va pas dans le sens d’une coopération plus étroite entre nos deux pays. Aussi, malgré le contexte actuel, j’accueille avec joie ce nouvel accord, dont mon groupe votera bien entendu la ratification.
Ainsi que l’a rappelé le président Cambon dans son excellent rapport, le traité d’Aix-la-Chapelle de 2019, comme celui de l’Élysée de 1963, a en effet pour ambition de graver dans le marbre l’amitié non seulement entre les gouvernements, mais aussi et surtout entre les peuples. Cette amitié est absolument essentielle à la paix de l’ensemble de notre continent, ainsi qu’à son bien-être et à sa prospérité. Elle est en outre la condition de la pérennité du projet européen, auquel nous sommes si fermement attachés.
Affirmer la force des liens qui nous unissent, c’est également affirmer une alliance de valeurs – je pense notamment à la défense du multilatéralisme, n’en déplaise à ses détracteurs, si puissants soient-ils.
Je souhaiterais plus particulièrement évoquer les dispositions renforçant nos liens en matière culturelle, moins spectaculaires que celles qui ont trait à la coopération militaire – mon collègue Olivier Cigolotti en parlera – ou aux grands contrats, mais ô combien essentielles pour toucher l’ensemble de nos deux peuples.
Le traité évoque ainsi, de manière bienvenue, le « développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre ». Or, si l’enseignement de l’allemand reste stable en France, l’enseignement du français connaît une baisse constante en Allemagne depuis dix ans : alors que 16 % des élèves apprenaient le français en 2007, ils n’étaient plus que 14 % en 2017, et ce à tous les niveaux d’apprentissage. Cette situation est pour le moins inquiétante, tant la langue véhicule la culture de chaque peuple, et tant elle est cruciale pour les voyages et les échanges.
Je salue par ailleurs le lancement d’une plateforme numérique franco-allemande, destinée en particulier aux jeunes et adaptée aux nouvelles cultures médiatiques. France Médias Monde, associé à Deutsche Welle, d’une part, et à Arte, d’autre part, a manifesté son intérêt, ce dont nous nous félicitons.
S’agissant de la coopération transfrontalière, qui – vous vous en doutez – m’est chère, le traité prévoit la création d’un nouveau comité de coopération, composé notamment des principales collectivités territoriales. Sont également évoquées d’éventuelles dérogations à la législation permettant aux collectivités territoriales de surmonter des obstacles à la coopération transfrontalière. Il y a là une avancée intéressante, qui est demandée localement. Le modèle des coopérations franco-allemandes en matière médicale, concernant notamment les urgences ou les soins cardiaques, constitue à cet égard un exemple de dispositif local efficace riche d’enseignements.
Toutefois, il apparaît qu’une modification de l’article 72 de la Constitution serait nécessaire pour rendre véritablement applicables les dispositions du traité. Nous sommes donc demandeurs, madame la secrétaire d’État, de clarifications à ce sujet.
Je signalerai enfin, sans m’y attarder, le ridicule des fausses nouvelles qui ont accompagné la signature du traité en janvier dernier : vente de l’Alsace-Lorraine, cession de notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU. J’en profiterai seulement pour rappeler, en tant que membre de la commission de la culture, que les travaux que nous menons pour lutter contre de tels phénomènes sont plus que jamais d’actualité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce traité intervient exactement cinquante-six ans après le traité de l’Élysée entre nos deux peuples, qui était le moyen le plus sûr de préserver la paix ; d’autres pays européens nous ont rejoints depuis.
Aujourd’hui, d’autres défis sont à relever. Le monde évolue très vite. Le duopole sino-américain se livre à une compétition sans merci pour s’assurer un leadership mondial. La prise de contrôle des réseaux internet est une illustration parmi tant d’autres. D’autres grands États, comme l’Inde et le Brésil, ambitionnent également de prendre place parmi les grandes nations planétaires.
Et, pendant ce temps, les pays européens peinent à parler d’une seule voix. Que pèsent 80 millions d’Européens par-ci ou 60 millions par-là, face à 1,4 milliard de Chinois, à 300 millions d’Américains ou à 1,3 milliard d’Indiens ? Ensemble, les 550 millions d’Européens peuvent, et doivent, faire entendre leur voix et défendre leurs valeurs.
Les critiques d’une coopération franco-allemande sont souvent le résultat de manipulations nationalistes. Cette idéologie a déjà montré de quelles catastrophes elle était capable.
Le groupe Les Indépendants ne voit pas dans ce traité un abandon. Il y voit l’expression d’une souveraineté ouverte, coopérative et tournée vers l’avenir.
Le général de Gaulle, dans un discours prononcé en Allemagne et en allemand, déclarait en 1962 : « [La] base sur laquelle peut et doit se construire l’union de l’Europe […], c’est l’estime, la confiance, l’amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand. »
Notre groupe considère ce traité, qui vise à renforcer les liens entre la France et l’Allemagne, comme une heureuse initiative. Nous avons une forte relation commerciale avec notre voisin d’outre-Rhin. En 2017, l’Allemagne est le premier client, mais aussi le premier fournisseur de la France.
Pour autant, ce traité nous semble insuffisant quant au chapitre des coopérations industrielles qui font défaut à l’Europe pour faire face aux grandes puissances. De même, il aurait pu intégrer une coopération concernant la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, qui coûtent chaque année des milliards à des États membres de l’Union.
Ce traité met en lumière le bilinguisme des zones frontalières. C’est le quotidien des populations transfrontalières – mon collègue Claude Kern vient de le rappeler –, qui se connaissent, se côtoient et vivent ensemble. C’est une chance.
Le rapprochement de nos pays en matière culturelle est assez naturel. Nous partageons les mêmes valeurs : la démocratie, l’État de droit, le respect des minorités ou encore le respect de la vie privée.
Ces échanges mutuels nous apportent beaucoup et sont une source d’avancées concrètes. Je pense notamment à la chaîne de télévision publique franco-allemande à vocation culturelle européenne, Arte.
Notre proximité dépasse la sphère culturelle. Dans le domaine de la sécurité notamment, la France et l’Allemagne ont des intérêts communs. À nos yeux, la coopération en matière de sécurité tant extérieure qu’intérieure ne peut qu’améliorer la qualité du travail de nos services et la sûreté de nos concitoyens.
Avec 47 milliards d’euros, le budget de la défense de l’Allemagne dépasse celui de la France depuis cette année. Bien que les groupes politiques allemands soient très partagés sur les questions de défense, nous devons rapprocher davantage nos nations pour réduire la trop forte dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis.
Au-delà de ce traité, le Fonds européen de la défense est également un excellent outil. Il devrait permettre de canaliser des moyens financiers au bénéfice de nos entreprises.
Les projets franco-allemands d’avion de chasse et de char attestent de l’opportunité d’une telle coopération. Les différences de vues, récemment mises en lumière par les divergences en matière d’exportation d’armes, nous rappellent l’utilité et la nécessité d’une coordination entre les gouvernements allemand et français tout en respectant le choix de chacun.
Nous avons besoin d’harmoniser nos doctrines, afin d’augmenter encore notre intégration. L’Europe s’essouffle face à l’hégémonie de ceux qui profitent de telles divisions. Nous devons reconstituer une capacité d’action stratégique à l’échelon européen.
Le couple franco-allemand a un rôle essentiel à tenir, afin de rester le moteur de l’Union européenne, d’autant qu’il ne faut pas sous-estimer les risques de démantèlement européen.
En 2018, les élections en Italie, fondatrice de l’Europe, sont de nature à nous inquiéter. En 2019, la Ligue de Matteo Salvini a gagné les élections européennes et a rejoint le Rassemblement national dans un même groupe. Hier, les députés britanniques pro-Brexit ont tourné le dos à l’hymne européen. C’est bien sûr choquant.
Dans ce contexte de départ du Royaume-Uni, une forte intégration franco-allemande est nécessaire, mais elle ne suffira pas à elle seule à faire vivre l’Union européenne.
Le groupe Les Indépendants est convaincu que l’Europe à beaucoup à perdre dans la division. Notre richesse et nos talents comptent dans le monde, à la condition que nous soyons unis.
L’actualité montre chaque jour la difficulté à prendre une décision au sein d’un club de vingt-huit membres. « Unie dans la diversité » est un slogan qui trouve ces limites ; comme le disait Georges Clemenceau : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois, c’est déjà trop. » (Sourires.)
Ce traité crée par des accords bilatéraux une unité d’action entre la France et l’Allemagne. Sur certains aspects, nous pouvons considérer qu’il est a minima. Mais l’essentiel est qu’il existe et qu’il va dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar de M. le président de la commission des affaires étrangères, je me réjouis de la nomination des différents titulaires des postes clés de l’Union européenne. Je pense notamment à la présidence de la Commission européenne, avec Mme Ursula von der Leyen, et à celle de la Banque centrale européenne, avec Mme Christine Lagarde. Ce tandem, dans les deux sens du terme, nous permettra d’espérer le retour d’une dimension franco-allemande à la tête de l’Europe. Je regrette moi aussi l’absence de Michel Barnier dans l’architecture communautaire au regard de l’importance de son engagement sur le dossier du Brexit et pour la refondation de l’Union européenne.
Depuis l’acte fondateur qu’a constitué le traité de l’Élysée, la haine héréditaire que se vouaient réciproquement la France et l’Allemagne s’est progressivement muée en amitié indéfectible, à tel point d’ailleurs que le lien privilégié qui unit nos deux pays peut parfois nous apparaître comme une évidence.
Si je me réjouis que cette perception traduise l’immense succès qu’a été la réconciliation entre nos deux nations, il me semble toutefois que la relation franco-allemande est trop importante pour être regardée avec des œillères, fussent-elles bienveillantes.
Or, bien que notre coopération bilatérale bénéficie toujours d’une densité et d’une profondeur sans pareilles, il nous faut bien constater que, depuis plusieurs années déjà, la dynamique du couple franco-allemand semble quelque peu marquer le pas. C’est alors, par voie de conséquence, le cœur même de la construction européenne qui se trouve ainsi frappé d’essoufflement. Bien sûr, l’équilibre des forces a changé et l’axe franco-allemand ne peut plus tenir dans une Europe élargie un rôle aussi prépondérant que par le passé. Mais il n’en reste pas moins que, sans son impulsion, rien ou presque d’ambitieux ne peut se faire en Europe.
Les enjeux du rapprochement franco-allemand dépassent donc largement nos deux pays. Ils concernent l’ensemble du continent, même s’il faut naturellement se garder de donner à nos autres partenaires le sentiment d’une relation qui se voudrait exclusive ou, pire, hégémonique.
Le contexte actuel doit cependant nous conduire à nous débarrasser de toute pudeur excessive en la matière. L’Europe reste à la croisée des chemins, les forces populistes et nationalistes continuent malheureusement de prospérer et le Brexit n’est toujours pas derrière nous. Elle doit s’atteler d’urgence à sa refondation pour regagner enfin la confiance des peuples. Pour ce faire, elle devra notamment apporter des réponses crédibles et collectives aux défis internationaux tels que l’exacerbation de la compétition commerciale, économique ou technologique, la montée des tensions géopolitiques ou les enjeux environnementaux et climatiques.
Dans ces conditions, la responsabilité particulière de la France et de l’Allemagne est évidente. Il était donc essentiel de conjurer le spectre d’une panne durable du moteur franco-allemand et de prendre une initiative visant non seulement à lui donner un nouveau souffle, mais également à réaffirmer son engagement et son ambition pour l’Europe.
Le traité signé le 22 janvier à Aix-la-Chapelle s’inscrit dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de sa ratification.
Je me félicite notamment de ce que ce traité développe des objectifs ambitieux en matière d’intégration économique et de coopération militaire. Permettez-moi néanmoins de formuler quelques réserves quant aux résultats à attendre dans ces deux domaines éminemment stratégiques.
En effet, si le traité d’Aix-la-Chapelle énonce des principes, des intentions ou des ambitions, qui ont d’ailleurs pour la plupart déjà été formulés dans le cadre européen, il n’esquisse pas le chemin que Paris et Berlin entendent suivre pour dépasser les nombreux blocages qui empêchent actuellement leur réalisation.
C’est le cas en matière économique. Nous le savons tous, un fossé s’est creusé entre les deux économies, accentuant le déséquilibre désormais profond de la relation franco-allemande. Ce déséquilibre, qui pèse sur la relation de confiance entre nos deux pays, porte en lui les germes d’un découplage politique et stratégique mortifère.
Emmanuel Macron semblait l’avoir compris, lui qui affirmait pendant sa campagne présidentielle vouloir « regagner la confiance de l’Allemagne » en réalisant des réformes structurelles et en assainissant les finances publiques. Pourtant, force est de le constater, malgré ces engagements, la France peine plus que jamais à enclencher une dynamique qui lui permettrait de commencer à combler réellement la divergence qui s’est installée avec notre partenaire.
Dans ces conditions, l’objectif d’une convergence économique, budgétaire, sociale et fiscale franco-allemande et, plus largement, européenne, que nous soutenons résolument, risque de demeurer longtemps un vœu pieux, et les projets français de renforcement de l’Union économique et monétaire, seulement soutenus du bout des lèvres par nos amis allemands, une vue de l’esprit.
C’est vrai également en matière stratégique. Nos amis allemands doivent, me semble-t-il, comprendre qu’ils ne pourront différer encore longtemps le moment où ils devront assumer leurs responsabilités sur la scène internationale. M. le président de la commission des affaires étrangères l’a souligné encore plus nettement que moi.
Bien sûr, je n’ignore pas que les mentalités ont commencé à évoluer sur ce sujet outre-Rhin, mais aussi que l’Allemagne ne pourra pas s’aligner du jour au lendemain sur la posture française ou endosser le rôle aujourd’hui tenu par le Royaume-Uni dans la coopération stratégique et opérationnelle en matière militaire.
Je me réjouis par ailleurs que la France et l’Allemagne soient engagées dans des coopérations industrielles majeures en matière de défense, tout en regrettant les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur les projets communs.
Mais Berlin doit entamer sa mue stratégique et sortir de son statut de puissance exclusivement civile, sans quoi l’idée même d’une Europe, je n’ose dire puissance, mais tout au moins capable de défendre ses intérêts de manière autonome, restera lettre morte.
Je regrette d’ailleurs que cette ambition, alors même qu’elle semble peu à peu prendre corps à l’échelon européen, en matière tant militaire que commerciale ou industrielle, soit assez largement absente du texte paraphé par le Président de la République et la Chancelière allemande.
La signature du traité d’Aix-la-Chapelle a suscité des réactions nombreuses et pour le moins contrastées. Elle a en particulier déclenché une véritable avalanche de fake news, dont la plupart prêteraient franchement à sourire, si toutefois elles n’avaient reçu un si large écho et, surtout, si elles n’illustraient pas une forme de délabrement du débat public, dont nous sommes malheureusement de plus en plus souvent témoins.
À la vérité, ce traité ne mérite ni cris d’orfraie ni enthousiasme démesuré. Il s’agit d’un jalon indéniablement important dans l’histoire de la relation franco-allemande, d’une impulsion nécessaire à un moment décisif de la coopération bilatérale et européenne.
Cela exigera comme toujours, mais peut-être plus que jamais que, des deux côtés du Rhin, chacun soit prêt à se remettre en question et à évoluer. Chacun devra en particulier être prêt à entrer pleinement dans le XXIe siècle : la France en assumant les exigences de la compétitivité économique imposées par la mondialisation, et l’Allemagne en assumant les responsabilités qu’imposent les bouleversements du contexte géostratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut. « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. » Cette citation vous semble certainement récente, et totalement d’actualité. Pourtant, elle date du XIXe siècle, et elle est d’un de nos plus grands penseurs : Victor Hugo.
Lors de l’une de ses premières rencontres avec la Chancelière Angela Merkel, le président Emmanuel Macron a émis le souhait de marquer la singularité des relations entre la France et l’Allemagne en complétant le traité d’amitié entre les deux pays, le fameux traité de l’Élysée du 22 janvier 1963. Ce traité, l’un des plus importants de l’histoire de la Ve République, avait besoin à ses yeux d’être complété, actualisé, pour donner un souffle nouveau à la relation entre nos deux pays.
Nos amis allemands n’étaient pas demandeurs, mais ils ont salué cette initiative, qui pouvait relancer la coopération franco-allemande au service de la politique européenne.
Chers collègues, arrêtons-nous un instant sur l’importance du traité de l’Élysée, que le traité d’Aix-la-Chapelle vient compléter.
Il date de 1963. En un siècle, la France et l’Allemagne s’étaient déchirées par trois fois dans des conflits parmi les plus meurtriers et les plus sanglants de l’histoire de l’humanité. Moins de vingt ans après la Seconde Guerre mondiale, qui avait dévasté l’Europe, moins de vingt ans après l’occupation brutale de la France par l’Allemagne, comment envisager de tendre la main à la jeune République fédérale ?
Il fallait le caractère visionnaire et la stature immense du général de Gaulle et son intuition des enjeux de la construction européenne et de l’absolue nécessité d’une coopération entre la France et l’Allemagne pour faire accepter ce traité. À l’époque, c’est notre pays qui était économiquement, politiquement et culturellement le partenaire dominant de ce duo. La France tendait la main dans un formidable geste de pardon et de réconciliation. Le Général, qui avait vécu dans sa chair les deux conflits mondiaux, proposait, contre une grande partie de l’opinion française, une coopération visionnaire fondée sur les échanges, la jeunesse, la rencontre.
Le traité de l’Élysée a permis des politiques communes dans tous les domaines de l’État, des échanges entre citoyens, fonctionnaires, industriels, artistes, parlements, qui permettent une communication simple et parfois une résolution des différends quand ceux-ci, inévitablement, surgissent. Ces inévitables différends existent, car, précisément, nous sommes différents ; c’est une réalité indéniable, mais nullement insurmontable.
Et malgré cela, depuis ces dernières décennies, nos deux pays ont appris à travailler ensemble, à se connaître, à dialoguer, à se comprendre.
Rappelons-nous, pour ne citer qu’un exemple, la crise financière systémique de l’année 2008 et le travail en commun réalisé par le président Nicolas Sarkozy et la Chancelière Angela Merkel. Si les deux dirigeants n’avaient pas pu travailler main dans la main, il est probable que la crise qui secouait l’Union européenne et l’euro n’eût pas été résolue ni la situation stabilisée.
Nous voyons tous les jours les jumelages de villes – vous-mêmes, chers collègues, faites vivre ces jumelages –, les rencontres entre clubs sportifs, les échanges scolaires et universitaires, les couples binationaux. À tout cela s’ajoute évidemment la vie des entreprises et des professionnels, des liens économiques extrêmement soutenus, des partenariats industriels dont nous pouvons tous être fiers ; je pense en particulier à la réussite d’Airbus-EADS. Toutes ces initiatives, nationales comme locales, ont fait que les Français et les Allemands vont à la rencontre les uns des autres, découvrent l’autre pays, qu’ils ne connaissent souvent pas très bien. Comme dans Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, ils ont appris à s’apprivoiser.
Le traité de l’Élysée est un exemple unique au monde regardé avec curiosité et intérêt par de nombreux pays. Il fait notre fierté. Il est l’un des legs les plus importants du gaullisme. Le traité d’Aix-la-Chapelle vient compléter le traité de Gaulle-Adenauer en créant un comité de coopération transfrontalière, en améliorant les liaisons ferroviaires transfrontalières, en renforçant les coopérations bilatérales dans le spatial, l’énergie, la recherche et l’innovation, en créant quatre instituts culturels intégrés et en élargissant les programmes de mobilité de l’Office franco-allemand pour la jeunesse.
En revanche, nous aurions pu souhaiter des progrès dans l’apprentissage de la langue du voisin, pour sortir de cette « amitié muette » dont avait parlé Jacques Chirac en 2003, lors de la célébration du quarantième anniversaire du traité de l’Élysée.
Dans le domaine de la défense, l’article 4 du traité d’Aix-la-Chapelle renforce la coopération entre les forces armées, en vue d’instaurer une culture commune et d’opérer des déploiements conjoints et vise à consolider la base industrielle et technologique de défense européenne. Le système de combat aérien du futur, le SCAF, et le futur système terrestre MGCS illustrent cette volonté exprimée dans l’article 4 du traité d’Aix-la-Chapelle.
Attaché à une coopération constructive avec l’Allemagne, le groupe Les Républicains votera en faveur de l’adoption du traité d’Aix-la-Chapelle, dans lequel il voit un signe positif, porteur d’avenir pour la relation franco-allemande, mais il restera vigilant quant à la mise en place de mesures concrètes, à une évaluation des politiques envisagées, pour qu’il soit digne du traité de l’Élysée.
Le général de Gaulle disait : « Le patriotisme, c’est aimer son pays ; le nationalisme, c’est détester celui des autres. » Alors, soyons patriotes, aimons notre pays ! Le traité d’Aix-la-Chapelle est dans l’intérêt de la France, dans l’intérêt de l’amitié franco-allemande, dans l’intérêt de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus de cinquante ans après la signature du traité de l’Élysée, le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier dernier, conforte l’amitié franco-allemande et traduit une volonté commune de répondre aux grands défis du XXIe siècle, par une coopération renforcée dans de nombreux domaines.
Ce traité a une double vocation : replacer, d’une part, le couple franco-allemand au cœur du projet européen, affaibli par la montée des eurosceptiques ; réaffirmer, d’autre part, le besoin de paix et la sécurité.
Force est de constater cependant que de nombreuses réserves et des approches divergentes entre Paris et Berlin rendent finalement assez limité le contenu de ce traité.
J’évoquerai pour ma part les enjeux liés à la défense, mon collègue Claude Kern ayant traité des enjeux européens et transfrontaliers.
Concernant l’aspect opérationnel, le bilan de notre collaboration est jusqu’ici très mince. La brigade franco-allemande, créée en 1989, est surtout symbolique. Les initiatives communes sont toutes relatives et s’apparentent davantage à des déploiements juxtaposés qu’à des interventions conjointes.
Malgré notre bonne entente, nos cultures sont différentes, notamment en matière de défense, de sécurité et de doctrines d’intervention. Du côté industriel, des succès sont notables ; je pense notamment à l’A400M, au radar COBRA ou encore au missile Meteor, qui ont pu voir le jour grâce à notre coopération.
Mais si nous voulons, comme ce traité le promeut, élaborer des programmes de défense communs, de nombreux défis restent à relever, notamment en termes de négociations industrielles. Notre commission a d’ailleurs insisté à plusieurs reprises sur cette question, qui peut constituer à terme un élément de blocage.
Les négociations entre les acteurs industriels français et allemands sont difficiles. Je pense ici aux exemples du leadership allemand sur le futur char lourd MGCS et, à l’inverse, au leadership français sur le SCAF. Ces deux projets peinent à trouver un équilibre industriel entre les deux partenaires. Comme cela a été rappelé par le Gouvernement, ce doit être à parts égales ! Il me semble essentiel que la France se montre intransigeante sur ce point malgré le rapport de force installé par nos amis allemands.
Pour préserver leur coopération, Paris et Berlin devront également trouver un terrain d’entente sur le sujet épineux des exportations françaises d’armements, trop souvent bloquées par les Allemands.
Face à ces dissensions, un projet d’accord est en cours de négociation. Son contenu sera déterminant tant pour l’avenir du char MGCS et du SCAF que pour la préservation de nos capacités d’exportation de matériels et d’armements.
Notre coopération avec l’Allemagne est également essentielle dans le domaine de l’aide publique au développement en faveur de l’Afrique.
L’Alliance Sahel, lancée par la France et l’Allemagne, constitue une avancée énorme vers une collaboration plus efficace dans l’aide et vers une stabilisation de la situation sécuritaire dans cette région. Les deux partenaires se doivent de montrer la voie en matière de coordination de cette politique, afin de mettre en place des programmes conjoints et, le cas échéant, de répartir les champs d’intervention pour éviter les doublons et les concurrences stériles.
Il convient d’apporter une précision concernant la revendication allemande d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La France soutient cette position, dans le cadre d’une réforme plus globale visant à améliorer la représentativité de cet organe. Évidemment, il n’est en aucun cas question de céder à l’Allemagne, voire à l’Union européenne notre siège de membre permanent !
Malgré les obstacles soulignés, ce traité marque des avancées en termes de coopération. Il faudra certainement une forte volonté politique pour concrétiser ces ambitions et dépasser la simple portée symbolique de ce texte.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de l’adoption de ce projet de loi, même s’il regrette – cela a déjà été souligné – la méthode d’élaboration du traité. Alors que les députés allemands ont été consultés par leur gouvernement, côté français, nous ne pouvons noter qu’une absence totale de concertation pour préparer ce texte, malgré les sollicitations du Sénat en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification du traité entre la république française et la république fédérale d’allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes
Article unique
Est autorisée la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, signé à Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le découplage des économies française et allemande a été largement évoqué. En revanche, nous avons peu parlé, me semble-t-il, de ce qui en constitue la source : la manière dont la France a abordé – je le dis avec gravité, à la veille du sommet de Poznań – la réunification de l’Allemagne et de l’Europe.
Nous avons joué en défense, alors qu’il s’agissait d’une question existentielle, identitaire, pour l’Allemagne. À ce moment-là, nous avons divergé significativement. Il faut l’avoir en tête aujourd’hui lorsque nous évoquons l’avenir de la relation franco-allemande.
Il est un grand Chancelier allemand de l’après-traité de l’Élysée qui ne fait pas partie de notre Panthéon des couples franco-allemands : Willy Brandt. Pourtant, il a lancé une Ostpolitik, qui a permis la réunification de l’Allemagne et de l’Europe.
M. Jean-Noël Guérini. Très juste !
M. Jean-Yves Leconte. Nous ne mesurons pas l’importance historique de cette action pour l’Europe, que nous devons garder en tête si nous voulons construire avec l’Allemagne.
Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué les instituts et les centres culturels franco-allemands. Je souhaite rendre hommage aux Français et aux Allemands qui travaillent à la mise en place de l’Eurocampus de Shanghai pour nos écoles françaises. Cet établissement sera inauguré au mois de septembre prochain. Je voudrais également attirer votre attention sur un point : lors de la mise en place de telles écoles, les moyens publics de la Zentralstelle für das Auslandsschulwesen, ou ZFA, et de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, doivent être les mêmes. Considérons la situation de l’Eurocampus de Zagreb : la ZFA dispose d’énormes moyens, tandis que l’AEFE rencontre des difficultés. La coopération, qui devrait être exemplaire, ne fonctionne plus. Le gouvernement allemand mobilise les moyens nécessaires quand il y a un total décalage entre les objectifs politiques et les moyens chez nous ; et ce ne sont pas les parents français qui peuvent compenser cela.
Lorsque nous agissons ensemble, les Français doivent engager autant de moyens publics que les Allemands, sous peine d’aboutir à un véritable décalage. Je tenais à le rappeler avant le vote du projet de loi autorisant la ratification du traité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires étrangères.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 161 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 328 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie du soutien que vous apportez à ce traité. Je prends bien évidemment en compte toutes vos remarques et questions. Une phase de mise en œuvre extrêmement importante va commencer. Elle devra associer pleinement la société civile et les collectivités territoriales concernées. Je suis à votre entière disposition pour préciser les projets prioritaires et soutenir leur mise en œuvre.
J’entends bien m’assurer que nous n’en resterons pas aux mots et que le traité trouvera une réalisation concrète. C’est ce que les citoyens français et allemands demandent, comme l’ensemble des citoyens européens. Je serai donc très vigilante. Je me tiens, bien sûr, là encore à votre entière disposition pour que nous puissions continuer à travailler ensemble. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)
6
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (proposition n° 489, texte de la commission n° 582, rapport n° 581).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous pour cette nouvelle lecture de la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse et, bien sûr, des journalistes.
Derrière le droit voisin, c’est l’avenir du journalisme qui se joue. Créer un tel droit, c’est préserver les moyens des éditeurs et des agences de presse ; c’est assurer la sécurité de leur modèle économique ; c’est protéger leur indépendance ; c’est leur permettre d’informer dans des conditions économiques normales, tout simplement.
Aujourd’hui, la valeur que créent ces professionnels est accaparée par les plateformes et les moteurs de recherche, qui réutilisent les contenus qu’ils produisent sans les rémunérer alors même qu’ils entraînent d’importants revenus publicitaires. Une étude récente montre que dans près de la moitié des cas le lecteur ne clique pas sur le lien qui apparaît dans le moteur de recherche. Ce taux atteint même 60 % pour les recherches effectuées depuis un téléphone portable.
L’objectif de la reconnaissance d’un droit voisin de la presse est de garantir un juste partage de la valeur, de le rééquilibrer au profit des entreprises et agences de presse, mais également des journalistes, et de leur permettre de percevoir une rémunération pour chaque réutilisation de leurs contenus.
Vous le savez, j’ai défendu la création de ce droit avec engagement et détermination. Le Président de la République, le Premier ministre, l’ensemble du Gouvernement et moi-même nous sommes mobilisés sans relâche pour que la directive Droit d’auteur soit adoptée.
Ce vote est une immense victoire pour l’Europe, pour nos valeurs, pour notre conception du droit d’auteur. C’est la preuve que cette directive est notre meilleure protection. C’est aussi la preuve que, face aux géants numériques, elle est même notre seule protection efficace et crédible, car nous ne ferons le poids par rapport à eux que si nous faisons front commun.
Je veux remercier chaleureusement celles et ceux qui, en France, à Bruxelles et partout ailleurs en Europe, ont pris leur part dans ce beau combat pendant plus de vingt-six mois. Je pense, bien évidemment, à l’ensemble des professionnels du secteur, mais également à tous les parlementaires européens. Je rends tout particulièrement hommage à ceux qui se sont battus à nos côtés et qui ne siègent plus aujourd’hui dans cette instance alors que s’ouvre la nouvelle législature du Parlement européen.
Je suis très heureux de constater que, sur ces sujets fondamentaux, la France sait se montrer combative, unie et proactive. Elle est combative et proactive pour la négociation comme pour la transposition. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est vous, ici au Sénat, qui avez donné l’impulsion pour inscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement. Je tiens à vous en remercier et à saluer tout particulièrement David Assouline, auteur de la proposition initiale, pour son engagement sur ce sujet.
M. Pierre Ouzoulias. Santo subito ! (Sourires.)
M. Franck Riester, ministre. C’est vous, cher David Assouline, qui avez lancé ces travaux en permettant de travailler sur un texte de transposition par anticipation, texte que le Sénat a adopté à l’unanimité : d’abord en commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en particulier grâce au travail de la présidente de celle-ci, Catherine Morin-Desailly ; puis en séance publique, en première lecture. Cet esprit de consensus, cette volonté d’aller de l’avant ont été les vôtres depuis le début, je ne les oublie pas. Vous avez, chacune et chacun, fait preuve d’un esprit constructif, et je vous en remercie.
C’est ce même esprit constructif qui a conduit, à l’Assemblée nationale, le groupe Modem – je remercie chaleureusement, son président, le député Patrick Mignola – à inscrire sur le temps de la niche parlementaire qui lui est réservée cette proposition de loi. L’ensemble de la majorité et d’autres groupes ont adopté ce texte.
C’est un magnifique symbole de travail entre les deux chambres du Parlement et avec le Gouvernement, au service de l’intérêt général. C’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui. C’est ce que nos concitoyens attendent de nous, j’en suis convaincu.
Il faut arrêter de s’opposer sur tout quand les sujets nous rassemblent. Il faut savoir s’affranchir des appartenances partisanes et faire prévaloir l’intérêt général. Il faut savoir débattre, trouver des points d’accord et construire ensemble des solutions pérennes. Avec le présent texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous montrez que c’est possible ; vous prouvez que le cœur de nos préoccupations, ce qui prime sur tout le reste, c’est l’intérêt de nos concitoyens, c’est l’intérêt du pays. Il est toujours important de le rappeler, d’en apporter la preuve.
Vous l’avez également prouvé à la fin du mois de mai dernier lors de l’examen du projet de loi réformant la loi Bichet, autre texte fondamental pour la presse. Je veux remercier ici son rapporteur, cher Michel Laugier.
Cet esprit constructif qui a prévalu dans les débats nous a permis d’améliorer sensiblement la proposition de loi initiale.
À l’Assemblée nationale, d’abord, puisque les travaux des députés en première lecture ont permis d’amender le texte que vous aviez adopté, afin qu’il corresponde au texte définitif de la directive. Cela impliquait d’adapter les dispositions proposées, notamment sur la question de la durée de protection des droits à propos de laquelle nous n’avons pas de marge de manœuvre. Et les députés ont également procédé à des ajouts qui me paraissent essentiels.
Pour ce qui concerne la rémunération des journalistes, je tiens à saluer l’adjonction de l’adjectif « équitable », pour la qualification de la part du droit voisin qui doit revenir à ces professionnels. Il est essentiel que les journalistes et les autres auteurs puissent bénéficier d’une part de la rémunération qui sera versée par les plateformes au titre du droit voisin. C’est une question d’équité et un message à l’attention des éditeurs et des agences, afin de cadrer les futures négociations.
Une précision importante a été apportée également quant au déroulement des négociations entre, d’une part, les agences et les éditeurs et, d’autre part, les journalistes. Si aucun accord n’est trouvé dans les six mois, une commission administrative paritaire aura quatre mois pour faire aboutir la négociation par la voie de la médiation. À défaut, elle fixera elle-même la part appropriée et les modalités de répartition entre les ayants droit.
Je tiens également à saluer le point d’équilibre atteint sur la question essentielle de la transparence. Pour assurer l’effectivité du droit voisin, il est indispensable que les plateformes fournissent les éléments d’information relatifs à l’utilisation des publications des éditeurs et agences de presse, pour permettre à ceux-ci d’évaluer de manière transparente la rémunération qui leur est due.
Ce texte a ensuite été amélioré lors de son retour devant votre commission de la culture, mesdames, messieurs les sénateurs. Je veux vous remercier de ces travaux. Je salue tout particulièrement la présidente de la commission et le rapporteur de ce texte. Vous avez précisé la notion de « publication de presse » en explicitant que les photos et les vidéos devaient être considérées comme telles. C’est un point particulièrement important.
Vous avez conforté la situation des agences de presse s’agissant de la protection de leurs productions en reconnaissant leur rôle spécifique en tant que fournisseur de contenus d’information. Vous avez clarifié les conditions de la négociation collective de la part du droit voisin revenant aux auteurs non salariés d’œuvres présentes dans les publications de presse. Vous avez enfin précisé certains éléments qui seront pris en compte pour déterminer la rémunération perçue au titre de ce droit.
Le texte que vous examinez aujourd’hui prévoit que la fixation de la rémunération prendra notamment en considération « les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne. »
Cette rédaction a pu susciter l’inquiétude d’une partie des éditeurs de presse, laquelle craint en particulier de voir la presse spécialisée ou la presse magazine exclue du droit voisin.
Je sais que l’objectif lors du dépôt de l’amendement adopté en commission n’était nullement d’exclure telle ou telle famille de presse du bénéfice de ce droit, exception faite de la presse scientifique et universitaire, explicitement exclue par la directive. En effet, nous partageons la même conviction : ce droit appartient à tous les éditeurs de presse, sans aucune distinction.
Afin d’expliciter davantage cette position, David Assouline a déposé un nouvel amendement sur le texte de la commission que nous examinerons tout à l’heure et qui vise à préciser plusieurs principes. La « contribution […] à l’information politique et générale » est évidemment un critère important dans le calcul de cette rémunération. Nul éditeur ne sera exclu de ce droit. Tous les critères mentionnés n’ont pas à être remplis ; toutefois d’autres peuvent être pris en compte.
Dernière précision importante : le texte mentionne la « contribution » des publications de presse à l’information politique et générale, l’IPG. Il va donc bien au-delà des seules publications ayant la qualification de presse IPG telle que reconnue par la Commission paritaire des publications et agences de presse, la CPPAP.
Cela étant, j’invite les titulaires du droit voisin à faire preuve, comme pour la négociation du texte, d’un esprit d’unité et de solidarité. Un tel esprit nous sera indispensable pour permettre l’effectivité du droit voisin et obtenir une rémunération équitable de la part des grandes plateformes numériques. Celles-ci vont chercher à diviser les éditeurs, comme elles l’ont fait par le passé en Allemagne et en Espagne.
Or ceux qui croient pouvoir partir négocier auprès d’elles en ordre dispersé se leurrent. C’est en négociant collectivement, sans nier leur diversité, mais sans divisions internes, que les éditeurs et agences de presse mettront toutes les forces de leur côté pour faire appliquer ce nouveau droit.
Cependant, soutenir la presse, ce n’est pas seulement assurer sa pérennité économique – nous y contribuons, avec la création du droit voisin –, qui est fondamentale, mais pas suffisante. C’est aussi lui permettre de garantir les conditions d’exercice de sa liberté, notamment en protégeant la loi de 1881, et en retissant le lien de confiance entre les Français et les médias.
Concernant la loi de 1881, je ne suis personnellement pas favorable à une modification de son texte. C’est la loi garante de la plus précieuse de nos libertés : la liberté d’expression, dont il est vrai que les réseaux sociaux permettent d’abuser. L’injure, la diffamation, la provocation à la haine y sont monnaie courante. Certains s’y protègent derrière la lâcheté de l’anonymat. Ne nous y trompons pas : c’est quand la responsabilité cède du terrain que la liberté s’amenuise, jamais l’inverse !
Les réflexions en cours dans le cadre de l’examen de la proposition de loi soutenue par la députée Laetitia Avia ou dans le cadre des réflexions plus larges lancées par la garde des sceaux visent à apporter une réponse spécifique aux délits d’injure et de diffamation lorsqu’ils sont commis sur internet.
Ces travaux vont dans le sens d’une plus grande responsabilisation des plateformes numériques et d’un renforcement de leur devoir de coopération avec les pouvoirs publics. Faut-il pour autant sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 et de son régime procédural spécifique, garant de la liberté d’expression ? Je suis très clair : je ne le crois pas !
M. David Assouline, rapporteur. Ah !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Nous voilà rassurés !
M. Franck Riester, ministre. À titre personnel, je conçois la loi de 1881 comme un tout qui, à la fois, proclame une liberté, permet la répression de ses abus et crée, pour ce faire, un cadre procédural spécifique. Liberté et responsabilité : c’est cet équilibre central qui fonde cette loi ; nous devons le préserver.
Permettre aux journalistes d’informer, c’est également s’assurer que les citoyens aient confiance dans leurs médias. Or cette confiance ne cesse de s’étioler. D’après le baromètre annuel chargé de la mesurer, elle n’a même jamais été aussi faible. Un Français sur deux ne fait pas confiance à ce qu’il entend à la radio, alors même qu’il s’agit du média dans lequel nos concitoyens ont le plus confiance !
Un moyen de restaurer la confiance pourrait être de mettre en place une instance d’autorégulation de la profession. C’est, vous le savez, une idée ancienne. J’ai confié à l’automne à Emmanuel Hoog une mission pour y réfléchir. Il m’a remis son rapport à la fin du mois de mars. Ce rapport a été rendu public et l’ensemble des acteurs concernés a pu en prendre connaissance.
Cette réflexion est légitime et utile, tant à la profession qu’à notre démocratie. Une telle instance existe déjà chez un certain nombre de nos voisins. Elle est recommandée par plusieurs organisations internationales, comme l’Unesco ou l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Nos compatriotes – trois Français sur quatre – sont majoritairement favorables à la création d’une telle instance. La profession, elle, est plus partagée. Les syndicats de journalistes ont évolué sur ce point, et je veux les en saluer. J’entends les critiques, les réticences, l’hostilité parfois, de certains éditeurs de presse. Je respecte leur position. Mais il me semble que l’Allemagne, la Suède, la Suisse ou la Grande-Bretagne, qui sont toutes dotées d’un tel conseil, ne sont pas des démocraties au rabais où la liberté de la presse serait menacée.
Toutefois, ce sujet requiert de nous une grande précision dans les termes, car les mots ont un sens. Une instance de déontologie n’est pas un conseil de l’ordre. Elle aurait vocation non pas à prononcer des sanctions, comme le conseil de l’ordre des médecins, mais seulement à rendre des avis.
En outre, c’est à la profession et à elle seule de s’organiser. Ce n’est pas à l’État de créer une telle instance, même s’il peut l’accompagner en cas de besoin. Une démarche a été engagée par l’observatoire de la déontologie des journalistes : il faut s’en féliciter.
Enfin, je tiens à rappeler que ce n’est pas le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, de dire ce qui est vrai et ce qui est faux. Dans la lutte contre les fausses informations, le CSA a un rôle à jouer. Je l’ai défendu lors de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Mais ce rôle, c’est de vérifier que les plateformes mettent en place des procédures pour lutter contre la manipulation de l’information, pas de dire ce qu’est une infox, c’est-à-dire une fausse information !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qu’il vous est proposé d’examiner est absolument essentielle pour notre démocratie. De son adoption dépend la survie d’une presse indépendante et libre. Plus largement, de la transposition de la directive Droit d’auteur dépend la protection de nos auteurs, de nos créateurs et de nos valeurs.
Si ce texte est indispensable, il ne procède à la transposition que d’une partie de la directive précitée. Je souhaiterais vous en donner les prochaines étapes.
Je l’ai dit, l’un des facteurs clés de la réussite de la négociation de ce texte a été la mobilisation sans faille, avec un front uni, de tous les secteurs, de toutes les parties prenantes. Et je veux leur dire à tous que la mobilisation du Gouvernement continue sur l’ensemble des autres sujets, pour aboutir à une transposition rapide de dispositions essentielles.
Je pense aux articles 17 et 18, anciennement articles 13 et 14, de la directive Droit d’auteur qui étaient au cœur des négociations. Ceux-ci permettront d’imposer aux plateformes une juste rémunération des créateurs pour les contenus qu’elles réutilisent, et une rémunération juste et proportionnelle des auteurs.
Nous avons fait des propositions de rédaction sur les articles 17, 18 et suivants. Elles sont toujours en cours de concertation avec le secteur.
Je pense également à d’autres dispositions essentielles : la sécurisation du dispositif ReLIRE, beau projet français de numérisation des livres indisponibles, que nous devons mettre en conformité avec le droit européen pour permettre sa poursuite ; l’adaptation des dispositions issues de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, pour les moteurs de référence d’images, afin, là encore, de les mettre en conformité avec le droit européen de manière à en assurer l’application effective ; le principe d’injection directe de la directive dite « Cabsat ».
Ces dispositions seront intégrées au projet de loi relatif à l’audiovisuel, lequel – vous le savez – sera présenté à la fin du mois d’octobre en conseil des ministres, et examiné en janvier 2020 à l’Assemblée nationale, comme l’a annoncé le Premier ministre – un projet de loi que vous étudierez, j’en suis certain, avec le même esprit constructif que la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux rappeler ces mots de Jefferson en 1786 : « Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue. » Oui, la défense de la liberté de la presse est dans notre pays la traduction à la fois la plus symbolique et la plus concrète de notre liberté d’expression. C’est un combat qui doit être mené sans relâche, tant il est consubstantiel de notre démocratie.
Malheureusement, dans notre République, de plus en plus souvent, ce droit fondamental peut être menacé ou bafoué.
Là, des pressions ou des contraintes pour empêcher un journal de mener des investigations et de les publier. Ainsi, la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, est allée jusqu’à convoquer et interroger dans des conditions rocambolesques des journalistes et même le PDG du journal Le Monde, dans le but probablement d’intimider et d’obtenir leurs sources d’information.
Là, des menaces et des violences dans des manifestations par des éléments du mouvement des gilets jaunes, mais aussi de plus en plus fréquemment par des policiers, pour empêcher des journalistes de travailler librement.
Là, cette proposition dangereuse du secrétaire d’État chargé du numérique visant à créer un conseil de l’ordre des journalistes qui devrait délivrer un brevet de véracité et qui nous ramènerait – probablement par ignorance, je l’espère – à de sombres périodes de notre histoire justement condamnée en son temps par Emmanuel Macron candidat à l’élection présidentielle.
Et puis surtout, ce que nous ne pouvons pas passer sous silence aujourd’hui dans notre assemblée, le projet de modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, rendu public par Nicole Belloubet, qui inquiète à juste titre. Je veux le dire solennellement cet après-midi, monsieur le ministre : sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881, c’est la vider de son contenu, car ces deux délits représentent plus de 90 % des contentieux de la presse. Au demeurant, plusieurs dizaines de jurisprudences nationales et européennes ont conforté ce texte historique, qui sert de modèle dans le monde entier.
Je vous le demande, car je connais votre attachement à cette loi – mais vous avez apporté un élément de réponse dans votre intervention –, soyez un allié et un avocat de cette inquiétude, défendez l’intégrité de cette loi fondatrice, et avec nous ne laissez personne la toucher !
C’est donc avec la conviction très forte que la lutte pour préserver nos acquis démocratiques doit être sans cesse remise sur le métier que j’introduis avec vous le débat sur cette proposition de loi qui en constitue une nouvelle illustration.
Les raisons des menaces économiques qui pèsent sur la presse ont été largement évoquées en première lecture.
L’irruption d’internet et la domination sans partage de quelques grands groupes mondiaux ont fragilisé l’édifice de notre presse, tel qu’il avait été conçu à la Libération. En effet, les sources de financement des éditeurs et des agences ont été asséchées par la chute des ventes et par la baisse encore plus importante des recettes publicitaires, alors que ce marché progresse !
Une étude publiée par News Media Alliance aux États-Unis en juin dernier vient encore renforcer le propos. Elle estime à 4,7 milliards de dollars le montant tiré en 2018 uniquement par Google de l’utilisation sans rémunération des informations produites par les médias dans les seuls États-Unis d’Amérique ! La presse d’information politique et générale, même si elle n’est pas la seule, a été particulièrement victime de cette asphyxie financière.
Le présent débat va nous permettre d’examiner de nouveau cette proposition de loi adoptée par le Sénat, à l’unanimité, le 24 janvier dernier.
Ce texte vient de loin – je ne dirai pas « revient de loin » mais presque… Il a nécessité la convergence de trois événements.
Premièrement, en janvier dernier, prolongeant une proposition que j’avais faite dès 2016, le groupe socialiste et républicain, qui est dans l’opposition sénatoriale et auquel j’appartiens, a choisi de consacrer sa niche parlementaire à l’examen de ma proposition de loi relative au droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, alors même que les échos venant de Bruxelles étaient pour le moins contrastés. C’est un combat que je mène depuis des années pour faire contribuer les grands acteurs de l’internet, qui pillent les agences et les éditeurs et les plongent dans l’asphyxie financière.
Deuxièmement, l’adoption de la directive relative au droit d’auteur en avril dernier a fait l’objet de plus de deux années de négociations, qui ont été bien souvent proches de l’échec, et ce jusqu’au tout dernier moment. Un échec aurait très certainement signifié l’enterrement d’un dossier qu’il aurait fallu reprendre à zéro avec les nouvelles instances européennes. Cette directive traduit la vision résolument ambitieuse d’une conception européenne du droit d’auteur, protectrice de la création et des créateurs.
Troisièmement, et enfin, le Gouvernement a choisi de soutenir cette proposition de loi dès l’origine, et je veux souligner particulièrement l’attitude ouverte du ministre et la collaboration de ses services, une attitude partagée par l’Assemblée nationale, le rapporteur Patrick Mignola et le président Bruno Studer de la commission des affaires culturelles, que je veux saluer aussi en cet instant. Ils ont précisé le texte que nous avions adopté. Pour l’essentiel, l’Assemblée nationale a transposé fidèlement les dispositions de la directive.
Je veux mentionner deux points importants que nous avions évoqués au mois de janvier.
Il s’agit, d’abord, de la question épineuse des exceptions au droit voisin, soit la définition des éléments qui resteraient autorisés au nom de la liberté de navigation en ligne. Demeurait ainsi autorisée « l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits » – ce sont les termes précis de la directive. Cela me paraissait insuffisant pour s’assurer que les interprétations de l’expression « très courts extraits » ne soient pas abusives, conduisant à des contentieux compliqués. En séance publique, une heureuse précision a été apportée sur l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Elle fait écho au considérant 58 et permet – je le crois – de clarifier et bien circonscrire les exceptions, en indiquant que « cette efficacité est notamment affectée lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer ».
Il s’agit, ensuite, de la durée des droits attachés. Vous vous rappelez, mes chers collègues, qu’en janvier la position de la France dans la négociation européenne était celle d’une durée, quelque peu optimiste, de cinq ans. Finalement, dans le cadre de la directive et de sa transposition a été prévu un délai de deux ans.
Il a donc fallu globalement un sacré alignement de planètes, comme on dit, et un volontarisme partagé, pour que la France soit aujourd’hui à la tête de l’initiative européenne de réarmement de la presse.
Nous vivons par conséquent une victoire symbolique sur la résignation, qui pouvait laisser penser il y a quelque temps que le seul destin de la presse était de mourir plus ou moins dignement.
Au-delà de restaurer une forme de justice dans le partage de la valeur, les droits voisins viennent au secours de notre propre liberté, qui dépend très étroitement de la presse, de la presse IPG bien sûr et d’abord, mais aussi de toute la presse, dans toutes ses dimensions et dans toute sa diversité, notamment celle de la connaissance.
Nous souhaitions que le texte soit adopté et promulgué le plus rapidement possible avant la fin de la session extraordinaire. Cela sera le cas, puisque l’Assemblée nationale a prévu que la dernière lecture aurait lieu le 23 juillet prochain. Nous aurions bien sûr préféré adopter définitivement cette proposition de loi aujourd’hui, mais il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation – au Sénat en particulier, nous faisons la différence ! Il restait d’ultimes ajustements à apporter.
Nous avons pu les intégrer dans le texte au stade des travaux de la commission, ce qui a permis d’améliorer la proposition de loi sur trois points.
D’abord, les agences de presse ont eu le sentiment d’être exclues d’un texte que j’avais initialement pensé par et avec elles. La rédaction retenue par la commission permet de bien inclure dans le champ leurs productions photographiques ainsi que les vidéogrammes, et d’établir que toute utilisation, même partielle, de leurs publications ouvre droit à rémunération.
Ensuite, il subsistait un vide pour la rémunération des auteurs non salariés au titre des droits voisins qui risquaient d’être oubliés, vide que nous avons comblé.
Enfin, il a paru important de préciser certains éléments qui devront servir à orienter la rémunération due aux éditeurs et aux agences, afin notamment de bien tenir compte des investissements consentis et de la participation au débat démocratique chère à la presse IPG. La commission a adopté la semaine dernière un premier amendement important qui donne des orientations.
Je vous proposerai, mes chers collègues, une nouvelle rédaction sur ce point, qui précise encore – je le crois – le texte de la commission et qui fait maintenant consensus dans l’ensemble des familles de presse. Nous aurons alors un texte équilibré et parfaitement opérationnel, sur lequel chacun aura pu s’exprimer et apporter sa contribution.
Je veux conclure cette introduction en émettant un souhait : une fois la loi promulguée, les négociations avec les géants du numérique vont s’ouvrir et elles seront complexes. La profession devra avancer de manière coordonnée et unie. Nul ne doit être amené à penser qu’il pourrait briser la solidarité des acteurs de la presse sans nuire immédiatement à tous, et très probablement à lui-même. En un mot, la victoire sera collective.
Par ailleurs, je compte sur le fait que les plateformes elles-mêmes seront conscientes de la responsabilité qui pèse sur elles. À l’heure où elles sont régulièrement et souvent justement contestées – je renvoie aux travaux de la présidente de la commission Catherine Morin-Desailly –, elles doivent comprendre que leur intérêt n’est plus de mener un combat d’arrière-garde qu’elles ont déjà perdu à Bruxelles et aux yeux de l’opinion publique, et qu’une presse libre et indépendante est un impératif démocratique dont elles ne peuvent se soustraire.
La réunion de ces deux éléments devrait rendre possible le succès de négociations dont l’importance dépasse notre cadre national. En effet, si la France était très engagée à Bruxelles afin d’obtenir le meilleur texte possible pour la directive, elle est maintenant dans un rôle de modèle possible, pour toute l’Europe, tant pour la transposition législative, ce que nous sommes en train de faire, que pour la négociation à venir des droits voisins avec les géants du net. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dit souvent que la critique est un art difficile, mais les louanges le sont plus encore, car elles peuvent être interprétées comme de la flagornerie ou de l’hypocrisie. Loin de moi cet état d’esprit, car la sincérité m’anime avant tout quand j’adresse toutes mes félicitations à l’ensemble des acteurs qui ont participé de près ou de loin à la coconstruction de ce texte, et plus particulièrement à David Assouline, qui en est l’auteur, mais aussi au groupe Modem de l’Assemblée nationale et à son président, Patrick Mignola, auteur lui-même d’une proposition de loi se rapportant au droit voisin qui a accepté de reprendre le présent texte lors de sa niche parlementaire du 9 mai dernier.
À ces compliments s’ajoute la satisfaction de voir qu’il va être possible de transposer en droit français un fragment, seulement, de la directive européenne dite « droit d’auteur » dans un délai inférieur à la moyenne habituelle des dix-huit mois.
Cette directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a été adoptée, rappelons-le, le 17 avril dernier et cet après-midi nous allons débattre d’un texte qui en reprend une partie.
Après notre vote, il reviendra, cela a été dit, à nos collègues de l’Assemblée nationale de remettre cette proposition de loi au plus vite à leur ordre du jour, afin de gagner ce pari d’une transposition juste, équitable et rapide.
Quand une volonté forte animée par la détermination d’œuvrer pour le bien de tous, incarnée par une ou plusieurs personnes, se met en marche, alors tout devient possible ! Nous le constatons aujourd’hui ici même, comme nous l’avons vu hier lors de la désignation aux plus hauts postes de l’Union européenne.
Cette détermination permet de montrer à nos concitoyens que l’Europe n’est pas source d’injustice, mais qu’elle est au contraire des plus utiles pour protéger les droits de nos concitoyens et de nos entreprises face aux comportements hégémoniques de grandes firmes internationales qui dominent le marché mondial du numérique et, par voie de conséquence, se permettent de contrôler toutes les informations qui y sont diffusées.
Le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, avez toujours eu le souci de mettre à la disposition de la presse de notre pays les moyens lui permettant de garantir son indépendance, sa liberté d’expression et d’information.
Il en va du soutien que vous apportez à ce texte et surtout des combats que vous avez menés pour faire adopter la directive dont il procède, comme de celui qui est relatif à la réforme de la loi Bichet sur la distribution de la presse.
Instaurer un droit voisin au droit d’auteur au bénéfice des agences et des éditeurs de presse donne à ceux-ci le droit d’autoriser ou d’interdire toute reproduction ou communication au public de leurs publications sous une forme numérique par un service en ligne.
Ce nouveau droit permet alors de signifier aux plateformes que l’époque où elles s’enrichissaient au détriment de ceux qui produisent l’information est révolue.
Leur modèle économique basé sur une forme de pillage des données d’autrui due à leur position dominante doit désormais être revu, ce qui permettra aux agences et aux éditeurs de presse d’avoir accès à de nouvelles recettes.
Le temps du laisser-faire, au nom d’une certaine bienveillance face aux progrès de la technologie que je qualifierai de « Far West numérique », doit à présent céder la place à celui de la responsabilisation et du respect des œuvres d’autrui.
En France et en Europe, nous n’avons pas de shérif pour faire respecter l’équité et la liberté, mais nous avons la loi.
Il est temps de rappeler aux géants du numérique que le rôle et la place de l’État en ce domaine sont indispensables et qu’ils ne peuvent le supplanter.
Après l’instauration d’une responsabilité éditoriale au titre de la lutte contre les fake news, la création d’une taxe sur les services numériques et maintenant ce texte, il faudra penser bientôt à réguler un nouveau champ d’action de ces entreprises, celui des fameuses cryptomonnaies.
Pour revenir de façon plus précise à notre sujet d’aujourd’hui, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté, sous la houlette du rapporteur, trois amendements qui permettent de résoudre des questions qui n’avaient pas été traitées en première lecture tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
Ces amendements me semblent bienvenus, car ils tendent à préciser, d’une part, la définition de la publication de presse en l’élargissant aux productions photographiques ainsi qu’aux vidéogrammes et le champ des autorisations nécessaires pour utiliser en ligne des publications même de façon partielle et, d’autre part, les critères de répartition des revenus issus des droits voisins.
Au travers de ces amendements, les auteurs non salariés sont désormais également pris en compte.
Enfin, je partage complètement le constat qu’il n’est pas envisageable d’instaurer une gestion collective obligatoire, faisant en cela écho à mon intervention lors de la première lecture au cours de laquelle je m’élevais contre le fonctionnement de certains organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins.
Tout cela va donc dans le bon sens et permet de renforcer la cohérence du texte initial. C’est la raison pour laquelle le groupe La République En Marche votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le concept de droit d’auteur trouve son origine dans la philosophie des Lumières, dans les travaux de Voltaire et de Fichte, de Diderot et de Kant. Ce dernier, particulièrement dans son ouvrage Qu’est-ce qu’un livre ?, pose les bases d’une théorie de l’auteur qui demeure fondamentale pour cerner les caractères de sa transposition en droit et dont on peut considérer qu’elle inspire encore la présente proposition de loi et la directive européenne que celle-ci adapte.
Dans cet ouvrage sur les livres, Emmanuel Kant écrivait : « L’auteur et le propriétaire de l’exemplaire peuvent dire chacun avec le même droit du même livre : c’est mon livre ! mais en des sens différents. Le premier prend le livre en tant qu’écrit ou discours ; le second simplement en tant qu’instrument muet de la diffusion du discours jusqu’à lui ». Il résumait ce paradoxe par une formule qui garde toute sa pertinence, malgré le développement formidable des moyens de communication : « La propriété qu’un auteur a sur ses pensées […], il la conserve nonobstant la reproduction ».
L’œuvre dispose d’un corps que son appropriation transforme en marchandise, et la nature numérique de cette enveloppe ne modifie pas le principe de cette captation. Ce produit s’échange, circule, se duplique, hier comme aujourd’hui, avec d’autant plus de facilité qu’il est devenu incorporel. Au-dessus de cette contingence matérielle et immatérielle, il y a l’acte créateur de l’auteur qui lui reste attaché et demeure inaliénable. Enfin, et c’est un point essentiel de l’analyse de Kant, l’œuvre, en tant qu’elle contribue à la constitution d’un universalisme, intéresse l’intérêt général ce qui peut autoriser la collectivité, dans le respect des droits de l’auteur et du diffuseur, à organiser sa diffusion selon des règles qu’elle se donne.
Ces trois dimensions de l’œuvre ont inspiré la doctrine juridique française dans sa définition de la notion de balance du droit d’auteur qui tend à concilier les intérêts de l’auteur, des titulaires des droits voisins avec ceux de la collectivité. En négatif, elle apparaît dans les limitations qu’elle impose aux droits exclusifs aux deux premiers, au profit de l’intérêt général. Cette notion n’est pas sans rapport avec la matière traitée par la présente proposition de loi, particulièrement, comme je l’expliquerai lors de la défense de mon amendement, si nous élargissons les droits voisins des éditeurs.
Par ailleurs, dans un monde numérique de plus en plus dominé par des entités supranationales non étatiques, il est loisible de nous demander si celles-ci ont vocation à représenter l’intérêt général ou, à l’inverse, si les gouvernements ont l’obligation de les soumettre à des règles qui limiteraient leurs prétentions pour défendre ce même intérêt général.
La présente proposition de loi répond heureusement à ces deux questions en renforçant la protection des droits voisins des éditeurs et des agences de presse. Prenant conscience que l’économie prédatrice des grandes plateformes compromet l’existence même des auteurs dont elles exploitent pourtant la valeur qu’ils produisent, le Sénat, sur l’initiative de notre collègue David Assouline, a décidé d’agir en limitant leur capacité à croître aux dépens d’autrui et en protégeant les auteurs et leurs diffuseurs.
La Haute Assemblée a adopté à l’unanimité cette proposition de loi le 24 janvier dernier. Depuis lors, la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, adoptée le 17 avril, a posé les bases d’un système juridique régulateur beaucoup plus complet et ambitieux. Les États membres doivent la transposer dans leurs droits nationaux avant le 7 juin 2021.
L’objectif de cette proposition de loi s’en trouve considérablement étendu. Par un hasard heureux de calendrier, si elle était adoptée, elle deviendrait la première transposition nationale de la directive européenne, mais seulement, comme vous l’avez très justement dit, monsieur le ministre, pour la partie des dispositions de cette dernière relatives à la presse et aux agences.
Une autre méthode était possible. Elle consistait à renoncer à cette proposition de loi pour travailler ensemble à une transposition complète de la directive. Pour des raisons tactiques, nous avons décidé collectivement, et avec l’accord du Gouvernement, de laisser poursuivre son parcours législatif à cette proposition de loi. Néanmoins, il est essentiel de garantir sa fidélité à l’esprit de la directive et son respect de ses dispositions techniques, particulièrement en ce qui concerne les exceptions prévues par exemple dans son article 3, au profit des travaux de recherche.
Enfin, il est indispensable de convenir ensemble, monsieur le ministre – mais vous avez déjà en partie répondu sur ce point –, d’un calendrier et d’une méthode de travail pour compléter cette transposition partielle par un projet de loi qui satisfasse pleinement l’ambition de la directive européenne de poser les premières assises d’une régulation du monde numérique, afin de protéger la création, les œuvres, les artistes et les libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de féliciter une nouvelle fois David Assouline, auteur de cette proposition de loi en faveur de la reconnaissance d’un droit voisin comme maillon essentiel du secteur économique de la presse et condition indispensable à son avenir.
Si elle devait être adoptée, cette proposition de loi ferait de notre pays un pionnier en la matière, le premier de l’Union européenne à défendre les droits d’auteur appliqués à la presse, face aux Gafa, alors que la directive européenne éponyme vient juste d’être adoptée par le Parlement européen, à la fin du mois de mars dernier.
Le nouveau droit créé permettra de rétribuer les agences et éditeurs de presse pour l’utilisation de leurs productions par les plateformes et autres moteurs de recherche, afin que ces derniers arrêtent de tirer profit d’une situation qui pénalisait les premiers.
Je l’ai déjà souligné lors de la discussion en première lecture du texte, les infomédiaires utilisent leur puissance dans un rapport de force qui repose sur la menace du déréférencement. Or l’issue des négociations à l’échelon européen était incertaine, et la partie n’était pas gagnée face aux pressions subies. Aujourd’hui, nous sommes rassurés et un terrain d’entente a été trouvé par la profession pour rendre possible une gestion collective de ce nouveau droit voisin renforçant les éditeurs face aux infomédiaires.
Ne nous y trompons pas, il y va aussi et d’abord de l’indépendance et de la qualité de l’information, garantie par le statut même des éditeurs et agences de presse, dont la survie est menacée si nous ne prenons pas rapidement les bonnes décisions. Je le rappelle, 29 % des agences de presse ont disparu depuis huit ans, phénomène affectant aussi les journalistes, leur travail et leur exigence de déontologie qu’il nous faut protéger.
Le défi à relever est bien celui de l’émergence du numérique, et c’est la viabilité d’un secteur économique entier, plus précisément celui des éditeurs de presse, des éditeurs de contenus et des services en ligne, qui se joue. En effet, les agences de presse sont soumises au même risque de captation de la valeur par les infomédiaires et moteurs de recherche.
Il fallait mettre un terme à cette nouvelle forme de spoliation dématérialisée par la reproduction de masse des publications, sans contrepartie pour leurs auteurs.
L’Assemblée nationale a, de son côté, choisi de se conformer à la directive européenne. Ne l’oublions pas, cette dernière, dans son article 25, autorise les États membres de l’Union européenne à « adopter ou maintenir en vigueur des dispositions plus larges » que celles qu’elle comporte.
La commission de la culture du Sénat a fait le choix d’adopter les amendements de notre rapporteur dont les dispositions précisent, notamment, les critères non cumulatifs et non exhaustifs de la fixation de la rémunération. Elle a prévu que la répartition des revenus tienne compte, d’une part, des investissements réalisés, donnant du même coup au droit voisin un caractère de nature économique, et, d’autre part, de l’importance de la contribution des publications à l’information politique et générale, traduisant la volonté du législateur européen de garantir l’accès du citoyen à une presse de qualité, mais aussi de se référer au niveau d’utilisation des publications, c’est-à-dire des critères d’audience et de trafic tout à fait légitimes.
Ces ajustements étaient nécessaires pour conforter la place des agences de presse comme bénéficiaires des droits voisins en précisant que les photos et vidéos sont aussi protégées.
Nos anciennes collègues Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux seraient sans nul doute ravies de constater que les photos et vidéogrammes ont été inclus dans le champ du texte.
Il était nécessaire aussi, d’une part, de rééquilibrer la répartition des ressources des droits voisins qui ne doivent pas uniquement tenir compte de la popularité et, d’autre part, de prendre en compte le cas des auteurs non salariés qui devront bénéficier des revenus générés par les droits voisins.
C’est l’ensemble de la presse qui tirera bénéfice de tels progrès. Nous espérons que l’Assemblée nationale maintiendra ces avancées utiles pour rétribuer la presse et les auteurs non salariés, qui ne doivent pas être laissés pour compte, et qu’à la fin de ce mois le texte sera définitivement adopté en l’état.
Le Gouvernement vous en a donné l’assurance, monsieur Assouline, et il serait bienvenu que les discussions puissent rapidement s’engager ensuite, sur le terrain, entre les collectifs d’éditeurs de presse et les plateformes.
L’Assemblée nationale a choisi de raccourcir à deux ans la durée du droit voisin, conformément aux dispositions de la directive européenne. J’avais pour ma part déposé un amendement visant à porter cette durée à cinq ans, mais il est cohérent de garder une homogénéité avec le droit européen. Il sera nécessaire d’évaluer l’impact économique de la mesure, en concertation avec la profession, à l’issue des deux premières années de son application.
Enfin, la question des très courts extraits, dits snippets, n’a pas été traitée, mais pourrait être mieux appréhendée à l’avenir – pas trop lointain, je l’espère – dans un futur texte. Il s’agit aussi pour nous, au travers du soutien que nous apportons à cette proposition de loi et aux négociations européennes, de rééquilibrer le rapport de force et le partage de la valeur en faveur des éditeurs, des agences de presse et des journalistes.
Mes chers collègues, en conséquence, le groupe du RDSE et moi-même soutenons les dispositions du texte issu des travaux de la commission, et nous voterons à l’unanimité cette proposition de loi instaurant la création d’un droit voisin.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Laugier. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Laugier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous espérons être arrivés au terme de l’examen de cette proposition de loi portant création d’un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.
Je dis que nous l’espérons, pour des raisons à la fois de fond et de procédure.
Sur le fond, nous espérons que ce texte soit effectivement sur le point d’aboutir parce qu’il représente un véritable progrès. Chacun l’a souligné – je ne m’étendrai donc pas longuement sur ce sujet –, il contribue à apporter une réponse à la crise que vivent éditeurs et agences de presse.
La proposition de loi s’inscrit dans un cadre plus large d’adaptation du secteur aux bouleversements du numérique et des plateformes. Dans ce travail urgent et vital pour la presse, le Sénat a pris toute sa part.
C’est ce que nous avons fait récemment en adoptant en première lecture le projet de loi réformant la loi Bichet sur la distribution de la presse. Ce texte préserve la diffusion des titres d’information générale et politique sur l’ensemble du territoire, crée les conditions d’un équilibre économique durable du secteur, redonne une place centrale aux diffuseurs de presse et, enfin, prend bien sûr en compte l’émergence du numérique.
Je profite donc de l’examen de la présente proposition de loi pour vous dire, monsieur le ministre, à quel point nous sommes attachés à ce que ce projet de loi aboutisse aussi dans les plus brefs délais.
Pour en revenir aux droits voisins, même avec le texte qui nous est aujourd’hui soumis, il ne faut pas crier victoire trop vite. Nous nous réjouissons que, depuis l’adoption de celui-ci par le Sénat en première lecture, la directive européenne ait abouti. En transposant ses dispositions relatives au droit voisin dans le présent texte, la France est le premier pays à le faire ; elle fait preuve d’exemplarité.
Mais comme l’a souligné David Assouline, dont je salue une nouvelle fois le travail en tant qu’auteur et rapporteur du texte, l’acte législatif ne représente qu’une étape. Et il ne sera rien si, demain, les plateformes trouvent le moyen de s’y soustraire. La présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, reviendra plus longuement sur cet enjeu capital.
Si nous espérons que ce texte aboutisse vite, c’est aussi parce qu’en l’amendant nous avons pris un risque. Un véritable choix stratégique devait être opéré après la première lecture : soit l’adopter conforme tel qu’il ressortait des travaux de l’Assemblée nationale, ce qui sanctuarisait son aboutissement, soit le modifier.
Sur votre initiative, monsieur le rapporteur, la commission a choisi à l’unanimité de l’amender. Nous comprenons ce choix et le soutenons, sur le fondement des assurances que vous avez reçues de la part du Gouvernement et de l’Assemblée nationale qu’il serait bien adopté conforme par les députés d’ici à la fin de la session extraordinaire, le 23 juillet très précisément.
Nous soutenons aussi votre choix parce qu’au moins deux des trois amendements que vous avez fait adopter en commission vont incontestablement dans le bon sens. Il était bien sûr important de couvrir au mieux les agences de presse et de ne pas oublier les auteurs non salariés.
Le troisième amendement a soulevé de légitimes interrogations. Il tend à clarifier les éléments qui serviront à orienter la rémunération due aux éditeurs et aux agences. Permettra-t-elle de traiter tout le monde équitablement ? En commission, monsieur le rapporteur, vous nous avez assuré que ce serait le cas dans la nouvelle mouture de votre amendement qui sera présenté ultérieurement.
Si la presse d’information générale et politique paraît convaincue depuis le début, la presse spécialisée semble l’être à son tour…
Aussi, compte tenu des engagements pris par le Gouvernement – sans oublier les enjeux financiers qui représentent plusieurs dizaines de millions d’euros par mois – et de ce nouvel amendement consensuel qui va nous être proposé, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 26 mars dernier, après deux années d’âpres discussions, le Parlement européen a définitivement adopté la directive sur le droit d’auteur.
Son objectif principal est d’adapter l’application du droit d’auteur à l’ère numérique, en permettant une rémunération des contenus produits par les artistes, les éditeurs et les agences de presse, diffusés sur les plateformes.
Il s’agit non pas de restreindre l’accès à l’information, mais, au contraire, de le garantir en protégeant les créateurs et les journalistes, dont la valeur de la production est chaque année un peu plus captée par les géants grandissants de l’industrie dématérialisée. Les Gafam sont devenus des sortes de monstres à deux bras très inégaux : un très long bras pour prendre et un très court pour redistribuer.
Pour le secteur de la presse, la création d’un droit voisin est vitale. Nous connaissons ses difficultés, dont l’affaire Presstalis n’est qu’un des plus visibles symptômes.
Nous connaissons également le rôle essentiel que joue la presse dans le fonctionnement de nos démocraties.
Je tiens à remercier l’auteur de cette proposition de loi, David Assouline, de l’initiative qu’il a prise et de la qualité du travail qu’il a réalisé en tant que rapporteur.
Le texte que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture prévoyait dans sa version initiale une durée de validité de ce nouveau droit de cinquante ans. Mon groupe avait proposé un abaissement de cette durée à cinq ans, ce qui permettait de ne pas décrédibiliser la France dans les négociations qui battaient leur plein à Bruxelles. En fixant ce laps de temps à deux ans, l’Europe a été encore plus raisonnable.
En deuxième lecture, le Sénat a continué à préciser, dans la mesure de sa compétence, le texte transposant partiellement la directive. Ces précisions, utiles, encadrent davantage le montant et les modalités de versement de la rémunération due au titre du droit voisin et étendent la portée de ce droit aux photographies et vidéogrammes.
Pour permettre aux éditeurs de presse de négocier efficacement les rémunérations versées par les plateformes, le texte prévoit la communication d’un certain nombre de données. Nous devons rester vigilants sur la question de la sécurisation de ces transmissions de données, de leur stockage et de leur bonne utilisation. (Mme la présidente de la commission de la culture acquiesce.)
Des plateformes telles que Google lisent dans notre vie privée comme dans un livre ouvert. Le nombre de données qu’elles recueillent et agrègent sur chacun d’entre nous chaque jour est exponentiel. On nous avait prédit que l’internet serait la transparence ; ce qui est en train de survenir est la surveillance généralisée.
L’action de groupe lancée le 26 juin dernier par l’UFC-Que choisir contre Google, accusé de collecter et d’exploiter illégalement les données personnelles de 28 millions de ses utilisateurs et allant à l’encontre du nouveau règlement général sur la protection des données, le RGPD, en dit long.
La protection des données personnelles contre leur utilisation détournée et le manque de transparence dans l’exploitation de ces informations sont des sujets préoccupants auxquels mon groupe est particulièrement attentif.
Tout élargissement des détenteurs de ces informations personnelles doit nécessairement s’accompagner d’un renforcement de la sécurisation de ces données et de la surveillance de leur bonne utilisation.
Pour lutter contre les monopoles et ne pas étouffer le marché numérique, le texte européen prévoit des exceptions en faveur des plus petits acteurs, justifiant de moins de trois ans d’existence et dont le chiffre d’affaires annuel serait inférieur à 10 millions d’euros. Monsieur le ministre, nous ne pouvons que soutenir l’application prochaine de ces dispositions.
Au demeurant, le débat sur les droits voisins ne résume pas l’ensemble des défis posés par les plateformes.
Jusqu’à présent, une plateforme telle que YouTube ou Facebook n’était juridiquement pas responsable du contenu qu’elle diffusait, comme un enfant placé sous l’autorité parentale. Le problème est que cet enfant est comme un nourrisson insatiable : un canal alimentaire avec une très grande voracité à l’entrée, pour capter tout ce qui passe à proximité, et une irresponsabilité absolue à l’autre extrémité.
Nous ne pouvons que nous féliciter de ce que le régime ultra-permissif et déresponsabilisant qui s’appliquait jusqu’alors aux Gafam prenne fin prochainement, lorsque les dispositions prévues par la directive seront transposées dans chacun des pays membres de l’Union. Nous le savons, pour faire face aux géants du web, cette régulation est une question éminemment européenne.
Un autre défi que nous allons essayer de relever avec un texte qui nous parviendra bientôt de l’Assemblée nationale est celui de la lutte contre la haine. Celle-ci est devenue le crack des réseaux sociaux, et on a l’impression qu’il y a chaque jour un peu plus d’addicts.
Il y a beaucoup d’autres défis posés par les Gafam, car plus ils sont riches, plus ils sont pauvres d’âme. Nous devrons donc continuer à légiférer.
Pour conclure, l’instauration d’un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse constitue une première étape en direction de la régulation du territoire numérique. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient donc l’adoption de ce texte.
Nous attendons avec grand intérêt les annonces prochaines du Gouvernement relatives à la transposition du reste de la directive sur le droit d’auteur, en particulier l’article 17 visant à rééquilibrer la répartition de la valeur au profit des créateurs de contenus diffusés sur les plateformes, qui devrait s’inscrire dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Leleux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi donc, la France sera le premier pays d’Europe à transposer en droit national un article de la directive européenne sur le droit d’auteur, votée il y a seulement trois mois par le Parlement européen et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 mai dernier. C’est un record de réactivité !
Il faut dire que le Sénat avait déjà adopté, en janvier dernier – à l’unanimité, je le rappelle –, la proposition de loi de David Assouline tendant à créer un droit voisin au droit d’auteur au profit des éditeurs et agences de presse.
Ce vote, consensuel, intervenait par anticipation, quelques jours à peine avant le vote définitif de la directive par le Parlement européen et sa validation par le Conseil européen… et quelques semaines avant le renouvellement, fin mai, des instances européennes.
L’Assemblée nationale a ainsi pu tenir compte, lors de sa lecture de la proposition sénatoriale, des derniers ajustements opérés dans la directive et nous proposer un texte quasi finalisé propre à recueillir aujourd’hui une validation qui respecte parfaitement les termes de la directive. C’est dire combien le calendrier nous a été favorable.
C’est dire aussi que cette législation particulièrement attendue par les éditeurs et agences de presse pourra, si l’Assemblée nationale l’entérine avant la fin de la session, être enfin applicable dans les prochaines semaines.
Je dis « enfin », car il aura tout de même fallu trois ans d’un débat compliqué et chaotique dans les instances européennes pour que ce droit légitime des éditeurs et agences de presse soit pris en compte.
Il s’agit donc, dans l’article 11 de la directive devenu article 15, de créer un droit voisin au droit d’auteur qui permette aux éditeurs et aux agences de presse de percevoir une légitime rémunération, versée par les plateformes de diffusion numérique dans le cas d’une réutilisation en ligne de leur production.
Nous connaissons les enjeux. Nous les avons largement exposés en première lecture. Les moteurs de recherche et agrégateurs reprennent aujourd’hui à leur compte les articles publiés dans la presse sans rémunérer le secteur créatif, tout en bénéficiant des immenses retombées publicitaires que ces flux entraînent.
Ce détournement des revenus publicitaires au profit des opérateurs numériques met en péril le modèle économique de la presse et, à terme, son existence même, sa liberté et, au fond, un des fondements de notre démocratie.
La liberté de la presse a été consacrée au rang de principe constitutionnel fondamental, sur le fondement de la libre communication des pensées et des opinions.
Encore faut-il que le modèle économique du secteur soit viable ! Dans le prolongement du combat mené depuis toujours par la France, l’Union européenne a estimé que ce n’était plus le cas à l’ère numérique.
Cette création d’un droit voisin s’inscrit dans la volonté européenne de faire entrer les grands opérateurs numériques, pour l’instant américains, mais bientôt chinois, dans le modèle français et européen de la propriété intellectuelle et du respect du droit d’auteur, plutôt que de s’adapter au modèle promu par ces géants du net. Au pays de Beaumarchais, c’est tout à l’honneur de la France d’être à la pointe de ce combat.
La proposition de loi créant un droit voisin va ainsi obliger les « services de communication au public en ligne » – moteurs de recherche, réseaux sociaux, agrégateurs d’actualités – à respecter le droit à rémunération que détiennent les agences et éditeurs de presse en cas d’utilisation de leurs productions, sans limiter le droit à l’information.
L’autorisation de l’éditeur sera requise avant toute reproduction ou mise à disposition du public.
L’assiette du droit voisin portera sur les recettes, directes et indirectes, des sites internet et le montant sera négocié entre les parties prenantes.
Pour ces négociations, la proposition de loi encourage, sans les y obliger, les éditeurs et agences de presse à se regrouper au sein d’organismes de gestion collective, à l’instar de ce qui se passe en matière musicale, afin de s’accorder directement avec les plateformes numériques.
Le texte prévoit également que les retombées financières légitimes pour les journalistes eux-mêmes seront négociées par des accords d’entreprise.
La durée de validité du droit voisin, que le Sénat avait déjà ramenée à cinq ans, a été en définitive arrêtée à deux ans, conformément à la directive. Il semble d’ailleurs que ce laps de temps soit suffisant, les articles de presse ayant une durée de vie assez limitée.
En ce qui concerne le champ d’application de ce droit voisin, la proposition de loi s’est conformée à la doctrine européenne qui exclut de ce droit les revues scientifiques ou universitaires, mais aussi les hyperliens, les mots isolés et les extraits courts.
L’appréciation de ce champ de dérogation reste à ce jour encore un peu floue et promet quelques jolis contentieux à venir, lesquels ne manqueront pas de construire, nous l’espérons, une jurisprudence équilibrée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis conscient du fait que je ne vous ai pas appris grand-chose au cours de mon intervention. Mais le principal était de vous dire que mon groupe votera cette proposition de loi, dont la mise en œuvre devient urgente si l’on veut préserver notre presse pluraliste et l’esprit de démocratie qui la sous-tend.
Prenons d’ores et déjà rendez-vous pour la transposition du reste de la directive Droit d’auteur, notamment de ses articles 17 et 18, qui trouvera sans doute sa place lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’audiovisuel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. André Gattolin et Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près de cinq années auront été nécessaires pour adapter et renforcer la législation européenne sur le droit d’auteur. Entre le lancement de la réflexion sur le sujet, matérialisé par la communication de la Commission de 2015, intitulée Vers un cadre moderne et plus européen du droit d’auteur, et l’adoption de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, le parcours aura été jalonné d’interrogations, de crispations et d’un intense lobbying.
Mais l’aboutissement du trilogue témoigne aussi du courage et de la détermination de l’Europe à consacrer le droit d’auteur et à défendre un modèle qui place en son cœur la création et les créateurs.
En France, de par notre tradition séculaire, le débat est quelque peu plus avancé que dans d’autres États membres. Il faut dire que Le Chapelier, Beaumarchais, Lamartine et tant d’autres ont ouvert la voie et creusé le sillon du droit d’auteur, permettant de développer la sensibilité et la conscience collective du public autour de cette notion sans laquelle la création serait terriblement amoindrie.
Ainsi, la présente proposition de loi s’inscrit dans cette longue histoire, et la France se retrouve, une nouvelle fois, en première ligne pour protéger le droit d’auteur.
À cet égard, il n’est pas anodin que cette proposition de loi ait amplement anticipé les arbitrages finaux relatifs à la directive européenne. Elle était même légèrement « gourmande » sur certains points, à l’image de la durée du droit voisin nouvellement créé pour les éditeurs et agences de presse, initialement fixée à cinq ans, et qui a été finalement abaissée à deux ans, afin qu’elle soit en conformité avec la directive européenne.
La capacité d’anticipation que je mentionnais précédemment dépasse d’ailleurs le cadre de cette proposition de loi. Souvenons-nous que la loi pour une République numérique a étendu la liste des exceptions au droit d’auteur, devançant partiellement celles qui sont énoncées dans la directive trois ans plus tard. Au détour, rappelons seulement que lesdites exceptions pourraient être caractérisées « d’intérêt général », ayant pour finalité par exemple de favoriser la recherche. Il ne s’agit donc aucunement d’un empiètement ou d’un renoncement au droit d’auteur, mais bien d’une adaptation justifiée par l’objectif poursuivi aux possibilités offertes par le numérique, en particulier en ce qui concerne la fouille de données.
Cette brève genèse effectuée, nous voyons comme le temps long accompagne les discussions autour du droit d’auteur, situé à la croisée de problématiques multiples. In fine, la France sera le premier pays de l’Union à tirer toutes les conséquences de la directive européenne, bien que certaines dispositions seront transposées dans le futur projet de loi réformant l’audiovisuel public.
De par son calendrier, la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse s’est donc construite dans une forme de dialogue silencieux avec la directive européenne. En fonction des évolutions de cette dernière, la première a subi quelques modifications.
Nous avons déjà évoqué la durée du droit voisin nouvellement introduit en droit interne ; mais la discussion parlementaire est allée au-delà et a apporté une plus grande sécurité juridique, tout en mettant davantage en conformité le texte avec la directive.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons citer plusieurs dispositions allant dans ce sens.
Tout d’abord, les exceptions au droit voisin sont désormais inscrites dans le code de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 15 de la directive. Plus précisément, ces exceptions renvoient aux « actes d’hyperlien » ainsi qu’à « l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse », les fameux snippets.
Il a été utilement clarifié que les snippets ne doivent pas menacer la concrétisation de ce droit ; autrement dit, il ne faut pas qu’un court extrait, par son contenu, dispense de la lecture de l’article en question et satisfasse l’information du public. La ligne de crête est véritablement ténue, mais ces exceptions tentent de concilier la sauvegarde du droit d’auteur avec les usages numériques courants.
En outre, l’assiette de la rémunération résultant du droit voisin a été précisée ; elle prend en considération les recettes d’exploitation, « de toute nature, directes ou indirectes », entraînées par une publication de presse. Tous les revenus qui sont attachés à cette dernière, singulièrement publicitaires, et captés par les plateformes sont en conséquence visés. C’est une avancée majeure de nature à dissiper tout malentendu juridique.
Enfin, le mécanisme de rétrocession de la rémunération due aux journalistes, et de façon plus générale aux auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse, a été rendu plus juste. En effet, en mentionnant qu’ils doivent percevoir une part « appropriée et équitable » de la rémunération versée aux agences et éditeurs de presse au titre de leur droit voisin, la proposition de loi rétribue les créateurs de contenus à leur juste valeur et suit à la lettre la directive européenne.
Le travail de concert entre l’Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat est à saluer, tant il est devenu rare, mais pourtant si précieux. Le rapporteur, David Assouline, initiateur du texte et de ce mouvement que nous remercions infiniment, a poursuivi l’ouvrage en commission en seconde lecture.
Ce travail a notamment permis deux évolutions substantielles : premièrement, en rendant les auteurs non salariés bénéficiaires du droit voisin ; deuxièmement, en précisant les critères à prendre en compte pour déterminer la rémunération du droit voisin revenant aux éditeurs et agences de presse.
Et l’enjeu était de taille. La presse, comme nombre de secteurs, a été lourdement affectée par la révolution numérique.
Côté pile, la hausse de la lecture de la presse grand public sur support numérique : une augmentation de 43 % entre 2016 et 2017 ; de surcroît, près de 97 % de la population française déclare lire cette même presse au moins une fois par mois, pour un temps moyen de lecture de 22 minutes par jour.
En d’autres termes, malgré les critiques à son encontre, il n’y a pas de désaffectation de la presse par le public. En revanche, il est indéniable que la dynamique de déplacement du lectorat du support papier vers le numérique s’accélère, tout particulièrement sous l’effet des applications.
Le côté face ne réside donc pas dans une crise de la demande ; il est à chercher notamment dans la chute des revenus liés aux publications de presse. Certes, 7 milliards d’exemplaires de journaux étaient écoulés en 2009, alors qu’aujourd’hui ce chiffre atteint 4 milliards ; mais surtout, les recettes publicitaires sont passées de 5 milliards d’euros en 2007 à 2,3 milliards en 2015, soit moins qu’en 1985 ! Depuis une dizaine d’années, elles baissent drastiquement de 7,5 % par an, alors même que le marché de la publicité numérique augmente de 12 % par an.
Par conséquent, le problème prend allègrement racine dans le décalage entre l’exploitation numérique des titres de presse et la rémunération des acteurs – éditeurs, agences et journalistes – à l’origine de ces publications, et ce dans un contexte d’explosion de la lecture d’articles sur support numérique.
Partant, nous assistons bel et bien à ce qui peut s’apparenter à une captation de la valeur économique des productions de presse, dans la sphère numérique, par les plateformes que nous connaissons parfaitement désormais. C’est pourquoi, en instaurant ce droit voisin et en posant les principes d’une répartition équitable de la plus-value dérivant des publications de presse entre les journalistes, les agences et les éditeurs, la proposition de loi participe d’un rééquilibrage global en faveur de la filière. Il était urgent que le législateur intervienne afin de le réguler ; c’est maintenant chose faite !
Car, comme le souligne le rapport Franceschini, adressé au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en février 2018, la création d’un droit voisin est « la reconnaissance […] du rôle indispensable et de l’importance du métier de l’éditeur de presse pour assurer l’exercice du droit à l’information ».
Et ce droit à l’information est lui-même la condition sine qua non d’une démocratie où s’exprime une vitalité réelle. Nous l’avons répété inlassablement lors de l’examen de la réforme de la loi Bichet : nous devons préserver cette presse libre, indépendante et pluraliste, tout en veillant aux conditions de son accessibilité et de sa distribution.
Si d’aucuns ont brièvement eu la tentation de mettre en place un conseil de l’ordre des journalistes, idée d’autant plus trébuchante qu’elle survient après plusieurs polémiques notoires, je crois qu’il est au contraire fondamental d’apporter un soutien massif, sans faille et sans ambiguïté à l’ensemble du secteur de la presse, et plus spécialement aux journalistes et aux reporters qui font vivre l’information.
L’atmosphère générale, y compris à l’échelle européenne et internationale, est loin d’être satisfaisante ; c’est presque un euphémisme ! La liberté de la presse recule, les intimidations se font plus pressantes et les agressions sont monnaie courante.
Alors, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’ajoutons pas de l’huile sur le feu et de la confusion à la clarté, surtout en ce moment.
En France, nous pouvons être fiers et heureux d’avoir une presse dont la palette de tons est si riche et diversifiée. Unanimes, j’en suis certaine, pour voter cette proposition de loi, nous le serons ainsi tous dans le message politique que nous enverrons en faveur de la presse et de ses acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Pierre Ouzoulias et André Gattolin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant après de nombreux orateurs, je ne vais pas revenir sur l’intérêt et l’importance de cette proposition de loi, sinon pour saluer l’engagement du rapporteur, David Assouline, également auteur de ce texte. Grâce à sa détermination, à celle de notre commission, à celle du Sénat dans son ensemble, et avec votre soutien, monsieur le ministre, la France sera le premier État à transposer dans son droit l’article 15 de la directive sur le droit d’auteur. Notre texte sera ainsi un point de référence et servira donc, je l’espère, de modèle dans toute l’Europe.
Maintenant, il reste, de manière effective et rapide, à transposer l’ensemble de cette directive sur le droit d’auteur qui constitue la première véritable réponse organisée de l’Europe face aux géants du numérique, qui l’ont d’ailleurs combattue jusqu’au bout à Bruxelles, de manière souvent déloyale, et qui – ne nous leurrons pas – céderont le moins de terrain possible malgré la législation.
D’où notre insistance, monsieur le ministre, celle des acteurs culturels, pour que le projet de loi relatif à l’audiovisuel censé transposer la directive sur les services de médias audiovisuels, les SMA, et la directive sur le droit d’auteur ne se trouve pas davantage décalé dans le temps.
Cette directive sur le droit d’auteur constitue en effet une avancée, un espoir de retrouver de l’équité. Elle réaffirme aussi la souveraineté des États dans le monde numérique. Un sujet devenu enfin prégnant ces derniers mois et sur lequel, vous le savez, j’alerte de très longue date ; le Sénat a également ouvert une commission d’enquête à cet égard.
Ce sujet nécessite une vision globale et une approche systémique. Aussi ces droits voisins doivent-ils être complétés par d’autres mesures de régulation devenues indispensables pour l’économie en général, et pour la culture et les médias en particulier. Je pense aux questions fiscales, à la sécurisation des données, aux règles de concurrence, mais surtout au régime juridique applicable aux plateformes. Véritablement prédatrices et toujours menaçantes, celles-ci sont aujourd’hui bénéficiaires de tout et redevables de rien. Elles restent des intermédiateurs monopolistiques, incontournables pour un système de distribution de la presse numérique rendu totalement opaque par le jeu des algorithmes.
Lors de notre dernière discussion ici au Sénat, monsieur le ministre, vous avez souscrit, pour la première fois, à ma proposition de résolution européenne de rouvrir la directive sur le e-commerce, qui permettrait d’établir un statut, une redevabilité, une responsabilité des plateformes. Je m’en réjouis et je vous en remercie.
Aussi, permettez-moi de m’étonner des déclarations récentes de votre collègue secrétaire d’État chargé du numérique. Sans doute serait-il mieux inspiré de consacrer son énergie à cet indispensable combat à mener à l’échelon européen, plutôt que de croire encore aux possibilités d’une autorégulation et d’orienter ses attaques contre les journalistes, injustement accusés de ne pas traiter la question des fausses nouvelles.
Cela n’aura échappé à personne, la suggestion, la semaine dernière, de la création d’un conseil de l’ordre des journalistes – d’une police de l’information, en somme – a été très mal vécue. On le sait, la diffusion des fausses nouvelles et la publication des propos diffamatoires ont toujours existé. Certes, c’est devenu un phénomène complexe, dans lequel, d’ailleurs, les plateformes ont toute leur part de responsabilité, en raison du modèle économique sur lequel elles se sont construites : le clic rémunérateur.
Aujourd’hui, à l’heure du numérique, le combat consiste à assurer la survie, la viabilité économique et le pluralisme de la presse, et à garantir la liberté d’expression et la démocratie. Les dérives de certaines plateformes – le traitement absolument non neutre des contenus et la manipulation sophistiquée et litigieuse des données – ne sont plus à démontrer.
C’est donc lucides, fermes dans nos convictions et unis dans nos positions que nous devons avancer sur ce sujet. Surtout, nous ne devons pas succomber au piège qui consisterait à remettre en cause notre propre législation ; je pense en l’occurrence à la loi de 1881.
Dans l’attente de mesures plus structurelles, il est primordial que le secteur de la presse se saisisse de ces dispositions pour entamer rapidement, en application de la loi, les négociations, certainement longues et difficiles, avec les plateformes.
En conclusion, je veux saluer l’excellent travail sur la distribution de la presse. Mon groupe votera bien évidemment pour cette proposition de loi, qui constitue un signal fort en direction des géants de l’internet, mais également, et plus fondamentalement, le versant économique d’un début de responsabilisation des plateformes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Sylvie Robert et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque nous examinions, en janvier dernier, cette proposition de loi en première lecture, nous savions que ce qui résulterait de nos travaux pourrait servir de base à la transposition de la directive européenne. L’adoption de ce texte était importante, car les règles européennes sur le droit d’auteur ont été pensées avant l’ère du numérique, et elles ne sont plus adaptées.
La situation actuelle est plutôt inquiétante. Aujourd’hui, Google ou Facebook peuvent référencer et diffuser des articles de presse, mais aussi créer des produits, comme Google News, sans rien verser en retour aux éditeurs. Cela pose problème, parce que ces produits sont devenus l’une des principales portes d’accès à l’information ; c’est un peu comme si les radios pouvaient diffuser toute la musique qu’elles souhaitent, et engranger les revenus publicitaires y afférents, sans jamais rémunérer les maisons de disques.
La production des agences de presse – les éléments d’information sous toutes les formes, articles, photographies, vidéographies, sons, infographies – est reprise par les moteurs de recherche et les agrégateurs telle qu’elle est publiée par les éditeurs de presse, clients de ces agences. Or les agences de presse ne concèdent pas à leurs clients le droit d’accepter que ces contenus soient indexés et reproduits par les acteurs du numérique.
Toutefois, d’un point de vue économique, les agences ne peuvent pas se permettre d’interdire aux éditeurs d’être repris sur les moteurs de recherche ou les agrégateurs, car cette présence est pour elles source de profit direct ou indirect ; une interdiction pénaliserait l’audience des éditeurs de presse, donc le chiffre d’affaires des agences, lequel dépend des audiences des éditeurs.
Les agences se trouvent démunies face à la puissance des géants du numérique, et ne parviennent pas à défendre efficacement leurs productions sur le fondement des droits existants de propriété intellectuelle.
D’abord, l’exercice du droit d’auteur implique l’obligation d’apporter la preuve de l’originalité de chacun des contenus indexés et reproduits, ce qui est extrêmement difficile s’agissant de reprises massives de contenus. En ce qui concerne l’exercice du droit de bases de données, il faut que soient identifiées toutes les extractions non autorisées, ce qui aboutit à des procédures extrêmement lourdes. De toute façon, les moteurs de recherche ont la capacité de développer des parades juridiques et de faire durer les débats.
Les jurisprudences européennes qui autorisent les liens hypertextes fragilisent de surcroît ces différents fondements ; l’article 1er bis de la présente proposition de loi, qui les exclut, me paraît donc important.
Ensuite, en admettant qu’une agence de presse ait exercé avec succès son droit d’auteur ou son droit de producteur de bases de données auprès d’un moteur de recherche, elle s’exposerait à un déréférencement des contenus publiés. Ces contenus étant repris par les éditeurs de presse, cela conduirait à priver ces derniers de référencement sur internet ; ce serait un suicide économique.
Enfin, vu la disproportion du rapport de force, une confrontation bilatérale avec les moteurs de recherche ne permettrait pas aux agences de faire valoir individuellement leurs droits. En revanche, un droit voisin visant à établir des accords de licence entre, d’un côté, les grandes plateformes et, de l’autre, les médias, et exercé via des sociétés de gestion collective, sur le modèle de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la Sacem, dans le monde de la musique, remédierait à ce déséquilibre.
Mes chers collègues, peut-on accepter une telle injustice et un tel comportement des Gafam ?
Il y a également un important enjeu démocratique. Rappelons-le, la capitalisation boursière d’Amazon plus celle d’Apple équivalent au PIB de la France. Qu’adviendrait-il, si la presse française était rachetée par ces géants d’internet ? L’information serait dictée par les intérêts des entreprises américaines, et ce sont Google et Facebook qui décideraient de ce qui serait ou non diffusé. Nous ne voulons pas cela.
Sur les smartphones, 92 % de la publicité est captée par Google et Facebook ; rien n’est reversé aux agences et éditeurs de presse. Ainsi, rien qu’avec la publicité, la perte de revenus est considérable.
Si l’on ajoute à cela le fait que le modèle économique des éditeurs de presse est mis en grande difficulté par la dissémination croissante de leurs contenus sur les Gafam, sans contrepartie financière, on peut réellement s’inquiéter, tout simplement, de la mort de la presse donc du contenu. C’est un enjeu démocratique, et c’est un problème de justice sociale.
La France devrait être, mes chers collègues, le premier État européen à transposer les dispositions de la directive relative au droit voisin dans son droit national, et ainsi servir de modèle aux autres pays. Dans un souci d’efficacité, mais aussi de protection des acteurs concernés, au-delà même de nos frontières, il est essentiel de voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, ce 3 juillet, pour examiner, en deuxième lecture, la proposition de loi déposée par David Assouline visant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.
Ce texte permet de transposer la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique du numérique, adoptée par le Parlement européen le 26 mars dernier et approuvée par le Conseil de l’Union européenne le 15 avril suivant. Il pose un cadre dans un secteur particulièrement sensible, puisque la liberté de la presse garantit la bonne santé d’une démocratie.
Si les informations n’ont jamais été aussi abondantes et dynamiques à travers le monde, jamais non plus le pluralisme et l’indépendance de la presse n’ont été à ce point en danger… Face au flot continu d’informations sur nos ordinateurs, sur nos tablettes, sur nos téléphones, il convenait donc de réagir, car la valeur créée par les journalistes et les éditeurs se trouve aujourd’hui totalement captée par les grands acteurs de l’internet.
Grâce à ce texte, contrairement ce qui se pratique actuellement, les Gafam et les infomédiaires ne pourront plus s’exonérer de toute responsabilité. En effet, ce texte contraint les géants du net au respect de l’État de droit et met fin à une atteinte à la liberté de la presse, puisqu’il permet aux éditeurs et agences de presse de tirer les revenus, notamment numériques, liés à leur travail d’éditorialisation.
Cette proposition de loi comporte aussi un volet économique qu’il convient d’aborder avec pragmatisme et discernement, faute de quoi on risque de voir Google ou Facebook supplanter l’Agence France-Presse…
Dans ce contexte, je me réjouis des travaux tant de l’Assemblée nationale que du Sénat.
Ce texte est cohérent sur le fond.
Sur la forme, la durée des droits patrimoniaux des éditeurs et agences de presse sera de deux ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d’une publication de presse. Je regrette que la directive ait tranché, en son article 15, la question de la durée des droits dans un sens moins protecteur que celui que le Sénat avait suivi, à savoir une durée de cinq ans.
Je me réjouis en revanche que l’agence de presse soit mieux définie – c’est l’objet de l’article 3 –, tout comme les revenus perçus par une plateforme du web au titre de l’exploitation d’une publication de presse. Ont également été mieux définis les acteurs économiques bénéficiaires du droit voisin, qui correspondent aux éditeurs de presse et aux agences de presse établis sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne.
Le mécanisme qui sera mis en place entre les plateformes et les éditeurs et agences de presse devrait faciliter la juste rémunération des auteurs.
Ces améliorations devraient assurer la survie économique des éditeurs et agences de presse. Je voterai donc, vous l’aurez compris, pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse
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Article 1er bis
(Non modifié)
Après l’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 211-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-3-1. – Les bénéficiaires des droits ouverts à l’article L. 218-2 ne peuvent interdire :
« 1° Les actes d’hyperlien ;
« 2° L’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse. Cette exception ne peut affecter l’efficacité des droits ouverts au même article L. 218-2. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer. »
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les reproductions et les extractions effectuées par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel, en vue de procéder, à des fins de recherche scientifique, à une fouille de textes et de données sur des œuvres ou autres objets protégés auxquels ils ont accès de manière licite. »
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Cette proposition de loi élargit les droits voisins des éditeurs et des agences, en donnant à ceux-ci la possibilité de contrôler la diffusion de leurs publications sous forme numérique.
Selon le principe de la balance des droits d’auteurs, que j’exposais lors de la discussion générale, la directive européenne a consenti une dérogation pour l’usage scientifique des informations de presse.
Le présent texte étant une transposition de ladite directive, il est logique, en droit, de transposer également cette dérogation, afin de ne pas rompre l’équilibre entre les deux valeurs, surtout, j’y insiste, quand cette dérogation n’a pas d’équivalent en droit français.
Tel est l’objet de cet amendement, pour la rédaction duquel j’ai recopié, très scrupuleusement, l’article concerné de la directive européenne, afin de bien montrer mon intention : une transposition exacte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à transposer, dans la proposition de loi, l’article 3 de la directive sur le droit d’auteur, qui prévoit une exception pour les fouilles de textes, dans le cadre de la recherche scientifique.
Cette exception est déjà visée à l’article 38 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Néanmoins, c’est vrai, le décret d’application prévu a reçu un avis négatif du Conseil d’État, lequel a indiqué qu’une exception au droit d’auteur devait être explicitement déterminée par le droit européen, ce qui n’était alors pas le cas, la directive n’étant pas encore adoptée.
Les auteurs de l’amendement souhaitent donc accélérer la transposition de cet article, l’adoption de la directive étant intervenue. Ils expriment, au travers de cet amendement, une préoccupation très légitime de la communauté des chercheurs, même si cette question est, d’un point de vue formel, un peu éloignée de ce texte, convenons-en. Ils remarquent par ailleurs, de manière très juste, que les termes de l’article 3 de la directive sont plus larges que ceux de l’article 38 de la loi précitée, puisqu’ils incluent les institutions du patrimoine culturel.
Le ministre devrait être en mesure d’apporter des précisions sur les conséquences juridiques de l’adoption de la directive et sur son calendrier de transposition. En conséquence, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement, qu’elle suivra, en fonction des explications fournies.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. Monsieur Ouzoulias, M. le rapporteur l’a très bien dit, le champ de cette exception est beaucoup plus large que le droit voisin pour les éditeurs et agences de presse visés par cette proposition de loi. Cette exception sera transposée ultérieurement, je l’indiquais dans mon propos liminaire, en même temps que les autres dispositions de la directive, dans le cadre du projet de loi relatif à l’audiovisuel.
À l’heure actuelle, mon ministère organise, avec l’ensemble des parties prenantes, une concertation sur ces dispositions. Je suis d’accord avec vous et avec le rapporteur, cette question est importante, mais le bon moment de la transposition de cette disposition sera l’examen du projet de loi relatif à l’audiovisuel, qui sera présenté en octobre prochain et discuté à l’Assemblée nationale à partir du mois de janvier 2020.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, puisque nous allons travailler sur ce sujet. J’espère, monsieur le sénateur, que vous nous ferez, une fois de plus, confiance. (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. Ce serait la première fois ! (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. La préoccupation que vous exprimez, monsieur Ouzoulias, est légitime, mais on a rarement entendu, dans l’hémicycle, de propos aussi clairs de la part d’un ministre auquel on demande des garanties. Il faut un décret et il faut asseoir celui-ci sur la transposition de la directive. On sait que cette transposition est programmée, l’échéance étant fixée au mois de juin 2021 ; j’espère d’ailleurs qu’elle interviendra plus tôt.
Depuis 2016, vous attendiez que les choses se décantent. Patienter quelques semaines ou quelques mois de plus ne me paraît pas très grave.
Je vous demande donc également de bien vouloir retirer votre amendement, mon cher collègue.
Mme la présidente. Monsieur Ouzoulias, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Pierre Ouzoulias. Merci de vos observations, monsieur le ministre.
Qu’un archéologue défende un amendement sur les fouilles, c’est presque du conflit d’intérêts ; mais il s’agit de fouilles de textes, donc je peux continuer… (Sourires.)
J’ai bien compris votre argumentation. Vous estimez que, en droit, l’amendement est conforme à la directive européenne, que les droits voisins sont étendus et que, légitimement, pour équilibrer ce nouveau droit voisin, il faut prévoir une dérogation.
Cela étant, vous me dites aussi qu’un problème de calendrier se pose et qu’il ne serait pas adapté de transposer cette disposition aujourd’hui, qu’il vaudrait mieux le faire plus tard.
J’entends cet argument chronologique, mais je vous oppose une question de principe. Nous avons réfléchi sur le juste équilibre entre les droits et les dérogations. Il est important, dans un texte comme celui que nous examinons, que, en droit, nous défendions toujours une position d’équilibre entre les droits et les devoirs.
Par conséquent, je maintiens mon amendement, madame la présidente.
M. David Assouline, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 211-4 du code de la propriété intellectuelle est complété par des V et VI ainsi rédigés :
« V. – La durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse et des agences de presse est de deux ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d’une publication de presse.
« VI. – (Supprimé) » – (Adopté.)
Article 3
Le titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VIII
« Droits des éditeurs de presse et des agences de presse
« Art. L. 218-1. – I. – On entend par publication de presse au sens du présent chapitre une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, notamment des photographies ou des vidéogrammes, et qui constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiées, sur tout support, à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle des éditeurs de presse ou d’une agence de presse.
« Les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, ne sont pas couverts par la présente définition.
« II. – On entend par agence de presse au sens du présent chapitre toute entreprise mentionnée à l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 portant réglementation des agences de presse ayant pour activité principale la collecte, le traitement et la mise en forme, sous sa propre responsabilité, de contenus journalistiques.
« III. – On entend par éditeur de presse au sens du présent chapitre la personne physique ou morale qui édite une publication de presse ou un service de presse en ligne au sens de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
« IV. – Le présent chapitre s’applique aux éditeurs de presse et agences de presse établis sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne.
« Art. L. 218-2. – L’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne.
« Art. L. 218-3. – Les droits des éditeurs de presse et des agences de presse résultant de l’article L. 218-2 peuvent être cédés ou faire l’objet d’une licence.
« Ces titulaires de droits peuvent confier la gestion de leurs droits à un ou plusieurs organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III de la présente partie.
« Art. L. 218-4. – La rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes, ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l’article L. 131-4.
La fixation du montant de cette rémunération prend notamment en compte les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.
« Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition.
« Art. L. 218-5. – I. – Les journalistes professionnels ou assimilés, au sens des articles L. 7111-3 à L. 7111-5 du code du travail, et les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse mentionnées à l’article L. 218-1 du présent code ont droit à une part appropriée et équitable de la rémunération mentionnée à l’article L. 218-4. Cette part ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés sont fixées dans des conditions déterminées par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif au sens de l’article L. 2222-1 du code du travail. S’agissant des autres auteurs, cette part est déterminée par un accord spécifique négocié entre, d’une part, les organisations professionnelles d’entreprises de presse et d’agences de presse représentatives et, d’autre part, les organisations professionnelles d’auteurs ou les organismes de gestion collective mentionnés au titre II du livre III de la présente partie. Dans tous les cas, cette rémunération complémentaire n’a pas le caractère de salaire.
« I bis. – À défaut d’accord dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi n° … du … tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse et en l’absence de tout autre accord applicable, l’une des parties à la négociation de l’accord d’entreprise ou de l’accord spécifique mentionnés au I peut saisir la commission prévue au I ter. La commission recherche avec les parties une solution de compromis afin de parvenir à un accord. En cas de désaccord persistant, elle fixe la part appropriée prévue au I ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés.
« I ter. – Pour la mise en œuvre du I bis, il est créé une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en outre, pour moitié de représentants des organisations professionnelles d’entreprises de presse et d’agences de presse représentatives et pour moitié de représentants des organisations représentatives des journalistes et autres auteurs mentionnées au I. Le représentant de l’État est nommé parmi les membres de la Cour de cassation, du Conseil d’État ou de la Cour des comptes, par arrêté du ministre chargé de la communication.
« À défaut de solution de compromis trouvée entre les parties, la commission rend sa décision dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine.
« L’intervention de la décision de la commission ne fait pas obstacle à ce que s’engage dans les entreprises concernées une nouvelle négociation collective. L’accord collectif issu de cette négociation se substitue à la décision de la commission, après son dépôt par la partie la plus diligente auprès de l’autorité administrative, conformément à l’article L. 2231-6 du code du travail.
« II. – (Supprimé)
« III. – Les journalistes professionnels ou assimilés et les autres auteurs mentionnés au I du présent article reçoivent au moins une fois par an, le cas échéant par un procédé de communication électronique, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur les modalités de calcul de la part appropriée et équitable de rémunération qui leur est due en application du même I.
« IV. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article, notamment la composition et les modalités de saisine et de fonctionnement de la commission, les voies de recours juridictionnel contre ses décisions et leurs modalités de publicité.
« Chapitre IX
(Division et intitulé supprimés)
« Art. L. 219-1 à L. 219-5. – (Supprimés)
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Chaize, Mmes Deromedi et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Di Folco, MM. Milon, Daubresse et Savary, Mme Bories, M. Laménie, Mme Lamure, M. B. Fournier et Mme Noël, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
peuvent confier
par le mot :
confient
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Les services de communication au public en ligne, qui, sous l’effet du fonctionnement normal de leurs prestations, reproduisent ou communiquent automatiquement des contenus, n’ont pas les moyens juridiques et techniques leur permettant de présumer de la nature du contenu reproduit. Ils ne peuvent donc savoir si ce dernier est ou non couvert par un droit voisin des éditeurs et agences de presse.
La gestion collective permettra aux services de communication au public en ligne de connaître les publications bénéficiaires du droit voisin, et d’en rémunérer l’exploitation par l’intermédiaire de l’organisme de gestion collective.
Or, s’il existe une possibilité que des éditeurs ou agences de presse ne confient pas la gestion de leurs droits à un tel organisme et ne se fassent pas connaître auprès des opérateurs de plateformes, ces derniers encourront un risque important de poursuites et de demandes de dédommagements en cas de reproduction non autorisée de publications de presse.
Cet amendement tend à assurer la proportionnalité des obligations créées par la présente proposition de loi.
M. Guy-Dominique Kennel. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à instaurer une gestion collective obligatoire pour les droits voisins ; je conclurai d’ailleurs mon propos par une remarque annexe sur une sorte de lettre ouverte que j’ai découverte tout à l’heure en séance.
L’objet de cet amendement rejoint ma première intuition sur le sujet : pour que la gestion collective soit efficace, il faut que le plus grand nombre possible d’éditeurs et d’agences de presse s’allient, c’est indéniable. Une gestion collective obligatoire pourrait donc donner l’impression de représenter un gage d’efficacité.
La proposition de loi prévoit la possibilité pour ces titulaires de droits de se rassembler au sein d’un organisme de gestion collective, afin de peser davantage dans le rapport de force qui les oppose aux acteurs numériques. Elle privilégie une gestion collective volontaire, pour deux raisons.
D’une part, il existe un argument juridique. Le droit européen et le droit constitutionnel encadrent strictement les conditions dans lesquelles les États peuvent imposer une gestion collective. La gestion collective obligatoire n’est en pratique admise que dans des cas très particuliers – par exemple, la gestion d’une exception ou la mise en œuvre d’une licence légale –, mais elle ne l’est jamais lorsqu’il s’agit de l’exercice d’un droit d’exploitation d’importance majeure, comme l’est, en l’espèce, le droit voisin.
D’autre part, le caractère facultatif de cette gestion a constitué, lors de l’élaboration de la proposition de loi, l’un des points conditionnant l’accord des éditeurs et des agences de presse. Ces derniers n’ont pas souhaité être enfermés dans les négociations. Il s’agit donc d’un point d’équilibre délicat, qui pourrait fragiliser juridiquement l’édifice.
Je vous demande par conséquent, ma chère collègue, de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Cela dit, je l’avais souligné lors des débats du mois de janvier, je suis, comme l’auteur de cet amendement, intimement persuadé que la clé du succès pour tous reposera non pas sur une obligation juridique, mais sur une obligation que je n’hésite pas à qualifier de morale. Il est impératif que la profession soit unie en totalité, et que les acteurs les plus importants ne jouent pas leur partition de leur côté. Il nous appartiendra à tous d’y veiller et de soutenir l’unité quand les négociations seront lancées.
Je profite de cette occasion pour souligner que certains représentants des auteurs s’insurgent, se disant les oubliés de ce texte. Or nous avons veillé de façon attentive à ce que, s’agissant de la presse, les journalistes puissent bénéficier des retombées de ce droit voisin. Par définition, les auteurs n’en bénéficient pas, le droit voisin n’étant pas un droit d’auteur.
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur le rapporteur ; vous avez très largement dépassé votre temps de parole.
M. David Assouline, rapporteur. Je pensais m’exprimer aussi sur les deux amendements suivants, mais je le ferai tout à l’heure.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. J’adhère totalement aux arguments avancés par M. le rapporteur.
Je comprends votre préoccupation, madame Di Folco : vous craignez que les plateformes n’éprouvent de grandes difficultés à identifier les éditeurs et les agences avec lesquelles elles devront négocier, ainsi que les publications concernées par le droit voisin.
Néanmoins, je crois vraiment que ces craintes ne sont pas fondées. En effet, la liste des services de presse en ligne et des agences de presse agréées par la Commission paritaire des publications et agences de presse, la CPPAP, est disponible sur le site de celle-ci. En outre, cette commission tient à la disposition des plateformes, en tant que de besoin, la liste des publications de presse disposant d’un numéro d’inscription à la commission, laquelle peut également être consultée sur le site data.culture.gouv.fr.
Enfin, bien évidemment – cela mérite d’être rappelé –, en cas de contentieux, le juge ne manquerait pas de tenir compte de la bonne foi des plateformes qui, en dépit de diligences raisonnables, auraient méconnu les droits d’un éditeur individuel.
Votre objectif me semble donc atteint par le texte actuel ; aussi, je vous propose, à l’instar de M. le rapporteur, de retirer votre amendement. À défaut, je serai obligé d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Di Folco, l’amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Catherine Di Folco. J’entends les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre, madame la présidente ; je retire donc mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 7, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer les mots :
prend notamment en compte
par les mots :
prend en compte des éléments tels que
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement vise à clarifier les modalités, définies par la commission, de prise en compte des éléments susceptibles de concourir à la détermination de la rémunération du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse. Le caractère à la fois non cumulatif et non exhaustif des critères serait ainsi mieux affirmé.
Cette disposition ne suscitera sans doute pas beaucoup de discussion ce jour, mais l’adhésion assez consensuelle à ce texte dans les milieux concernés a longtemps dépendu des quelques mots en question, car, derrière ceux-ci se cachaient des rapports de force. Je préfère que les choses soient transparentes ; il a fallu fournir des efforts de persuasion, de conviction, de diplomatie et de négociation pour aboutir à cette rédaction.
Les organes de presse d’information politique et générale, qui, depuis le début, se sont fortement battus, notamment à Bruxelles et dans les médias, pour empêcher leur spoliation par les géants du numérique, voulaient que l’on spécifie que leur rôle en faveur de la démocratie était plus important que celui de la presse people ou que celui des attrape-clics, fondés sur des titres racoleurs ; on peut en effet le concevoir.
Ils considèrent donc qu’ils concourent à l’exercice de la démocratie et qu’ils devraient faire l’objet d’un traitement particulier, et il est également évident pour nous que ce sont ceux-là qu’il faut conforter au travers de ce texte ; mais, dès lors, d’autres publications se sentaient exclues. Or il y a aussi, c’est vrai, une presse professionnelle, qui est nécessaire au pays, une presse de la connaissance, et d’autres secteurs de la presse, qui sont importants.
Il fallait donc que tout le monde s’unisse, ce qui est maintenant possible avec cet amendement, car, je peux vous le dire, toutes les familles de la presse ont souscrit à cette disposition, qui rassurera les acteurs et suscitera le consensus.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. Je veux saluer le travail du rapporteur, qui a fait preuve de beaucoup de diplomatie et de sens du rassemblement, pour faire en sorte de préciser encore le texte.
Il est important de le rappeler, la contribution à l’information politique et générale est un élément à prendre en compte dans le cadre de la rémunération du droit voisin. Je le réaffirme avec force, bien sûr.
Cela étant, s’il s’agit d’un élément important, ce n’est évidemment pas le seul, je le disais précédemment à la tribune. Il n’est nullement question d’exclure telle ou telle famille de presse du bénéfice de ce droit, exception faite, je le rappelle, de la presse scientifique et universitaire, explicitement exclue par la directive elle-même.
Ce droit appartient à tous les éditeurs de presse, sans aucune distinction, et nul éditeur n’en sera exclu.
Information complémentaire : le texte parle non pas du caractère d’information politique et générale des publications de presse, mais de leur « contribution […] à l’information politique et générale ».
Je le répète, les éditeurs et agences de presse doivent être rassemblés, pour que leurs droits soient défendus le mieux possible ; leur force sera d’autant plus importante dans la négociation qu’ils seront unis. C’est ce que j’appelle de mes vœux et cette proposition qui est faite à la Haute Assemblée constitue une très belle précision.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour explication de vote.
M. Stéphane Piednoir. Je veux être en accord avec l’observation que j’ai déjà faite en commission à propos de cette disposition, qui serait un tout petit peu modifiée.
Il était listé, à l’alinéa 13 de l’article 3, un certain nombre de critères introduits par l’adverbe « notamment », que je trouvais superfétatoire. Je l’ai exprimé en commission, car nous sommes tous opposés aux lois bavardes. Dans la mesure où il n’y a pas exhaustivité des critères, où cet adverbe n’apportait rien de précis, et où il n’y avait aucune pondération dans les critères, la disposition proposée me semblait inutile.
Je constate que cet amendement tend à supprimer l’adverbe « notamment ». C’est un premier pas, mais j’aurais souhaité que l’on aille beaucoup plus loin et que l’on s’en tienne à des dispositions plus simples.
N’y voyant aucun élément de précision, à titre personnel, je voterai contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Monsieur Piednoir, je veux insister sur l’importance de maintenir un équilibre.
Chacun d’entre nous est attaché à la liberté de la presse telle que nous la connaissons depuis 1945. Je prendrai l’exemple de la presse quotidienne régionale qui est souvent la plus lue et qui ne touche pourtant, parfois, qu’un territoire limité. Cette presse participe à faire vivre la démocratie dans notre pays et, j’insiste, notre démocratie s’appuie sur le pluralisme de la presse.
Or un journal de la presse quotidienne régionale qui n’est distribué que sur un petit bassin de vie – il en existe, dont le ressort est infradépartemental – a naturellement une audience limitée, en tout cas une audience plus faible que la presse, disons, sensationnelle. C’est pour sauver cette presse, à laquelle nous sommes tous attachés, que nous devons inclure des critères dans la loi, et pas seulement celui de l’audience.
Et c’est pour cette raison que nous avons inscrit, parmi ces critères, les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse – un éditeur qui n’a pas de journaliste ne doit pas être traité de la même manière que les autres –, ainsi que la contribution à l’information politique et générale, c’est-à-dire à la démocratie.
Voilà pourquoi nous avons mentionné trois critères, même si nous précisons dans le même temps qu’ils ne sont pas exhaustifs. Je revendique cette manière de faire, car elle est juste et équitable et c’est elle qui permettra à ce texte de remplir son objectif.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre. Monsieur le sénateur Piednoir, je veux également insister sur ce point.
Le premier objectif visé est de transposer rapidement ce droit voisin au droit d’auteur et nous pouvons en être fiers collectivement – j’anticipe bien sûr sur le vote qui aura lieu dans quelques instants, mais les propos que j’ai entendus dans la discussion générale m’y incitent… La France sera alors le premier pays à transposer cette partie de la directive et, je le redis, nous pouvons en être fiers.
Le second objectif est de rassembler les éditeurs de presse autour de ce texte et je veux une nouvelle fois remercier le rapporteur et la présidente de la commission de leur mobilisation et des efforts, démultipliés, qu’ils ont fournis pour arriver à ce résultat. Le Gouvernement a également joué son rôle, me semble-t-il, mais rien n’aurait été possible sans le rapporteur et la présidente de la commission.
Monsieur le sénateur, je pense que vous connaissez bien le sujet dont nous débattons et je vous assure que, dans une négociation qui aboutit à un accord qui rassemble tous les acteurs, tout est important, en particulier les éléments qui peuvent apparaître anodins ou comme des détails – ce sont d’ailleurs souvent ces points-là qui font la différence.
Soyez convaincu de l’importance de cet amendement pour rassembler l’ensemble des éditeurs de presse ! C’est un point fondamental pour que le droit voisin que nous allons créer dans la loi française, en transposant la directive sur le droit d’auteur, apporte quelque chose de concret aux éditeurs de presse lors des négociations qu’ils mèneront avec les plateformes. Je peux vous assurer que c’est important. C’est pourquoi je vous demande de soutenir cet amendement.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Leleux et Piednoir, Mme de la Provôté, MM. Brisson, Schmitz, Savin, Kern et Lafon et Mme Lopez, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les organismes de gestion collective mentionnés à l’article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d’identification relatifs aux publications de presse faisant l’objet des droits couverts par le présent chapitre.
II. – Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d’une reproduction ou communication au public mentionnée à l’article L. 218-2 s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de la qualité d’éditeur de presse ou d’agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l’éditeur de presse ou l’agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l’article L. 218-3.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Nous avons tous le sentiment, me semble-t-il, qu’il serait plus efficace que l’ensemble des éditeurs et agences de presse adhère à un organisme de gestion collective, mais je partage l’avis de M. le rapporteur : il faut maintenir une adhésion facultative et volontaire. Cela étant, nous créons de ce fait un petit vide juridique, un trou dans la raquette pour reprendre une expression parfois utilisée…
Cet amendement qui concerne surtout les plus petits des opérateurs – ce sont aussi les plus fragiles – vise à ajouter une présomption de connaissance de la nature du contenu reproduit au bénéfice des éditeurs de presse ayant confié la gestion des droits voisins de leurs publications à un organisme de gestion collective.
En effet, la proposition de loi fait peser sur les opérateurs de plateformes une obligation, en l’absence de licence, de ne reproduire que des mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse. Or aucun dispositif ne permet à ces plateformes de savoir que le contenu qu’elles reproduisent est un contenu produit par un éditeur ou une agence de presse.
Il est donc nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet, sur lesquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. A. Marc, Guerriau, Capus, Wattebled, Chasseing, Lagourgue, Decool, Bignon et Laufoaulu, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les organismes de gestion collective mentionnés à l’article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d’identification relatifs aux publications de presse faisant l’objet des droits couverts par le présent chapitre.
II. – Après l’alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 218-… – Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d’une reproduction ou communication au public mentionnée à l’article L. 218-2 s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de la qualité d’éditeur de presse ou d’agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l’éditeur de presse ou l’agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l’article L. 218-3.
La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Cet amendement est quasiment identique à celui qui vient d’être présenté ; je considère donc qu’il est défendu.
Quoi qu’il en soit, il est nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet à propos desquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise, obligeant ainsi les plateformes à un traitement respectueux du droit voisin créé par la présente proposition de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Ces amendements sont quasiment identiques et, pour la transparence de nos débats, je dois dire qu’ils reprennent – cela n’ôte rien à leurs qualités – une préoccupation émise par Qwant, opérateur qui constitue une alternative aux géants d’internet et que nous voulons soutenir de manière générale à la fois du fait de son origine française et européenne et en raison de son éthique.
Il est vrai que les petits opérateurs n’auront pas les mêmes moyens que les géants du net pour se mettre en conformité avec les exigences des futures dispositions législatives. En ce sens, c’est un amendement intéressant, car il traduit les inquiétudes de certains services de communication en ligne qui souhaitent une plus grande sécurité juridique.
Cependant, j’ai auditionné ces opérateurs, nous avons évoqué ces questions et je crois les avoir rassurés – c’est en tout cas ce qu’ils m’ont dit. Pour autant, ils souhaitent que le ministre puisse aussi les rassurer…
En tout état de cause, la solution proposée par le biais de ces amendements paraît insatisfaisante et juridiquement risquée.
En effet, la directive consacre un droit exclusif au profit des éditeurs et des agences de presse, et ce droit est opposable à toutes les plateformes. Or l’adoption de ces amendements impliquerait que le droit voisin ne serait pas opposable aux plateformes, dans l’hypothèse où les éditeurs et les agences de presse n’auraient pas confié leurs droits à un organisme de gestion collective et n’auraient pas publié une liste des publications de presse concernées par le droit voisin.
La loi imposerait alors des conditions supplémentaires à l’exercice du droit voisin ; elles ne figurent pas dans la directive et constitueraient donc des restrictions à l’exercice de ce droit.
Je note d’ailleurs que l’insécurité juridique mise en avant par les auteurs des amendements ne doit pas être exagérée : la négociation contractuelle avec les éditeurs et les agences devrait permettre de lever les principales difficultés soulevées et la jurisprudence tiendra nécessairement compte de l’information dont les plateformes auront disposé en ce qui concerne les publications pour lesquelles une rémunération est demandée.
Je tiens cependant à souligner l’intérêt de ces propositions ; les préoccupations qu’elles soulèvent devront trouver des réponses lors des négociations à venir entre les éditeurs, les agences de presse et les plateformes. J’appelle tous ces acteurs à travailler sur ces questions dès l’adoption de ce texte et j’espère que le ministre pourra nous apporter des éclairages pour convaincre les auteurs de ces amendements de les retirer.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, son avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. J’ai déjà répondu très longuement et en détail à une question précédente qui était très similaire.
La liste des services de presse en ligne et des agences de presse agréés par la Commission paritaire des publications et agences de presse est disponible sur le site de cette commission. Celle-ci tient par ailleurs à la disposition des plateformes la liste des publications de presse qui possèdent un numéro d’inscription à la commission et ces informations sont également accessibles sur le site data.culture.gouv.fr.
En cas de contentieux, le juge ne manquera pas de tenir compte de la bonne foi des plateformes qui, en dépit de diligences raisonnables, auraient méconnu le droit d’un éditeur individuel.
Pour ces raisons, je demande le retrait de ces amendements. À défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Leleux, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Leleux. Non, je le retire, madame la présidente, afin de faciliter l’adoption définitive de ce texte par l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Sur le fond, je n’ai pas dit que le risque juridique était exorbitant ; il est limité, mais il existe !
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Madame Mélot, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Colette Mélot. Non, je le retire également, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Duranton, Micouleau, L. Darcos et Deromedi, M. Kern, Mme Morhet-Richaud, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Guerriau, Mmes Kauffmann et Bories, M. Lefèvre, Mme Goy-Chavent, MM. Decool et Charon, Mme Lamure, MM. Longeot, Gabouty et B. Fournier, Mme Férat et MM. Poniatowski et Moga, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Après la deuxième occurrence du mot :
presse
insérer les mots :
, dans un délai fixé par négociation entre les parties concernées,
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Nous devrions être le premier État européen à transposer dans son droit national les dispositions de la directive relative au droit voisin et ainsi servir de modèle aux autres pays. Dans un souci d’efficacité, mais aussi de protection des acteurs concernés au-delà même de nos frontières, il est souhaitable d’apporter une précision à l’article 3 de la proposition de loi.
Cet article prévoit que les services de communication au public en ligne fournissent aux éditeurs et agences de presse tous les éléments d’information nécessaires à l’évaluation de la rémunération due au titre des droits voisins. Or les modalités d’application de cette obligation n’ont pas été fixées, notamment en ce qui concerne le délai de transmission desdites informations par les Gafam.
La question devrait être abordée lors d’une négociation entre les différents acteurs. Néanmoins, et en raison du rapport de force asymétrique entre les Gafam et les agences et éditeurs de presse, il est possible que cette négociation n’apporte pas les garanties souhaitées, ce qui laisserait libres les Gafam de donner les informations au compte-gouttes, de manière discontinue, ou au contraire en un bloc et tardivement. Cela pourrait porter préjudice aux agences et éditeurs de presse et entraîner des difficultés d’organisation et des retards de paiements, par exemple pour le pigiste qui est en bout de chaîne.
Cet amendement vise donc à fixer, par négociation entre les services de communication au public en ligne et les agences et éditeurs de presse, un délai dans lequel lesdites informations devront être transmises. Il s’agit non pas d’ajouter une négociation à une autre, mais de profiter de celle qui existe pour s’assurer que, dans l’intérêt de tous, un tel délai soit fixé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Il est proposé que la négociation menée entre les éditeurs et les plateformes fixe également un délai pour la transmission des informations permettant de garantir l’évaluation de la rémunération.
Cet amendement part du constat, très réel, d’une asymétrie entre les plateformes et les éditeurs. Cependant, il paraît superfétatoire, voire contre-productif. En effet, il semble conditionner la transmission des informations aux éditeurs à la tenue de négociations, alors que les informations doivent actuellement être transmises sans condition.
Je tiens à dire, pour rassurer les auteurs de l’amendement, que les négociations à venir, longues et assurément complexes, sont rendues obligatoires par le texte, puisque sans elles les plateformes ne pourront utiliser aucune publication de presse, ce qui serait inenvisageable.
Ces négociations vont nécessairement prévoir les délais et les modalités de remise des informations qui pourront d’ailleurs être différents selon les éditeurs et les cas de figure. Dans le cas extrême, et très peu probable, où les négociations échoueraient, les plateformes devraient quand même fournir des informations aux agences et aux éditeurs, ce qui ne serait pas le cas si cet amendement était adopté.
Il me paraît donc préférable de laisser se mener la négociation, sans l’entourer de trop de contraintes. C’est pour cette raison que je demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Franck Riester, ministre. Madame la sénatrice Duranton, je partage votre préoccupation, mais comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, cet amendement pourrait avoir des effets contre-productifs, car il donne le sentiment de conditionner la mise en œuvre de l’obligation de transparence à un accord préalable entre les parties. Ainsi, en l’absence d’accord, nous n’obtiendrions pas cette transparence, qui est pourtant nécessaire.
C’est pour cela que je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, je serai contraint de donner un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Duranton, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?
Mme Nicole Duranton. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
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Article 3 quinquies
(Non modifié)
L’article L. 331-11 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « ou un programme » sont remplacés par les mots : « , un programme ou une publication de presse » et les mots : « ou du programme » sont remplacés par les mots : « , du programme ou de la publication de presse » ;
2° Au second alinéa, après la première occurrence du mot : « programme », sont insérés les mots : « , une publication de presse » et les mots : « ou d’un programme » sont remplacés par les mots : « , d’un programme ou d’une publication de presse ». – (Adopté.)
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Article 4
(Non modifié)
La présente loi s’applique trois mois après sa promulgation. Elle ne s’applique pas aux publications de presse publiées pour la première fois avant la date d’entrée en vigueur de la directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. – (Adopté.)
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Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. C’est un très bon texte que nous avions adopté à l’unanimité en première lecture au Sénat, vote que nous allons renouveler, je le pense.
La proposition de loi a encore été améliorée depuis la première lecture. Nous pouvons en être fiers et je veux féliciter son auteur, également rapporteur, David Assouline. En 2016, nous avions abordé ce sujet lors de la commission mixte paritaire de la loi LCAP mais trop tard pour faire adopter les dispositions que nous proposions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Leleux. Cela dit, nous ajoutons un quatrième droit voisin, celui des agences de presse et des éditeurs de presse, à ceux des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des opérateurs de communication audiovisuelle. Si les choses fonctionnent bien pour les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes, il existe un vide juridique pour les opérateurs de communication radiophonique ou télévisuelle : ils ne perçoivent pas de droit voisin pour la diffusion dans des établissements publics et d’autres lieux. En effet, le code de la propriété intellectuelle exige pour disposer d’un tel bénéfice un paiement à l’entrée de la salle où est diffusée l’œuvre. Or les clients des coiffeurs, des bars et d’un certain nombre de lieux publics n’ont pas à acquitter de droit d’entrée.
Monsieur le ministre, je profite de l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi pour vous signaler que le dispositif actuel en la matière devrait être modifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Le texte que nous allons voter est fidèle à la tradition de notre pays tout en témoignant de l’intérêt que nous portons aux créateurs d’aujourd’hui et de demain.
Comme il sera – je le souhaite, comme nous tous, mes chers collègues – adopté conforme à l’Assemblée nationale, je pense vraiment – je le dis aussi à l’adresse de notre collègue David Assouline – que nous pouvons être fiers de l’adopter !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Puisque nous faisons tous preuve d’un bel accord, je ne vais pas en rajouter.
Je tiens seulement à rectifier une erreur que j’ai commise lors de la discussion générale. Entre le travail fait en première et en deuxième lectures, entre les auditions de la commission auxquelles j’ai assez souvent participé, j’ai un peu buggé – cela arrive.
M. André Gattolin. La journée a été longue !
Mme Françoise Laborde. La journée est un petit peu longue, mais en si bonne compagnie, tout se passe très bien ! (Sourires.)
J’ai évoqué les snippets ; ils ont en fait été introduits par l’Assemblée nationale à l’article 1er bis ; je m’en suis rendu compte en consultant le tableau comparatif.
Je voulais apporter cette correction, notamment à l’intention de mes collègues du RDSE, qui m’ont fait confiance et vont se joindre au vote unanime.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Nous voterons, bien entendu, cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. Nous avons entendu M. le ministre : il s’est engagé à continuer le travail de transposition dans un projet de loi qui nous est annoncé pour 2020.
Nous réalisons un acte important. En effet, je crois que nous sommes assez nombreux à penser qu’il ne peut pas y avoir de liberté sans régulation. Nous venons de poser les premières pierres d’une régulation économique, mais aussi morale, comme l’a très justement dit mon collègue Malhuret, par rapport au monde numérique.
J’ai quelques regrets, mon amendement n’ayant pas été adopté, mais je vous salue, monsieur le ministre, car vous étiez à nos côtés pour essayer de contraindre les Gafam à mieux rémunérer les auteurs. Il serait maintenant essentiel que le Gouvernement définisse une doctrine par rapport aux Gafam et à son utilisation de leurs produits.
J’ai le sentiment, pour participer, avec Mme la présidente Morin-Desailly, à une commission d’enquête sur la souveraineté numérique, que le Gouvernement n’a pas encore déterminé de doctrine sur le sujet.
Je suis régulièrement intervenu dans cet hémicycle, notamment pour défendre les logiciels libres. Et l’on m’a expliqué que le confort de l’usager est l’élément qui détermine les décisions relatives aux investissements de l’État et que les Gafam rendraient les meilleurs services à l’usager. Ces propos sont inadmissibles et montrent bien que vous n’avez pas encore forgé une doctrine forte par rapport aux Gafam !
C’est très bien de les combattre par cette proposition de loi sur les droits voisins, mais je crois qu’il faut aller plus loin, être beaucoup plus offensif – moins iréniste – vis-à-vis de leur comportement et de leur prédation de toutes les données, y compris celles des services publics.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je me joins au concert de louanges et remercie tout le monde d’avoir participé très activement à ce travail de fond qui honore le Sénat. Je veux faire observer à M. le ministre que le Sénat a souvent pris l’initiative de certains textes qui ont fait bouger la législation européenne.
Je veux, pour mémoire, citer, à l’intention de ceux qui s’en souviennent et qui étaient déjà membres de la commission de la culture, dont Mme Colette Mélot, l’adoption, en 2010, de la proposition de loi très visionnaire et avant-gardiste relative au prix du livre numérique, alignant le taux de TVA qui lui est applicable sur celui du livre « papier ». Le ministre était à l’époque Frédéric Mitterrand et il avait suivi attentivement nos travaux.
Le Sénat est à l’origine du présent texte relatif au droit voisin sur lequel nous avons eu toute votre attention et votre soutien, monsieur le ministre. Mon collègue Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et moi-même aimerions avoir davantage de soutien sur nos propositions de résolution européenne qui concernent précisément le sujet de la souveraineté numérique, dont M. Ouzoulias a souligné le caractère stratégique. Peut-être pourrions-nous travailler davantage ensemble pour progresser sur ce sujet.
Nous avons, c’est vrai, parfois l’impression d’un décalage entre nos travaux, qui vont vraiment au fond des sujets, et certaines prises de position dont nous ne comprenons pas toujours le bien-fondé.
Nous avons déposé des amendements sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, qui va arriver en commission mixte paritaire. Il nous semble que tout le monde ne comprend pas très bien notre démarche, conduite dans l’intérêt général.
Peut-être pourrions-nous poursuivre le dialogue avec vous, monsieur le ministre, car vous semblez être un très bon ambassadeur de ces questions auprès des autres membres du Gouvernement. Je vous remercie de votre compréhension.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Je veux, à mon tour remercier ceux qui ne sont pas élus, mais qui œuvrent pour faire en sorte que la loi soit la plus précise possible, dans les services du ministère, mais aussi au sein de la commission. Ils ont travaillé dans l’ombre sur cette proposition de loi très technique ; au-delà de nos grandes déclarations, il faut à chaque fois ajuster, pour traduire les choses de façon intelligible dans la loi.
Avec l’adoption de ce texte, les choses commencent !
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à toutes les filières de la presse d’arrêter de se disputer sur le mode de répartition. Elles doivent faire front uni vis-à-vis des grandes plateformes – je pense à Google, en particulier – pour arriver en position de force lors des négociations et conserver cette unité jusqu’au bout.
Des clivages auraient pu survenir. Je me suis toujours attaché à obtenir le consensus non seulement dans cette enceinte, mais aussi au sein des familles de la presse. Car cette unité sera l’une des garanties pour aller vite, être efficace et prévenir les contournements.
Je cite Google à dessein parce que je crois l’entreprise capable d’aller voir une agence de presse connue et de lui proposer de traiter de gré à gré avec elle pour contourner le droit voisin en lui offrant 100 millions d’euros – elle n’aurait jamais espéré obtenir un tel montant dans une répartition plus générale.
Pour ne pas tomber dans ce panneau, il fallait un accord de l’ensemble des agences de presse et des éditeurs pour aller à la négociation en front uni. Je les appelle à maintenir cette attitude, de laquelle tout le monde a à gagner. Je tiens à le dire, la situation se retournerait contre toute entreprise qui aurait des velléités de faire cavalier seul.
J’appelle les plateformes qui nous écoutent à montrer qu’elles sont attentives à une éthique et à la liberté de la presse et qu’elles concourent à cette rémunération.
En tout cas, nous allons suivre tout cela de près. J’attends de l’Assemblée nationale qu’elle mette la dernière main à la pâte le 23 juillet !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission de la culture.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 162 :
Nombre de votants | 348 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 342 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Applaudissements.)
La parole est à M. le ministre.
M. Franck Riester, ministre. Je vous remercie toutes et tous de cette unanimité sur ce texte important et d’avoir consacré autant de temps et d’énergie à bâtir celui-ci avec nous. Merci à vous, monsieur l’auteur-rapporteur de ce texte, cher David ! Merci à madame la présidente, aux équipes du Sénat, aux équipes du ministère.
Il reste encore une dernière étape, la lecture à l’Assemblée nationale, mais je suis totalement confiant !
Aujourd’hui, nous fêtons le 242e anniversaire de la création de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, par Beaumarchais, qui a lancé la protection du droit d’auteur. Franchement, quel beau signal nous envoyons ! Quand la France est unie autour de ses valeurs et de ses principes, elle est très belle ! (Applaudissements.)
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 4 juillet 2019 :
À dix heures trente :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour une école de la confiance (texte de la commission n° 576, 2018-2019) ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé (texte de la commission n° 508, 2018-2019).
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation des mobilités a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Hervé Maurey, Didier Mandelli, Patrick Chaize, Louis-Jean de Nicolaÿ, Claude Bérit-Débat, Olivier Jacquin et Frédéric Marchand ;
Suppléants : Mmes Marta de Cidrac, Martine Filleul, MM. Éric Gold, Guillaume Gontard, Benoît Huré, Christophe Priou et Mme Michèle Vullien.
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER